TÔLES D'ACIER AU CARBONE LAMINÉES À CHAUD

Enquêtes (article 42)


CERTAINES TÔLES D’ACIER AU CARBONE LAMINÉES À CHAUD ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DU MEXIQUE, DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE, DE LA RÉPUBLIQUE D’AFRIQUE DU SUD ET DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE
Enquête no : NQ-97-001 Renvoi

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 21 juin 1999

Enquête no : NQ-97-001 Renvoi

CERTAINES TÔLES D’ACIER AU CARBONE LAMINÉES À CHAUD ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DU MEXIQUE, DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE, DE LA RÉPUBLIQUE D’AFRIQUE DU SUD ET DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

RENVOI DE LA DÉCISION — Aux termes des pouvoirs que lui confère l’article 77.015 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le groupe spécial binational affecté au dossier no CDA-97-1904-02 du Secrétariat canadien a renvoyé, en partie, au Tribunal canadien du commerce extérieur les conclusions que ce dernier a rendues dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001. Aux termes du paragraphe 43(1.01) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le groupe spécial binational a renvoyé au Tribunal ses conclusions afin que ce dernier détermine s’il est nécessaire que des conclusions distinctes soient rendues en ce concerne le Mexique et, le cas échéant, si le Tribunal doit également exposer des motifs distincts.

DÉCISION SUR RENVOI : Conformément à l’article 77.016 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal reconnaît, par la présente, qu’il a commis une erreur lorsqu’il a omis de rendre des conclusions distinctes en ce qui concerne le Mexique et rectifie cet état de choses par la publication d’un corrigendum aux conclusions qu’il a rendues dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001 (copie ci-jointe). Pour les motifs décrits dans la décision sur renvoi ci-annexée, le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas d’exigence législative ni de raison de politique convaincante qui fonde une obligation de faire état des motifs distincts en ce qui concerne les marchandises en provenance du Mexique.

Patricia M. Close
_________________________
Patricia M. Close
Membre présidant


Anita Szlazak
_________________________
Anita Szlazak
Membre


Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire







Membres du Tribunal : Patricia M. Close, membre présidant
Anita Szlazak, membre
Arthur B. Trudeau, membre


Avocat pour le Tribunal : Gerry Stobo

DÉCISION SUR RENVOI

INTRODUCTION

Le 19 mai 1999, le Groupe spécial binational (le Groupe spécial) a renvoyé au Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) les conclusions qu’il avait rendues dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001 [1] pour que ce dernier détermine si, aux termes de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [2] (la LMSI), le Tribunal doit rendre des conclusions distinctes en ce qui concerne le Mexique et, le cas échéant, si le Tribunal doit également exposer des motifs distincts.

Le 7 juin 1999, le président du Tribunal a nommé trois membres pour statuer sur le renvoi [3] . Étant donné le caractère précis du renvoi, le Tribunal était d’avis qu’il n’était pas nécessaire de procéder à la collecte de nouveaux faits ou à une nouvelle analyse des faits ou des points de droit en cause dans l’enquête du Tribunal. Par conséquent, le Tribunal a décidé qu’une audience et des observations des parties n’étaient pas nécessaires pour répondre au renvoi.

L’analyse du Tribunal en réponse au renvoi se divise en deux parties : la première traite de la question de savoir s’il faut rendre des conclusions distinctes en ce qui concerne le Mexique et la deuxième, de la question de savoir s’il est nécessaire de faire état de motifs distincts en ce qui concerne le Mexique.

ORDONNANCE OU CONCLUSIONS DISTINCTES

Lorsqu’il a rendu sa décision [4] dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001, le Tribunal n’a pas rendu de conclusions distinctes à l’égard des marchandises en provenance du Mexique. Lorsqu’il a conclu que le dumping au Canada des marchandises en question originaires ou exportées du Mexique, de la République populaire de Chine, de la République d’Afrique du Sud et de la Fédération de Russie menaçait de causer un dommage sensible à la branche de production nationale, le Tribunal a rendu des conclusions qui englobaient tous les pays désignés.

Le Tribunal était-il tenu de rendre des conclusions distinctes à l’égard des marchandises en provenance du Mexique? Pour répondre à la question susmentionnée, il faut examiner le paragraphe 43(1.01) de la LMSI, qui précise ce qui suit :

(1.01) Lorsque l’enquête vise diverses marchandises dont certaines proviennent soit de plus d’un pays ALÉNA soit d’un ou de plusieurs pays ALÉNA et de pays non ALÉNA, le Tribunal rend une ordonnance ou des conclusions distinctes à l’égard des marchandises de chacun des pays ALÉNA.

