TUBES SOUDÉS EN ACIER AU CARBONE

Enquêtes (article 42)


CERTAINS TUBES SOUDÉS EN ACIER AU CARBONE ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE L'ARGENTINE, DE L'INDE, DE LA ROUMANIE, DE TAÏWAN, DE LA THAÏLANDE, ET DU VENEZUELA
Enquête no : NQ-90-005

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le vendredi 26 juillet 1991

Enquête no : NQ-90-005

EU ÉGARD À une enquête en vertu de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation concernant :

CERTAINS TUBES SOUDÉS EN ACIER AU CARBONE ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE L'ARGENTINE, DE L'INDE, DE LA ROUMANIE, DE TAÏWAN, DE LA THAÏLANDE, ET DU VENEZUELA

C O N C L U S I O N S

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à une enquête, en vertu des dispositions de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 28 mars 1991 et d'une décision définitive de dumping datée du 21 juin 1991 rendues par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, concernant l'importation au Canada des tubes soudés en acier au carbone originaires ou exportés de l'Argentine, de l'Inde, de la Roumanie, de Taïwan, de la Thaïlande, et du Venezuela, de dimensions nominales variant de 12,7 mm à 406,4 mm (1/2 po à 16 po) inclusivement, de diverses formes et finitions, satisfaisant une ou plusieurs des normes suivantes : ASTM A53, ASTM A120, ASTM A795, ASTM A252, ASTM A589, ou AWWA C200-80, ou aux normes équivalentes, y compris ceux pour le tubage de puits d'eau, les tubes pour pilotis, les tubes pour arrosage et les tubes pour clôture.

Conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, que le dumping au Canada des marchandises susmentionnées originaires ou exportées de l'Argentine, de l'Inde, de la Roumanie, de Taïwan, de la Thaïlande et du Venezuela a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Sidney A. Fraleigh
_________________________
Sidney A. Fraleigh
Membre présidant


Kathleen E. Macmillan
_________________________
Kathleen E. Macmillan
Membre


Charles A. Gracey
_________________________
Charles A. Gracey
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire intérimaire

L'exposé des motifs sera rendu d'ici 15 jours.

Ottawa, le lundi 12 août 1991

Enquête no : NQ-90-005

CERTAINS TUBES SOUDÉS EN ACIER AU CARBONE ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE L'ARGENTINE, DE L'INDE, DE LA ROUMANIE, DE TAÏWAN, DE LA THAÏLANDE, ET DU VENEZUELA

Loi sur les mesures spéciales d'importation - Déterminer si le dumping des marchandises susmentionnées a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible, ou a causé ou cause un retard sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

DÉCISION : Le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, que le dumping au Canada des marchandises susmentionnées originaires ou exportées de l'Argentine, de l'Inde, de la Roumanie, de Taïwan, de la Thaïlande et du Venezuela a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l'audience : Du 24 au 28 juin 1991

Date des conclusions : Le 26 juillet 1991
Date des motifs : Le 12 août 1991

Membres du Tribunal : Sidney A. Fraleigh, membre présidant
Kathleen E. Macmillan, membre
Charles A. Gracey, membre

Directeur de la recherche : Peter Welsh
Agent de la recherche : Anis Mahli
Préposé aux statistiques : Robert Larose

Avocat pour le Tribunal : Brenda C. Swick-Martin

Préposé à l'inscription
et à la distribution : Margaret J. Fisher


Participants : Lawrence L. Herman
pour Stelpipe
(A Unit of Stelco Inc.)

(partie plaignante)
Ronald C. Cheng
pour Ipsco Inc. et Sidbec-Dosco Inc.

(parties plaignantes)

Peter Clark et
Chris Hines
pour Rola Steel Products et
The Tata Iron & Steel Co. (Tisco)


(importateur-exportateur)
Simon V. Potter,
Brian C. Elkin et Mme Zheng Anderson
pour Conduven S.A.

(exportateur)
Donald J. Goodwin et
Peter Collins
pour Yieh Hsing Enterprise Co., Ltd. et
Kao Hsing Chang Iron & Steel Corp.

(exportateurs)
Maria Bucin_ et
Iosif Rus
Metalexportimport

(exportateur)

Témoins :

A.M. (Al) Shkut
Vice-président
Emco Distribution Group
A Division of Emco Limited

Donald K. Belch
Directeur - Relations gouvernementales
Stelco Inc.

R.J. (Bob) Close
Directeur général des ventes
Stelpipe
(A Unit of Stelco Inc.)

R.P. (Rick) Jaszek
Directeur des ventes, Tuyaux
Stelpipe
(A Unit of Stelco Inc.)

Michael A. McQuade
Directeur adjoint des ventes - Tuyaux
Stelpipe
(A Unit of Stelco Inc.)

Brian Cain
Vice-président
Région de l'Est du Canada
Comco Pipe and Supply

J.D. (Jack) Lewis
Vice-président
Grinnell Supply Sales Company

Roger Fay
Directeur des ventes, Tuyaux
Sidbec-Dosco Inc.

Raymond Leblanc, CMA
Directeur
Administration du marketing
Sidbec-Dosco Inc.

H. Scott Hamilton, P. Eng.
Directeur de l'administration et du commerce
Ipsco Inc.

Glenn A. Gilmore
Surveillant commercial
Ipsco Inc.

Robert Zimmerman
Directeur des ventes
Olympia Tubes Limited

Pratap M. Gidvani
Président
Rola Steel Products

Sylvia Taylor
Directeur, Tuyauterie
BHP Trading Canada Ltd.

Maria Bucin_
Économiste principal
Ministère du Commerce et du Tourisme
Bucharest (Roumanie)

Iosif Rus
Chef des exportations de tuyaux
Metalexportimport
Bucharest (Roumanie)

Cristina Stroe
Chef de la commercialisation
Metalexportimport
Bucharest (Roumanie)

Adresser toutes communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
20e étage
Immeuble Journal Sud
365, avenue Laurier ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

LE RÉSUMÉ

La présente enquête vise à déterminer si le dumping au Canada des tubes soudés en acier au carbone (tubes normalisés) originaires ou exportés de l'Argentine, de l'Inde, de la Roumanie, de Taïwan, de la Thaïlande et du Venezuela a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Stelpipe (A Unit of Stelco Inc.), Ipsco Inc. (Ipsco) et Sidbec-Dosco Inc. (Sidbec-Dosco), qui, ensemble, produisent toute la gamme des marchandises en question au Canada, sont les parties plaignantes dans cette enquête. Elles interviennent pour la majeure partie de la production canadienne des marchandises en question. Les parties plaignantes ont soutenu que le dumping des tubes soudés en acier au carbone pratiqué par les pays désignés avait favorisé une compression et une érosion des prix, entraînant une baisse des ventes, de la part du marché et de la production, de même qu'un rendement financier inadéquat. En outre, comme la demande de marchandises en question a été touchée par la récession, les parties plaignantes ont soutenu que tout indiquait qu'il y aurait reprise du dumping en l'absence de conclusions de préjudice. Elles ont de plus ajouté que si le dumping devait se poursuivre au même rythme, sans être contrôlé, la menace de préjudice s'en trouverait amplifiée et la capacité de l'industrie de recueillir des capitaux d'investissement serait réduite.

