TUBES SOUDÉS EN ACIER AU CARBONE

Enquêtes (article 42)


CERTAINS TUBES SOUDÉS EN ACIER AU CARBONE, ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DU BRÉSIL, DU LUXEMBOURG, DE LA POLOGNE, DE LA TURQUIE ET DE LA YOUGOSLAVIE
Enquête no : NQ-91-003

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le jeudi 23 janvier 1992

Enquête no : NQ-91-003

EU ÉGARD À une enquête en vertu de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation concernant :

CERTAINS TUBES SOUDÉS EN ACIER AU CARBONE, ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DU BRÉSIL, DU LUXEMBOURG, DE LA POLOGNE, DE LA TURQUIE ET DE LA YOUGOSLAVIE

C O N C L U S I O N S

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à une enquête, en vertu des dispositions de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 25 septembre 1991 et d'une décision définitive de dumping datée du 9 décembre 1991 rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, concernant l'importation au Canada des tubes soudés en acier au carbone, originaires ou exportés du Brésil, du Luxembourg, de la Pologne, de la Turquie et de la Yougoslavie, fournis pour répondre aux normes ASTM A53 ou A120 d'un diamètre extérieur de 0,54 po (13,7 mm) à 16,00 po (406,4 mm) ayant des extrémités lisses ou finies et un fini de surface noir, ordinaire ou obtenu par galvanisation.

Conformément à l'alinéa 42(2)a) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, que :

- le dumping des tubes soudés en acier au carbone susmentionnés originaires ou exportés du Brésil a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires; et

- le dumping des tubes soudés en acier au carbone susmentionnés originaires ou exportés du Luxembourg, de la Pologne, de la Turquie et de la Yougoslavie a causé, mais ne cause pas et n'est pas susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

De plus, conformément à l'alinéa 42(2)b) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, que :

- le dumping des tubes soudés en acier au carbone susmentionnés originaires ou exportés uniquement du Brésil aurait causé un préjudicie sensible, si ce n'était des engagements auquel il s'est soumis.

Sidney A. Fraleigh
_________________________
Sidney A. Fraleigh
Membre présidant


Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre


Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre


Robert J. Martin
_________________________
Robert J. Martin
Secrétaire

L'exposé des motifs sera rendu d'ici 15 jours.

Ottawa, le vendredi 7 février 1992

Enquête no NQ-91-003

CERTAINS TUBES SOUDÉS EN ACIER AU CARBONE, ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DU BRÉSIL, DU LUXEMBOURG, DE LA POLOGNE, DE LA TURQUIE ET DE LA YOUGOSLAVIE

Loi sur les mesures spéciales d'importation - Déterminer si le dumping de certains tubes soudés en acier au carbone a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible, ou a causé ou cause un retard sensible à la production au Canada de marchandises similaires; et déterminer si le dumping des tubes soudés en acier au carbone susmentionnés aurait causé, pendant une durée quelconque après l'acceptation des engagements, un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires, n'eût été de l'acceptation de ces engagements.

DÉCISION : Le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, que le dumping de certains tubes soudés en acier au carbone, originaires ou exportés du Brésil, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires; le dumping des marchandises susmentionnées, originaires ou exportées du Luxembourg, de la Pologne, de la Turquie et de la Yougoslavie, a causé, mais ne cause pas et n'est pas susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires; et le dumping des marchandises susmentionnées, originaires ou exportées uniquement du Brésil, aurait causé un préjudice sensible, si ce n'était des engagements auxquels il s'est soumis.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l'audience : Du 16 au 18 décembre 1991

Date des conclusions : Le 23 janvier 1992
Date des motifs : Le 7 février 1992

Membres du Tribunal : Sidney A. Fraleigh, membre présidant
Arthur B. Trudeau, membre
Robert C. Coates, c.r., membre

Directeur de la recherche : Selik Shainfarber
Agent de la recherche : Anis Mahli
Préposé aux statistiques : Robert Larose

Avocat pour le Tribunal : Clifford Sosnow

Agent à l'inscription
et à la distribution : Pierrette Hébert


Participants : Lawrence L. Herman
pour Stelpipe
(A Unit of Stelco Inc.)

Ronald C. Cheng et
Gregory O. Somers
pour Ipsco Inc. et Sidbec-Dosco Inc.

(parties plaignantes)
Michael Kaylor
pour Olympia Tubes Limited

John D.F. Rolland
pour TradeARBED Canada Inc.

(importateurs)
C.J. Michael Flavell et G.C. Kubrick
pour Borusan Boru

(exportateur)

Témoins :

Donald K. Belch
Directeur - Relations gouvernementales
Stelco Inc.

J.E. (Jef) Fry, M.B.A., CMA
Gestionnaire des services administratifs et financiers généraux
Stelpipe
(A Unit of Stelco Inc.)

R.P. (Rick) Jaszek
Directeur des ventes, Tuyaux
Stelpipe
(A Unit of Stelco Inc.)

Raymond Leblanc, CMA
Directeur Administration du marketing
Sidbec-Dosco Inc.

Roger Fay
Directeur des ventes, Tuyaux
Sidbec-Dosco Inc.

H. Scott Hamilton, ing.
Directeur de l'administration et du commerce
Ipsco Inc.

Glenn A. Gilmore
Surveillant commercial
Ipsco Inc.

John D.F. Rolland
Vice-président délégué
TradeARBED Canada Inc.

Brian S. Cain
Vice-président
Région de l'est du Canada
Comco Pipe & Supply Company

J.D. (Jack) Lewis
Vice-président
Grinnell Supply Sales Company

Jack Zimmerman
Olympia Tubes Limited

Fred Zimmerman
Président
Olympia Tubes Limited

Nezih Bosut
Président
Sunezco International Inc.

Adresser toutes communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
20e étage
Immeuble Journal Sud
365, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

LE DÉROULEMENT DE L'ENQUÊTE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a procédé à une enquête, en vertu des dispositions de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation (la LMSI), à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 25 septembre 1991 et d'une décision définitive de dumping datée du 9 décembre 1991 rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Sous-ministre), concernant l'importation au Canada des tubes soudés en acier au carbone, originaires ou exportés du Brésil, du Luxembourg, de la Pologne, de la Turquie et de la Yougoslavie, fournis pour répondre aux normes ASTM [American Society for Testing and Materials] A53 ou A120 d'un diamètre extérieur de 0,54 po (13,7 mm) à 16,00 po (406,4 mm) ayant des extrémités lisses ou finies et un fini de surface noir, ordinaire ou obtenu par galvanisation.

