BICYCLETTES ET CADRES DE BICYCLETTES

Enquêtes (article 42)


BICYCLETTES ET CADRES DE BICYCLETTES ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE TAÏWAN ET DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE
Enquête no : NQ-92-002

TABLE DES MATIÈRES


Vancouver, le vendredi 11 décembre 1992

Enquête no : NQ-92-002

EU ÉGARD À une enquête en vertu de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation concernant les :

BICYCLETTES ET CADRES DE BICYCLETTES ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE TAÏWAN ET DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

C O N C L U S I O N S

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à une enquête, en vertu des dispositions de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 13 août 1992 et d'une décision définitive de dumping datée du 10 novembre 1992 rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, concernant l'importation au Canada des bicyclettes assemblées ou démontées, et des cadres de bicyclettes, avec des roues d'un diamètre de 16 pouces (40,64 cm) et plus, originaires ou exportés de Taïwan et de la République populaire de Chine.

Conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, que le dumping des bicyclettes assemblées ou démontées, avec des roues d'un diamètre de 16 pouces (40,64 cm) et plus, originaires ou exportées de Taïwan et de la République populaire de Chine, à l'exclusion des bicyclettes en question dont le prix de vente est supérieur à 325 $ CAN F.A.B. Taïwan et République populaire de Chine, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires, et que le dumping au Canada des cadres de bicyclettes en question, originaires ou exportés des pays susmentionnés, n'a pas causé, ne cause pas, mais est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre présidant


Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre


Desmond Hallissey
_________________________
Desmond Hallissey
Membre


Nicole Pelletier
_________________________
Nicole Pelletier
Secrétaire intérimaire

L'exposé des motifs sera rendu d'ici 15 jours.

Ottawa, le mardi 29 décembre 1992

Enquête no : NQ-92-002

BICYCLETTES ET CADRES DE BICYCLETTES ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE TAÏWAN ET DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

Loi sur les mesures spéciales d'importation - Déterminer si le dumping des marchandises susmentionnées a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

DÉCISION : Le Tribunal canadien du commerce extérieur a conclu que le dumping au Canada des bicyclettes assemblées ou démontées, avec des roues d'un diamètre de 16 pouces (40,64 cm) et plus, originaires ou exportées de Taïwan et de la République populaire de Chine, à l'exclusion des bicyclettes en question dont le prix de vente est supérieur à 325 $ CAN F.A.B. Taïwan et République populaire de Chine, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires, et que le dumping au Canada des cadres de bicyclettes en question, originaires ou exportés des pays susmentionnés, n'a pas causé, ne cause pas, mais est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l'audience : Du 16 au 28 novembre 1992

Date des conclusions : Le 11 décembre 1992
Date des motifs : Le 29 décembre 1992

Membres du Tribunal : Arthur B. Trudeau, membre présidant
Robert C. Coates, c.r., membre
Desmond Hallissey, membre

Directeur de la recherche : Selik Shainfarber
Gestionnaire de la recherche : Ken Campbell
Agents de la recherche : Peter Rakowski
Elizabeth McLean

Préposé aux statistiques : Nynon Burroughs

Avocat pour le Tribunal : Robert Desjardins

Agent à l'inscription et à la
distribution : Pierrette Hébert


Participants : C.J. Michael Flavell,
Geoffrey C. Kubrick,
Colin S. Baxter et
Gérald Lafrenière
pour Canadian Bicycle Manufacturers'
Association
Groupe Procycle Inc.
Les Industries Raleigh du Canada
Limitée
Victoria Precision Inc.

(parties plaignantes)
Richard S. Gottlieb et
Darrel H. Pearson
pour Canadian Tire Corporation, Limited
Distribution aux consommateurs
Compagnie de la Baie d'Hudson
Kmart Canada Limitée
Sports Distributors of Canada
Limited
Sports Experts Inc.
Toys «R» Us (Canada) Ltd.
F.W. Woolworth Co. Limited
Asama Enterprises Corporation
Kent International Inc.
Pinnacle Corporation
Pride International
Royce Union Bicycle Company Inc.
China Bicycles Company
(Holdings) Limited
Zellers Inc.
Hubert Lippé Enterprises Limited

(importateurs-exportateurs)
J. Christopher Osborne,
A. Neil Campbell,
Jennifer K. Badley,
Peter Clark,
John Haime,
Douglas Arthur et
Ken Besharah
pour Taiwan Transportation Vehicle
Manufacturers' Association

(exportateur)
James P. McIlroy
pour The Canadian Association of
Specialty Bicycle Importers

(importateur)
Paul K. Lepsoe et
Kevin Clease
pour Specialized Bicycle Components of Canada,
Inc.
Specialized Bicycle Components, Inc.

(importateur-exportateur)
Kimberley L.D. Cook
pour Norco Products Ltd.

(fabricant-importateur)
Pierre Primeau
Président
Action Vélo Plus Inc.

(importateur)
David Bowman
Président
Outdoor Gear Canada

(importateur)
Steven J. Kushneryk
Directeur général
Zero Bicycle Company

(fabricant-importateur)

Témoins :

Raymond Dutil
Président
Groupe Procycle Inc.

Éphrem Busque
Vice-président - Opération
Groupe Procycle Inc.

Daniel Maheux, C.A.
Directeur des finances
Groupe Procycle Inc.

Philip Stanimir
Président et Chef de la direction
Victoria Precision Inc.

Louis Nolet, C.A.
Contrôleur
Victoria Precision Inc.

Grant DeMarsh
Vice-président, Finances
Les Industries Raleigh du Canada Limitée

Farid Vaiya
Président
Les Industries Raleigh du Canada Limitée

Ron Hanson
Vice-président
Ventes, commercialisation et distribution
Les Industries Raleigh du Canada Limitée

George Milo
Directeur général
Pride International

Robert Watt
Acheteur principal
Zellers Inc.

Brent Hume
Acheteur en chef
Source for Sports
Sports Distributors of Canada Limited

John Simpson
Acheteur - Articles de sport
Compagnie de la Baie d'Hudson

F. Pieper
Conseiller technique
F.W. Woolworth Co. Limited

Hubert Lippé
Président
Hubert Lippé Enterprises Limited

Grace Tseng
Service de la commercialisation
Vice-présidente directrice
Industry Co. Ltd.

Lanty Chang
Directeur général
Bureau principal - Giant Global Group Merida
Giant Mfg. Co., Ltd.

James Chien
Directeur général adjoint
Fairly Bike Manufacturing Co., Ltd.

Stephen E. Codron
Directeur exécutif
Vice-président
Ventes et commercialisation
China Bicycles Company (Holdings) Limited

John W. Barker
Conseiller du Conseil d'administration
China Bicycles Company (Holdings) Limited

Bob Figgures
Directeur divisionnaire des marchandises
Toys «R» Us (Canada) Ltd.

B.J. Moroney
Acheteur adjoint
Articles de sport
Kmart Canada Limitée

Osborne Todd
Ministère des Finances

Vincent Lamoureux
Gérant national - Produits
Sports Experts Inc.

Bernard Veilleux
BVI Marketing Inc.

Robert Hanson
Acheteur - Articles de sport
Division des produits de loisirs
Canadian Tire Corporation, Limited

Jay C. Townley
Jay Townley & Associates

Michael Topliss
Directeur général - Canada
Giant Bicycle Canada, Inc.

Jacob Heilbron
The Bicycle Group

Tobi Schultze
Sportable

Gilles Bertrand
Cycle Bertrand

Barry Near
Sport Scoop

Robert Hainault
Zero Bicycle Company

Steven J. Kushneryk
Directeur général
Zero Bicycle Company

Bert Lewis
Président
Norco Products Ltd.

Jim Harman
Vice-président à la commercialisation
Norco Products Ltd.

Martin Vellend
Veltec Canada

Larry Koury
Directeur général
Specialized Bicycle Components of Canada, Inc.

Benoît G. Pratte, M.Sc.
Économiste
ISEC Stratégie Économique

Simon Roy
La Porte à Bicyclette

Robert Hughes
Le Vélomane

Régent Boyer
Le Bicycle Brisé

Pierre Primeau
Président
Action Vélo Plus Inc.

David Bowman
Président
Outdoor Gear Canada

Roméo Bayard
Directeur des ventes
Victoria Precision Inc.

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
20e étage
Tour Journal sud
365, avenue Laurier ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

DÉROULEMENT DE L'ENQUÊTE

Conformément aux dispositions de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [1] (la LMSI), le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a procédé à une enquête à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 13 août 1992 et d'une décision définitive de dumping datée du 10 novembre 1992 rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Sous-ministre), concernant l'importation au Canada des bicyclettes assemblées ou démontées, et des cadres de bicyclettes, avec des roues d'un diamètre de 16 pouces (40,64 cm) et plus, originaires ou exportées de Taïwan et de la République populaire de Chine (la Chine).

Les avis de décisions provisoire et définitive de dumping ont paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 29 août 1992 et du 28 novembre 1992, respectivement. L'avis d'ouverture d'enquête publié par le Tribunal le 17 août 1992 a paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 29 août 1992.

Dans le cadre de l'enquête, le Tribunal a fait parvenir des questionnaires détaillés aux fabricants et aux importateurs canadiens des marchandises en question dans le but d'obtenir des renseignements sur la production, la situation financière, les importations et le marché, ainsi que d'autres précisions, relativement à la période comprise entre 1988 et la première moitié de 1992. À partir des réponses aux questionnaires et d'autres sources, le personnel de recherche du Tribunal a préparé des rapports public et protégé préalables à l'audience portant sur la période à l'étude.

Le dossier de cette enquête comprend toutes les pièces du Tribunal, y compris les parties publiques et protégées des réponses aux questionnaires, toutes les pièces déposées par les parties à l'audience, ainsi que la transcription intégrale des délibérations. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties, mais seuls les avocats et procureurs indépendants qui avaient remis un acte d'engagement ont eu accès aux pièces protégées.

Une conférence préparatoire à l'audience a eu lieu à Ottawa (Ontario) le 28 octobre 1992 afin de discuter de questions touchant l'enquête et le déroulement de l'audience.

Les audiences publiques et à huis clos ont été tenues à Ottawa (Ontario) à compter du 16 novembre 1992. Les parties plaignantes, la Canadian Bicycle Manufacturers' Association, le Groupe Procycle Inc. (Procycle), Les Industries Raleigh du Canada Limitée (Raleigh) et Victoria Precision Inc. (Victoria), étaient représentées par des avocats à l'audience. De nombreux exportateurs et importateurs étaient aussi représentés par des avocats et des procureurs à l'audience.

