ALBUMS DE PHOTOS À FEUILLES AUTO-ADHÉSIVES ET FEUILLES AUTO-ADHÉSIVES

Enquêtes (article 42)


ALBUMS DE PHOTOS À FEUILLES AUTO-ADHÉSIVES (IMPORTÉS ENSEMBLE OU SÉPARÉMENT) ET FEUILLES AUTO-ADHÉSIVES ORIGINAIRES OU EXPORTÉS D'INDONÉSIE, DE THAÏLANDE ET DES PHILIPPINES
Enquête no : NQ-90-003

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mercredi 2 janvier 1991

Enquête no : NQ-90-003

EU ÉGARD À une enquête en vertu de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation concernant les :

ALBUMS DE PHOTOS À FEUILLES AUTO-ADHÉSIVES (IMPORTÉS ENSEMBLE OU SÉPARÉMENT) ET FEUILLES AUTO-ADHÉSIVES ORIGINAIRES OU EXPORTÉS D'INDONÉSIE, DE THAÏLANDE ET DES PHILIPPINES

C O N C L U S I O N S

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à une enquête, en vertu de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 4 septembre 1990 et d'une décision définitive de dumping datée du 3 décembre 1990 rendues par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, concernant l'importation au Canada d'albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et de feuilles auto-adhésives originaires ou exportés d'Indonésie, de Thaïlande et des Philippines.

Conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut par les présentes que :

1) conformément à l'alinéa 42(1)(a) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le dumping au Canada des marchandises susmentionnées a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires; (dissidence en partie du membre Trudeau)

2) conformément à l'alinéa 42(1)b) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation :

(a) a eu lieu une importation considérable de marchandises similaires sous-évaluées en provenance des pays susmentionnés dont le dumping a causé un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires, et

(b) un préjudice sensible a été causé à la production au Canada de marchandises similaires du fait que les marchandises sous-évaluées en provenance des pays susmentionnés appartiennent à une série d'importations au Canada, massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte; et le Tribunal estime nécessaire, afin de prévenir la réapparition du préjudice, que soient imposés des droits antidumping sur les marchandises importées dont le dédouanement a eu lieu au cours de la période de quatre-vingt-dix jours précédant la date à laquelle le sous-ministre a rendu une décision provisoire de dumping à leur sujet ou à celui de marchandises répondant à cette description. (dissidence du membre Trudeau)

Robert J. Bertrand, c.r.
_________________________
Robert J. Bertrand, c.r.
Membre présidant


Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre


Michèle Blouin
_________________________
Michèle Blouin
Membre

L'exposé des motifs sera rendu d'ici 15 jours.

Ottawa, le jeudi 17 janvier 1991

Enquête no : NQ-90-003

ALBUMS DE PHOTOS À FEUILLES AUTO-ADHÉSIVES (IMPORTÉS ENSEMBLE OU SÉPARÉMENT) ET FEUILLES AUTO-ADHÉSIVES ORIGINAIRES OU EXPORTÉS D'INDONÉSIE, DE THAÏLANDE ET DES PHILIPPINES

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l'audience : Les 3 et 4 décembre 1990

Date des conclusions : Le 2 janvier 1991

Membres du Tribunal : Robert J. Bertrand, c.r, membre présidant
Arthur B. Trudeau, membre
Michèle Blouin, membre

Directeur de la recherche : Mary Walsh
Agent de la recherche : Peter Rakowski
Préposé aux statistiques : Gilles Richard

Préposé à l'inscription et
à la distribution : Pierrette Hébert

Participants : John D. Richard, c.r.
pour Desmarais & Frère Ltée/Ltd.

(partie plaignante)

Peter A. Magnus
pour Crown Photo Album Co. Inc.

(importateur)

EXPOSÉ DES MOTIFS

LE RÉSUMÉ

La présente enquête vise à déterminer si le dumping au Canada d'albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et de feuilles auto-adhésives originaires ou exportés d'Indonésie, de Thaïlande et des Philippines a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires et si les marchandises sous-évaluées représentent une importation massive justifiant des conclusions conformes à l'alinéa 42(1)b) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation (LMSI).

Au départ, la majorité du Tribunal a minutieusement examiné la définition des marchandises en question établie par le Sous-ministre et a décidé de considérer les albums et les feuilles comme un même produit, étant donné que les feuilles en sont la principale composante, presque à l'état de produit fini, qu'elles servent aux mêmes fins et qu'elles présentent les mêmes caractéristiques essentielles et que, par conséquent, elles constituent, avec les albums, une seule catégorie de marchandises. Vu que Desmarais & Frère Ltée/Ltd. (Desmarais), la partie plaignante dans cette cause, intervient pour environ 80 p. 100 de la production canadienne totale de marchandises de cette catégorie et que la production, les ventes et la part du marché nationales des autres principaux producteurs canadiens, qui importent des albums et des feuilles sous-évalués auprès des pays désignés, sont aussi d'une importance négligeable, le Tribunal considère que Desmarais constitue à elle seule l'industrie nationale aux fins de l'enquête.

Desmarais a soutenu que par suite de la publication de conclusions de préjudice sensible visant d'autres pays, on se trouvait de nouveau confronté à des importations à bas prix provenant d'autres sources. Cette situation était particulièrement grave étant donné la vulnérabilité de l'industrie face aux importations à bas prix, car la fixation des prix et la commercialisation des marchandises en question sont fort délicates. Le dumping des importations provenant des trois pays désignés a eu pour effet direct de faire subir à Desmarais des pertes de ventes, une compression des prix, des pertes de volume et de production, une baisse des bénéfices, du taux d'utilisation de sa capacité et de l'emploi, et une augmentation des stocks, situation qui devait se maintenir tout au long de 1991.

Crown Photo Album Co. Inc. (Crown), importateur des marchandises en question, était présente aux audiences et un avocat la représentait. Celui-ci a aidé le représentant de Crown à répondre aux questions des membres du Tribunal et de l'avocat de Desmarais. Elle a limité sa participation à la présentation d'arguments en faveur du rejet de la demande de la partie plaignante visant à obtenir des conclusions de dumping massif.

La majorité du Tribunal a estimé que les éléments de preuve témoignent de la vulnérabilité de l'industrie face aux importations à bas prix et reflètent la croissance stable du marché national des albums de photos à feuilles auto-adhésives depuis 1987. Toutefois, non seulement Desmarais n'a-t-elle pu profiter de l'expansion du march 9‚ pour accroître ses ventes, comme elle pouvait raisonnablement le prévoir, mais ses ventes ont en plus diminué en raison de la perte de contrats importants au profit des importations originaires des pays désignés, qui ont augmenté rapidement pour s'accaparer de près du quart du marché canadien au cours des six derniers mois de la période à l'étude. Pour tenter de maintenir le volume de production nécessaire, Desmarais a soutenu ou réduit ses prix moyens en dépit de l'augmentation des coûts de production, mais les ventes, et donc les bénéfices, ont poursuivi leur recul à mesure que les marges brutes s'effritaient, ce qui a finalement engendré des pertes nettes. Le fait que la part du marché de Desmarais a chuté de 16 points entre 1989 et le milieu de 1990 et la forte baisse de rentabilité qui en a résulté ont incité la majorité du Tribunal à conclure que le préjudice subi par Desmarais était sensible.

Le témoignage d'un important acheteur et détaillant d'albums de photos quant aux raisons pour lesquelles celui-ci importait directement des albums de l'un des pays désignés ainsi que le fait que d'autres producteurs canadiens achetaient des albums finis et des feuilles à bas prix des pays désignés, ce qui leur permettait de mieux concurrencer Desmarais et de présenter des soumissions moins élevées, ont amené le Tribunal à conclure que le préjudice sensible subi par la partie plaignante était directement imputable à l'importation ou à l'offre des marchandises en question.

