BIÈRE

Questions d'intérêt public (article 45)


BIÈRE ORIGINAIRE OU EXPORTÉE DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE PAR PABST BREWING COMPANY, G. HEILEMAN BREWING COMPANY INC. ET THE STROH BREWERY COMPANY, LEURS SUCCESSEURS ET AYANTS DROIT, OU EN LEUR NOM, POUR UTILISATION OU CONSOMMATION DANS LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
Opinion no : PI-91-001

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 25 novembre 1991

Opinion no : PI-91-001

EU ÉGARD À une opinion du Tribunal canadien du commerce extérieur, en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, découlant de l’enquête no NQ-91-002 menée en vertu de l’article 42;

CONCERNANT la question de savoir si l’imposition de droits antidumping, ou leur imposition à leur plein montant, sur la boisson de malt communément appelée bière, d’une teneur alcoolique en volume d’au moins 1 p. 100 et d’au plus 6 p. 100, en bouteilles ou en boîtes d’au plus 1 180 ml (40 oz), originaire ou exportée des États-Unis d’Amérique par Pabst Brewing Company, G. Heileman Brewing Company Inc. et The Stroh Brewery Company, leurs successeurs et ayants droit, ou en leur nom, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique, serait ou pourrait être contraire à l’intérêt public.

O P I N I O N

Le Tribunal canadien du commerce extérieur est d’avis qu’il ne serait pas dans l’intérêt public d’imposer des droits antidumping au plein montant de la marge de dumping sur toutes les importations des marchandises en cause susmentionnées. Le Tribunal croit qu’il n’est pas nécessaire d’imposer certaines parties des droits antidumping qui sont superflues à celles nécessaires pour faire disparaître le préjudice. (Dissidence du membre Blouin).

Charles A. Gracey
_________________________
Charles A. Gracey
Membre présidant


Sidney A. Fraleigh
_________________________
Sidney A. Fraleigh
Membre


Robert J. Martin
_________________________
Robert J. Martin
Secrétaire

R A P P O R T

Ceci est une opinion d’intérêt public découlant de l’enquête menée en vertu de l’article 42 sur les marchandises susmentionnées. Dès l’ouverture de cette cause, plusieurs parties ont fait savoir que celle-ci comportait un aspect d’intérêt public qui devait être étudié par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), en vertu de l’article 45 de la Loi sur les mesures d’importation (la LMSI).

La mesure législative pertinente prévoit que si, après avoir rendu une ordonnance ou des conclusions en vertu du paragraphe 43(1) de la LMSI, le Tribunal est d’avis que l’assujettissement de marchandises à des droits antidumping intégraux ou partiels est ou peut être contraire à l’intérêt public, il doit faire part de son opinion au ministre des Finances (le Ministre), avec faits et motifs à l’appui de cette opinion.

Sur réception des exposés écrits préliminaires, le Tribunal a décidé qu’il y avait suffisamment de raisons pour que le Tribunal entende le point de vue des personnes intéressées au sujet de la question portant sur l’intérêt public et a avisé ces personnes en conséquence. Le Tribunal a annoncé qu’il accepterait les exposés définitifs au sujet de la question portant sur l’intérêt public et qu’il entendrait, le 23 septembre 1991, les arguments faits de vive voix par les personnes. Plusieurs personnes intéressées ont adressé des présentations écrites et certaines ont comparu devant le Tribunal pour présenter leur point de vue. C’est sur cette base que le Tribunal s’est fait une opinion sur la question.

LES ARGUMENTS

Les arguments préconisant la non-imposition de droits antidumping ou leur non-imposition au plein montant peuvent être résumés de la manière suivante :

Le directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence (le Directeur), a soutenu que l’imposition de droits antidumping porterait atteinte au bien-être économique de la Colombie-Britannique. Les consommateurs seraient perdants car les prix augmenteraient. Les producteurs gagneraient environ la moitié de la perte des consommateurs, tandis que les gouvernements enregistreraient un faible gain. Le Directeur a allégué que les deux principaux producteurs de la Colombie-Britannique, Labatt Breweries of British Columbia (Labatt) et Molson Brewery B.C., Ltd. (Molson), constituent un olégopole réglementé et qu’ils peuvent mettre à profit leur pouvoir de marché considérable pour maintenir les prix à un niveau plus élevé et réduire davantage la production que s’ils étaient dans un marché plus concurrentiel. Selon lui, le dumping aurait pour effet de diriger l’industrie de la Colombie-Britannique vers une structure concurrentielle plus efficiente.

