CERISES À CHAIR ACIDULÉE

Enquêtes (article 42)


CERISES À CHAIR ACIDULÉE ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
Enquête no CIT-2-88

TABLE DES MATIÈRES


No de l'enquête : CIT-2-88

Le lundi 30e jour de janvier 1989

ENQUÊTE EFFECTUÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 42 DE LA LOI SUR LES MESURES SPÉCIALES D'IMPORTATION AU SUJET DES :

CERISES À CHAIR ACIDULÉE ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE

C O N C L U S I O N S

Le Tribunal canadien des importations a procédé à une enquête en vertu des dispositions du paragraphe 42(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 30 septembre 1988 et d'une décision définitive de dumping datée du 16 décembre 1988, faites par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, concernant les cerises à chair acidulée originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique.

Conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation et à l'alinéa 57(2)a) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal conclut, par les présentes, que le dumping des marchandises susmentionnées a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Membre présidant : Howard Perrigo
_________________________
Howard Perrigo


Membre : Robert J. Bertrand, c.r.
_________________________
Robert J. Bertrand, c.r.


Membre : Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay


Témoin : Robert J. Martin
_________________________
Robert J. Martin
Secrétaire

L'exposé des motifs sera rendu d'ici 15 jours.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)

Audience publique : Les 3 et 4 janvier 1989
Le 30 janvier 1989


Participants : Peter Clark
Chris Hines
pour Ontario Tender Fruit Producers'
Marketing Board
Vineland Station (Ontario)
L0R 2E0

et pour British Columbia Fruit Growers' Association
B.C. Tree Fruits Limited
Kelowna (Colombie-Britannique)
V1Y 1J6

(plaignants)
Paul R. Richardson
Directeur des achats
E.D. Smith & Fils, Limitée
Winona (Ontario)
L0R 2L0

(importateur)

Jury :

Membre présidant : Howard Perrigo

Membre : Robert J. Bertrand, c.r.

Membre : Raynald Guay


Personnel désigné :

Chef, Enquêtes : T.A. Geoghegan

Agent de programme
de la recherche : P. Rakowski

Agent de soutien
pour statistiques : M. Saumweber

Rédactrice : M. Gélineau

Adresser toutes communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
19e étage
Immeuble Journal sud
365, avenue Laurier ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

*La constitution du Tribunal canadien du commerce extérieur, le 31 décembre 1988, a entraîné la cessation du Tribunal canadien des importations.

Exposé des motifs qui accompagne les conclusions rendues le 30 janvier 1989.

Ottawa (Ontario), le 10 février 1989

ENQUÊTE EFFECTUÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 42 DE LA LOI SUR LES MESURES SPÉCIALES D'IMPORTATION AU SUJET DES :

CERISES À CHAIR ACIDULÉE ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE

EXPOSÉ DES MOTIFS

Howard Perrigo, membre présidant

Le Tribunal canadien des importations a procédé à une enquête en vertu des dispositions du paragraphe 42(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping rendue par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, concernant l'importation au Canada des cerises à chair acidulée originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique.

Le 30 septembre 1988, le secrétaire du Tribunal canadien des importations a reçu du directeur général, Division des programmes de cotisation, ministère du Revenu national, Douanes et Accise, une lettre datée du même jour l'informant de la décision provisoire de dumping. Un avis à cet effet a été publié dans la Partie I de la Gazette du Canada du 8 octobre 1988.

L'enquête ouverte par le sous-ministre faisait suite à une plainte déposée par l'Ontario Tender Fruit Producers' Marketing Board (l'Office de mise en marché des produits de fruits tendres de l'Ontario) de Vineland Station, en Ontario, appuyé par la British Columbia Fruit Growers' Association (l'Association des fruiticulteurs de la Colombie-Britannique) (B.C. Tree Fruits Limited) de Kelowna, en Colombie-Britannique. L'enquête visait les marchandises en question importées entre le 1er juillet 1987 et le 30 juin 1988.

Sur réception de l'avis de décision provisoire de dumping, le secrétaire a envoyé un avis d'ouverture d'enquête au sous-ministre, au gouvernement des États-Unis d'Amérique, aux producteurs et transformateurs canadiens, aux importateurs et exportateurs des marchandises en question ainsi qu'à d'autres personnes dont le nom figure sur la liste d'envoi du Tribunal canadien des importations. Cet avis a paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 15 octobre 1988.