Vu les marges de dumping appréciables, la forte variation du volume des importations de marchandises en question provenant des trois pays désignés, la possibilité de déménager la production d'un pays à l'autre, la propension éprouvée à cet égard et la facilité relative avec laquelle les exportations de feuilles pourraient remplacer les exportations courantes d'albums à feuilles auto-adhésives sous-évalués, la majorité du Tribunal a examiné les effets globaux de la catégorie unique de marchandises sous-évaluées et conclut à l'existence d'un préjudice passé, présent et futur.

En ce qui touche le dumping massif, la majorité du Tribunal a jugé qu'étant donné que les marchandises sous-évaluées ont accaparé 24 p. 100 du marché canadien au cours de la première moitié de 1990 et plus de 40 p. 100 de la valeur totale des ventes de Desmarais au Canada pour cette même période, ces marchandises constituaient une importation considérable. Ces importations étant cinq fois plus élevées que celles de la première moitié de 1989, elles appartenaient à une série d'importations, massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte. En raison de ces importations massives au sein d'un marché en expansion, la part du marché de Desmarais a reculé de six points de plus au cours de la première moitié de 1990 et le volume des ventes de la société a également diminué, ce qui fait que ses coûts d'exploitation unitaires ont grimpé alors qu'elle était aux prises avec une compression ou une détérioration des prix. Ces importations massives ont causé un préjudice sensible à Desmarais. La majorité du Tribunal considère qu'il y a de bonnes raisons de s'attendre à ce que les importateurs continueront de se tourner vers d'autres sources d'albums de photos à faible coût s'ils ne sont pas pénalisés plus sévèrement. Par conséquent, la majorité du Tribunal a décidé qu'il convenait d'imposer des droits antidumping rétroactifs pour éviter que les importations massives ne causent à nouveau un préjudice sensible.

Le membre Trudeau approuve les conclusions quant à l'existence d'un préjudice passé, présent et futur causé aux albums de photos à feuilles auto-adhésives, mais il ne partage pas l'opinion de la majorité en ce qui touche : (1) la description de la catégorie de marchandises; (2) les conclusions selon lesquelles le dumping a causé et cause un préjudice sensible aux feuilles auto-adhésives; et (3) les conclusions d'importations massives.

LE DÉROULEMENT DE L'ENQUÊTE

En application des dispositions de l'article 42 de la LMSI, le Tribunal a effectué une enquête après que le sous-ministre du Revenu national pour les Douanes et l'Accise (le Sous-ministre) eut publié une décision provisoire de dumping le 4 septembre 1990 et une décision définitive de dumping le 3 décembre 1990 concernant l'importation au Canada d'albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et de feuilles auto-adhésives originaires ou exportés d'Indonésie, de Thaïlande et des Philippines. L'enquête de dumping du Sous-ministre portait sur les importations de marchandises en question soit vendues pour être exportées au Canada, soit importées au Canada, entre le 1er octobre 1989 et le 31 mai 1990, dans le cas des marchandises exportées de l'Indonésie, et entre le 1er septembre 1989 et le 30 juin 1990, dans le cas de celles exportées de la Thaïlande et des Philippines.

Les avis de décisions provisoire et définitive de dumping ont été publiés dans la partie I de la Gazette du Canada du 22 septembre et du 15 décembre 1990, respectivement. L'avis d'ouverture d'enquête du Tribunal, publié le 11 septembre 1990, a paru dans la partie I de la Gazette du Canada du 22 septembre suivant.

Dans le cadre de cette enquête, le Tribunal a fait parvenir des questionnaires détaillés à six producteurs canadiens et à quarante-trois importateurs des marchandises en question pour obtenir des renseignements sur la production, des données financières, des précisions au sujet des importations et du marché et d'autres informations visant la période à l'étude, soit celle comprise entre le 1er janvier 1987 et le 30 juin 1990. À partir des réponses fournies et d'autres sources, les agents de recherche du Tribunal ont préparé des rapports public et protégé préalables aux audiences visant ladite période.

Le dossier de l'enquête renferme toutes les pièces du Tribunal, y compris les réponses publiques et protégées aux questionnaires, toutes les pièces déposées par les parties aux audiences et la transcription de celles-ci. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties, mais seuls les avocats indépendants ont eu accès aux pièces protégées.

Des audiences publiques et d'autres à huis clos ont eu lieu à Ottawa les 3 et 4 décembre 1990. La partie plaignante, Desmarais, et Crown, un importateur, étaient présentes aux audiences et chacune était représentée aux audiences par un avocat. Crown a d'abord été invitée à témoigner par le Tribunal. En accédant à cette demande, la société a décidé de participer à l'enquête et de retenir les services d'un avocat, lequel a déposé un avis de comparution et d'engagement.

Le Tribunal a aussi invité un témoin de Zellers Inc. à prendre part aux audiences et à répondre aux questions du Tribunal et des avocats.

Le 2 janvier 1991, la majorité du Tribunal a déclaré que le dumping des marchandises en question originaires ou exportées d'Indonésie, de Thaïlande et des Philippines avait causé, causait et était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires (dissidence en partie du membre Trudeau). La majorité du Tribunal a également conclu qu'il y avait eu une importation considérable de marchandises similaires sous-évaluées provenant des pays désignés dont le dumping avait causé un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires et que les marchandises sous-évaluées appartenaient à une série d'importations, massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte (dissidence du membre Trudeau quant aux conclusions d'importations massives). En outre, la majorité du Tribunal estimait nécessaire, afin de prévenir la réapparition du préjudice, que soient imposés des droits sur les marchandises importées dédouanées au Canada au cours de la période de 90 jours précédant la date à laquelle le Sous-ministre a rendu la décision provisoire de dumping.

LE PRODUIT

La présente enquête porte sur les albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et les feuilles auto-adhésives. Les albums se composent de reliures, le plus souvent à trois anneaux ou à spirale, contenant des feuilles séparées. Ces dernières sont faites de carton léger et recouvertes des deux côtés d'un enduit adhésif spécial sensible à la pression et d'une pellicule transparente soulevable. Cet adhésif retient, mais non de façon permanente, les photos qui y sont posées et permet de les enlever facilement sans y laisser de matière adhésive. Une fois les photos posées sur le carton recouvert d'adhésif, la pellicule transparente est rabattue sur les photographies pour les protéger.

Le marché canadien des albums de photos à feuilles auto-adhésives comporte deux grands secteurs : l'industrie photographique, qui englobe les détaillants de photos et les comptoirs d'appareils photo des magasins à succursales et à rayons; et l'industrie non photographique, qui se compose des comptoirs de papeterie des magasins à succursales et des magasins à rayons ainsi que des papeteries indépendantes. Les feuilles auto-adhésives individuelles sont vendues pour servir de rechange, le plus souvent en paquets de 4, 10 ou 20 feuilles, ou en vrac à d'autres producteurs d'albums de photos. Ce dernier débouché est de loin le plus important.

Les magasins à succursales comme Zellers, K-Mart, Metropolitan et Woolworth's sont les principaux acheteurs d'albums de photos à feuilles auto-adhésives. Les détaillants importants situés partout au Canada utilisent habituellement les albums à spirale à des fins de promotion. Les albums à trois anneaux, qui comptent un plus grand nombre de feuilles (habituellement 50), sont davantage en demande.

En général, les importateurs commercialisent eux-mêmes les marchandises en question. Les ventes sont réparties entre les grossistes-distributeurs et les détaillants. Desmarais approvisionne les détaillants et les papeteries indépendantes par l'entremise de distributeurs et exécute directement les commandes des magasins à succursales et des magasins d'appareils photo par l'intermédiaire de ses vendeurs répartis entre ses bureaux de Toronto, d'Ottawa et de Longueuil.