Les avis de décisions provisoire et définitive de dumping ont paru dans la partie I de la Gazette du Canada du 19 octobre 1991 et du 9 décembre 1991, respectivement. L'avis d'ouverture d'enquête publié par le Tribunal le 4 octobre 1991 a paru dans la partie I de la Gazette du Canada du 12 octobre suivant.

Dans le cadre de l'enquête, le Tribunal a fait parvenir des questionnaires détaillés aux fabricants et aux importateurs canadiens des marchandises en question pour obtenir des renseignements sur la production, la situation financière, les importations, le marché et d'autres précisions encore, relativement à la période comprise entre le 1er janvier 1986 et le 30 juin 1991. En se fondant sur les réponses aux questionnaires et sur les renseignements obtenus d'autres sources, les agents de recherche du Tribunal ont préparé des rapports public et confidentiel préalables à l'audience. Le dossier de l'enquête comprend toutes les pièces du Tribunal, y compris les parties publique et confidentielle des réponses aux questionnaires, les pièces déposées par les parties à l'audience et la transcription intégrale des délibérations. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties intéressées, mais seuls les avocats indépendants ont eu accès aux pièces confidentielles.

Des audiences publiques et d'autres à huis clos ont eu lieu à Ottawa (Ontario) à partir du 16 décembre 1991. Les parties plaignantes, Stelpipe (A Unit of Stelco Inc.) (Stelpipe), Ipsco Inc. (Ipsco) et Sidbec-Dosco Inc. (Sidbec-Dosco), ont été représentées à l'audience par des avocats. Elles ont soumis des éléments de preuve et des arguments en vue d'obtenir des conclusions de préjudice. L'avocat de l'importateur, Olympia Tubes Limited (Olympia), ainsi que celui de Borusan Boru (Borusan), un exportateur turc, ont présenté des éléments de preuve et des arguments en vue d'obtenir des conclusions témoignant de l'absence de préjudice. Un représentant de TradeARBED Canada Inc. (TradeARBED), l'agent canadien de TradeARBED S.A. du Luxembourg, a comparu devant le Tribunal, produit des éléments de preuve et répondu aux questions que lui ont adressées l'avocat et les membres du Tribunal.

Le 23 janvier 1992, le Tribunal a rendu des conclusions selon lesquelles le dumping des marchandises originaires du Brésil a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires; le dumping des marchandises en question originaires du Luxembourg, de la Pologne, de la Turquie et de la Yougoslavie a causé, mais ne cause pas et n'est pas susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires; et le dumping des marchandises en question originaires uniquement du Brésil aurait causé un préjudice sensible, si ce n'était des engagements auquel il s'est soumis.

LE PRODUIT

Les produits qui font l'objet de la présente enquête sont décrits par le Sous-ministre, dans la décision provisoire de dumping, comme des tubes soudés en acier au carbone, originaires ou exportés du Brésil, du Luxembourg, de la Pologne, de la Turquie et de la Yougoslavie, fournis pour répondre aux normes ASTM A53 ou A120 d'un diamètre extérieur de 0,54 po (13,7 mm) à 16,00 po (406,4 mm) ayant des extrémités lisses ou finies et un fini de surface noir, ordinaire ou obtenu par galvanisation. Selon l'industrie nationale, la norme A120 n'a plus cours au Canada. Elle a été remplacée en 1988 par la norme A795. Les parties ont allégué que la norme A795 est l'équivalent de la norme A120, et le Tribunal est d'accord.

L'American Iron and Steel Institute (AISI) classe les tubes soudés en acier au carbone dans les groupes suivants selon leur utilisation finale : les tubes normalisés, la tuyauterie sous pression, les tubes de canalisation, le tubage de puits d'eau et les articles de tuyauterie pour l'industrie du pétrole.

La présente enquête a pour objet les tubes normalisés. Ces tubes servent habituellement à acheminer la vapeur, l'eau, le gaz naturel, l'air et divers liquides et gaz à basse pression dans les systèmes de plomberie, de chauffage et de protection incendie. Les dimensions nominales les plus répandues sont les suivantes : 1, 2, 3, 4, 6 et 8 po. Ces tubes sont fabriqués selon les normes de l'ASTM. Les tubes répondant à la norme ASTM A53 sont considérés comme de la plus haute qualité et sont transformés par soudage, bobinage, pliage ou bordage.

Les tubes normalisés sont produits par soudage en continu ou par soudage par résistance électrique. Plus de 90 p. 100 des importations consistent en tubes soudés par résistance électrique. Ces derniers sont fabriqués en donnant une forme tubulaire à des feuilles d'acier laminé plates ou pliées et en les soudant dans l'axe de leur jointure. Le diamètre extérieur des tubes obtenus par soudage en continu oscille entre 0,405 po et 4,5 po, alors que celui des tubes fabriqués par soudage par résistance électrique varie entre 2,0 po et 24,0 po. Dans les deux cas, après avoir été formés, les tubes sont redressés et transformés en fonction de leur utilisation finale par tronçonnage, surfaçage et alésage. Le tube normalisé peut avoir deux types de fini : le fini courant en surface noir (laqué) et le fini galvanisé.

Le gros de la production au Canada de tubes normalisés est écoulé par l'entremise de distributeurs nationaux. Ces derniers exploitent des succursales à travers le pays et s'approvisionnent séparément auprès de fabricants canadiens ou de sociétés de commerce extérieur, ou importent directement les marchandises en question. En outre, de nombreux importateurs ainsi que de nombreux utilisateurs finals canadiens importent les tubes en question eux-mêmes.

L'INDUSTRIE CANADIENNE

Dans la présente enquête, les parties plaignantes sont trois gros producteurs, Stelpipe, Ipsco et Sidbec-Dosco. Un certain nombre de producteurs plus petits se spécialisent dans la fabrication des marchandises en question selon un éventail restreint de dimensions. La production combinée des trois principaux producteurs rend compte de l'essentiel de la production nationale de marchandises en question. En conséquence, Stelpipe, Ipsco et Sidbec-Dosco représentent l'industrie canadienne aux fins de la présente enquête.

Stelco Inc. (Stelco) a produit et vendu les marchandises en question sous la marque «Stelco» jusqu'en 1984. Cette année-là, Stelco a restructuré ses installations de fabrication et de commercialisation de produits tubulaires en une entité commerciale distincte, «Stelco Pipe and Tube Company». La raison sociale de cette entité est devenue «Stelpipe» en 1988. Stelpipe fabrique des tubes, des tuyaux et d'autres produits tubulaires à huit laminoirs situés dans l'est et dans l'ouest du pays. Cinq de ces laminoirs fabriquent les marchandises en question, et quatre d'entre eux se trouvent à l'usine Page-Hersey de Welland (Ontario); le cinquième est à Camrose (Alberta). En outre, jusqu'au troisième trimestre de 1991, Stelpipe a confié des travaux de fabrication de tubes à Adtek Pipe & Tube Inc. de Weston (Ontario). Stelpipe utilise les techniques de soudage en continu et par résistance électrique et offre la gamme complète des marchandises en question. Les produits sont vendus dans tout le Canada.