Le 16 décembre 1988, le Tribunal canadien des importations a reçu l'avis de décision définitive de dumping daté du même jour. Cet avis a été mis à la disposition des participants au début des audiences et a été publié dans la Partie I de la Gazette du Canada du 24 décembre 1988.

Le 31 décembre 1988, les dispositions des articles 16 à 37 et 41 à 62 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (projet de loi C-110) sont entrées en vigueur. Par conséquent, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a été créé et le Tribunal canadien des importations a cessé d'exister le jour même. Cependant, les dispositions transitoires de la loi permettent aux membres du Tribunal canadien des importations de conserver leurs pouvoirs de connaître les affaires devant ce Tribunal. Ces pouvoirs sont énoncés à l'article 57 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur. Les présentes conclusions sont donc rendues conformément à ces dispositions transitoires.

Des audiences publiques se sont tenues à Ottawa (Ontario) les 3, 4 et 30 janvier 1989.

Une brève audience supplémentaire a eu lieu le 30 janvier 1989 pour permettre aux parties d'examiner les renseignements additionnels portant sur l'industrie des États-Unis et qui n'avaient pas été consignés lors des audiences du 3 et du 4 janvier, et d'émettre leurs points de vue à cet égard.

LES PARTICIPANTS

Les parties plaignantes, l'Office de mise en marché des produits de fruits tendres de l'Ontario, représentant les producteurs et les transformateurs de l'Ontario, et l'Association des fruiticulteurs de la Colombie-Britannique (B.C. Tree Fruits Limited), agissant au nom des producteurs de la Colombie-Britannique et de sa propre entreprise de transformation, étaient représentés à l'audience par des avocats qui ont soumis des éléments de preuve et des arguments, en plus de faire entendre certaines personnes qui ont témoigné en faveur de la plainte de préjudice sensible attribuable au dumping. La plainte a été appuyée par les producteurs et les transformateurs; en fait, l'un des plus importants transformateurs du Canada a témoigné devant le Tribunal.

Un représentant de la société E.D. Smith & Fils, Limitée (E.D. Smith), importante entreprise de production, de transformation et d'importation, a comparu comme indépendant devant le Tribunal et a déposé des éléments de preuve et des arguments concernant la situation de l'industrie canadienne des cerises à chair acidulée.

LE PRODUIT

Le produit visé par la présente enquête est décrit dans la décision provisoire de dumping publiée par le sous-ministre comme des cerises à chair acidulée originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique.

Il s'agit d'un petit fruit rond ou en forme de coeur, d'un rouge vif et comportant un noyau lisse. La principale caractéristique de ce fruit est son goût piquant ou acide qui limite sa consommation en tant que fruit frais comestible; il doit donc être transformé avant de servir de denrée.

Aux fins de la présente enquête, les cerises à chair acidulée comprennent les griottes mûres de la variété rouge acidulée (par exemple variétés Montmorency, North Star, English Morello et Meteor), réfrigérées ou congelées, emballées avec ou sans édulcorants, soit des solides de sucre, de dextrose ou de glucose.

Les cerises à chair acidulée sont cultivées dans des cerisaies de tailles diverses qui renferment des arbres fruitiers d'environ deux ans, espacés selon des normes bien établies. Les six premières années sont considérées comme "non productives", car la production est restreinte. Les arbres commencent à porter des fruits au cours de la quatrième année et augmentent de volume jusqu'au niveau de la "production", à la septième année. La période idéale de production s'échelonne entre la septième et la quinzième année, après quoi la production fruitière diminue progressivement jusqu'au point où les arbres doivent être remplacés.

En Amérique du Nord, les cerises à chair acidulée sont principalement cultivées près des Grands Lacs, tant en Ontario que dans les États du Michigan et de New York, et au Wisconsin. On en produit également en Pennsylvanie, en Utah, en Oregon et dans l'État de Washington, de même que dans la vallée de l'Okanagan, en Colombie-Britannique.

