BIÈRE

Enquêtes (article 42)


LA BIÈRE ORIGINAIRE OU EXPORTÉE DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE PAR PABST BREWING COMPANY, G. HEILEMAN BREWING COMPANY INC. ET THE STROH BREWERY COMPANY, LEURS SUCCESSEURS ET AYANTS DROIT, OU EN LEUR NOM, POUR UTILISATION OU CONSOMMATION DANS LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
Enquête n° : NQ-91-002 Renvoi de la décision

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 9 novembre 1992

Enquête n° : NQ-91-002 Renvoi de la décision

LA BIÈRE ORIGINAIRE OU EXPORTÉE DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE PAR PABST BREWING COMPANY, G. HEILEMAN BREWING COMPANY INC. ET THE STROH BREWERY COMPANY, LEURS SUCCESSEURS ET AYANTS DROIT, OU EN LEUR NOM, POUR UTILISATION OU CONSOMMATION DANS LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

RENVOI DE LA DÉCISION - En vertu des pouvoirs que lui confère l'article 77.15 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation (la LMSI), le groupe spécial binational, dans le dossier no CDA-91-1904-02 du Secrétariat canadien, a renvoyé la décision rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) dans l'enquête no NQ-91-002 au Tribunal pour qu'il décide si le dumping de la bière originaire des États-Unis d'Amérique, plutôt que la présence de la bière sous-évaluée originaire des États-Unis, a causé et cause un préjudice sensible aux producteurs de la totalité, ou de la quasi-totalité, de la bière fabriquée en Colombie-Britannique. Conformément aux modalités du renvoi, le groupe spécial binational a ordonné au Tribunal de préciser si la compression des prix ou tout autre préjudice fondé sur les prix causé par le dumping des importations en cause, appuie la décision selon laquelle lesdites importations ont causé, causent ou sont susceptibles de causer un préjudice sensible à la totalité, ou à la quasi-totalité, de la production sur le marché de la Colombie-Britannique.

DÉCISION SUR RENVOI : Le Tribunal canadien du commerce extérieur, conformément à l'article 77.16 de la LMSI, conclut par les présentes que le dumping de la bière originaire des États-Unis d'Amérique a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production de marchandises similaires en Colombie-Britannique. Plus précisément, le Tribunal constate que la compression des prix causée par le dumping des importations en question appuie la décision selon laquelle lesdites importations ont causé, causent ou sont susceptibles de causer un préjudice sensible à Labatt Breweries of British Columbia, à Molson Brewery B.C., Ltd. et à la Pacific Western Brewing Company.

Charles A. Gracey
_________________________
Charles A. Gracey
Membre présidant


Sidney A. Fraleigh
_________________________
Sidney A. Fraleigh
Membre


Michèle Blouin
_________________________
Michèle Blouin
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

Enquête no : NQ-91-002 Renvoi de la décision

Membres du Tribunal : Charles A. Gracey, membre présidant
Sidney A. Fraleigh, membre
Michèle Blouin, membre

Directeurs de la recherche : J.A. (Sandy) Greig
Douglas Cuffley

Gestionnaire de la recherche : Paul Berlinguette

Agent de la recherche : Peter Rakowski

Préposé aux statistiques : Gilles Richard

Avocat pour le Tribunal : Cliff Sosnow

DÉCISION SUR RENVOI

La présente décision sur renvoi a été prise conformément à la décision rendue par le groupe spécial binational dans le cadre de son examen (CDA-91-1904-02) [2] des conclusions rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) dans l'enquête no NQ-91-002 [3] . Selon le Tribunal, le dumping de la boisson de malt, communément appelée bière, d'une teneur alcoolique en volume d'au moins 1 p. 100 et d'au plus 6 p. 100, en bouteilles ou en boîtes d'au plus 1 180 mL (40 oz), originaire ou exportée des États-Unis d'Amérique par Pabst Brewing Company, G. Heileman Brewing Company Inc. et The Stroh Brewery Company, leurs successeurs et ayants droit, ou en leur nom, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production de marchandises similaires sur le marché de la Colombie-Britannique.

