ISOLANT PRÉFORMÉ EN FIBRE DE VERRE POUR TUYAUX, AVEC PARE-VAPEUR

Enquêtes (article 42)


ISOLANT PRÉFORMÉ EN FIBRE DE VERRE POUR TUYAUX, AVEC PARE-VAPEUR, ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DES DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
Enquête no : NQ-93-002

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le vendredi 19 novembre 1993

Enquête no : NQ-93-002

EU ÉGARD À une enquête aux termes de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation concernant :

L'ISOLANT PRÉFORMÉ EN FIBRE DE VERRE POUR TUYAUX, AVEC PARE-VAPEUR, ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DES DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE

C O N C L U S I O N S

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à une enquête, aux termes des dispositions de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, à la suite de la publication d'une décision provisoire de dumping datée du 22 juillet 1993 et d'une décision définitive de dumping datée du 20 octobre 1993 rendues par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, concernant l'importation au Canada de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux, avec pare-vapeur, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique.

Conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, que le dumping au Canada des marchandises susmentionnées, originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

En outre, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut que le dumping au Canada des marchandises susmentionnées, originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique, n'a pas contrevenu à l'alinéa 42(1)b) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.

Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre présidant


Sidney A. Fraleigh
_________________________
Sidney A. Fraleigh
Membre


Desmond Hallissey
_________________________
Desmond Hallissey
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

L'exposé des motifs sera publié d'ici 15 jours.

Ottawa, le lundi 6 décembre 1993

Enquête no : NQ-93-002

L'ISOLANT PRÉFORMÉ EN FIBRE DE VERRE POUR TUYAUX, AVEC PARE-VAPEUR, ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DES DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE

Loi sur les mesures spéciales d'importation - Déterminer si le dumping des marchandises susmentionnées a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

DÉCISION : Le Tribunal canadien du commerce extérieur a conclu que le dumping au Canada de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux, avec pare-vapeur, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires. En outre, le Tribunal a conclu que le dumping au Canada des marchandises susmentionnées, originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique, n'a pas contrevenu à l'alinéa 42(1)b) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l'audience : Du 25 au 29 octobre 1993

Date des conclusions : Le 19 novembre 1993
Date des motifs : Le 6 décembre 1993

Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre présidant
Sidney A. Fraleigh, membre
Desmond Hallissey, membre

Directeur de la recherche : Peter Welsh
Gestionnaire de la recherche : Don Shires
Agent de la recherche : Paule Couët

Économiste : Simon Glance

Avocat pour le Tribunal : John L. Syme

Préposé aux statistiques : Nynon Burroughs

Agent à l'inscription
et à la distribution : Pierrette Hébert

Participants : G.P. (Patt) MacPherson
Brian J. Barr
Suzette C. Cousineau
pour Isolation Manson Inc.

(fabricant)

Peter Clark
Chris Hines
John Haime
pour Owens-Corning Fiberglas Canada Inc.
Owens-Corning Fiberglas Corporation

C.J. Michael Flavell, c.r.
Geoffrey C. Kubrick
Paul M. Lalonde
pour Manville Canada, Inc.
Schuller International, Inc.

Allan H. Turnbull
Paul D. Burns
pour Knauf Fiber Glass GmbH

W. Jack Millar
James H. Warnock
pour Glass-Cell Fabricators Ltd.

Milos Barutciski
pour Directeur des enquêtes et des
recherches,
Loi sur la concurrence Bureau de la politique de concurrence

D. William Mutch, c.r.
pour Master Insulators' Association of
Ontario Inc.

Richard G. Dearden
Randall J. Hofley
pour Association canadienne de l'isolation
thermique

Ross D. Lewis
Président
Plastic & Allied Building Products
Ltd.

(importateurs-exportateurs-autres)

Témoins :

Keith F. Eaman
Président
CertainTeed Manson

William M. Fluhmann, ing.
Vice-président
Isolation Manson Inc.

David Stagg
Contrôleur adjoint
Isolation Manson Inc.

William G. Edwards
Contrôleur
Isolation Manson Inc.

Bill Haun
Directeur général des ventes
Crossroads C&I

Dennis Olson
Directeur de succursale
Crossroads C&I

Daniel Desbiens
Coprésident
Ventes et marketing
Georges Nadeau Inc.

Paul Pani
Président
Multi-Glass Insulation Ltd.

Michael R. Harrison
Vice-président et Directeur général
Schuller International, Inc.

David C. Skelly
Directeur commercial
Isolants industriels et commerciaux
Schuller International, Inc.

E.W (Wes) van der Lee
Directeur de territoire
Ouest du Canada
Division des isolants mécaniques
Manville Canada, Inc.
An Affiliate of Schuller International, Inc.

William Black III
Premier vice-président
Ventes et marketing
Knauf Fiber Glass GmbH

George Faulkner
Président
Systems Supply Northern Limited

Robert Ouellette
Président
Isolation Dispro Inc.

Alan D. Booth
Vice-président
Division des isolants
Owens-Corning World Headquarters

David C. Mader
Directeur - Unité commerciale
Mécanique et murs
Owens-Corning Fiberglas Canada Inc.

Derek J. Holden
Président et Directeur général
Owens-Corning Fiberglas Canada Inc.

Robert Lacoste
Directeur des ventes et de la commercialisation
Isofab Inc.

G.W. (Bill) Strickland
Vice-président
Opérations - Alberta
Steels Industrial Products

Robert McNamara
Gestionnaire
Maritime Insulation Ltd.

George W. (William) Gilley
Vice-président
Glass-Cell Fabricators Ltd.

Roman K. Przybycien
Président
Insul-Coustic Inc.

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

DÉROULEMENT DE L'ENQUÊTE

Conformément aux dispositions de l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [1] (la LMSI), le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a procédé à une enquête après que le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (le Sous-ministre) eut rendu une décision provisoire de dumping datée du 22 juillet 1993 et une décision définitive de dumping datée du 20 octobre 1993, concernant l'importation au Canada de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux, avec pare-vapeur, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique.

Les avis de décisions provisoire et définitive de dumping ont paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 7 août et du 13 novembre 1993 respectivement. L'avis d'ouverture d'enquête publié par le Tribunal le 30 juillet 1993 a paru dans la Partie I de la Gazette du Canada du 7 août 1993.

Dans le cadre de l'enquête, le Tribunal a envoyé des questionnaires détaillés aux fabricants et aux importateurs de marchandises en question, dans lesquels il demandait des renseignements sur la production, la situation financière, les importations et le marché, ainsi que d'autres données relativement à la période allant du 1er janvier 1990 au 30 juin 1993. À partir des réponses aux questionnaires et d'autres sources, le personnel de la recherche du Tribunal a préparé des rapports public et protégé préalables à l'audience portant sur cette période.

Le dossier de l'enquête comprend toutes les pièces du Tribunal, y compris les réponses publiques et protégées aux questionnaires, toutes les pièces déposées par les parties lors de l'audience, ainsi que la transcription de toutes les délibérations. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties, mais seuls les avocats et les procureurs indépendants qui avaient remis un acte d'engagement ont eu accès aux pièces protégées. Le 7 octobre 1993, le Tribunal a rejet 9‚ une requête du Directeur des enquêtes et des recherches, Loi sur la concurrence, Bureau de la politique de concurrence (le Directeur), afin que lui-même et son personnel aient accès aux pièces protégées.

Des audiences publiques et à huis clos ont été tenues à Ottawa (Ontario) du 25 au 29 octobre 1993. La partie plaignante, Isolation Manson Inc. (Manson), était représentée par des procureurs et un avocat, a soumis des éléments de preuve et présenté des arguments à l'appui de conclusions de préjudice. Les procureurs et les avocats représentant Owens-Corning Fiberglas Canada Inc. (Fiberglas), un importateur, Owens-Corning Fiberglas Corporation (Owens-Corning), un exportateur, Manville Canada, Inc. (Manville), un importateur, Schuller International, Inc. (Schuller), un exportateur, Knauf Fiber Glass GmbH (Knauf), un exportateur, et Glass-Cell Fabricators Ltd. (Glass-Cell), un distributeur, ont tous soumis des éléments de preuve et présenté des arguments en faveur de conclusions de non préjudice. Le Directeur était représenté par un avocat et a invoqué des arguments à l'appui de conclusions de non préjudice. La société Plastic & Allied Building Products Ltd., un distributeur, a présenté un exposé, mais n'a pas fourni d'éléments de preuve à l'appui de cet exposé.

Le 27 août 1993, le Directeur a informé le Tribunal de son intention de formuler des observations sur la question de l'intérêt public conformément à l'article 45 de la LMSI. Par la suite, le Directeur, la Master Insulators' Association of Ontario Inc. et l'Association canadienne de l'isolation thermique ont avisé le Tribunal de leur intention de faire des observations sur la question de l'intérêt public. Le 29 septembre 1993, le Tribunal a informé les avocats, les procureurs et les parties qu'il donnerait l'occasion aux parties de formuler de telles observations si des conclusions de préjudice étaient rendues et qu'il les aviserait alors de la procédure à suivre. Le 24 novembre 1993, le Tribunal a signifié aux parties la procédure à suivre.

PRODUIT

Le produit qui fait l'objet de la présente enquête est décrit par le Sous-ministre dans sa décision provisoire de dumping comme étant un isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux, avec pare-vapeur, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique. L'isolant préformé pour tuyaux est produit avec ou sans pare-vapeur. Toutefois, seul l'isolant pour tuyaux avec pare-vapeur est visé par la présente enquête.

L'isolant préformé pour tuyaux est constitué de laine de verre fine isolante qui est façonnée en tubes présentant un diamètre intérieur et une épaisseur de paroi prédéterminés. La fibre de verre est produite à l'aide de deux procédés de fabrication, soit le procédé d'affinage à la flamme et le procédé par rotation. L'industrie nationale utilise le procédé d'affinage à la flamme pour fabriquer la laine de verre. Des billes de verre sont alors fondues et les fils de verre ainsi obtenus sont soufflés en fibres qui sont recueillies sur un transporteur à tapis métallique où elles sont formées en matelas ou en feuilles. Une couche de résine thermodurcissable est appliquée sur ces derniers. Les feuilles de fibre de verre sont enroulées sur des mandrins. Le produit semi-fini traverse un four, étape au cours de laquelle la résine thermodurcissable confère au produit sa rigidité permanente. Le matériau préformé est ensuite revêtu d'un pare-vapeur (enveloppe) constitué en général d'une pellicule de polyester métallis 9‚e qui est renforcée de fils de fibre de verre et de papier kraft.

