TUBES EN ACIER POUR PILOTIS

Enquêtes (article 42)


TUBES EN ACIER POUR PILOTIS
Enquête no NQ-2012-002

Ordonnance rendue
le mardi 18 septembre 2012

Motifs rendus
le jeudi 4 octobre 2012


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À une enquête aux termes de l’article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation concernant le dumping et le subventionnement de pieux tubulaires en acier au carbone et en alliage, communément appelés « tubes pour pilotis », dont le diamètre extérieur mesure de 3,5 pouces à 16 pouces (de 8,9 centimètres à 40,6 centimètres) inclusivement, de qualité commerciale et de différentes formes et finitions, généralement fournis pour répondre aux normes ASTM A252, ASTM A500, CSA G.40.21 ou à des caractéristiques ou normes semblables, qu’ils aient une seule, deux ou plusieurs attestations, originaires ou exportés de la République populaire de Chine, excluant les tubes soudés en acier au carbone, de dimensions nominales variant de 3,5 pouces à 6 pouces de diamètre extérieur (89 mm à 168,3 mm) inclusivement, sous diverses formes et finitions, habituellement fournis pour satisfaire aux normes ASTM A252 ou aux normes équivalentes, autres que des tubes soudés en acier au carbone de dimensions nominales variant de 3,5 pouces à 6 pouces inclusivement, marqués de deux inscriptions pour répondre aux exigences à la fois de la norme ASTM A252, de nuance 1 à 3, et de la norme API 5L, aux extrémités chanfreinées et de longueurs irrégulières, devant servir de pilotis dans les fondations;

ET À LA SUITE D’un avis de requête déposé au nom de Pipe & Piling Supplies Ltd. le 31 août 2012 aux termes du paragraphe 24(1) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur en vue d’obtenir une ordonnance voulant que tous les conseillers juridiques du cabinet Miller Thomson LLP ne soient pas habilités à représenter DFI Corporation à titre de conseiller inscrit au dossier dans la présente procédure.

ORDONNANCE

Par la présente, le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette la requête.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

L’exposé des motifs sera publié à une date ultérieure.

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le 31 août 2012, Pipe & Piling Supplies Ltd. (P&P) a déposé un avis de requête auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 24(1) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur1 en vue d’obtenir une ordonnance voulant que tous les conseillers juridiques du cabinet Miller Thomson LLP (MT) ne soient pas habilités, pour cause de conflit d’intérêts, à représenter DFI Corporation (DFI) ou toute autre partie dont les intérêts s’opposent à ceux de P&P dans la présente procédure.

2. La requête a été présentée suite à la publication par le Tribunal, le 3 août 2012, d’un avis d’ouverture d’enquête aux termes de l’article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation2.

3. Le 13 août 2012, DFI, un producteur national de tubes en acier pour pilotis, a déposé un avis de participation à la présente procédure. Le même jour, Me Dalton J. Albrecht, de MT, a déposé un avis de représentation à titre de conseiller juridique de DFI.

4. Dans sa requête, P&P allègue que Me Albrecht et MT sont en situation de conflit d’intérêts en raison du fait que MT l’a déjà représentée dans le cadre de divers litiges et dossiers de droit commercial et de droit des sociétés liés à ses activités en Alberta et en Colombie-Britannique, et ce, sur une période d’environ 28 ans. P&P allègue que, dans le cours de cette relation, MT a eu accès à des renseignements confidentiels de P&P, dont des renseignements pouvant être pertinents en l’espèce. P&P mentionne notamment que MT l’a représentée dans un dossier concernant une société de transport maritime transportant des tubes pour pilotis de la Chine vers le Canada. P&P soutient qu’en tant qu’importateur de tubes en acier pour pilotis s’opposant à une conclusion de dommage dans le cadre de la présente enquête, ses intérêts sont directement opposés à ceux de DFI, qui est favorable à une conclusion de dommage en l’espèce. P&P fonde sa requête sur les critères établis dans Succession MacDonald c. Martin3 et R. c. Neil4, ainsi que sur le Code de déontologie du Barreau du Haut-Canada.