Le groupe spécial binational a, à l'unanimité, confirmé la décision du Tribunal à tous les égards, sauf en ce qui a trait à une question qu'il a renvoyée au Tribunal, avec des directives. Le groupe spécial a renvoyé au Tribunal la décision prise par ce dernier «pour qu'il décide si c'est le dumping de la bière originaire des États-Unis, plutôt que la présence de bière sous-évaluée originaire des États-Unis, qui est à l'origine du préjudice causé aux producteurs de la totalité ou de la quasi-totalité de la production de bière en Colombie-Britannique». Le groupe spécial a demandé au Tribunal de préciser, sur renvoi, «si la compression des prix, ou tout autre effet sur les prix causé par le dumping des importations en cause, justifie la conclusion selon laquelle lesdites importations ont causé, causent ou sont susceptibles de causer un préjudice sensible aux producteurs de la totalité ou de la quasi-totalité de la production sur le marché de la Colombie-Britannique».

En réponse au renvoi, le Tribunal tient à réitérer les motifs de sa décision initiale, lesquels ont été confirmés à tous les égards, sauf pour ce qui est de la question faisant l'objet du renvoi. Cependant, pour éviter qu'il y ait le moindre doute, le Tribunal déclare qu'il est convaincu qu'il y avait compression des prix sur le marché de la Colombie-Britannique et que cette compression des prix était causée par le dumping des marchandises en question. La compression des prix était un préjudice fondé sur les prix. Tel qu'il en ressortira des motifs énoncés plus loin, le Tribunal est également persuadé que la compression des prix causée par le dumping des marchandises en question a été, à elle seule, plus que suffisante pour causer un préjudice sensible à Labatt Breweries of British Columbia (Labatt), à Molson Brewery B.C., Ltd. (Molson) et à la Pacific Western Brewing Company (la PWB).

Le Tribunal souhaite maintenant ajouter à sa décision d'origine en répondant, à l'intention du groupe spécial binational, à la question suivante. La compression des prix causée par le dumping des importations en question appuie-t-elle la décision selon laquelle les importations en question ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice sensible à Labatt, à Molson ainsi qu'à la PWB? En ajoutant à sa décision d'origine, le Tribunal se fonde exclusivement sur les éléments de preuve et les arguments dont il disposait au moment de l'enquête d'origine.

Pour répondre à cette question, le Tribunal s'est penché sur la question de savoir si les éléments de preuve appuieraient des conclusions de préjudice sensible à l'égard de chacun des trois producteurs s'il était fait abstraction, dans l'analyse du préjudice, des frais liés au remplacement des bouteilles par des canettes. Pour effectuer ce calcul, le Tribunal a commencé par examiner les états de résultats de Labatt [4] et de Molson [5] pour la Colombie-Britannique. Il a ensuite retiré des lignes appropriées de ces états, pour chaque année, le coût lié au remplacement des bouteilles par des canettes, tel que l'ont indiqué Labatt [6] et Molson [7] au Tribunal en réponse aux lettres de ce dernier datées du 21 août 1991 et adressées à Labatt [8] et à Molson [9] .

PWB n'a pas prétendu, dans les arguments qu'elle a invoqués devant le Tribunal, que le remplacement des bouteilles par des canettes avait engendré des coûts, et ce n'est pas non plus ce qui est ressorti de notre évaluation des éléments de preuve qu'elle avait présentés. Nous sommes toujours convaincus, comme nous l'étions au moment où nous avons examiné ces éléments de preuve pour la première fois, que, dans le cas de la PWB, l'importance de la compression des prix caus 9‚e par le dumping des importations en question, à elle seule, appuie la décision selon laquelle les importations en question ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice sensible.

Les états des résultats de Labatt, pour les exercices allant de 1988 à 1991, ont été rajustés afin d'y éliminer les coûts d'exploitation et les autres coûts liés au remplacement des bouteilles par des canettes. L'examen de ces états financiers rajustés révèle que les bénéfices bruts de la société, de même que ses revenus nets avant impôt, n'ont cessé de diminuer après l'exercice 1988. En conséquence, en 1991, l'entreprise était en déficit. Le Tribunal a examiné les raisons de la baisse des résultats financiers de Labatt. Il s'est tout particulièrement penché sur la baisse des recettes moyennes des ventes par hectolitre au cours de l'exercice 1991 par rapport à l'exercice 1988, sur l'augmentation du coût par hectolitre des marchandises vendues et sur la baisse des frais généraux de commercialisation et d'administration et des frais généraux cumulés par hectolitre vendu. Le Tribunal ne croit pas que l'augmentation du coût moyen des marchandises vendues compense la baisse des recettes moyennes et réduise l'importance du préjudice révélé par la baisse des recettes moyennes.

