CLASSEURS PORTATIFS

Enquêtes


CLASSEURS PORTATIFS AVEC POIGNÉE, FERMETURE ET PAROIS LATÉRALES À SOUFFLETS ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE
Enquête no : NQ-95-005

TABLE DES MATIERES


Ottawa, le mardi 4 juin 1996

EU ÉGARD À une enquête aux termes de l’article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation concernant les :

CLASSEURS PORTATIFS AVEC POIGNÉE, FERMETURE ET PAROIS LATÉRALES À SOUFFLETS ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

C O N C L U S I O N S

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à une enquête, aux termes des dispositions de l’article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, à la suite de la publication d’une décision provisoire de dumping datée du 5 février 1996 et d’une décision définitive de dumping datée du 3 mai 1996 rendues par le sous-ministre du Revenu national concernant l’importation au Canada de classeurs portatifs avec poignée, fermeture et parois latérales à soufflets originaires ou exportés de la République populaire de Chine.

Conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par les présentes, que le dumping au Canada des marchandises susmentionnées originaires ou exportées de la République populaire de Chine n’a pas causé un dommage sensible ou un retard à la branche de production nationale et ne menace pas de causer un dommage sensible à la branche de production nationale.

Robert C. Coates
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre présidant



Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay
Membre



Desmond Hallissey
_________________________
Desmond Hallissey
Membre



Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

L’exposé des motifs sera publié d’ici 15 jours.

Ottawa, le mercredi 19 juin 1996

Enquête no : NQ-95-005

CLASSEURS PORTATIFS AVEC POIGNÉE, FERMETURE ET PAROIS LATÉRALES À SOUFFLETS ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

Loi sur les mesures spéciales d’importation - Déterminer si le dumping des marchandises susmentionnées a causé un dommage sensible ou un retard ou menace de causer un dommage sensible à la branche de production nationale.

DÉCISION : Le Tribunal canadien du commerce extérieur conclut, par la présente, que le dumping au Canada de classeurs portatifs avec poignée, fermeture et parois latérales à soufflets originaires ou exportés de la République populaire de Chine n’a pas causé un dommage sensible ou un retard à la branche de production nationale et ne menace pas de causer un dommage sensible à la branche de production nationale.

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l’audience : Les 6 et 7 mai 1996

Date des conclusions : Le 4 juin 1996
Date des motifs : Le 19 juin 1996

Membres du Tribunal : Robert C. Coates, c.r., membre
présidant
Raynald Guay, membre
Desmond Hallissey, membre

Directeur de la recherche : Selik Shainfarber

Agent principal de recherche : Ken Campbell

Économiste : Ihn Ho Uhm

Préposé aux statistiques : Po-Yee Lee

Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater

Agent à l’inscription et à la distribution : Joël J. Joyal


Participants : Ronald C. Cheng
Gregory O. Somers
Alan L. Ross
pour Anthes Universal Limited, A
Subsidiary of Pelikan, Inc.

(producteur national)
Darrel H. Pearson
Peter W. Collins
pour La Compagnie de la Baie
d’Hudson

(importateur)

Témoins :

Wally Charko
Chef de secteur
Anthes Universal Limited, A Subsidiary of
Pelikan, Inc.

Scott Schumpert
Vice-président des finances
Anthes Universal Limited, A Subsidiary of
Pelikan, Inc.

Jim Hale
Directeur divisionnaire du service des marchandises
La Baie

Dan Bell
Acheteur principal
Zellers Inc.

E.P. (Ted) Williams
Directeur général
Acco Canada Inc.

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

DÉROULEMENT DE L’ENQUÊTE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a procédé à une enquête, aux termes des dispositions de l’article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] (la LMSI), à la suite de la publication par le sous-ministre du Revenu national (le Sous-ministre) d’une décision provisoire de dumping [2] datée du 5 février 1996 et d’une décision définitive de dumping [3] datée du 3 mai 1996 concernant l’importation au Canada de classeurs portatifs avec poignée, fermeture et parois latérales à soufflets (ci-après désignés classeurs portatifs) originaires ou exportés de la République populaire de Chine (la Chine).

Le 6 février 1996, le Tribunal a publié un avis d’ouverture d’enquête [4] . Dans le cadre de l’enquête, le Tribunal a envoyé des questionnaires détaillés au producteur national de classeurs portatifs et aux importateurs et aux acheteurs de classeurs portatifs de Chine, en vue d’obtenir des renseignements sur la production, la situation financière, les importations et le marché, ainsi que d’autres données visant la période allant du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1995. À partir des réponses aux questionnaires, le personnel de la recherche du Tribunal a préparé des rapports public et protégé préalables à l’audience visant cette période.

Le dossier de la présente enquête comprend toutes les pièces du Tribunal, y compris les réponses publiques et protégées aux questionnaires, toutes les pièces déposées par les parties reçues comme éléments de preuve ainsi que la transcription de toutes les délibérations. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties, mais seuls les avocats indépendants qui avaient déposé un acte de déclaration et d’engagement auprès du Tribunal ont eu accès aux pièces protégées.

Des audiences publiques et à huis clos ont eu lieu à Ottawa (Ontario) les 6 et 7 mai 1996. Le producteur national, Anthes Universal Limited, A Subsidiary of Pelikan, Inc. (Anthes), et la Compagnie de la Baie d’Hudson (la Baie d’Hudson), qui importe des classeurs portatifs de Chine par l’intermédiaire de ses filiales, La Baie et Zellers Inc. (Zellers), ont été représentés par des avocats à l’audience. En outre, répondant à une citation qu’il a reçue des avocats de la Baie d’Hudson, le directeur général de la société Acco Canada Inc. (Acco) a comparu en qualité de témoin à l’audience.

Le 4 juin 1996, le Tribunal a rendu des conclusions selon lesquelles le dumping au Canada de classeurs portatifs de Chine n’avait pas causé un dommage sensible ou un retard à la branche de production nationale et ne menaçait pas de causer un dommage sensible à la branche de production nationale.

PRODUITS

Les produits qui font l’objet de l’enquête sont définis dans la décision provisoire de dumping comme étant des classeurs portatifs avec poignée, fermeture et parois latérales à soufflets originaires ou exportés de la Chine.

Les classeurs portatifs ont un fermoir et une poignée qui permet à l’utilisateur de porter les classeurs à la main, d’où la désignation de «portatif». Les classeurs portatifs sont caractérisés par un rabat qui recouvre la paroi avant et les parois latérales de type accordéon, qui permettent l’extension ou la contraction du classeur. L’intérieur du classeur portatif est muni de pochettes (compartiments) qui facilitent le classement des documents de format commercial et grand format. Les classeurs portatifs sont conçus pour le classement et le rangement de dossiers d’affaires et personnels aussi bien au bureau qu’à la maison.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

Anthes est le seul producteur national de classeurs portatifs. En mai 1991, elle est devenue une filiale en propriété exclusive de Pelikan, Inc., installée à Hanovre, en Allemagne, un fabricant d’instruments d’écriture et de fournitures artistiques. Avant 1991, Anthes a changé de propriétaire à plusieurs reprises. Anthes est installée dans ses locaux à Brampton (Ontario) depuis 1972. En 1980, elle a acquis du matériel pour fabriquer des classeurs portatifs, qui sont devenus son produit de base.