L'INDUSTRIE NATIONALE

Desmarais, de Longueuil (Québec), est le principal fournisseur canadien d'albums de photos à feuilles auto-adhésives depuis que cette société en a commencé la production au début des années 70. L'entreprise a été fondée en 1951 et constituée en société en 1957. Le Groupe Québécor Inc., une société de portefeuille canadienne très présente dans les secteurs de l'imprimerie et de l'édition au Canada, a acquis une participation majoritaire dans Desmarais en 1987. Desmarais emploie plus de 400 travailleurs en période de pointe et fabrique des albums de photos, des cadres pour transparents, des articles en plastique thermoscellés, des produits laminés et des extrusions de polymères. La société est un fabricant entièrement intégré des marchandises en question. Elle produit également des albums à spirale, à vis et à trois anneaux, de même que des feuilles auto-adhésives individuelles.

Depuis quelques années, un certain nombre d'entreprises fabriquent les marchandises en question en tout ou en partie au Canada. À titre d'exemple, citons William E. Coutts Co. Ltd., de Willowdale (Ontario); Hutchings & Patrick Inc., d'Ottawa (Ontario); Crown, de Richmond Hill (Ontario); et Belt Manufacturing Co. Ltd. (Belt), de Ville d'Anjou (Québec). Les trois premières sociétés achètent des feuilles et les intègrent à des albums qu'elles fabriquent elles-mêmes. Elles fournissent ces produits en petites quantités depuis 1987 et Hutchings & Patrick Inc. a cessé de produire des albums en 1989. Belt, qui fabriquait autrefois de façon intermittente des albums renfermant des feuilles auto-adhésives achetées séparément, a commencé à produire des feuilles et à fournir des quantités appréciables d'albums à trois anneaux en 1987. Belt est la propriété de Banner Educational Products Ltd., également de Ville d'Anjou.

LES IMPORTATEURS ET LES EXPORTATEURS

Revenu Canada a examiné la situation de quatre producteurs-exportateurs d'Indonésie, d'un producteur-exportateur de Thaïlande et d'un autre des Philippines. La majeure partie des marchandises en question exportées au Canada ont été importées par des producteurs canadiens d'albums de photos, surtout dans le cas des importations provenant d'Indonésie et des Philippines. Le Sous-ministre considère que Crown importe les albums et les feuilles en question des trois pays désignés et que Belt importe les albums en question des Philippines. Un magasin à succursales était le deuxième plus important importateur des albums en question provenant des pays désignés. Les importateurs achetaient les albums à feuilles auto-adhésives en question provenant des Philippines et de Thaïlande en petites quantités.

LES RÉSULTATS DES ENQUÊTES DU SOUS-MINISTRE

Dans sa décision définitive de dumping, le Sous-ministre a indiqué que la totalité des marchandises en question exportées au Canada par les trois pays désignés avait été sous-évaluée et que la marge de dumping pondérée variait entre 55,5 et 78 p. 100 en moyenne pour les albums à feuilles auto-adhésives et atteignait 35,1 p. 100 dans le cas des feuilles importées d'Indonésie. Les deux autres pays n'ont exporté au Canada que des albums à feuilles auto-adhésives, et non des feuilles séparées, au cours de la période à l'étude. En l'absence des données complètes et vérifiées requises pour établir les valeurs normales conformément à l'article 15 ou 19 de la LMSI, ces valeurs ont été déterminées suivant les indications ministérielles en vertu de l'article 29 de ladite loi à partir des données les plus fiables dont disposait le Ministère. La valeur normale précisée de l'un des producteurs-exportateurs d'Indonésie se fondait sur ses coûts de production et comprenait un montant au titre des dépenses générales relatives aux ventes et à l'administration, de même qu'un certain profit.

LA PLAINTE

L'avocat de la partie plaignante a soutenu qu'à la lumière des éléments de preuve, le Tribunal devait : (1) conclure à l'existence d'un préjudice sensible passé, présent et futur visant chacun des trois pays désignés; et (2) conclure que les marchandises sous-évaluées en question représentent une importation massive au Canada au sens de la LMSI. L'avocat a fait allusion à la longue liste de conclusions rendues à l'égard des marchandises en question et de l'aveu du Tribunal, dans l'ordonnance rendue le 4 septembre 1990, dans le cadre du réexamen no RR-89-012, qui comprenait quatre séries de conclusions au sujet des albums de photos à feuilles auto-adhésives, sur l'habitude qui consiste à acheter des importations à bas prix d'autres pays à mesure que les conclusions entrent en vigueur. L'avocat a ajouté que le Tribunal avait reconnu la vulnérabilité de l'industrie nationale face aux importations à bas prix en raison de la forte incidence des prix sur les marchandises en question et que le témoin de Zellers avait confirmé cette situation. En outre, le caractère saisonnier du marché, qui connaît une pointe au dernier trimestre de l'année, et le fait qu'un petit nombre de clients interviennent pour le gros des ventes signifient que les bas prix offerts à un ou deux gros détaillants permettent de fixer ceux offerts à tous les principaux clients. Pour prouver que certains fournisseurs offrent effectivement des bas prix, la partie plaignante a déposé comme pièce une lettre émanant de la société Larston Systems Trading, un agent exportateur affilié à un producteur d'Indonésie utilisant des techniques et des compétences mises au point en Corée pour produire les marchandises en question. Ces dernières étaient offertes f. à b. à des prix tels que le prix franco dédouané net était beaucoup moins élevé que ceux de Desmarais. L'avocat a donc constaté une propension à recourir au dumping et estimait que Desmarais y était vulnérable même si cette entreprise est un fabricant entièrement intégré, conscient des prix en vigueur à l'échelle internationale et des tendances influant sur la vente des albums en question. En résumé, le préjudice sensible passé, présent et futur auquel Desmarais est confrontée résulte directement des marchandises sous-évaluées ou de l'offre de ces dernières.

Quant à une indication de ce préjudice sensible, l'avocat a mentionné les éléments de preuve détaillés fournis par Desmarais au sujet des pertes de ventes, qui n'ont pas été contestées, et de l'érosion des prix découlant de la vente d'importations sous-évaluées. En outre, comme la production d'albums de photos requiert des capitaux très importants et un volume élevé, Desmarais a été obligée de réduire ses prix pour préserver son volume de ventes. Pourtant, malgré l'expansion du marché, le volume de ventes et la production de la société ont diminué au profit des marchandises sous-évaluées, ce qui a inévitablement entraîné une perte de bénéfices et une baisse du taux d'utilisation de la capacité et de l'emploi. L'accumulation des stocks imputable aux ventes perdues a exacerbé davantage la réduction des bénéfices en ajoutant aux coûts d'exploitation.

L'avocat a déclaré que la demande de conclusions de préjudice futur applicables aux trois pays désignés s'appuyait sur une menace réelle et imminente de préjudice dans un avenir prévisible, compte tenu du fait que les producteurs ont tendance à s'approvisionner auprès d'autres pays après que des conclusions de dumping préjudiciable sont rendues. D'autres renseignements ont été fournis au sujet de la volonté, de la tendance et de la capacité des producteurs des pays désignés pour ce qui est de fournir les marchandises en question et de l'impact négatif des bas prix offerts à la fin de 1990 sur les contrats négociés au dernier trimestre de cette même année en prévision de ventes réalisées en 1991. Le témoin principal de Desmarais a indiqué au Tribunal qu'à son avis, le volume de ventes de cette société, qui était déjà en baisse, chuterait encore de 50 p. 100 en 1991 sans les conclusions de préjudice sollicitées. En outre, le fait d'exclure un pays ne ferait qu'encourager les autres pays à y transférer leur production, ce qui rendrait inutile la comparution devant le Tribunal.

En ce qui touche la demande de conclusions de dumping massif, l'avocat a soutenu que, dans l'ensemble, les importations étaient effectivement massives, surtout si l'on compare l'évolution de la part du marché des pays désignés à celle de Desmarais depuis un an et demi à l'aide de la valeur normale estimative des marchandises sous-évaluées établie par Revenu Canada au lieu de leur valeur sous-évaluée. L'avocat a admis que comme la Thaïlande n'avait effectué qu'une seule livraison des marchandises en question au dernier trimestre de 1989, il pourrait être difficile d'en arriver à des conclusions d'importations massives, mais il n'a pas hésité à formuler une requête en ce sens.