Le Directeur a ajouté qu’il existe suffisamment de barrières non tarifaires pour bien protéger l’industrie de la Colombie-Britannique. Il a mentionné que les barrières non tarifaires sur la bière importée représentent l’équivalent d’un droit ad valorem de 50 p. 100. Il faisait allusion à la question des restrictions liés aux listes, aux prix, à la distribution et à l’accès aux points de vente au détail, et aux nouveaux frais de service. Compte tenu de ces restrictions, il a déclaré que le dumping représente la seule solution pour les exportateurs américains de demeurer concurrentiels sur ce marché.

La société Haida Trading Inc., agent canadien de G. Heileman Brewing Company Inc. (Heileman), a fait valoir que l’industrie nationale ne peut profiter de l’imposition du plein montant des droits. Selon elle, au-delà d’un certain niveau de droits, un produit importé n’est plus concurrentiel et des droits supérieurs à ce niveau sont superflus, voire non requis, pour réparer le préjudice causé à des fabricants de la Colombie-Britannique par les importations de produits sous-évalués.

La société Stroh Brewery Company (Stroh) souligné que l’imposition de droits antidumping porterait un dur coup à la concurrence sur le marché de la Colombie-Britannique, car les sociétés Labatt et Molson constituent un duopole et que le cadre de la réglementation joue nettement en leur faveur. M. Roger Mutimer, de Westwick Consultants, a également démontré une inquiétude quand au recours à la LMSI pour protéger un duopole sur un marché réglementé.

Les arguments en faveur de l’imposition du plein montant des droits peuvent être résumés de la manière suivante :

Pacific Western Brewing Company a soutenu qu’en l’absence de droits antidumping, elle serait incapable de demeurer concurrentielle sur le marché de la bière de la Colombie-Britannique. Il est nécessaire d’imposer des droits antidumping pour assurer la prospérité de l’industrie brassicole régionale. Les avocats des brasseries de la Colombie-Britannique ont allégué que les exposés ne renfermement aucun élément prouvant qu’une annulation ou une réduction de droits antidumping serait dans l’intérêt public. En outre, toute annulation ou réduction de droits affecterait directement les brasseries de la Colombie-Britannique et pourrait contrecarrer les objectifs gouvernementaux en ce qui a trait à la production de recettes et à la politique sociale.

Le maire de la ville de Creston et deux syndicats (the Brewery, Winery and Distillery Workers, section locale 300, et the Interior Brewery Workers, section locale 308) ont prétendu que les droits antidumping sont nécessaires pour protéger les emplois dans l’industrie brassicole.

LES MOTIFS DE L’OPINION MAJORITAIRE

Le Tribunal a examiné minutieusement les exposés et les arguments que lui ont soumis les personnes intéressées en vertu de l’article 45 de la LMSI, au sujet de l’intérêt public. Il a également tenu compte des faits établis à l’occasion de l’enquête de préjudice menée en vertu de l’article 42 portant sur les questions relatives aux politiques de prix au sein du marché de la Colombie-Britannique, à la réglementation du marché par la B.C. Liquor Distribution Branch et à la situation financière de l’industrie brassicole de la Colombie-Britannique.

Dans le cadre de la question portant sur l’intérêt public, le Tribunal formule les observations suivantes. Nous accordons une importance à la question du préjudice sensible causé à l’industrie de la Colombie-Britannique par les importations sous-évaluées. Ceci est conforme à l’objectif de la loi antidumping promulguée afin de protéger la production nationale contre le préjudice sensible attribuable aux importations sous-évaluées. L’intérêt public englobe, à notre avis, la protection des emplois dans la province de la Colombie-Britannique et de l’investissement dans l’industrie visée, de même que dans les industries en amont et dans les industries de service associées.

Dans le cas de la bière de la Colombie-Britannique, nous croyons qu’il n’existe pas de motif prépondérant en matière d’intérêt public, que ce soit en faveur des concurrents ou des consommateurs, qui nous porterait à recommander au Ministre d’éliminer le plein montant des droits antidumping. Pour ce qui est de l’approche coûts-avantages préconisée par le Directeur, nous sommes persuadés que nous avons une obligation de la plus haute importance en vertu de la LMSI, c’est-à-dire d’éliminer le préjudice sensible causé par les importations sous-évaluées. C’est pourquoi nous accordons plus d’importance aux intérêts de l’industrie de la Colombie-Britannique qu’à toute autre question, jusqu’à la disparition du préjudice sensible.