Dans le procédé par rotation, le verre en fusion est maintenu dans une assiette qui tourne et est pulvérisé à travers des orifices pratiqués sur la périphérie de l'assiette (panier centrifugeur). Le verre est ensuite refroidi à l'aide de jets d'air forcé et soufflé en fibres.

Sur le marché national, les marchandises en question présentent un diamètre intérieur compris entre 0,5 po et 24,0 po (diamètre du tuyau à isoler) et une épaisseur de paroi d'au moins 0,5 po et d'au plus 4,0 po (incréments de 0,5 po).

L'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux est utilisé pour isoler les tuyauteries dans les projets de construction commerciale et collective où des isolants sont requis pour la régulation des procédés, l'économie d'énergie ou la protection personnelle. Le pare-vapeur protège l'isolant et les matériaux constitutifs des tuyaux contre l'humidité. L'isolant pour tuyaux muni d'un pare-vapeur intervient pour 80 p. 100 de l'ensemble des isolants pour tuyaux utilisés dans les bâtiments commerciaux et collectifs.

INDUSTRIE NATIONALE

Manson, une filiale qui appartient exclusivement à The Manson Group Ltd. (le Manson Group), est la seule entreprise qui fabrique les marchandises en question au Canada.

Manson produit les marchandises en question à son usine de Brossard (Québec) depuis 1986. Manville a fabriqué les marchandises en question à Brossard de 1972 à février 1986, date à laquelle le Manson Group a acheté l'inventaire et les installations de fabrication de Manville. Manson devenait alors le fournisseur des anciens distributeurs de Manville.

Selon les conditions de vente des biens de Manville, cette dernière et sa société mère américaine ne pouvaient vendre certains produits isolants, y compris les marchandises en question, au Canada pendant cinq ans et Manson ne pouvait exporter ces marchandises vers les États-Unis pendant cette même période qui prenait fin le 31 janvier 1991. Les conditions de vente comprenaient aussi une entente en vertu de laquelle Schuller fournit à Manson les billes de verre, la principale matière première utilisée dans le procédé d'affinage à la flamme employé à l'usine de Brossard. Ce contrat de fourniture est présentement en vigueur.

La société Fiberglas a fabriqué des isolants préformés en fibre de verre pour tuyaux à Sarnia (Ontario) jusqu'en avril 1990, date à laquelle elle a mis fin à la production des marchandises en question à cet endroit pour les fabriquer à l'usine de la société Owens-Corning aux États-Unis.

En 1989 et 1990, Manson et Fiberglas ont proposé de former une coentreprise, connue sous le nom de Manoc, afin de produire et de distribuer des produits isolants, dont les marchandises en question, destinés au marché nord-américain. En 1990, les parties ont décidé de ne pas aller de l'avant avec le projet après que le Directeur eut procédé à un examen et fait part de ses préoccupations.

Manson a récemment formé une coentreprise avec une société américaine, CertainTeed Corp. (CertainTeed), qui fabrique des produits isolants, y compris les marchandises en question. L'établissement de la société CertainTeed Manson (CTM) était notamment prévue. Depuis avril 1993, CTM est responsable de la commercialisation au Canada et aux États-Unis des marchandises en question produites par les sociétés Manson et CertainTeed.

EXPORTATEURS ET IMPORTATEURS

Pendant son enquête, le Sous-ministre a recensé quatre exportateurs américains des marchandises en question. Il s'agit de Schuller, d'Owens-Corning, de Knauf et de CertainTeed.

Au cours de son enquête, le Sous-ministre a aussi cité 14 importateurs, qui importent tous des produits des États-Unis. Il y a deux catégories d'importateurs actifs sur le marché canadien. Tout d'abord, Fiberglas, une filiale à part entière d'Owens-Corning, et Manville, une filiale à part entière de Schuller, importent les marchandises en question pour ensuite les vendre à leurs propres distributeurs exclusifs. Par ailleurs, les marchandises en question fabriquées par Knauf et CertainTeed sont importées directement par leurs distributeurs canadiens. Certains entrepreneurs et distributeurs canadiens importaient aussi les marchandises en question de distributeurs américains avant la période visée par l'enquête et au début de celle-ci.

DISTRIBUTION ET COMMERCIALISATION

Les marchandises en question sont essentiellement des produits de base. Les produits fabriqués au pays et les produits importés sont très facilement interchangeables au regard de leur utilisation finale. Il arrive que des marchandises produites par des fabricants donnés soient demandés explicitement dans le cadre de projets, habituellement en raison des préférences manifestées par des installateurs pour un type particulier de pare-vapeur.

Les marchandises en question, qu'elles soient fabriquées au pays ou importées, sont distribuées au Canada par des distributeurs régionaux qui s'approvisionnent auprès du fabricant national, d'un exportateur ou d'un importateur. Les distributeurs canadiens font habituellement affaire avec un seul fournisseur d'isolants pour tuyaux, tandis que les distributeurs américains vendent des isolants pour tuyaux provenant d'un certain nombre de fournisseurs. Les distributeurs canadiens commercialisent les produits auprès d'entrepreneurs d'isolation et d'autres utilisateurs. Règle générale, les distributeurs offrent une vaste gamme de produits isolants et d'accessoires. Selon les témoignages entendus, les ventes d'isolants pour tuyaux en question représentent environ de 5 p. 100 à 15 p. 100 de l'ensemble des ventes des distributeurs.

Au Canada, le réseau de distribution des marchandises en question a subi un certain nombre de changements depuis 1986, certains distributeurs ayant choisi de faire affaire avec un nouveau fournisseur ou de changer de fournisseur à la suite de fusions et d'acquisitions. Les changements se sont produits après le départ de la société Manville du marché canadien en 1986 et par suite de l'acquisition par Manson de l'ancien réseau de distribution de Manville. D'autres changements sont survenus au retour de Manville sur le marché canadien en 1991, des distributeurs ayant décidé de s'associer au réseau de distribution de Manville ou de s'y joindre de nouveau. La perte d'un distributeur entraîne habituellement la perte d'une part correspondante du marché pour le fournisseur, qui prend habituellement des mesures pour recouvrer cette part du marché.

Dans l'Ouest canadien, il y a eu de nombreux changements au niveau des distributeurs. Manson a hérité d'un distributeur de Manville, Crossroads Distributors Inc. (Crossroads), ainsi que d'un entrepreneur-distributeur, Fuller Austin. Le Manson Group s'est porté acquéreur de Crossroads en 1987 et, pendant cette même période, Manson a cessé de faire directement affaire avec Fuller Austin. Cette dernière n'a pas réussi à trouver une source directe d'approvisionnement pour les marchandises en question avant 1991, date à laquelle Manville est revenue sur le marché et a désigné Fuller Bartells Distribution (Bartell), une associée de Fuller Austin, comme son distributeur pour l'Ouest canadien. Manson, qui avait aussi hérité de Wallace Construction Specialties Ltd. (Wallace), de Manville, a mis fin à la franchise de distribution en 1989. Wallace a commencé à importer de CertainTeed en 1992. En août 1992, un distributeur de Knauf, C&I Commercial and Industrial Insulation Specialists Inc. (C&I), a fusionné avec Crossroads. Knauf a remplacé C&I par un nouveau distributeur, la société Nu-West Construction Products Inc.

En Ontario, le principal changement au réseau de distribution a été le fait que Glass-Cell a cessé de s'approvisionner auprès de Manson pour se fournir auprès de Manville dès la fin de l'entente de non-concurrence le 1er février 1991. Manson s'est portée acquéreur d'A.C. Wild Inc. (Wild) au cours du premier trimestre de 1991. La société Insul-Coustic Inc. (Insul-Coustic) a été un distributeur pour Manson dans la région d'Ottawa de 1986 jusqu'au début de 1992, date à laquelle elle est devenue le distributeur de Manville pour la province de Québec et la région d'Ottawa. En juillet 1993, le Manson Group a acheté Multi-Glass Insulation Ltd. (Multi-Glass), le principal distributeur de Fiberglas en Ontario. Multi-Glass, Wild et Chemical Valley Insulation Services (1987) Limited (Chemical Valley), un autre distributeur de Manson, ont été fusionnées pour former un nouveau distributeur exerçant sous la raison sociale de Multi-Glass Insulation Ltd.

Au Québec, Manson a hérité en 1986 de Georges Nadeau Inc. (Nadeau) de la société Manville. En 1991, Nadeau a refusé de distribuer les produits Manville au Québec. Manville a donc choisi Isofab Inc. (Isofab) comme distributeur québécois. En 1991, Fiberglas a perdu son distributeur québécois de longue date, Val-Royal, qui a cessé d'offrir les marchandises en question. Fiberglas a remplacé Val-Royal par Isofab au début de 1992 et Manville a retenu Insul-Coustic comme distributeur au Québec.

Dans les provinces de l'Atlantique, le distributeur de Manson, Scotia Insulations Limited, s'est porté acquéreur en 1993 de MGI Eastern Ltd., un distributeur de Knauf depuis 1988. Maritime Insulation Ltd., un distributeur de Manville dont a hérité Manson en 1986, a renoué avec Manville à son retour sur le marché canadien. United Insulation Ltd. est devenue un distributeur de Manville en 1991.

L'Ontario est le principal marché régional des marchandises en question, suivi des Prairies et du Québec. Les éléments de preuve révèlent que le premier marché régional de Manson était l'Ontario, les Prairies et le Québec venant au deuxième et au troisième rangs. Les ventes de Manville étaient concentrées en Ontario, tandis que le principal marché régional de Fiberglas était l'Ontario, suivi des Prairies et des provinces de l'Atlantique qui représentent des parts similaires de l'ensemble des ventes. Avant 1993, la Colombie-Britannique était le premier marché de Knauf, suivie de près par les Prairies et l'Ontario. En 1993, l'Ontario était le premier marché régional de Knauf. Les ventes de CertainTeed sont concentrées en Colombie-Britannique et ensuite dans les Prairies.

Établissement des prix

Les prix de vente des fournisseurs aux distributeurs, tant pour les isolants pour tuyaux fabriqués au pays que pour ceux qui sont importés, sont énoncés sous la forme de remises par rapport à des prix courants habituellement communs. L'importance de la remise varie selon la conjoncture du marché. La pratique courante au sein de l'industrie est d'inclure dans les prix le fret payé d'avance et la livraison à destination par chemin de fer ou par camion.

Le marché des marchandises en question compte deux catégories d'activités, soit la vente au jour le jour (remplacement) et les travaux à contrat (installations importantes). Les prix des travaux quotidiens sont généralement établis à l'aide d'échelles de remises déterminées au préalable et connues. Les travaux à contrat font l'objet d'un processus d'appel d'offres. Dans les deux cas, les distributeurs reçoivent de leur fournisseur (fabricant canadien, exportateur ou importateur) une remise par rapport au prix courant, ce qui leur permet d'établir les remises qu'ils peuvent offrir aux entrepreneurs.