Selon les avocats de l'importateur et des exportateurs, le préjudice subi par l'industrie était imputable non pas au dumping, mais à divers facteurs, à savoir : les tensions récessionnaires au sein de l'économie, la valeur élevée du dollar canadien face à la devise américaine, le coût élevé du transport au Canada et le prix de cession interne élevé des bandes en acier [1] .

Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a constaté que le marché des marchandises en question s'est effondré au cours de la période à l'étude. Pendant ce temps, la part du marché détenue par l'industrie nationale a diminué, tandis que les importations assorties de marges de dumping importantes et provenant des pays désignés ont accaparé une plus grande part du marché en déclin.

Le Tribunal a examiné les éléments de preuve fournis par les parties intéressées dans le cadre de la présente enquête. Il estime que l'industrie a dû composer avec un important recul de sa part du marché, une compression des prix qui a ajouté à la détérioration de sa situation financière et une baisse de l'emploi face au dumping des marchandises en question. En conséquence, le Tribunal déclare que le dumping des marchandises en question par les pays désignés a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à l'industrie canadienne.

LE DÉROULEMENT DE L'ENQUÊTE

Le Tribunal a procédé à une enquête, en vertu des dispositions de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation (la LMSI), à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 28 mars 1991 et d'une décision définitive de dumping datée du 21 juin 1991 rendues par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise (le Sous-ministre), concernant l'importation au Canada des tubes soudés en acier au carbone originaires ou exportés de l'Argentine, de l'Inde, de la Roumanie, de Taïwan, de la Thaïlande et du Venezuela, de dimensions nominales variant de 12,7 mm à 406,4 mm (1/2 po à 16 po) inclusivement, de diverses formes et finitions, satisfaisant une ou plusieurs des normes suivantes : ASTM A53, ASTM A120, ASTM A795, ASTM A252, ASTM A589 ou AWWA C200-80, ou aux normes équivalentes, y compris ceux pour le tubage de puits d'eau, les tubes pour pilotis, les tubes pour arrosage et les tubes pour clôture. L'enquête de dumping du Sous-ministre portait sur les importations de marchandises en question entre le 1er janvier et le 30 septembre 1990.

Les avis de décisions provisoire et définitive de dumping ont paru dans la partie I de la Gazette du Canada du 13 avril 1991 et du 13 juillet 1991, respectivement. Quant à l'avis d'ouverture d'enquête publié par le Tribunal le 2 avril 1991, il a paru dans la partie I de la Gazette du Canada du 13 avril suivant.

Dans le cadre de l'enquête, le Tribunal a fait parvenir des questionnaires aux fabricants et aux importateurs canadiens des marchandises en question pour obtenir des données sur la production, la situation financière, les importations et le marché, ainsi que d'autres précisions, couvrant la période comprise entre le 1er janvier 1988 et le 31 mars 1991. À partir des réponses aux questionnaires et d'autres sources, les agents de recherche du Tribunal ont préparé des rapports public et confidentiel préalables à l'audience. Le dossier de l'enquête comprend toutes les pièces du Tribunal, y compris les parties publiques et confidentielles des réponses aux questionnaires, les pièces déposées par les parties à l'audience et la transcription intégrale des délibérations. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties intéressées, mais seuls les avocats indépendants ont eu accès aux pièces confidentielles.

Des audiences publiques et d'autres à huis clos ont eu lieu à Ottawa (Ontario) à partir du 24 juin 1991. Stelpipe, Ipsco et Sidbec-Dosco, les fabricants canadiens des marchandises en question, ont été représentées à l'audience par des avocats. Elles ont soumis des éléments de preuve et des arguments pour obtenir des conclusions de préjudice. Les avocats de l'importateur, Rola Steel Products, et ceux des exportateurs, Conduven S.A., Yieh Hsing Entreprise Co., Ltd., Kao Hsing Chang Iron & Steel Corp., The Tata Iron & Steel Co. (Tisco) et Metalexportimport, ont soumis des éléments de preuve et des arguments pour obtenir des conclusions témoignant de l'absence de préjudice.

Le 26 juillet 1991, le Tribunal a rendu des conclusions selon lesquelles les marchandises sous-évaluées avaient causé, causaient et étaient susceptibles de causer un préjudice sensible à la production canadienne de marchandises similaires.

LE PRODUIT

L'American Iron and Steel Institute (AISI) classifie les tubes soudés en acier au carbone dans les groupes suivants selon leur utilisation finale : les tubes normalisés, la tuyauterie sous pression, les tubes de canalisation, le tubage de puits d'eau et les articles de tuyauterie pour l'industrie du pétrole. Les tubes soudés en acier au carbone sont produits par soudage en continu ou par soudage par résistance électrique. Le diamètre extérieur des tubes obtenus par soudage en continu oscille entre 0,405 et 4,500 po, alors que celui des tubes fabriqués par soudage par résistance électrique varie entre 2,0 et 24,0 po. Dans les deux cas, après avoir été formés, les tubes sont redressés et transformés en fonction de leur utilisation finale par tronçonnage, surfaçage et alésage. Les tubes produits par soudage en continu ou par soudage par résistance électrique sont interchangeables, bien que certains utilisateurs préfèrent les tubes soudés par résistance électrique.

Les tubes normalisés, qui font l'objet de la présente enquête et qui sont définis dans la décision définitive de dumping, servent habituellement à acheminer la vapeur, l'eau, le gaz naturel, l'air et divers liquides et gaz à basse pression dans les systèmes de plomberie et de chauffage. Ces tubes sont fabriqués selon les normes de l'American Society for Testing Materials (ASTM), qui en régissent la composition et la résistance. La plupart des tubes en question sont employés dans les industries de la plomberie et du chauffage, fabriqués conformément à la norme ASTM A53 et offerts en trois finitions : standard, noire et galvanisée. Les dimensions nominales les plus répandues sont les suivantes : 1, 2, 3, 4, 6 et 8 po. Les tubes répondant à la norme ASTM A53 sont considérés de la plus haute qualité et sont transformés par soudage, bobinage, pliage ou bordage. Au nombre des autres applications des tubes normalisés, citons les tubes pour pilotis (ASTM A252), le tubage de puits d'eau (ASTM A589 ou AWWA C200-80), et les tubes pour arrosage et pour clôture (ASTM A795). Les tubes soudés en acier au carbone (ASTM 513), qui ne font pas l'objet de la présente enquête, concurrencent les tubes normalisés dans le segment des tubes pour clôture du marché des marchandises en question.