LA RÉPONSE

L'avocat de Crown a aidé le représentant de sa cliente à répondre aux questions des membres du Tribunal et de l'avocat de Desmarais, mais n'a pas participé plus activement aux audiences. L'avocat de Crown a également contesté la requête de la partie plaignante en vue d'obtenir des conclusions de dumping massif en application de l'alinéa 42(1)b) de la LMSI. Il a déclaré que, en répondant aux questions, le repr 9‚sentant de sa cliente avait précisé que la société n'avait commencé à importer les marchandises en question d'un des pays désignés qu'après s'être assurée que ces marchandises étaient offertes à leur juste valeur marchande même si cette valeur était beaucoup moins élevée que les coûts assumés par la partie plaignante pour fabriquer le même produit. Revenant au témoignage du représentant, l'avocat a rejeté la proposition voulant que les installations de production dans les pays désignés avaient été aménagées pour se soustraire aux conclusions antidumping précédentes. Ces nouvelles installations résultaient tout naturellement du fait que les coûts de production étaient moins élevés dans les pays désignés que dans certains autres pays côtiers du Pacifique comme la Corée. Il n'existait aucune tendance manifeste consistant à importer rapidement les marchandises en question au pays ou à les accumuler en prévision de conclusions de préjudice sensible assorties de droits antidumping. Crown, reconnue comme le principal importateur, avait plutôt importé des quantités relativement stables vers la fin de 1989 jusqu'à la première moitié de 1990. Ses importations par rapport à l'ensemble de celles provenant des pays désignés ont toutefois commencé à diminuer au premier semestre de 1990. L'avocat a aussi évoqué les conclusions du Tribunal canadien des importations, dans le cadre de l'enquête no CIT-6-86, concernant les vis à mur sec originaires ou exportées de la République de Corée, dans lesquelles le Tribunal a traité de la question des importations massives et de l'interprétation de l'alinéa 42(1)b) de la LMSI. Se fondant sur cette décision, l'avocat a soutenu que le Tribunal devait en venir à des conclusions distinctes concernant le préjudice sensible causé par les importations massives aux fins de ses conclusions en vertu de l'alinéa 42(1)b). À son avis, ce sont les ventes nationales des producteurs autres que Desmarais qui ont le plus souffert des importations provenant des pays désignés. En outre, il a déclaré que lorsque les prédécesseurs du Tribunal ont été appelés à rendre des conclusions d'importations massives, l'ampleur des ventes perdues par le producteur canadien et l'augmentation de la part du marché des pays désignés étaient beaucoup plus importantes que celles évoquées par Desmarais dans la présente enquête. Enfin, l'avocat de Crown a soutenu que les valeurs normales fondées sur les indications ministérielles ne devaient pas servir à illustrer l'augmentation de la part des importations détenue par les pays désignés depuis 1988, car la valeur beaucoup plus élevée ainsi obtenue aurait entraîné une baisse du volume de marchandises importées des pays désignés.

LES INDICATEURS ÉCONOMIQUES

Le marché canadien des albums de photos à feuilles auto-adhésives s'est apprécié de 30 p. 100 entre 1987 et 1989. Cette tendance s'est poursuivie au premier semestre de 1990 alors que la valeur du marché a grimpé de plus de 9 p. 100 par rapport à la même période un an plus tôt. La part des producteurs canadiens a reculé de 5 points en 1989 et de 17 points de plus au premier semestre de 1990. La part du marché canadien détenue par Desmarais a atteint un sommet en 1987 avant de chuter de 11 points en 1988, de 10 points en 1989 et de 6 points au premier semestre de 1990.

Les importations de toutes sources ont accaparé une plus grande part du marché, progressant de 18 p. 100 au cours de la période de trois ans et demi terminée en juin 1990. Les importations provenant des pays désignés, qui étaient nulles en 1987 et négligeables en 1988, ont atteint 7 p. 100 du marché en 1989 et 24 p. 100 de celui-ci au premier semestre de 1990. Ainsi, l'érosion appréciable de la part du marché de Desmarais au cours des 18 derniers mois a surtout profité aux importations provenant des pays désignés et, dans une moindre mesure, aux autres producteurs canadiens, dont bon nombre importaient eux-mêmes les marchandises en question. Desmarais a perdu une bonne part de son marché au profit des importations sous-évaluées au cours du premier semestre de 1990.

Sur le plan financier, la marge brute de Desmarais à l'égard des marchandises en question a atteint un sommet en 1988. Toutefois, cette dernière a diminué en 1989 et au premier semestre de 1990. Desmarais a dégagé un bénéfice avant impôt imputable aux marchandises en question en 1987 et en 1988. La situation s'est ensuite renversée et la société a encaissé un déficit en 1989 et des pertes avant impôt encore plus importantes au premier semestre de 1990.

LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Dans le cadre de la présente enquête menée en vertu de l'article 42 de la LMSI, le Tribunal doit déterminer si le dumping des albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et des feuilles auto-adhésives originaires ou exportés d'Indon?E9‚sie, de Thaïlande et des Philippines constaté par le Sous-ministre a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires et prendre une décision au sujet des conclusions de dumping massif conformément à l'alinéa 42(1)b) de la LMSI que sollicite la partie plaignante.

La définition de la catégorie de marchandises

Le Tribunal doit d'abord trancher la question de la définition de la catégorie de marchandises visée par la décision provisoire. Seul le Sous-ministre est habilité à définir la catégorie de marchandises, et cette définition établit la portée de l'enquête de préjudice, et donc les compétences du Tribunal. Il faut ensuite étudier de près le libellé adopté par le Sous-ministre pour déterminer si la décision provisoire s'applique à une ou à plusieurs catégories de marchandises et, partant, si le Tribunal doit effectuer plusieurs enquêtes et rendre plusieurs décisions ou conclusions de préjudice conformément à la décision de la Cour d'appel fédérale concernant la cause Noury Chemical Corp. [1] .

Dans le cas présent, le Sous-ministre a indiqué que la décision provisoire visait les «albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et (les) feuilles auto-adhésives originaires ou exportés d'Indonésie, de Thaïlande et des Philippines». En supposant que chaque mot ou groupe de mots utilisé par le Sous-ministre contribue à définir les marchandises en question, la majorité du Tribunal estime que les mots «importés ensemble ou séparément» ont été employés pour préciser que les albums et les feuilles auto-adhésives, importés ensemble ou séparément pour être montés ultérieurement au Canada, sont compris dans la définition des marchandises en question. L'inclusion vise tant les albums finis comprenant des feuilles auto-adhésives à l'intérieur de la reliure que les albums non assemblés comprenant la reliure et les feuilles auto-adhésives qu'il doit contenir, le tout pouvant être importé séparément ou dans le cadre d'une même livraison aux fins d'assemblage au Canada pour en faire des albums finis. L'emploi ultérieur de l'expression «et feuilles auto-adhésives» signifie que les feuilles auto-adhésives importées seules, c'est-à-dire nullement accompagnées de reliures, font l'objet de l'enquête.