En outre, l’analyse coûts-avantages préparée par le Directeur ne tient pas compte du coût social éventuel qui pourrait résulter de la suppression des droits.

Cela dit, nous nous interrogeons sur la nécessité d’imposer aux importations sous-évaluées des droits antidumping supérieurs à ceux nécessaires pour faire disparaître le préjudice sensible causé à l’industrie de la Colombie-Britannique. Des droits antidumping suffisants pour éliminer ce préjudice ont déjà donné leur résultat. De plus, ils correspondent à l’Article 8 du Code antidumping [1] qui stipule, en partie :

... Il est souhaitable... que le droit soit moindre que la marge si ce droit moindre suffit à faire disparaître le préjudice pour la branche de production nationale.

Des droits antidumping plus élevés que nécessaire pour faire disparaître le préjudice sensible sont excessifs. Des droits excessifs pénalisent certains produits et exportateurs en augmentant les prix à des niveaux inutilement élevés, ce qui peut les exclure totalement du marché. À notre avis, une telle situation ne vise nullement l’intérêt public. Non seulement avantage-t-elle inutilement l’industrie de la Colombie-Britannique, mais elle se traduit également par une augmentation des prix et une réduction du choix pour les consommateurs.

Des droits antidumping inutilement élevés isolent l’industrie de la Colombie-Britannique d’une concurrence efficace. En prévision d’un marché de plus en plus concurrentiel en Colombie-Britannique, comme le laissait entrevoir l’Accord intergouvernemental sur les pratiques de commercialisation de la bière et de récents développements au GATT, cette situation pourrait, à long terme, ne pas favoriser l’industrie de la bière de la Colombie-Britannique.

Dans ce cas, nous croyons qu’une certaine partie des droits antidumping visant certaines importations sous-évaluées de bière est superflue. Nous sommes de cet avis parce qu’en vertu de l’application des droits antidumping à leur plein montant, ces produits ne seront offerts sur le marché de la Colombie-Britannique qu’à des prix largement supérieurs à ceux nécessaires pour faire disparaître le préjudice sensible causé à l’industrie de la Colombie-Britannique. Le Tribunal n’a pas déterminé les niveaux exacts des prix requis pour supprimer ce préjudice. Selon nos observations en ce qui touche la politique des prix des produits nationaux après l’imposition des droits antidumping, nous croyons toutefois que le prix de certaine importations sous-évaluées dépasse largement ce que nous considérons comme le prix en vigueur dans les créneaux pertinents du marché.

Prenons par exemple le prix de la bière Rainier Lager, de Heileman, sur le marché de la Colombie-Britannique, après l’imposition de droits antidumping provisoires. Le prix après l’application des droits antidumping définitifs ne devrait pas être vraiment différent. Le prix, après l’imposition des droits, d’un emballage de six canettes de bière Rainier Lager (6,50 $) est, selon le Tribunal, supérieur au prix requis par l’industrie de la Colombie-Britannique sur le marché de la bière bon marché pour assurer un niveau de rentabilité adéquat. À 6,50 $, la Rainier est entièrement exclue du créneau de la bière bon marché et probablement du créneau régulier également. Cette situation a pour effet de réduire les choix qui s’offrent aux consommateurs et peut éliminer cette marque comme concurrent efficace sur le marché.

Le Tribunal est conscient du fait que l’établissement du niveau de droits antidumping nécessaire pour faire disparaître le préjudice sensible constitue une tâche complexe compte tenu des caractéristiques relatives au prix et à la marque de chaque produit réputé sous-évalué. Bien qu’il puisse être difficile d’effectuer les calculs nécessaires et que le résultat final soit quelque peu arbitraire, nous sommes d’avis que la concurrence au sein du marché de la Colombie-Britannique et que l’intérêt des consommateurs seraient davantage respectés en réduisant dans une certaine mesure les droits antidumping actuels du plein montant de la marge de dumping.