Le paragraphe 43(1.01) a été ajouté à la LMSI par la Partie I de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain [5] (la Loi de mise en œuvre de l’ALÉNA). L’Énoncé canadien des mesures de mise en œuvre de l’ALÉNA qui, notamment, décrit, relativement au gouvernement du Canada, « l’interprétation que fait le gouvernement des droits et obligations figurant dans l’ALÉNA et repris dans la [Loi de mise en œuvre de l’ALÉNA] » prévoit ce qui suit à l’égard du paragraphe 43(1.01) :

Les amendements contenus dans la Partie I ont, de manière générale, un caractère technique; ils visent à faire en sorte qu’on puisse donner effet au mécanisme de règlement des différends, les dispositions relatives à cette question se trouvant, en réalité, à la Partie I.1 de la LMSI. Plus précisément, les amendements à la Partie I sont les suivants :

—exigence que le TCCE rende une ordonnance ou des conclusions distinctes en ce qui concerne des produits provenant d’un pays partie à l’ALÉNA, lorsqu’une enquête concerne plus d’un pays partie à l’ALÉNA et d’autres pays, afin d’empêcher l’accès aux groupes spéciaux (c.-à-d. aux groupes spéciaux binationaux) de pays qui ne sont pas parties au différend [6] .

L’incidence de rendre une ordonnance ou des conclusions distinctes en ce qui concerne des marchandises provenant d’un pays partie à l’ALÉNA est donc de préciser que les parties, dont les marchandises ne proviennent pas d’un pays partie à l’ALÉNA, ne pourraient avoir accès à la procédure du groupe spécial binational établie par le chapitre 19 de l’ALÉNA, ni ne pourraient être incluses dans une demande d’examen par un groupe spécial binational présentée par une partie dont les marchandises proviennent d’un pays partie à l’ALÉNA. Plutôt, ces tierces parties, à l’égard desquelles une ordonnance ou des conclusions distinctes doivent être rendues doivent, pour contester une décision du Tribunal, solliciter un examen judiciaire auprès des cours nationales c’est-à-dire, dans le cas du Canada, auprès de la Cour d’appel fédérale.

Le Tribunal est d’avis qu’il a commis une erreur lorsqu’il a omis de rendre une ordonnance et des conclusions distinctes en ce qui concerne les marchandises en provenance d’un pays partie à l’ALÉNA. Bien que l’Énoncé canadien des mesures de mise en œuvre de l’ALÉNA décrive l’article 43(1.01) comme ayant un caractère « technique » et qu’un Groupe spécial ait qualifié le défaut de rendre une ordonnance ou des conclusions distinctes à l’égard d’une partie d’un pays partie à l’ALÉNA « d’erreur d’écriture » [7] , le Tribunal est d’avis que les conclusions qu’il a rendues dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001 doivent être rectifiées. Par conséquent, dans le cadre de sa décision par renvoi, le Tribunal dépose un corrigendum aux conclusions qu’il a rendues, qui comportent des conclusions distinctes en ce qui concerne le Mexique.

MOTIFS DISTINCTS POUR CHAQUE ORDONNANCE OU CONCLUSIONS

En conformité à une pratique établie depuis longtemps au Tribunal, l’exposé des motifs publié par le Tribunal dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001 valait pour tous les pays visés, y compris le Mexique. Des motifs distincts n’ont pas été publiés en ce qui concerne le Mexique. Dans le mémoire qu’elle a déposé auprès du Groupe spécial, tout comme dans ses observations au Groupe spécial, la partie plaignante a soutenu que des motifs distincts sont nécessaires pour chaque ordonnance ou conclusions rendues par le Tribunal. Le présumé fondement de la position de la partie plaignante est tiré du paragraphe 43(2) de la LMSI, qui prévoit ce qui suit :

(2) Le secrétaire envoie, par courrier recommandé, au sous-ministre, à l’importateur, à l’exportateur et aux autres personnes que prévoient les règles du Tribunal, copie des textes suivants :

a) dès qu’elles ont été rendues en vertu du présent article, l’ordonnance ou les conclusions du Tribunal;

b) dans les quinze jours suivant la date de l’ordonnance ou des conclusions, l’exposé des motifs correspondants. [Soulignement ajouté]

L’avocat pour le Tribunal a fait opposition à la position de la partie plaignante, à la fois dans le mémoire du Tribunal déposé auprès du Groupe spécial et dans ses observations devant le Groupe spécial qui a entendu l’examen. Le Tribunal reprend ces mêmes observations et affirme que, à son avis, il n’est pas tenu de publier des motifs distincts pour chaque ordonnance ou conclusions rendues.