Sidbec-Dosco est une filiale en propriété exclusive de Sidbec Inc., qui appartient au gouvernement du Québec. L'entreprise exploite quatre usines au Canada, mais celle de Montréal est la seule à fabriquer des tubes normalisés. Cette dernière usine fabrique des tubes dont le diamètre extérieur peut atteindre 4 po à l'aide de la technique du soudage en continu. Depuis 1987, Sidbec-Dosco s'approvisionne en tubes soudés par résistance électrique auprès de Delta Tube (Delta), qui appartient conjointement à Nova Steel et à Sidbec Inc. Le diamètre extérieur des produits de Delta se situe entre 2 po et 6 po. Pendant la période d'enquête, les tubes de Sidbec-Dosco étaient vendus partout au Canada, sauf en Colombie-Britannique.

Ipsco a commencé à fabriquer les marchandises en question en 1957. La société exploite neuf laminoirs à tubes soudés par résistance électrique à Regina, Edmonton, Red Deer et Calgary. Cinq de ces laminoirs peuvent fabriquer les marchandises en question dans des diamètres extérieurs variant entre 2 3/8 po et 16 po. Ipsco a vendu ses produits partout au Canada, sauf dans les provinces de l'Atlantique.

LES RÉSULTATS DE L'ENQUÊTE DU SOUS-MINISTRE

Le 16 septembre 1987, le Sous-ministre a ouvert une enquête sur le dumping au Canada de tubes soudés en acier au carbone, originaires ou exportés de la Belgique, du Brésil, de la France, du Luxembourg, de la Pologne, de la Turquie et de la Yougoslavie. Le 29 janvier 1988, le Sous-ministre a mis fin à l'enquête en ce qui concerne la France et la Belgique, et l'a suspendue en ce qui a trait au Brésil, au Luxembourg, à la Turquie, à la Pologne et à la Yougoslavie, après que des engagements sur les prix aient été signés par des exportateurs du Brésil, du Luxembourg et de la Yougoslavie. Les exportateurs qui avaient signé des engagements rendaient compte de presque toutes les exportations en question vers le Canada. Le 18 janvier 1991, les engagements ont été renouvelés pour trois ans, à la suite d'un examen effectué par le Sous-ministre.

Le 25 septembre 1991, le Sous-ministre a mis fin aux engagements après que certains éléments l'aient conduit à conclure que deux exportateurs brésiliens n'avaient pas honoré le leur. La suppression des engagements a entraîné l'émission d'une décision provisoire de dumping en vertu du paragraphe 52(1) de la LMSI relativement à chacun des pays assujettis aux engagements, en l'occurrence le Brésil, le Luxembourg et la Pologne. Cette décision provisoire visait également la Turquie et la Yougoslavie, qui avaient aussi fait l'objet de la première enquête, mais n'avaient pas signé d'engagement.

Avant la suspension de l'enquête, en 1988, le ministère du Revenu national pour les douanes et l'accise (Revenu Canada) avait constaté que la plus grande partie des marchandises importées pendant la période d'enquête allant du 1er janvier 1986 au 30 juin 1987 avaient été sous-évaluées selon une marge de dumping moyenne pondérée allant de 10,7 p. 100 à 51 p. 100 de leur valeur normale.

LA PLAINTE

Stelpipe

L'avocat de Stelpipe, dans son mémoire et son argument préliminaires, tous deux fort développés, a fourni au Tribunal une chronologie détaillée de l'évolution du marché pendant la période postérieure à 1985. L'avocat a fait valoir le fait qu'avant la signature des engagements, le dumping de tubes normalisés importés des pays cités, le Brésil notamment, avait entraîné l'érosion et la compression des prix. En outre, Stelpipe avait subi des pertes importantes en matière de production, de produit de la vente et de rendement. L'emploi avait dû être réduit, et la capacité de production sous-utilisée. L'avocat a ajouté que si une discipline tarifaire n'était pas imposée aux pays en question, la désorganisation qui s'ensuivrait sur le marché compromettrait l'investissement de Stelpipe dans son nouveau laminoir étireur-réducteur (LER), où la production devrait commencer en mars 1992.

L'avocat a soutenu que les engagements avaient eu pour effet la baisse constante des importations des pays en question. Depuis 1987, il n'y a plus d'importation de la Pologne et celles qui proviennent de la Yougoslavie sont négligeables. Cependant, le Brésil et la Turquie n'ont rien perdu de la forte position qu'ils occupaient sur le marché intérieur. De plus, quoique le Luxembourg ait été absent du marché entre 1987 et la première moitié de 1991, ses produits ont fait leur réapparition au Canada au cours de la deuxième moitié de 1991, avec un chargement sous-évalué. De l'avis de l'avocat, les exportateurs des pays en question n'hésiteraient pas à reprendre leurs activités de dumping antérieures à 1987 à la première occasion. À l'appui de cette affirmation, l'avocat a fait remarquer que certains des pays en question étaient sous le coup de conclusions antidumping rendues par d'autres autorités administratives : en particulier, la Yougoslavie et la Turquie, par la Communauté européenne (CE); et la Turquie et le Brésil, par les États-Unis. Il a fait, en outre, remarquer que ces pays, tant individuellement que collectivement, possèdent une énorme capacité de production et peuvent écouler d'importantes quantités de marchandises en question à des prix peu élevés qui peuvent aisément répondre aux normes de l'ASTM.

L'avocat a soutenu que le Tribunal ne devrait faire aucune exception à ses conclusions. Les importateurs de marchandises en question ont tendance à se tourner vers de nouveaux fournisseurs dès que leurs fournisseurs habituels font l'objet d'une décision. Par le passé, les nouveaux fournisseurs s'étaient mis à faire du dumping à leur tour, et l'industrie s'était vue obligée d'intenter d'autres actions pour contrer la montée du dumping de la part de ces nouvelles sources d'approvisionnement; la même chose se reproduirait dans le cas présent si des exclusions étaient faites.

L'avocat a fait remarquer que la présente cause concerne pour l'essentiel les mêmes marchandises en question et soulève à peu près les mêmes questions que celles étudiées par le Tribunal dans deux affaires récentes. Le Tribunal s'était alors prononcé en faveur de l'industrie, et il y aurait de l'«incohérence» de sa part à ne pas le faire encore dans la présente cause.