Anthes possède également des installations de production à Edenton, en Caroline du Nord. À la fin de 1994, une partie du matériel d’usine servant à produire des classeurs portatifs pour le marché américain a été déménagé d’Edenton à Brampton. Depuis septembre 1994, tous les classeurs portatifs vendus par Anthes au Canada et aux États-Unis sont fabriqués à Brampton.

Anthes commercialise une vaste gamme d’articles de papeterie, notamment des fournitures pour le commerce, pour le bureau et pour la maison, des accessoires d’ordinateurs et de machines de bureau, et des instruments d’écriture. Anthes commercialise ses produits à l’échelle nationale par l’entremise de cinq représentants de commerce.

IMPORTATEURS

Quatre sociétés ont importé des classeurs portatifs de Chine au cours de la période allant de 1992 à 1995.

Acco, un importateur et un distributeur, appartient exclusivement à Acco World Corporation, située à Deerfield (Illinois). Acco produit ou commercialise une gamme étendue de fournitures pour le bureau et pour la maison à Willowdale (Ontario). Elle a commencé à importer des classeurs portatifs de Chine au milieu de 1994. Au milieu de 1995, Acco a cessé d’importer des classeurs portatifs de Chine et commencé à importer les classeurs portatifs dont elle avait besoin du Mexique.

Esselte Canada Inc., également un importateur et un distributeur, est une filiale de la société Esselte Business Systems, installée à Garden City (New York). Elle fabrique ou commercialise un large éventail de fournitures pour le bureau et pour la maison au Canada depuis 25 ans. Elle a commencé à importer des classeurs portatifs de Chine en 1991, mais s’est retirée du marché des classeurs portatifs au milieu de 1993.

Zellers située à Montréal (Québec) et La Baie installée à Toronto (Ontario) ont importé des classeurs portatifs de Chine directement du fabricant au cours de la période visée par l’enquête. En outre, Zellers et La Baie ont acheté une partie des classeurs portatifs dont elles avaient besoin d’Anthes au cours de la période visée par l’enquête.

RÉSULTATS DE L’ENQUêTE DU SOUS-MINISTRE

L’enquête du Sous-ministre a porté sur les classeurs portatifs de Chine expédiés au Canada entre le 1er juillet 1994 et le 30 juin 1995. Bien que la société Climax Paper Converters Limited de Hong Kong ait été identifiée comme le fournisseur de classeurs portatifs en provenance de la Chine, Five Brothers Stationery Manufacturer de Chine a été le seul exportateur aux fins de la LMSI au cours de la période visée par l’enquête.

Pour établir les valeurs normales dans le cas d’une économie non marchande comme celle de la Chine, on tient habituellement compte des ventes rentables effectuées sur le marché intérieur ou du coût intégral des marchandises, auquel on ajoute un montant correspondant aux bénéfices qui seraient réalisés dans un pays à économie de marché. Le ministère du Revenu national (Revenu Canada) a cherché à obtenir des renseignements de sociétés situées à Hong Kong, au Mexique et au Royaume-Uni. Cependant, seule une société du Royaume-Uni a été considérée comme un substitut approprié, mais ses ventes rentables étaient insuffisantes pour le calcul des valeurs normales. En application du sous-alinéa 20c)(ii) de la LMSI, il a donc été établi que les valeurs normales étaient la somme des montants suivants : le coût de production des marchandises au Royaume-Uni, tous les autres frais engagés et les bénéfices réalisés sur les ventes d’autres marchandises de la même catégorie générale. Les prix à l’exportation ont été évalués conformément à l’alinéa 24a) de la LMSI en fonction du prix de vente du fournisseur de Hong Kong dont on a soustrait tous les coûts, les frais et les dépenses engagés au-delà du point d’expédition en Chine.

Revenu Canada a déterminé que 100 p. 100 des classeurs portatifs de Chine exportés au Canada au cours de la période visée par l’enquête étaient sous-évalués. Les marges de dumping estimatives dont la moyenne pondérée, exprimée en pourcentage de la valeur normale, était de 70,7 p. 100, variaient entre 65,8 p. 100 et 76,8 p. 100. Les marges de dumping ont, par la suite, été confirmées dans la décision définitive du Sous-ministre datée du 3 mai 1996.

RÉSUMé DE LA POSITION DES PARTIES

Anthes - Producteur national

Les avocats du producteur national ont demandé au Tribunal de rendre des conclusions de dommage causé à la branche de production nationale. À défaut de quoi, les avocats ont demandé des conclusions de menace de dommage à la branche de production nationale ou, à titre de seconde solution, des conclusions de retard de la mise en production d’une branche de production nationale en cas d’interruption de la production nationale de classeurs portatifs.

Pour ce qui est du dommage passé causé par le dumping de classeurs portatifs de Chine, les avocats du producteur national ont allégué que le volume des ventes d’Anthes effectuées à plusieurs grandes surfaces importantes avait diminué. Cette perte de volume a commencé en 1991 lorsque les importations de Chine ont fait leur apparition sur le march?E9‚ canadien et s’est continuée jusqu’en 1995. De même, au cours de cette période, Anthes a subi une érosion des prix auprès de plusieurs clients, ce qui a entraîné une diminution des prix de près de 50 p. 100 entre 1990 et 1995. En outre, les avocats ont soutenu que les éléments de preuve montraient qu’Anthes avait subi une compression des prix et n’avait pas utilisé sa pleine capacité de production.

Sur la question du dommage financier, les avocats du producteur national ont soutenu que la production de classeurs portatifs était une principale source de recettes en ce qui a trait aux activités générales d’Anthes au cours de la période visée par l’enquête et que l’apport de cette source augmentait avec le temps. À leur avis, si les importations sous-évaluées n’avaient pas causé de dommage, l’ensemble de la société aurait pu, grâce aux ventes de marchandises similaires, survivre très confortablement. Au lieu de cela, n’ayant pas, à un moment donné, réussi à vendre la société, Pelikan, Inc. était de nouveau sur le point de mettre fin à la production nationale d’Anthes. De l’avis des avocats, si des conclusions de dommage ne sont pas rendues, Pelikan, Inc. ne sera plus en mesure de maintenir la production nationale de classeurs portatifs d’Anthes et il ne lui restera plus rien de viable à offrir à un acheteur éventuel qui serait peut-être disposé à poursuivre la production nationale de classeurs portatifs.