Bien que, aux termes à la fois du paragraphe 43(1.01) et de l’alinéa 43(2)a) de la LMSI, le Tribunal soit clairement tenu de rendre une ordonnance ou des conclusions distinctes à l’égard de marchandises en provenance d’un pays partie à l’ALÉNA, l’alinéa 43(2)b) n’impose pas d’exigence similaire au Tribunal en ce qui concerne des motifs distincts. Si le Parlement avait voulu imposer une telle exigence, il aurait facilement pu le faire en rédigeant la fin du libellé de l’alinéa 43(2)b) légèrement différemment pour qu’il précise ce qui suit : « separate reasons for making each order or finding » (« […] un exposé distinct des motifs correspondants pour chaque ordonnance ou conclusions ») ou « …reasons for making each order or finding » (« l’exposé des motifs correspondants à chaque ordonnance ou conclusions »). Un tel libellé aurait précisé de façon très claire la présumée exigence. La raison pour laquelle ledit alinéa n’a pas été rédigé ainsi est, de l’avis du Tribunal, que tel n’était pas son objet.

De toute façon, le Tribunal est d’avis que « l’exposé des motifs correspondants [à l’ordonnance ou aux conclusions] », aux termes de l’alinéa 43(2)b), a été envoyé à la partie plaignante dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001 lorsque le Tribunal a publié son exposé des motifs. Ces motifs expliquaient pourquoi de telles conclusions ont été rendues relativement à tous les pays visés, y compris le Mexique.

Après la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis [8] , le Tribunal a commencé à rendre une ordonnance ou des conclusions distinctes à l’égard des marchandises en provenance des États-Unis, mais sans publier de motifs distincts [9] . Si les États-Unis ou le Mexique avaient été d’avis que des motifs distincts revêtaient une importance cruciale concernant leurs intérêts, l’ALÉNA aurait pu être négocié, et la LMSI modifiée, pour les prévoir de façon explicite. Cela n’a pas été fait.

Au cours de la négociation de l’ALÉNA, lorsque les parties ont voulu s’accorder réciproquement des droits spéciaux ou des obligations spéciales, elles l’ont fait de façon explicite. Par exemple, au chapitre 8 de l’ALÉNA - Mesures d’urgence (c.-à-d. sauvegardes), les parties ont convenu de s’accorder réciproquement certains droits dont ne bénéficieraient pas les autres partenaires commerciaux. Le paragraphe 802(1) de l’ALÉNA prévoit que « [c]hacune des Parties conserve les droits et obligations résultant pour elle de l’article XIX de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce » [sauvegardes], sauf lorsque la Partie qui adopte une mesure d’urgence aux termes dudit article « devra en exempter les importations de chacune des autres Parties, sauf :

a) si les importations depuis une Partie, considérées séparément, comptent pour une part substantielle des importations totales; et

b) si les importations depuis une Partie, considérées séparément, ou, dans des circonstances exceptionnelles, les importations depuis les autres Parties considérées collectivement, contribuent de manière importante au préjudice [maintenant appelé dommage] grave ou à la menace de préjudice grave causé par les importations ».

L’article 802 de l’ALÉNA a été mis en œuvre de façon explicite dans le paragraphe 20.01(2) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [10] (Loi sur le TCCE) [11] .

Un contraste très net ressort de l’absence de libellé explicite dans l’alinéa 43(2) de la LMSI, qui traite d’enquêtes sur le dumping ou le subventionnement, à la fois par rapport à l’article 802 de l’ALÉNA et au paragraphe 20.01(2) de la Loi sur le TCCE, qui prévoient que les importations depuis un pays partie à l’ALÉNA doivent être considérées de façon distincte dans le cadre de mesures de sauvegarde. Contrairement au libellé spécifique de l’article 802, le paragraphe 1902(1) de l’ALÉNA prévoit ce qui suit :

Chacune des Parties se réserve le droit d’appliquer sa législation sur les droits antidumping et sur les droits compensateurs aux produits importés depuis le territoire de toute autre Partie. Selon qu’il y a lieu pour chacune des Parties, ladite législation est réputée comprendre les lois, le contexte législatif, les règlements, la pratique administrative et la jurisprudence pertinents.