Le 11 décembre 1992, le Tribunal a rendu des conclusions selon lesquelles le dumping au Canada des bicyclettes assemblées ou démontées, avec des roues d'un diamètre de 16 pouces (40,64 cm) et plus, originaires ou exportées de Taïwan et de la Chine, à l'exclusion des bicyclettes en question dont le prix de vente est supérieur à 325 $ CAN F.A.B. Taïwan et Chine, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires, et que le dumping au Canada des cadres de bicyclettes en question, originaires ou exportés des pays susmentionnés, n'a pas causé, ne cause pas, mais est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

PRODUIT

Dans la décision provisoire de dumping, le Sous-ministre décrit le produit qui fait l'objet de la présente enquête comme des bicyclettes assemblées ou démontées, et des cadres de bicyclettes, avec des roues d'un diamètre de 16 pouces (40,64 cm) et plus, originaires ou exportés de Taïwan et de la Chine.

Les bicyclettes en question se composent de six éléments de base : le cadre, la transmission, les roues, la selle, le guidon et les freins, dont chacun est formé de plusieurs pièces de type à enclenchement. Le cadre se compose de trois tubes soudés ensemble pour former la structure triangulaire de la bicyclette, à laquelle est fixé le triangle arrière formé de la fourche arrière et de la fourche du pédalier, qui retiennent la roue arrière, ainsi que de la fourche qui relie la roue avant au cadre.

Les différences de matériau et de qualité globale du cadre, de la transmission et des roues expliquent la gamme variée de modèles et de prix des bicyclettes. Par exemple, le cadre peut être construit selon une méthode de soudage classique ou une méthode plus avancée qui utilise des tubes munis d'oreilles et brasés pour réaliser une soudure sans joint. De même, la transmission, qui est formée de dérailleurs, de leviers de vitesse, d'un pédalier, d'une roue libre, d'une chaîne et de pédales, peut fonctionner selon un des trois systèmes de base de changement de vitesse : le système à friction standard, le système mécanique communément appelé SIS (système indexé Shimano) ou le système à bouton-poussoir de haute technicité, appelé le STI (intégration totale Shimano), du nom d'une société japonaise qui est chef de file des composants de bicyclettes.

Les trois principaux types de bicyclettes communément vendus au Canada sont les vélos de ville, les vélos tout-terrain et les hybrides. Chacun est présenté en catégories junior-adultes et hommes-femmes, et peut être catégorisé également selon les dimensions des roues, le nombre de vitesses et les dimensions du cadre. Le vélo tout-terrain, qui est arrivé sur le marché canadien en 1984, est devenu populaire en 1986 et n'a pas tardé à déloger le vélo de course, le favori des années 70. L'hybride, qui est une combinaison de vélo tout-terrain et de vélo de course, est arrivé en 1989. Ensemble, les modèles tout-terrain et hybride représentent environ 70 p. 100 du marché canadien actuel.

INDUSTRIE CANADIENNE

Les trois parties plaignantes, Procycle, Raleigh et Victoria, représentent environ 90 p. 100 des bicyclettes actuellement produites au Canada et, aux fins de cette enquête, constituent l'industrie canadienne. Chacune des entreprises fabrique des bicyclettes portant une marque nominale et des bicyclettes portant une marque de détaillant qui sont vendues à l'industrie de la vente au détail. Les bicyclettes de marque nominale de Procycle sont la CCM, la Vélo Sport, la Peugeot et la LOOK, celles de Raleigh comprennent la Raleigh et la Triumph, alors que Victoria vend les siennes sous les marques nominales Leader, Minelli et Precision. Les trois entreprises fabriquent elles-mêmes leurs cadres dans leurs usines canadiennes, mais Victoria importe un faible volume de cadres de Taïwan. De même, certains guidons ainsi que certaines fourches arrière et jantes sont fabriqués au Canada, mais d'autres composants sont importés des États-Unis, d'Europe et d'Extrême-Orient.

Les petites entreprises, qui interviennent pour les 10 p. 100 qui restent de la production canadienne, comprennent Norco Products Ltd. (Norco), qui fabrique et importe des vélos tout-terrain de milieu de gamme à haut de gamme ainsi que des bicyclettes spécialisées et leurs pièces et accessoires. Rocky Mountain Bicycle Co. Ltd. est une société privée qui se spécialise dans les vélos tout-terrain haut de gamme se détaillant jusqu'à 4 500 $. Enfin, Miele Bicycles (1991) Ltd. est une société privée qui se spécialise dans des produits de milieu de gamme à haut de gamme vendus sous le nom Miele, et est connue au Canada et en Europe comme fabricant de vélos de course sur route.

En 1989, Universal Bicycle Ltd. (Universal), un important fabricant canadien, a cessé toute production. L'entreprise, constituée en société en 1962, avait été un producteur de masse de bicyclettes de marque de détaillant vendues à prix modique. Universal a fermé ses installations de production de Drummondville (Québec) en 1988, puis son usine de Scarborough (Ontario) en 1989.

Les bicyclettes fabriquées au Canada sont commercialisées sous des marques de détaillant et des marques nominales. Une bicyclette de marque de détaillant est généralement fabriquée selon le devis d'un détaillant qui choisit aussi le nom à apposer sur le produit pour le distinguer des produits semblables vendus par d'autres détaillants. Les bicyclettes de marque de détaillant se vendent généralement dans les magasins à très grande surface de vente (les grandes surfaces) et par l'entremise de consortiums d'achat. Les bicyclettes de marque nominale portent un nom qui appartient au fabricant. Étant donné que le nom fait l'objet d'une publicité, le produit de marque nominale commande un prix supérieur et a une meilleure réputation aux yeux du consommateur. Les bicyclettes de marque nominale se vendent en général par l'entremise du réseau de distribution.

POSITION DES PARTIES PLAIGNANTES

Les parties plaignantes ont fait valoir que, selon les preuves fournies dans cette cause, le Tribunal devrait conclure que le dumping des marchandises en question a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Selon les avocats, les parties plaignantes ont éprouvé et éprouvent toujours de graves difficultés en raison d'une augmentation indéniable et très visible des importations en provenance de Taïwan et de la Chine qui entrent au Canada depuis ces dernières années. Au cours de la première moitié de 1992, où les ventes unitaires et la part du marché des parties plaignantes ont reculé par rapport à la première moitié de 1991, les importations en provenance de la Chine ont plus que triplé et ont représenté plus d'un quart du marché canadien. Au milieu de 1992, Taïwan et la Chine détenaient ensemble 56 p. 100 de la part du marché, avec plus de 700 000 bicyclettes vendues [2] . Le rôle joué par certains agents et importateurs a considérablement facilité cette augmentation subite d'importations en provenance de Taïwan et de la Chine. Pendant cette période, aucun autre intervenant n'avait une présence importante sur le marché et aucun autre facteur que le dumping ne peut expliquer les pertes canadiennes.

L'augmentation subite d'importations sous-évaluées a eu des incidences préjudiciables sur l'industrie canadienne. L'importance du préjudice se manifestait non seulement par la perte massive de la part du marché, mais également par la détérioration progressive des résultats financiers de l'industrie, ainsi que de la réduction de l'emploi et de l'utilisation de la capacité de production, et des reports d'investissement. Les coûts fixes étant répartis sur des volumes de production plus faibles, les coûts unitaires ont augmenté et les marges bénéficiaires ont diminué. Plus particulièrement, l'importante baisse des ventes en 1991 a fait chuter les ventes nettes et les profits bruts de 30 p. 100 par rapport à l'année précédente. En pourcentage des ventes, les frais généraux et les frais de commercialisation et d'administration, ainsi que les frais d'intérêts, ont augmenté considérablement. Les réductions des ventes et l'augmentation relative des coûts ont fait diminuer de 86 p. 100 les profits avant impôt. Avec un autre recul de 10 p. 100 des ventes, les parties plaignantes ont vu leurs résultats financiers continuer de se détériorer, et, en 1992, elles ont fait état de leurs plus piètres résultats des cinq dernières années.

Le préjudice causé par le dumping faisait ses ravages dans une industrie qui, selon les avocats, connaissait depuis plusieurs décennies des succès exemplaires, ayant fabriqué et vendu à des clients satisfaits des millions de bicyclettes de qualité. L'industrie a aussi cherché à améliorer de façon continue au fil des ans la qualité, l'efficience, la gamme de produits et l'intérêt pour le consommateur. Elle s'est montrée dynamique et innovatrice, et a suivi les tendances du marché, comme en témoignent le lancement du vélo tout-terrain au Canada en 1984, et du vélo hybride en 1989, ainsi que ses récents investissements dans des techniques telles que la robotique et les méthodes avancées de soudage comme le système de brasage direct. Les résultats de l'industrie font mentir les allégations suivant lesquelles les bicyclettes canadiennes ne soutiennent pas les comparaisons de qualité et de prix avec les produits d'outre-mer.

Si le produit canadien avait effectivement été inférieur, ou si l'industrie canadienne avait été aussi peu compétitive ou aussi dépassée que l'ont soutenu les avocats et les procureurs de l'opposition, les parties plaignantes n'auraient pas réussi à rester en affaires pendant autant de décennies. De fait, la longévité de l'industrie canadienne est la preuve de sa polyvalence et de sa capacité de produire une vaste gamme de bicyclettes destinées aux créneaux bas de gamme, milieu de gamme et haut de gamme. L'industrie a démontré par le passé, et continue de démontrer, qu'elle est capable de répondre aux exigences différentes des grandes surfaces qui vendent des bicyclettes de bas de gamme à milieu de gamme, et des distributeurs, qui vendent des marques de bicyclettes de milieu de gamme à haut de gamme.

Il est vrai que la commercialisation et la publicité des parties plaignantes s'adressaient au grand public, plutôt qu'aux «mordus» recherchant un produit spécialisé. Selon les parties plaignantes, il s'agissait là d'une saine stratégie d'entreprise. De toute façon, les parties plaignantes ont mis en place un vaste réseau de distribution et sont très présentes dans tous les secteurs du marché de la bicyclette.