Il est facile de saisir les intentions du Sous-ministre à partir du libellé utilisé. Cependant, il reste à préciser si la portée de l'enquête et la définition englobent plus d'une catégorie de marchandises. Les albums de photos et les feuilles auto-adhésives sont importés au Canada sous des codes de désignation des marchandises différents aux fins du classement tarifaire mais sont assujettis au même taux de droits. Un témoin de Desmarais a déclaré que les feuilles auto-adhésives étaient la principale composante des albums et intervenaient pour beaucoup plus de la moitié des coûts de fabrication du produit fini. Dans le cas d'un album de 20 pages, les feuilles représentent environ 70 p. 100 des coûts de fabrication de l'album. En outre, les feuilles importées des pays désignés servent à fabriquer des albums de photos à feuilles auto-adhésives, car le marché des feuilles vendues séparément pour servir de rechange est presque inexistant. Ces feuilles importées ne subissent pratiquement aucune autre transformation avant d'être reliées. Les importations des feuilles en question influeraient donc sur les coûts de production des albums de photos au Canada assumés par le producteur canadien achetant ces feuilles importées et cela aurait des répercussions sur les ventes d'albums du producteur canadien intégré et sur ses ventes de feuilles à d'autres producteurs. Ce sont les feuilles auto-adhésives, et non la reliure, qui constituent l'élément essentiel de l'album. Les consommateurs pourraient très bien n'acheter que des feuilles auto-adhésives et les utiliser pour conserver et exhiber leurs photos : (1) en insérant les feuilles dans un album qu'ils possèdent déjà; (2) en insérant les feuilles dans une reliure de leur choix; ou (3) en conservant leurs photos sans utiliser de reliure. Dans ce cas, les feuilles auto-adhésives servent aux mêmes fins et présentent les mêmes caractéristiques essentielles que les albums de photos à feuilles auto-adhésives.

La décision dans la cause Noury Chemical Corp. ne s'applique pas à la présente enquête dans la mesure où, dans ladite cause, la Cour d'appel fédérale a statué que si le Tribunal conclut à l'existence de quatre catégories de marchandises distinctes qui ne sont pas, règle générale, substituables, ce dernier doit procéder à quatre enquêtes et rendre autant de conclusions de préjudice sensible. La présente cause porte sur un seul produit et sur sa principale composante, pratiquement à l'état de produit fini. La majorité du Tribunal estime que même si le Sous-ministre a calculé séparément les marges de dumping des feuilles auto-adhésives et des albums originaires d'Indonésie, cela ne permet pas de conclure qu'il s'agit d'une ou de plusieurs catégories de marchandises lorsque l'enquête porte sur un produit fini et sur sa principale composante, laquelle n'a subi pratiquement aucune transformation ultérieure aux fins d'intégration au produit fini et n'est pas destinée à être vendue séparément. Par conséquent, la majorité du Tribunal mènera une seule enquête de préjudice portant sur la seule catégorie de marchandises, à savoir les albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et les feuilles auto-adhésives.

La définition de l'industrie nationale

Le Tribunal doit ensuite définir l'industrie nationale aux fins de la présente enquête, car cette définition influera sur l'examen du lien de cause à effet et du préjudice. En vertu de la LMSI, le Tribunal doit déterminer si le dumping a causé un préjudice à la production au Canada de marchandises similaires à celles que le Sous-ministre juge sous-évaluées. Les déclarations verbales et les objets déposés comme éléments de preuve fournis au nom de Desmarais démontrent clairement que certaines sociétés canadiennes fabriquent des produits pratiquement identiques à ceux déclarés sous-évalués. Toutefois, le Tribunal peut, dans certains cas, faire abstraction de certains producteurs pour évaluer le préjudice subi par la production au Canada ou par l'industrie nationale. En application du paragraphe 42(3) de la LMSI, le Tribunal doit tenir dûment compte des disposition du paragraphe 1 de l'article 4 de l'Accord relatif à la mise en oeuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) qui prévoit qu'«aux fins de la détermination de l'existence d'un préjudice, l'expression «branche de production nationale» s'entendra de l'ensemble des producteurs nationaux... toutefois, (i) lorsque des producteurs... sont eux-mêmes importateurs du produit qui fait prétendument l'objet d'un dumping, l'expression «branche de production» pourra être interprétée comme désignant le reste des producteurs». Dans le cas présent, l'un des producteurs d'albums de photos importe des albums et des feuilles auto-adhésives sous-évalués des pays désignés. Ses activités de production touchant les marchandises en question se limitent à la fabrication des reliures et au montage des albums en y intégrant les feuilles importées pour obtenir le produit fini. Un autre producteur a récemment commencé à fabriquer des feuilles et des albums tout en important des albums sous-évalués. Compte tenu des dispositions du GATT et vu que les autres producteurs d'envergure importent directement des albums et des feuilles sous-évalués et que la production, les ventes et la part du marché nationales de ces derniers sont négligeables, le Tribunal considère que Desmarais, qui intervient pour environ 80 p. 100 de la production canadienne de marchandises de cette catégorie, constitue à elle seule l'industrie nationale aux fins de l'enquête.

L'EXAMEN DU PRÉJUDICE SENSIBLE

Les éléments de preuve fournis par Desmarais dans ses réponses au questionnaire, dans son exposé écrit et par l'intermédiaire du témoignage verbal de ses représentants et de celui de l'un des principaux acheteurs et détaillants des marchandises en question démontrent clairement la vulnérabilité de l'industrie face aux importations à bas prix. Cela résulte de la nature des marchandises en question, du fait que le gros des ventes s'échelonne sur un trimestre et de la structure du marché. Les marchandises en question sont offertes dans des enveloppes de plastique scellées; les consommateurs ont donc peine à juger de leur qualité. Les décisions d'achat des détaillants et des consommateurs reposent donc avant tout sur le prix. Comme un petit nombre d'acheteurs importants interviennent pour le gros du marché, l'offre de marchandises sous-évaluées à un détaillant d'envergure nuit au producteur canadien tant face à ce client qu'à d'autres, car les autres détaillants misent inévitablement et rapidement sur les réductions de prix pour obtenir des concessions de prix de ce producteur. Selon Desmarais, ses 10 principaux clients accaparent, en moyenne, près de 60 p. 100 de ses ventes des marchandises en question. En outre, l'importance du volume et des capitaux dans le procédé de fabrication oblige l'industrie nationale à réduire ses prix de vente pour que sa production lui permette de faire ses frais, voire de dégager un bénéfice.

Le témoignage des experts de l'industrie et du marché confirme que la valeur du marché national des albums de photos à feuilles auto-adhésives affiche une croissance stable depuis 1987. Toutefois, selon ces mêmes éléments de preuve, la part du marché de Desmarais a chuté de 27 points entre 1987 et le milieu de 1990 alors que le marché lui-même s'est développé. D'autres producteurs canadiens, dont bon nombre importaient en plus les marchandises en question sous forme d'albums ou, plus rarement, de feuilles entrant dans la fabrication d'albums, ont vu leur part du marché atteindre un sommet de 27 p. 100 au premier semestre de 1989 puis tomber à 16 p. 100 un an plus tard. Par ailleurs, entre janvier 1989 et juin 1990, les pays désignés ont accru leur part du marché canadien des albums de photos à feuilles auto-adhésives de 24 points, l'Indonésie intervenant à elle seule pour 22 p. 100 du marché. D'après ces statistiques, il semble que les autres producteurs canadiens aient d'abord utilisé les importations de marchandises en question pour déloger Desmarais avant de perdre eux-mêmes des ventes au profit des marchandises en question importées directement des principaux détaillants canadiens.

Ce recul de la part du marché des albums de photos subi par Desmarais est survenu parce que la société a perdu une partie ou la totalité des commandes de clients importants. En fait, les ventes perdues ont été si importantes que non seulement Desmarais n'a-t-elle pu profiter de l'expansion du marché pour accroître ses ventes, comme elle pouvait raisonnablement le prévoir, mais celles-ci ont en fait diminué. Le Tribunal accepte le témoignage de Desmarais, qui a été confirmé au sujet d'un client important, à l'effet que pour tenter de préserver le volume de production nécessaire en 1989 et en 1990, la société a été obligée de maintenir ses prix à des niveaux peu élevés ou de les réduire pour éviter de perdre d'autres ventes au profit des importations sous-évaluées, ce qui aurait été encore plus grave. Par conséquent, Desmarais a soit très peu augmenté soit diminué ses prix moyens dans le cas des albums à feuilles auto-adhésives les plus populaires au cours des 18 derniers mois de la période à l'étude pour tenter de réduire les stocks à des niveaux acceptables. Ce fut particulièrement le cas au premier semestre de 1990. Bref, la société a subi une compression ou une érosion des prix. Les éléments de preuve indiquent en outre que depuis le 30 juin 1990, la situation s'est détériorée et la présence et la disponibilité des marchandises sous-évaluées provenant des pays désignés ont continué d'empêcher Desmarais de refiler ses coûts additionnels à ses clients.