Sidbec-Dosco et Ipsco

L'avocat de Sidbec-Dosco et Ipsco a souscrit aux arguments avancés par celui de Stelpipe. De plus, il a ajouté que compte tenu des éléments de preuve «incontestés» présentés par son client, le Tribunal devrait conclure que les marchandises sous-évaluées importées des pays en question ont causé et sont susceptibles de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires. Il a ajouté que les conclusions de préjudice ne devraient comporter aucune exception. Si les exportateurs de pays tels que le Luxembourg n'ont pas l'intention de faire du dumping au Canada, ils ne devraient avoir aucune objection à se soumettre à une décision de Revenu Canada concernant la valeur normale, décision qui comblerait leur besoin d'un critère d'établissement équitable des prix.

LA RÉPONSE

TradeARBED

Le représentant canadien de TradeARBED, qui est l'agent exclusif pour les marchandises en question importées du Luxembourg, a soumis que le Luxembourg devrait être exclu de toute décision de préjudice. Il a déclaré que le Luxembourg avait honoré son engagement et n'avait aucun intérêt à désorganiser le marché canadien des marchandises en question. Depuis 1988, TradeARBED n'a pas importé de marchandises en question au Canada, à l'exception d'un chargement arrivé en septembre 1991. Revenu Canada avait reçu un préavis relativement au chargement de septembre et avait considéré ce dernier comme conforme à l'engagement du Luxembourg. Cependant, il y a eu un malentendu entre Revenu Canada et TradeARBED quant au prix prévu par l'engagement et, lorsque les marchandises sont arrivées, Revenu Canada a déterminé qu'elles étaient sous-évaluées d'un certain montant.

Olympia

L'avocat d'Olympia a déclaré que l'intérêt propre de son client dans cette enquête avait trait au chargement de marchandises en question arrivées du Luxembourg en septembre 1991. Olympia avait acheté ces marchandises à TradeARBED. Selon l'avocat, elles n'avaient pas causé de préjudice à l'industrie canadienne, et elles avaient été sous-évaluées par erreur. Qui plus est, elles sont restées, invendues, dans l'entrepôt d'Olympia à Montréal.

L'avocat a estimé que les éléments de preuve produits montrent que le Luxembourg s'est conduit de façon responsable sur le marché canadien. Le Luxembourg n'a fait l'objet d'aucune décision de dumping de marchandises en question dans le monde. L'avocat a soumis que le Luxembourg devrait être exclu de toute décision de préjudice dans cette cause.

Borusan

Les avocats ont soumis que la Turquie devrait être exclue de toute décision de préjudice dans cette cause. Selon eux, la Turquie a toujours été, et demeure aujourd'hui encore, un petit intervenant sur le marché concerné. Ce sont les exportations brésiliennes qui font problème pour l'industrie, et non les exportations turques.

L'avocat a fait remarquer que la forte marge de dumping établie par le Sous-ministre à l'égard des exportations turques pendant la période d'enquête 1986-1987 était la conséquence du retard apporté par Borusan à fournir certains renseignements à Revenu Canada. Ce retard était dû au fait que Borusan avait mal compris la nature des renseignements à fournir. Cependant, depuis lors, Borusan a pleinement collaboré avec Revenu Canada, et cela bien qu'il n'ait pas signé d'engagement, et n'a rien fait pour désorganiser le marché canadien. Ce point de vue a été adopté par le Sous-ministre lors de l'examen des activités des exportateurs turcs effectué en 1991 dans le cadre général de l'examen des engagements.

LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

Les compétences du Tribunal

Lors de l'audience, les avocats des différentes parties ont fait diverses observations quant aux compétences du Tribunal en ce qui a trait à la tenue d'une enquête de préjudice sensible en vertu du paragraphe 42(2) de la LMSI.

Aux termes du paragraphe 52(1), le Sous-ministre peut mettre fin à un engagement s'il considère que celui-ci n'a pas été honoré. Le paragraphe prévoit que dès qu'il a été mis fin à un engagement, le Sous-ministre doit rendre une décision provisoire de dumping et aviser le secrétaire du Tribunal de la fin de l'engagement. Le paragraphe 42(2) prévoit qu'ensuite le Tribunal doit tenir une enquête de préjudice sensible sur les questions suivantes :

Si le dumping [des marchandises relativement auxquelles un engagement a été pris]

42(2)a) soit cause, a causé ou est susceptible de causer un préjudice sensible, soit cause ou a causé un retard sensible;

42(2)b) soit aurait causé, pendant la période suivant l'acceptation de l'engagement ou des engagements, selon le cas, un préjudice sensible sans l'acceptation de cet engagement ou ces engagements.

L'avocat de Stelpipe et celui représentant Ipsco et Sidbec-Dosco ont présenté des arguments, qui n'ont pas été contestés, quant au fait que le Tribunal avait compétence pour examiner le préjudice sensible aux termes des deux alinéas 42(2)a) et 42(2)b). Le Tribunal est d'accord.

Si le Parlement avait eu pour intention que le Tribunal ne tienne une enquête de préjudice sensible qu'aux termes de l'alinéa 42(2)a) ou de l'alinéa 42(2)b), il aurait pu le faire aisément en ajoutant les mots «ou bien» aux alinéas 42(2)a) et b). Ainsi, le membre de phrase ordonnant au Tribunal de mener une enquête de préjudice sensible se lirait comme suit : «... le Tribunal détermine si le dumping... [ou bien] cause, a causé ou est susceptible de causer un préjudice sensible... ;... [ou bien] aurait causé, pendant la période suivant l'acceptation de l'engagement... un préjudice sensible sans l'acceptation de cet... engagement... ».

De fait, c'est là à peu près ce qu'a fait le Parlement à l'alinéa 42(1)b). Aux termes de cette disposition, le Tribunal, dès réception de l'avis de décision provisoire de dumping, fait enquête sur la question de savoir «... si... d'une part... ou bien a eu lieu une importation considérable de marchandises similaires sous-évaluées dont le dumping a causé un préjudice sensible... ou bien [si] l'importateur des marchandises était ou aurait dû être au courant du dumping que pratiquait l'exportateur et du fait que ce dumping causerait un préjudice sensible... » (soulignement ajouté).