LA CONCLUSION

En conclusion, le Tribunal est d’avis qu’il ne serait pas dans l’intérêt public d’imposer des droits antidumping au plein montant de la marge de dumping sur toutes les importations des marchandises en cause susmentionnées. Le Tribunal croit qu’il n’est pas nécessaire d’imposer certaines parties des droits antidumping qui sont superflues à celles nécessaires pour faire disparaître le préjudice causé à l’industrie de la bière de la Colombie-Britannique.

OPINION DISSIDENTE DU MEMBRE MICHÈLE BLOUIN

Là ou je ne partage pas le point de vue de mes collègues, c’est justement sur la question fondamentale de savoir s’il existe ou non un intérêt public qui a prépondérance sur l’exigence relative à l’imposition du plein montant des droits antidumping à la suite des conclusions de préjudice rendues par le Tribunal. Je ne reconnais pas dans la présente cause un intérêt public qui me porterait à recommander au Ministre de réduire le niveau des droits. Dans l’esprit de la LMSI, l’imposition des droits antidumping à leur plein montant est tout à fait normale dans le cas de conclusions de préjudice. Dans la cause présente, les consommateurs de la Colombie-Britannique continueront d’avoir accès à une gamme de marques de bière bon marché vendues. Seuls les exportateurs bénéficieraient d’une réduction des droits antidumping, je ne crois pas que l’intérêt public dont il est question à l’article 45 de la LMSI corresponde à l’intérêt des exportateurs.

La LMSI est d’abord et avant tout une loi adoptée pour protéger les producteurs canadiens contre des pratiques commerciales qui causent un préjudice sensible à l’industrie canadienne. À mon avis, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que le Tribunal peu invoquer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 45 de la LMSI pour faire rapport au Ministre, à savoir si les droits doivent être éliminés ou réduits dans l’intérêt public.

Le premier rapport portant sur l’intérêt public publié en vertu de l’article 45 de la LMSI a été préparé par le Tribunal canadien des importations, le 20 octobre 1987, relativement au subventionnement du maïs-grain originaire ou exporté des États-Unis. Dans l’introduction du rapport au Ministre, le Tribunal canadien des importations déclare ce qui suit :

...La LMSI prévoit un mécanisme d’imposition de pénalités, sous forme de droits spéciaux, à l’égard des importations sous-évaluées ou subventionnées causant un préjudice sensible à la production canadienne de marchandises similaires. Une telle procédure est conforme aux conventions internationales dont le Canada est un signataire. En précisant le sens accordé à la disposition de l’intérêt public, le Tribunal reconnaît que la LMSI, à l’exemple de toutes les lois, a été promulguée par le Parlement dans l’intérêt public. Par conséquent, l’article 45 étant une disposition particulière de la loi, il doit être appliqué ‚ à titre de mesure d’exception, comme c’est le cas lorsqu’une aide consentie à des producteurs cause un problème sensible et éventuellement inutile aux utilisateurs (producteurs en aval ) et aux consommateurs du produit.

En soi, l’expression «intérêt public» oriente très peu le Tribunal, pas plus que la jurisprudence canadienne n’offre de définition applicable au contexte de la LMSI, c’est-à-dire, dans le contexte du commerce international. L’examen de la jurisprudence aux États-Unis et dans les pays de la Communauté économique européenne (CEE) est également peu utile, car elle ne renferme pas de définition précise et applicable de cette expression. Le Tribunal n’était pas convaincu que les hausses de prix attribuables à l’imposition des droits antidumping ou compensateurs constitueraient, en soi, une preuve suffisante justifiant la tenue d’audiences et la présentation d’un rapport au ministre des Finances, comme le prévoit l’article 45. De telles augmentations de prix représentent à la fois une conséquence inévitable et le coût d’un tel régime, éléments que connaissaient les membres du Parlement, de l’avis du Tribunal, au moment de la promulgation de la loi. Par ailleurs, le Tribunal ne croit pas que l’examen de l’intérêt public l’oblige à choisir entre les intérêts privés dont les préoccupations peuvent être très différentes, par exemple, les utilisateurs et les consommateurs d’une part, et les producteurs d’autre part; il est certain que les intérêts privés pourraient éventuellement être touchés et l’on peut s’attendre à ce que les parties visées les défendent devant le Tribunal ou ailleurs. Cependant, le Tribunal ne considère pas que la démarche prévue à l’article 45 puisse engendrer des disputes entre les parties. Il en vient plutôt à la conclusion que la charge qui lui est imposée en vertu de l’article 45 l’oblige à analyser et évaluer les conséquences de l’application des droits compensateurs à toutes les parties visées et à préciser la valeur relative de chacune de ces conséquences afin de se former une opinion à savoir si l’intérêt public serait respecté et, dans l’affirmative, de quelle façon.