Le processus d'appel d'offres compte habituellement un certain nombre d'étapes. Les entrepreneurs d'isolation qui préparent leurs soumissions en vue d'obtenir un contrat d'installation demandent d'abord des soumissions aux distributeurs pour les revêtements de tuyaux en question et d'autres produits isolants requis. Il est généralement convenu au sein de l'industrie qu'un distributeur doit être concurrentiel dans l'établissement du prix des marchandises en question afin d'obtenir le contrat de fourniture de tous les produits isolants exigés pour un projet donné.

Les distributeurs font habituellement des propositions de prix à un certain nombre d'entrepreneurs en concurrence. Lorsqu'un des entrepreneurs obtient le contrat d'installation, ce dernier demande alors une deuxième proposition de prix aux distributeurs. Une troisième demande est souvent formulée. Certains distributeurs, qui ont réduit leurs propres marges dans le cadre des deux premières propositions, demanderont à leurs fournisseurs de leur consentir des remises spéciales, des réductions de prix ou des conditions particulières, pour leur permettre de proposer un prix concurrentiel. Les éléments de preuve ont montré que dans cette troisième et dernière étape, les fournisseurs aident régulièrement leurs distributeurs en leur proposant des prix spéciaux pour des projets précis. Ce sont donc les fournisseurs qui, en dernière analyse, déterminent les prix demandés dans une situation de mise en concurrence.

RÉSULTATS DE L'ENQUÊTE DU SOUS-MINISTRE

Le 16 juillet 1993, le Sous-ministre a mis un terme aux engagements en matière de prix acceptés des sociétés Schuller, Owens-Corning et Knauf le 18 juin 1993. Le 22 juillet 1993, le Sous-ministre a rendu une décision provisoire de dumping concernant l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux en question originaire ou exporté des États-Unis. Le 20 octobre 1993, le Sous-ministre a rendu une décision définitive de dumping concernant les marchandises en question. L'enquête a porté sur les isolants pour tuyaux importés au Canada entre le 1er octobre 1991 et le 31 décembre 1992. Le Sous-ministre a calculé les marges de dumping pour trois périodes : du 1er octobre au 30 novembre 1991, du 1er avril au 31 mai 1992 et du 1er novembre au 31 décembre 1992.

Le Sous-ministre a conclu que 99 p. 100 des marchandises en question examinées étaient sous-évaluées selon une marge moyenne pondérée de dumping de 38 p. 100, l'écart variant de 1 p. 100 à 99 p. 100. Le tableau suivant résume les résultats de l'enquête pour l'ensemble des exportations.

MARGES DE DUMPING

Période examinée

Marchandises sous-évaluées1
(%)

Marge moyenne pondérée de dumping
(%)

1er octobre au 30 novembre 1991

96,9

28

1er avril au 31 mai 1992

99,6

38

1er novembre au 31 décembre 1992

100,0

45

Total pour les périodes examinées

98,9

38

1. En tant que pourcentage des importations examinées.

Source : Ministère du Revenu national, Douanes et accise, décision définitive de dumping, Énoncé des motifs, le 20 octobre 1993.

POSITION DES PARTIES

Manson Ä Fabricant

La position de la société Manson était que le dumping des marchandises en question lui avait causé, lui causait et était susceptible de lui causer un préjudice sensible, et que le dumping causait un retard sensible.

Les procureurs et l'avocat de Manson ont soutenu que le préjudice sensible subi par leur client s'était manifesté par une réduction des ventes au pays, une perte de la part du marché, une érosion des prix et une diminution du chiffre d'affaires.

Les procureurs et l'avocat ont fait valoir que la fourchette des prix à l'intérieur de laquelle le fabricant canadien est en concurrence avec les importateurs pour obtenir les contrats offerts par les entrepreneurs est étroite et que tout fournisseur qui demande des prix à l'extérieur de cette fourchette n'est pas concurrentiel. Les procureurs et l'avocat ont soutenu que si ce n'étaient des marges importantes de dumping, les importateurs n'auraient pas été en mesure de soutenir la concurrence.

Les procureurs et l'avocat ont rejeté les allégations de conduite monopolistique de Manson, son prétendu traitement déplorable des distributeurs, les conséquences émotives de l'acquisition de distributeurs, l'incidence de la récession et l'affirmation selon laquelle Manson avait fait chuter les prix. Quant à la question de la perte de contrats au profit d'importations à prix plus élevés, les procureurs et l'avocat ont affirmé que les importateurs pouvaient soutenir la concurrence, même à des prix élevés, uniquement en raison des marges de dumping importantes.

Les procureurs et l'avocat ont fait valoir qu'à cause du dumping, Manson avait reporté l'ajout d'une troisième chaîne de fabrication à son usine de Brossard. Par conséquent, les procureurs et l'avocat ont demandé au Tribunal de rendre des conclusions de retard sensible.

En dernier lieu, bien que Manson ne l'ait pas demandé, les procureurs et l'avocat ont affirmé que l'augmentation des importations au cours de la première moitié de 1993 était suffisante pour justifier des conclusions de dumping massif.

Owens-Corning et Fiberglas Ä Exportateur et importateur

Les procureurs d'Owens-Corning et de Fiberglas ont fait valoir que les exportations d'Owens-Corning n'avaient pas causé, ne causaient pas et n'étaient pas susceptibles de causer un préjudice à la production au Canada de marchandises similaires. Selon les procureurs, la rationalisation par la société Owens-Corning de sa production nord-américaine de marchandises visées et non visées avait nettement favorisé le Canada, n'avait pas entraîné les prix à la baisse et était entravée par la perte de son principal distributeur en Ontario au profit de Manson.

Les procureurs ont soutenu que la pression sur les prix n'était pas attribuable à la concurrence des importations, mais au fait que les distributeurs avaient l'impression que le marché était en récession et à la concurrence interne entre les distributeurs qui avaient réduit leurs marges dans le processus d'appel d'offres. Ils ont aussi fait valoir que le retour de Manville sur le marché canadien et les conséquences possibles sur les prix de ce retour étaient prévisibles. Selon eux, des éléments de preuve tendent à montrer que Manson fixait ses prix de façon agressive.

Les procureurs ont aussi soutenu que la coentreprise avec CertainTeed modifie la situation de la société Manson qui, d'un fabricant local, devient une participante au sein d'une entreprise mondiale qui a accès à des techniques et des ressources de niveau mondial. La création de CTM est un élément nouveau et important de l'industrie et il ne peut être supposé que la situation de la société Manson sera la même à l'avenir. Les procureurs ont rappelé une situation similaire à laquelle le Tribunal canadien des importations a été confronté dans sa décision concernant les Tuyaux sans soudure en acier au carbone [2] , où les renseignements disponibles au sujet de la nouvelle entreprise étaient limités et ne permettaient pas d'effectuer une analyse exhaustive des incidences sur la production au Canada.

Quant à la question du dumping massif, les procureurs ont soutenu que de nombreux éléments de preuve montrent que les distributeurs, prévoyant un engagement en matière de prix, ont acheté et importé des produits pour respecter les contrats en vigueur, ce qui explique l'augmentation des importations. Les procureurs ont fait observer qu'il ne pouvait y avoir préjudice attribuable à un retard sensible de la mise en production puisque la production au Canada des marchandises en question est déjà établie.

Les procureurs d'Owens-Corning et de Fiberglas ont soutenu que si le Tribunal rend des conclusions de préjudice, ce dernier doit accorder des exclusions à leurs clients puisqu'ils ont démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'ils n'ont pas causé de préjudice à la partie plaignante.

Manville et Schuller Ä Importateur et exportateur

Les avocats de Manville et de Schuller ont fait valoir que les problèmes qu'éprouve Manson sont en grande partie attribuables aux mesures prises par cette société. L'achat systématique de distributeurs par Manson et l'élimination des autres distributeurs qui en a résulté, de même que la proposition de Manoc, ont été perçus comme une tentative de la part de Manson de dominer le marché, ce qui y a suscité des inquiétudes. De plus, les procédures antidumping entamées par Manson ont nui à l'association de Manson et de CertainTeed puisque cette dernière ne peut plus exporter ses produits vers le Canada et que la rationalisation de ses opérations ne peut se faire. En outre, la lenteur de Manson à augmenter ses prix à la suite des engagements pris a contribué aux problèmes de cette dernière. Quant à la question du préjudice attribuable à un dumping massif, les avocats ont soutenu que les distributeurs ont augmenté leurs importations pour respecter des engagements contractuels antérieurs envers leurs clients et ce, à des prix fixés au préalable.

Les avocats ont mentionné la décision du Tribunal dans l'affaire des Tapis [3] et fait valoir qu'il faut démontrer que le dumping en lui-même cause un préjudice sensible et que les éléments de preuve doivent s'appuyer sur des arguments plus convaincants que des arguments anecdotiques sur les ventes et les comptes perdus. Les avocats ont soutenu que la partie plaignante n'a présenté aucun argument concernant la perte présumée de distributeurs. De toute façon, selon les avocats, toute perte de distributeurs est attribuable à des raisons autres que les prix. Les avocats ont aussi fait valoir que les éléments de preuve au sujet des clients perdus au profit de Manville n'étaient pas convaincants et que les clients qui ont pu être perdus ne l'avaient pas nécessairement été en raison de l'établissement de prix plus bas, puisque les prix demandés par la société Manville étaient plus élevés, ou semblables, à ceux de la partie plaignante. En fait, les avocats ont laissé entendre qu'aucun élément de preuve ne montre que Manville avait, à un moment donné, réduit ses prix de façon à nuire à Manson et que les pressions exercées sur les prix du marché après le retour de Manville n'étaient pas causées par cette entreprise, mais par le fait que Manson luttait contre la présence de Manville sur le marché et réagissait à la perte de Glass-Cell. Les avocats ont déclaré qu'il ne pouvait y avoir préjudice lorsque, abstraction faite des marges de dumping, les clients ou les contrats sont perdus pour des raisons autres que l'établissement des prix.

Les avocats ont soutenu qu'en se fondant sur des facteurs de préjudice comme l'emploi, la capacité de production et l'utilisation de cette capacité, rien ne justifie des conclusions de préjudice passé et présent. Les avocats ont fait valoir que tout préjudice futur serait attribuable à des conclusions de préjudice qui empêcheraient Manson de rationaliser sa production.

Selon les avocats de Manville et de Schuller, si le Tribunal rend des conclusions de préjudice, il doit accorder des exclusions à leurs clients puisqu'ils ont démontré, selon la prépondérance de probabilités, qu'ils n'ont pas causé de préjudice à la partie plaignante.