À l’appui de la demande de conclusions de dommage, les avocats du producteur national ont rappelé que, dans le passé, la société Climax Paper Converters Limited avait fait du dumping sur le marché canadien dans le cas des albums de photos à feuilles auto-adhésives et des albums photos à pochettes. Cela prouvait, à leur avis, une propension à faire du dumping. Ces produits étaient également des articles de consommation à gros volume et à prix relativement peu élevé importés par les mêmes grandes surfaces que celles qui sont parties à la présente enquête. Les avocats ont également soutenu que les questions de qualité soulevées au sujet des classeurs portatifs produits au pays et importés étaient des «trompe-l’œil». En outre, les éléments de preuve soumis par les importateurs selon lesquels les classeurs portatifs de Chine faisaient concurrence à une gamme d’autres produits n’étaient rien d’autres que des leurres.

En examinant la question de la menace de dommage, les avocats du producteur national ont fait remarquer que les importations en provenance du Mexique prouvaient l’existence d’un dommage à venir. En fait, Anthes avait récemment demandé à Revenu Canada d’ouvrir une enquête de dumping contre les importations de classeurs portatifs du Mexique. Les avocats ont également soutenu que la production de classeurs portatifs n’avait pas cessé à ce jour et, bien qu’il puisse y avoir une interruption de la production, rien n’indiquait que cette production cesserait dans l’avenir, sous réserve de l’issue de la présente enquête.

Enfin, les avocats du producteur national ont plaidé en faveur de conclusions de retard de la mise en production d’une branche de production nationale au cas où le Tribunal ne rende pas des conclusions de dommage ou de menace de dommage. Les avocats ont fait valoir que si le dumping avait pour effet de forcer le producteur national à se retirer des affaires, alors l’interruption de la production nationale ne devrait pas servir de fondement à un refus de redressement, puisqu’en se poursuivant, le dumping ne ferait qu’empêcher la branche de production nationale de se rétablir. À l’appui d’une demande de conclusions de retard, les avocats ont cité les conclusions rendues par le Tribunal antidumping dans le cadre des enquêtes nos ADT-4-72 [5] et ADT-2-81 [6] selon lesquelles la cessation ou l’interruption de la production ne peut servir de fondement à un refus de redressement. Les avocats ont soutenu que si le Tribunal rendait des conclusions de dommage et si la production était interrompue de façon permanente, les parties intéressées auraient le loisir de demander un réexamen des conclusions du Tribunal.

La Baie d’Hudson - Importateur

Les avocats de La Baie et de Zellers (les importateurs) ont demandé que le Tribunal rende des conclusions selon lesquelles le dumping de classeurs portatifs de Chine ne causait aucun dommage et ne menaçait pas de causer un dommage ou un retard. Ils ont reconnu qu’Anthes avait subi un dommage sensible, mais ont soutenu que celui-ci ne pouvait être attribué au dumping.

De l’avis des avocats des importateurs, Anthes avait monopolisé, à toutes fins pratiques, la vente et la commercialisation de classeurs portatifs au Canada avant 1991, période au cours de laquelle les classeurs portatifs d’Anthes étaient conçus par Willcox Stationery du Royaume-Uni et protégés par un enregistrement de dessin industriel. À cause de cet enregistrement, il était fondamentalement impossible à toute société au Canada autre qu’Anthes de produire, d’importer ou de vendre des classeurs portatifs. Cependant, peu de temps après l’expiration de l’enregistrement de dessin industriel en 1990, les importations en provenance de la Chine ont fait leur apparition au Canada. Dans ce contexte, il n’était pas surprenant qu’en 1991, le prix des classeurs portatifs ait été malmené, puisque Anthes faisait, pour la première fois, face à de la concurrence. En outre, le dommage subi par Anthes en 1991 ne pouvait être mis sur le compte du dumping puisque aucun élément de preuve n’indiquait que les classeurs portatifs de Chine étaient sous-évalués à ce moment-là. Bien que les prix aient continué à diminuer entre 1991 et 1995, l’ampleur de la baisse a ?E9‚té beaucoup moins grande que celle survenue après l’expiration de l’enregistrement de dessin industriel en 1990.

Les avocats des importateurs ont soutenu qu’Anthes était la cause de son propre malheur parce qu’elle avait attendu plus de quatre ans avant de déposer une plainte de dumping. Lorsqu’elle s’est mise en rapport avec Revenu Canada en 1995, le marché des classeurs portatifs était saturé et en déclin. En outre, en 1995, le prix des classeurs portatifs avait été gelé parce que le consommateur s’était habitué à une longue période de prix réduits et parce que de nouveaux produits étaient apparus et concurrençaient les classeurs portatifs sur le plan du prix et de la valeur. En outre, l’arrivée de nouvelles grandes surfaces comme Wal-Mart et The Business Depot Ltd., qui ont la réputation d’offrir des produits à des prix très réduits, a également contribué à maintenir les prix à des niveaux peu élevés. Les bas prix offerts par ces magasins ont comprimé les marges de détail d’autres grandes surfaces qui, à leur tour, ont fait pression sur leurs fournisseurs pour qu’ils baissent les prix.

Les avocats des importateurs ont soutenu que les résultats financiers d’Anthes pour ce qui est de la vente d’autres fournitures pour le bureau ou pour la maison étaient encore bien pires que son piètre rendement financier enregistré dans le secteur des ventes de classeurs portatifs. En outre, Anthes a enregistré des résultats financiers négatifs dans le domaine de ses ventes à l’exportation de classeurs portatifs aux États-Unis, où il n’y a aucune preuve de dumping. Ce qui indique qu’il s’agissait uniquement d’un problème de prix de détail peu élevés. Par contre, les coûts de production d 2'Anthes étaient élevés, surtout au chapitre de la main-d’œuvre et, en 1995, il y a eu d’importantes augmentations du coût du papier, autant de facteurs qui ont contribué au dommage subi.

Pour ce qui est de la menace de dommage, les avocats des importateurs ont allégué qu’abstraction faite des classeurs portatifs de Chine sous-évalués, Anthes continuerait à subir un dommage causé par les classeurs en provenance des États-Unis et du Mexique, qui sont disponibles à des prix qui ne sont pas sous-évalués, les produits de remplacement en polypropylène en provenance de Taiwan, les coûts de production élevés et la tendance générale à pratiquer des bas prix pour les fournitures de classement destinées au bureau et à la maison. Quant au retard, les avocats ont souligné qu’Anthes avait avancé qu’elle mettrait fin à ses activités de production avant que le Tribunal ne rende ses conclusions, le 4 juin 1996. Aucun élément de preuve ne montrait que la production nationale reprendrait dans un avenir prévisible et rien n’indiquait que cela était probable. Les avocats ont laissé entendre que Pelikan, Inc. ne cherchait à obtenir des conclusions de dommage que pour vendre son actif à un meilleur prix, mais qu’elle ne tenait pas à soutenir une production nationale de classeurs portatifs.