5. Le 4 septembre 2012, le Tribunal a écrit à Me Albrecht pour lui demander de déposer une réponse à l’avis de requête au plus tard le 6 septembre 2012.

6. Le 4 septembre 2012, le Tribunal a reçu une lettre de Me Albrecht l’informant que DFI était sur le point de retenir les services d’un conseiller juridique pour la représenter dans le cadre de la présente requête et lui demandant, au nom de DFI, une prolongation de délai jusqu’au 7 septembre 2012 pour le dépôt de sa réponse. Dans sa lettre, Me Albrecht indiquait qu’il travaillait pour DFI sur ce dossier depuis plus de 12 mois, qu’il n’était pas d’accord que les intérêts de DFI soient directement opposés à ceux de P&P dans la présente procédure, que MT avait effectué des vérifications de conflit d’intérêts lorsque DFI a retenu ses services et qu’aucun conflit d’intérêts avec P&P ne figurait aux dossiers, qu’il ne savait pas personnellement que P&P était un client de MT lorsque DFI a retenu ses services et que MT a proposé de mettre en place un « écran éthique » après avoir appris l’intérêt de P&P dans cette enquête et son opposition au travail de MT pour le compte de DFI.

7. Le 5 septembre 2012, le Tribunal a accordé à DFI une prolongation de délai pour le dépôt de sa réponse.

8. Le 7 septembre 2012, DFI a déposé ses observations auprès du Tribunal. Dans sa réponse, DFI met en cause la qualité de P&P de présenter la requête, étant donné qu’il n’est pas clair si les renseignements confidentiels mentionnés par P&P concernent directement P&P ou l’une de ses sociétés affiliées. DFI soutient que P&P n’a pas démontré que les renseignements confidentiels que MT a en sa possession sont pertinents en l’espèce ou que leur utilisation pourrait être préjudiciable.

9. DFI soutient de plus que même si DFI et P&P ont des intérêts divergents, ceux-ci ne sont pas directement opposés, aucune partie ne demandant réparation à l’autre partie. DFI renvoie aux critères énoncés dans Succession MacDonald et Neil et cite également Strother c. 3464920 Canada Inc.5, décision qui, selon DFI, modifie le critère énoncé dans Neil. DFI souligne également son droit à être représentée par le conseiller juridique de son choix.

10. Le 12 septembre 2012, P&P a déposé une réplique dans laquelle elle soutient notamment être un client actuel de MT et fait mention d’un dossier récent, qui est toujours en cours, dans lequel MT représente P&P relativement à une entente commerciale pour la fourniture d’importations pertinentes par l’un des principaux exportateurs nommés dans la plainte déposée par Atlas Tube Canada Inc. En ce qui concerne la question de la qualité pour agir, P&P soutient ne pas avoir jugé nécessaire de déposer des avis de participation pour chacune de ses sociétés affiliées régionales compte tenu de la relation étroite entre P&P et ses sociétés affiliées.

11. P&P soutient également qu’il existe de nombreux exemples dans lesquels des cours et des tribunaux ont interdit à des cabinets d’avocats d’agir contre des sociétés affiliées à un client ou à un ancien client. P&P souligne qu’elle et ses sociétés affiliées sont des clients actuels de MT et que dans les décisions antérieures du Tribunal portant sur un conflit d’intérêts, aucune des parties alléguant l’existence d’un conflit n’avait une relation aussi soutenue et étroite avec le conseiller juridique qu’elles tentaient de faire récuser.

12. Le 13 septembre 2012, DFI a déposé une lettre en réponse à la réplique de P&P, dans laquelle elle soutient qu’en mentionnant dans sa réplique le travail de MT relativement à l’entente commerciale pour la fourniture d’importations pertinentes, P&P se trouve à présenter de nouveaux éléments de preuve qui auraient dû être soulevés dans l’avis de requête. DFI rappelle également sa préoccupation selon laquelle P&P n’a pas réussi à justifier adéquatement sa requête ni à démontrer de quelle façon les renseignements confidentiels relatifs à l’entente commerciale sont pertinents et susceptibles de causer un préjudice à P&P en l’espèce.