L'état des résultats de Molson pour l'exercice 1988 a été rajusté afin d'en éliminer les coûts liés au remplacement des bouteilles par des canettes [10] . L'examen des états financiers rajustés de 1988, ainsi que des états financiers non rajustés des exercices ultérieurs, révèle que les marges bénéficiaires brutes de cette société n'ont cessé de diminuer et ses pertes d'augmenter au cours de chaque exercice, jusqu'en 1991. Au cours de ce dernier exercice, les profits bruts se sont améliorés, et Molson a perdu moins d'argent. Cependant, la situation financière de cette entreprise était moins bonne en 1991, qu'en 1988. Le Tribunal a examiné les raisons de la baisse des résultats financiers de Molson au cours de l'exercice 1991, comparé à celui de 1988. Il s'est penché tout particulièrement sur la baisse des recettes moyennes par hectolitre vendu au cours de l'exercice 1991 par rapport à l'exercice 1988. Il a également remarqué la baisse du coût et des dépenses par hectolitre entre les deux mêmes années.

Le Tribunal souligne que la compression des prix s'est manifestée, dans les états financiers de Labatt et de Molson, sous la forme de réduction des recettes moyennes par hectolitre. L'examen de la réduction des recettes moyennes par hectolitre révèle toute l'ampleur du préjudice causé à Labatt et à Molson par la compression des prix due au dumping des importations en question.

Le Tribunal a examiné les recettes moyennes par hectolitre dans les états des résultats de Labatt. L'exercice 1988 a été pris comme année de référence. Il s'agit de la dernière année financière complète avant la baisse des prix opérée par l'industrie en Colombie-Britannique en 1988 en réaction aux prix des importations en question. Par rapport à l'exercice 1988, les recettes moyennes par hectolitre de Labatt ont diminué au cours de l'exercice 1989, et une fois encore au cours de l'exercice 1990. Les recettes moyennes par hectolitre ont augmenté en 1991, mais sans atteindre le niveau de 1988.

En 1991, les recettes moyennes par hectolitre étaient inférieures d'environ 5 p. 100 à ce qu'elles avaient été en 1988. Cette réduction des recettes moyennes par hectolitre était importante pour Labatt. Compte tenu du volume des ventes réelles de Labatt au cours de l'exercice 1991, elle a entraîné des pertes de recettes de l'ordre de plusieurs millions de dollars et une réduction correspondante des bénéfices bruts. L'importance de ce préjudice était telle que le préjudice était sensible pour Labatt.

D'après cette évaluation des états des résultats rajustés de Labatt, le Tribunal conclut que la compression des prix causée par le dumping des importations en question appuie la décision selon laquelle lesdites importations ont causé et causent un préjudice sensible à Labatt.

Le Tribunal a examiné les recettes moyennes par hectolitre figurant dans les états des résultats de Molson. Là encore, l'exercice 1988 a servi d'année de référence. Les recettes moyennes par hectolitre de Molson ont évolué de façon analogue à celles de Labatt. Par rapport à l'exercice 1988, elles ont diminué en 1989, et encore en 1990. Les recettes moyennes par hectolitre ont augmenté au cours de l'exercice 1991, mais sans revenir au niveau de 1988.

En 1991, les recettes moyennes par hectolitre étaient inférieures d'environ 5 p. 100 à ce qu'elles avaient été en 1988. Cette réduction des recettes moyennes par hectolitre était importante pour Molson. Compte tenu du volume des ventes réelles de Molson au cours de l'exercice 1991, elle s'est traduite par des pertes de recettes de l'ordre de plusieurs millions de dollars et une réduction correspondante des bénéfices bruts. L'importance de ce préjudice était telle que le préjudice était sensible pour Molson.