Knauf Ä Exportateur

Les avocats de la société Knauf ont soutenu que les importations de leur client n'avaient pas causé, ne causaient pas et n'étaient pas susceptibles de causer un préjudice sensible à Manson. Ils ont aussi fait valoir que tout préjudice qui pouvait exister était attribuable à des facteurs non liés au dumping, notamment la récession, l'instabilité du marché causée par l'acquisition de distributeurs par la partie plaignante, la perte de volume et de part du marché découlant des changements dans les distributeurs ainsi que le retour de Manville sur le marché canadien et les conséquences de ce retour sur les parts du marché.

Quant aux clients perdus, les avocats sont d'avis qu'ils l'ont été non pas en raison des prix plus bas, mais pour d'autres motifs, particulièrement lorsque les exportateurs ont aligné leurs prix sur ceux de Manson. C'est plutôt leur client qui a perdu des contrats au profit de la partie plaignante pour des raisons de prix. Selon eux, Manson a exercé des pressions sur les prix afin d'accroître les volumes de production et la capacité d'utilisation de la production.

Quant à la question du retard sensible des investissements, les avocats ont soutenu que rien ne permet de conclure qu'il y a eu préjudice, aucun plan détaillé n'ayant été produit comme élément de preuve.

Glass-Cell Ä Distributeur

Les avocats de Glass-Cell ont soutenu que des conclusions de préjudice auraient d'importantes répercussions sur les distributeurs. En ce qui a trait aux allégations de préjudice, les avocats ont prétendu que le départ de Glass-Cell n'était pas attribuable au dumping ou à toute autre considération en matière de prix. Un certain nombre d'autres facteurs, dont les inquiétudes suscitées par l'acquisition de distributeurs, la proposition de Manoc et la présence de Manson sur le marché de la société Glass-Cell, ont été des sources de déception pour Glass-Cell qui a donc décidé de faire affaire avec Manville. Quant aux pertes de distributeurs et de projets, les avocats ont soutenu que ces pertes étaient attribuables aux mesures prises par la société Manson. Il est, selon eux, impossible de démontrer qu'il y a eu préjudice en raison d'importations massives.

Directeur des enquêtes et des recherches

Le Directeur a comparu aux termes de l'article 125 de la Loi sur la concurrence [4] . Son exposé et son examen se sont limités à la question du préjudice sensible. L'avocat a indiqué que le Directeur s'oppose à des conclusions de préjudice.

Selon l'avocat, CTM pourrait utiliser les importations provenant de CertainTeed dont les droits ont été entièrement acquittés et fixer un prix pondéré qui serait inférieur à celui de tout autre produit importé. Il a aussi ajouté que rien ne prouvait l'existence d'un tel plan, mais qu'il était réalisable et devrait donc être envisagé par le Tribunal dans ses délibérations concernant tout préjudice futur. L'avocat a soutenu que le Tribunal doit tenir compte des événements qui ont eu lieu avant la période visée par l'enquête, comme la chute des prix qui s'est produite avant qu'il y ait eu des preuves de dumping, ainsi que des raisons de cette chute. Il a aussi fait valoir que les conséquences du retour de Manville n'ont aucun lien avec le dumping et que les acquisitions et les alliances conclues par Manson avec des distributeurs et la désaffection des distributeurs qui s'en est suivie, ont, en fait, facilité le retour de Manville, et ne sont donc pas liés au dumping.

INDICATEURS ÉCONOMIQUES

Le marché pour l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur était essentiellement stagnant de 1990 jusqu'à la première moitié de 1993. Le marché avait atteint des niveaux beaucoup plus élevés à la fin des années 80. Les niveaux dont il est question dans le rapport du personnel du Tribunal sont un reflet de l'activité réelle du marché en 1991 et en 1992. Étant donné que certains importateurs n'ont pas déclaré leurs ventes à l'importation en 1990, le Tribunal a conclu que les ventes totales consignées pour l'année en question sous-estimaient le niveau d'activité. Par conséquent, le Tribunal est d'avis que le marché n'a connu aucun changement ou très peu de changements entre 1990 et 1991.

INDICATEURS ÉCONOMIQUES

1991

1992

Janv.-juin1
1993

Volume des ventes intérieures2 (% changement)

(43)

(4)

(20)

Ventes intérieures plus ventes de CTM à partir des importations (% changement)

(43)

(4)

(7)

Ventes à partir des importations3 (000 pi lin.)

12 629

12 662

8 869

Ventes à partir des importations (% changement)

102

0

48

Prix moyens aux distributeurs :

Prix intérieurs moyens4 (% changement)

4,1

(21,6)

(7,1)

Prix moyens à l'importation (% changement)

(19,6)

(16,4)

(8,1)

Prix moyens à l'importation ($/pi lin.)

0,86

0,72

0,68

Production intérieure5 (% changement)

17

18

(18)

Emplois directs (% changement)

0

(3)

(8)

Taux d'utilisation de la capacité (%)

16

18

(10)

1. Les chiffres relatifs aux changements en pourcentage dans cette colonne portent sur la période allant de janvier à juin 1992.

2. Ventes à partir de la production intérieure, y compris les ventes de Manson, les ventes de CTM au cours du deuxième trimestre de 1993 et les ventes de Fiberglas à partir de son inventaire après avril 1990.

3. Exclut les ventes de CTM à partir des importations.

4. Prix moyens pour les ventes de Manson et de CTM à partir de la production intérieure seulement.

5. Production de Manson seulement. Fiberglas a cessé de produire au Canada en avril 1990.

Source : Rapport du personnel du Tribunal.

Par ailleurs, les données du Tribunal indiquent une croissance du marché en 1993. Toutefois, les témoins ont déclaré que cela ne s'était pas produit et ont fourni des données sur les permis de construction non résidentielle pour étayer ce point de vue. Le Tribunal est d'avis que le marché ne s'est pas amélioré. En 1991 et en 1992, les ventes aux distributeurs ont reflété le niveau réel d'utilisation de l'isolant en fibre de verre pour tuyaux. Toutefois, au printemps de 1993, il n'en a pas été ainsi. Les distributeurs ont augmenté leurs importations d'isolants pour tuyaux en prévision du fait que le Sous-ministre devait accepter des engagements en matière de prix en juin 1993 de la part des principaux exportateurs américains. Les exportateurs ont confirmé le fait qu'ils avaient effectué des ventes anticipées pour respecter les engagements en matière de prix que les distributeurs avaient passé avec les entrepreneurs. Au début de juillet 1993, les stocks du système de distribution étaient plus élevés que nécessaires compte tenu du niveau d'activité dans le domaine de la construction, comme en font foi les statistiques sur les permis de construction.

Les ventes de l'industrie nationale ont diminué de façon marquée entre 1990 et 1991, se sont stabilisées en 1992 pour chuter encore au cours de la première moitié de 1993. En avril 1990, Fiberglas a cessé de produire de l'isolant en fibre de verre pour tuyaux au Canada. Cet événement explique une partie importante de la diminution des ventes de l'industrie nationale en 1991. Au cours du premier trimestre de 1993, les ventes de Manson au Canada ont été entièrement assurées par la production de l'usine de Brossard. Toutefois, au cours du deuxième trimestre de 1993, certaines des ventes de Manson à partir de la production intérieure ont été remplacées par des importations de CTM provenant de CertainTeed aux États-Unis. Par conséquent, une partie de la diminution des ventes à partir de la production nationale au cours de la première moitié de 1993 a été contrebalancée par les marchandises importées de CertainTeed par CTM.

Les ventes à partir des importations ont plus que doublé entre 1990 et 1991, se sont stabilisées en 1992 et ont connu une forte augmentation au cours de la première moitié de 1993. Comme il a déjà été souligné, le Tribunal est d'avis que les données consignées sous-estiment les niveaux des importations en 1990. Toutefois, le retour de Manville et le fait que Fiberglas a complété la transition d'une production intérieure au recours à des importations expliquent en grande partie l'augmentation des importations en 1991. Les principaux exportateurs ont tous augmenté leurs ventes de façon importante au cours de la première moitié de 1993.

Il y a eu d'importants changements dans les parts du marché entre 1990 et la première moitié de 1993. La part de Manson a chuté fortement entre 1990 et 1991, s'est stabilisée en 1992 et a poursuivi sa chute au cours de la première moitié de 1993. La part du marché de Fiberglas a chuté de 1990 à 1991 et est demeurée au même niveau pendant le reste de la période visée par l'enquête. Bien que la part du marché de Knauf ait fluctué, elle a augmenté pendant la période d'enquête. À son retour en 1991, Manville a immédiatement obtenu une part importante du marché et l'a accrue pendant la période visée par l'enquête.

Le Tribunal a compilé des données détaillées sur les prix de l'isolant en fibre de verre pour tuyaux. Les prix moyens des fabricants canadiens ainsi que ceux des exportateurs et des importateurs sont établis en fonction de la livraison aux distributeurs, c'est-à-dire qu'ils comprennent le fret, qui est élevé pour l'isolant pour tuyaux. Les prix ont diminué pendant la période visée par l'enquête jusqu'à la fin de 1992. La baisse des prix a été particulièrement prononcée en 1992. Elle a été moins marquée au cours de la première moitié de 1993, mais les prix étaient alors à un niveau inférieur de beaucoup à ceux de 1990. À partir de 1991, les données indiquent que les prix moyens pour les ventes à partir des importations étaient toujours plus bas que ceux pour les ventes intérieures.

Le Tribunal a aussi examiné les prix payés par les distributeurs pour neuf dimensions en demande d'isolants en fibre de verre pour tuyaux à compter du premier trimestre de 1991 jusqu'au deuxième trimestre de 1993. En 1992, les achats d'isolants de ces dimensions par les distributeurs représentaient environ 40 p. 100 de l'ensemble du marché. Ces données reflètent, en grande partie, les tendances de base des données sur les prix moyens. Elles indiquent aussi des chutes trimestrielles marquées des prix pour chacune des neuf dimensions et pour les quatre principaux fournisseurs entre le premier trimestre de 1991 et la deuxième moitié de 1992. Les prix ont ensuite tendance à se stabiliser jusqu'à la première moitié de 1993. Ces données permettent aussi de constater que pour la plupart des dimensions choisies, les prix à l'importation de chacun des exportateurs étaient inférieurs aux prix nationaux.

La production de Manson a augmenté considérablement à compter de 1990, pour atteindre un sommet en 1992. Elle a chuté au cours de la première moitié de 1993 par rapport à la période correspondante de 1992. Toutefois, une analyse des données sur les ventes de Manson au regard de la consommation intérieure et des exportations, corrigées pour tenir compte de l'inventaire, démontre que l'augmentation de la production totale est attribuable aux exportations et que la production destinée aux ventes intérieures a en fait diminué pendant la période visée par l'enquête.