Enfin, les marges de dumping établies par Revenu Canada étaient totalement arbitraires, puisqu’elles ont été calculées en fonction du coût de production au Royaume-Uni. Or, il est impossible de comparer les coûts au Royaume-Uni à ceux en Chine, surtout en ce qui concerne la main-d’œuvre. Par conséquent, les marges de dumping calculées par Revenu Canada étaient excessives et ne signifiaient rien dans le contexte des prix réels pratiqués sur le marché de détail.

ANALYSE

Aux termes de l’article 42 de la LMSI, modifiée par la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce [7] , le Tribunal «fait enquête sur [la question de savoir] [...] si le dumping des marchandises [visées par la décision provisoire] ou leur subventionnement soit a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage» (soulignement ajouté). Dans les décisions que le Tribunal a rendues dans la cadre des enquêtes nos NQ-95-001 [8] et NQ-95-002 [9] , il a conclu qu’à la suite des modifications apportées à la LMSI, lorsqu’il rend des conclusions en application du paragraphe 43(1) de la LMSI à l’égard d’une enquête menée aux termes de l’article 42, il est tenu de considérer si la branche de production nationale a subi un dommage ou est menacée par un dommage. En d’autres mots, le dommage et la menace de dommage sont des conclusions distinctes, et le Tribunal n’est pas tenu de rendre des conclusions sur ces deux aspects aux termes du paragraphe 43(1) de la LMSI [10] à moins d’avoir d’abord rendu des conclusions de non-dommage. Dans la présente enquête, le Tribunal reprend cette position à son compte. Puisque les avocats du producteur national ont soutenu que le dumping causera un retard, le Tribunal examinera si la mise en production d’une branche de production nationale sera retardée.

Le terme «dommage» est défini au paragraphe 2(1) de la LMSI comme étant le «dommage sensible causé à une branche de production nationale». La définition de «branche de production nationale» précise, entre autres, qu’il s’agit de «l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou [des] producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale de marchandises similaires». Par conséquent, pour rendre sa décision dans la présente enquête, le Tribunal déterminera d’abord quelles marchandises des producteurs nationaux sont des «marchandises similaires» aux classeurs portatifs de Chine, et ensuite quels sont les producteurs nationaux de classeurs portatifs, c.-à-d. quels producteurs constituent la branche de production nationale. Ensuite, le Tribunal déterminera si cette branche de production nationale a subi un dommage et, dans l’affirmative, s’il existe un lien de causalité entre le dommage et le dumping de classeurs portatifs de Chine. S’il rend des conclusions de non-dommage, le Tribunal considérera alors si le dumping de classeurs portatifs de Chine menace de causer un dommage.

Marchandises similaires

En ce qui concerne toutes les autres marchandises, on trouve au paragraphe 2(1) de la LMSI la définition suivante de l’expression «marchandises similaires» :

a) marchandises identiques aux marchandises en cause;

b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause.

Selon les éléments de preuve, il est clair que les classeurs portatifs connus sous le nom de «Portafiles» produits par Anthes et les classeurs portatifs de Chine ont des caractéristiques physiques semblables, ont les mêmes utilisations finales, se font concurrence et peuvent être substitués l’un à l’autre. En particulier, les renseignements fournis par le producteur national, les importateurs et les acheteurs dans leurs réponses aux questionnaires du Tribunal sur les caractéristiques du marché indiquent que les classeurs portatifs de Chine sont interchangeables avec les classeurs portatifs fabriqués au pays. Dans la catégorie des fournitures pour la maison, pour l’école et pour le bureau, on trouve d’autres produits nationaux, comme «Mes Dossiers», «Project Pal», etc., qui concurrencent également, à des degrés divers, les classeurs portatifs de Chine, mais le dessin et la construction de ces produits sont différents. Par conséquent, le Tribunal conclut que les classeurs portatifs produits par Anthes constituent des marchandises similaires aux classeurs portatifs de Chine. Ni l’une ni l’autre des deux parties à l’enquête du Tribunal n’a contesté ce fait.

Branche de production nationale

Ayant déterminé que les marchandises similaires sont des classeurs portatifs produits au pays, le Tribunal conclut qu’Anthes, qui produit toutes les marchandises similaires, constitue la branche de production nationale aux fins de la présente enquête.

Dommage

Le paragraphe 37.1(1) du Règlement sur les mesures spéciales d’importation [11] (le Règlement), prescrit au Tribunal les facteurs que celui-ci doit considérer pour déterminer si des importations sous-évaluées ont causé un dommage à une branche de production nationale. Ces facteurs sont, entre autres, le volume des marchandises sous-évaluées et leur effet sur le prix des marchandises similaires sur le marché intérieur et l’incidence de ces importations sur plusieurs facteurs économiques comme une baisse réelle ou potentielle de la production, des ventes, de la part du marché et des bénéfices.

Le Tribunal fait remarquer que les avocats des importateurs n’ont pas contesté le fait qu’Anthes a subi un dommage sensible. Un examen des indicateurs économiques clés énumérés ci-dessous confirme l’existence d’un dommage et en précise la nature et l’ampleur. Pour des raisons de confidentialité, les données réelles ne peuvent être publiées. Par conséquent, les données ci-dessous ne sont présentées que sous forme d’indices.

VALEURS-INDICES DES INDICATEURS ÉCONOMIQUES CLÉS
CLASSEURS PORTATIFS

(1992 = 100)

1993

1994

1995

Ventes sur le marché (en unités)

Anthes

94

116

80

Chine

181

162

88

Total

121

131

87

Part du marché (%)

Anthes

78

90

93

Chine

147

122

100

Importations (en unités)

Chine

115

126

67

Données financières

Ventes nationales nettes ($)

87

109

74

Coûts de production (en % des ventes nettes)

105

120

128

Prix moyens pondérés ($/unité)

Anthes

95

95

96

Chine

90

85

90

Source : Protected Pre-Hearing Staff Report, le 27 mars 1996, pièce du Tribunal NQ-95-005-7 (protégée), dossier administratif, vol. 2 à la p. 5.

Les données indiquent que la demande totale de classeurs portatifs sur le marché a augmenté en 1993 et en 1994, avant de diminuer d’environ un tiers en 1995 par rapport au niveau de 1994. Pendant toute la période, Anthes a détenu la part du lion du marché. De 1992 à 1993, Anthes a perdu 22 p. 100 de sa part du marché au profit des classeurs portatifs de Chine, part qu’elle a largement récupérée en 1994 et en 1995. Cependant, en 1995, la part du marché d’Anthes était encore plusieurs points de pourcentage inférieure à ce qu’elle était en 1992, en raison de l’arrivée sur le marché des classeurs portatifs du Mexique. Même après qu’Anthes a repris sa part du marché, le volume de ses ventes, qui était à peu près à 20 p. 100 en-dessous de son niveau de 1992, a beaucoup diminué à cause de la chute marquée de la demande sur le marché en 1995.