13. Le 14 septembre 2012, P&P a déposé une lettre en réponse à la lettre de DFI.

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

14. À titre de question préliminaire, le Tribunal doit d’abord examiner la question quant à la qualité pour agir. Le Tribunal conclut que l’existence de personnes morales indépendantes ne suffit pas, à elle seule, à constituer un obstacle empêchant de soulever des arguments alléguant un conflit d’intérêts. Si une partie craint que l’existence d’un conflit d’intérêts réel ou potentiel ait une incidence sur ses intérêts, le Tribunal considère que cela constitue un motif suffisant pour permettre à cette partie de soulever la question, par exemple en présentant une requête comme celle-ci. Quoi qu’il en soit, le Tribunal est d’avis que les renseignements supplémentaires soulevés dans la réponse de P&P (soit l’entente commerciale sur l’importation de tubes en acier) semblent concerner P&P directement et non une de ses sociétés affiliées. Par conséquent, le Tribunal conclut que P&P a qualité pour porter cette question devant le Tribunal.

15. Le Tribunal est également d’accord avec l’argument de P&P selon lequel, en l’espèce, les intérêts de DFI sont opposés à ceux de P&P. Même si la présente enquête n’est pas, à strictement parler, un litige opposant P&P et DFI, il n’en demeure pas moins que DFI appuie l’imposition de droits antidumping et compensateurs sur les importations de tubes en acier pour pilotis provenant de la Chine, ce qui est opposé aux intérêts commerciaux de P&P. De fait, P&P est un importateur de tubes en acier pour pilotis en provenance de la Chine et, à ce titre, est l’un des concurrents de DFI. Il est clair que le coût des importations de P&P pourrait augmenter considérablement si le Tribunal arrivait à des conclusions positives de dommage, comme le demande DFI. Par conséquent, la requête ne peut être rejetée au motif qu’il n’y a pas d’opposition entre les intérêts de P&P et ceux de DFI en l’espèce.

16. L’existence d’une relation de longue date de conseiller juridique à client entre MT et P&P relativement à d’autres dossiers est admise. Le Tribunal examinera si la représentation de DFI par MT en l’espèce donne lieu à un conflit d’intérêts réel ou raisonnablement perçu eu égard à sa représentation passée ou actuelle de P&P relativement à d’autres dossiers.

ANALYSE

17. Pour déterminer l’existence d’un conflit d’intérêts en l’espèce, le Tribunal est lié par trois décisions de la Cour suprême du Canada : Succession MacDonald, Neil et Strother. Ces décisions établissent clairement que le devoir d’un avocat d’éviter les conflits d’intérêts comprend notamment un devoir général de loyauté et un devoir de confidentialité.

18. Dans Succession MacDonald, la Cour suprême énonce les critères appropriés pour déterminer s’il existe un conflit d’intérêts entraînant l’inhabilité, lorsqu’il est question de renseignements confidentiels :

D’ordinaire, ce type d’affaire soulève deux questions : premièrement, l’avocat a-t-il appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, qui concernent l’objet du litige? Deuxièmement, y a-t-il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client6?

19. En ce qui concerne la première question, la Cour suprême a indiqué que « [...] dès que le client a prouvé l’existence d’un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l’avocat est suffisante, un tribunal doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l’avocat convainc le tribunal qu’aucun renseignement pertinent n’a été communiqué » [nos italiques]. En ce qui concerne la deuxième question, la Cour suprême a déterminé qu’un avocat qui a pris connaissance de faits confidentiels pertinents ne peut agir contre un client ou un ancien client7.