Les cerises à chair acidulée mûrissent relativement tôt dans la saison et peuvent être récoltées au milieu de juillet au Canada, et un peu plus tôt dans certaines régions des États-Unis. Au moment de la récolte, le fruit est extrêmement délicat, rendant ainsi sa manutention difficile. Pour faciliter la manutention et la transformation, les cerises à chair acidulée sont immédiatement réfrigérées après la récolte; elles sont versées dans des réservoirs d'eau froide et transportées aux fins de transformation. A` l'usine de transformation, elles sont nettoyées, puis équeutées et dénoyautées. Par la suite, les cerises à chair acidulée sont empaquetées dans des seaux de tailles diverses pour vente comme produit frais réfrigéré, ou placées dans des seaux et recouvertes d'une couche de sucre, puis congelées et entreposées jusqu'à leur vente. Une très petite portion de la récolte est également mise à la disposition des consommateurs désireux de cueillir eux-mêmes des cerises.

La plupart des transformateurs au Canada et aux États-Unis congèlent le produit après son emballage. Ce dernier est par la suite vendu à des industries qui le transforment en garniture pour tarte, en confiture et en produits de boulangerie et de confiserie divers. Le produit en question peut également être "surgelé" et emballé à des fins spéciales. Aux États-Unis, les cerises à chair acidulée sont également mises en boîte ou transformées en jus destiné au marché intérieur. Il est toutefois d'usage dans les deux pays d'emballer le produit dans des seaux de plastique ou de métal, de couvrir les cerises d'une couche de sucre et de congeler le produit avant sa vente. La couche de sucre empêche l'oxydation des cerises pendant la congélation. Le produit exporté au Canada a été en grande partie livré congelé. La durée de conservation des cerises à chair acidulée congelées est plus longue que celle du produit brut ou du produit "frais réfrigéré". C'est la raison pour laquelle le produit en question est en grande partie vendu congelé dans les deux pays.

L'INDUSTRIE CANADIENNE

L'Ontario et la Colombie-Britannique, qui se sont partagées la production de 1987 dans les proportions respectives de 83,5 et 16,5 p. 100, sont les deux seules provinces canadiennes qui produisent des cerises à chair acidulée.

L'Office de mise en marché des produits de fruits tendres de l'Ontario compte environ 375 producteurs qui écoulent leur production auprès de transformateurs agréés qui s'occupent du dénoyautage et de la congélation. Des 17 transformateurs de l'Ontario, 5 accaparaient 80 p. 100 de la production de cerises transformées en 1987. En Colombie-Britannique, les 50 producteurs sont membres d'une coopérative dotée de sa propre entreprise de transformation, Sun-Rype Products Ltd.

À quelques exceptions près, la plupart des transformateurs qui offrent des services de dénoyautage et de congélation cultivent eux-mêmes une partie de leurs stocks. Les marchés du produit congelé comprennent les fabricants de garniture pour tarte et l'industrie de la boulangerie. Une petite partie de la production est vendue par des grossistes à des utilisateurs finals, que ce soit sous forme de produit congelé ou de produit dénoyauté réfrigéré.

En Ontario, les cerises à chair acidulée font l'objet de contrats de vente d'une durée de 12 mois, au moment de l'emballage, contrats conclus par les négociants et les utilisateurs finals (par exemple, l'industrie de la boulangerie). Le négociant fait fonction d'agent afin d'accélérer les opérations entre l'acheteur et le vendeur, y compris les dispositions relatives à la livraison et au transport du produit, selon les normes imposées par l'acheteur.

On ne compte qu'un transformateur de cerises à chair acidulée en Colombie-Britannique, soit Sun-Rype Products Ltd., de Kelowna. Par conséquent, toutes les cerises de bonne qualité sont transformées et entreposées jusqu'à leur vente. Les producteurs reçoivent un paiement en fonction du prix de vente négocié par la coopérative.

La production annuelle des cerises à chair acidulée canadiennes mises en marché au cours de la période de 10 ans terminée en 1987 a, en moyenne, légèrement dépassé 13,6 millions de livres; cependant, les variations annuelles ont été importantes.