Les importations de classeurs portatifs de Chine, qui ont commencé à arriver au Canada en 1991, ont augmenté en volume en 1993 par rapport au volume importé en 1992 et, comme cela est indiqué ci-dessus, ont retranché plusieurs points de pourcentage de la part du marché d’Anthes. Par la suite, la part du marché et le volume de ventes des classeurs portatifs de Chine ont diminué. En 1995, les ventes de classeurs portatifs de Chine étaient deux fois moins élevées que le niveau record de 1993 et inférieures au volume enregistré en 1992. En outre, en 1995, les classeurs portatifs de Chine avaient cédé toute la part du marché qu’ils avaient gagnée en 1993.

Du point de vue de la valeur de vente unitaire, les données indiquent qu’après avoir diminué d’environ 5 p. 100 par rapport à l’année de référence, à savoir 1992, les prix de vente d’Anthes pour les classeurs portatifs sont demeurés pratiquement les mêmes pendant toute l’année 1995. Le prix des classeurs portatifs de Chine a chuté de 10 p. 100 en 1993 et d’un autre 5 p. 100 en 1994, par rapport à 1992. Cependant, en 1995, le prix des classeurs portatifs de Chine est remonté au niveau de 1993.

De l’avis du Tribunal, ce sont les résultats financiers d’Anthes pour la période visée par l’enquête qui révèlent le plus clairement le dommage subi par cette société. Un examen des éléments de preuve montre que les recettes nettes réalisées sur les ventes de classeurs portatifs avaient diminué d’environ un quart en 1995 par rapport aux recettes enregistrées en 1992. Tandis que les recettes provenant des ventes intérieures diminuaient, les coûts de production, en pourcentage des ventes nettes, n’ont cessé d’augmenter au cours de la période. En 1995, les coûts de production, en pourcentage des ventes nettes, étaient près de 20 p. 100 plus élevés qu’en 1992, entraînant une forte érosion des marges brutes. Les ventes diminuant et les coûts augmentant, les résultats nets d’Anthes se sont détériorés au cours des quatre années, et elle a enregistré d’importantes pertes en 1994 et en 1995.

Le Tribunal fait remarquer que les pertes subies en 1995 ont été particulièrement lourdes, presque trois fois celles subies en 1994. Les éléments de preuve montrent que ces nouvelles pertes sont dues à une forte augmentation, en 1995, des frais généraux de vente et d’administration des classeurs portatifs, en pourcentage des ventes nettes, comparativement à 1994. Cette augmentation est imputable à une chute marquée des ventes de classeurs portatifs et à l’effondrement des ventes des autres produits d’Anthes. Plus précisément, alors que les ventes d’Anthes diminuaient, que ses coûts et ses pertes augmentaient pour toutes les gammes de produits au cours de la période visée par l’enquête, elle a aussi enregistré une baisse de ses ventes de produits autres que les classeurs portatifs dont le pourcentage de diminution a été plus élevé que celui de ses ventes de classeurs portatifs. C’est ce qui explique que les ventes de classeurs portatifs devaient accaparer une plus forte proportion des frais généraux de la société, comme les frais généraux de vente et d’administration, qu’au cours des années antérieures.

Les résultats financiers d’Anthes dans le secteur des ventes de classeurs portatifs à l’exportation ont également été insatisfaisants. À la fin de 1994, elle a fermé ses installations de production en Caroline du Nord, qui produisait des classeurs portatifs pour le marché américain. À ce moment-là, Anthes a regroupé toute sa production de classeurs portatifs dans son usine de Brampton et a commencé à approvisionner le marché américain à partir de la production nationale. À la fin de 1994 et au cours de 1995, Anthes a perdu un nombre important et croissant de ventes à l’exportation, pertes égales ou supérieures aux pertes signalées sur le marché intérieur des marchandises similaires.

Quant aux autres indicateurs de rendement, les données montrent que la production, l’emploi et la capacité de production d’Anthes ont augmenté en 1994 et en 1995. Il est clair, cependant, que la plupart de ces augmentations étaient dues au regroupement de la production des classeurs portatifs à Brampton après la fermeture des installations en Caroline du Nord. Anthes avait une capacité de production plus que suffisante pour approvisionner le marché canadien même avant de transférer son matériel de production de la Caroline du Nord, et fonctionnait déjà à des taux d’utilisation peu élevés. Même si ce transfert de capacité de production a été fait afin de pouvoir approvisionner le marché américain à partir du Canada, il semble n’avoir que diminué encore davantage les taux d’utilisation et empiré la surcapacité existante.

Quoi qu’il en soit, il ressort clairement des éléments de preuve, comme l’ont reconnu les avocats des importateurs, qu’au cours de la période visée par l’enquête, Anthes a subi un dommage sensible, principalement sous forme de dommage financier dû à une baisse de recettes et à une augmentation des coûts.

Lien de causalité

Ayant déterminé que la branche de production nationale a subi un dommage sensible, le Tribunal doit maintenant établir s’il existe un lien de causalité entre le dommage et le dumping de classeurs portatifs de Chine. Après avoir minutieusement examiné les éléments de preuve, le Tribunal est convaincu qu’aucun lien de causalité ne peut être établi dans la présente cause.

Les classeurs portatifs importés de Chine ont fait leur apparition sur le marché canadien au début de 1991. Avant cela, Anthes avait le monopole des ventes de classeurs portatifs sur le marché intérieur. Les avocats des importateurs ont allégué qu’Anthes avait été protégée de la concurrence parce qu’elle était titulaire d’un enregistrement de dessin industriel qui empêchait, en réalité, toute autre société de fabriquer, d’importer ou de commercialiser autrement des classeurs portatifs.

De l’avis du Tribunal, les éléments de preuve relatifs à la portée restrictive de cet enregistrement ne sont pas concluants. Il est clair, cependant, que peu de temps après l’expiration de l’enregistrement, en mars 1990, Anthes a, pour la première fois, fait face à la concurrence, sous forme de classeurs portatifs de Chine, et les prix de gros et de détail des classeurs portatifs ont soudainement baissé. En effet, même si les prix des classeurs portatifs ont continué à diminuer au cours de la période visée par l’enquête, c’est-à-dire de 1992 à 1995, ces réductions étaient relativement faibles si on les compare à la chute libre initiale des prix au moment où les importations ont déclenché la concurrence.

Le Tribunal souligne qu’Anthes a attendu plus de quatre ans avant de déposer auprès de Revenu Canada la plainte de dumping qui est à l’origine de la présente enquête. Le Tribunal ne voit pas très clairement pourquoi le producteur national a attendu aussi longtemps, après avoir subi pour la première fois, selon ses allégations, un dommage causé par la concurrence des produits chinois, avant de prendre des mesures. Le marché des classeurs portatifs est relativement petit, on n’y compte qu’une poignée de participants importants et rien n’indique qu’Anthes ignorait ce qui se passait d’important sur ce marché. Au cours de cette période inhabituellement longue, de nombreux autres facteurs sont intervenus et ont influé sur le rendement d’Anthes, facteurs qui, de l’avis du Tribunal, ont eu pour effet de brouiller les rapports de cause à effet entre les classeurs portatifs de Chine et le dommage causé à Anthes.