D'après cette évaluation des résultats rajustés de Molson, le Tribunal conclut que la compression des prix causée par le dumping des importations en question appuie la décision selon laquelle lesdites importations ont causé et causent un préjudice sensible à Molson.

En arrivant à ces conclusions, le Tribunal croit qu'en l'absence de dumping sur le marché de la Colombie-Britannique, les recettes moyennes par hectolitre de bière au cours de l'exercice 1991 seraient remontées au moins au niveau de 1988. Le Tribunal considère cependant qu'il s'agit là d'une évaluation modérée. À cet égard, le Tribunal constate que dans toutes les autres provinces du Canada où Labatt et Molson exploitent des usines de production, les recettes moyennes par hectolitre ont augmenté [11] au cours de l'exercice 1991 par rapport à l'exercice 1988.

Pour ce qui est du préjudice sensible pouvant être causé par la compression des prix, le Tribunal estime que si les droits antidumping ne sont pas maintenus, les exportateurs reprendront leurs activités de dumping et rétabliront leurs prix de bas de gamme. Ainsi, ils continueront de comprimer les prix de Labatt, de Molson et de la PWB. Pour ce motif, le Tribunal croit que, en l'absence de droits antidumping, la compression des prix est susceptible de causer un préjudice sensible à Labatt, à Molson et à la PWB.

En résumé, et d'après ce qui précède, le Tribunal conclut que la compression des prix causée par le dumping des importations en question appuie la décision selon laquelle lesdites importations ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice sensible à Labatt, à Molson et à la PWB. Ces trois producteurs représentent la totalité, ou la quasi-totalité, de la production de bière sur le marché de la Colombie-Britannique.

Avis concordant du membre Michèle Blouin

Je suis d'accord avec la décision de mes collègues, les membres Gracey et Fraleigh. Je partage leur opinion et leurs conclusions, mais je voudrais préciser mon avis sur deux points.

I. Norme d'examen du groupe spécial binational

Le groupe spécial binational, lorsqu'il a examiné la décision du Tribunal aux termes de l'article 1911 de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis [12] (ALÉ), a observé la norme d'examen énoncée au paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale [13] , qui se lit comme suit :

28.(1) Malgré l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel est compétente pour les demandes de révision et d'annulation d'une décision ou ordonnance - exception faite de celles de nature administrative résultant d'un processus n'ayant légalement aucun caractère judiciaire ou quasi-judiciaire - rendue par un office fédéral ou à l'occasion de procédures en cour devant cet office au motif que celui-ci, selon le cas :

a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a de quelque autre manière outrepassé sa compétence ou refusé de l'exercer;

b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose.

Le paragraphe 76(1) de la LMSI prévoit que «les ordonnances ou conclusions du Tribunal prévues à la présente loi sont définitives».

Le juge Gonthier, de la Cour suprême du Canada, déclare, dans la cause National Corn Growers [14] , à la page 1369, que :

lorsqu'il y a une clause privative les tribunaux judiciaires ne toucheront aux conclusions d'un tribunal [...] que s'il est jugé que la décision de celui-ci ne saurait être maintenue selon une interprétation raisonnable des faits ou du droit.

Dans l'examen de l'affaire de la Bière [15] effectué par le groupe spécial binational, le président Greenberg déclare, dans son avis concordant, que :

A mon avis, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire National Corn Growers permet de répondre de façon concluante à la question suivante: les points soumis au groupe spécial concernant la façon dont le TCCE a interprété et appliqué l'alinéa 42(3)a) de la LMSI soulèvent-ils des questions de compétence et sont-ils par conséquent assujettis au critère d'exactitude appliqué par les membres de la majorité, ou s'agit-il plutôt de simples questions de droit et de fait relevant du critère de l'erreur manifestement déraisonnable? La Cour a répondu clairement - abstraction faite des digressions sur la bonne application de ce critère - que l'alinéa 42(3)a) de la LMSI n'est pas un texte qui délimite la compétence du TCCE et que, en conséquence, c'est le critère de l'erreur manifestement d?E9‚raisonnable qu'il convient d'appliquer.