La mise en marché a atteint un nouveau record en 1980, soit 20,7 millions de livres, suivi de 1987 avec 15,7 millions de livres. Contrairement aux États-Unis, où les niveaux de production ont eu tendance à augmenter, la production annuelle moyenne du Canada a légèrement diminué au cours de la période de cinq ans terminée en 1987, comparativement aux cinq années précédentes. Parmi les facteurs importants, soulignons qu'en 1987 la récolte réelle en Ontario s'est élevée à 21,6 millions de livres tandis que 13,1 millions de livres ont été mises en marché, ce qui signifie que la quantité de cerises non cueillies a atteint 8,5 millions de livres. Une situation semblable s'est produite aux États-Unis, 73 millions de livres de cerises à chair acidulée n'ayant pas été cueillies en 1987.

En Ontario, le pouvoir d'établissement des prix des cerises à chair acidulée est confié à l'Office de mise en marché des produits de fruits tendres de l'Ontario, qui examine les facteurs susceptibles d'influer sur le marché et fixe un prix seuil réglementaire exécutoire pour la récolte de cerises à chair acidulée. Au moment de la récolte, les transformateurs achètent les cerises à chair acidulée selon les contrats négociés avec les utilisateurs finals pour les 12 mois à venir. Dans la plupart des cas, les négociants, qui agissent comme intermédiaires, prennent les dispositions nécessaires pour répartir les stocks au nom des utilisateurs finals.

Il est important de noter que les prix accordés aux producteurs et aux transformateurs de l'Ontario dépendent largement des prix consentis aux producteurs et transformateurs des États-Unis. Dans le cas des producteurs, le prix négocié par l'Office de mise en marché des produits de fruits tendres de l'Ontario est étroitement lié à la production et à la mise en marché aux États-Unis. Ces prix tiennent compte des meilleurs renseignements obtenus à l'égard des prix pratiqués aux États-Unis et d'une indemnité pour droits de douane, écarts de taux de change et frais de transport. Vu que les transformateurs n'emballent pas le produit par spéculation, leurs achats auprès des producteurs dépendent des besoins de la clientèle. Étant donné qu'il n'existe qu'un petit nombre d'utilisateurs finals, ces entreprises négocient leur prix en fonction du prix du produit américain débarqué au Canada, ce qui leur permet d'exercer d'importantes pressions sur les prix imposés aux transformateurs.

En Colombie-Britannique, la seule entreprise de dénoyautage est une coopérative appartenant aux producteurs. Par conséquent, le revenu des producteurs est constitué du prix de vente des cerises transformées moins les coûts de production directs et les frais généraux, qui correspondent à environ 10 p. 100 des ventes. Vu que l'entreprise de transformation appartient aux producteurs, les recettes de ces derniers ont toujours dépassé de trois à quatre cents la livre celles obtenues en Ontario. Cependant, les prix pratiqués en Colombie-Britannique dépendent également des prix fixés aux États-Unis; par conséquent, les recettes des producteurs diminuent radicalement lorsque les prix chutent, comme ce fut le cas en 1987.

LA COMPOSITION DE L'INDUSTRIE CANADIENNE

Pour bien déterminer les composantes de l'industrie canadienne, il importe de comprendre la nature fortement interdépendante des producteurs et des transformateurs de cerises à chair acidulée. Si l'on ne tient pas compte de ce rapport et que l'on détermine que l'industrie ne comprend que les transformateurs, on néglige les réalités agricoles et économiques de ce secteur d'activité. Il s'agit d'une industrie des plus intégrées, chaque étape visant un but bien précis, soit la production d'un seul produit, en l'occurrence des cerises à chair acidulée. Ce processus de production est caractérisé, avec exactitude, par une seule chaîne de production continue ne traitant qu'une matière première en vue de l'obtention d'un seul produit final important sur le plan commercial. Par conséquent, ce processus est différent, par exemple, de ceux utilisés dans le secteur industriel et qui sont caractérisés par des rapports étroits entre les fournisseurs de pièces et de composantes, et les fabricants. Les cerises à chair acidulée ne sont pas converties en des articles différents pendant le processus; elles ne subissent pas de changements appréciables entre l'étape de la cueillette et celle de la transformation primaire, où elles sont congelées et placées dans des seaux pour être ensuite vendues à des entreprises qui les transformeront en garniture pour tarte et en confiture.