En particulier, depuis la première entrée des classeurs portatifs de Chine en 1991 sur le marché canadien, ce dernier a profondément changé au niveau de la vente au détail, et les classeurs portatifs vendus aux consommateurs ont fait l’objet d’un important repositionnement. Les éléments de preuve indiquent qu’au cours de la période antérieure à 1991, Anthes avait positionné le «Portafile» comme le classeur à soufflets par excellence sur le marché [12] , à un prix suggéré de détail de 24,99 $. Cependant, comme cela a été souligné ci-dessus, avec l’arrivée des classeurs portatifs de Chine en 1991, la position monopolistique d’Anthes a pris fin, et la structure de prix d’avant 1991 a été fondamentalement modifiée. En 1993, les détaillants vendaient des classeurs portatifs à des prix variant entre 13,00 $ et 14,00 $ [13] ; en 1996, un prix de détail d’environ 8,00 $ était devenu courant pour les classeurs portatifs. En d’autres termes, les prix de vente au détail ordinaires ont diminué d’environ deux tiers comparativement aux prix pratiqués au cours de la période d’avant 1991.

Les éléments de preuve montrent également qu’au niveau du gros, les prix ont chuté d’environ un tiers au cours de la période correspondante, c.-à-d. que les prix de détail ont beaucoup plus diminué que les prix de gros. Ces faits sont conformes aux éléments de preuve présentés par Anthes, par La Baie et par Zellers selon lesquels les classeurs portatifs ont été repositionnés au détail comme produit vedette utilisé par les grandes surfaces pour attirer des clients dans leurs magasins. Plus précisément, les témoins de La Baie et de Zellers ont indiqué que les classeurs portatifs sont devenus des outils de promotion, sont souvent placés dans des endroits de vente privilégiés «en bout de rangée» dans des points de vente de services de détail, et sont souvent vendus comme «produits d’appel» [14] . Le témoin de Zellers a brièvement souligné le changement de positionnement des classeurs portatifs déclarant que, depuis quelques années, ils sont passés du segment supérieur de la catégorie des classeurs à soufflets au segment inférieur du point de vue du prix et de la marge bénéficiaire. Il a également déclaré que, du point de vue d’un détaillant, les classeurs portatifs sont considérés comme faisant partie d’une famille de produits dont quelques-uns sont vendus à des marges élevées et d’autres, comme les classeurs portatifs, à des marges faibles ou nulles, dans l’espoir d’obtenir une marge satisfaisante pour l’ensemble du groupe [15] .

Depuis le début des années 90, l’apparition de détaillants de produits en «grosses boîtes» comme Wal-Mart et PriceCostco, qui ciblent les consommateurs soucieux de leur budget, a également changé la vue d’ensemble au Canada des grandes surfaces et exercé des pressions à la baisse sur les prix de détail d’un grand nombre de marchandises, notamment les classeurs portatifs. En outre, l’apparition d’hypermarchés de fournitures de bureau spécialisés, comme The Business Depot Ltd., a intensifi 9‚ la concurrence que se livrent les produits, en particulier dans la catégorie des articles pour la maison, pour l’école et pour le bureau. Selon le témoin de Zellers, la stratégie de ces magasins spécialisés est d’offrir un vaste assortiment de produits à des prix de rabais bien inférieurs aux prix de détail normaux. Cela a obligé les concurrents à réviser leurs propres stratégies. La plupart des gros détaillants ont réagi en élargissant la sélection de leurs produits et en ciblant des produits particuliers, par exemple les classeurs portatifs, comme produits d’appel qui sont souvent vendus en promotion dans la bataille que se livrent les détaillants pour attirer l’attention des consommateurs [16] .

Compte tenu de cette concurrence accrue entre les détaillants au cours des dernières années, les consommateurs bénéficient aujourd’hui d’un plus vaste choix de points de vente de services de détail où ils peuvent acheter leurs produits, entre autres les classeurs portatifs, et ils sont constamment bombardés de prix concurrentiels dans la publicité. Selon les témoins de La Baie et de Zellers, cet état de choses a créé dans l’esprit du consommateur une attente ou une perception au niveau du prix juste à payer pour les classeurs portatifs, qui est actuellement au prix cible d’environ 8,00 $. Cette perception s’est trouvée beaucoup renforcée du fait que les classeurs portatifs ont souvent fait l’objet de promotions au cours des dernières années à des prix variant entre 6,00 $ et 7,00 $ [17] . Par conséquent, il faut s’attendre à ce que toute tentative visant à augmenter les prix des classeurs portatifs suscite une grande résistance de la part des consommateurs, compte tenu, en particulier, de l’existence d’un grand nombre de produits de remplacement rentables.

De l’avis du Tribunal, ce témoignage est appuyé par les nombreux éléments de preuve présentés par La Baie et par Zellers concernant le vaste éventail de produits de classement à des prix concurrentiels avec ceux des classeurs portatifs. Bien que ces produits ne soient pas des «marchandises similaires» aux classeurs portatifs, ils ont les mêmes utilisations finales et des caractéristiques physiques semblables et sont, par conséquent, des produits de remplacement concurrentiels dans les décisions d’achat du consommateur. On trouve parmi ces produits toute une série de produits de papier comme le «Personal File» de Rogers qui se détaille à 12,99 $, le classeur à soufflets Oxford dont le prix de détail est de 9,99 $ [18] et des classeurs à soufflets de différents formats dont le prix de détail est inférieur à 10,00 $ [19] . Les ?E9‚léments de preuve indiquent également que les produits de classement en plastique sont de plus en plus présents et font concurrence aux classeurs portatifs sous l’angle de la fonction et du prix. Zellers, par exemple, vend une gamme de classeurs à soufflets en vinyle produits en Chine à un prix de détail qui varie entre 8,99 $ et 13,99 $ [20] . De plus, on trouve facilement des classeurs à soufflets en plastique en provenance de Taiwan à un prix franco dédouané inférieur au prix de gros d’Anthes pour les classeurs portatifs [21] . Certains de ces produits de Taiwan sont actuellement disponibles sur le marché canadien.

En plus de ces produits de classement concurrentiels non visés, le Tribunal souligne que les classeurs portatifs du Mexique, qui sont pratiquement identiques aux classeurs portatifs d’Anthes, font maintenant la concurrence sur le marché canadien. Acco, une société qui importe des classeurs portatifs aux États-Unis et au Canada, a commencé à s’approvisionner au Mexique en 1995. Le prix de détail des classeurs portatifs du Mexique est d’environ 7,80 $. En outre, les éléments de preuve indiquent que les classeurs portatifs américains sont disponibles à un prix franco dédouané comparable au prix de gros d’Anthes [22] . Enfin, les éléments de preuve présentés par Zellers révèlent que les classeurs portatifs en plastique ont été évalués par des sources étrangères à des prix franco dédouanés qui se comparent au prix de gros d’Anthes [23] .