Les avocats ont concédé que les parties plaignantes avaient, à l'occasion, des malentendus avec leurs clients. Ces malentendus n'étaient pas plus graves que ceux dans une autre industrie, et, de façon générale, étaient inévitables dans l'exploitation d'une entreprise. Cela ne changeait rien au fait que la vigueur économique des parties plaignantes était sapée par le dumping massif des bicyclettes en provenance de Taïwan et de la Chine. La question cruciale était donc celle du prix. Les parties plaignantes ont fait valoir que les faiblesses ou d'autres questions concernant, par exemple, la qualité des bicyclettes canadiennes ou la façon dont ces dernières étaient annoncées ou commercialisées avaient moins de conséquence que le prix.

L'importance du prix dans le choix d'un fournisseur était illustrée par le fait que seules les grandes surfaces les plus préoccupées par le prix, comme Canadian Tire Corporation, Limited (Canadian Tire), Zellers Inc. (Zellers), Kmart Canada Limitée et Woolco, se sont opposées à la demande de protection antidumping des parties plaignantes. C'est particulièrement avec ce genre de client que les parties plaignantes ont vu les produits étrangers sous-évalués leur enlever des ventes considérables. Les grandes surfaces qui vendent des produits de qualité supérieure, comme Eaton's of Canada Limited et Sears Canada Inc., ont continué d'acheter des bicyclettes canadiennes en volumes importants.

Les pertes de ventes des fabricants canadiens au niveau des grandes surfaces ont été aggravées par les pertes au niveau des distributeurs, comme l'ont démontré les témoignages non contredits des parties plaignantes. En outre, un grand nombre des clients que les parties plaignantes ont dit avoir perdus auraient été des clients importants des membres de la Canadian Association of Specialty Bicycle Importers (CASBI), ce qui contredit le thèse de CASBI, qui prétend que ses importations ne font pas concurrence aux produits des parties plaignantes.

Une étude effectuée par le personnel du Tribunal a révélé que les prix de vente moyens des produits canadiens ont diminué depuis deux ans. Bien que, comme l'étude l'a fait ressortir, d'autres facteurs comme la gamme des produits peuvent influer sur les valeurs moyennes, les tendances à la baisse signalées étaient corroborées par des témoignages oraux et la preuve écrite recueillis lors de l'audience. Les éléments de preuve appuyaient donc l'allégation de compression et d'érosion des prix causées par les importations en provenance de Taïwan et de la Chine.

Pour ce qui est des cadres, les avocats ont soutenu qu'ils doivent être visés par les conclusions de préjudice sensible, au motif que les cadres font partie intégrante des bicyclettes. Si les cadres étaient exclus, il serait trop facile pour les importateurs de contourner les conclusions en important des cadres sous-évalués destinés à être assemblés en bicyclettes faisant concurrence au produit canadien.

Les avocats ont fait valoir que l'industrie canadienne était déjà nettement avantagée par la décision provisoire de dumping rendue par le Sous-ministre en vertu de laquelle des droits antidumping provisoires ont été imposés à compter d'août 1992. Certains grands clients, qui étaient passés dans les camps taïwanais et chinois, avaient déjà recommencé à s'approvisionner au Canada. Cette tendance se maintiendrait vraisemblablement si les règles du jeu étaient équitables.

Pour ce qui est de la probabilité de préjudice sensible, les avocats ont signalé que l'industrie taïwanaise et chinoise avait une énorme capacité qui ne cessait de s'accroître. Les éléments de preuve fournis lors de l'audience ont confirmé l'ouverture de nouvelles usines en Chine, dont certaines qui sont financées par des entrepreneurs taïwanais tirant parti de l'effort d'expansion des marchés d'exportation de la Chine et de l'abondance d'une main-d'oeuvre bon marché en Chine. Il était clair que les pays en cause continueraient d'inonder le marché de produits sous-évalués si aucune mesure n'était prise. Les éléments de preuve présentés tout au long de l'audience ont révélé que les parties plaignantes prenaient toutes les mesures pour accroître leur compétitivité en réduisant les coûts et en mettant en oeuvre des stratégies d'entreprise efficaces. Cependant, ces mesures à elles seules ne suffiraient pas à assurer la viabilité future des parties plaignantes si ces dernières devaient continuer d'affronter la concurrence des volumes considérables de bicyclettes ou de cadres sous-évalués.

POSITION DES IMPORTATEURS ET DES EXPORTATEURS

Les avocats et les procureurs de Canadian Tire et al., de la Taiwan Transportation Vehicle Manufacturers' Association (la TTVMA), de CASBI et de Specialized Bicycle Components of Canada, Inc. (Specialized Bicycle) ont chacun soutenu, dans des présentations distinctes, que les importations en question n'ont pas causé, ne causent pas et ne sont pas susceptibles de causer un préjudice sensible à la production canadienne de marchandises similaires. Ils ont affirmé que tout préjudice subi par les producteurs canadiens était dû à des facteurs autres que le dumping.

Les avocats de Canadian Tire et al. ont soulevé de nombreux points concernant les pratiques et les procédures de chacune des parties plaignantes en matière de finances, de commercialisation, de comptabilité et d'autres aspects de l'exploitation. Leurs arguments peuvent essentiellement se résumer comme suit.

Dans l'ensemble, les parties plaignantes ont pris des décisions de gestion peu judicieuses, et elles sont responsables du préjudice qu'elles ont subi. Les présentations faites au Tribunal et les témoignages reçus lors de l'audience publique ont donné des exemples faisant voir que les producteurs canadiens n'ont pas approché de clients ou ne leur ont pas proposé de prix, qu'ils étaient récalcitrants à alimenter certains marchés ou à fournir certains produits à certains prix, et que leur produit était inférieur et leur service mauvais, sans compter qu'ils ne répondaient pas aux devis ni aux besoins des clients.

En ce qui a trait aux bicyclettes de bas de gamme, la récession a forcé les clients à rechercher des bicyclettes des plus basses gammes. Ceux qui offraient des bicyclettes des plus basses gammes ont effectué des ventes. Les importateurs avaient répondu à cette nouvelle conjoncture en offrant un produit innovateur à prix raisonnable. Ils ont occupé un créneau du marché qu'ils ont créé eux-mêmes ou que les producteurs canadiens n'avaient pas bien servi en refusant de fournir un produit de marque nominale aux grandes surfaces. De plus, en raison du caractère saisonnier de leurs opérations et de leur capacité limitée en périodes de pointe, les producteurs canadiens n'ont peut-être pas pu offrir aux grandes surfaces le volume requis de bicyclettes de bas de gamme.

Outre les éléments généraux qui précèdent, les avocats ont soulevé des points précis concernant chacune des parties plaignantes. En premier lieu, dans le cas de Victoria, ils ont fait valoir que l'entreprise avait un rendement exemplaire dans la période économique difficile que nous traversons, et qu'elle réalisait des profits raisonnables. Sa position financière reflétait des transactions financières internes liées au fait que son propriétaire actuel a acheté l'entreprise à son père. Loin de perdre des ventes, cette entreprise maintenait sa stabilité ou prenait de l'expansion auprès de ses principaux clients. Les éléments de preuve relatifs à la compression et à l'érosion des prix étaient jugés non concluants parce qu'ils s'appuyaient sur des comparaisons de prix qui sont difficiles à faire d'une année à l'autre étant donné les changements apportés aux caractéristiques des produits cyclistes. Les diminutions de prix traduisaient plutôt les efforts qu'a faits Victoria pour percer le marché de la bicyclette pour adultes à compter du milieu des années 80, dans le cadre d'une décision stratégique de commercialisation visant à l'affranchir des ventes de bicyclettes d'enfants. Enfin, la perte d'emploi dont il a été fait état était imputable à des améliorations de la productivité et non à une réduction de la production.

En deuxième lieu, il a été allégué que les résultats financiers de Raleigh s'expliquent par des transactions sans rapport avec les marchandises en question, comme des prêts et des paiements de dividendes du fait de la relation de Raleigh avec Raleigh U.S.A. et avec leur société mère commune, Derby International. Les difficultés de Raleigh s'expliquent aussi par les mauvais rapports qu'elle entretenait avec ses clients, tel qu'il ressort de la façon dont elle a réglé un différend l'opposant à Canadian Tire, de son retrait volontaire de certains segments du marché et de son refus de vendre la marque Raleigh aux grandes surfaces, ratant ainsi l'occasion de faire des affaires avec des clients à volumes importants comme Woolco, Sports Distributors of Canada Limited ou Toys «R» Us (Canada) Ltd.

En dernier lieu, les difficultés financières de Procycle ont été imputées à un niveau élevé d'endettement et aux frais financiers qui en ont résulté ainsi qu'à des dépenses extraordinaires. Une expansion coûteuse et inutile a entraîné une capacité excédentaire et un surstock qu'il a fallu vendre à prix stratégiques. La perte de part du marché de Procycle était la conséquence d'une décision délibérée de restreindre les activités de cette entreprise sur le marché et d'abandonner certains segments non rentables comme les bicyclettes d'enfants et les bicyclettes de marque de détaillant.

Quant à l'avenir, les avocats des détaillants ont aussi signalé que, dans l'ensemble, les trois parties plaignantes avaient déjà pris des mesures pour régler leurs difficultés et restructurer leurs stratégies de production et de commercialisation. En raison d'un cours de change favorable, grâce à une perte de valeur du dollar canadien, elles étaient bien engagées sur la voie de la vigueur financière et n'avaient pas besoin de la protection de droits antidumping.

Les procureurs de la TTVMA ont affirmé eux aussi que l'industrie canadienne était responsable de ses problèmes. Ils lui ont reproché d'être incapable de déceler les tendances du marché, de ne pas avoir su commercialiser énergiquement les produits de marque nominale auprès des grandes surfaces, d'avoir mal géré ses finances, en donnant pour preuve son endettement considérable et le niveau élevé de ses frais généraux ainsi que de ses frais de commercialisation et d'administration, et d'avoir présenté un mauvais rendement sur le marché d'exportation. Ils ont mentionné, parmi les autres facteurs non liés au dumping qui ont contribué au préjudice subi par les parties plaignantes, la récession, la disparition de certains clients victimes d'une faillite, l'effet des achats transfrontières et les taux d'intérêt élevés.