Les revenus de Manson provenant des ventes intérieures ont diminué pendant la période d'enquête, chutant de 35 p. 100, de 24 p. 100 et de 30 p. 100 au cours des exercices 1992 [5] et 1993 ainsi que les quatre premiers mois de l'exercice 1994, respectivement. Des coûts unitaires réduits, et plus particulièrement une diminution des coûts des biens vendus depuis l'exercice 1993, ont permis à Manson d'obtenir une marge bénéficiaire nette importante sur les ventes intérieures. En dépit de ces réductions de coûts, sa marge bénéficiaire nette a été réduite de moitié au cours des quatre premiers mois de l'exercice 1994, comparativement à la période correspondante de l'exercice antérieur.

À l'échéance de l'entente de non-concurrence avec Manville, Manson a commencé à exporter vers les États-Unis sur une grande échelle. Les ventes à l'exportation ont augmenté considérablement au cours de l'exercice 1993 avant de chuter pendant la première moitié de l'exercice 1994. Des exportations correspondant à peu près au volume des ventes sur le marché intérieur semblent avoir contribué sensiblement à réduire les coûts unitaires et à maintenir ainsi la rentabilité de Manson au chapitre des ventes intérieures.

Les états financiers de Manson pour les ventes intérieures et les ventes à l'exportation au cours des quatre premiers mois de l'exercice 1994 ne seront probablement pas comparables à ceux des périodes antérieures. C'est à ce moment que CTM a commencé à vendre la production de Manson. Les produits des ventes pourraient être sous-estimés ou surestimés en raison des ententes sur l'établissement des prix conclues entre Manson et CTM. Il pourrait en résulter des transferts financiers entre les deux entreprises pour contrebalancer la différence entre les prix obtenus par CTM et le prix de cession initial à CTM.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l'article 42 de la LMSI, le Tribunal doit déterminer si le dumping des marchandises en question, conformément à la décision du Sous-ministre, a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires. Le Tribunal doit être convaincu que l'industrie nationale, qui fait l'objet de la présente enquête, constitue pour le moins une proportion majeure de la production nationale totale d'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur. Le Tribunal doit également établir quelles marchandises constituent des marchandises similaires aux marchandises en question importées. Le Tribunal doit ensuite déterminer si l'industrie nationale a subi un préjudice sensible ou est menacée par un tel préjudice et s'il y a un lien de cause à effet entre le préjudice sensible subi par l'industrie nationale et le dumping des marchandises en question.

Industrie nationale

Aux termes de l'alinéa 42(3)a) de la LMSI, le Tribunal doit tenir entièrement compte du paragraphe 1 de l'article 4 du Code antidumping du GATT (le Code) [6] , qui définit l'industrie nationale. Le paragraphe 1 de l'article 4 du Code stipule que :

Aux fins de la détermination de l'existence d'un préjudice, l'expression «branche de production nationale» s'entendra de l'ensemble des producteurs nationaux de produits similaires ou de ceux d'entre eux dont les productions additionnées constituent une proportion majeure de la production nationale totale de ces produits.

Le Tribunal est d'avis que cette exigence est satisfaite dans la présente cause, la partie plaignante étant le seul fabricant national d'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur.

Marchandises similaires

Afin d'établir si l'industrie nationale subit un préjudice, le Tribunal doit déterminer ce qui constitue des marchandises similaires aux marchandises en question importées. Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit comme suit les marchandises similaires par rapport aux marchandises en question importées :

a) marchandises identiques aux marchandises en cause;

b) à défaut, marchandises dont l'utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause.

Les éléments de preuve ont clairement montré que les isolants pour tuyaux avec pare-vapeur produits par la partie plaignante sont en concurrence avec les marchandises en question importées, qu'ils sont destinés aux mêmes utilisations finales et qu'ils sont interchangeables. Par conséquent, le Tribunal conclut que l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur de la partie plaignante constitue des marchandises similaires aux marchandises en question importées.

Il y a eu certaines discussions lors de l'audience au sujet des produits qui pourraient remplacer les marchandises en question. Selon les éléments de preuve soumis, l'isolant au silicate de calcium, utilisé dans des applications industrielles à haute température, ne peut pas remplacer les marchandises en question. Les discussions ont aussi porté sur la possibilité de remplacer les marchandises en question par de la laine minérale isolante. Les éléments de preuve ont montré que la laine minérale est habituellement considérée comme un isolant industriel et est utilisée lorsque des pare-vapeur ne sont pas requis. Aucun exemple de cas où de la laine minérale avec pare-vapeur a été en concurrence avec les marchandises en question n'a été soumis. Le Tribunal est convaincu que la laine minérale et le silicate de calcium ne sont pas des marchandises similaires à l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur.

Examen des questions et des positions des parties

Il ne fait aucun doute que Manson a subi un préjudice sensible qui s'est manifesté sous la forme d'une compression des prix, d'une réduction de la part du marché, d'une perte de projets et d'une baisse des revenus. Le différend porte sur l'existence ou non d'un lien de cause à effet entre le préjudice sensible subi par l'industrie nationale et le dumping constaté par le Sous-ministre. Afin de conclure à un préjudice, le Tribunal doit être convaincu de l'existence de ce lien de cause à effet.

En ce qui a trait à la question du lien de causalité, le Tribunal est d'avis qu'il faut répondre à trois grandes questions de fait. Premièrement, il faut établir dans quelle mesure, le cas échéant, le dumping a contribué à la chute rapide des prix de l'isolant préformé pour tuyaux qui s'est produite pendant la période visée par l'enquête. Deuxièmement, il faut déterminer dans quelle mesure, le cas échéant, les marchandises en question sous-évaluées ont contribué à la perte de la part du marché de Manson. Troisièmement, il faut évaluer dans quelle mesure les prix plus bas et la réduction de la part du marché ont contribué à la baisse des revenus de Manson.

Le Tribunal s'est penché sur un certain nombre de facteurs pour déterminer la cause de la chute des prix des marchandises en question et de la perte de la part du marché de Manson. Des éléments autres que des importations sous-évaluées peuvent causer un préjudice. Dans son examen sur le rapport entre le préjudice sensible et le dumping, le Tribunal doit s'assurer que tout préjudice pouvant avoir été causé par d'autres facteurs ne soit pas attribué au dumping.

Manson a imputé le préjudice qu'elle a subi aux importations, ou aux offres d'importations, à des prix de dumping. Les procureurs et l'avocat de Manson ont soutenu que la vente de produits importés selon des marges de dumping toujours plus importantes pendant la période d'enquête ont obligé cette société à réduire ses prix pour tenter de conserver sa part du marché. De plus, les procureurs et l'avocat ont prétendu que le principal distributeur de Manson s'est joint à Manville en 1991 en raison des prix moins élevés offerts par cette entreprise, prix pour lesquels à la fin du quatrième trimestre de 1991, une marge de dumping de 23 p. 100 a été établie, marge qui n'a cessé de croître en 1992.

Les avocats et les procureurs représentant les exportateurs et les importateurs ont soutenu que la demande de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux en question a diminué après 1989 en raison de la récession et, plus particulièrement, en raison de la diminution de l'activité dans le domaine des nouvelles constructions non-résidentielles. Les prix du marché de l'isolant pour tuyaux ont alors baissé. De plus, en 1989 et en 1990, des prix inférieurs dans le nord-est des États-Unis ont incité les commerçants, les distributeurs et les entrepreneurs canadiens à profiter de l'écart de prix entre les États-Unis et le Canada qui existait à ce moment et à importer les marchandises en question directement de distributeurs américains. En février 1991, Manville est revenue sur le marché canadien. Les avocats et les procureurs ont fait remarquer que le principal distributeur de Manson a alors décidé de s'associer à Manville pour des raisons qui n'ont aucun rapport avec les prix. Manson a réagi à la venue d'un quatrième distributeur important sur le marché en réduisant ses prix. Selon les avocats et les procureurs, Manson a entraîné les prix à la baisse de 1991 jusqu'à la première moitié de 1993. Les exportateurs et les importateurs ont été contraints de réduire les prix pour soutenir la concurrence. Les avocats et les procureurs ont en outre prétendu que la restructuration par Manson de son réseau de distribution, de même que l'acquisition depuis 1986 d'un certain nombre de distributeurs, ont créé un sentiment de méfiance au sein de ses distributeurs indépendants, incitant un certain nombre d'entre eux à opter pour Manville en 1991. En dernier lieu, les avocats et les procureurs ont fait valoir que Manson augmentait les volumes de production destinés aux marchés d'exportation, expliquant ainsi toute perte au niveau de la production nationale pour consommation intérieure.

Modifications aux conditions du marché

De toute évidence, le fait que Manville a quitté le marché en 1986 et, plus particulièrement, son retour en 1991 ont joué un rôle de premier plan dans l'évolution du marché des marchandises en question au Canada. Toutefois, d'autres facteurs ont eu une incidence sur le marché et, en particulier, sur les prix.

À la fin des années 80, les prix de vente des marchandises en question dans le nord-est des États-Unis étaient sensiblement inférieurs à ceux en vigueur au Canada. Les éléments de preuve et les témoignages confirment le fait qu'en 1989 et jusqu'en 1990, certains importateurs indépendants achetaient les marchandises en question aux distributeurs américains et ce, à des prix inférieurs à ceux offerts par les distributeurs canadiens liés à des fournisseurs. Contrairement aux distributeurs canadiens, les distributeurs américains vendent en général les produits de tous les fournisseurs américains des marchandises en question, et ces bas prix étaient offerts pour l'isolant pour tuyaux fabriqué par tous les principaux fabricants américains.

Les éléments de preuve produits par Glass-Cell lors de l'audience ont permis d'établir qu'en 1990, les entrepreneurs d'isolation exerçaient des pressions sur les distributeurs et, par leur intermédiaire, sur tous les principaux fournisseurs afin qu'ils baissent leurs prix au Canada. Le principal distributeur de Manson à l'époque, Glass-Cell, a demandé des concessions au niveau des prix. Manson a d'abord refusé, mais a consenti une réduction après que Glass-Cell eut importé des produits de Manville par l'entremise d'un distributeur américain et convaincu Manson que les distributeurs canadiens pouvaient facilement obtenir des produits américains à bas prix. Le fait que des importations américaines à des prix inférieurs étaient disponibles a augmenté la concurrence par les prix sur le marché canadien en 1990. Les témoignages entendus confirment que lors de cette période de la fin des années 80 et du tout début des années 90, des pressions à la baisse ont été exercées sur les prix canadiens d'isolant pour tuyaux, en raison des importations offertes à des prix inférieurs par les distributeurs américains. Le Tribunal est convaincu que les fournisseurs canadiens ont été obligés d'offrir des prix équivalents.

