ISOLANT PRÉFORMÉ EN FIBRE DE VERRE POUR TUYAUX, AVEC PARE-VAPEUR

Questions d'intérêt public (article 45)


L'ISOLANT PRÉFORMÉ EN FIBRE DE VERRE POUR TUYAUX, AVEC PARE-VAPEUR, ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
PB-93-001

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le vendredi 28 janvier 1994

PB-93-001

L'ISOLANT PRÉFORMÉ EN FIBRE DE VERRE POUR TUYAUX, AVEC PARE-VAPEUR, ORIGINAIRE OU EXPORTÉ DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE

CONSIDÉRATION DE LA QUESTION DE L'INTÉRÊT PUBLIC PAR LE TRIBUNAL

CONTEXTE

Le 19 novembre 1993, aux termes du paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [1] (la LMSI), le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a conclu que le dumping au Canada de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux, avec pare-vapeur, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique, avait causé, causait et était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Pendant l'enquête qui a mené aux conclusions de préjudice sensible, plusieurs parties se sont montrées intéressées à présenter des observations concernant la question de l'intérêt public aux termes de l'article 45 de la LMSI. Le 29 septembre 1993, le Tribunal a informé les avocats, les procureurs et les parties qu'ils auraient l'occasion de formuler de telles observations si le Tribunal rendait des conclusions de préjudice sensible. Le 24 novembre 1993, le Tribunal a invité les personnes intéressées à lui soumettre des observations écrites sur la question de l'intérêt public au plus tard le 20 décembre 1993. Les personnes qui souhaitaient répondre à ces observations devaient le faire au plus tard le 7 janvier 1994. Le Tribunal a indiqué qu'à la suite de l'examen des observations, il déterminerait si celles-ci démontraient l'existence d'une question de l'intérêt public justifiant un examen plus poussé.

Six parties ont soumis des observations au Tribunal sur la question de l'intérêt public.

L'avocat du Directeur des enquêtes et des recherches, Loi sur la concurrence (le Directeur), a fait valoir que l'imposition de droits antidumping correspondant entièrement ou presque entièrement à la marge de dumping restreindrait la concurrence à l'importation profitable, conférerait à la société Isolation Manson Inc. (Manson) un avantage allant au-delà de l'élimination du préjudice sensible et réduirait vraisemblablement le bien-être économique au Canada. Il a également soutenu que l'imposition de droits antidumping correspondant entièrement ou presque entièrement à la marge de dumping pourrait amener Manson à accroître sa capacité de production pour approvisionner une plus grande partie, voire la totalité, du marché intérieur. De l'avis de l'avocat, les droits antidumping imposés ne devraient pas être fixés à un niveau qui pourrait fausser les incitations à investir dans la capacité de production.

Les procureurs d'Owens-Corning Fibreglas Corporation (Owens-Corning) et d'Owens-Corning Fibreglas Canada Inc. (Fibreglas) ont fait valoir que l'imposition de droits antidumping au plein montant aurait pour conséquence une forme de protection surpassant tout préjudice causé à Manson, ce qui se traduirait par des coûts injustifiés pour l'économie canadienne en général, et le secteur de la construction en particulier. Selon les procureurs, cette situation pourrait avoir un effet néfaste sur la concurrence au sein du marché canadien des marchandises en question et d'autres produits connexes, dont certains sont fabriqués par Fibreglas dans ses usines canadiennes.

De plus, l'imposition de droits antidumping punitifs pourrait décourager les rationalisations du type de celles effectuées par Owens-Corning et Fibreglas, et dont a bénéficié le Canada. Les procureurs de Fibreglas ont soutenu que les valeurs normales des marchandises en question ne devraient pas être supérieures aux engagements en matière de prix non préjudiciables conclus par les parties le 18 juin 1993. De plus, les procureurs ont allégué qu'aucune valeur normale ne devrait être imposée, ni aucun droit antidumping perçu, dans le cas des dimensions d'isolants pour tuyaux qui ne sont pas fabriqués par le producteur canadien ou des dimensions d'isolants pour tuyaux importés par Manson, maintenant ou à l'avenir, des États-Unis ou de tout autre tiers pays.

La Master Insulators' Association of Ontario Inc. a prétendu que l'imposition de droits antidumping au plein montant éliminerait la concurrence sur le marché. Il en résulterait un monopole qui, a-t-elle fait valoir, permettrait à Manson de choisir les entrepreneurs à qui elle vendrait ses produits à des prix concurrentiels et, par conséquent, de décider des entrepreneurs et des distributeurs pouvant demeurer au sein de l'industrie.