Les procureurs de la TTVMA ont maintenu que le marché de la bicyclette se partageait de plus en plus clairement entre des produits de bas de gamme à milieu de gamme vendus au public par l'entremise des grandes surfaces et des produits de milieu de gamme à haut de gamme achetés par les «mordus» du vélo chez les distributeurs spécialisés. Dans bien des marchés, comme les États-Unis, les producteurs se spécialisaient déjà dans l'un ou l'autre de ces segments de marché distincts. Cela s'inscrivait dans une tendance mondiale, selon le témoignage d'un expert entendu par le Tribunal. Dans ce marché bifurqué, des exportateurs taïwanais comme Giant Mfg. Co., Ltd. (Giant), premier producteur de bicyclettes à Taïwan, ainsi que Merida Industry Co. Ltd. et Fairly Bike Manufacturing Co., Ltd. occupaient le segment du marché où ils ne représentent pas une véritable menace pour l'industrie canadienne, à savoir le segment servi par les distributeurs spécialisés indépendants. Leur position s'inscrivait dans une stratégie délibérée, poursuivie depuis plusieurs années, visant l'accession à un créneau de meilleure qualité, comme en témoignent l'augmentation des valeurs moyennes assortie d'une diminution des volumes de leurs ventes.

La réduction des ventes taïwanaises des marchandises en question depuis la décision provisoire de dumping résulte du maintien de cette tendance et elle reflète également un changement des habitudes d'achat des clients. On ne saurait y voir la preuve que le dumping a causé un préjudice. En outre, les exportateurs importants, comme Giant, réalisaient des marges bénéficiaires suffisamment considérables pour absorber, à court terme, les droits antidumping provisoires imposés en vertu de la décision provisoire de dumping tout en restant en mesure de garantir certains niveaux de prix à leurs clients canadiens. Le fait qu'ils ont été en mesure d'agir de cette façon ne doit pas être considéré comme une preuve de pratique de prix abusifs ni interprété comme une tentative de contourner les conclusions.

L'avocat de CASBI, qui représente des acheteurs exerçant leurs activités essentiellement dans le segment des bicyclettes de milieu de gamme à haut de gamme du marché des distributeurs, a appuyé fermement la thèse de la bifurcation du marché et a maintenu que les parties plaignantes avaient eu tort de chercher à alimenter les deux segments du marché, ainsi qu'à trop se concentrer sur quelques ventes importantes à de grands détaillants canadiens, négligeant ainsi les marchés d'exportation essentiels à la survie dans l'économie mondiale née de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce [3] et de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis [4] .

L'avocat de CASBI prétendait essentiellement que le préjudice subi par les parties plaignantes ne pouvait être relié aux activités des membres de CASBI, qui se spécialisent dans un segment du marché différent. Aucun élément de preuve n'a été fourni selon lequel les membres de CASBI avaient enlevé des ventes aux parties plaignantes qui offraient surtout des bicyclettes de bas de gamme à milieu de gamme représentant un segment du marché qui est sans intérêt pour CASBI. Le préjudice subi par Victoria ne peut être relié à une perte de ventes au profit des membres de CASBI, étant donné que Victoria cible le marché familial et ne vend pas de bicyclettes de plus de 450 $, qui sont le produit de prédilection des distributeurs. De même, Raleigh n'est pas dans le marché des bicyclettes de plus de 700 $ et, dans le cas de Procycle, les deux modèles qui se détaillent à plus de 700 $ (LOOK et Peugeot) sont l'un et l'autre détenus en vertu de licences qui pourraient être retirées à tout moment.

Au sujet de l'analyse de prix que le Tribunal a faite, l'avocat a signalé l'écart documenté entre les prix moyens canadiens et les prix moyens de son client. Il y voyait une preuve de plus que les parties plaignantes n'étaient pas en concurrence avec les membres de CASBI, mais entre elles-mêmes, surtout dans le segment de bas de gamme du marché. Dans le cas où, malgré les prétentions des avocats et des procureurs s'opposant à la plainte de l'industrie, le Tribunal devait conclure au préjudice, l'avocat de CASBI réclamait une exclusion pour les bicyclettes en provenance de la Chine et de Taïwan dont la valeur F.A.B. Taïwan dépassait 150 $ CAN, ce qui correspond à un prix de détail au Canada d'environ 410 $. La même demande d'exclusion a été présentée par Specialized Bicycle, importateur canadien ciblant les «mordus» du vélo en quête d'un produit de qualité, qui affirmait ne pas être en concurrence avec le produit offert par l'industrie canadienne, ainsi que par un représentant d'Action Vélo Plus Inc. (Action), consortium d'achat représentant quelque 35 distributeurs, qui a soutenu que les fabricants canadiens ne pouvaient répondre aux besoins de ses distributeurs.

Quant aux cadres, le procureur de Norco a aussi réclamé une exclusion si des conclusions de préjudice sensible étaient rendues, au motif que les cadres constituent une catégorie distincte de «marchandises similaires» et sont différents des bicyclettes sur le plan de la concurrence et du fonctionnement. Si l'argument des «marchandises similaires» n'était pas accepté par le Tribunal, le procureur a soutenu que les cadres devaient être exclus au motif que les parties plaignantes n'ont fourni aucun élément de preuve révélant qu'un préjudice sensible a été causé par des importations de cadres sous-évaluées.

Le procureur devait ajouter qu'il n'y a pas à craindre que l'importation de cadres puisse amener à contourner les conclusions. L'ouverture du jour au lendemain de nouvelles usines de montage dont le produit ferait concurrence au produit des parties plaignantes exigerait la réunion de plusieurs facteurs propices à l'efficience. L'importation de cadres seuls ne serait pas un danger imminent à cet égard.

INDICATEURS ÉCONOMIQUES

Indicateurs de rendement de l'industrie

Le tableau qui suit résume les principaux indicateurs de rendement pour l'industrie canadienne de la bicyclette.

INDICATEURS ÉCONOMIQUES
DE L'INDUSTRIE CANADIENNE DE LA BICYCLETTE

1988

1989

1990

1991

1ère moitié
1991

1ère moitié
1992

Marché apparent total (000 unités)

1 557

1 457

1 541

1 334

1 134

1 297

Part du marché des producteurs (%)

75

66

55

43

46

37

Part du marché des importateurs - pays en cause (%)

17

24

34

49

43

56

Part du marché des importateurs - autres pays (%)

8

10

11

8

11

7

Part du marché totale - importations (%)

25

34

45

57

54

63

Production de l'industrie1 (000 unités)

1 271

1 033

896

629

464

432

Profit brut des parties plaignantes2 (indice 1988=100)

100

117

129

89

n.d.

67*

Utilisation de la capacité de l'industrie (%)

44

46

51

34

42

40

Emploi dans l'industrie (000 heures travaillées)

1 400

1 378

1 382

1 184

761

659

n.d. = non disponible.

* Estimation pour tout l'exercice de 1992.

1. Comprend la production pour les marchés canadien et d'exportation.

2. Raleigh, Victoria et Procycle.

Source : Rapport préalable à l'audience, révisé.

De 1988 à 1990, le marché apparent total de la bicyclette est demeuré stable à environ 1,5 million d'unités. Pendant cette période, la part du marché des producteurs canadiens a diminué pour passer de 75 p. 100 à 55 p. 100 pendant que la part du marché représentée par les importations en provenance de Taïwan et de la Chine est passée de 17 p. 100 à 34 p. 100. La production intérieure a aussi chuté pour la même période, passant de 1,3 million à 0,9 million d'unités. Le nombre moyen d'heures travaillées est demeuré relativement constant sur la période de trois ans terminée en 1990.

En 1991, dans un marché en recul, les producteurs canadiens ont perdu encore 12 points de part du marché. Cette perte est allée surtout aux importations en provenance des pays en cause, qui ont gagné encore 15 points de part du marché. La baisse de la part du marché et des ventes a provoqué un net recul des profits bruts des parties plaignantes, qui ont chuté de plus de 30 p. 100 en 1991 par rapport à 1990. La baisse des bénéfices bruts s'est poursuivie sans ralentissement en 1992. En outre, la production et le nombre d'heures travaillées dans l'industrie ont diminué de 30 p. 100 et de 14 p. 100, respectivement, en 1991. Les résultats pour la première moitié de 1992 ont révélé que la situation s'aggrave davantage pour l'industrie nationale.

Commercialisation

Les bicyclettes se vendent dans les grandes surfaces et chez des distributeurs indépendants. Pour l'essentiel, les grandes surfaces vendent des bicyclettes de marque de détaillant de bas de gamme à milieu de gamme. Les distributeurs vendent généralement des bicyclettes de marque nominale de milieu de gamme à haut de gamme. Le tableau ci-après résume les ventes de bicyclettes aux grandes surfaces et aux distributeurs.

BICYCLETTES - MARCHÉ APPARENT
GRANDES SURFACES ET DISTRIBUTEURS
(000 unités)

1988

Part %

1989

Part %

1990

Part %

1991

Part %

1ère Moitié
1991

Part %

1ère Moitié
1992

Part %

Ventes provenant de la production nationale

Grandes surfaces

759

49

572

39

463

30

273

20

265

23

236

19

Distributeurs

409

26

387

27

380

25

302

23

255

23

234

18

Total

1 168

75

959

66

843

55

575

43

520

46

470

37

Ventes des importateurs

Grandes surfaces

259

17

307

21

473

31

539

40

451

40

715

54

Distributeurs

130

8

191

13

225

14

220

17

163

14

112

9

Total

389

25

498

34

698

45

759

57

614

54

827

63

Marché total

Grandes surfaces

1 018

65

879

60

936

61

811

60

717

63

951

73

Distributeurs

539

35

578

40

605

39

523

40

417

37

346

27

Total

1 557

100

1 457

100

1 541

100

1 334

100

1 134

100

1 297

100

Source : Questionnaires du Tribunal et données corrigées de Statistique Canada.

Bien que les ventes de l'industrie nationale aux grandes surfaces et aux distributeurs aient diminué au cours de la période de trois ans se terminant en 1991, les ventes au marché des grandes surfaces ont été surtout touchées durement. Les ventes sur ce marché sont tombées de 759 000 unités en 1988 à 273 000 unités en 1991, soit une chute de 64 p. 100. En 1988, les ventes de l'industrie nationale aux grandes surfaces représentaient 49 p. 100 du marché total et, en 1991, 20 p. 100. Les ventes de l'industrie nationale au marché des distributeurs ont aussi diminué, passant de 409 000 unités en 1988 à 302 000 unités en 1991. Les ventes de l'industrie aux deux marchés ont continué de baisser au cours de la première moitié de 1992 par rapport à la première moitié de 1991.