Le paragraphe 43(1.01) et l’alinéa 43(2)b) de la LMSI doivent être interprétés dans le contexte législatif global des articles 42 à 47 portant sur les enquêtes de dumping et de subventionnement. Lorsque le sous-ministre du Revenu national rend une décision de dumping, le Tribunal doit, aux termes de l’article 42, enquêter sur le question de savoir si le dumping a causé ou menace de causer un dommage sensible à la production au Canada de marchandises similaires. Pour déterminer si un dommage sensible avait été causé, le Tribunal (et ses prédécesseurs) a depuis longtemps l’habitude de cumuler l’impact des importations en provenance de tous les pays mentionnés dans la décision provisoire de dumping. Cette pratique de cumulation est maintenant enchâssée dans le paragraphe 42(3) de la LMSI qui prévoit ce qui suit :

(3) Le Tribunal peut, lors de l’ouverture ou de la poursuite de l’enquête, évaluer les effets cumulatifs du dumping ou du subventionnement des marchandises, visées par la décision provisoire, importées au Canada en provenance de plus d’un pays, s’il conclut à la fois que :

a) relativement aux importations de marchandises de chacun de ces pays, la marge de dumping ou le montant de subvention n’est pas minimal et que le volume des importations n’est pas négligeable;

b) l’évaluation des effets cumulatifs est indiquée compte tenu des conditions de concurrence entre les marchandises, visées par la décision provisoire, importées au Canada en provenance d’un de ces pays et :

(i) soit les marchandises, visées par la décision provisoire, importées au Canada en provenance d’un autre de ces pays,

(ii) soit les marchandises similaires des producteurs nationaux.

Les éléments de preuve se trouvant au dossier de l’enquête no NQ-97-001 ont montré que la marge de dumping des marchandises visées importées depuis le Mexique était de 26,2 p. 100 [12] , et n’était donc pas minimale, et que le volume des marchandises importées en provenance du Mexique n’était pas négligeable [13] . Par conséquent, le Tribunal est d’avis qu’il était indiqué de considérer les effets cumulatifs du dumping au Canada des marchandises en provenance du Mexique avec les marchandises originaires de tous les pays visés.

Si le Tribunal devait commencer à faire état de motifs distincts pour les pays parties à l’ALÉNA pour accompagner les conclusions distinctes prévues aux termes du paragraphe 43(1.01) de la LMSI, cela signifierait la reprise des mêmes motifs que ceux fournis pour les tierces pays ou encore la réalisation d’une analyse distincte du dommage causé par les marchandises sous-évaluées originaires du pays partie à l’ALÉNA. Cette première possibilité serait tout simplement redondante; la seconde signifierait que l’origine des marchandises dicterait le niveau de protection accordé aux producteurs nationaux. Des motifs distincts découlant d’une analyse distincte empêcheraient le Tribunal de faire le cumul des marchandises provenant des pays parties à l’ALÉNA et celles originaires des tierces pays. Cela pourrait avoir comme conséquence de soustraire les marchandises des pays parties à l’ALÉNA de la portée des lois commerciales canadiennes, à moins qu’elles ne soient, par elles-mêmes, la cause du dommage sensible. On peut facilement concevoir que le Tribunal puisse conclure que l’ensemble des marchandises sous-évaluées de deux pays causaient, ou menaçaient de causer, un dommage sensible à la branche de production nationale, mais s’il ne considérait les importations que de façon individuelle, pour chaque pays, le Tribunal pourrait conclure que le dommage n’est pas sensible. Des motifs distincts découlant d’une analyse distincte pour les pays parties à l’ALÉNA pourraient, par conséquent, aussi réduire la protection accordée à la branche de protection nationale envers les marchandises étrangères sous-évaluées combinées aux marchandises originaires des pays parties à l’ALÉNA.