La société Burnaby Insulation Supplies Ltd. (Burnaby) a soutenu que les droits antidumping créeraient un monopole pour sa concurrente, Crossroads C&I (Crossroads), une entreprise affiliée à Manson. Les prix de vente de cette dernière empêcheraient Burnaby de lui livrer concurrence sur le marché. Les clients de Burnaby, qui sont des entrepreneurs d'isolation, n'auraient pas le choix de fournisseur. Selon Burnaby, pour demeurer concurrentiels, ces entrepreneurs devront acheter à Crossroads les isolants préformés en fibre de verre pour tuyaux dont ils ont besoin. Burnaby s'est également demandé pourquoi des droits antidumping sont imposés sur des dimensions d'isolants préformés en fibre de verre pour tuyaux que Manson ne peut pas fabriquer ou qu'elle ne fabrique pas.

La société Glass-Cell Fabricators Ltd. a déclaré qu'il n'était pas dans l'intérêt public d'imposer des droits antidumping.

Les procureurs et l'avocat de Manson ont soutenu qu'il est illogique de penser que Manson, compte tenu de sa capacité limitée, fixerait pour ses marchandises des prix très différents des prix à quai des marchandises originaires des États-Unis et qu'une intervention sous forme d'une recommandation aux termes de l'article 45 afin de maintenir les prix plus bas n'était pas dans l'intérêt public. Les procureurs et l'avocat ont fait valoir que les marchandises se paient d'elles-mêmes à des «prix normaux» grâce aux économies d'énergie et que le coût d'investissement initial des marchandises était minime comparativement au coût des immeubles dans lesquels elles sont utilisées.

En réponse aux observations des autres parties, les procureurs et l'avocat de Manson ont déclaré que si l'argument de «l'économie de bien-être» mis de l'avant par le Directeur était accepté, la même recommandation pourrait s'appliquer à pratiquement toutes les causes de droits antidumping ou de droits compensateurs, viciant ainsi le système antidumping. Quant aux préoccupations en matière de concurrence, les procureurs et l'avocat ont fait remarquer que le Directeur dispose, aux termes de la loi dont il a la responsabilité, des moyens nécessaires pour régler cette question.

Quant aux allégations selon lesquelles les engagements en matière de prix négociés en juin 1993 permettraient d'obtenir des prix suffisamment élevés pour éliminer tout préjudice subi par Manson, les procureurs et l'avocat ont soutenu que ces prix ont été négociés avant l'enquête de préjudice menée par le Tribunal. Selon les procureurs et l'avocat de Manson, un plaignant doit tenter de trouver un juste équilibre entre la certitude de la protection accordée par des engagements en matière de prix et l'incertitude de conclusions de préjudice sensible rendues à la suite d'une enquête menée par le Tribunal, ainsi que du coût de la procédure d'enquête. Par conséquent, un plaignant peut être disposé à accepter des prix qui n'élimineraient pas complètement le préjudice afin d'obtenir une protection et d'éviter les coûts liés à une enquête effectuée par le Tribunal. Les procureurs et l'avocat ont aussi fait valoir que le montant total des droits antidumping n'est pas encore connu et ne le sera pas tant que le ministère du Revenu national (Revenu Canada) n'aura pas terminé ses déterminations aux termes de l'article 55 de la LMSI.

CONSIDÉRATIONS D'INTÉRÊT PUBLIC

Le paragraphe 45(1) de la LMSI prévoit que dans les cas où après avoir rendu des conclusions de préjudice sensible, le Tribunal estime que l'assujettissement, total ou partiel, des marchandises aux droits antidumping serait ou pourrait être contraire à l'intérêt public, il soumet un rapport au ministre des Finances énonçant son opinion, faits et motifs à l'appui.