Par contraste, les ventes d'importations aux grandes surfaces ont augmenté considérablement pendant la période de trois ans se terminant en 1991, passant de 259 000 unités en 1988 à 539 000 unités en 1991. Ces ventes représentaient 17 p. 100 du marché total en 1988, et 40 p. 100 en 1991. Les ventes d'importations aux distributeurs ont aussi augmenté pendant la même période, passant de 130 000 unités, représentant 8 p. 100 du marché total, à 220 000 unités, ou 17 p. 100 du marché total. Les importateurs ont continué de faire de grandes percées sur le marché des grandes surfaces pendant la première moitié de 1992, comme l'indique leur augmentation de 14 points de part du marché par rapport à la première moitié de 1991. Cependant, au cours des mêmes tranches de 1991 et 1992, les ventes des importateurs aux distributeurs ont diminué de 5 points.

Prix

Le personnel du Tribunal a effectué une étude des ventes et des prix [5] de certains clients grandes surfaces et distributeurs. Dans le cas des clients grandes surfaces, l'étude a révélé que la valeur moyenne des produits d'origine canadienne était généralement plus élevée que celle des bicyclettes en provenance de Taïwan et de la Chine. En 1991, les valeurs moyennes pour le Canada étaient supérieures de 27 p. 100 aux valeurs moyennes des bicyclettes de Taïwan et supérieures de 58 p. 100 aux valeurs moyennes des bicyclettes de la Chine. De même, en 1992, les valeurs moyennes pour le Canada dépassaient d'environ 14 p. 100 celles de Taïwan et 29 p. 100 celles de la Chine.

Les ventes de l'industrie nationale aux grandes surfaces qui ont participé à l'étude ont diminué de 47 p. 100 en 1991 et ont connu une nouvelle baisse de 42 p. 100 en 1992. Globalement, ces ventes sont allées aux importateurs de bicyclettes de Taïwan et de la Chine, dont les ventes combinées ont augmenté de 89 p. 100 en 1991 et ont connu une nouvelle hausse de 59 p. 100 en 1992.

L'étude a révélé que, pour les clients distributeurs, les prix de vente moyens des fournisseurs canadiens étaient nettement plus bas que les prix moyens des bicyclettes de Taïwan pour chacune des années 1990, 1991 et 1992. Les ventes de l'industrie nationale à ces clients ont chuté de 9 p. 100 en 1991 et de 7 p. 100 en 1992. Au cours des mêmes années, les ventes de bicyclettes de Taïwan ont plus que doublé en 1991, avant de baisser de 9 p. 100 en 1992. Il n'y a pas eu de ventes de bicyclettes de la Chine au cours de la période à l'étude.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Au cours de cette enquête, le Tribunal a entendu 44 témoins sur une période de 11 jours d'audiences publique et à huis clos. Il faut ajouter à ce volumineux dossier les données concrètes communiquées par les fabricants et les importateurs en réponse aux questionnaires du Tribunal. En vertu de l'article 42 de la LMSI, le Tribunal est tenu d'établir, à la lumière des éléments de preuve et des plaidoyers, si le dumping des bicyclettes et des cadres en question a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

La décision, dans cette cause, s'appuiera essentiellement sur l'examen de deux questions de base. En premier lieu, pourquoi l'industrie, dans son ensemble, a-t-elle connu le piètre rendement que nous avons vu, surtout au cours des deux dernières années? En second lieu, les importations sous-évaluées ont-elles eu un effet défavorable important sur la rendement de l'industrie?

Indicateurs de préjudice sensible

L'étude des indicateurs de préjudice sensible commence par une analyse des bicyclettes, suivie d'une étude des cadres. Dans cette première section, le Tribunal examinera les indicateurs touchant la part du marché, l'érosion et la compression des prix, les effets financiers et l'emploi.

Part du marché

Depuis le milieu des années 80, il y a eu un revirement spectaculaire du marché canadien de la bicyclette, reflétant les changements qui ont caractérisé le marché mondial de la bicyclette. Au début des années 80, le vélo de course et la bicyclette pour enfants de type «BMX» dominaient le marché canadien, avec environ 80 p. 100 des ventes. À la fin de cette décennie, les vélos tout-terrain (VTT) aussi appelés vélos de montagne, et le vélo hybride, combinaison de VTT et de vélo de course, représentaient environ 70 p. 100 du marché canadien. L'arrivée de cette nouvelle génération de bicyclettes s'est accompagnée de certaines innovations des composants, comme les systèmes avancés de changement de vitesse, la mise en marché de nouveaux matériaux pour les cadres et, plus récemment, une nouvelle technique de suspension. Ces changements ont coïncidé avec une prise de conscience croissante, dans l'ensemble de la population, des questions de santé, de forme physique et d'environnement.

Ces faits nouveaux ont eu pour effet net de stimuler la demande des consommateurs. En 1988, l'année de la poussée rapide des ventes de VTT, le marché canadien représentait 1,6 million d'unités, soit à peu près un tiers de plus que pour la période de la fin des années 70 et du début des années 80. La demande totale du marché a eu tendance à fluctuer d'une année à l'autre depuis 1988, mais, pour l'essentiel, la demande globale est demeurée relativement vigoureuse (voir Indicateurs économiques).

Cependant, de 1988 jusqu'au milieu de 1992, on a assisté à un spectaculaire déplacement de la part du marché. Entre 1988 et 1990, Universal, à l'époque premier producteur canadien de bicyclettes en ce qui a trait au volume, a cessé sa production. La fermeture d'Universal a coûté à l'industrie 20 points de part du marché qui ont presque tous été absorbés par les importations de bicyclettes en provenance de Taïwan. En 1991, année de récession qui a vu la part du marché chuter de 13 p. 100, les bicyclettes de la Chine, produites dans des usines essentiellement financées par des capitaux taïwanais, ont commencé à entrer au pays en volumes importants. En outre, les importations en provenance de la Chine, et, dans une large mesure, les importations en provenance de Taïwan, étaient concentrées dans les segments du marché plus sensibles aux prix.

Au cours de la première moitié de 1992, les importations en provenance des pays en question ont continué de faire diminuer les ventes et la part du marché de l'industrie. Bien que les importations en provenance de Taïwan aient perdu une part du marché, leurs volumes sont demeurés constants. Cependant, les importations en provenance de la Chine ont continué leur progression rapide, ayant plus que triplé au cours de la période de six mois. Au milieu de 1992, les importations en provenance de la Chine égalaient celles en provenance de Taïwan, et la part du marché combinée des deux pays s'établissait à 56 p. 100.

Le Tribunal a rarement vu un déplacement aussi spectaculaire et aussi rapide de part du marché. En seulement quatre années et demie, l'industrie a vu sa participation au marché passer des trois quarts à seulement un peu plus du tiers du marché, soit une perte totale de 38 points de marché. Au cours de la même période, les importations combinées de Taïwan et de la Chine ont presque triplé, atteignant 727 000 unités, et leur part du marché a connu une nette augmentation de 39 points.

Comme il a été mentionné plus haut, il y a deux principaux canaux de distribution sur le marché canadien, à savoir les grandes surfaces, dont les consortiums d'achat, et les vendeurs de bicyclettes indépendants, dont les magasins spécialisés et les magasins d'articles de sport. Les éléments de preuve fournis font ressortir clairement que l'augmentation subite des importations en provenance des pays en question a délogé les ventes de l'industrie nationale dans les deux cas, bien que les effets de la concurrence des importations aient été particulièrement intenses au niveau des grandes surfaces, où les deux tiers environ des bicyclettes de Taïwan et à peu près toutes les bicyclettes de la Chine se vendent.

Plus particulièrement, l'analyse du personnel du Tribunal indique que les ventes de l'industrie nationale à neuf grandes surfaces choisies ont chuté de 69 p. 100 entre 1990 et 1992. Au niveau des distributeurs, l'analyse révèle une baisse de 15 p. 100 chez 15 clients choisis pour la même période, les importations de Taïwan pour les mêmes clients augmentant alors de 89 p. 100. Cet élément de preuve était complété et généralement corroboré par des témoignages particuliers recueillis par l'industrie selon lesquels des ventes ont été perdues à chaque niveau de circuit de distribution.

Les éléments de preuve révèlent également que l'industrie a perdu des ventes concernant une vaste gamme de modèles de bicyclettes, bien qu'encore une fois les effets de la concurrence des importations aient été concentrés sur les bicyclettes pour enfants (diamètre de roues de 16 et de 20 pouces) et les bicyclettes pour adultes à prix modique. L'ampleur et l'importance des pertes de production et de part du marché concernant, par exemple, les bicyclettes pour enfants sont illustrées par le fait qu'en 1988 ce segment mobilisait pas moins d'un tiers de la production nationale (400 000 unités). Les années suivantes, le volume de bicyclettes pour enfants fabriquées au Canada a accusé une baisse constante et rapide, de sorte que, au cours de la première moitié de 1992, seulement 63 000 unités ont été produites. Pendant que la production nationale fléchissait, les importations en provenance de Taïwan ont commencé à augmenter fortement en 1990, puis ont été suivies d'augmentations marquées des importations en provenance de la Chine en 1991. Cette perte de production et de part du marché a frappé Victoria et Raleigh plus durement que Procycle, car les deux premiers avaient une présence plus importante sur le marché des bicyclettes pour enfants.

Ainsi, l'industrie canadienne n'a pas pu profiter d'une demande généralement croissante de bicyclettes sur le marché canadien, en raison de l'augmentation subite des importations en provenance des pays en question. Non seulement l'industrie nationale a été privée des possibilités de croissance, mais encore elle a subi d'importantes pertes de ventes et de part du marché. De l'avis du Tribunal, il ne fait aucun doute que ces pertes sont d'une ampleur importante.

Érosion et compression des prix

Le prix des bicyclettes vendues sur le marché canadien vise un ensemble de produits homogènes allant des bicyclettes de bas de gamme jusqu'aux modèles de milieu de gamme et de haut de gamme. Malgré l'absence de lignes de démarcation précises, les éléments de preuve fournis lors de l'audience ont révélé que les bicyclettes de milieu de gamme se détaillent entre 300 $ et 800 $ environ. Les bicyclettes qui se situent en deçà de cette fourchette occupent le segment de bas de gamme du marché et celles qui sont au-dessus, le segment de haut de gamme, comprenant des modèles qui se détaillent jusqu'à plusieurs milliers de dollars.

Les grandes surfaces ne vendent généralement pas de bicyclettes de plus de 400 $ au détail. Elles se spécialisent dans les modèles de base «sans superflu» de bicyclettes pour enfants et adultes, dont le prix est fixé à un niveau que l'industrie qualifie des plus basses gammes. Les bicyclettes offertes à ces prix ont pour objet d'attirer des clients dans le rayon des bicyclettes ou, comme l'a dit un témoin au cours de l'audience, de «créer de la circulation» dans l'espoir que le client achètera un modèle un peu plus cher une fois qu'il sera dans le rayon des bicyclettes.