20. Par conséquent, en ce qui concerne le devoir de confidentialité, le Tribunal doit examiner si Me Albrecht a vraisemblablement pris connaissance de renseignements confidentiels pertinents en l’espèce en raison de la relation avocat-client entre MT et P&P. Pour répondre à cette question, le Tribunal doit se demander si les mandats confiés à MT par P&P ont un lien pertinent en l’espèce.

21. Dans Neil, la Cour suprême s’est penchée sur les obligations fiduciaires d’un avocat dans un sens plus large et a abordé le critère de la « ligne de démarcation très nette » énoncé ci-dessous, lequel porte sur la capacité d’un avocat de représenter un client dont les intérêts immédiats sont directement opposés aux intérêts immédiats d’un autre client et qui est pertinent pour évaluer s’il y a manquement au devoir de loyauté de l’avocat :

29 [...] Néanmoins, c’est le cabinet, et pas seulement l’avocat, individuellement, qui a un devoir de fiduciaire envers ses clients, et une ligne de démarcation très nette est requise. Cette ligne de démarcation très nette est tracée par la règle générale interdisant à un avocat de représenter un client dont les intérêts sont directement opposés aux intérêts immédiats d’un autre client actuel — même si les deux mandats n’ont aucun rapport entre eux — à moins que les deux clients n’y aient consenti après avoir été pleinement informés (et de préférence après avoir obtenu des avis juridiques indépendants) et que l’avocat ou l’avocate estime raisonnablement pouvoir représenter chaque client sans nuire à l’autre.

[Italiques dans l’original]

22. Cependant, dans Neil, la Cour suprême a également reconnu la nécessité d’atteindre un équilibre entre le devoir de loyauté d’un avocat et les réalités du système judiciaire :

15 Il est toutefois important de relier le devoir de loyauté aux politiques qu’il est censé promouvoir. Un élargissement inutile de ce devoir pourrait, tout autant que son atténuation, entraver le bon fonctionnement du système judiciaire. Le problème consiste toujours à déterminer quelles règles sont nécessaires et raisonnables et quel est le meilleur moyen d’atteindre un bon équilibre entre des intérêts divergents.

23. Bien que le critère de la « ligne de démarcation très nette » énoncé dans Neil donne à penser qu’un avocat ne peut représenter un client dont les intérêts sont directement opposés aux intérêts immédiats d’un autre client, même si les deux mandats n’ont aucun rapport entre eux, le Tribunal constate que la Cour suprême ne traitait pas de deux affaires n’ayant aucun rapport entre elles. La décision dans Neil portait sur deux situations de conflit, l’une concernant le même dossier et l’autre concernant deux dossiers ayant un lien stratégique.

24. Enfin, dans Strother, la Cour suprême a donné des indications utiles sur le sens et l’application du critère de la « ligne de démarcation très nette » exprimé dans Neil :

58 Des cas exceptionnels ne devraient toutefois pas occulter la principale fonction de la règle de la « démarcation très nette », qui concerne le devoir de l’avocat d’éviter les conflits qui compromettent la représentation respective des intérêts de ses clients concurrents, que ce soit dans le cadre d’un litige ou autrement; voir, par exemple, Waxman c. Waxman 2004 CanLII 39040 (ON CA), (2004), 186 O.A.C. 201 (C.A.).

[...]

59 On brandit le spectre de dossiers inactifs qui moisissent dans le classeur d’un avocat et qui sont soudainement réactivés afin de permettre à un client astucieux d’invoquer l’existence d’un conflit pour des raisons stratégiques. Cependant, les tribunaux sont bien en mesure de refuser d’accorder une réparation à l’égard d’une demande clairement présentée pour des raisons stratégiques. Un conflit entre clients concurrents dans lequel aucun renseignement confidentiel ne risque d’être divulgué peut être réglé d’une manière plus souple que les situations visées par l’arrêt Succession MacDonald, en raison des différentes réparations susceptibles d’être accordées, qui vont de la déclaration d’inhabilité à occuper à la prise de mesures moins draconiennes afin de protéger les intérêts du client plaignant. Dans chaque cas où aucune question de renseignement confidentiel ne se pose, le tribunal devrait se demander s’il existe un risque sérieux que la capacité de l’avocat de représenter correctement le client plaignant soit compromise et, dans l’affirmative, quelles réparations — sans aller jusqu’à la déclaration d’inhabilité à occuper — pourraient permettre d’éviter ce résultat.

25. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, le Tribunal est d’avis que là où les renseignements confidentiels ne posent pas problème, il doit se demander s’il existe un risque sérieux que la représentation de chacun des clients concurrents soit compromise par le conflit d’intérêts allégué.

26. Dans son évaluation visant à déterminer s’il existe un conflit entraînant l’inhabilité en l’espèce, le Tribunal doit tenir compte des valeurs concurrentes articulées dans Succession MacDonald, lesquelles doivent sous-tendre son analyse : la préservation des normes exigeantes de la profession d’avocat, l’importance du droit du justiciable de retenir les services de l’avocat de son choix et la mobilité raisonnable qu’il est souhaitable de permettre au sein de la profession8. Le droit d’une partie de retenir les services du conseiller juridique de son choix est une considération particulièrement importante en l’espèce, compte tenu du court délai dans lequel le Tribunal doit rendre ses conclusions et du stade avancé du processus d’enquête lorsque cette requête a été présentée. Le Tribunal est d’avis que s’il privait DFI de son droit de retenir les services du conseiller juridique de son choix à ce stade-ci de la procédure, cela aurait pour effet de compromettre sérieusement sa capacité de participer au processus d’enquête.

27. Conformément au raisonnement appliqué par le juge Sopinka dans Succession MacDonald9, le Tribunal est d’avis qu’il incombe à la partie alléguant l’existence d’un conflit d’intérêts réel ou raisonnablement perçu de démontrer que la connexité des deux mandats est suffisante10. La partie alléguant le conflit doit de plus fournir suffisamment d’éléments de preuve pour que le Tribunal puisse rendre une conclusion sur ces questions.

28. En résumé, pour décider de la requête, le Tribunal doit d’abord déterminer si P&P a établi une connexité suffisante entre la présente enquête et d’autres mandats confiés à MT par P&P pour que le Tribunal doive en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis et déclarer MT inhabile à agir pour ce motif. Si le Tribunal conclut que les dossiers ne sont pas suffisamment connexes et qu’il n’y a pas de risque que des renseignements confidentiels pertinents soient utilisés au détriment de P&P, le Tribunal doit évaluer s’il existe un risque sérieux que la représentation de DFI par MT compromette sa capacité de représenter P&P dans d’autres dossiers.

29. Quant à savoir si la présente procédure est suffisamment connexe aux mandats passés et actuels de représentation de P&P par MT, le Tribunal constate que P&P allègue de façon générale sa représentation par MT relativement à des litiges, à des dossiers de droit des sociétés et à des contrats commerciaux, mais ne mentionne que deux dossiers en particulier. Le premier concerne une société de transport maritime transportant des tubes pour pilotis de la Chine vers le Canada et le deuxième une entente commerciale sur la fourniture d’importations pertinentes conclue avec l’un des exportateurs indiqués dans la plainte déposée par Atlas Tube Canada Inc. Dans sa réponse, P&P fournit également une série de factures pour des services juridiques fournis par MT au cours des 12 derniers mois et soutient que ces dossiers peuvent également comporter la transmission de renseignements confidentiels pouvant être pertinents en l’espèce.

30. Le premier dossier semble renvoyer à une poursuite devant une cour des petites créances visant le recouvrement d’un montant associé au transport de tubes pour pilotis. Le second dossier est décrit comme « [...] un mandat récent et toujours en cours consistant à conseiller [P&P] relativement à une entente commerciale en vue de la fourniture d’importations pertinentes avec l’un des principaux exportateurs indiqués dans la plainte »11 [traduction], lequel est, selon P&P, directement lié à la présente enquête. P&P a également produit une série de courriels caviardés se rapportant à cette transaction et au projet d’entente.

31. Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve présentés à l’égard de ces dossiers ne sont pas suffisants pour lui permettre de conclure qu’ils sont liés à la présente enquête. Plus particulièrement, une action devant une cour des petites créances en vue du recouvrement de sommes d’argent auprès d’une société de transport maritime (quelles que soient les marchandises transportées) ne suffit pas à établir un lien soulevant des inquiétudes en l’espèce. De même, la série de factures ne donne aucun renseignement au Tribunal quant à la nature du travail effectué par MT ou à la pertinence du travail aux fins de la présente enquête.

32. En ce qui concerne le second dossier dont P&P fait état, les éléments de preuve ne font pas mention des parties en cause, des spécifications de produit pour les tubes en acier ni de leur pays d’origine. Par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu que MT est en possession de renseignements confidentiels pertinents relatifs à P&P ou qu’il existe un risque que des renseignements confidentiels soient utilisés au détriment de P&P.

33. Sur la foi des éléments de preuve limités dont il dispose, le Tribunal n’est pas non plus convaincu qu’il existe en l’espèce un risque sérieux que la représentation de DFI par MT puisse avoir une incidence négative ou grave sur sa capacité de continuer de représenter P&P relativement à d’autres dossiers. À cet égard, le Tribunal constate que P&P n’a pas expliqué de quelle façon la représentation de DFI par MT en l’espèce compromettrait sa capacité de représenter P&P dans d’autres affaires en cours. Dans ces circonstances, le Tribunal n’est pas en mesure de conclure que la représentation de DFI par MT en l’espèce compromet sa capacité de représenter correctement P&P dans d’autres dossiers. Par conséquent, le Tribunal conclut que les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour établir l’existence d’un manquement au devoir de loyauté de MT envers P&P.

34. Le Tribunal constate également que, dans Neil, la Cour suprême a fait la remarque qu’un élargissement inutile du devoir de loyauté pourrait entraver le bon fonctionnement du système judiciaire. Le problème consiste toujours à déterminer quel est le meilleur moyen d’atteindre un bon équilibre entre des intérêts divergents. Pour ce motif, une application stricte du critère de la « ligne de démarcation très nette » à des situations où le même cabinet d’avocats agit simultanément pour deux parties ayant des intérêts opposés, mais dans des affaires n’ayant aucun rapport entre elles, poserait des problèmes importants aux clients souhaitant être représentés par le conseiller juridique de leur choix. Cela est particulièrement vrai dans une situation comme celle dont il est question ici, où la représentation de DFI et de P&P par MT est assurée par deux avocats différents, exerçant dans des domaines différents et établis dans des villes différentes. Dans de telles circonstances, le Tribunal considère que les renseignements confidentiels ou le droit à une représentation correcte de chacun des clients ne sont pas nécessairement compromis.

35. Par conséquent, en l’absence d’éléments de preuve manifestes à cet effet, le Tribunal ne peut conclure que MT a manqué à ses obligations fiduciaires de loyauté et de protection des renseignements confidentiels de P&P.

DÉCISION

36. Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal rejette la requête.


1 D.O.R.S./91-499.

2 . L.R.S. 1985, c. S-15.

3 . [1990] 3 R.C.S. 1235 [Succession MacDonald].

4 . 2002 CSC 70 [Neil].

5 . [2007] 2 R.C.S. 177 [Strother].

6 . Succession MacDonald au para. 45.

7 . Succession MacDonald aux para. 46-47.

8 . Succession MacDonald au para. 13.

9 . Succession MacDonald au para. 46.

10 . Chapters Inc. v. Davies, Ward & Beck LLP, 2001 CanLII 24189 (ON CA) aux para. 29-30.

11 . Pièce du Tribunal NQ-2012-002-52, dossier administratif, vol. 1A à la p. 140.