Le président Greenberg déclare également, à la page 56, que :

[I]l suffit au groupe spécial de juger que cette conclusion repose sur une interprétation raisonnable du droit, pas nécessairement la seule interprétation raisonnable, ni même l'interprétation que le groupe spécial pourrait préférer. C'est là l'enseignement de l'arrêt National Corn Growers. La seule question à résoudre, c'est de savoir si la décision du TCCE avait un fondement rationnel.

Le groupe spécial binational qui avait examiné antérieurement la décision rendue par le Tribunal dans la cause des Moteurs à induction [16] s'est rangé à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans la cause National Corn Growers et a conclu que l'interprétation de l'alinéa 42(3)a) de la LMSI était assujettie aux «critères de l'erreur manifestement déraisonnable».

La décision rendue en 1990 dans la cause National Corn Growers est la plus récente décision de la Cour suprême du Canada et comprend une étude poussée de la jurisprudence canadienne. Elle conclut que le «critère de l'erreur manifestement déraisonnable» s'applique à l'alinéa 42(3)a) de la LMSI.

L'article 1904.3 de l'ALÉ prévoit ce qui suit :

Le groupe spécial appliquera les critères d'examen décrits à l'article 1911, ainsi que les principes juridiques généraux qu'un tribunal de la Partie importatrice appliquerait à l'examen d'une décision de l'autorité compétente chargée de l'enquête.

Le Tribunal et le groupe spécial sont liés par la décision National Corn Growers. La loi et la jurisprudence canadiennes s'appliquent à la partie importatrice, laquelle est le Canada. Le Tribunal ne peut être assujetti au «critère d'exactitude» (établi par la majorité du groupe spécial dans la présente cause) pour ce qui est des causes en provenance des États-Unis seulement et être assujetti à un autre, le «critère de l'erreur manifestement déraisonnable», (reconnu par la Cour Suprême du Canada) pour ce qui est des causes en provenance des pays autres que les États-Unis. La loi et la jurisprudence canadiennes s'appliquent également à tous les pays faisant affaire sur le territoire canadien.

À mon avis, le «critère de l'erreur manifestement déraisonnable» s'applique clairement à l'alinéa 42(3)a) de la LMSI.

II. La présence de marchandises sous-évaluées causant un préjudice sensible

Le groupe spécial binational a renvoyé la décision au Tribunal en ce qui concerne une question seulement :

... pour qu'il détermine si c'est le dumping de la bière originaire des États-Unis, plutôt que la présence de bière sous-évaluée originaire des États-Unis, qui est à l'origine du préjudice causé aux producteurs de la totalité ou de la quasi-totalité de la production de bière en Colombie-Britannique. Dans sa décision après renvoi, le TCCE dira si la compression des prix, ou tout autre effet sur les prix causé par le dumping des importations en cause, justifie la conclusion selon laquelle lesdites importations ont causé, causent ou sont susceptibles de causer un préjudice sensible aux producteurs de la totalité ou de la quasi-totalité de la production sur le marché de la Colombie-Britannique [17] .

Je suis d'accord avec mes collègues quant au fait que, dans cette décision, la compression des prix causée par le dumping des importations en question appuie la décision selon laquelle lesdites importations ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice sensible à Labatt, à Molson et à la PWB, qui représentent la totalité ou la quasi-totalité de la production de marchandises similaires en Colombie-Britannique. Le préjudice subi par les trois producteurs est important, et la compression des prix a eu à elle seule des répercussions qui suffisent à donner lieu à des conclusions de préjudice sensible.

Qui plus est, je suis convaincue que la présence d'importations à bas prix de bière en canettes a créé une préférence pour les canettes chez les consommateurs de la Colombie-Britannique, due au fait que le prix de ces importations était très bas. De fait, les consommateurs ont acquis une préférence pour les canettes par rapport aux bouteilles en raison des prix. Les producteurs de la Colombie-Britannique ont dû répondre à l'importation de bière en canettes sous-évaluée par la production de bière de fabrication locale en canettes.