En outre, les avocats de l'exportateur turc, Borusan, ont soutenu que l'enquête de préjudice sensible du Tribunal ne couvrait que les marchandises en question provenant des pays ayant signé des engagements, c'est-à-dire le Brésil, le Luxembourg et la Yougoslavie. Les avocats se fondaient à ce sujet sur le libellé du paragraphe 42(2) de la LMSI, qui confère au Tribunal le pouvoir de tenir une enquête de préjudice sensible lorsque des engagements ne sont pas honorés. Les avocats se sont fondés plus précisément sur une disposition de ce paragraphe qui stipule que relativement «... à des marchandises pour lesquelles un ou des engagements ont été terminés, le Tribunal détermine... ». Les avocats ont soutenu que le Tribunal n'a pas compétence pour étudier le cas de la Turquie et celui de la Pologne, attendu que les exportateurs de ces pays n'ont pas signé d'engagement.

Les avocats de Ipsco et Sidbec-Dosco, se fondant sur le paragraphe 52(1) de la LMSI, ont soutenu pour leur part que la décision provisoire rendue par le Sous-ministre, et, par conséquent, l'enquête de préjudice sensible du Tribunal, englobaient les marchandises provenant du Brésil, du Luxembourg, de la Yougoslavie, de la Pologne et de la Turquie. Le Tribunal est d'accord.

L'enquête ouverte le 16 septembre 1987 par le Sous-ministre avait trait aux tubes soudés en acier au carbone, originaires ou exportés du Brésil, du Luxembourg, de la Yougoslavie, de la Pologne, de la Turquie, de la France et de la Belgique. Le 29 janvier 1988, le Sous-ministre a fait clore l'enquête relativement aux marchandises importées uniquement de la France et de la Belgique. Le même jour, le Sous-ministre a accepté des engagements des exportateurs du Brésil, du Luxembourg et de la Yougoslavie.

Le Tribunal ne considère pas que le Sous-ministre, lorsqu'il a accepté des engagements des seuls exportateurs du Brésil, du Luxembourg et de la Yougoslavie, a mis un terme à l'enquête relativement aux marchandises des pays qui n'avaient pas signé d'engagement, à savoir la Pologne et la Turquie. Premièrement, le Sous-ministre, lorsqu'il a accepté les engagements, n'a visiblement mis fin à l'enquête qu'en ce qui a trait à la France et à la Belgique. Deuxièmement, le Tribunal considère que l'argument selon lequel le Sous-ministre a mis fin à l'enquête relativement à la Pologne et à la Turquie va à l'encontre du paragraphe 35(1) de la LMSI. Ce paragraphe fait état des motifs pour lesquels le Sous-ministre peut faire clore l'enquête (au sujet des marchandises ou de certaines d'entre elles) avant de rendre une décision provisoire. La lecture du paragraphe 35(1) montre clairement que le Parlement n'a pas conféré au Sous-ministre le pouvoir de faire clore l'enquête relativement aux marchandises provenant de pays n'ayant pas signé d'engagement pour la seule raison qu'il a accepté des engagements de la part d'autres pays. Ce paragraphe confère plutôt au Sous-ministre le pouvoir de faire clore l'enquête à l'une ou l'autre des trois conditions suivantes : 1) lorsqu'il n'y a pas suffisamment d'éléments prouvant le dumping; 2) lorsque la marge de dumping ou le volume des marchandises sous-évaluées est négligeable; ou 3) lorsque les éléments de preuve n'apportent pas une indication raisonnable d'un préjudice sensible.

L'article 51 de la LMSI porte sur la clôture des engagements à la suite d'une demande écrite adressée en ce sens au Sous-ministre. Quoique cet article ne s'applique pas en l'espèce, le Tribunal considère que son libellé étaye la conclusion à laquelle il en est arrivé, à savoir que l'acceptation d'un engagement ne comporte pas la clôture de l'enquête relativement aux marchandises provenant des pays n'ayant pas signé d'engagement. Aux termes du paragraphe 51(2), lorsqu'il est mis fin à un engagement à la suite du dépôt d'une demande écrite en ce sens, le Sous-ministre «fait reprendre l'enquête sur toutes les marchandises qui faisaient l'objet de celle-ci au moment où il avait accepté l'engagement... » (soulignement ajouté).

Ainsi, à la date de l'acceptation des engagements par le Sous-ministre, les marchandises visées par l'enquête étaient celles qui étaient originaires ou exportées du Brésil, du Luxembourg, de la Yougoslavie, de la Pologne et de la Turquie.

Aux termes de l'alinéa 50a) de la LMSI, «[d]ès qu'il a accepté... des engagements dans une enquête, le sous-ministre fait suspendre l'enquête... ». En conséquence, l'enquête relative aux marchandises exportées du Brésil, du Luxembourg, de la Yougoslavie, de la Pologne et de la Turquie n'était pas close, mais seulement suspendue.

Le 25 septembre 1991, le Sous-ministre a mis fin aux engagements parce que ceux-ci n'avaient pas été honorés par certains exportateurs brésiliens. Selon les alinéas 52(1)e) et 52(1)f) de la LMSI, lorsque le Sous-ministre met fin à un engagement, il doit «... rendre une décision provisoire de dumping... sur chacune des marchandises objet de l'enquête... » (soulignement ajouté) et «... faire donner et publier avis... de la décision provisoire... et faire déposer cet avis auprès du secrétaire [du Tribunal]... ». Puisque les marchandises «objet de l'enquête» étaient celles du Brésil, du Luxembourg, de la Yougoslavie, de la Pologne et de la Turquie, la décision provisoire définie par le Sous-ministre et envoyée au Tribunal et, par conséquent, l'enquête de préjudice sensible du Tribunal, doivent englober les marchandises importées de ces pays.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Le Tribunal remarque qu'il s'agit d'une enquête inhabituelle touchant des situations inhabituelles. La décision provisoire, qui a donné lieu à cette enquête aux termes du paragraphe 42(2) de la LMSI, porte sur le dumping constaté par le Sous-ministre entre janvier 1986 et juin 1987, c'est-à-dire il y a de quatre ans et demi à six ans de cela. Le décalage entre le dumping et l'enquête de préjudice est sans précédent. Il est dû à la suspension de l'enquête du Sous-ministre en 1988, à la suite de l'acceptation des engagements, et à la réouverture ultérieure de l'enquête à la fin de 1991, à la suite de la rupture de ses engagements par le Brésil.

Cette situation soulève une question très particulière, sur laquelle le Tribunal a le pouvoir de statuer en vertu de l'alinéa 42(2)b), et qui consiste à savoir si le dumping aurait causé un préjudice sensible pendant la période qui a fait suite à l'acceptation des engagements, si ces derniers n'avaient pas été pris. Cette cause porte, en outre, comme toutes les enquêtes de préjudice, sur la question de savoir si le dumping a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises en question.