Le gros de la production canadienne de tubes normalisés est écoulée par l'entremise de distributeurs nationaux. Ces derniers exploitent des succursales à travers le pays qui s'approvisionnent séparément auprès de fabricants canadiens ou de sociétés de commerce extérieur, ou importent directement les marchandises en question. En outre, de nombreux importateurs ainsi que de nombreux utilisateurs finals canadiens importent les tubes en question eux-mêmes. Les tubes soudés par résistance électrique représentent plus de 90 p. 100 des importations.

L'INDUSTRIE CANADIENNE

Dix entreprises fabriquent les marchandises en question au Canada. Stelpipe, Ipsco et Sidbec-Dosco, qui offrent ces produits dans la totalité, ou la plupart, des dimensions, sont les principaux fabricants et constituent les parties plaignantes pour les besoins de cette enquête. Les autres fabricants sont spécialisés dans la production des marchandises en question suivant un éventail restreint de normes et de dimensions. Au total, les trois parties plaignantes sont intervenues pour plus des deux tiers de la production canadienne. En conséquence, Stelpipe, Ipsco et Sidbec-Dosco représentent l'industrie canadienne aux fins de cette enquête.

Stelco Inc. (Stelco) a produit et vendu les marchandises en question sous la marque «Stelco» jusqu'en 1984. Cette année-là, Stelco a restructuré ses installations de fabrication et de commercialisation de produits tubulaires en une entité commerciale distincte, «Stelco Pipe and Tube Company». La raison sociale de cette entité est devenue «Stelpipe» en 1988. Stelpipe fabrique des tubes, des tuyaux et d'autres produits tubulaires à huit laminoirs situés dans l'est et dans l'ouest du pays. Cinq de ces laminoirs fabriquent les marchandises en question, et quatre d'entre eux se trouvent à l'usine Page-Hersey, de Welland (Ontario); le cinquième est à Camrose (Alberta). En outre, Stelpipe confie des travaux de fabrication de tubes à Adtek Pipe & Tube Inc., de Weston (Ontario). Stelpipe utilise les techniques de soudage en continu et par résistance électrique et offre la gamme complète des marchandises en question.

Sidbec-Dosco est une filiale en propriété exclusive de Sidbec Inc., qui appartient au gouvernement du Québec. L'entreprise exploite quatre usines au Canada, mais celle de Montréal est la seule à fabriquer des tubes normalisés. Cette dernière usine fabrique des tubes dont le diamètre extérieur peut atteindre 4 po à l'aide de la technique du soudage en continu. Depuis 1987, Sidbec-Dosco s'approvisionne en tubes soudés par résistance électrique auprès de Delta Tube (Delta), qui appartient conjointement à Nova Steel et à Sidbec Inc. Le diamètre extérieur des produits de Delta varie entre 2 et 6 po. Pendant la période d'enquête, les tubes de Sidbec-Dosco étaient vendus partout au Canada, sauf en Colombie-Britannique.

Ipsco fabrique les marchandises en question depuis 1957. La société exploite neuf laminoirs à tubes soudés par résistance électrique à Regina, Edmonton, Red Deer et Calgary. Cinq de ces laminoirs peuvent servir à fabriquer les marchandises en question dans des diamètres extérieurs variant entre 2 3/8 et 16 po. Ipsco a vendu ses produits partout au Canada, sauf dans les provinces de l'Atlantique.

Les trois parties plaignantes font partie d'aciéries intégrées et utilisent des bandes en acier, la matière première entrant dans la fabrication de tubes soudés en acier au carbone, qu'elles produisent surtout elles-mêmes. La plupart des sept autres fabricants canadiens sont des usines de tubes indépendantes qui s'approvisionnent en bandes en acier auprès d'aciéries canadiennes ou étrangères.

LES RÉSULTATS DE L'ENQUÊTE DU SOUS-MINISTRE

L'enquête du Sous-ministre a porté sur les tubes soudés en acier au carbone (tubes normalisés) importés de l'Argentine, de l'Inde, de la Roumanie, de Taïwan, de la Thaïlande et du Venezuela entre le 1er janvier et le 30 septembre 1990. Selon la décision définitive de dumping, le Sous-ministre a constaté que la quasi-totalité des importations de tubes normalisés provenant des six pays désignés avaient été sous-évaluées et que la marge de dumping moyenne pondérée oscillait entre 13,6 et 46,5 p. 100.

LES INDICATEURS DU MARCHÉ

Au cours de la période d'enquête, la demande canadienne des marchandises en question a atteint un sommet de 256 000 tonnes en 1988 avant de chuter brusquement à 209 000 tonnes en 1989 et de reculer à 202 000 tonnes en 1990. Le marché a continué de se resserrer au premier trimestre de 1991, alors que la demande des tubes en question est tombée rapidement à 41 000 tonnes, contre 57 000 tonnes au premier trimestre de 1990. Les ventes totales ont aussi diminué, passant de 208 à 151 millions de dollars entre 1988 et 1990.

La production canadienne des marchandises en question a diminué tout au long de la période à l'étude, et la part du marché des fabricants canadiens a sensiblement évolué. En 1989, elle s'est fortement accrue par rapport à 1988, une année marquée par une demande importante de tubes. En 1990, la part du marché de l'industrie canadienne a fortement chuté, surtout au premier trimestre. Pendant la dernière partie de 1990 et le premier trimestre de 1991, l'industrie a recouvré un peu de sa part du marché. Parmi les fabricants canadiens, Stelpipe a réussi dans l'ensemble à maintenir son niveau de production et à accroître sa part du marché national. Sidbec-Dosco a conservé sa part du marché, mais a réduit sa production. Enfin, la part d'Ipsco et des autres fabricants canadiens a diminué.