(soulignement ajouté)

Les dispositions de l’article 45 ont été ajoutées à la LMSI à la suite des recommandations du Sous-comité sur La politique d’importation du Comité permanent des finances, du commerce et des questions économiques qui a examiné le projet de loi; par ailleurs, la notion «d’intérêt public» à l’article 45 n’est pas synonyme d’intérêt des consommateurs, comme il est précisé dans les Procès-verbaux et témoignages du Sous-comité sur La politique d’importation du Comité permanent des finances, du commerce et des questions économiques, Fascicule no 27, le 11 février 1982.

Dans le cas présent, l’intérêt public correspond à l’intérêt de bon nombre de parties prenant part à la production, à la distribution, à la vente et à la consommation de bière. Il s’agit des brasseurs de la Colombie-Britannique, des sociétés de transport, des détaillants, des travailleurs, des établissements commerciaux (hôtels, restaurants, bars), des consommateurs de bière, des municipalités, et des gouvernements fédéral et de la Colombie-Britannique.

Mes collègues semblent avoir fondé leur opinion en grande partie sur l’intérêt du consommateur, qui ne représente que l’un des nombreux facteurs possibles de l’intérêt public. Je ne peux déterminer, dans la présente cause, de quelle façon l’allégement accordé aux producteurs de la Colombie-Britannique peut se traduire par un fardeau important et peut-être inutile pour les consommateurs de bière. Les consommateurs de la Colombie-Britannique ont encore accès à une grande variété de marques de bière bon marché.

Dans le cadre de l’enquête qu’il a mené en vertu de l’article 42, le Tribunal a publié un avis, le 9 août à 1991, et l’a fait paraître dans la partie 1 de la Gazette du Canada du 17 août 1991, pour inviter les personnes intéressées dans la question de l’intérêt public à lui remettre une présentation écrite à ce sujet avant le 30 août 1991. À la suite de la publication de cet avis, le Tribunal a reçu des présentations portant sur l’intérêt public de la part de l’un des exportateurs, Stroh, de l’agent canadien de Heileman, Haida Trading Inc. (Haida), exportateur dans la présente cause, et du Directeur. Par la suite, d’autres présentations relatives à l’intérêt public ont été remises au Tribunal et produites comme éléments de preuve par un certain nombre de personnes intéressées, notamment :

1. Molson, Labatt et Pacific Western Brewing Company, les trois brasseurs de la Colombie-Britannique qui ont déposé la plainte andidumping;

2. Stroh;

3. Haida;

4. Le Directeur;

5. Columbia Brewing Company, Interior Brewery Workers (section locale 308);

6. M. Roger Mutiner, c.a., de Westwick Consultants;

7. The Brewery, Winery and Distillery Workers (section locale 300); et

8. La ville de Creston.

Aucune présentation n’a été effectuée par des associations de consommateurs ni par des associations commerciales ou de vente au détail (propriétaires d’hôtels, de bars ou de restaurants); groupes qui profiteraient à coup sûr d’une réduction des droits antidumping.

La décision du Tribunal en vue de faire rapport au Ministre sur la question de l’intérêt public doit être fondée sur les éléments de preuve remis au Tribunal. Dans la présente cause, les éléments de preuve ont été présentés sous forme d’exposés écrits. Les arguments ont été formulés au cours de l’audience publique. Le Tribunal n’a reçu aucune réponse au sujet des exposés écrits, à l’exception d’observations générales des avocats des brasseurs de la Colombie-Britannique.

Permettez-moi de résumer et de commenter brièvement les exposés écrits portant sur l’intérêt public :

- Selon les commentaires formulés par les brasseurs de la Colombie-Britannique, aucun élément des exposés des parties adverses ne laissent à entendre que l’annulation ou la réduction des droits serait dans l’intérêt public, mais plutôt qu’une telle annulation ou réduction des droits affecterait directement les brasseurs de la Colombie-Britannique.