Tout compte fait, Desmarais a subi d'importantes pertes de profits à mesure que ses marges brutes ont été comprimées, puis des pertes nettes. La perte de ventes s'accompagne le plus souvent d'une baisse de l'emploi et de l'utilisation de la capacité de l'industrie en question, et c'est exactement ce qui est arrivé à Desmarais tout au long de 1990.

Le Tribunal a soigneusement étudié la situation des feuilles auto-adhésives pour comprendre le jeu des forces en présence et le rôle des feuilles dans ce marché. À ce propos, le Tribunal constate qu'au cours de la période à l'étude, les achats de feuilles en vrac provenaient uniquement des États-Unis et de Taïwan et, dans une moindre mesure, d'Indonésie au premier semestre de 1990. Toutes les feuilles en question importées d'Indonésie en 1990 l'ont été par un producteur des albums en question. Au cours de la période à l'étude, le marché national des feuilles auto-adhésives séparées devant être insérées ultérieurement dans des reliures ou vendues comme rechanges était très modeste par rapport à celui des albums de photos. Comme les feuilles interviennent pour la majorité des coûts de production des albums finis, l'achat de feuilles à bas prix a permis à un autre producteur canadien d'offrir ses albums finis à un prix inférieur à celui exigé par Desmarais. Il semble donc que l'importation, même en petites quantités, de feuilles sous-évaluées par un producteur et l'offre soutenue de feuilles à des prix sous-évalués ont eu et auront des répercussions sur le marché canadien des feuilles, et surtout sur celui des albums, de même que sur le prix de vente des feuilles et des albums. En outre, l'importation d'albums de photos des pays désignés par les producteurs canadiens autres que Desmarais a nui aux ventes de feuilles en vrac de cette société à certains producteurs canadiens ne fabriquant pas de feuilles et a permis à ces derniers de mieux concurrencer Desmarais en vendant des albums de photos à bas prix.

La majorité du Tribunal a constaté qu'entre janvier 1989 et juin 1990, la part du marché de Desmarais a chuté de 16 points alors que le marché lui-même était en expansion, et que cela est survenu en dépit d'importants efforts visant à préserver le volume des ventes en réduisant ou en maintenant les prix, malgré l'augmentation des coûts de production, pour affronter la concurrence exercée par les importations sous-évaluées et par les autres producteurs canadiens. Au cours de la même période, la part du marché des importateurs de marchandises sous-évaluées est passée de zéro en 1988 à 24 p. 100 au cours du premier semestre de 1990 et celle des autres producteurs canadiens a reculé de 6 points. L'effritement de la part du marché de Desmarais, la forte chute de ses bénéfices, entraînant des pertes nettes, les pertes d'emploi et la baisse du taux d'utilisation de sa capacité furent d'une telle ampleur que la majorité du Tribunal n'hésite pas à déclarer que le préjudice subi a été sensible.

Les témoins familiers avec le marché des marchandises en question ont confirmé que la présence des marchandises sous-évaluées sur le marché canadien à la fin de 1990 aura un impact considérable sur les ventes tout au long de 1991. Les contrats entre producteurs et détaillants pour la vente et l'achat d'albums de photos au cours de la prochaine année civile sont habituellement signés à l'automne de chaque année. En 1990, les discussions ont été marquées par le climat de vive concurrence en raison de la présence de marchandises sous-évaluées sur le marché plus tôt au cours de l'année. Les fournisseurs canadiens qui ont signé des contrats de vente à bas prix devront s'y conformer pendant une année entière.

Pour ce qui est du lien de cause à effet, le témoin de Zellers a confirmé que Desmarais offrait un produit de haute qualité généralement bien accepté des consommateurs et que les normes de livraison et de service de Desmarais ne posent pas de problème. Le témoin a raconté la découverte d'albums importés à bas prix dans un magasin concurrent et a expliqué qu'en raison de la politique de fixation des prix de Zellers prévoyant des «valeurs vedettes», il importait de trouver un fournisseur d'albums de photos à feuilles auto-adhésives de qualité raisonnable à un prix tout aussi bas. Zellers a donc commencé à importer des albums de photos directement d'Indonésie en 1990, surtout en raison de leur prix. Le prix franco dédouané au Canada des marchandises sous-évaluées était beaucoup moins élevé que le prix de vente convenu avec Desmarais justement en raison du dumping des marchandises en question. En outre, la possibilité pour d'autres producteurs canadiens d'acheter des albums finis peu coûteux auprès des pays désignés à des prix sous-évalués et d'importer les feuilles auto-adhésives en question à des prix sous-évalués pour fabriquer des albums afin de concurrencer et de supplanter Desmarais ont convaincu la majorité du Tribunal que Desmarais a subi un préjudice sensible directement imputable à l'importation ou à l'offre d'albums de photos à feuilles auto-adhésives et de feuilles auto-adhésives provenant des trois pays désignés et considérés comme une seule catégorie de marchandises.

La majorité du Tribunal n'ignore pas que le volume des importations de marchandises en question originaires des trois pays désignés fluctue beaucoup. Toutefois, vu les marges de dumping appréciables établies par le Sous-ministre à l'égard des trois pays désignés en ce qui touche les albums de photos à feuilles auto-adhésives et à l'égard des feuilles auto-adhésives provenant d'Indonésie, la majorité du Tribunal a considéré l'impact global de cette seule catégorie de marchandises sous-évaluées. Compte tenu des enquêtes précédentes concernant les marchandises en question et du témoignage de la partie plaignante quant à la capacité et à la volonté des producteurs d'au moins deux des pays désignés d'accroître leurs exportations des marchandises en question à bas prix, la majorité du Tribunal estime en outre que Desmarais est susceptible de subir un préjudice si le dumping se poursuit. En raison des témoignages recueillis, la majorité du Tribunal est également convaincue que les récentes décisions des fournisseurs et des magasins à succursales concernant les achats et les approvisionnements d'albums de photos à feuilles auto-adhésives en prévisions des ventes de 1991 découlent, du moins quant aux prix, de la disponibilité connue d'albums de photos à bas prix provenant des pays désignés. En outre, rien ne porte à croire que le volume des importations d'albums de photos à feuilles auto-adhésives des trois pays désignés diminuera en l'absence de droits antidumping. Le remplacement des pays fournisseurs d'albums de photos à feuilles auto-adhésives à la suite de la publication des conclusions de préjudice antérieures fait que la majorité du Tribunal est convaincue que la partie plaignante a raison de craindre que même si un seul pays, disons la Thaïlande, était exclu des conclusions, les exportations de marchandises en question de ce pays augmenteraient rapidement. La majorité du Tribunal sait aussi que les exportations de feuilles séparées pourraient remplacer assez facilement les exportations courantes sous-évaluées d'albums à feuilles auto-adhésives, car les trois pays désignés offrent déjà des albums à des prix sous-évalués.