Les distributeurs fixent généralement les prix de départ de leurs bicyclettes dans la fourchette de 200 $ à 300 $, ou à peu près. Ces modèles se situent généralement à un ou deux échelons plus hauts de la gamme offerte que les modèles des plus basses gammes vendus par les grandes surfaces. Ainsi, il y a un certain chevauchement entre les segments du marché servis par les grandes surfaces et par les distributeurs, dans la fourchette de 200 $ à 400 $. La zone de chevauchement comprend les bicyclettes de haut de gamme des grandes surfaces et les bicyclettes de bas de gamme des distributeurs.

Comme nous l'avons vu plus haut, la dernière récession a tempéré la demande canadienne par rapport aux sommets atteints en 1988 et 1989, mais, dans l'ensemble, la demande est demeurée relativement ferme. Cependant, selon les éléments de preuve, la récession a eu pour effet de déplacer la demande des consommateurs vers les bicyclettes à prix plus modique, au profit des grandes surfaces et au détriment des distributeurs. Cet effet se voit facilement dans l'augmentation de la part du marché total de la bicyclette détenue par les grandes surfaces par rapport à la part des distributeurs, tendance qui, selon les données statistiques préparées par le personnel du Tribunal, s'est intensifiée en 1992.

La récession a ainsi accru la demande de bicyclettes à prix plus modique, tant au niveau des grandes surfaces qu'à celui des distributeurs. Cette demande a été satisfaite par les importations de bicyclettes en provenance de Taïwan et de la Chine, et surtout des bicyclettes de la Chine depuis 1991. Plus particulièrement, l'analyse des données d'importation révèle une nette concentration des bicyclettes en question provenant de ces deux pays dans le segment de bas de gamme du marché de la bicyclette qui est extrêmement compétitif et très sensible aux prix.

Les éléments de preuve révèlent également que les prix des bicyclettes ont été stables ou ont diminué, en valeurs absolues, au Canada depuis plusieurs années. Cela signifie que les prix des bicyclettes ont effectivement baissé, en chiffres corrigés pour tenir compte de l'inflation. En effet, un témoin, responsable des ventes internationales d'une entreprise chinoise qui est l'un des premiers fabricants de bicyclettes au monde, a affirmé que «ce que le marché canadien recherche, c'est le prix» (traduction). Il devait ajouter qu'«en ce moment, la bicyclette moyenne, aujourd'hui, vendue au détail au Canada, commande le plus bas prix de détail n'importe où au monde pour un produit de fabrication occidentale» (traduction). Le Tribunal n'a rien entendu qui contredise cette déclaration, et rien qui contredise les éléments de preuve selon lesquels les bicyclettes de la Chine sont parmi celles qui se vendent au plus bas prix dans le monde.

L'analyse des prix effectuée par le personnel du Tribunal montre que le prix moyen que pratiquent les parties plaignantes auprès des grandes surfaces et des distributeurs a baissé entre 1990 et 1992. L'industrie a aussi affirmé, à de nombreux stades au cours des travaux du Tribunal, que les prix au Canada étaient tombés si bas, surtout pour le segment de bas de gamme du marché, qu'elle n'était effectivement même pas dans la course pour l'obtention de la clientèle de plusieurs clients importants. Le Tribunal constate qu'il y a une saine concurrence pour de nombreux clients entre les producteurs nationaux, tant au niveau des grandes surfaces qu'à celui des distributeurs. Cependant, cette concurrence intra-industrielle ne vient pas près d'expliquer l'intense compression et érosion des prix que connaît le marché canadien de la bicyclette depuis quelques années. Cette situation s'explique beaucoup plus facilement par les fortes pressions exercées par les forts volumes de bicyclettes sous-évaluées en provenance de Taïwan et de la Chine, qui ont eu tendance à faire baisser les prix.

Effets financiers

Abstraction faite des possibilités de croissance que l'industrie nationale a perdues avec la fermeture d'Universal pendant la période de 1988 à 1990, si l'industrie avait tout simplement gardé constante en 1991 et au cours de la première moitié de 1992 la part du marché qu'elle détenait en 1990, l'industrie aurait produit de 300 000 à 400 000 bicyclettes de plus pendant cette année et demie, les effets de la récession étant pris en compte. Cela correspond à peu près au volume de production et aux ventes perdues à la suite de l'augmentation subite des importations en provenance de Taïwan et de la Chine pendant cette période. D'après la valeur moyenne des ventes unitaires de l'industrie, ces chiffres représentent une perte de recettes d'entre 30 millions et 40 millions de dollars. Cette perte considérable de recettes correspond à une chute marquée des profits bruts pour l'industrie pendant les années 1990, 1991 et 1992.

Il ressort que la baisse de rentabilité est la conséquence des pressions à la hausse sur les coûts (essentiellement à cause d'une réduction du volume) combinées à une pression à la baisse sur les prix. La sous-utilisation de la capacité et les autres coûts fixes doivent être étalés sur une base de production qui décroît, ce qui gonfle les coûts unitaires, sans augmentations de prix correspondantes pour absorber ces coûts. Un rapport d'expert-conseil passant en revue les opérations d'un des producteurs nationaux mettait en lumière l'importance de l'augmentation du volume pour réaliser une diminution des coûts unitaires et ainsi accroître la compétitivité, tant sur le marché national que sur le marché d'exportation. La difficulté à laquelle font face les producteurs nationaux, pour satisfaire à cet impératif, c'est que les importations en provenance de Taïwan et de la Chine se sont appropriées le segment «volume» du marché, dans l'ensemble.

Le Tribunal constate que les avocats et les procureurs des exportateurs et des importateurs ont fait valoir que les parties plaignantes sont responsables du préjudice financier qu'elles ont subi. Par exemple, une partie des problèmes de Raleigh découlait de coûts financiers liés à des ententes financières auxquelles sa société mère l'a contrainte dans l'intérêt du groupe Raleigh de sociétés internationales. De même, Victoria a dû supporter des coûts d'endettement liés aux ententes financières conclues par le propriétaire actuel relativement à sa prise en main de l'entreprise en 1988. Procycle était aussi aux prises avec des dettes et a souffert financièrement, non pas à cause de facteurs liés au dumping, mais plutôt à cause d'une baisse considérable de ses exportations.

Le Tribunal a soigneusement pesé ces arguments, et il n'est pas persuadé que ces facteurs expliquent la détérioration importante des résultats financiers des parties plaignantes. Tout d'abord, les dépenses ou les frais correspondant à ces facteurs ont des conséquences sur le revenu net plutôt que sur le revenu brut. Ainsi, la diminution signalée plus haut, au niveau du profit brut, que le Tribunal considère comme importante, n'est pas touchée par ces questions. En second lieu, même lorsque le Tribunal remanie les données de revenu net pour refléter les ajustements suggérés par les avocats et les procureurs des exportateurs et des importateurs, les parties plaignantes, dans l'ensemble, accusent une baisse du revenu net dont l'ampleur est manifestement considérable, selon le Tribunal. Plus particulièrement, dans des états financiers redressés, on verrait encore que le revenu net des parties plaignantes diminue de plus de 50 p. 100 en 1991 et connaît une nouvelle baisse de presque 50 p. 100 en 1992.

En somme, le Tribunal est convaincu par les éléments de preuve que l'augmentation subite des importations, surtout à compter de 1990, a eu un effet contraire important sur les résultats financiers consolidés des parties plaignantes. Il est vrai qu'une des parties plaignantes s'est relativement mieux tirée d'affaire que les deux autres. Cependant, cela ne change pas le fait que, globalement, leur rendement a été lamentable. Le Tribunal ne doute pas que la reprise financière pour les parties plaignantes s'opère par une augmentation des volumes grâce à un meilleur accès à leur marché national. De fait, l'amélioration de la compétitivité des exportations dans cette industrie passe aussi par de solides assises nationales.

Emploi

Les éléments de preuve montrent que la perte de production et de ventes a eu un effet négatif considérable sur les niveaux d'emploi des parties plaignantes. L'emploi dans l'industrie pendant les périodes de production de pointe, au cours desquelles les parties plaignantes représentaient environ 90 p. 100 de la production totale, s'est maintenu stable à environ 1 300 salariés entre 1988 et 1990. Le nombre d'heures travaillées pendant cette période est demeuré ferme, à environ 1,4 million par an. Cependant, en 1991, les pertes de production causées par la présence croissante des importations en provenance des pays en question, ont entraîné une diminution de 14 p. 100 du nombre d'heures travaillées par rapport au niveau de 1990. Bien que Procycle et Victoria aient subi une certaine baisse du nombre d'heures travaillées, Raleigh a vu le nombre de ses heures travaillées réduit de moitié. Pendant la première moitié de 1992, les parties plaignantes ont été encore une fois forcées de diminuer leur emploi, le nombre de leurs heures travaillées ayant baissé de nouveau de 13 p. 100 par rapport à la période correspondante de 1991. Au cours de cette dernière période, Procycle et Victoria ont imité Raleigh et réduit leurs effectifs.

Les éléments de preuve indiquent que les parties plaignantes ont investi d'importants capitaux au cours des trois années précédant 1991. Les investissements dans des domaines comme la robotique de soudage, les systèmes de peinture et l'ordinatique ont sans aucun doute amélioré les efficiences de production. Cependant, l'ampleur de la baisse de l'emploi et du nombre d'heures travaillées s'explique plus facilement par le fait que la production nationale a été supplantée par les importations sous-évaluées que par l'amélioration de la productivité ou d'autres considérations de cette nature.

Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal conclut que l'augmentation subite des importations à prix modique et sous-évaluées en provenance de Taïwan et de la Chine a déplacé des ventes et la production des producteurs canadiens et comprimé et érodé les prix dans une mesure qui était importante. Cela a, par ailleurs, provoqué des diminutions importantes des indicateurs de rendement de l'industrie.

CAUSALITÉ

Pour arriver à des conclusions positives de préjudice dans cette affaire, le Tribunal doit être convaincu que le dumping a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible. Selon les éléments de preuve soumis, le Tribunal est convaincu que tel est, effectivement, le cas.