Le Tribunal remarque que le marché des tubes soudés en acier au carbone et le rendement de l'industrie ont fait l'objet de deux autres examens au cours des deux dernières années. En juin 1990, notamment, le Tribunal, à la suite d'un examen, a prorogé une décision relative aux tubes soudés en acier au carbone et dirigée contre la Corée, qui avait été rendue pour la première fois en juin 1983. Treize mois plus tard, en juillet 1991, le Tribunal a conclu que le dumping de tubes soudés en acier au carbone importés de l'Argentine, de l'Inde, de la Roumanie, de Taïwan, de la Thaïlande et du Venezuela avait causé, causait et était susceptible de causer un préjudice sensible à la production nationale. L'examen relatif à la Corée a porté sur des événements survenus entre 1983 et 1989. L'enquête ultérieure relative à plusieurs pays a porté sur la période allant de 1988 jusqu'au premier trimestre de 1991. Dans les deux cas, le Tribunal a conclu que l'industrie avait été susceptible de subir un préjudice sensible pour cause de dumping pendant les périodes faisant l'objet d'un examen. Le Tribunal, dans la présente cause, n'a rien vu qui puisse le conduire à une autre conclusion.

En fait, la preuve révèle qu'en dehors de 1988, qui fut une année de reprise économique et de forte demande, l'industrie a constamment subi des pertes importantes au cours des 10 dernières années. Cette situation va probablement continuer à court terme, compte tenu des mauvaises conditions du marché et des faibles perspectives de vente. Ces pertes sont significatives de la compression persistante du prix des marchandises en question. Les ralentissements économiques cycliques, combinés aux fortes pressions concurrentielles exercées par les importations, dont beaucoup étaient sous-évaluées, ont contribué à ces mauvais résultats.

Ceci étant dit, le Tribunal va se pencher sur l'examen des activités de chacun des pays cités en cette cause, prises globalement et séparément. Le Tribunal va d'abord se pencher sur les questions et les éléments de preuve touchant les activités de ces pays dans les circonstances que l'on sait, c'est-à-dire alors qu'ils étaient liés par des engagements. Le Tribunal se penchera ensuite sur la question de savoir ce qui ce serait produit si les engagements n'avaient pas été pris, ainsi que sur ce à quoi l'on peut s'attendre à l'avenir.

Pour ce qui est de la question de savoir ce qui s'est produit par le passé, le Tribunal trouve plus pratique de diviser son analyse des événements en deux périodes : la période antérieure aux engagements (avant 1988); et la période postérieure aux engagements (à partir de 1988).

La période antérieure aux engagements

Il ressort des éléments de preuve produits que de 1984 à 1986, la part des importations revenant aux pays désignés a doublé, passant de 23 p. 100 à 45 p. 100 des importations totales. Cette augmentation était attribuable pour une bonne part à la hausse des importations du Brésil. Dans l'ensemble, cependant, il semble que les importations des pays désignés aient remplacé dans une mesure toujours plus grande les marchandises en question provenant de Corée et qui étaient assujetties aux contraintes découlant de la décision de 1983. En 1987, les importations du Brésil se sont maintenues à un niveau élevé, alors que l'ensemble des importations des autres pays désignés a baissé considérablement. En conséquence, la part des importations totales revenant à ces cinq pays est tombée à 30 p. 100.

L'enquête ouverte par le Sous-ministre au sujet des importations en provenance des pays désignés portait sur les 18 mois allant du 1er janvier 1986 au 30 juin 1987. Pendant cette période, 97,5 p. 100 des 23 126 tonnes examinées avaient été sous-évaluées dans une marge pondérée moyenne de 25,4 p. 100. Le Tribunal remarque que la période 1986-1987 a été particulièrement mauvaise pour l'industrie, les ventes ayant atteint alors leur point le plus bas en dix ans. Il ressort des éléments de preuve administrés lors de l'audience que la hausse des importations, qui s'est produite pendant cette période et qui était attribuable au dumping, a entraîné l'érosion et la compression des prix, la baisse du produit des ventes, l'augmentation des pertes, la baisse de l'emploi et la sous-utilisation de la capacité de production. Dans ces conditions, le Tribunal ne doute pas que, considéré globalement, le dumping des pays désignés a causé un préjudice sensible à l'industrie canadienne.

Cependant, il ressort clairement des éléments de preuve que les marchandises en question importées du Brésil étaient de loin la principale cause du préjudice. De fait, tout au long de la période de trois ans précédant la prise des engagements, le Brésil rendait compte à lui seul de la plus grande partie des importations en question provenant des pays désignés. En fait, en 1987, les importations brésiliennes constituaient plus des quatre cinquièmes (4/5) des importations combinées des pays désignés puisque ni le Luxembourg, ni la Pologne, ni la Turquie n'ont exporté de tubes cette année-là. Qui plus est, la part combinée du marché des pays désignés, à l'exclusion du Brésil, n'a jamais dépassé les 3 p. 100.

La période postérieure aux engagements

Si l'on considère la période postérieure aux engagements, le Tribunal conclut que, de tous les pays désignés, seul le Brésil a agi de façon à désorganiser le marché. Il ressort plus précisément des éléments de preuve que le Brésil s'est trouvé mécontent des niveaux de prix prévus dans ses engagements, et cela peu après qu'il ait signé ceux-ci en janvier 1988, avec pour résultat ultime le non-respect de ces engagements en 1991. Pendant toute la période postérieure aux engagements, le Brésil a continué d'occuper une place importante du marché, comme il l'avait fait pendant la période antérieure. Cependant, au cours de la première moitié de 1991, sa part du marché et son volume de ventes ont augmenté sensiblement alors que le marché dans son ensemble continuait de se rétrécir. De l'avis du Tribunal, l'apparition de ce phénomène dans un marché en retrait était sans aucun doute causée par le fait que le Brésil n'avait pas honoré ses engagements sur les prix.

Pour ce qui est des autres pays, les statistiques d'importation montrent que le Luxembourg a pleinement honoré son engagement de janvier 1988 à août 1991, période au cours de laquelle il n'a exporté aucune marchandise au Canada [1] . Il est vrai qu'un chargement d'environ 1 500 tonnes, dont le prix était inférieur au niveau prévu par l'engagement du Luxembourg, est arrivé en septembre 1991. M. Rolland de TradeARBED, le distributeur exclusif au Canada pour le Luxembourg, a témoigné à ce propos que les agents de Revenu Canada avaient examiné le prix auquel ces marchandises devaient être importées, et cela avant qu'elles ne le soient. Selon M. Rolland, les agents de Revenu Canada ont fait savoir que ce prix était conforme à l'engagement du Luxembourg. Par la suite, il est apparu que le prix applicable aux termes de l'engagement avait été sous-estimé d'un certain montant (moins de 10 p. 100) en raison d'un malentendu entre Revenu Canada et TradeARBED, avec pour résultat que les marchandises importées se trouvaient sous-évaluées de ce montant. Selon les éléments de preuve fournis par Olympia, le distributeur canadien qui a acheté les marchandises à TradeARBED, les marchandises sont restées pour une bonne part invendues dans son entrepôt en raison de la faiblesse de la demande.