Cette pression externe sur les prix a coïncidé avec un fléchissement important du marché causé par la récession. Les éléments de preuve et les témoignages de toutes les parties confirment que la demande du marché en 1990 était beaucoup plus faible qu'elle ne l'était à la fin des années 80, ce qui a accru la concurrence par les prix. En 1990, les prix étaient donc inférieurs à ceux en vigueur à la fin des années 80. Il y a toutefois eu désaccord entre les parties à savoir si la récession avait continué d'influer sur la demande après 1990 et, dans l'affirmative, sur son incidence sur les prix. Les exportateurs ont soutenu que la récession avait continué de restreindre la demande et qu'elle avait été en fait une cause de la diminution des prix. Par ailleurs, les témoins de Manson ont affirmé que la croissance de la demande dans le secteur institutionnel, les projets visant à enlever et éliminer l'amiante, et les projets d'amélioration de l'isolation ont largement contribué à contrer le déclin apparent de la demande au regard de la tendance à la baisse de la valeur totale des permis délivrés pour les projets de construction commerciale. De l'avis du Tribunal, l'effet de la récession s'est surtout fait sentir en 1990. Les données confidentielles sur le marché révèlent que la demande n'a pas diminué après 1990, mais qu'elle est demeurée stable de 1991 jusqu'à la première moitié de 1993, les achats faits à l'avance par les importateurs au printemps de 1993 étant pris en compte. Selon le Tribunal, les données sur les permis de construction pourraient être interprétées de façon à indiquer que le marché pour les marchandises en question a connu une diminution soutenue. Toutefois, le Tribunal considère que ces données ne sont pas concluantes, à la lumière des témoignages entendus et des données déposées sur les ventes.

Le Tribunal est d'avis que la concurrence des importations provenant des distributeurs américains et la récession ont entraîné une baisse des prix à la fin des années 80 et au début de 1990. Toutefois, selon le Tribunal, ces facteurs ont cessé d'influer sur les prix à la fin de 1990.

D'autres facteurs, dont les réductions des tarifs douaniers aux termes de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis [7] (l'ALÉ) et les fluctuations du taux de change, peuvent avoir eu un certain effet sur les prix du marché canadien. Toutefois, le Tribunal fait remarquer que ni l'industrie, ni les exportateurs n'ont accordé aucune importance aux fluctuations du taux de change ni à l'influence de l'ALÉ sur les prix de l'isolant pour tuyaux.

Retour de Manville en 1991

En février 1991, Manville est revenue sur le marché canadien après une absence de cinq ans et a commencé à importer des marchandises de Schuller aux États-Unis. Comme le Tribunal l'a déjà signalé, le retour de Manville a été un événement marquant, le nombre des fournisseurs les plus importants passant de trois à quatre du jour au lendemain. Les témoignages ont porté en grande partie sur les répercussions du retour de Manville. Le Tribunal a examiné attentivement les effets du retour de Manville sur les prix de l'isolant en fibre de verre pour tuyaux en question, sur la part du marché de Manson et sur le rôle joué par les prix dans les décisions des distributeurs d'opter pour Manville. Le Tribunal fait remarquer que Manville préparait son retour sur le marché canadien depuis 1989 environ. En 1990, Manville a procédé à une analyse des prix au Canada. Selon le témoignage de Manville, cette dernière envisageait la possibilité d'approvisionner le marché canadien en y exportant des produits par l'entremise de ses distributeurs américains, mais en est venue à la conclusion qu'une telle stratégie entraînerait les prix canadiens à la baisse. Par conséquent, Manville a décidé, en 1990, de réintégrer le marché canadien en établissant son propre réseau de distribution.

Manville a tenu de vastes discussions préparatoires avec des distributeurs. Les éléments de preuve indiquent que des discussions ont été lancées à la fois par Manville et par un certain nombre d'anciens distributeurs de Manville qui ont communiqué avec elle afin de devenir des distributeurs. Manville a donc pu revenir sur le marché avec des distributeurs dans les trois principaux marchés régionaux, soit l'Ouest canadien, l'Ontario et le Québec. La société Glass-Cell était au nombre des distributeurs qui ont quitté Manson pour Manville, de même que Bartell, une filiale de Fuller Austin, un ancien distributeur de Manville, et Isofab, un nouveau distributeur au Québec. Manville était de toute évidence confiante du succès de son retour et prévoyait obtenir une part importante du marché en 1991, part qu'elle comptait accroître d'ici 1993.

Les témoins de Manville ont déclaré que la stratégie de cette société était de revenir sur le marché canadien en perturbant le moins possible le réseau de distribution et les prix. Ils ont également affirmé que la stratégie de cette entreprise en matière de prix était de concurrencer ceux de Manson sans toutefois offrir des prix inférieurs à ceux du fabricant canadien.

Manson a perdu une part importante du marché lorsque Glass-Cell, son principal distributeur, a opté pour Manville en février 1991. En 1991, Glass-Cell a acheté à Manville plus de deux millions de pieds linéaires d'isolants pour tuyaux en question. Compte tenu de l'ampleur de cette perte, il est devenu important pour le Tribunal de déterminer si Glass-Cell avait abandonné Manson en raison des prix inférieurs offerts par Manville.

Les témoins de Glass-Cell et de Manville ont déclaré que Glass-Cell avait discuté avec Manville en 1989 et en 1990 de la possibilité de devenir un distributeur pour Manville. En fait, Glass-Cell et Manville avaient conclu une entente de principe avant le retour de Manville. Le témoin de Glass-Cell a affirmé que les prix n'étaient pas un élément important lors de ces discussions préliminaires. Le Tribunal fait remarquer que Glass-Cell a aussi témoigné que le fait de se joindre à Manville allait augmenter sensiblement son marché potentiel puisque l'entreprise serait aussi responsable de pratiquement tout l'Ontario. En comparaison, si Glass-Cell était demeurée avec Manson, les possibilités d'accroître les ventes sur le marché ontarien auraient été restreintes pour la société.

Les avocats et les procureurs des exportateurs et des importateurs ont soutenu que les distributeurs ont quitté Manson en raison du comportement de cette société sur le marché. Ils ont fait valoir que les mauvais rapports entre Manson et ses distributeurs, qui découlaient de ses acquisitions de distributeurs indépendants et de la restructuration de son réseau dans l'Ouest canadien, avaient incité ses distributeurs à opter pour Manville dès que l'occasion s'est présentée. Glass-Cell a témoigné qu'elle ne craignait pas que Manson tente de l'acheter, bien que l'acquisition de C&I par Crossroads en 1992 était inquiétante. Dans son témoignage, Glass-Cell a dit craindre que Chemical Valley, le distributeur ontarien appartenant à Manson, fasse des incursions dans son marché de la région de Toronto. Cette crainte découlait de l'achat par Manson de Crossroads en 1987 et de l'expansion ultérieure de ce distributeur dans des régions déjà desservies par des distributeurs de Manson.

Le Tribunal reconnaît que de nombreux facteurs étaient en cause, notamment les décisions prises par des distributeurs de s'associer à Manville. Par exemple, le Tribunal a aussi entendu des témoignages selon lesquels en 1991, Insul-Coustic, le distributeur de Manson pour l'est de l'Ontario, avait fait des démarches auprès de Manville pour devenir le distributeur de cette entreprise au Québec. Il est clair qu'Insul-Coustic tentait d'obtenir un accès direct aux marchandises en question pour les distribuer sur le marché québécois. Environ cinq ans plus tôt, Manson avait refusé à Insul-Coustic le droit de vendre au Québec les marchandises en question qu'elle fabriquait par Manson. Toutefois, il ressort clairement des témoignages entendus et des éléments de preuve soumis que le changement de distributeur représente pour le fournisseur une décision commerciale de première importance et que les prix offerts par le nouveau fournisseur sont un élément crucial d'une telle décision. Compte tenu de la fourchette de prix extrêmement étroite dans laquelle l'ensemble des participants doivent se livrer concurrence sur le marché des marchandises en question, le Tribunal est de l'avis qu'aucun distributeur ne changerait de fournisseur ï moins d'être assuré que le fournisseur en cause offre le soutien requis au niveau des prix pour lui permettre de demeurer concurrentiel. Il est clair que Glass-Cell n'aurait pas changé de fournisseur sans avoir obtenu des assurances fermes qu'elle pourrait soutenir la concurrence par les prix. Manville devait, à juste titre, s'assurer que tous ses distributeurs étaient concurrentiels pour garantir le succès de son retour sur le marché. Un témoin de Schuller a déclaré que Manville comptait appuyer ses distributeurs «contre vents et marées». De l'avis du Tribunal, l'engagement pris par Manville, soit d'assurer la compétitivité de ses distributeurs sur le plan des prix, a été la pierre angulaire de son argumentation pour convaincre d'éventuels distributeurs, ce qui a grandement aidé Manville à établir rapidement un réseau national de distribution.

Avec de telles garanties, Glass-Cell était prête à s'associer à Manville. Les éléments de preuve confirment que Manville a respecté son engagement, ses prix moyens étant inférieurs à ceux de Manson en 1991. Selon le Tribunal, Glass-Cell a quitté Manson pour des raisons de prix, et la perte de ce distributeur a contribué à réduire sensiblement la part du marché de Manson.

Érosion des prix

Du premier trimestre de 1991 jusqu'au deuxième trimestre de 1993, le marché pour les marchandises en question a été caractérisé par une érosion des prix. Les prix de Manson ont chuté de plus de 30 p. 100 pendant cette période. Le Tribunal devait déterminer la cause de cette érosion. Le Tribunal convient, avec les procureurs et l'avocat de Manson, que la société Manville n'a pas atteint l'objectif qu'elle s'était fixé, soit de perturber le moins possible le marché. En février 1991, au retour de Manville sur le marché canadien, les prix étaient déjà plus bas et le marché était sensiblement plus concurrentiel que ne l'indiquait l'analyse des prix de Manville de 1990. La présence de Manville a exacerbé la situation. Les trois grands fournisseurs en place ont tous réduit leurs prix pour tenter de minimiser leurs pertes au niveau de la part du marché.