Le Tribunal est d'avis que la LMSI dans son ensemble a été promulguée par le Parlement dans l'intérêt public. L'objectif premier de la LMSI est de protéger les producteurs canadiens contre tout préjudice causé par les importations sous-évaluées ou subventionnées. Dans les causes antidumping, lorsque le Tribunal conclut au préjudice sensible aux termes de l'article 43 de la LMSI, l'article 3 de la LMSI prévoit que des droits antidumping d'un montant égal à la marge de dumping doivent être imposés sur les importations de marchandises sous-évaluées qui font l'objet des conclusions. Le Tribunal n'a pas compétence pour prescrire l'imposition de droits inférieurs au plein montant. Aux termes du paragraphe 45(1) de la LMSI, le Tribunal soumet un rapport au ministre des Finances s'il est d'avis que l'assujettissement, total ou partiel, des marchandises à des droits antidumping serait ou pourrait être contraire à l'intérêt public. Afin d'en arriver à une telle «opinion», le Tribunal doit d'abord être convaincu, en se fondant sur les faits particuliers de la cause, qu'il existe une question de l'intérêt public suffisamment probante pour justifier une dérogation à l'objectif premier de la LMSI.

En se penchant sur la question de l'intérêt public, le Tribunal a examiné minutieusement les observations résumées ci-dessus ainsi que les éléments de preuve et les témoignages produits dans le cadre de l'enquête menée aux termes de l'article 42. Le Tribunal est d'avis que, s'il existe une question de l'intérêt public dans la présente cause, elle a trait à l'allégation selon laquelle l'imposition de droits antidumping pourrait restreindre la concurrence profitable au niveau des prix des marchandises en question sur le marché intérieur.

À cet égard, le Tribunal fait remarquer que la société Manson est le seul producteur d'isolants préformés en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur au Canada, qu'il n'existe pas de produits de remplacement similaires pour les marchandises en question, qu'il est peu probable qu'il y ait concurrence de la part de marchandises provenant d'autres pays que les États-Unis, et que le prix des marchandises en question originaires des États-Unis augmentera en raison de l'imposition de droits antidumping.

Par conséquent, la seule concurrence de la société Manson sur le marché canadien est livrée par des importations de marchandises en question originaires des États-Unis. À cet égard, le Tribunal est d'avis que l'imposition de droits antidumping au plein montant n'exclurait pas du marché canadien les marchandises en question fabriquées aux États-Unis et ne nuirait pas à la concurrence profitable par les prix entre les marchandises en question fabriquées aux États-Unis et les marchandises similaires produites au Canada.

Selon les éléments de preuve dont dispose le Tribunal, la société Manson ne peut approvisionner l'ensemble du marché intérieur de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur. La capacité de production de l'usine de la société est limitée en raison du matériel existant et des approvisionnements en matière première. Les droits antidumping étant, règle générale, imposés pendant cinq ans, à défaut d'un réexamen et d'une ordonnance de prorogation des conclusions, le Tribunal ne croit pas qu'il est vraisemblable que les droits antidumping inciteront la société Manson à investir dans son usine et dans l'achat de matériel afin d'approvisionner l'ensemble du marché intérieur. Compte tenu de ces circonstances, le Tribunal est d'avis que les marchandises en question importées des États-Unis continueront de livrer concurrence sur le marché intérieur.

De plus, dans cette situation, le Tribunal prévoit que Manson réagira à l'imposition de droits antidumping en augmentant ses prix. Il est raisonnable de s'attendre à ce que ces prix n'augmentent pas au-delà des valeurs normales applicables (qui reflètent généralement les prix sur le marché américain), plus les droits de douane et les coûts de transport applicables.

Par conséquent, le Tribunal conclut qu'il est raisonnable de croire que les marchandises en question importées des États-Unis continueront de livrer concurrence sur le marché canadien. Toutefois, les prix arrondis autour desquels cette concurrence se fera augmenteront probablement par rapport aux prix sous-évalués, pour atteindre les valeurs normales de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur vendu sur le marché américain, plus les droits de douane et les coûts de transport applicables. Par conséquent, une concurrence profitable au niveau des prix devrait continuer d'exister sur le marché canadien entre les marchandises similaires produites au Canada et les marchandises en question fabriquées aux États-Unis, bien qu'à des niveaux de prix plus élevés.

À cet égard, il est utile de se pencher sur les niveaux de prix que représentent les valeurs normales établies par Revenu Canada. Jusqu'à maintenant dans la présente cause, Revenu Canada a déterminé les valeurs normales en fonction des prix intérieurs américains pour des marchandises similaires ou, dans le cas de certaines dimensions de produits vendus par certains exportateurs, en fonction des coûts de production aux États-Unis, plus les dépenses et les profits. Les droits antidumping seront établis seulement dans la mesure nécessaire pour compenser les marges de dumping sur des livraisons précises.

Le Tribunal a examiné attentivement les autres arguments invoqués en faveur d'une opinion aux termes du paragraphe 45(1) de la LMSI.