La part du marché global détenue par les importations de tubes normalisés provenant des pays désignés est passée de 11 à 14 p. 100 entre 1988 et 1990, pour ensuite reculer à 7 p. 100 au premier trimestre de 1991, tandis que la part du marché des importations provenant des pays signataires d'engagements relatifs aux prix est passée de 5 à 3 p. 100 entre 1988 et 1990, avant de remonter à 8 p. 100 au premier trimestre de 1991. La part détenue par les importations originaires de la Corée, qui était de 6 p. 100 en 1988, est tombée à 1 p. 100 du marché en 1990 et au premier trimestre de 1991. La consommation de tubes importés des États-Unis s'est accrue, passant de 1 à 7 p. 100 entre 1988 et 1991, la majeure partie de l'augmentation survenant vers la fin de cette période et alors que le marché était en déclin. Par ailleurs, les importations provenant des autres pays ont fluctué de façon irrégulière entre 3 p. 100 du marché en 1988 et 1 p. 100 au premier trimestre de 1991.

La valeur unitaire moyenne des ventes de marchandises en question des trois parties plaignantes a chuté d'environ 11 p. 100 entre 1988 et le premier trimestre de 1991. La valeur unitaire moyenne des ventes de tubes de fabrication canadienne a été plus élevée que celle de la plupart des importations.

Selon les données financières produites par les parties plaignantes, les ventes de ces dernières ont diminué, mais dans une proportion variable. D'après ces données, Stelpipe a déclaré des pertes importantes et de plus en plus graves tout au long de la période à l'étude. Par ailleurs, la rentabilité de Ipsco a affiché une remontée en 1990 et au premier trimestre de 1991 pour s'établir au même niveau qu'en 1988. Par contre, les bénéfices de Sidbec-Dosco ont diminué de façon soutenue.

LA PLAINTE

Stelpipe

L'avocat de Stelpipe a soutenu que cette société avait subi un préjudice sensible sous la forme d'une érosion et d'une compression importantes des prix, d'une baisse des ventes, d'un accroissement des pertes, d'une sous-utilisation de la capacité, d'une baisse de l'emploi et d'une stagnation de sa part du marché.

L'avocat a comparé les indicateurs économiques utilisés par le Tribunal dans le réexamen n° RR-89-008 concernant les mêmes marchandises importées de la Corée à ceux établis pour la présente enquête. Il a déclaré que les importations de la Corée affichaient une marge de dumping de 19 p. 100 et détenaient 1,4 p. 100 du marché en 1989. Dans la présente enquête, les importations de marchandises en question originaires des pays désignés présentaient une marge de dumping moyenne de 33 p. 100 et accaparaient environ 10 p. 100 du marché. L'avocat a soutenu que, le Tribunal ayant conclu à l'existence d'un préjudice dans le cas des importations de la Corée, il serait «contradictoire» de ne pas déclarer que les importations visées par la présente enquête ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice. Les marges de dumping et le taux de pénétration estimatifs de ces marchandises sont beaucoup plus élevés que dans le cas des importations provenant de la Corée.

L'avocat a souligné que l'un des principaux indices du préjudice subi par Stelpipe utilisés dans la présente enquête était l'érosion et la compression des prix. Pour conserver sa part d'un marché très compétitif et en régression où le prix est considéré comme le facteur déterminant, Stelpipe a réduit ses prix de 20 p. 100 dans les provinces de l'ouest et a instauré un programme visant à inciter les distributeurs de l'est du pays à acheter des tubes de fabrication canadienne. Par ailleurs, selon la section financière du mémoire de Stelpipe, l'érosion et la compression des prix ont sérieusement miné la rentabilité de ce fabricant.

En plus de faire les frais d'une baisse marquée de la demande largement imputable au ralentissement dans l'industrie de la construction, qui constitue un débouché important, les marchandises en question sont de plus en plus écoulées par des «intermédiaires» qui, selon les témoins, importent des tubes en grandes quantités et dans une gamme restreinte de dimensions pour les vendre rapidement sur les quais à Montréal ou à Vancouver. Ces fournisseurs ont dicté le prix des marchandises en question, ce qui a déstabilisé les cours.

À propos de la probabilité de préjudice sensible, l'avocat a soutenu que si le dumping pratiqué par les pays désignés devait se poursuivre au même rythme et sans être contrôlé, la capacité de Stelco de recueillir des capitaux d'investissement serait réduite pour ce qui est de l'avenir.

Sidbec-Dosco et Ipsco

L'avocat de Sidbec-Dosco et de Ipsco a d'abord appuyé l'argument soulevé par l'avocat de Stelpipe, pour ensuite aborder trois questions : la situation du marché canadien des marchandises en question, l'impact des importations provenant d'autres pays et le critère de préjudice pouvant servir à évaluer les répercussions du dumping sur une industrie donnée.

L'avocat a soutenu que, même si la consommation apparente des marchandises en question a diminué vers la fin de la période à l'étude, le fait que le recul de la part du marché des tubes détenue par les importations provenant des pays désignés ait été plus fort que celui qu'ont subi les autres fournisseurs ne devait pas être interprété comme une preuve de l'absence de probabilité de préjudice. L'avocat a indiqué que les importateurs et les courtiers offrant les marchandises en question attendaient l'issue de la présente audience pour préparer la prochaine étape.

L'avocat a reconnu que les importations provenant des États-Unis et de pays assujettis à des engagements relatifs aux prix avaient grimpé au début de 1991. Il a soutenu que si ces pays devaient guider la fixation des prix, il est évident que les pays désignés ne pourraient être concurrentiels sans recourir au dumping.

Selon l'avocat, la présence des importations sous-évaluées provenant des pays désignés explique la piètre rentabilité des ventes nationales de marchandises en question. L'avocat a déclaré que la baisse de rentabilité suffisait à conclure que le dumping avait causé, causait et était susceptible de causer un préjudice. En terminant, il a soutenu que la prospérité d'une entreprise au sein d'une industrie ne devait pas minimiser l'impact du dumping sur l'ensemble de cette industrie.

LA RÉPONSE

Conduven S.A.

Les avocats de Conduven S.A., un exportateur du Venezuela, ont déclaré que, selon les faits en l'instance, rien n'indique qu'il y ait préjudice sensible. Ils ont également rejeté l'affirmation de l'avocat de Stelpipe, selon laquelle, lorsque les exigences sont satisfaites, «un tube est un tube» (traduction), et que rien ne distingue un tube soudé en continu d'un autre soudé par résistance électrique. À leur avis, le Tribunal ne devrait pas retenir l'argument de l'industrie voulant que, le Tribunal ayant conclu à l'existence d'un préjudice dans le cas de la Corée, il devait faire de même en l'instance.