Les producteurs de la Colombie-Britannique ont dû également modifier leur stratégie d'établissement des prix, qui voulait que la bière en bouteilles soit vendue généralement moins cher que la bière en canettes. Ce changement visant à favoriser le produit en canettes sur le plan des prix est bien illustré par la décision prise par Labatt et Molson, en décembre 1988, de réduire de 6,30 $ à 5,60 $ le prix du pack de six unités de leurs principales marques de bière vendues en canettes à prix normal, et ce pour soutenir la concurrence des importations de bière américaine. Cette mesure d'établissement des prix a rendu les canettes moins chères que les bouteilles sur le marché régulier, ces dernières se vendant 11,85 $ le pack de 12 unités. Cette mesure a entraîné l'augmentation du volume des ventes de bière en canettes. À cet égard, le Tribunal a fait remarquer, dans son exposé des motifs [18] , que :

Les ventes de bière en canettes en Colombie-Britannique ont représenté 63 p. 100 du total des ventes de bière sous emballage effectuées en Colombie-Britannique en 1990, comparativement à 30 p. 100 en 1987. En guise de comparaison, dans le reste du Canada, les ventes de bière en canettes ont représenté seulement 16 p. 100 du marché total de la bière vendue sous emballage en 1990, contre 12 p. 100 en 1987.

Le passage des bouteilles aux canettes, et son rapport avec les importations sous-évaluées, a été examiné de façon approfondie au cours des audiences et lors des délibérations du Tribunal. Il est possible, cependant, que nous n'ayons pas traité de la question de façon assez détaillée dans l'exposé des motifs de notre décision. C'est pourquoi j'ai insisté quelque peu sur le rapport entre le remplacement des bouteilles par les canettes et l'établissement du prix des importations sous-évaluées et celui des produits locaux. Je voudrais pour la même raison insister sur la relation entre le remplacement des bouteilles par les canettes et la présence d'importations sous-évaluées sur le marché. Je souhaiterais illustrer ma pensée sur cette question au moyen d'un exemple tiré de l'industrie automobile.

Si un fabricant étranger écoulait à des prix de dumping des automobiles sur le marché nord-américain, et si ces marchandises présentaient plusieurs caractéristiques nouvelles et avancées sur le plan technologique qui ne soient pas disponibles sur les automobiles produites par les fabricants nationaux, il serait raisonnable de s'attendre à ce que les consommateurs, qui se seront habitués à ces nouvelles caractéristiques offertes sur les automobiles vendues à des prix sous-évalués, demandent aux producteurs nationaux de les fournir également. Dans ces conditions, pour préserver leur part du marché ou recouvrer celle qu'ils auront perdue, les fabricants nord-américains devront faire des changements de production extrêmement coûteux pour conférer les nouvelles caractéristiques en cause à leurs produits. Cependant, compte tenu de la présence d'importations sous-évaluées, ils ne seraient pas en mesure de transmettre aux consommateurs les frais supplémentaires que cela supposerait. Les dépenses engagées en raison de la présence de nouvelles caractéristiques sur les automobiles sous-évaluées pourraient être considérées comme des frais liés au «dumping» et à la «présence de marchandises sous-évaluées» sur le marché, ou causés par ceux-ci. Dans ces conditions, la compression des prix résultant de la présence de marchandises sous-évaluées influera à son tour sur la position financière de l'industrie nationale.

D'un autre côté, si les mêmes marchandises entraient sur le marché nord-américain à des prix qui ne soient pas des prix de dumping, tout préjudice subi par l'industrie nationale serait causé par le jeu normal de la concurrence et non par le dumping.

Pour ce qui est de la cause relative à la Bière, lorsque les prix pratiqués en Colombie-Britannique se trouvent encore comprimés après que l'industrie nationale ait pris des mesures telles que l'investissement dans de nouveaux équipements de conditionnement pour contrer les effets négatifs du dumping, il ne fait aucun doute que la présence de bière sous-évaluée en canettes a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible aux producteurs de bière de la Colombie-Britannique.

À mon avis, il ne serait pas «manifestement déraisonnable ou incorrect» de conclure que les importations sous-évaluées de bière en canettes et que leur présence sur le marché de la Colombie-Britannique ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice sensible aux producteurs de marchandises similaires dans la province.