Le passé et le présent

Comme il a déjà été mentionné, la vaste majorité des bicyclettes vendues au Canada sont des bicyclettes qui se vendent à des prix bas de gamme. Dans ce segment de prix, les importateurs et les producteurs nationaux se font concurrence pour les clients dans une large mesure, sinon d'abord, par les prix qu'ils pratiquent. Les pressions de prix que subissent les fournisseurs sont le reflet des pressions de prix qui s'exercent au niveau de détail. Ainsi, le Tribunal a entendu de nombreux témoignages des exploitants de grandes surfaces sur le fait que les consommateurs sont conscients de la valeur et sur la façon dont les exploitants sont obligés de donner satisfaction quant aux prix indicatifs au niveau de détail ou ils risquent de perdre des ventes considérables. Si l'un de leurs principaux concurrents trouve une source bon marché de marchandises, ils n'ont d'autre choix que de chercher des sources tout aussi bon marché ou meilleur marché, qu'elles soient au pays ou à l'étranger, afin de demeurer compétitifs. L'ouverture possible au Canada d'immenses magasins-entrepôts et magasins de rabais des États-Unis, qui a déjà commencé à se produire, était un autre élément qui a exercé sur les grandes surfaces une pression extrême pour les obliger à garder les prix de tous leurs produits bas, y compris ceux des bicyclettes. Les autres sources actuelles de pressions à la baisse sur les prix comprenaient le phénomène des achats transfrontières et les effets de la récession.

Sur cette toile de fond, plusieurs grands détaillants ont admis franchement qu'une très légère différence de prix ferait pencher leurs décisions d'achat en faveur de l'offre du moins-disant. Une déclaration typique de ce genre a été celle du témoin de Zellers, deuxième acheteur canadien de bicyclettes, qui a affirmé qu'une différence de prix de seulement 2 $ par bicyclette serait une raison suffisante pour passer à un fournisseur dont les prix sont plus bas sur un achat en gros volume.

Le Tribunal a aussi entendu des témoignages de représentants de distributeurs comme Action, selon qui leurs entreprises subissent de grandes pressions de prix. Ces pressions naissent de la concurrence avec les grandes surfaces dans des segments de marché qui se chevauchent, y compris ceux des bicyclettes pour enfants et des bicyclettes pour adultes à prix modique. Comme les grandes surfaces, ils doivent composer avec les effets de la récession, les achats transfrontières et la taxe sur les produits et services. Selon leurs témoignages, de nombreux distributeurs ont fait faillite depuis quelques années, y compris certains des vendeurs les plus importants et les plus solidement établis au Canada.

Le Tribunal constate que le Sous-ministre a conclu, dans la décision définitive de dumping, que 98 p. 100 des importations en provenance de la Chine et 92 p. 100 des importations en provenance de Taïwan étaient sous-évaluées selon des marges moyennes pondérées de dumping de 34 p. 100 et de 13 p. 100, respectivement. L'examen des marges de dumping de certains importateurs révèle que les grandes surfaces et les distributeurs ont les uns comme les autres acheté des bicyclettes sous-évaluées, en provenance de Taïwan ou de la Chine, ou de ces deux pays, qui ont été importées selon des marges considérables de dumping. Le Tribunal ne doute pas que les prix sous-évalués ont coûté des ventes aux producteurs nationaux.

Ces conclusions sont appuyées par le fait que, pendant la période précédant la décision provisoire de dumping rendue le 13 août 1992, et depuis ce temps, il y a eu un déplacement important des sources d'approvisionnement. Ce changement se voit particulièrement dans les décisions d'achat des grandes surfaces. Plus particulièrement, les éléments de preuve révèlent que les parties plaignantes ont reçu d'importantes commandes pour la saison de détail de 1993 de la part d'acheteurs qui avaient déjà passé une grande partie ou la plupart de leurs commandes à des sources à l'étranger.

L'étendue de ce retour aux sources canadiennes ne saurait être qualifiée autrement que de massive. Le témoignage de deux grands agents importateurs, MM. Hubert Lippé et George Milo, indique clairement l'ampleur du déplacement, leurs ventes ayant diminué en 1993 de plusieurs centaines de milliers de bicyclettes. Il est peu douteux que cette baisse soit directement liée aux marges de dumping constatées par le Sous-ministre. Bien que les marges de dumping soient plus faibles dans la décision définitive de dumping que dans la décision provisoire de dumping, les marges finales demeurent à des niveaux qui sont suffisamment élevés pour soutenir le grand retour aux bicyclettes de fabrication canadienne.

Dans leur témoignage et leur correspondance, plusieurs clients ont dit favoriser les fournisseurs taïwanais et chinois plutôt que les parties plaignantes en raison de facteurs non liés aux prix, comme la qualité supérieure, la gamme plus vaste de produits, de meilleurs délais de livraison, des taux de retour plus faibles et une plus belle apparence. Le Tribunal fait remarquer, cependant, que les résultats des parties plaignantes relativement à ces affirmations, examinés de plus près, ne sont pas inférieurs à ceux des fournisseurs étrangers. Compte tenu du fort volume de ventes et de plusieurs centaines de clients nationaux, il ne faut pas s'étonner de voir surgir certaines difficultés de temps à autre. En outre, le Tribunal est d'avis que les facteurs non liés aux prix n'ont pas joué un grand rôle dans le choix de fournisseurs de la majorité des clients. Ce point de vue est vigoureusement renforcé par le retour rapide aux fournisseurs nationaux pour de nombreux clients qui ont exprimé ces griefs, dès que l'écart de prix entre les produits nationaux et les produits importés s'est refermé ou est disparu à la suite de l'imposition des droits antidumping.

Les avocats et les procureurs des exportateurs et des importateurs ont aussi soutenu que les importations répondaient à un important besoin sur le marché canadien puisque, à leur avis, l'industrie nationale n'avaient pas une capacité suffisante pour répondre aux besoins de tout le marché canadien. Selon leur estimation, l'industrie nationale avait une capacité de pointe pratique maximale d'environ 750 000 unités, ce qui est bien en deçà de la demande moyenne du marché depuis quelques années. C'est ce manque de capacité nationale qui a provoqué l'augmentation subite des importations.

Le Tribunal constate que le marché canadien de la bicyclette est un marché saisonnier. Les grands détaillants passent leurs commandes à l'été et au début de l'automne et la production commence généralement vers les mois d'octobre et novembre en fonction d'une livraison au cours des mois de janvier à avril. Il n'y a à peu près pas de production pendant les mois d'été. De l'avis du Tribunal, ces réalités du marché constituent une contrainte pour la capacité théorique de production de l'industrie nationale. Cependant, il n'est pas nécessaire, aux fins de cette enquête, d'établir quelle est la capacité pratique de production de l'industrie. Qu'il suffise de dire que, même si elle n'était que de 750 000 unités, comme le prétendent les avocats et les procureurs des exportateurs et des importateurs, c'est toujours bien au-delà de l'utilisation réelle de capacité réalisée par l'industrie en 1991 et 1992. Ainsi, bien qu'il soit probablement juste de dire que l'industrie nationale, à ses niveaux actuels de capacité de production, ne peut pas servir tout le marché canadien, il apparaît aussi clairement que l'augmentation subite des importations sous-évaluées a considérablement paralysé la capacité disponible que l'industrie pourrait facilement mobiliser pour accroître la production et les ventes. De fait, c'est cette capacité non utilisée que l'industrie a désormais mise en production pour répondre à la demande du marché qui s'est manifestée après l'enquête antidumping.

Enfin, les avocats et les procureurs des exportateurs et des distributeurs de bicyclettes spécialisés ont fait valoir que les fabricants de bicyclettes ne peuvent pas répondre aux besoins différents des grandes surfaces et des distributeurs. Selon leurs prétentions, les grandes surfaces vendent un produit, alors que les distributeurs vendent un «style de vie» ou un «concept». M. Jay C. Townley a témoigné en ce sens à titre d'expert. Selon M. Townley, les fabricants de bicyclettes aux États-Unis, en Asie et ailleurs se spécialisent de plus en plus dans un segment du marché ou dans l'autre, processus qu'il a appelé la «bifurcation». À son avis, c'est une tendance qui finira par rejoindre le Canada. Les avocats et les procureurs ont fait valoir que si l'industrie nationale connaît des difficultés, c'est parce qu'elle n'a pas su «bifurquer».

Le Tribunal n'est pas persuadé que la spécialisation décrite plus haut au niveau des fabricants est la voie de l'avenir pour l'industrie canadienne en ce qui concerne la vaste majorité de ses ventes, bien que le segment de haut de gamme du marché puisse, effectivement, avoir des besoins spéciaux qui requièrent une attention particulière. La réalité est que le Canada est un marché relativement petit et que, sauf pour ceux qui y occupent des créneaux, les producteurs nationaux n'ont pas les moyens de renoncer à l'un ou l'autre des segments du marché s'ils veulent être une grande force concurrentielle, à l'échelle nationale et internationale. En outre, les résultats passés démontrent que les producteurs nationaux ont réussi à servir les deux segments du marché. Si les règles du jeu sont équitables, il n'y a aucune raison de croire qu'il ne pourra pas continuer d'en être ainsi pendant encore un certain temps.

L'avenir

Cette enquête constitue la deuxième enquête sur le dumping préjudiciable de bicyclettes et de cadres, la première ayant conduit à des conclusions de préjudice sensible rendues le 8 novembre 1977 [6] . Plus tard, le 17 février 1984 [7] , le Tribunal antidumping, rappelant que «les circonstances influant sur le marché de la bicyclette ont considérablement changé depuis la décision de 1977», a annulé lesdites conclusions.

En annulant les conclusions en 1984, le Tribunal antidumping déclarait :

En rendant cette décision en faveur d'une annulation, le Tribunal accorde beaucoup d'importance à l'effet dissuasif qu'une décision passée de préjudice sensible affirmative devrait avoir sur les activités futures des exportateurs de bicyclettes de Taïwan et de la Corée. Il est évident que les fabricants canadiens sont vulnérables à une reprise des pratiques de dumping. Il devrait être aussi évident pour ces exportateurs que des mesures correctives peuvent être prises rapidement si le dumping préjudiciable reprend [8] .

Après un hiatus de plusieurs années, le dumping de bicyclettes en provenance de Taïwan a repris. De plus, les bicyclettes en provenance de la Chine, où plusieurs des usines importantes sont financées par des capitaux taïwanais, ont fait l'objet de dumping. Cet état de fait indique clairement au Tribunal, qu'en l'absence de la discipline imposée par une décision positive de préjudice, le dumping constaté par le Sous-ministre dans cette cause est susceptible de se poursuivre à l'avenir.