Quant aux cotations citées par l'industrie comme preuve de la compression et de l'érosion des prix, les avocats ont fait remarquer que les éléments de preuve figurant au dossier ne démontraient pas que les marchandises offertes à ces prix aient effectivement été vendues. Les avocats ont également réfuté l'argument de l'avocat de Stelpipe, selon lequel l'impact des tubes importés des États-Unis sur le marché canadien était négligeable. Les avocats ont soutenu que l'industrie n'avait pas prouvé l'existence d'un lien de cause à effet entre le dumping exercé par les pays désignés et le préjudice sensible qu'elle prétend avoir subi.

Selon les avocats, Stelpipe est un mirage comptable créé «à des fins de gestion comptable». À leur avis, le Tribunal commettrait une erreur de droit s'il devait considérer Stelpipe comme une entité juridique. Ils ont demandé au Tribunal d'examiner la ventilation interentreprises des coûts de production et du coût des produits vendus. Les avocats ont aussi soulevé les écarts entre les données financières soumises aux fins de la présente enquête et celles fournies dans le cadre du réexamen des conclusions visant les importations de tubes soudés en acier au carbone provenant de la Corée, dans le cadre du réexamen n° RR-89-008.

Les avocats ont attribué le préjudice subi par Stelpipe aux facteurs suivants : a) la récession; b) l'Accord de libre-échange; c) la valeur élevée du dollar canadien; d) des installations désuètes; e) des coûts de production plus élevés; et f) les méthodes de distribution. Enfin, les avocats ont soutenu qu'une bonne partie des preuves fournies par Stelpipe étaient ambiguës, truffées de contradictions et imprécises à certains égards pourtant essentiels.

Rola Steel Products et The Tata Iron & Steel Co. (Tisco)

Les avocats de Rola Steel Products, un importateur, et The Tata Iron & Steel Co. (Tisco), un exportateur, se sont limités à traiter des exportations de marchandises en question provenant de l'Inde. Ils ont souligné que l'industrie n'avait soumis aucune donnée permettant de faire le lien entre les tubes originaires de l'Inde et le préjudice dont l'industrie se dit victime. Rien ne prouvait qu'il y a eu perte de ventes ou compression des prix depuis l'arrivée de Tisco sur le marché canadien.

Les avocats ont pleinement souscrit à la position des avocats de Conduven S.A. Quant à la présence des tubes sur les quais, les produits originaires de l'Inde sont habituellement vendus à l'avance.

Les avocats ont déclaré que le préjudice subi par l'industrie avait été imputable à des facteurs autres que le dumping, y compris aux importations provenant du Brésil et des États-Unis, au lien étroit entre les producteurs canadiens et les principaux distributeurs, au caractère désuet d'une bonne partie des installations canadiennes et à la concurrence exercée par les tubes, qui ne font pas l'objet de la présente enquête, et d'autres produits dans le segment des tubes pour clôture. Les avocats ont soutenu que Tisco n'y était pour rien dans le préjudice que Stelpipe ou les deux autres fabricants affirmaient avoir subi.

Yieh Hsing Enterprise Co., Ltd. et Kao Hsing Chang Iron & Steel Corp.

Les avocats ont traité des points suivants : la concurrence sur le marché; la qualité des éléments de preuve contre Taïwan; la fixation du prix des bandes en acier par Stelpipe; la prétendue «liquidation» des tubes entreposés sur les quais de Vancouver; les perspectives du marché des tubes de fabrication canadienne dans l'Ouest canadien; et les causes du préjudice subi par l'industrie.

Selon les statistiques contenues dans le rapport préparé par les agents de recherche du Tribunal, les importations de marchandises en question provenant des États-Unis se sont accrues. Les éléments de preuve fournis par le témoin de BHP Trading Canada Ltd. (BHP) démontrent que les prix des tubes provenant des États-Unis sont beaucoup plus concurrentiels. Par exemple, les prix des tubes en question sur le marché américain sont supérieurs seulement de 25 p. 100 au prix des bandes en acier de Stelpipe. Les avocats ont laissé entendre que Stelco exigeait peut-être de sa filiale des prix trop élevés pour les bandes en acier. À l'appui de cette affirmation, ils ont déposé en preuve deux cotations à bas prix pour des rouleaux laminés à chaud fabriqués au Canada. La première émanait de l'une des parties plaignantes et s'adressait à une société canadienne de commerce extérieur; l'autre portait sur une offre de vente destinée à une usine de tubes à Taïwan [2] . Ceci démontrait que Stelpipe payait trop cher pour ses bandes en acier.

Les avocats ont discuté des offres que Stelpipe a inclus dans son mémoire. Ces propositions ont été soumises par BHP en septembre 1989 à un distributeur d'Edmonton. Selon un témoin de BHP, les prix indiqués dans les propositions étaient plus élevés que ceux exigés par Stelpipe dans l'ouest.

Les éléments de preuve fournis par les témoins de Stelpipe démontrent qu'il n'y avait pas de produits d'acier provenant de Taïwan sur les quais de Vancouver. Généralement, BHP vend la majeure partie de ses importations à l'avance. Selon le rapport des agents de recherche du Tribunal, les tubes originaires de Taïwan ont accaparé environ 1 p. 100 du marché canadien. BHP entend continuer d'acheter les marchandises en question à Taïwan, parce que, malgré un prix égal à la valeur normale, les tubes importés de Taïwan seraient encore moins chers que le produit équivalent offert par Stelpipe en Colombie-Britannique.

Les avocats ont soutenu que l'industrie, en général, et Stelpipe, en particulier, étaient victimes de circonstances autres que le dumping. Premièrement, si les fabricants canadiens achetaient les bandes en acier sur le marché libre, leurs coûts de production diminueraient et leur rentabilité en serait accrue. Deuxièmement, la dépréciation de la devise américaine face au dollar canadien confère aux laminoirs des États-Unis certains avantages sur leurs concurrents du Canada. En raison du coût élevé du transport terrestre au Canada, Taïwan peut y expédier de l'acier à un prix beaucoup moins élevé que celui que doit assumer Stelpipe pour acheminer les mêmes marchandises de Welland à Vancouver. Enfin, les tensions récessionnistes au sein de l'économie nord-américaine ont sensiblement comprimé la demande visant les marchandises en question.