Outre le facteur intégration, on note des liens étroits en ce qui touche la propriété au sein de l'industrie canadienne des cerises à chair acidulée; en effet, presque tous les transformateurs sont également des producteurs.

Pour ces raisons, le Tribunal est d'avis que l'industrie canadienne se compose de producteurs et de transformateurs et que ces derniers assument le préjudice qui leur est causé sous forme d'érosion des prix ou le transmettent à leurs fournisseurs, c'est-à-dire d'autres producteurs, ce qui affecterait directement les producteurs canadiens.

L'INDUSTRIE DES ÉTATS-UNIS

En 1987, le marché américain des cerises à chair acidulée équivalait à environ 15 fois le marché canadien. L'État du Michigan, le plus important producteur de cerises, représente de 75 à 80 p. 100 de la production totale des États-Unis. Parmi les autres États producteurs, mentionnons New York, l'Utah, le Wisconsin, l'Oregon et la Pennsylvanie. La cueillette dans ces régions dure environ trois semaines. Aux États-Unis, on peut se procurer des cerises à chair acidulée du 1er juillet jusqu'à la mi-août; cependant, les cerises congelées sont offertes pendant toute l'année.

Aux États-Unis, la plupart des producteurs, des transformateurs et des organismes de mise en marché entretiennent des liens étroits par l'entremise de coopératives et de coentreprises. Les recettes du producteur dépendent de l'offre et de la demande, et de l'efficacité du processus de transformation. En outre, le producteur n'est payé qu'une fois la récolte vendue. Par conséquent, les producteurs assument leur part des frais de maintien des stocks jusqu'à la vente des marchandises.

La production de cerises à chair acidulée aux États-Unis a fluctué sensiblement au cours des 10 dernières années et elle a atteint un niveau record en 1987, avec 359 millions de livres. Le marché n'a pas été en mesure d'absorber une telle récolte et, en conséquence, environ 73 millions de livres de cerises ont été abandonnées. Malgré tout, 277 millions de livres de cerises ont été transformées aux États-Unis, ce qui représente un sommet par rapport aux 10 dernières années.

Aux États-Unis, les prix dépendent de l'offre et de la demande à l'échelle nationale, et plus particulièrement de la taille de la récolte. Depuis 1979, le prix moyen des cerises à chair acidulée congelées a oscillé entre 81 cents (1983) et 29 cents (1987). En 1983, l'offre de cerises, qui s'établissait à 168,8 millions de livres, a atteint son plus bas niveau au cours de la période à l'étude. Par contre, en 1987, année où le prix des cerises a enregistré un creux par rapport aux 10 dernières années, l'offre de cerises a connu un sommet.

La taille de la récolte aux États-Unis et ses répercussions sur les prix constituent des facteurs très importants pour l'industrie canadienne de cerises à chair acidulée. Les prix pratiqués au Canada sont depuis longtemps fonction des prix fixés aux États-Unis, plus particulièrement au cours de l'année-récolte 1987, où les prix accordés aux producteurs de l'Ontario ont chuté de 24 cents (canadiens) la livre pendant que les prix des producteurs du Michigan subissaient une baisse de plus de 20 cents (canadiens) la livre.

LA POSITION DE L'INDUSTRIE

Les avocats de l'Office de mise en marché des produits de fruits tendres de l'Ontario et de l'Association des fruiticulteurs de la Colombie-Britannique soutiennent que les importations sous-évaluées en provenance des États-Unis ont supprimé et réduit les prix des cerises canadiennes à chair acidulée au niveau de la transformation; ces baisses ont par la suite été ressenties par les producteurs. Les avocats déclarent également qu'il existe un lien de cause à effet entre le dumping, conformément à la décision du sous-ministre, et le préjudice sensible prenant la forme de bénéfices réduits et de pertes pour les producteurs, de marchandises non récoltées, d'abandon de stocks, de ventes perdues et de compression des prix, ce qui a obligé les intervenants à assumer des frais pour demeurer en affaires.

Les avocats ont également soutenu que les transformateurs canadiens de cerises à chair acidulée doivent se contenter des prix qu'on leur offre, ces derniers étant en grande partie fixés aux États-Unis. Ils affirment que certains producteurs ont abandonné des stocks après l'année-récolte 1987 et que de grandes quantités de cerises n'ont pas été cueillies en 1987 (8,5 millions de livres) parce que le prix offert sur le marché ne compensait pas les coûts de la récolte.