Le Tribunal fait remarquer, en outre, que Taïwan et la Chine ont ensemble une énorme capacité de production de bicyclettes. Un grand nombre des installations de ces deux pays sont conçues essentiellement en fonction des marchés d'exportation. Les éléments de preuve présentés à l'audience révèlent qu'une proportion considérable de cette capacité, surtout en Chine, est actuellement inutilisée. Cette constatation ajoute à la probabilité que, à moins qu'il ne soit freiné, le dumping préjudiciable se poursuivra sans ralentissement.

Le Tribunal est aussi d'avis que les pressions qui font baisser les prix et qui se manifestent actuellement sur le marché canadien ne sont pas susceptibles de disparaître avant longtemps. La concurrence au niveau de détail, surtout de la part des grandes surfaces, risque de persister au moment où les détaillants se disputent la part du marché et se positionnent pour repousser la concurrence des États-Unis. Le fait que certains détaillants ont changé de fournisseur pour la saison de 1993, préférant s'approvisionner dans des pays comme l'Inde, l'Indonésie et la Thaïlande, témoigne de la recherche constante de moyens permettant de réagir aux pressions qui s'exercent sur les prix.

Enfin, le Tribunal fait remarquer que la Communauté européenne vient de prendre des mesures commerciales correctives à l'endroit des bicyclettes en provenance de la Chine. Cette initiative donne une autre indication de la perturbation que les exportations croissantes de ce pays risquent de provoquer sur le marché. Par conséquent, le Tribunal conclut que le dumping des marchandises en question est susceptible de causer un préjudice sensible à la production nationale de marchandises similaires.

CADRES

De nombreux éléments de preuve ont été présentés au cours de l'audience concernant l'importance de la construction du cadre en ce qui a trait au rendement ultime de la bicyclette. Le cadre est le «coeur» de la bicyclette et il représente la principale composante de coût du produit final. La qualité de la construction, le matériau utilisé et le nom apposé sur le cadre, qu'il soit une marque nominale ou une marque de détaillant, déterminent en bout de ligne le prix de vente et la qualité marchande de la bicyclette finie.

Les trois parties plaignantes fabriquent des cadres destinés à leur propre production de bicyclettes et en vendent de plus petits volumes au marché de remplacement et à d'autres fabricants. Cette pratique s'inscrit dans une saine gestion d'entreprise. Les producteurs de bicyclettes, qu'ils soient au Canada, à Taïwan, en Chine ou ailleurs, ne fournissent normalement pas de cadres sur le marché libre qui finiraient par faire concurrence à leur propre production et à leurs propres ventes de bicyclettes.

Le procureur de Norco, monteur de bicyclettes établi dans l'Ouest canadien, et le seul grand importateur canadien de cadres, a soutenu que les cadres devraient être exclus d'une décision de préjudice sensible. Selon celle-ci, les cadres constituent une catégorie distincte de «marchandises similaires» et sont différents des bicyclettes, sur le plan de la concurrence et du fonctionnement. Par ailleurs, si le Tribunal n'accepte pas l'argument des «marchandises similaires», elle a soutenu que les cadres devaient être exclus de la portée d'une décision positive au motif que les parties plaignantes n'ont fourni aucun élément de preuve révélant qu'un préjudice sensible a été causé par des importations de cadres sous-évaluées.

Dans sa décision de 1977, le Tribunal antidumping déclarait ce qui suit sur une question semblable :

On peut affirmer en règle générale, que lorsque le dumping d'un article a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible, et lorsque la plus grande partie des éléments de cet article sont fabriqués au Canada, la poursuite du dumping de ces éléments causera aussi un préjudice sensible. Cette règle doit s'appliquer lorsque, de l'avis du Tribunal, le but et l'efficacité des mesures antidumping prises contre l'article en général seraient par ailleurs contrecarrés, comme le Tribunal croit que c'est le cas ici, alors qu'on a prouvé la possibilité d'un assemblage unique [9] .

Ce précédent était explicitement respecté dans la décision sur les pinceaux, où le Tribunal antidumping déclarait, au sujet de l'importation possible de têtes de pinceaux :

Du point de vue de la valeur de l'article, la tête est l'une des principales composantes d'un pinceau. Elle peut facilement être importée séparément du manche si les circonstances faisaient en sorte qu'il y ait un avantage à agir ainsi. Par conséquent, il est possible qu'un préjudice soit causé à la production des têtes de pinceaux au Canada et, certainement du point de vue de la réduction de l'emploi et de la sous-utilisation de la capacité de production, à la production des pinceaux entiers, si l'on tolérait le dumping des têtes [10] .

Dans chacune des deux causes qui précèdent, le Tribunal antidumping a jugé que les composants en question, les cadres dans le premier cas et les têtes de pinceaux dans le second, constituaient un élément important du produit fini. Le Tribunal antidumping a rendu des décisions de préjudice futur pour les composants parce qu'autrement la décision de préjudice sensible rendue à l'égard du produit fini aurait été contrecarrée. Le Tribunal considère que les vues exposées dans ces affaires sont tout aussi valables dans cette cause pour ce qui est des cadres.

Le Tribunal fait remarquer que Norco n'est qu'une des diverses entreprises qui assemble des bicyclettes au Canada en utilisant des cadres importés. L'objet de conclusions de préjudice sensible n'est pas de limiter les opérations d'assemblage, mais plutôt d'éliminer les avantages liés aux prix conférés à la production de bicyclettes qui utilisent des cadres sous-évalués. Par conséquent, le Tribunal conclut que le dumping des cadres en question en provenance de Taïwan et de la Chine est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

EXCLUSION : BICYCLETTES

Le Tribunal est d'avis qu'une exclusion est justifiée pour les bicyclettes de haut de gamme. Selon les observations des témoins de l'industrie, ainsi que des témoins des exportateurs et des importateurs, le segment de haut de gamme du marché commence dans la fourchette de détail de 800 $. Les éléments de preuve indiquent que le volume de ventes des parties plaignantes dans le haut de gamme, selon la définition retenue, ne représente qu'une faible proportion de leurs ventes totales. De fait, seul Procycle a une présence notable dans ce segment du marché, par l'entremise de la vente de ses marques LOOK et Peugeot. En outre, Procycle destine aux marchés d'exportation une forte proportion de la production de ces marques. Compte tenu du volume des ventes peu considérable des parties plaignantes et de la faible sensibilité aux prix, le Tribunal est d'avis que le segment de haut de gamme du marché n'a pas subi de préjudice sensible. Selon les renseignements dont dispose le Tribunal sur les coûts moyens et les marges bénéficiaires ordinairement appliquées aux achats d'importation, le haut de gamme représente un prix commençant à 325 $ CAN F.A.B. pays d'origine par bicyclette.

Le Tribunal n'accepte pas la demande de Norco, qui réclamait l'exclusion de l'importation de vélos de randonnée et de vélos pliants. Les éléments de preuve indiquent que ces types de bicyclettes ne sont pas de conception suffisamment unique et ne présentent pas des caractéristiques assez particulières pour ne pas pouvoir être substituées aux bicyclettes fabriquées par les parties plaignantes ni leur faire concurrence. De même, la demande d'exclusion des bicyclettes Pro*flex fabriquées par Outdoor Gear Canada doit être refusée. Le Tribunal fait remarquer, cependant, que l'exclusion accordée pour les importations ayant un prix de vente F.A.B. dépassant 325 $ CAN a pour effet pratique d'éliminer l'application des droits antidumping à certaines bicyclettes Pro*flex de haut de gamme importées des pays en question.

INTÉRÊT PUBLIC

L'article 45 de la LMSI prévoit que, dans les cas où après avoir rendu des conclusions de préjudice sensible, le Tribunal estime que l'assujettissement, total ou partiel, à des droits antidumping serait ou pourrait être contraire à l'intérêt public, il doit soumettre un rapport au ministre des Finances énonçant son opinion, faits et motifs à l'appui.

Plusieurs parties ont déposé des mémoires faisant valoir que, si des conclusions de préjudice sensible sont rendues, l'imposition de droits antidumping au plein montant serait contraire à l'intérêt public. Un mémoire présenté au nom des parties plaignantes rejette aussi les considérations d'intérêt public.

Le Tribunal accordera l'attention voulue à ces observations écrites et entend faire connaître sa position sur cette question peu après la fin de son étude.

CONCLUSION

À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut, pour les raisons exposées plus haut, que le dumping au Canada des bicyclettes assemblées ou démontées, avec des roues d'un diamètre de 16 pouces (40,64 cm) et plus, originaires ou exportées de Taïwan et de la Chine, à l'exclusion des bicyclettes en question dont le prix de vente est supérieur à 325 $ CAN F.A.B. Taïwan et Chine, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Le Tribunal conclut en outre que le dumping au Canada des cadres de bicyclettes en question, originaires ou exportés des pays susmentionnés, n'a pas causé, ne cause pas, mais est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.


1. L.R.C. (1985), ch. S-15.

2. La plupart des importations et des ventes ont lieu dans la première moitié de l'année, en raison du caractère saisonnier du marché canadien de la bicyclette.

3. Instruments de base et documents divers, Volume IV, Genève, mars 1969.

4. Recueil des traités du Canada, 1989, no 3 (R.T.C.), signé le 2 janvier 1988.

5. Cette étude a révélé que, d'une année à l'autre, divers facteurs, comme les changements apportés à la gamme des produits, peuvent avoir des incidences sur les valeurs moyennes.

6. Bicyclettes assemblées ou démontées, et cadres de bicyclettes, fourches, guidons en acier et roues, (pneus et chambres à air non compris), originaires ou exportées de la République de la Corée et de Taïwan, Tribunal antidumping, enquête no ADT-11-77, le 8 novembre 1977.

7. Bicyclettes assemblées ou démontées, et cadres de bicyclettes, fourches, guidons en acier et roues, (pneus et chambres à air non compris), originaires ou exportées de la République de la Corée et de Taïwan, Tribunal antidumping, révision no ADT-11B-77, le 17 février 1984, à la p. 5.

8. Ibid., à la p. 9.

9. Supra, note 6, à la p. 16.

10. Pinceaux utilisant la soie de porc comme matière de filament, et aux parties constituantes appelées "Heads" (têtes), originaires ou exportés de la République populaire de Chine, Tribunal antidumping, enquête no ADT-6-84, le 20 juin 1984, à la p. 8.


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Publication initiale : le 22 juillet 1997