Le raisonnement ci-dessus correspond à celui suivi dans le cadre de l’enquête CIT-5-88 [14] , une affaire sur laquelle le Tribunal a statué avant la mise en œuvre de l’ALÉNA, mais qui traitait du paragraphe 43(1.1) de la LMSI. Il a été suggéré au cours de la plaidoirie effectuée devant le Tribunal que ce dernier devait réaliser une analyse distincte pour les marchandises en provenance des États-Unis et fournir des explications distinctes dans le cadre de ses conclusions. Dans l’exposé des motifs de cette affaire, le Tribunal a déclaré, notamment :

Le sens de l’article 43 (1.1) de la Loi ayant fait l’objet de nombreuses discussions au cours de l’audience, le Tribunal a jugé nécessaire d’énoncer son interprétation de cet article.

L’article 43 (1.1) de la Loi se lit comme suit :

Lorsque l’enquête vise diverses marchandises dont certaines proviennent des États-Unis, le Tribunal rend une ordonnance ou des conclusions distinctes à l’égard de celles-ci.

Au moins une des parties présentes à l’audience a soutenu que les conclusions distinctes que doit rendre le Tribunal dans le cas des marchandises provenant des États-Unis doivent constituer des conclusions établies séparément et étayées des faits, textes législatifs et raisonnements pertinents nécessaires et que la forme de chacune des décisions pour les marchandises provenant des États-Unis et des autres pays doit être distincte. Si l’argument prévoyant le rejet du cumul est retenu, il doit être prouvé que les importations provenant des États-Unis ont causé un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires, ce qui signifie, essentiellement, que même si la règle du cumul continue de s’appliquer à la décision de préjudice imputable au dumping ou au subventionnement des marchandises importées d'autres pays, elle ne viserait pas les importations originaires des États-Unis. Le Tribunal ne croit pas que l’ajout de l’article 43 (1.1) de la Loi a eu un tel effet.

L’un des principes d’interprétation des lois est fondé sur l’hypothèse voulant que le législateur fasse preuve d’un esprit rationnel : la loi est considérée comme le fruit d’une réflexion cohérente et logique. Cette rationalité se manifeste d’abord dans un contexte particulier : la loi doit être lue dans son entier, et chacune de ses composantes doit être intégrée logiquement à l’ensemble. Cette cohérence doit s’appliquer à d’autres mesures législatives, tout particulièrement dans un même domaine.

L’article 43 (1.1) doit être envisagé dans son cadre global, c’est-à-dire la Loi. À titre de composante de la Loi, l’article 43 (1.1) doit être appliqué au processus d’enquête énoncé à l’article 42 de la Loi.

Dès qu’une décision de dumping est rendue, l’article 42 de la Loi exige que le Tribunal enquête pour déterminer si le dumping ou le subventionnement a causé, cause ou est susceptible de causer un préjudice sensible, ou a causé ou cause un retard sensible. L’expression «préjudice sensible» désigne le préjudice sensible causé à la production au Canada de marchandises similaires.

Pour déterminer si un préjudice sensible a été causé par le dumping et le subventionnement, le Tribunal canadien des importations et le Tribunal antidumping, les deux organismes qui ont précédé le Tribunal canadien du commerce extérieur, avaient pour principe d’analyser en entier les répercussions des importations de toute provenance mentionnées dans la décision provisoire du sous-ministre, et ils n’ont jamais été contestés à ce chapitre. Le Tribunal canadien du commerce extérieur maintient cette démarche.

Cette méthode est conforme aux accords en matière de commerce international mis en oeuvre par le Canada en vertu de la Loi. Le Code antidumping et le Code des subventions et des droits compensateurs reconnaissent implicitement la possibilité d’une analyse globale des effets du dumping ou du subventionnement des importations originaires de plus d’un pays sur l’industrie nationale; ces deux codes n’exigent pas de décision sur le préjudice et ses causes pour chaque pays faisant l’objet d’une enquête et se limitent à mentionner le rapport causal entre le préjudice et les importations sous-évaluées ou subventionnées, sans préciser si lesdites importations proviennent d’un seul pays.

Le principe du cumul est bien connu, généralement reconnu et appliqué aux lois sur les droits antidumping et compensateurs des pays signataires de codes régissant le commerce international. En effet, un de ces pays a intégré précisément ce principe dans ses lois relatives au commerce.