Au sujet du préjudice futur, les avocats ont soutenu qu'à rendement moyen la production de cerises à chair acidulée sur le marché américain continuera de dépasser largement la consommation de ce produit sur ce même marché. Cette situation et l'accumulation d'imposants stocks continueront d'exercer un effet négatif sur les prix au Canada.

Il a été par la suite mentionné que malgré un raffermissement des prix aux États-Unis et au Canada en 1988-1989, le problème n'a toujours pas été réglé parce que les producteurs canadiens ne sont pas capables de récupérer leurs coûts.

En terminant, les avocats ont indiqué que le dumping des cerises à chair acidulée a causé et cause un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises en question. Si la situation n'est pas corrigée par l'imposition de droits antidumping, le dumping continuera de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises en question.

LA POSITION DE E.D. SMITH

Un représentant de la société E.D. Smith, une importante entreprise de production, de transformation et d'importation, a comparu comme indépendant et a indiqué qu'à son avis les problèmes qu'ont connus les marchés en 1987 ont été corrigés depuis. Malgré cela, il a précisé que certaines mesures devront être prises afin de protéger l'industrie canadienne, car le nombre élevé d'arbres fruitiers aux États-Unis entraînera un excédent de production.

Il a par la suite mentionné que la production agricole est soumise à des cycles et que la pénurie de cerises aux États-Unis a eu pour effet de faire grimper les prix et d'accroître le nombre de cerisiers plantés à la fin des années 70 et au début des années 80.

Cependant, le représentant de E.D. Smith a noté que lorsque des droits antidumping sont imposés, il se peut que les autorités américaines décident d'user de mesures de représailles. Par ailleurs, on s'inquiète du fait que si des droits sont appliqués aux cerises originaires des États-Unis, aucune mesure ne pourrait empêcher un concurrent des États-Unis de produire de la garniture pour tarte et de l'exporter ensuite au Canada.

Le représentant de la société E.D. Smith ajoute que la réduction des bénéfices de l'industrie n'a duré qu'un temps et que malgré un avenir encore incertain, l'industrie s'achemine vers une nouvelle reprise. Les pertes subies par les producteurs en 1987 ont été compensées par des paiements de stabilisation; même si aucune quantité de cerises n'a été importée des États-Unis en 1987, la surproduction au Canada aurait tout de même entraîné l'abandon de stocks de cerises à chair acidulée.

La société E.D. Smith a également demandé une exemption pour les cerises surgelées, soutenant que ces produits sont offerts aux États-Unis et qu'ils ne le sont habituellement pas au Canada.

EXAMEN DU PRÉJUDICE SENSIBLE

Lorsqu'il a examiné les difficultés qu'a connues l'industrie canadienne en 1987-1988, le Tribunal a constaté que la récolte record enregistrée aux États-Unis en 1987 revêt une importance capitale aux fins de la présente enquête. En raison de sa taille (359 millions de livres, record des 20 dernières années), la récolte était beaucoup trop importante pour que le marché puisse l'absorber en totalité, à preuve les 73 millions de livres de cerises abandonnées (20 p. 100 de la récolte totale). En raison de cet excédent, les prix pratiqués aux États-Unis ont atteint leur plus bas niveau et les prix fixés au Canada ont forcément été bloqués parce que les acheteurs canadiens sont bien informés, et qu'ils sont capables et disposés à acheter leurs cerises à chair acidulée transformées aux États-Unis lorsque cette démarche est rentable; en effet, au cours de l'année-récolte 1987, des cerises à chair acidulée ont été importées des États-Unis en quantités records. Par conséquent, les producteurs et les transformateurs de l'Ontario et de la Colombie-Britannique ont dû faire face à une importante érosion des prix de leurs cerises à chair acidulée. Par exemple, les prix pour les producteurs de l'Ontario ont diminué de 24 cents la livre et ceux du produit transformé ont chuté de 40 cents la livre en 1987 par rapport à l'année précédente. Les cerises à chair acidulée se vendaient à des prix inférieurs aux coûts de production, ce qui a suscité d'importantes pertes pour les producteurs. L'érosion des prix était si importante que même si les importations avaient été entièrement remplacées par des produits canadiens, les producteurs n'auraient pas été en mesure de faire leurs frais. Le Tribunal est convaincu que les prix extrêmement bas du produit des États-Unis représentent le principal motif des pertes des producteurs canadiens. Les prix fixés aux États-Unis ont été sous-évalués et la marge moyenne pondérée de dumping a été importante (35 p. 100). L'érosion des prix qu'ont connue les producteurs canadiens à la suite du dumping était d'une envergure telle que le Tribunal est persuadé qu'à cette seule cause, et sans tenir compte des problèmes supplémentaires auxquels les producteurs et les transformateurs ont été confrontés en vertu d'autres éléments de préjudice, le dumping des cerises à chair acidulée en provenance des États-Unis a causé un préjudice sensible à la production canadienne.