• J’appuie les brasseurs de la Colombie-Britannique, qui soutiennent que la question de l’intérêt public n’a jamais été vraiment abordée; ce sont plutôt les intérêts particuliers des parties qui ont été examinés.

- Stroh et Haida ont allégué une réduction des droits antidumping afin de pouvoir demeurer dans le créneau du marché de la bière bon marché en Colombie-Britannique.

• Leurs arguments n’étaient pas l’intérêt général du public, mais plutôt seulement dans leur propre intérêt.

- Le Directeur a soutenu que lorsqu’une industrie nationale, comme l’industrie brassicole de la Colombie-Britannique, possède un pouvoir commercial, le dumping a pour effet de la rapprocher d’une solution efficiente en rabaissant les prix nationaux et en intensifiant la demande.

• Je ne saurais être d’accord avec cette position parce que le dumping, causait un préjudice sensible aux brasseurs de la Colombie Britannique. L’industrie n’aurait pu assumer ses pertes financières sur une longue période et, par conséquent, à mon avis, l’industrie ne se rapprochait pas d’une solution efficiente, mais elle courait peut-être plutôt à sa disparition. Le Directeur a ignoré également le rôle compétitif que joue Pacific Western Brewing Company sur le marché et a considéré que l’industrie de la Colombie-Britannique se compose uniquement de Labatt et de Molson.

- La Columbia Brewing Company, Interior Brewery Workers (section locale 308) soutient dans son exposé qu’elle a perdu plus de 29 000 heures-personnes à la brasserie de Creston et que les sociétés canadiennes qui l’approvisionnent ont été également touchées. Elle prétend que ces pertes sont attribuables au dumping de la bière américaine en Colombie-Britannique.

- M. Roger Mutimer, de Westwick Consultants, qui a été embauché par le gouvernement américain pour analyser les nouvelles politiques sur les écarts de frais de service mises en œuvre par la B.C. Liquor Distribution Branch, a déclaré que les inquiétudes qu’il entretient à l’égard de la LMSI constituent des questions «de philosophie, d’éthique et de méthodologie». Il a soutenu que le recours à la LMSI pour protéger un duopole représente une solution inappropriée. Il a également prétendu que la méthodologie utilisée par Revenu Canada est contradictoire et illogique.

• Je crois que M. Mutimer a plaidé en faveur des intérêts particuliers des exportateurs américains et non en faveur de l’intérêt public.

- The Brewery, Winery and Distillery Workers (section locale 300) a allégué que des emplois avaient été perdus dans l’industrie brassicole en raison d’un facteur important, le passage des bouteilles réutilisables aux canettes d’aluminium. Selon elle, ce changement est attribuable au «dumping de la bière américaine vendue à bas prix sur le marché de la Colombie-Britannique».

- Le siège social de la Columbia Brewery Company est situé dans la ville de Creston; cette entreprise est l’un des trois principaux employeurs de la région. On y compte une centaine d’employés à plein temps. Le maire de la ville de Creston a soutenu que le dumping de la bière américaine en canettes a déjà entraîné la perte et 15 emplois à plein temps à la brasserie au cours des 5 dernières années.

Je ne crois pas que les producteurs de la Colombie-Britannique pourront majorer excessivement leurs prix, parce qu’il existe de nombreuses autres sources pour ce produit et en raison aussi de la concurrence que se livrent les trois producteurs de la Colombie-Britannique au niveau des prix.

Par ailleurs, contrairement à la cause portant sur le maïs-grain, aucun utilisateur intermédiaire canadien du produit ne subirait un préjudice excessif en raison de l’imposition des droits antidumping à leur plein montant. De plus, je ne crois pas que l’article 45 de la LMSI doit être invoqué simplement pour promouvoir la concurrence ou pour conférer des avantages aux consommateurs. Comme je l’ai mentionné auparavant, la LMSI vise d’abord et avant tout à protéger les producteurs. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que l’intérêt public peut avoir préséance sur la protection accordée aux producteurs lorsque des marchandises sous-évaluées ou subventionnées sont réputées causer un préjudice sensible à la production.