Lorsque le Parlement a adopté les mesures législatives visant à mettre en vigueur l’Accord de libre-échange, qui modifiait la Loi sur les mesures spéciales d’importation, il est supposé qu’il connaissait l’application canadienne du principe du cumul et son acceptation répandue chez les principaux partenaires commerciaux du Canada. L’article 1902 de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis stipule que «Chaque Partie se réserve le droit d’appliquer sa législation sur les droits antidumping et sur les droits compensateurs aux produits importés du territoire de l’autre Partie». Bien que l’Accord ait eu pour effet de modifier les lois de ces deux pays dans le domaine du commerce, ce n’était que pour établir de nouveaux mécanismes d’examen. L’article 43 (1.1) de la Loi faisait partie des modifications mises en oeuvre par le Canada pour promulguer ces nouveaux mécanismes d’examen.

Selon le Tribunal, l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis n’a pas modifié les méthodes ni les normes d’analyse appliquées par chaque pays aux fins des décisions de préjudice. Si le Tribunal acquiesçait à la demande d’enquête distincte pour les marchandises provenant des États-Unis, une telle procédure signifierait que l’origine des marchandises détermine le niveau de protection offert aux producteurs canadiens contre le commerce injuste des marchandises. On pourrait envisager la possibilité de demander la tenue d’une enquête lorsqu’il est déterminé que deux pays exportateurs ont causé un préjudice sensible à une industrie nationale en vertu du cumul de leurs importations, mais que le préjudice attribuable aux importations de chaque pays, n’a pu être sensible. Pour ce qui est des causes applicables aux États-Unis, le Tribunal rendrait une décision négative parce qu’il a effectué deux enquêtes; par ailleurs, si l’enquête portait sur des pays autres que les États-Unis, le Tribunal rendrait une décision positive. Une telle solution est impraticable parce qu’elle équivaut à exempter les marchandises provenant des États-Unis de l’application de nos lois en matière de commerce, à moins que ces importations ne causent directement un préjudice sensible ou que les marchandises importées ne proviennent exclusivement des États-Unis, dans lequel cas le principe du cumul ne s’applique pas. Par ailleurs, de telles mesures auraient pour effet d’exclure de facto les marchandises étrangères lorsqu’elles ne causent pas directement un préjudice sensible et qu’elles sont importées avec d’autres marchandises provenant des États-Unis.

Si l’article 43 (1.1) de la Loi avait eu pour objet de modifier les dispositions particulières de la Loi et énoncées ci-dessus, ces dernières auraient été rédigées en conséquence. Les modifications particulières apportées à la Loi et qui influent sur les décisions de préjudice au Canada n’auraient pu être appliquées par le seul ajout de l’article 43 (1.1) à la Loi. Une telle interprétation, qui a radicalement changé le mode de fonctionnement des lois relatives aux droits antidumping et compensateurs au pays, signifierait que le Parlement a involontairement modifié l’application de ces lois commerciales au Canada.

Le Tribunal est d’avis que l’article en question a simplement ajouté une exigence de procédure, ce qui l’a obligé à rendre une ordonnance ou des conclusions distinctes pour les marchandises provenant des États-Unis. Cette disposition est maintenant nécessaire pour donner suite à l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et pour permettre aux parties d’en appeler auprès d’un groupe spécial binational d’une décision ou des conclusions du Tribunal, pour les partie relative aux marchandises originaires des États-Unis. Situées dans le contexte global de la loi, les méthodes administratives appliquées antérieurement par le Tribunal, y compris le recours au principe du cumul dans le cadre d’une décision de préjudice sensible causé à l’industrie canadienne, n’auraient pu être affectées par le seul ajout d’une disposition obligeant le Tribunal à rendre des conclusions ou une décision distincte pour les marchandises provenant des États-Unis.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal s’en est tenu à émettre deux conclusions distinctes fondées sur l’analyse de l’effet cumulatif des importations de marchandises sous-évaluées ou subventionnées de toutes origines; il n’a pas tenté d’isoler les effets du dumping des marchandises provenant des États-Unis [15] .

Dans le cadre de l’affaire La tôle en acier carbone laminé à chaud [16] , le Groupe spécial a noté et approuvé la démarche adoptée par le Tribunal quant au cumul. Le Tribunal est d’avis que le même raisonnement s’applique également au paragraphe 43(1.01)de la LMSI.

Cela ne revient pas à dire qu’un examen séparé n’est jamais pertinent. À l’occasion, les faits d’une affaire imposeront la tenue d’un examen distinct. Par exemple, dans le cadre de l’enquête NQ-92-007 [17] , le Tribunal a effectivement considéré séparément les effets des importations sous-évaluées depuis les États-Unis. Le Tribunal a déclaré ce qui suit au sujet de « l’obligation » d’entreprendre un examen séparé du dommage éventuel causé par les importations en provenance des États-Unis dans chaque cause.