Au cours de l'enquête, des éléments de preuve recueillis par le Tribunal ont révélé que les prix fixés au Canada suivent les prix pratiqués aux États-Unis. La proximité du marché américain signifie que les transformateurs canadiens doivent écouler leur production à un prix concurrentiel à celui du produit américain vendu sur le marché canadien. Cette situation s'applique également aux producteurs; en effet, l'Office de mise en marché des produits de fruits tendres de l'Ontario doit négocier un prix en tenant compte des forces du marché aux États-Unis. Tous ces éléments soulignent l'importance de l'évolution de la situation aux États-Unis pour l'industrie canadienne de cerises à chair acidulée.

Le Tribunal note également qu'au cours des 10 dernières années, le marché américain de cerises à chair acidulée a connu d'importantes fluctuations. Le plus faible niveau de production a été enregistré en 1981, lorsque la récolte a atteint 135 millions de livres. Par contre, la production a connu un sommet en 1987, avec 359 millions de livres. Au cours de cette même période, les prix à la production ont également fluctué, passant de 60,4 cents en 1983 à 7 cents en 1987. Plus récemment, ce marché a été caractérisé par une surproduction engendrée par un meilleur rendement à l'acre, situation attribuable à l'augmentation du nombre de cerisiers à la fin des années 70 et au début des années 80. Les rendements ont oscillé entre 1,5 tonne à l'acre en 1983 et 4,2 tonnes à l'acre en 1987. Cette surproduction s'est traduite par le report de stocks excessifs. Les stocks n'avaient jamais dépassé 40 millions de livres (20 p. 100 des ventes) au cours des sept années antérieures à 1985. En 1986, ils ont monté en flèche pour atteindre 106 millions de livres (50 p. 100 des ventes) et sont demeurés à plus de 80 millions de livres (29 p. 100 des ventes) en 1987. Ces importants stocks ainsi que la gigantesque récolte de 1987 ont provoqué une offre record de cerises à chair acidulée, à un niveau jamais atteint depuis les 10 dernières années. Cette situation a favorisé une réduction exceptionnelle des prix des produits frais et transformés qui, en 1987, ont chuté à leur plus bas niveau depuis les 10 dernières années.

La situation excédentaire de l'offre ainsi que le faible niveau des prix ont entraîné une augmentation des importations de l'ordre de 142 p. 100 en 1987, après la hausse enregistrée en 1986 en raison d'une mauvaise récolte au Canada. La pénétration des importations américaines sur le marché canadien qui a résulté de cette situation a engendré une diminution d'environ 20 p. 100 de la part du marché des transformateurs par rapport à 1984 et 1985. Par conséquent, les transformateurs canadiens n'ont pu profiter de l'augmentation de la consommation en 1987 en raison de la pénétration accrue des importations en provenance des États-Unis. En outre, l'érosion des prix a favorisé la détérioration des bénéfices des transformateurs et a entraîné des pertes pour les producteurs. Les clients (utilisateurs finals) qui, au cours des années précédentes, s'étaient engagés à acheter des cerises canadiennes, avaient réduit leurs achats en raison des faibles prix offerts aux États-Unis. Même si les transformateurs canadiens ont tenté d'aligner leurs prix sur ceux des produits importés des États-Unis, ils ont vu leurs bénéfices se détériorer. En outre, les importantes percées effectuées par les cerises à chair acidulée importées sur le marché canadien après la récolte de 1987 ont directement affecté les producteurs et les transformateurs canadiens. Des 8,5 millions de livres de cerises à chair acidulée non récoltées, on estime qu'une tranche de plus de 2 millions de livres n'a pu être écoulée en raison des percées effectuées par les importations américaines. Les prix offerts par les fournisseurs américains sont demeurés peu élevés au cours des troisième et quatrième trimestres de l'année-récolte 1987 (premier semestre de l'année civile 1988), et les utilisateurs finals canadiens ont acheté de grandes quantités de produits américains. Vu qu'ils avaient acheté des quantités importantes, ils étaient moins disposés à s'engager à acheter des cerises cueillies en 1988. Même si les prix des cerises transformées en Ontario se sont quelque peu raffermis, passant de 45 cents en 1987 à 69 cents au premier trimestre de 1988, les transformateurs canadiens ont continué d'être durement touchés par les prix fixés par les fournisseurs américains.