Pour ce qui est de la Yougoslavie, il ressort des éléments de preuve produits qu'elle a maintenu un faible niveau d'exportation de 1988 à juin 1991 (date après laquelle des statistiques ne sont plus disponibles) tout en honorant pleinement son engagement. Dans le cas de la Pologne, dont les exportateurs n'ont pas pris d'engagement, il n'y a pas eu d'importation pendant la période faisant suite à l'engagement.

Même si la Turquie n'avait pas pris d'engagement, le Sous-ministre a vérifié, dans le cadre de l'examen général des engagements effectué par Revenu Canada en 1991, les activités des exportateurs turcs après la signature de ces engagements. Il ressort de cette vérification que la Turquie n'avait pas pris avantage du fait qu'elle n'était pas partie aux engagements de 1988. Le Sous-ministre a remarqué, dans la décision qu'il a rendue à la suite du réexamen, que Borusan, «... le plus important exportateur actif semble délibérément restreindre la quantité de marchandises expédiées au pays de manière à ne pas nuire au marché canadien... ». Le Sous-ministre a remarqué également que les statistiques américaines relatives aux importations de tubes turcs aux États-Unis montraient que «... les prix qui y sont demandés sont plus bas que ceux demandés au Canada» et que «[l]es prix plus élevés, qui prévalent au Canada, semblent être une autre indication de la prudence dont font preuve les exportateurs de Turquie». Le Tribunal ne s'est vu présenter aucun élément de preuve laissant penser que les observations ci-dessus relatives à la Turquie auraient, dans une mesure quelconque, cessé d'être valables au cours de l'année qui s'est écoulée depuis qu'elles ont été faites.

Viennent ensuite les questions de savoir s'il y aurait eu préjudice sensible en l'absence d'engagements, et ce à quoi il faut s'attendre à l'avenir si une décision de préjudice n'est pas rendue contre les pays désignés.

De l'avis du Tribunal, la réponse à ces questions est relativement simple uniquement dans le cas du Brésil. Le Brésil n'a pas honoré ses engagements et, comme il n'a pas participé à la procédure, il n'a pu éclairer le Tribunal quant à ses actes et à ses intentions. Il ressort des éléments de preuve produits que l'influence désorganisatrice du Brésil sur le marché canadien s'est poursuivie sans relâche après la prise des engagements et que le Canada est resté un débouché cible pour ce pays, dont les capacités d'exportation sont importantes. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d'avis que si le Brésil n'avait pas été lié par des engagements en 1988, il aurait fait tout ce qu'il aurait pu pour soutenir et accroître sa présence sur le marché canadien, y compris pratiquer le dumping, sans égard au préjudice sensible que cela aurait pu causer à l'industrie canadienne. De plus, le Tribunal n'a aucune raison d'en venir à des conclusions différentes quant à l'attitude que les exportateurs brésiliens auraient dans l'avenir s'ils n'étaient pas assujettis aux contraintes de conclusions positives.

Le Tribunal va maintenant se pencher sur les éléments de preuve relatifs aux quatre autres pays, en commençant par le Luxembourg. Le représentant canadien de TradeARBED a témoigné que TradeARBED aurait été satisfaite de continuer à travailler dans le cadre de l'engagement de 1988 si le Sous-ministre n'avait pas mis fin à celui-ci en raison du fait que le Brésil n'avait pas honoré les siens. Il a déclaré que TradeARBED avait vendu au Canada toute une série de produits d'acier à des fabricants d'acier et que les marchandises en question ne constituaient qu'une petite partie de son activité au Canada. En outre, TradeARBED était une société rentable qui ne cherchait pas à faire des affaires par tous les moyens.

Le Tribunal remarque que, si l'on exclut le chargement de septembre 1991, le Luxembourg est absent du marché canadien depuis cinq ans. En fait, il s'est retiré du marché canadien un an avant la prise des engagements, soit en 1987. Compte tenu des délais de livraison habituels des chargements provenant d'outre-mer, cela signifie que la dernière commande d'exportation du Luxembourg vers le Canada fut acquittée de quelque 10 à 12 mois avant que le Sous-ministre n'ouvre l'enquête de dumping pertinente dans la présente cause, soit en septembre 1987. Les faits et les dates laissent penser au Tribunal que l'absence du Luxembourg du marché canadien au cours des cinq dernières années n'était pas due seulement aux préoccupations et aux contraintes causées par l'enquête et par l'engagement pris par la suite. D'autres facteurs ont influé sur les activités du Luxembourg, y compris ses préoccupations quant à l'ensemble de son commerce de l'acier au Canada. Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est enclin à conclure que, tout compte fait, le Luxembourg n'aurait pas causé de préjudice sensible à la production au Canada, même en l'absence d'un engagement. Qui plus est, le Tribunal estime, en se fondant sur les mêmes considérations, qu'il n'est pas probable que le Luxembourg soit un facteur de désorganisation du marché dans l'avenir.

Dans le cas de la Yougoslavie, le Tribunal remarque qu'il a été constaté en octobre 1989 que ce pays pratiquait le dumping de tubes dans la CE. Le Tribunal estime que la situation européenne, même si elle mérite d'être prise en considération, ne doit pas faire oublier les faits relatifs à l'attitude de la Yougoslavie sur le marché canadien qui sont pertinents dans la présente cause. De fait, il appert que les exportations annuelles moyennes de la Yougoslavie vers le Canada sont restées à peu près au même niveau très modeste depuis sept ans. De plus, tel que nous l'avons déjà mentionné, la Yougoslavie a pu maintenir son niveau d'exportation pendant la période postérieure aux engagements sans pratiquer le dumping. En conséquence, rien ne permet de conclure que la Yougoslavie aurait causé un préjudice sensible en l'absence d'un engagement. Quant à l'avenir, il semble peu probable que les exportations de tubes provenant de Yougoslavie soient, à court terme, un élément notable du commerce international, compte tenu de la situation politique, économique et militaire dans laquelle se trouve actuellement ce pays.