Le Directeur a fait valoir que l'imposition de droits antidumping au plein montant, dans la présente cause, entraînerait probablement une diminution du bien-être économique au Canada. Il est vrai, dans la présente affaire, que l'imposition de droits antidumping au plein montant est susceptible d'entraîner une augmentation des prix de l'isolant préformé en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur. C'est là, toutefois, une conséquence naturelle du système de réglementation établi par le Parlement aux termes de la LMSI. L'argument du bien-être économique conduirait à la conclusion qu'il est de l'intérêt public de ne pas imposer de droits antidumping au plein montant dans pratiquement toute cause portée devant le Tribunal. Cette conclusion irait à l'encontre de l'objectif visé en matière de politique gouvernementale, le Parlement ayant voulu protéger l'industrie canadienne contre le préjudice causé par le dumping.

Il est également allégué qu'en augmentant les prix sur le marché intérieur, l'imposition de droits antidumping permettrait à Manson d'occuper une position encore plus dominante sur le marché et d'abuser peut-être de cette situation. Il est, par exemple, allégué que Manson pourrait faire de la discrimination par les prix à l'égard des entrepreneurs ou favoriser certains entrepreneurs. Le Tribunal ne peut prévoir avec certitude les événements précis qui peuvent survenir sur le marché. Si des activités anticoncurrentielles se matérialisaient, le Tribunal est toutefois de l'avis que le Directeur a la compétence voulue pour résoudre ces problèmes aux termes de la Loi sur la concurrence [2] .

Certaines parties ont soutenu que les droits devraient être imposés seulement dans la mesure nécessaire pour éliminer le préjudice subi par Manson. Le Tribunal considère cet argument générique d'une façon similaire à celle de l'argument invoqué par le Directeur concernant la question du bien-être économique. Le Parlement a prévu, précisément dans la LMSI, un système de réglementation en vertu duquel, lorsque des conclusions de préjudice sensible sont rendues, des droits d'un montant égal à la pleine marge de dumping sont imposés sur les importations de marchandises sous-évaluées. Aux termes du paragraphe 45(1) de la LMSI, le Tribunal soumet un rapport au ministre des Finances s'il estime que l'assujettissement des marchandises à des droits antidumping, ou au plein montant de ces droits, serait ou pourrait être contraire à l'intérêt public. Le Tribunal soumet un rapport s'il est convaincu qu'il existe une question de l'intérêt public suffisamment probante pour justifier une dérogation à l'objectif premier de la LMSI. Le ministre des Finances peut utiliser le rapport du Tribunal comme il le juge approprié.

En dernier lieu, certaines parties ont soutenu que les droits antidumping sur certaines dimensions d'isolants préformés en fibre de verre pour tuyaux avec pare-vapeur devraient être réduits à zéro parce que la société Manson ne fabrique pas les dimensions en question. Cette thèse, en fait, correspond à une demande d'exclusion des conclusions de préjudice sensible pour les dimensions d'isolants pour tuyaux en question. Le Tribunal est d'avis que l'article 45 de la LMSI n'est pas la disposition en vertu de laquelle l'exclusion de conclusions rendues aux termes de l'article 43 de la LMSI doit être demandée. Il convient davantage de soumettre de tels arguments dans le cadre d'une enquête menée aux termes de l'article 42. L'article 43 stipule expressément que le Tribunal a le pouvoir de préciser à quelles marchandises son ordonnance ou ses conclusions s'appliquent. Le Tribunal a eu recours à ce pouvoir de temps à autre pour exclure certains produits, producteurs et pays de ses ordonnances et conclusions, mais il n'a reçu aucune demande d'exclusion de dimensions précises d'isolants pour tuyaux lors de l'enquête menée aux termes de l'article 42. Le Tribunal est d'avis qu'il ne convient pas d'examiner les demandes d'exclusions dans le cadre de considérations en vertu de l'article 45.

Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal n'est pas convaincu qu'il existe une question de l'intérêt public justifiant un examen plus poussé aux termes de l'article 45 de la LMSI. Par conséquent, aucun rapport ne sera présenté au ministre des Finances.

Robert C. Coates, c.r.
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Robert C. Coates, c.r.
Membre présidant


Sidney A. Fraleigh
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Sidney A. Fraleigh
Membre


Desmond Hallissey
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Desmond Hallissey
Membre


1. L.R.C. (1985), ch. S-15.

2. L.R.C. (1985), ch. C-34.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 12 août 1997