Le Tribunal est d'avis que le taux de pénétration des importations américaines sur le marché canadien n'aurait pu être atteint si les prix n'avaient pas été aussi bas. De plus, le Tribunal conclut que ces bas prix ont été largement sous-évalués. Les marges de dumping qui en ont découlé ont permis aux fournisseurs américains de vendre les cerises à chair acidulée à des prix très bas sur le marché canadien en 1987 et 1988. Les pressions qu'ont dû subir les transformateurs et les producteurs canadiens pendant ces années en raison du faible cours des importations ont directement affecté leur part du marché, leurs ventes et leurs bénéfices. Le Tribunal considère que le préjudice découlant du dumping est sensible. À partir des éléments de preuve déposés, le Tribunal est d'avis que le dumping des cerises à chair acidulée en provenance des États-Unis a causé et cause un préjudice à l'industrie canadienne.

Pour ce qui est des perspectives d'avenir, l'industrie américaine semble traverser une période de surproduction par rapport à la croissance de la demande et ce, malgré la sécheresse enregistrée en 1988. Les prix à la production demeureront vraisemblablement peu élevés. Cette situation découle de l'augmentation du nombre de cerisiers plantés il y a quelques années et du fait que de grandes quantités d'arbres jeunes en sont maintenant rendus à l'étape de la production. La récente augmentation de la superficie de production, ainsi que l'accroissement du rendement, entraînera vraisemblablement une hausse des niveaux de production. Même si l'on prévoit une augmentation de la demande, on s'attend à un excédent au sein de l'industrie. Bien qu'il soit toujours possible que la production annuelle diminue, comme ce fut le cas en 1988, il convient de reconnaître que contrairement à d'autres fruits, les stocks de cerises à chair acidulée sont calculés après la transformation. Par conséquent, les réserves de cerises à chair acidulée transformées au cours d'une année-récolte sont reportées comme stocks, ce qui réduit la possibilité d'une pénurie au cours des prochaines années. Vu que la capacité de production des États-Unis demeurera élevée, l'industrie canadienne continuera de subir un préjudice sensible si des mesures antidumping ne sont pas appliquées. Le Tribunal conclut donc à la probabilité d'un préjudice sensible.

Le Tribunal reconnaît que la cerise est un produit agricole et que des variables comme l'élimination d'arbres, la sécheresse et d'autres conditions météorologiques ne permettent pas d'effectuer des prédictions exactes. Pour cette raison, il examinera constamment la situation de la production et du marché.

DEMANDE D'EXEMPTION

La société E.D. Smith a demandé une exemption pour les cerises surgelées parce que ces dernières sont vendues aux États-Unis et qu'elles ne le sont habituellement pas au Canada. Le Tribunal doute de la véracité de cette affirmation. Ces cerises peuvent être remplacées par des cerises "en vrac". Si le Tribunal décidait d'exempter les cerises surgelées, ces dernières pourraient être importées au Canada à des prix sous-évalués et ainsi remplacer les cerises canadiennes. Par conséquent, le Tribunal n'est pas convaincu qu'une exemption soit justifiée.

CONCLUSIONS

Compte tenu des éléments de preuve déposés, le Tribunal conclut que le dumping au Canada des cerises à chair acidulée originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.


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Publication initiale : le 24 juillet 1997