En conséquence, la majorité du Tribunal conclut que le dumping d'albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et de feuilles auto-adhésives originaires ou exportés d'Indonésie, de Thaïlande et des Philippines a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

LE DUMPING MASSIF

L'avocat de la partie plaignante a sollicité en outre des conclusions de dumping massif conformément à l'alinéa 42(1)b) de la LMSI, lequel ne peut être invoqué que si le Tribunal est convaincu que, ou bien

a) il y a eu une importation considérable de marchandises similaires

b) sous-évaluées

c) dont le dumping a causé un préjudice sensible ou en aurait causé si des mesures antidumping n'avaient pas été prises,

d) un préjudice sensible a été causé du fait que les marchandises sous-évaluées :

(i) soit représentent une importation massive,

(ii) soit appartiennent à une série d'importations, massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte,

e) et le Tribunal estime nécessaire que soient imposés des droits sur les marchandises importées afin de prévenir la réapparition du préjudice;

ou bien

f) l'importateur des marchandises sous-évaluées était ou aurait dû être au courant du dumping que pratiquait l'exportateur et

g) que ce dumping causerait un préjudice sensible, et

h) un préjudice sensible a été causé du fait que les marchandises sous-évaluées :

(i) soit représentent une importation massive,

(ii) soit appartiennent à une série d'importations, massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte,

et le Tribunal estime nécessaire que soient imposés des droits sur les marchandises importées afin de prévenir la réapparition du préjudice.

De l'avis de la majorité du Tribunal, l'imposition de droits rétroactifs en vertu de l'alinéa 42(1)b) de la LMSI est justifiée dans ce cas car toutes les exigences énoncées audit alinéa ont été satisfaites.

Au premier semestre de 1990, les importations provenant des pays désignés, qui représentent 91 p. 100 du volume total des importations des marchandises en question ont accaparé 24 p. 100 de la valeur totale du marché canadien, et plus de 40 p. 100 de la valeur totale des ventes de Desmarais au Canada pour cette même période. La majorité du Tribunal est d'avis qu'un tel volume constitue une «importation considérable». Le Sous-ministre a déclaré que ces importations faisaient l'objet d'une marge de dumping considérable. La majorité du Tribunal a conclu précédemment que le dumping des marchandises en question a causé un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires. Les importations en provenance des pays désignés qui étaient négligeables en 1988 ont connu un taux croissant d'augmentations au cours des trois périodes de six mois qui ont suivi. Au cours du premier semestre de 1990, ces importations avaient pratiquement doublé en importance par rapport à ce qui avait été enregistré en 1989 et étaient cinq fois plus considérables par rapport à la même période en 1989. Cette pénétration rapide du marché correspond aux parts du marché accaparées par ces importations au cours des trois périodes de six mois étudiées. Les importations sous-évaluées qui ne représentaient que 6 p. 100 du marché national au premier semestre de 1989 ont accaparé 7 p. 100 au second et 24 p. 100 au premier semestre de 1990.

Dans ce contexte, la majorité du Tribunal juge que l'importation des marchandises sous-évaluées au cours du premier semestre de 1990 était massive ou, étant donné que ces marchandises ont été importées à des périodes différentes au cours de ce semestre, appartiennent à une série d'importations, massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte. La part du marché de Desmarais a chuté de 6 points de plus au premier semestre de 1990 par rapport à 1989, malgré l'expansion du marché. La diminution du volume de ventes a de plus augmenté les coûts d'exploitation unitaires de Desmarais alors qu'elle était aux prises avec une compression ou une dégradation des prix. La majorité du Tribunal est donc convaincue que cette série d'importations massives des marchandises en question est à l'origine du préjudice sensible.

La majorité du Tribunal estime nécessaire que soient imposés des droits sur les marchandises importées afin de prévenir la réapparition du préjudice sensible imputable à l'importation massive de marchandises sous-évaluées. La majorité du Tribunal est d'avis que cette disposition de la LMSI s'applique lorsqu'il y a probabilité d'une réapparition du préjudice sensible. La LMSI vise à décourager l'importation de marchandises sous-évaluées en provenance des pays désignés ainsi que le remplacement global de ces importations par des importations sous-évaluées provenant d'autres pays. En imposant des droits antidumping rétroactifs aux importateurs, cette disposition de la LMSI prévoit une pénalité pour éviter que les importateurs ne se tournent vers d'autres sources pour se soustraire à l'application de la LMSI.

Dans le cas présent, la majorité du Tribunal est convaincue que ce préjudice sensible risque nettement de réapparaître. La vulnérabilité de cette industrie, où le dumping reprend à mesure que les importateurs se tournent vers un pays différent dès que des conclusions antidumping sont rendues justifie nettement des conclusions de dumping massif. Les importateurs ont déjà manifesté leur empressement à se tourner vers d'autres sources de marchandises déclarées plus tard sous-évaluées, dès que des mesures antidumping sont imposées à leurs anciens fournisseurs. Il y a donc tout lieu de s'attendre à ce que les importateurs continuent de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs d'albums de photos à bas prix s'ils ne se voient pas imposer une peine plus sévère que celles découlant des enquêtes antidumping habituelles. La majorité du Tribunal déclare donc que cette mesure est nécessaire pour éviter la réapparition du préjudice sensible causé par les importations massives.

LES MOTIFS DISTINCTS DU MEMBRE TRUDEAU

Bien que je partage certaines des conclusions de mes collègues, je ne partage pas l'opinion de la majorité en ce qui touche : (1) la description de la catégorie de marchandises; (2) les conclusions selon lesquelles le dumping a causé et cause un préjudice sensible aux feuilles auto-adhésives; et (3) les conclusions d'importations massives.

Je conviens que la partie plaignante constitue à elle seule l'industrie nationale aux fins de l'enquête.

Toutefois, j'estime que le Tribunal ne peut conclure à l'existence d'un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires en regroupant les importations sous-évaluées sans distinguer les produits au sein de la «catégorie de marchandises» décrite dans les décisions provisoire et définitive de dumping.

Deux produits ou plus précisément un produit fini et sa principale composante sont à l'étude dans cette cause. Aux fins de l'enquête de dumping, le Sous-ministre a indiqué que la catégorie de marchandises comprenait les «albums de photos à feuilles auto-adhésives (importés ensemble ou séparément) et (les) feuilles auto-adhésives originaires ou exportés d'Indonésie, de Thaïlande et des Philippines». Le Sous-ministre a donc enquêté sur l'importation des albums en question et des feuilles auto-adhésives séparément. Le Sous-ministre a conclu que les trois pays désignés avaient recours au dumping des albums en question, et que seule l'Indonésie faisait de même dans le cas des feuilles auto-adhésives. Les importations de feuilles provenant de la Thaïlande et des Philippines au cours de la période visée par l'enquête du Sous-ministre et par celle du Tribunal ont été nulles. Le cas échéant, les marges de dumping de chaque pays ont été calculées séparément pour les albums et les feuilles en question. Aux fins de l'enquête, le Tribunal a également étudié les deux produits séparément. Des renseignements distincts à l'égard des albums de photos et des feuilles auto-adhésives en question ont été sollicités auprès des producteurs et des importateurs, et des statistiques ont été établies pour chaque catégorie dans la mesure du possible. En outre, le classement tarifaire des importations d'albums de photos à feuilles auto-adhésives et des feuilles auto-adhésives requiert deux codes de désignation des marchandises.

D'après les éléments de preuve, il est évident que les albums et les feuilles auto-adhésives en question sont étroitement liés. Le premier est le produit fini prêt à être vendu et le deuxième est sa principale composante. Certains producteurs, dont la partie plaignante, sont pleinement intégrés et fabriquent tant les feuilles auto-adhésives que les albums de photos finis. D'autres, comme Crown, fabriquent les albums en question à l'aide de feuilles provenant de diverses sources, y compris l'importation. Il y a aussi un petit marché pour les feuilles de rechange, lequel a maintenant presque disparu en raison de l'accroissement de la demande d'albums contenant un plus grand nombre de pages.

Comme la «catégorie de marchandises» faisant l'objet de l'enquête regroupe deux produits distincts, j'estime inconvenant de n'étudier qu'une vaste catégorie de marchandises sans distinguer les produits aux fins des conclusions requises. Cette approche a été reprise pour la plupart des conclusions de préjudice antérieures lorsque la «catégorie de marchandises» comprenait un produit fini et ses parties composantes. Dans ces causes [2] , le Tribunal a rendu des conclusions distinctes de préjudice sensible passé, présent et futur imputable au dumping de marchandises similaires pour chaque produit.