La décision de mes collègues semble fondée en grande partie sur l’intérêt des consommateurs, plus particulièrement sur leur droit de choisir entre plusieurs marques de bière bon marché importée des États-Unis. En outre, ils en viennent à la conclusion qu’il ne faut pas imposer de droits excédant le montant requis pour annuler les effets préjudiciables du dumping. Il s’agit là d’un argument plausible. Cependant, dans la plupart des cas de droits antidumping ou compensateurs soumis au Tribunal, aucune présentation n’est faite au sujet de l’intérêt public. Pour ces causes ou dans ces circonstances, la LMSI n’autorise pas le Tribunal à recommander un niveau moins élevé de protection lorsqu’il rend des conclusions de préjudice causé aux producteurs par le dumping ou le subventionnement. Par conséquent, à mon avis, dans toutes les causes où sont formulées présentations relatives à l’intérêt public, notamment dans la présente, il convient d’abord d’être convaincu de l’existence de circonstances spéciales et de la justification de l’abaissement des droits au nom de l’intérêt public.

Les droits antidumping imposés portent sur cinq marques de bière différentes vendues dans le créneau de la bière bon marché sur le marché de la Colombie-Britannique en provenance de trois exportateurs différents :

1. Heileman : Rainier Lager Beer

Rainier Light Beer

Rainier Special Dry

2. Pabst Brewing Company

(Pabst) : Olympia Lager

3. Stroh : Old Milwaukee

Depuis l’imposition de droits antidumping provisoires, le 4 juin 1991, la bière Olympia Lager de Pabst se vend aux prix moyen et inférieur du créneau de la bière bon marché sur le marché de la Colombie-Britannique; par conséquent, elle livre une bonne bataille aux autres bières canadiennes vendues sur ce créneau du marché. La bière Old Milwaukee de Stroh se vend maintenant au prix élevé du créneau de la bière bon marché, mais en dessous du prix des marques régulières. La Rainier Lager de Heileman n’est plus vendue dans le créneau de la bière bon marché en raison de sa forte marge de dumping. Cette dernière découle du fait que la bière Rainier Lager est vendue comme bière prestigieuse dans l’État de Washington; par conséquent, elle a fait l’objet d’une importante marge de dumping auprès de la B.C. Liquor Distribution Branch pour occuper une place dans le créneau de la bière bon marché du marché de la Colombie-Britannique. Pour composer la marge de dumping, Heileman a dû majorer considérablement le prix de sa bière auprès de la B.C. Liquor Distribution Branch; en raison des marges bénéficiaires fixes, des droits et taxes, le prix affiché de cette bière en Colombie-Britannique a dû être fixé dans la catégorie de prix des bières de prestige, comme la John Labatt Classic et la Molson Special Dry.

Si le consommateur de la Colombie-Britannique désire acheter une bière Rainier, il peut encore le faire, mais il ne bénéficiera pas du prix sous-évalué qui a causé un préjudice sensible à l’industrie de la Colombie-Britannique. S’il tient à acheter de la bière bon marché, il peut l’acheter auprès de l’exportateur américain, Pabst (Olympia Lager), ou de tout autre producteur de la Colombie-Britannique qui vend de la bière bon marché, comme Molson (Old Style), Labatt (Lucky Lager), Pacific Western (Pilser), Traditional Lager ou Traditional Malt.

La réduction des droits antidumping profiterait à Heileman et à Stroh. Elle permettrait à ces deux exportateurs de soutirer une part du marché des producteurs de la Colombie-Britannique, et plus particulièrement de Pabst. Cette dernière a connu du succès en raison de la faible valeur normale et de la marge de dumping de sa bière Olympia Lager et du plus faible prix d’affichage des trois exportateurs américains sur le créneau de la vente de bière bon marché en Colombie-Britannique. À mon avis, consciente de la place privilégiée qu’elle occupe dans le créneau de la bière bon marché, Pabst n’a pas effectué de présentation relativement à la question de l’intérêt public.

À mon avis, une réduction des droits antidumping par le Ministre constituerait une ingérence excessive dans la part du marché des importations en provenance des États-Unis.

Pour ces motifs, je ne vois pas la nécessité de soumettre un rapport au Ministre, en vertu de l’article 45 de la LMSI, étant donné que l’imposition de droits antidumping au plein montant n’irait pas à l’encontre de l’intérêt public dans cette cause.


1. Accord relatif à la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé à Genève (Suisse) le 17 décembre 1979, GATT IBDD 265 (1980).


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Publication initiale : le 9 décembre 1999