Le Tribunal fait remarquer que le repositionnement des classeurs portatifs à leur niveau de prix actuel n’est pas un phénomène proprement canadien. Selon les éléments de preuve, les classeurs portatifs vendus sur le marché américain proviennent de diverses sources, notamment de la Chine, du Mexique et d’Anthes, elle-même, à partir de sa production nationale. Les prix de gros et de détail en vigueur sur le marché américain sont assez semblables à ceux du Canada [24] . En effet, les éléments de preuve montrent que les ventes à l’exportation de «Portafiles» effectuées par Anthes ont donné des résultats financiers moins que satisfaisants. Il apparaît certainement que, sur le marché américain où, pour autant que le Tribunal le sache, aucune allégation selon laquelle le dumping a influé sur les prix n’a été faite, les difficultés auxquelles Anthes est confrontée sont fondamentalement les mêmes que celles auxquelles elle fait face au Canada.

En outre, le Tribunal souligne que, depuis quelques années, on constate une baisse générale des prix dans la catégorie des produits pour la maison, pour l’école et pour le bureau. Bien que les volumes de ventes dans cette catégorie, dans l’ensemble, aient été substantiels, en grande partie liés à la demande accrue de fournitures pour bureaux à la maison et de petites entreprises, les prix ont eu de la difficulté à se maintenir. Il semble que les mêmes facteurs qui ont eu une incidence sur l’établissement des prix des classeurs portatifs font sentir leurs effets sur toute cette catégorie de produits. En particulier, un examen des prix pratiqués par Anthes pour sa catégorie de produits pour la maison, pour l’école et pour le bureau révèle que la presque totalité de ses prix de gros pour les produits dans cette catégorie ont diminué depuis la période de 1991-1992 [25] . De même, les éléments de preuve présentés par La Baie et par Zellers [26] indiquent que leurs prix de détail pour les produits pour la maison, pour l’école et pour le bureau ont généralement tous diminué. Par exemple, le prix d’un classeur en métal à deux tiroirs est tombé, à La Baie, de 39,99 $ en 1994 à 26,82 $ à la fin de 1995 pour concurrencer les prix de détail de Wal-Mart [27] . Il est intéressant de souligner qu’à ce prix, les classeurs en métal se vendent au détail, en 1996, à un prix qui n’est que légèrement supérieur à celui qui était suggéré comme prix de détail avant 1991 pour le système de classement fabriqué avec des matériaux à base de papier, comme les classeurs portatifs.

Un autre facteur qui semble avoir comprimé les prix au cours des deux dernières années environ est une saturation de la demande de classeurs portatifs. Selon les éléments de preuve, la demande de classeurs portatifs a chuté d’environ un tiers en 1995 comparativement à 1994. Cette diminution a réduit de beaucoup les ventes provenant d’importations, ainsi que celles provenant de la production nationale. En outre, les éléments de preuve indiquent que la baisse s’est poursuivie en 1996, les ventes ayant continué à diminuer et les stocks demeurant à des niveaux élevés [28] . Les témoins de La Baie et de Zellers ont signalé que même des prix exceptionnellement bas et des promotions fréquentes au cours de cette période n’ont pas réussi à faire remonter le volume de ventes des classeurs portatifs au niveau des années précédentes. Selon l’estimation du Tribunal, cela semble refléter, en partie, le fait que la catégorie des produits de consommation pour la maison, pour l’école et pour le bureau est saturée, comme cela a déjà été suggéré, et que la concurrence d’autres produits de remplacement a eu un effet de déplacement.

Bref, en se fondant sur les éléments de preuve présentés dans le cadre de la présente cause, le Tribunal est persuadé que l’établissement de nouveaux prix et le repositionnement des classeurs portatifs survenus en 1991 étaient des conséquences plus ou moins inévitables de l’évolution de la catégorie des produits pour la maison, pour l’école et pour le bureau dans un milieu de vente au détail de plus en plus compétitif. De l’avis du Tribunal, cette transition se serait produite avec ou sans les classeurs portatifs de Chine, bien que son rythme et son moment auraient peut-être été différents si ces classeurs portatifs n’avaient pas fait leur apparition en 1991. Parallèlement à cette transition, le Tribunal reconnaît qu’Anthes a perdu des ventes et enregistré une érosion et une compression des prix, comme elle l’a prétendu. Cependant, le Tribunal y voit une retombée inévitable de l’évolution de la situation sur ce marché et des stratégies adoptées par Anthes (ou qu’elle a omis d’adopter) pour faire face à la concurrence que lui livraient d’autres fournisseurs de classeurs portatifs, ainsi que des fournisseurs de produits de remplacement.

Enfin, le Tribunal fait remarquer que le dommage sensible subi par Anthes au cours de la période visée par l’enquête était lié non seulement à des difficultés au niveau des prix mais aussi à des difficultés au niveau des coûts. En particulier, en 1995, le coût du papier, qui représente la part du lion des coûts du matériel entrant dans la production des classeurs portatifs, a substantiellement augmenté, jusqu’à 50 p. 100 au-dessus de son niveau de 1994, selon le témoin d’Anthes [29] . Comme cette augmentation des coûts ne pouvait être répercutée sur les détaillants ou les consommateurs, vu l’état du marché, elle a sans aucun doute été l’une des principales causes des importantes pertes signalées par Anthes, particulièrement en 1995. Le témoin de la société Acco a également fait allusion à cette grave incidence de l’augmentation des coûts et précisé que cela avait été l’un des facteurs déterminants dans sa décision de cesser d’importer des produits de Chine et de trouver une nouvelle source d’approvisionnement comportant des coûts de production moins élevés [30] .

Le Tribunal fait remarquer que le témoin d’Anthes a candidement indiqué que cette hausse du coût du papier a été l’un des principaux motifs pour lesquels Anthes s’est finalement décidée à déposer une plainte de dumping à la fin de 1995 [31] . De l’avis du Tribunal, le moment choisi pour prendre cette décision, ainsi que la longue période d’inaction qui a précédé, donne encore une fois à penser que, bien que les classeurs portatifs de Chine aient sans aucun doute accéléré la détérioration du rendement d’Anthes, les principales difficultés de celle-ci découlent de facteurs autres que le dumping.

Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal conclut que ce ne sont pas les classeurs portatifs de Chine sous-évalués mais bien d’autres facteurs qui ont causé un dommage sensible à Anthes.