Le Tribunal tient à souligner qu’en procédant ainsi, il n’a pas interprété le paragraphe 43(1.1) de la LMSI, qui exige que le Tribunal rende des conclusions distinctes à l’égard des États-Unis, comme signifiant qu’il faut faire un examen distinct des marchandises originaires des États-Unis dans les cas où la catégorie de marchandises définie par le Sous-ministre comprend les marchandises depuis les États-Unis et d’autres pays. Le Tribunal réaffirme donc ses déclarations dans la cause des Moteurs à induction polyphasés à ce sujet. Le Tribunal fait remarquer que si les éléments de preuve relatifs à tout autre pays exportateur nommé avaient clairement isolé celui-ci des autres, il aurait envisagé de faire également un examen distinct et de rendre des conclusions de préjudice à l’égard de ce pays [18] . [Note en bas de page omise]

Dans le cadre de l’examen, par le Groupe spécial, de l’affaire Certains produits plats de tôle d’acier au carbone laminés à chaud, la branche de production nationale a soutenu que le Tribunal avait erronément omis d’appliquer le principe du cumul des effets cumulatifs du dumping des marchandises [19] . Dans sa décision, le Groupe spécial a déclaré ce qui suit :

Le principe appelé principe du cumul renvoie à une pratique courante de bon nombre de signataires du Code antidumping, laquelle pratique consiste à examiner les importations sous-évaluées depuis tous les pays visés de façon cumulative pour déterminer leur incidence sur la production nationale. Cette pratique repose sur un argument simple et convaincant : même lorsque les importations sous-évaluées depuis certaines sources sont peu importantes et ne peuvent à elles seules avoir eu une incidence majeure sur le sort des producteurs nationaux, leur examen cumulatif peut indiquer qu’elles ont causé un préjudice important. Notre Groupe spécial n’est pas tenu de se prononcer en l’espèce sur la compatibilité entre la pratique du cumul du Tribunal et les obligations du Canada qui découlent du Code antidumping. Il suffit de dire ici que le Code n’impose pas cette pratique. Même s’il l’imposait, il y a fort à parier qu’elle ne s’appliquerait pas à l’examen par notre Groupe spécial. La LMSI ne comporte que des renvois restreints au Code antidumping et aucun de ces renvois ne concerne le cumul [20] . [Note en bas de page omise]

Les faits de l’enquête no NQ-97-001, contrairement aux faits examinés dans l’affaire Certaines tôles d’acier au carbone laminées à chaud, n’ont pas démontré qu’il fallait examiner les effets qu’avaient sur la branche de production canadienne les marchandises sous-évaluées en provenance du Mexique séparément de celles importées depuis les autres pays visés. Pour cette raison, le Tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire et a cumulé les effets du dumping en ce qui concerne les importations de tous les pays visés. Par conséquent, il n’y avait pas lieu de publier des motifs distincts aux conclusions selon lesquelles les importations sous-évaluées en provenance du Mexique menaçaient de causer un dommage sensible à la branche de production nationale.

CONCLUSION

Le Tribunal reconnaît qu’il a commis une erreur lorsqu’il a omis de rendre des conclusions distinctes en ce qui concerne le Mexique et rectifie cet état des choses par le dépôt d’un corrigendum aux conclusions qu’il a rendues dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001. Pour les motifs décrits ci-dessus, le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas d’exigence législative ni de raison de politique convaincante qui fonde une obligation d’exposer des motifs distincts pour la présente affaire en ce qui concerne les marchandises en provenance du Mexique.


1. Certaines tôles d’acier au carbone laminées à chaud originaires ou exportées du Mexique, de la République populaire de Chine, de la République d’Afrique du Sud et de la Fédération de Russie, Conclusions, le 27 octobre 1997, Exposé des motifs, le 10 novembre 1997.

2. L.R.C. (1985), ch. S-15.

3. Le mandat de deux des membres qui avaient entendu l’affaire et rendu une décision dans le cadre de l’enquête no NQ-97-001 a expiré avant la publication du renvoi le 19 mai 1999.

4. Bien que l’expression « ordonnance ou […] conclusions » soit utilisée dans la LMSI pour décrire la décision du Tribunal à la fin d’une enquête ou d’un réexamen, le Tribunal a traditionnellement désigné une décision qui découle d’une enquête aux termes de l’article 42 à titre de conclusions, et une décision qui découle d’un réexamen aux termes de l’article 76 à titre d’ordonnance.