Pour ce qui est de la Turquie, les éléments de preuve montrent, comme nous l'avons déjà souligné, que, quoique la Turquie ait exporté des marchandises en question au Canada pendant la période postérieure aux engagements, elle a tenté de le faire de façon à ne pas désorganiser le marché. Le Tribunal remarque également qu'une étude administrative récente du Department of Commerce des États-Unis a conduit à la conclusion qu'à toute fin pratique, les tubes et tuyaux turcs exportés vers les États-Unis par Borusan (le seul exportateur turc en activité au Canada) n'étaient pas sous-évalués. Cependant, dans une autre cause plus récente concernant les tubes et tuyaux écoulés dans la CE, Borusan a accepté un engagement après qu'ait été rendue une décision selon laquelle elle avait pratiqué le dumping dans une marge de 8,1 p. 100. Quoique d'autres exportateurs turcs soient également cités dans la décision de la CE, ils ne sont pas en activité au Canada, comme nous l'avons déjà précisé.

Le Tribunal prend note de tous ces éléments, mais ce qui en fin de compte importe surtout à ses yeux, c'est la façon dont la Turquie s'est comportée sur le marché canadien. À cet égard, il ressort clairement des données recueillies qu'à partir de 1988, Sunezco International Inc. (Sunezco), l'agent exclusif de Borusan au Canada, est restée volontairement en rapport étroit avec Revenu Canada, fournissant aux agents de celui-ci un préavis de ses activités et de ses importations. Pour montrer jusqu'où Sunezco est allée pour éviter de causer des difficultés sur le marché canadien, le propriétaire de la société, M. Nezih Bosut, a cité un chargement de 1988 au sujet duquel l'industrie canadienne nourrissait des préoccupations. Après avoir pris connaissance de ces préoccupations, il a vendu le chargement avec une perte importante en évitant ainsi de désorganiser l'industrie. M. Bosut a témoigné, en outre, que la vente de tubes turcs au Canada ne constituait pas l'essentiel de son activité. Sa principale activité consistait à acheter de l'acier canadien et à le vendre en Turquie à des producteurs turcs d'acier tubulaire. Selon M. Bosut, Sunezco est clairement intéressée à maintenir de bonnes relations avec les producteurs d'acier canadiens.

De plus, il ressort des éléments de preuve fournis que le volume des importations de Turquie et la part du marché que celle-ci détient ont augmenté au cours de la période postérieure aux engagements par rapport à la période antérieure. Cependant, ces gains ne semblent pas être dus au dumping car, comme nous l'avons déjà précisé, le Sous-ministre n'a rien trouvé qui indiquait que la Turquie avait tiré parti de l'absence de toute contrainte officielle sur ses exportations. En d'autres termes, la Turquie n'ayant pas eu besoin de sous-évaluer ses produits pour augmenter ses exportations, il semble raisonnable de conclure qu'elle ne les aurait pas sous-évalués. Le Tribunal est également d'avis, compte tenu de l'attitude adoptée par la Turquie depuis 1989, qu'il est peu probable que les exportateurs turcs se livrent à un dumping préjudiciable à l'avenir.

Selon les statistiques d'importation, la Pologne est absente du marché canadien depuis 1987 et n'a exporté qu'une quantité négligeable de marchandises en 1986. Cela signifie, comme dans le cas du Luxembourg, que les dernières commandes à l'exportation ont été exécutées longtemps avant l'enquête ouverte par le Sous-ministre en septembre 1987. Par conséquent, on ne peut dire que la disparition de la Pologne du marché ne soit qu'un effet de préoccupations relatives à l'enquête. Le peu d'intérêt de la Pologne pour le marché canadien est confirmé par les témoins cités par Olympia, qui ont déclaré qu'ils avaient approché les exportateurs polonais au cours des dernières années pour savoir s'ils seraient intéressés à faire de nouveau affaire au Canada, mais en vain. Tout ceci conduit le Tribunal à conclure que les exportateurs polonais se seraient probablement retirés du marché dans tous les cas. Il n'y a pas non plus de raison de conclure qu'ils sont susceptibles d'avoir une influence désorganisatrice sur le marché à l'avenir.

Le Tribunal remarque que l'avocat de l'industrie a soutenu qu'afin d'éviter que des sources d'approvisionnement soient substituées à d'autres, aucun pays désigné ne devrait être exclu de conclusions positives. Selon l'avocat, les marchandises en question provenant de ces divers pays sont vendues comme produits de base, et il y a peu de différence entre elles, si ce n'est le prix. C'est la raison pour laquelle les importateurs canadiens ont eu nettement tendance, par le passé, à substituer, comme sources d'approvisionnement, les pays qui n'avaient pas fait l'objet de conclusions à ceux qui en avaient fait l'objet. L'avocat a remarqué, en outre, que dans bien des cas les pays qui n'étaient pas visés par des conclusions se mettaient à pratiquer le dumping, si bien que l'industrie canadienne se voyait privée des avantages qu'elle comptait retirer des conclusions en vigueur et devait intenter de nouvelles actions contre ces pays. Le Tribunal convient que cette préoccupation générale est valable et qu'elle a exigé, et continuera sans doute d'exiger de l'industrie canadienne qu'elle fasse preuve de vigilance. Cependant, toute cause doit être décidée sur le fond, et, dans le cas présent, le Tribunal n'est pas en mesure de conclure, compte tenu des données et des éléments de preuve recueillis, que le Luxembourg, la Yougoslavie, la Turquie ou la Pologne présentent un danger de dumping préjudiciable au Canada.

LA CONCLUSION

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que :

- le dumping des tubes soudés en acier au carbone susmentionnés originaires ou exportés du Brésil, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires;

- le dumping des tubes soudés en acier au carbone susmentionnés originaires ou exportés du Luxembourg, de la Pologne, de la Turquie et de la Yougoslavie a causé, mais ne cause pas et n'est pas susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires; et

- le dumping des tubes soudés en acier au carbone susmentionnés originaires ou exportés uniquement du Brésil aurait causé un préjudice sensible, si ce n'était des engagements auxquels il s'est soumis.


1. Le Tribunal remarque que l'un des témoins comparaissant pour le compte de Stelpipe, M. Brian S. Cain de Comco Pipe & Supply Company (Comco), a témoigné que sa société avait acheté en 1988 et 1989 une petite quantité de marchandises en question originaires du Luxembourg à un distributeur des États-Unis. L'élément de preuve fourni par Comco sous la forme de documents d'importation pertinents montre que ces marchandises étaient classées dans des codes de marchandises qui ne décrivent pas les marchandises en question. Elles n'ont donc pas été rapportées comme marchandises en question par Statistique Canada.


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Publication initiale : le 17 juillet 1997