Metalexportimport

Le représentant de l'exportateur roumain des marchandises en question a déclaré que les éléments de preuve fournis par l'industrie ne prouvaient pas que les tubes importés de la Roumanie minaient les prix sur le marché canadien. Les témoins des distributeurs, qui sont intervenus au nom de l'industrie nationale, ont indiqué que la qualité des tubes était un autre facteur déterminant du marché des marchandises en question. La qualité des tubes provenant de la Roumanie ne peut se comparer à celle des produits canadiens. Le préjudice subi par l'industrie, qui résultait de facteurs autres que le dumping, ne pouvait être imputé aux tubes importés de la Roumanie. Les livraisons nationales ont augmenté pendant l'enquête de dumping, alors que les importations de tubes provenant de la Roumanie ont diminué.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Chaque fois qu'il est question d'importations sous-évaluées, le Tribunal doit aborder trois questions fondamentales. Il doit d'abord déterminer si les parties plaignantes interviennent pour une proportion majeure de la production de marchandises en question. Deuxièmement, il doit déterminer si l'industrie nationale a subi, subi ou est susceptible de subir, un préjudice sensible. Enfin, il doit vérifier s'il existe un lien direct entre le préjudice sensible et les importations provenant des pays désignés. À défaut de ce lien de cause à effet, le Tribunal ne peut conclure à l'existence d'un préjudice même si le rendement de l'industrie a été médiocre ou est en déclin.

Deux autres considérations guident la réflexion du Tribunal lorsqu'il doit rendre une décision lors d'une enquête en vertu de l'article 42 de la LSMI ou d'un réexamen conformément à l'article 76 de la LMSI. En premier lieu, dans les deux cas, la décision se fonde exclusivement sur les éléments de preuve, les témoignages et les arguments relatifs aux faits en l'instance. À cet égard, les avocats des parties plaignantes ont argué que la décision du Tribunal dans le réexamen concernant la Corée (RR-89-008) devait s'appliquer à la présente enquête. Le Tribunal estime que même si des conclusions antérieures peuvent lui être utiles dans ses délibérations, elles ne sont nullement contraignantes. Chaque cas doit être tranché au mérite, compte tenu des éléments de preuve pertinents en l'instance.

Deuxièmement, le Tribunal doit fonder sa décision sur le préjudice causé à la production nationale de marchandises en question. Contrairement à ce qu'ont affirmé les avocats de l'importateur et des exportateurs, rien n'oblige le Tribunal à tenir compte uniquement de la situation des entités juridiques pour déterminer si la production nationale est victime d'un préjudice sensible. À cet égard, les fabricants canadiens des marchandises soumettent des faits liés à leur production desdites marchandises en question, en plus de documenter leurs ventes et leur situation financière, de manière à aider le Tribunal à déterminer si la production nationale est victime d'un préjudice.

Pour évaluer le rendement de l'industrie et déterminer si les importations provenant des pays désignés avaient causé ou étaient susceptibles de causer un préjudice, le Tribunal disposait de renseignements détaillés couvrant une vaste gamme d'indicateurs économiques pour la période comprise entre 1988 et le premier trimestre de 1991. Au nombre des principaux indicateurs, citons les niveaux et les tendances du marché canadien des tubes, la production nationale, les importations, les prix des tubes et la situation financière de l'industrie. Le Tribunal a aussi entendu des témoignages concernant l'importance relative des divers types de tubes, leurs marchés particuliers, les sources d'approvisionnement et les méthodes de distribution.

Selon les données compilées par les agents de recherche, Stelpipe, Sidbec-Dosco et Ipsco interviennent pour la majorité de la production canadienne de tubes soudés en acier au carbone. En analysant les niveaux et les tendances de la production, du marché et du commerce des marchandises en question, le Tribunal a de plus constaté que les circonstances avaient beaucoup évolué entre 1988 et la fin du premier trimestre de 1991. En 1988, le marché national des tubes a atteint un sommet à la suite de la très forte croissance de l'économie canadienne et, plus particulièrement, de l'activité bourdonnante dans le secteur de la construction industrielle et commerciale, le principal débouché pour les tubes soudés en acier au carbone. Les importations provenant des pays désignés et d'autres pays ont pénétré le marché en grandes quantités, venant s'ajouter à la production canadienne de tubes déjà élevée. En 1988, les importations de toutes sources ont accaparé 25 p. 100 de l'ensemble du marché des tubes soudés en acier au carbone. L'année suivante, ce marché a chuté brusquement de 18 p. 100, la croissance de l'économie ayant ralenti. Le total des importations a chuté beaucoup plus que la production nationale (45 p. 100 contre 9 p. 100). Le recul de leur production étant moins marqué, les fabricants canadiens ont brièvement augmenté de 75 à 83 p. 100 leur part d'un marché en déclin.

Compte tenu de la situation exceptionnelle du marché en 1988, le Tribunal a accordé une attention particulière aux faits survenus depuis 1989. Entre 1989 et 1990, le marché canadien des tubes a continué de se resserrer, perdant 3,3 p. 100. L'évolution des importations, y compris celles provenant des pays désignés, a été très différente de celle de la production nationale. Ainsi, les importations originaires des pays désignés ont grimpé de 42 p. 100, alors que la production canadienne a chuté de 13 p. 100 (22 000 tonnes). La part du marché détenue par les importations provenant des pays désignés est donc passée de 9 à 14 p. 100 entre 1988 et 1990. Près du tiers des pertes de 22 000 tonnes au chapitre des ventes nationales est imputable au resserrement du marché, mais le gros de cette baisse a profité aux importations, surtout à celles provenant des pays désignés, mais aussi aux autres pays, plus particulièrement les États-Unis et le Brésil. Les exportateurs des pays désignés ont donc réussi une percée sur le marché canadien, tant en termes absolus que sous l'angle de la part du marché.

En analysant les faits survenus en 1990, le Tribunal a examiné les résultats pour l'ensemble de cette année et l'évolution de la production et des importations. Selon les témoignages, l'industrie des tubes accuse habituellement un ralentissement au premier trimestre par rapport au reste de l'année. Cela ne s'est pas produit en 1990, car la production nationale et les importations ont reculé tout au long de l'année. Les importations provenant des pays désignés ont plafonné au début de l'année, en termes absolus et du point de vue de la part du marché, pour ensuite diminuer. Les importations originaires de la plupart des autres pays, à l'exception des États-Unis et du Brésil, ont évolué dans le même sens. La production nationale a aussi diminué, mais beaucoup moins que les importations, pour ensuite récupérer une part du marché perdue en 1989 et au premier trimestre de 1990. La part du marché détenue par les importations originaires des pays désignés est tombée de 19 à 7 p. 100 entre le premier trimestre de 1990 et celui de 1991. Celle de l'industrie canadienne est passée de 70 p. 100 au premier trimestre de 1990 à une moyenne de 77 p. 100 pour le reste de l'année.