Les témoignages des fournisseurs à l'exportation confirment que ces derniers prévoyaient indubitablement le retour de Manville sur le marché canadien à la fin de l'accord de non-concurrence, d'une durée de cinq ans, avec Manson. Tous prévoyaient une certaine perte de clients et reconnaissaient qu'il leur faudrait réagir au défi posé par Manville. Toutefois, les témoignages des exportateurs montrent que la pénétration du marché par Manville, dès le retour de cette dernière sur le marché, a été plus importante que prévu. Craignant de nouvelles pertes de la part du marché, les exportateurs concurrents ont réduit leurs prix de façon marquée en 1991. Les prix moyens à l'importation ont chuté, en 1991, d'environ 20 p. 100, alors que les prix moyens de vente de l'industrie nationale se sont maintenus. Toutefois, en 1992, Manson a dû réduire considérablement ses prix pour soutenir la concurrence puisque les prix à l'importation continuaient de diminuer, chutant d'environ 16 p. 100. Au cours de la première moitié de 1993, les prix moyens à l'importation, de même que les prix intérieurs, ont continué de baisser, quoique dans une moindre mesure qu'au cours de la période précédente.

En abaissant leurs prix, les exportateurs se sont exposés à une concurrence par les prix acharnée et ils n'ont pas été en mesure de mettre un terme à la baisse en spirale des prix. Le Tribunal prend note des éléments de preuve qui montrent que, de 1991 à 1993, les efforts déployés par les exportateurs et les importateurs, ainsi que par le fabricant national, pour appuyer une majoration des prix ont échoué, les fournisseurs rivaux refusant de soutenir toute annonce d'augmentation des prix.

Les avocats de Manville ont fait valoir que Manson n'était pas prête pour le retour de Manville et qu'elle a réduit les prix pour protéger sa part du marché. Toutefois, les éléments de preuve n'appuient pas l'argument selon lequel Manson a entraîné les prix à la baisse. Avec le retour de Manville au cours du premier trimestre de 1991, les prix ont commencé à diminuer rapidement. Les éléments de preuve montrent que pendant la période visée par l'enquête, les prix moyens à l'importation ont chuté de plus de 44 p. 100 et ceux de Manson de plus de 30 p. 100. Le Tribunal fait remarquer que les marges de dumping de plus en plus importantes suivent de près les prix à l'importation à la baisse des marchandises en question. Les éléments de preuve révèlent aussi que pendant toute la période d'enquête, les prix moyens à l'importation étaient inférieurs aux prix moyens de Manson. Selon le Tribunal, il est évident que Manson a été entraînée dans la baisse en spirale des prix causée par les exportateurs qui réduisaient impitoyablement leurs prix et augmentaient leurs marges de dumping. La notion selon laquelle Manson a entraîné les prix à la baisse est réfutée du fait que les prix moyens à l'importation étaient constamment inférieurs aux prix de Manson et que les réductions de prix consenties par les exportateurs pendant la période visée par l'enquête étaient considérablement plus élevées que celles de Manson.

L'analyse des prix de neuf dimensions en demande de l'isolant en fibre de verre pour tuyaux dénote des diminutions trimestrielles marquées en 1991 et en 1992, et une stabilisation des prix au cours de la première moitié de 1993. Les prix de tous les fournisseurs pour ces neuf dimensions se situaient dans une fourchette étroite. Pour la plupart des neufs dimensions, les prix à l'importation étaient toujours inférieurs à ceux de l'industrie nationale au cours de la période en cause.

Les parties n'ont pas contesté le fait qu'il y a eu une chute importante des prix entre le premier trimestre de 1991 et le deuxième trimestre de 1993. Selon les données sur les prix de vente moyens de l'isolant pour tuyaux en question et sur les achats des neuf dimensions en demande, la diminution de prix pendant cette période a dépassé les 30 p. 100. Le Tribunal est convaincu que la chute des prix a été causée par des importations sous-évaluées. Les marges de dumping, calculées par le Sous-ministre, sont passées de 28 p. 100 au cours du troisième trimestre de 1991 à 45 p. 100 pendant le quatrième trimestre de 1992. L'augmentation des marges de dumping suit de près le taux de diminution des prix sur le marché. La principale conclusion du Tribunal est que les prix à l'exportation pouvaient chuter aux faibles niveaux atteints uniquement en raison des marges de dumping de plus en plus importantes. Pour conserver sa part du marché, l'industrie nationale a dû réduire ses prix bien en deçà des prix qui auraient eu cours en l'absence d'importations sous-évaluées.

Pertes de projets

Au cours de la présente enquête, de nombreux éléments de preuve et témoignages ont été présentés concernant les soumissions pour des contrats d'installation. Manson a fait état de plus de 20 contrats qu'elle aurait présumément perdus au profit de trois exportateurs nommément désignés pendant la période visée par l'enquête. Les exportateurs et les importateurs ont répondu à ces allégations au moyen d'exposés et de témoignages. Le Tribunal prend note du fait que les éléments de preuve soumis concernant des projets perdus montrent que l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux présente les caractéristiques d'un produit de base, puisque dans chacune des dimensions, le produit offert par différents fournisseurs est entièrement interchangeable. Le Tribunal constate que le marché des marchandises en question est très tributaire des prix. Les éléments de preuve révèlent que pour être concurrentielles, les soumissions concernant les projets devaient se situer dans une fourchette de prix très étroite de deux à cinq points de pourcentage. Les soumissions à l'extérieur de cette fourchette n'étaient pas prises en considération.

Selon les éléments de preuve soumis, non seulement Manson a-t-elle perdu des ventes aux mains des importations, mais les soumissions ont aussi largement contribué à entraîner les prix moyens à la baisse. Au fur et à mesure que le montant des soumissions diminuait, Manson a été obligée de réduire ses prix pour demeurer dans la fourchette étroite des prix concurrentiels, sans toutefois toujours y parvenir. De 1991 à 1993, Manson a perdu 18 projets au profit d'importations sous-évaluées. Les éléments de preuve et les témoignages concernant 13 de ces projets ont confirmé que dans 12 cas, le prix de la soumission de l'importateur était inférieur à celui de Manson. Une allégation concernant un marché perdu au profit d'un produit importé à prix inférieur n'a pas été contestée par aucune des parties. Dans les 5 autres cas, Manson a perdu le contrat après qu'un distributeur de produits importés eut fait une proposition équivalente et que l'entrepreneur eut accordé le contrat au distributeur en question. Parmi les contrats perdus au profit d'importations à prix plus bas ou de propositions équivalentes, 9 l'ont présumément été au bénéfice de Fiberglas, 7 au bénéfice de Knauf et 2 au bénéfice de distributeurs de Manville. Au cours de l'exercice 1993 (mars 1992 à février 1993), le chiffre d'affaires de Manson aurait été supérieur de plus de 25 p. 100 n'eut été des contrats perdus au profit des fournisseurs de produits importés.

Il ressort des 9‚léments de preuve que les prix des soumissions des importateurs relativement à des projets précis ont contribué à exercer une pression à la baisse sur les prix. En 1991 et en 1992, les prix des soumissions retenues pour chacun des projets ont en réalité fait baisser la limite supérieure perçue de la fourchette des prix concurrentiels des projets ultérieurs qui ont fait l'objet d'un appel d'offres. Les intervenants ont alors réduit leurs soumissions concernant les projets ultérieurs, ce qui a sans doute contribué à la diminution des prix au cours de la période visée par l'enquête.

Les exportateurs ont prétendu que Manson, par l'entremise de ses distributeurs, se montrait agressive dans l'établissement des prix et qu'elle avait soutiré certains projets aux distributeurs de produits importés. Le Tribunal a déjà conclu que Manson n'a pas entraîné les prix à la baisse, et les éléments de preuve concernant des clients présumément perdus par les exportateurs ne modifient pas cette conclusion. Selon ces allégations, environ la moitié des contrats (13 sur 27) perdus au profit de Manson l'ont été pour des raisons de prix. De toute évidence, Manson devait faire face à la concurrence des importations sous-évaluées. Essentiellement, elle devait soit offrir des prix équivalents ou des prix inférieurs à ceux des importations ou perdre des occasions d'affaires.

Les éléments de preuve produits concernant les projets perdus montrent que Manson a perdu des contrats au profit des importations à prix inférieurs et que les soumissions relatives à d'importants contrats ultérieurs ont largement contribué à faire baisser les prix pendant la période visée par l'enquête. Les exportateurs ont été en mesure d'être en concurrence pour ces projets en offrant les bas prix proposés uniquement parce que les marchandises importées d'eux étaient sous-évaluées suivant des marges de dumping de plus en plus importantes de 1991 jusqu'en 1993.

Perte de la part du marché

Dans un marché essentiellement stagnant, Manson a perdu 22 p. 100 [8] de sa part du marché en 1991. Elle ne pouvait reprendre le terrain perdu pendant la période visée par l'enquête en raison de la concurrence des importations sous-évaluées à bas prix. Le Tribunal a constaté que l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur est essentiellement un produit de base. La concurrence au niveau des ventes se fait donc presque exclusivement en fonction des prix. Compte tenu de l'importance des prix pour les ventes, le Tribunal croit inévitablement que les importations sous-évaluées à prix inférieurs ont largement contribué à la perte de la part du marché par la société Manson.

Préjudice sensible

Il a été démontré, dans la présente cause, que Manson a subi un préjudice qui s'est manifesté sous la forme d'une compression des prix, d'une diminution de la part du marché, de la perte de projets et d'une baisse des revenus.

En ce qui a trait à la compression des prix, les éléments de preuve montrent que les prix des marchandises en question ont diminué considérablement pendant la période d'enquête. Plus précisément, les prix moyens à l'importation consentis aux distributeurs ont chuté de 20 p. 100 en 1991, de 16 p. 100 en 1992 et de 8 p. 100 en 1993. Au cours de la même période, les prix moyens de Manson pour les marchandises en question ont baissé de plus de 30 p. 100. Le Tribunal fait remarquer que les prix moyens à l'importation étaient inférieurs aux prix moyens de Manson pendant toute la période visée par l'enquête. Il ressort des éléments de preuve que les prix à l'importation des marchandises en question ont chuté à des niveaux qui n'ont pu être atteints seulement parce que les marchandises en cause étaient sous-évaluées. En raison des bas prix de ces marchandises sous-évaluées, Manson a dû réduire ses prix bien en deçà des prix qui auraient été pratiqués en l'absence de dumping. Selon le Tribunal, si Manson n'avait pas réduit ses prix, elle aurait perdu une part encore plus importante du marché.

En ce qui concerne la part du marché, les éléments de preuve montrent que la part de Manson a diminué de 22 p. 100 en 1991. Manson n'a toujours pas récupéré cette part perdue. Cette société a perdu une partie importante de cette part du marché lorsque Glass-Cell l'a quittée pour se joindre à Manville lors du retour de cette entreprise sur le marché canadien en 1991. De l'avis du Tribunal, Glass-Cell a quitté Manson pour Manville en grande partie parce qu'elle savait que Manville lui offrirait des prix concurrentiels pour les marchandises en question.

La perte de la part du marché de Manson a été attribuable, en partie, à des soumissions non retenues pour des travaux à contrat. Il ressort des éléments de preuve que Manson a perdu 18 projets au profit d'importations sous-évaluées de 1991 à 1993.