En outre, le jugement de la Cour d'appel fédérale dans la cause Noury Chemical Corp. c. Pennwalt of Canada Ltd. [3] confirme cette démarche. En résumé, la Cour a statué que si une décision provisoire concerne quatre catégories de produits distinctes qui ne sont pas, règle générale, substituables, il incombe au Tribunal de faire enquête pour savoir si le dumping de chaque catégorie de marchandises, pour lesquelles des marges distinctes de dumping avaient été établies, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises que l'on pouvait qualifier de similaires pour ce qui est de cette catégorie.

Étant d'avis que des conclusions distinctes doivent être rendues, j'en arrive à la question du préjudice sensible et au lien de cause à effet.

La partie plaignante a clairement démontré qu'elle avait perdu d'importantes ventes auprès de l'un de ses principaux acheteurs d'albums de photos à feuilles auto-adhésives en raison de l'offre d'albums de photos à bas prix imputable au dumping, et que ces pertes ont eu de graves conséquences sur ses opérations, entraînant une perte de production, de ventes, de bénéfices et d'emplois, ainsi qu'une hausse des coûts de production unitaires. En outre, les importations sous-évaluées des albums de photos en question ont accaparé une bonne part du marché depuis qu'elles ont atteint un certain volume en 1989, accaparant 7 p. 100 du marché cette même année et 24 p. 100 au premier semestre de 1990. À mon avis, ce sont les bas prix attribuables au dumping et la qualité de ces importations (surtout sous forme d'albums à reliure spirale de 40 pages) qui expliquent cette rapide pénétration du marché.

C'est pourquoi j'en conclus que le dumping d'albums de photos à feuilles auto-adhésives provenant des trois pays désignés a causé et cause un préjudice sensible à la production par Desmarais de marchandises similaires. Compte tenu des antécédents, je conclus en outre que le dumping d'albums de photos à feuilles auto-adhésives provenant des pays désignés est susceptible de causer un préjudice sensible à la production de marchandises similaires.

Je ne peux toutefois conclure que le dumping de feuilles auto-adhésives provenant des trois pays désignés a causé ou cause un préjudice sensible à la production par Desmarais de marchandises similaires, c'est-à-dire les feuilles auto-adhésives. Les importations de feuilles auto-adhésives provenant de la Thaïlande et des Philippines sont nulles. Dans le cas de l'Indonésie, les importations de feuilles sont très modestes et insuffisantes pour avoir causé un préjudice sensible à la production par la partie plaignante de feuilles auto-adhésives.

Selon les éléments de preuve fournis aux audiences, les trois pays désignés sont en mesure de produire des feuilles auto-adhésives et en offrent déjà à des prix avantageux si l'on s'en remet aux prix sous-évalués pratiqués par l'Indonésie. Vu que les trois pays désignés offrent des albums finis à des prix sous-évalués et que l'Indonésie fait de même dans le cas des feuilles, je conclus qu'il est probable que les trois pays désignés vendent des feuilles auto-adhésives à des prix sous-évalués et que cela soit susceptible de causer un préjudice sensible à la production par la partie plaignante de marchandises similaires.

Enfin, pour ce qui est des importations massives, je ne peux conclure que les faits justifient une mesure aussi sévère.

Il est clair que les importations sous-évaluées, qui appartenaient à une série d'importations, furent considérables, du moins dans le cas des albums en question. Toutefois, à mon avis, ce critère n'est certes pas satisfait dans le cas des feuilles auto-adhésives, dont les importations sous-évaluées ont été fort modestes, totalisant moins de 50 000 $. À mon avis, ces importations ne peuvent être qualifiées de considérables et certainement pas de massives.

Selon les éléments de preuve, les importations d'albums en question provenant des trois pays désignés, qui étaient négligeables en 1988, ont totalisé moins de 1 million de dollars en 1989 avant de franchir ce cap au premier semestre de 1990. Ces importations sont certes considérables si l'on tient compte de la taille du marché. Toutefois, le deuxième critère visant les importations massives consiste à déterminer si les importations appartenaient à une série d'importations au Canada, ce qui est le cas, et si elles étaient massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte.

Au nombre des facteurs à considérer à cette fin, citons le volume relatif des importations sous-évaluées, la rapidité et l'ampleur de la pénétration du marché, le remplacement d'autres produits et la période au cours de laquelle les importations ont été sous-évaluées.

Selon les éléments de preuve, les pays désignés ont eu recours au dumping des marchandises en question entre le début de 1989 et le milieu de 1990, soit une période d'environ 18 mois au cours de laquelle la part du marché des importations originaires des pays désignés a augmenté d'environ 11 p. 100. Les statistiques peuvent toutefois être envisagées sous un autre angle.

Les importations sous-évaluées représentaient 24 p. 100 de la valeur du marché au premier semestre de 1990. Selon les éléments de preuve, la part du marché de la partie plaignante n'a reculé que de 6 p. 100 à ce moment par rapport à la même période un an plus tôt. Qui donc a été touché défavorablement par la pénétration des marchandises sous-évaluées? À mon avis, ce furent les autres producteurs canadiens, dont la part du marché a chuté de 11 p. 100. En outre, les importations d'albums de photos provenant des pays désignés en 1989 avaient largement remplacé celles originaires d'autres pays, surtout de la Malaisie. Le représentant d'un importateur d'envergure a déclaré que ses importations étaient stables depuis neuf mois et qu'il y avait mis fin à l'ouverture de l'enquête de dumping. De plus, au fil des ans, les importations à bas prix ont toujours été présentes dans une certaine mesure sur le marché canadien, même celles en provenance de pays visés par des conclusions de préjudice sensible. Aucun élément de preuve n'a été fourni pour démontrer que l'un des rares importateurs de marchandises sous-évaluées a tenté de stocker des albums de photos ou des feuilles lorsque le Sous-ministre a amorcé son enquête le 8 juin 1990 et en prévision d'une décision provisoire.

En résumé, il semble que le dumping soit survenu au cours d'une période d'environ 18 mois pendant laquelle les importations sous-évaluées ont accaparé près de 11 p. 100 du marché national. D'autres facteurs sont intervenus. Ainsi, la partie plaignante n'a pas subi de plein fouet l'impact de l'arrivée des importations sous-évaluées, car celles-ci ont remplacé celles provenant d'autres sources ou les ventes des autres producteurs canadiens. Je ne peux donc conclure qu'il y a eu importations massives, ou plus précisément que le préjudice sensible est imputable au fait que les importations sous-évaluées appartenaient à une série d'importations, massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte.

Je n'aurais donc pas invoqué les dispositions de l'alinéa 42(1)b) de la LMSI.


1. Noury Chemical Corp. c. Pennwalt of Canada Ltd., [1982] 2 C.F. 283.

2. Voir par exemple les conclusions rendues par le Tribunal antidumping, dans le cadre de l'enquête no ADT-4-74, au sujet des albums de photos à feuilles auto-adhésives et de leurs parties composantes originaires du Japon et de la République de Corée, et dans le cadre de l'enquête no ADT-11-77, au sujet des bicyclettes assemblées ou démontées, et des cadres de bicyclettes, fourches, guidons en acier et roues (pneus et chambres à air non compris), originaires ou exportés de la République de Corée et de Taïwan; de même que les conclusions rendues par le Tribunal canadien des importations, dans le cadre de l'enquête no CIT-18-84, au sujet des albums de photos à feuilles auto-adhésives, originaires ou exportés de Hong Kong et des États-Unis d'Amérique, et des feuilles auto-adhésives originaires ou exportées de Hong Kong, des États-Unis d'Amérique et de la République de Corée.

3. [1982] 2 C.F. 283.


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Publication initiale : le 22 juillet 1997