Les tendances caractérisant la production nationale et les importations après le premier trimestre de 1990 se sont maintenues jusqu'à la fin du premier trimestre de 1991. La baisse des importations provenant des pays désignés après le début de 1990 pourrait être imputable à plusieurs facteurs. Il se peut que les importateurs aient réagi au fléchissement du marché. Cependant, les témoins ont confirmé que, de façon générale, les importateurs réduisent leurs commandes auprès des exportateurs des pays faisant l'objet d'enquêtes de dumping menées par Revenu Canada.

Avant de conclure que les importations provenant des pays désignés ont remplacé la production nationale, le Tribunal a étudié l'impact que pourrait avoir l'augmentation des importations originaires d'autres pays sur la production nationale. L'analyse des importations en 1990 et au premier trimestre de 1991 démontre que celles provenant du Brésil, dont les exportations au Canada sont assujetties à un engagement relatif aux prix devant éliminer tout préjudice, et des États-Unis ont fortement augmenté. De l'avis du Tribunal, il est peu probable que l'accroissement des importations provenant des États-Unis ait sensiblement influé sur la part du marché des fabricants canadiens et, en particulier, des trois parties plaignantes. Ces importations se composent surtout de tubes à parois minces pour systèmes d'arrosage, un segment spécialisé du marché national. Dans le cas des importations originaires du Brésil, le Tribunal admet qu'elles ont pu remplacer en partie celles provenant des pays désignés. Par contre, sur la foi des données sur les importations et la production qu'il a examinées, et compte tenu du segment du marché approvisionné par les importations originaires des États-Unis, le Tribunal estime que, dans l'ensemble, la présence plus discrète des importations sous-évaluées sur le marché après le premier trimestre de 1990 et jusqu'à celui de 1991 a permis à l'industrie nationale de recouvrer une part du marché. À défaut de conclusions, les importations provenant des pays désignés feraient sans doute une nouvelle percée sur le marché, au détriment des fabricants canadiens.

Les fabricants canadiens ont déposé en preuve des offres à bas prix émanant des exportateurs et des importateurs des pays désignés. Bien que le Tribunal ne soit pas convaincu que ces offres aient effectivement débouché sur des ventes réalisées au détriment des fabricants canadiens, il est évident que l'industrie des tubes en avait pris connaissance, compte tenu du nombre restreint d'intervenants. Ces offres ont pu servir, et, de l'avis du Tribunal, ont bel et bien servi à négocier des prix inférieurs aux prix de liste courants des fabricants canadiens. Selon les témoignages, au lieu de pouvoir majorer leurs prix, les fabricants canadiens étaient soumis à de fortes pressions pour les obliger à vendre à des prix inférieurs aux prix de liste. En outre, Stelpipe a été contraite d'offrir un programme d'escompte «Achetons canadien» pour tenter de soutenir son chiffre d'affaires.

Le Tribunal considère que le taux élevé de pénétration des importations résulte directement des prix réduits offerts par les pays désignés. Revenu Canada a constaté que les marges de dumping étaient, en moyenne, importantes, surtout chez les exportateurs du Venezuela et de la Thaïlande, les deux principaux fournisseurs d'importations sous-évaluées. Tous les témoins à l'audience ont indiqué que les tubes soudés en acier au carbone sont un produit de base très sensible aux prix. Vu la taille des tubes, les coûts de transport sont élevés même si l'on recourt au transport maritime, le mode le plus économique. Les témoins ont confirmé qu'en raison du mode de distribution des tubes et de la préférence des acheteurs canadiens pour les produits de fabrication canadienne, les importations devaient être offertes à des prix beaucoup moins élevés que ceux des produits nationaux pour être concurrentielles. Compte tenu des éléments de preuve et des témoignages, le Tribunal constate que les marges de dumping élevées ont grandement aidé les importateurs à affronter la concurrence sur le marché canadien. Ils pouvaient offrir des prix suffisamment inférieurs à ceux des producteurs canadiens pour accaparer une part du marché sans bouleverser la structure des prix en vigueur au Canada. Si le flot des importations sous-évaluées n'est pas endigué, ces marges continueront de permettre aux importateurs d'accroître ultérieurement leur part du marché. Bien qu'elles ne bouleversent pas les prix de façon marquée, ces importations causeraient néanmoins une compression des prix et un préjudice sensible à l'industrie nationale.

Dans l'ensemble, les résultats financiers des trois parties plaignantes font état d'une baisse de rentabilité, mais avec des conséquences variables pour chaque fabricant. Ces écarts reflètent en partie comment chaque entreprise a réagi à la concurrence exercée par les importations sous-évaluées. En fait, elles ont adopté des attitudes très différentes. Ipsco s'est en bonne partie retirée du marché, même en tenant compte de la fermeture de son laminoir à tubes de Port Moody (Colombie-Britannique). Évitant de concurrencer directement les importations sous-évaluées sur le marché de l'Ouest canadien, la société a rationalisé ses installations et s'est tournée vers la fabrication d'autres produits de plus grande valeur. Grâce à une planification efficace, Ipsco a connu d'excellents résultats financiers. Sidbec-Dosco a réduit sa production de marchandises en question, mais a réussi à conserver sa part d'un marché en déclin. Sidbec a été très peu rentable entre 1988 et 1990, et a déclaré des pertes au premier trimestre de 1991. Stelpipe a réagi à la concurrence des importations sous-évaluées en adoptant des prix compétitifs. La société a cherché à maintenir son niveau de production et à accroître sa part du marché de l'Ouest canadien. Le maintien de la production a imposé un lourd tribut à Stelpipe. Les pertes liées à la production des marchandises en question enregistrées dès le début de la période se sont accrues jusqu'à la fin de celle-ci. Le Tribunal déclare que, n'eût été de la concurrence exercée par les importations sous-évaluées, l'industrie aurait bénéficié, dans l'ensemble, de prix plus élevés et, par conséquent, les entreprises auraient déclaré des bénéfices plus importants ou des pertes plus modestes, selon le cas.

Les avocats de l'importateur et des exportateurs ont soutenu que les problèmes de l'industrie n'étaient pas imputables aux importations sous-évaluées. Ils ont attribué la réduction de la part du marché et, plus particulièrement, la détérioration des résultats financiers, à deux autres facteurs. Ils étaient d'avis que l'industrie nationale a été obligée de réagir au resserrement du marché en réduisant les prix pour conserver sa part du marché. Pour ce qui est des résultats financiers, les coûts élevés de production des tubes au Canada se sont révélés plus importants.

Le Tribunal reconnaît que le ralentissement de la construction commerciale et industrielle a nettement nui à l'industrie, surtout en 1990 et en 1991. Toutefois, même s'il admet qu'il faut tenir compte de la diminution de la demande, le Tribunal considère que l'ampleur de la pénétration accrue des importations sous-évaluées dans un marché en déclin et le niveau des prix de vente de ces importations ont pu causer un préjudice sensible à l'industrie.