Menace de dommage

Comme cela a déjà été indiqué, le marché des classeurs portatifs et des autres fournitures pour la maison, pour l’école et pour le bureau a été le théâtre de profonds changements depuis quelques années. De toute évidence, la concurrence au niveau des prix de gros et de détail de ces produits s’est avérée très forte et elle est susceptible de se poursuivre avec la même intensité, du moins à moyen terme. Cela a été, et est très certainement un environnement difficile pour des fournisseurs comme Anthes dont les principales gammes de produits, comme les classeurs portatifs, sont placées au premier plan de la lutte de la concurrence. Il appert qu’Anthes n’a pas réussi à s’ajuster pour survivre face à la nouvelle donne sur le marché. Elle a annoncé qu’elle aura mis fin à toutes ses activités canadiennes au moment où ces motifs seront publiés, bien que le propriétaire d’Anthes, Pelikan, Inc., continue de chercher à vendre la société. Que les efforts de Pelikan, Inc. débouchent ou non, le Tribunal ne voit aucun changement de circonstances, dans l’avenir immédiat, qui pourrait mener à une menace de dommage sensible causé par les classeurs portatifs de Chine, alors que ces importations n’ont pas causé un dommage sensible à la branche de production nationale dans le passé.

Retard

Le producteur national a indiqué qu’il serait favorable à ce que le Tribunal conclue que le dumping causerait un retard sensible de la mise en production de la branche de production nationale au cas où la production nationale de classeurs portatifs cessait [32] . Les éléments de preuve soumis lors de l’audience indiquaient que la production nationale était censée se terminer à la fin mai 1996.

Aux termes de l’article 42 de la LMSI, le Tribunal doit faire enquête, entre autres, sur la question de savoir si le dumping des marchandises visées par la décision provisoire «a causé [...] un retard». Le terme «retard» est défini au paragraphe 2(1) de la LMSI comme signifiant «[l]e retard sensible de la mise en production d’une branche de production nationale».

Selon le libellé de l’article 42 de la LMSI, il est évident qu’une affirmation de retard doit viser une branche de production qui n’est pas encore 9‚tablie; elle ne s’applique pas à une entreprise établie, même si celle-ci est en perte de vitesse, comme c’est le cas dans la présente enquête. En outre, même si l’avenir de la production nationale est incertain, la LMSI n’envisage pas de mesures fondées sur une menace de retard.

CONCLUSION

Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que le dumping au Canada de classeurs portatifs avec poignée, fermeture et parois latérales à soufflets originaires ou exportés de la République populaire de Chine n’a pas causé un dommage sensible ou un retard à la branche de production nationale et ne menace pas de causer un dommage sensible à la branche de production nationale.


1. L.R.C. (1985), ch. S - 15, modifiée par L.C. 1994, ch. 47.

2. Gazette du Canada Partie I, vol. 130, n o 7, le 17 février 1996 à la p. 526.

3. Ibid. , n o 20, le 18 mai 1996 à la p. 1468.

4. Supra note 2 à la p. 534.

5. Pneus et chambres à air de bicyclettes en provenance de l'Autriche, du Japon, des Pays-Bas, de la Suède et de Taiwan , Conclusions et Exposé des motifs , le 15 août 1972.

6. Les jantes de roues en acier faites sur commande dont le centre est en acier ou en aluminium, peint ou chromé, ayant toutes des diamètres qui varient de 13" à 16 1/2" inclusivement et des largeurs qui varient de 5 1/2" à 10" inclusivement, originaires ou exportées du Brésil, Conclusions et Exposé des motifs , le 10 juillet 1981.

7. L.C. 1994, ch. 47.

8. Couvercles, disques et bocaux destinés à la mise en conserve domestique, importés soit séparément ou conditionnés ensemble, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique , Conclusions , le 20 octobre 1995, Exposé des motifs , le 6 novembre 1995.

9. Le dumping au Canada du sucre raffiné originaire ou exporté des États - Unis d'Amérique, du Danemark, de la République fédérale d'Allemagne, des Pays - Bas, du Royaume - Uni et de la République de Corée, et le subventionnement du sucre raffiné originaire ou exporté de l'Union européenne , Conclusions , le 6 novembre 1995, Exposé des motifs , le 21 novembre 1995.

10. Couvercles, disques et bocaux à la p. 11; et Sucre raffiné à la p. 14.

11. DORS/95 - 26, Gazette du Canada Partie II, vol. 129, n o 1, le 11 janvier 1995 à la p. 80.

12. Pièce du fabricant A - 1 à la p. 16, dossier administratif, vol. 11.

13. Pièce du fabricant A - 1, annexe 6, dossier administratif, vol. 11; et pièce de l'importateur B - 1 à la p. 4, dossier administratif, vol. 13.

14. Pièce du fabricant A - 1 aux pp. 5 - 6, dossier administratif, vol. 11.

15. Transcription de la session à huis clos , vol. 2, le 7 mai 1996 à la p. 170.

16. Pièce de l'importateur B - 13 aux pp. 6 - 7, dossier administratif, vol. 13.

17. Pièce du fabricant A - 1, annexe 6, dossier administratif, vol. 11; pièce de l'importateur B - 1 à la p. 5, dossier administratif, vol. 13; et pièce de l'importateur B - 29 (protégée), dossier administratif, vol. 14.

18. Pièce de l'importateur B - 1 à la p. 8, dossier administratif, vol. 13.

19. Pièce de l'importateur B - 13 à la p. 5, dossier administratif, vol. 13.

20. Ibid.

21. Transcription de la session publique , vol. 2, le 7 mai 1996 à la p. 153; Transcription de la session à huis clos , vol. 2, le 7 mai 1996 à la p. 137; et pièces de l'importateur B - 17.1 - B - 17.4, dossier administratif, vol. 13.

22. Transcription de la session à huis clos , vol. 2, le 7 mai 1996 à la p. 147; et pièce de l'importateur B - 39 (protégée), dossier administratif, vol. 14.

23. Transcription de la session à huis clos , vol. 2, le 7 mai 1996 aux pp. 129 - 36; et pièces de l'importateur B - 27 et B - 31 (protégées), dossier administratif, vol. 14, et B - 28, dossier administratif, vol. 13.

24. Transcription de la session à huis clos , vol. 1, le 6 mai 1996 aux pp. 47 - 48.

25. Pièce de l'importateur B - 22, dossier administratif, vol. 13.

26. Pièces de l'importateur B - 1 à la p. 9 et B - 13 aux pp. 6 - 7, dossier administratif, vol. 13.

27. Pièce de l'importateur B - 1 à la p. 8, dossier administratif, vol. 13.

28. Protected Pre - Hearing Staff Report , le 27 mars 1996, pièce du Tribunal NQ - 95 - 005 - 7 (protégée), dossier administratif, vol. 2 à la p. 22; et pièces de l'importateur B - 15 et B - 29 (protégées), dossier administratif, vol. 14.

29. Transcription de la session publique , vol. 1, le 6 mai 1996 à la p. 90.

30. Transcription de la session à huis clos , vol. 2, le 7 mai 1996 à la p. 175.

31. Transcription de la session publique , vol. 1, le 6 mai 1996 à la p. 24.

32. À l'appui de cet argument, les avocats du producteur national ont cité les Pneus et chambres à air de bicyclettes , supra note 5.


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Publication initiale : le 18 octobre 1996