La jurisprudence canadienne a reconnu que la présence de marchandises sous-évaluées peut causer un préjudice sensible à l'industrie nationale. Le juge Hugessen, de la Cour fédérale d'appel, déclare, dans la cause Sacilor Aciéries [19] , que :

Bien que le dumping soit, je l'admets, l'introduction de marchandises sous-évaluées sur le marché canadien, je ne crois pas qu'il ne soit possible, sur le plan juridique (ou même sur le plan de la logique), de dresser une barrière impénétrable entre les effets découlant de la présence de marchandises sous-évaluées et les effets du dumping lui-même. Si la présence de marchandises étrangères sur le marché intérieur à des prix sous-évalués contraint les producteurs canadiens soit à perdre des ventes soit à vendre à perte leurs propres produits, il est alors loisible au Tribunal de conclure que le dumping a causé préjudice. Évidemment, il est possible que d'autres facteurs aient contribué au préjudice. Le bon sens nous dicte, me semble-t-il, que c'est pratiquement toujours le cas. L'efficacité, la qualité, le contrôle des coûts, les aptitudes de commercialisation, l'exactitude des prévisions de même que la chance et une foule d'autres facteurs nous viennent à l'esprit. C'est à un tribunal formé d'experts et spécialisé tel que le Tribunal anti-dumping que revient la tâche de soupeser ces différents facteurs et de décider de l'importance qu'il faut accorder à chacun. Voilà, me semble-t-il, ce qu'a fait le Tribunal dans la décision attaquée.

En résumé, et compte tenu de ce qui précède, je suis d'accord avec mes collègues que la compression des prix causée par le dumping des importations en question appuie en elle-même la décision selon laquelle les importations dont il s'agit ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice sensible à Labatt, à Molson et à la PWB. De plus, je conclus que la présence de marchandises sous-évaluées a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible aux producteurs de la totalité, ou de la quasi-totalité, de la production de bière sur le marché de la Colombie-Britannique.


1. L.R.C. (1985), ch. S-15.

2. La bière originaire des États-Unis et provenant de G. Heileman Brewing Company Inc., Pabst Brewing Company et The Stroh Brewery Company, et de leurs successeurs et ayants droit, ou exportés par ces sociétés, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique (Préjudice), Groupe spécial binational, article 1904, décision datée du 26 août 1992.

3. La bière originaire ou exportée des États-Unis d'Amérique par Pabst Brewing Company, G. Heileman Brewing Company Inc. et The Stroh Brewery Company, leurs successeurs et ayants droit, ou en leur nom, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique, Tribunal canadien du commerce extérieur, enquête no NQ-91-002, conclusions et exposé des motifs, les 2 et 17 octobre 1992 respectivement.

4. Pièce protégée du TCCE no NQ-91-002-12.1F, dossier no 9 du CST, aux p. 99.12 et 99.13.

5. Pièce protégée no NQ-91-002-7 du TCCE, dossier no 5 du CST, p. 103.

6. Pièce protégée no NQ-91-002-12.1G du TCCE, dossier no 9 du CST, aux p. 99.24, 99.25 et 99.26.

7. Pièce protégée no NQ-91-002-71 du TCCE, dossier no 5 du CST, p. 173.

8. Pièce protégée no NQ-91-002-47 du TCCE, dossier no 5 du CST, p. 153.

9. Ibid., p. 152.

10. Dans le cas de Molson, le remplacement des bouteilles par des canettes n'a entraîné une augmentation des coûts qu'au cours de l'exercice 1988.

11. Pièce protégée NQ-91-002-7 du TCCE, dossier no 5 du CST, aux p. 117-124 et 150.7-150.12.

12. Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, signé le 2 janvier 1988 (entré en vigueur le 30 décembre 1988 en vertu de la Loi de mise en oeuvre de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, L.C. 1988, ch. 65).

13. L.R.C. (1985), ch. F-7.

14. National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324.

15. Supra, note 2, à la p. 51.

16. Certain Dumped Integral Horsepower Induction Motors, One Horsepower (1 HP) to Two Hundred Horsepower (200 HP) Inclusive, with Exceptions Originating in or Exported from the United States of America, 4 T.C.T. 7065 (groupe spécial binational, article 1904), le 11 septembre 1991.

17. Supra, note 2, à la p. 47.

18. Supra, note 3, à la p. 20.

19. Sacilor Aciéries c. Le Tribunal antidumping et al., Cour d'appel fédérale, no A-1806-83, le 27 juin 1985.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 7 août 1997