Le Tribunal a soigneusement examiné l'affirmation voulant que le piètre rendement de l'industrie soit imputable à des coûts de production élevés. Il croit comprendre que cette allégation englobe en fait trois éléments distincts. Le premier point soulevé par les avocats est lié au fait que Stelpipe s'approvisionne en bandes en acier auprès de Stelco à un prix de cession élevé, ce qui gonfle ses pertes. Deuxièmement, les avocats ont soutenu que peu importe la méthode de fixation du prix des bandes en acier utilisées par les fabricants de tubes des trois aciéries intégrées, les trois parties plaignantes pouvaient acheter des bandes en acier à meilleur prix. Enfin, selon les avocats, l'intention de Stelpipe de remplacer son laminoir à soudage en continu par un laminoir étireur-réducteur prouvait que le rendement médiocre de la société résultait des coûts de conversion élevés.

En ce qui a trait à la prétendue exagération des pertes de Stelpipe, le Tribunal admet que les témoins de la société n'ont pu clairement expliquer le mode de fixation du prix des bandes en acier et, plus particulièrement, la façon de répartir les frais généraux entre Stelpipe et Stelco. Par contre, les témoins de Stelpipe ont déclaré que la société n'avait pas modifié sa méthode de fixation du prix des bandes en acier ni sa méthode de comptabilité analytique pendant la période à l'étude. Le Tribunal n'a donc aucune raison de douter de la détérioration des résultats financiers de Stelpipe entre 1988 et le premier trimestre de 1991. Bref, même si le Tribunal entretient certaines réserves quant à l'ampleur des pertes déclarées, il admet l'affirmation de la société à l'effet que ces pertes sont réelles et qu'elles ont augmenté au cours de la période à l'étude.

À propos du deuxième point, les avocats de l'importateur et des exportateurs ont soumis des cotations de prix pour des rouleaux de fabrication canadienne pour prouver que les fabricants canadiens auraient effectivement pu s'approvisionner en bandes en acier à meilleur prix. Les témoins de l'industrie nationale ont également comparé leurs coûts pour l'achat de bandes en acier à ceux en vigueur sur le marché et aux prix auxquels les trois aciéries intégrées vendaient les bandes en acier aux autres fabricants de tubes. Il est évident que le prix des bandes en acier intervient pour une bonne partie de l'ensemble des coûts de production et que les usines de tubes intégrées seraient défavorisées si elles devaient acheter des bandes en acier à un prix beaucoup plus élevé que leurs concurrentes. Selon les éléments de preuve et les témoins, même si le prix des bandes en acier était différent selon que les bandes en acier étaient destinées aux aciéries ou aux laminoirs à tubes intégrés des trois parties plaignantes, ce prix n'était pas très exagéré par rapport à ceux indiqués par l'industrie. Le prix des bandes en acier payé par les fabricants canadiens n'était pas un secret. Pour conclure que le coût élevé des bandes en acier a eu un impact sur le rendement financier de l'industrie nationale, le Tribunal aurait besoin de preuves concluantes à l'effet qu'un écart important entre le prix des bandes en acier payé par les trois fabricants canadiens et ceux payés par leurs concurrents et, plus particulièrement, par les exportateurs de tubes sous-évalués, s'est creusé pendant la période à l'étude. Le Tribunal estime que les cotations de prix fournies par les avocats ne prouvent pas que cet écart a existé. Le Tribunal constate que les prix en question ont été proposés au deuxième trimestre de 1991, ce qui ne correspond pas à la période à l'étude. Même si les prix en cause avaient été offerts pendant ladite période, il faudrait rajuster le prix des rouleaux à la hausse pour tenir compte des coûts de transformation des rouleaux en bandes en acier. Les offres devraient aussi comporter une description précise de la gamme de produits pour permettre de comparer adéquatement les prix.

Enfin, le Tribunal a pris note de l'argument des avocats selon lequel l'intention de Stelpipe de remplacer son laminoir à soudage en continu par un laminoir étireur-réducteur prouvait que ses installations étaient désuètes et que ses coûts de production étaient élevés. Par contre, le Tribunal n'a pas donné à ce fait le même poids ou la même interprétation que certains témoins. Le Tribunal souligne que la désuétude n'est pas apparente. L'exploitation d'une entreprise requiert une amélioration soutenue de l'efficience des installations de production par le biais d'une rationalisation graduelle ou du remplacement des unités de production. Il serait sans doute imprudent de remplacer un outil de production de la taille d'un laminoir si les études de coût ne démontrent pas que l'efficience accrue des nouvelles installations compensera les frais d'installation. Il incombe aux dirigeants de l'entreprise de choisir le moment propice à l'instauration d'améliorations technologiques. Cependant, pour déterminer si les importations sous-évaluées sont préjudiciables, le Tribunal doit évaluer l'impact de ces importations sur les méthodes de production en vigueur. La LMSI n'a pas pour objet d'inciter une industrie à perfectionner ses installations pour affronter la concurrence exercée par les importations sous-évaluées. En l'instance, les marges de dumping sont appréciables. Pour convaincre le Tribunal que les coûts de production élevés ont contribué au préjudice, les avocats devaient prouver que l'industrie ne pouvait concurrencer les importations à des prix comprenant des droits antidumping.

LA CONCLUSION

Le Tribunal conclut que les importations sous-évaluées de tubes soudés en acier au carbone ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice sensible à l'industrie nationale. Une baisse marquée de la part du marché, la compression des prix, qui a aggravé la situation financière de l'industrie, et des pertes d'emplois sont les principaux indices de l'existence d'un préjudice. L'industrie a été affectée négativement par l'effondrement du marché des tubes, surtout dans le secteur de la construction commerciale et résidentielle, mais la présence de grandes quantités d'importations sous-évaluées a amplifié cet impact. Le Tribunal est convaincu qu'à défaut de conclusions de préjudice, il y aura aussi une probabilité de préjudice sensible. Vu l'ampleur des marges de dumping, les importations originaires des pays désignés recommenceraient à augmenter progressivement et à accaparer une plus grande part du marché. De l'avis du Tribunal, les éléments de preuve démontrent clairement que la poursuite du dumping des importations causerait un préjudice sensible à l'industrie.


1. Matière première de l'acier au carbone qui est formée et soudée pour fabriquer les tubes.

2. Pièces F4 (Protégé) et F4-1 (Protégé) datées du 31 et du 3 mai 1991, respectivement.


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Publication initiale : le 22 juillet 1997