5. L.C. 1993, ch. 44.

6. Accord de libre-échange nord-américain, Énoncé canadien des mesures de mise en œuvre de l’ALÉNA, Gazette du Canada Partie I, le 1er janvier 1994 aux p. 201-202.

7. Certains produits plats de tôle d'acier au carbone laminés à chaud originaires ou exportés des États-Unis (préjudice), Dossier du Secrétariat canadien no CDA-93-1904-07, Décision et motifs du Groupe spécial, le 18 mai 1994.

8. Recueil des traités du Canada, 1989, no 3 (R.T.C.).

9. Voir, par exemple, Certains produits de tôle d'acier résistant à la corrosion, originaires ou exportés de l'Australie, du Brésil, de la France, de la République d'Allemagne, du Japon, de la République de Corée, de la Nouvelle-Zélande, de l'Espagne, de la Suède, du Royaume-Uni et des États-Unis d'Amérique, Tribunal canadien du commerce extérieur, enquête no NQ-93-007, Conclusions, le 29 juillet 1994, Exposé des motifs, le 15 août 1994; et Le dumping au Canada du sucre raffiné originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique, du Danemark, de la République fédérale d'Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la République de Corée, et le subventionnement du sucre raffiné originaire ou exporté de l'Union européenne, Tribunal canadien du commerce extérieur, enquête no NQ-95-002, Conclusions, le 6 novembre 1995, Exposé des motifs, le 21 novembre 1995.

10. L.R.C. (1985), ch. 47 (4e suppl.).

11. Le paragraphe 20.01(1) de la Loi sur le TCCE prévoit ce qui suit : « Au présent article, "contribuer de manière importante" s'entend au sens de l'article 805 de l'Accord ». Le paragraphe 20.01(2) se lit comme suit : (2) Lorsque, dans le cadre d'une enquête menée en vertu de l'article 20 relativement à des marchandises importées d'un pays ALÉNA et précisées par le gouverneur en conseil, ou d'une enquête découlant d'une plainte visée au paragraphe 23(1) relativement à de telles marchandises précisées par lui, le Tribunal conclut que les marchandises en question et les marchandises du même genre importées d'autres pays le sont en quantité tellement accrue et dans des conditions telles que leur importation constitue une cause principale de dommage grave porté aux producteurs nationaux de marchandises similaires ou directement concurrentes, ou de la menace d'un tel dommage, il doit décider : a) d'une part, si la quantité des marchandises importées et précisées constitue une part substantielle du total des importations de marchandises du même genre; b) d'autre part, si les marchandises importées et précisées contribuent de manière importante, à elles seules ou, dans des circonstances exceptionnelles, avec celles du même genre importées des autres pays ALÉNA, au dommage grave ou à la menace d'un tel dommage.

12. Supra note 1, Exposé des motifs à la p. 4.

13. Ibid. à la p. 17.

14. Moteurs à induction polyphasés originaires ou exportés du Brésil, de France, du Japon, de Suède, de Taiwan, du Royaume-Uni et des États-Unis d'Amérique, Tribunal canadien du commerce extérieur, Conclusions, le 28 avril 1989, Exposé des motifs, le 12 mai 1989.

15. Ibid. aux p. 12-14.

16. La tôle en acier carbone laminé à chaud et la tôle en acier haute résistance faiblement allié, traitée à chaud ou non, originaires ou exportées des États-Unis, Dossier du Secrétariat canadien no CDA-93-1904-06, Avis et ordonnance du Groupe spécial, le 20 décembre 1994 .

17. Certaines tôles d'acier au carbone laminées à chaud et certaines tôles d'acier allié résistant à faible teneur, traitées à chaud ou non, originaires et exportées de la Belgique, du Brésil, de la République tchèque, du Danemark, de la République fédérale d'Allemagne, de la Roumanie, du Royaume-Uni, des États-Unis d'Amérique et de l'ancienne République yougoslave de Macédoine, Tribunal canadien du commerce extérieur, Conclusions, le 6 mai 1993, Exposé des motifs, le 21 mai 1993.

18. Ibid. à la p. 22.

19. Supra note 7.

20. Ibid. aux p. 49-50.


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Publication initiale : le 28 juin 1999