Il n'est donc pas étonnant, compte tenu de la perte de la part du marché de Manson et du fait que cette dernière a été contrainte de réduire ses prix pour rivaliser avec les importations sous-évaluées, que les revenus annuels des ventes intérieures de Manson aient considérablement diminués. Les revenus des ventes intérieures de cette société ont diminué de 15 p. 100 en 1991, de 24 p. 100 en 1992 et de 9 p. 100 au cours de la première moitié de 1993.

Le Tribunal conclut que Manson a subi et subit présentement un préjudice sensible causé par la compression des prix, la diminution de sa part du marché, la perte de projets et une baisse des revenus.

Les avocats et les procureurs des exportateurs ont soutenu que Manson n'a pas subi de préjudice puisque sa production totale a augmenté entre 1990 et 1992. Le Tribunal est d'avis que cette augmentation a été largement attribuable à un accroissement des exportations et qu'en fait, comme il a déjà été mentionné, la production destinée aux ventes intérieures a diminué pendant la période visée par l'enquête. Selon le Tribunal, si Manson n'avait pas augmenté ses exportations, les importations à des prix de dumping auraient été à l'origine d'un préjudice encore plus important.

Préjudice futur

En ce qui a trait à un préjudice futur, le Tribunal constate qu'en dépit du fait que les prix semblent s'être stabilisés au cours de la première moitié de 1993, ils demeurent bas. De nombreux éléments de preuve font état de tentatives avortées en vue de majorer les prix. Rien ne permet de croire que les intervenants sur le marché réussiront lors de tentatives ultérieures à faire augmenter les prix. Par conséquent, le Tribunal est de l'avis qu'il est probable, en l'absence de conclusions de préjudice, que les importations sous-évaluées continueront d'entrer au Canada et que les prix seront ainsi maintenus à des niveaux comprimés.

En juin 1993, Manson s'est portée acquéreur de Multi-Glass, un ancien distributeur important de Fiberglas. Le Tribunal convient que cette acquisition aidera Manson à redevenir concurrentielle sur le marché ontarien que la société Manson a perdu avec le départ de Glass-Cell pour Manville. Toutefois, le Tribunal ne croit pas que l'amélioration de la présence de Manson sur ce marché la protégera, dans un proche avenir, de tout préjudice causé par des importations sous-évaluées. En se fondant sur ses observations du fonctionnement du marché des marchandises en question au cours de la période 1990-1993, le Tribunal est d'avis que les exportateurs prendront probablement à l'avenir des mesures au niveau des prix pour contrer la présence renforcée de Manson en Ontario. Le Tribunal considère que de telles mesures pourraient contribuer davantage à l'instabilité des prix sur le marché. Ces deux considérations ont amené le Tribunal à conclure qu'en l'absence de conclusions de préjudice, un dumping préjudiciable se poursuivra à l'avenir au détriment de l'industrie nationale.

Dumping massif

Dans leur argumentation, les procureurs et l'avocat de la partie plaignante ont soulevé la question du dumping massif, conformément à l'article 5 et à l'alinéa 42(1)b) de la LMSI. Ils ont attiré l'attention du Tribunal sur le fait que les importations des marchandises en question ont augmenté pour passer de 6,0 millions de pieds linéaires au cours de la première moitié de 1992 à 8,9 millions de pieds linéaires pendant la première moitié de 1993. Toutefois, les procureurs et l'avocat ont déclaré qu'ils ne faisaient «aucune recommandation officielle» au Tribunal concernant cette question.

Les avocats et les procureurs des sociétés Schuller, Manville, Owens-Corning et Glass-Cell ont tous invoqué des arguments à l'encontre de conclusions de dumping massif et ont rappelé au Tribunal le témoignage de divers distributeurs. Ces derniers ont déclaré avoir acheté de plus grandes quantités des marchandises en question au cours de la première moitié de 1993 afin de pouvoir respecter les engagements passés en matière de prix avec leurs clients dans le cadre de contrats existants. Les avocats et les procureurs ont aussi rappelé qu'avant d'invoquer l'article 5 de la LMSI, il faut que «le Tribunal estime nécessaire que soient imposés des droits antidumping sur les marchandises importées» afin de prévenir la réapparition du préjudice causé par un dumping massif.

Le Tribunal n'est pas convaincu que les éléments de preuve déposés dans la présente cause appuient des conclusions de dumping massif. Un certain nombre d'éléments doivent être en place pour que de telles conclusions soient rendues. Le Tribunal n'a pas l'intention de les énumérer dans le présent document ou de rendre des décisions pour chacun des éléments. Le Tribunal est d'accord avec les exposés des avocats et des procureurs des exportateurs dans la mesure où ces exposés abordent la prévention d'une réapparition du préjudice. Compte tenu de l'explication fournie par les distributeurs pour justifier l'accroissement des niveaux des importations au cours de la première moitié de 1993, le Tribunal est d'avis qu'il n'est pas nécessaire d'imposer des droits rétroactifs pour prévenir une réapparition du préjudice.

Retard sensible

Les procureurs et l'avocat de la partie plaignante ont soutenu qu'il y avait «un élément» de retard sensible dans la présente cause. Pour appuyer leur position, ils ont rappelé au Tribunal certains des éléments de preuve déposés par M. Keith Eaman lors de son témoignage qui s'est déroulé en grande partie à huis clos. Les procureurs d'Owens-Corning ont fait valoir que le paragraphe 2(1) de la LMSI définit le retard sensible comme le retard sensible causé à la mise en production au Canada de marchandises similaires. Ils ont soutenu que comme les marchandises en question sont déjà produites au Canada, il ne peut y avoir de retard sensible. Les avocats de Knauf ont affirmé que la prétention de retard sensible de la partie plaignante devait être rejetée. Ils ont fait valoir que la partie plaignante n'avait soumis aucun plan détaillé indiquant qu'elle avait décidé de procéder à de nouveaux investissements de capitaux.

Selon le Tribunal, pour établir avec succès une prétention de retard sensible, une partie plaignante doit prouver :

- qu'il y a eu retard sensible au regard de la mise en production d'une industrie;

- qu'elle s'est largement engagée à établir une telle industrie.

Le Tribunal n'est pas convaincu que la partie plaignante a démontré l'existence de l'un ou l'autre de ces éléments. Au regard du premier élément, le Tribunal fait remarquer que la partie plaignante possède et exploite présentement une usine de fabrication au Canada qui produit des marchandises similaires. Compte tenu de ce fait, le Tribunal considère qu'il y a, au Canada, une industrie nationale qui produit des marchandises similaires. Cette raison suffit à elle seule à rejeter la prétention de retard sensible de la partie plaignante. Quant au deuxième élément, le Tribunal n'est pas convaincu que la partie plaignante a pris un engagement important en vue d'établir une industrie ou d'accroître sa capacité au sein de l'industrie nationale actuelle.

Demandes d'exclusions

Les avocats et les procureurs de Schuller, de Manville et d'Owens-Corning ont demandé au Tribunal d'accorder à leurs clients respectifs des exclusions advenant des conclusions de préjudice. À cet égard, le Tribunal fait remarquer qu'il a le pouvoir discrétionnaire d'accorder de telles exclusions [9] . Il incombe à la personne qui demande une exclusion d'établir le bien-fondé de celle-ci [10] .

Les avocats de Schuller et de Manville ont soutenu que le Tribunal devait accorder des exclusions à leurs clients puisqu'ils avaient démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'ils n'ont pas causé de préjudice à la partie plaignante. En demandant une exclusion pour Owens-Corning, les procureurs ont invoqué les mêmes arguments que ceux des avocats de Schuller et de Manville.

Le Tribunal a décidé de ne pas accorder d'exclusions à Schuller, à Manville et à Owens-Corning. Il a tenu compte des éléments suivants pour en arriver à cette décision :

- les entreprises exportent toutes des quantités appréciables de marchandises en question vers le Canada;

- les marges de dumping et le pourcentage des marchandises en question qui font l'objet de dumping par chacune des entreprises sont élevés;

- les mesures collectives prises par les sociétés, de même que les mesures de la société Knauf, ont entraîné une diminution des prix intérieurs des marchandises en question et ont causé, en général, un préjudice sensible à Manson.

CONCLUSION

Pour les raisons précitées, le Tribunal conclut que le dumping au Canada de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux, avec pare-vapeur, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

En outre, le Tribunal conclut que le dumping au Canada des marchandises susmentionnées, originaires ou exportées des États-Unis d'Amérique, n'a pas contrevenu à l'alinéa 42(1)b) de la LMSI.


1. L.R.C. (1985), ch. S-15.

2. Tuyaux sans soudure en acier au carbone subventionnés originaires ou exportés du Brésil, enquête no CIT-8-86, le 12 mars 1987.

3. Tapis produit sur machine à touffeter, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique, enquête no NQ-91-006, le 21 avril 1992.

4. L.R.C. (1985), ch. C-34.

5. L'exercice de Manson porte sur la période allant du 1er mars au 28 février.

6. Accord relatif à la mise en oeuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé à Genève le 12 avril 1979.

7. Recueil des traités du Canada, 1989, no 3 (R.T.C.), signé le 2 janvier 1988.

8. Le Tribunal a conclu antérieurement que, sur la foi de tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis, le marché était stagnant en 1990 et en 1991. Par conséquent, selon les données sur le volume du marché de 1991 concernant le marché de 1990, la part du marché de Manson en 1990 serait inférieure à celle indiquée dans les tableaux sur le marché du Tribunal. Ainsi, Manson a perdu 22 p. 100 de sa part du marché en 1991.

9. Voir, par exemple, Hitachi Limited c. Le Tribunal antidumping, [1979] 1 R.C.S. 93; Sacilor Aciéries c. Le Tribunal antidumping (1985), Cour d'appel fédérale, no du greffe A-1806-83, le 27 juin 1985; et Groupe spécial binational formé en vertu de l'article 1904, décision datée du 11 septembre 1991, Certains moteurs à induction intégrale sous-évalués, d'un horse-power (1 HP) à deux cents horse-power (200 HP) inclusivement, avec exceptions, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique.

10. Certaines tôles d'acier au carbone laminées à chaud et certaines tôles d'acier allié résistant à faible teneur, traitées à chaud ou non, originaires ou exportées de la Belgique, du Brésil, de la République tchèque, du Danemark, de la République fédérale d'Allemagne, de la Roumanie, du Royaume-Uni, des États-Unis d'Amérique et de l'ancienne République yougoslave de Macédoine, Tribunal canadien du commerce extérieur, enquête no NQ-92-007, Exposé des motifs, le 21 mai 1993.


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Publication initiale : le 11 juillet 1997