TUBES EN CUIVRE CIRCULAIRES

Enquêtes préliminaires de dommage (paragraphe 34(2))


TUBES EN CUIVRE CIRCULAIRES
Enquête préliminaire de dommage
no PI-2013-002

Ordonnance et motifs rendus
le mercredi 3 juillet 2013


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, concernant des tubes en cuivre circulaires d'un diamètre extérieur de 0,2 pouce à 4,25 pouces (0,502 cm à 10,795 cm), à l'exception des tubes industriels et des tubes en cuivre recouverts ou isolés (les marchandises en question), originaires ou exportés de la République fédérative du Brésil, de la République hellénique, de la République populaire de Chine, de la République de Corée et des États-Unis du Mexique;

ET EU ÉGARD À un avis de requête déposé au nom de Paranapanema S.A. le 24 juin 2013 aux termes du paragraphe 24(1) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur en vue d'obtenir une ordonnance voulant que Mme Victoria Bazan ne soit pas habilitée à représenter Great Lakes Copper Inc.

ORDONNANCE

Par la présente, le Tribunal canadien du commerce extérieur rejette la requête.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le 24 juin 2013, Paranapanema S.A. (Paranapanema) a déposé un exposé d'une page comportant trois paragraphes pour s'opposer à des conclusions d'indication raisonnable de dommage, de menace de dommage ou de retard dans le cadre de la présente procédure. Deux paragraphes de cet exposé concernent ce sujet. Un troisième paragraphe porte sur l'allégation suivante de conflit d'intérêts :

Avant d'aller plus loin, nous tenons à aborder une question très importante avec le Tribunal. En 2007, une société faisant partie du groupe de sociétés de Paranapanema (Caraíba Metais S.A.) a participé à une affaire de droits antidumping et compensateurs concernant des fils machine de cuivre en provenance du Brésil (NQ-2006-003). Dans le cadre de la procédure du Tribunal et de l'enquête de l'ASFC, Caraíba Metais S.A. était représentée par Mme Victoria Bazan. Puisque Mme Bazan représente maintenant Great Lakes dans l'enquête PI-2013-002, cela doit être considéré comme un conflit d'intérêts. Le fait que Caraíba Metais S.A. était une société affiliée à Paranapanema S.A. était connu à l'époque. Dans la mesure où des arguments sont avancés selon lesquels notre société menace de causer un dommage, nous soutenons qu'il y a conflit juridique et que [Mme Bazan] ne doit pas agir contre nous. [...] Mme Bazan connaît des renseignements au sujet de notre société et du marché au Brésil qui ne doivent pas être utilisés contre nous dans le cadre d'une procédure judiciaire au Canada. Elle a reçu ces renseignements lorsqu'elle nous a représentés en 2007. Nous sommes encore un important affineur de cuivre et fabricant de produits de cuivre au Brésil, et toute allégation contre le Brésil est une allégation contre nous.

[Traduction]

2. Le 24 juin 2013, le Tribunal a écrit à Mme Bazan pour lui demander ses observations sur l'allégation de Paranapanema. Le 25 juin 2013, M. Michael Burgar a écrit au Tribunal pour l'informer que Mme Bazan avait retenu ses services de conseiller juridique concernant cette allégation. Il reconnaît que Mme Bazan a représenté Caraíba Metais S.A. (Caraíba) dans Fils machine de cuivre1 et qu'il s'agit d'une société faisant partie du groupe de sociétés de Paranapanema. Cependant, il soutient que Fils machine de cuivre est une affaire sans aucun lien avec la présente enquête, qui concerne une autre société affiliée à Paranapanema et un produit différent, que Mme Bazan n'a pas obtenu de renseignements confidentiels de la part de Paranapanema en ce qui concerne Fils machine de cuivre, qu'il n'y a « aucune raison pour une partie ou une personne de craindre que Mme Bazan en soit venue à obtenir des renseignements confidentiels en 2007 qui pourraient maintenant influer de quelque façon sur [la présente enquête] » [traduction], que Great Lakes Copper Inc. (Great Lakes) ne doit pas être privée à la légère de son choix de conseiller juridique à cette étape-ci de la présente procédure, que Paranapanema n'a pas divulgué suffisamment d'éléments de preuve ou de renseignements pour justifier une ordonnance d'inhabilité et que, subsidiairement, Paranapanema devrait procéder par requête aux termes de l'article 24 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur2.

3. Le 25 juin 2013, le Tribunal a écrit à Paranapanema pour lui demander de confirmer si son intention était que le Tribunal considère l'allégation de conflit d'intérêts contenue dans son mémoire datée du 24 juin 2013 comme une requête d'inhabilité aux termes de l'article 24 des Règles du TCCE. Le 26 juin 2013, Paranapanema a confirmé que c'était le cas, et le Tribunal a demandé à Mme Bazan de fournir une réponse en conséquence.

4. Le 27 juin 2013, M. Burgar a écrit au Tribunal pour lui soumettre que Mme Bazan maintient que Paranapanema n'a pas divulgué suffisamment d'éléments de preuve ou de renseignements pour justifier une ordonnance d'inhabilité et qu'il incombe à Paranapanema de prouver que le lien entre les mandats de représentation de Mme Bazan dans Fils machine de cuivre et dans la présente enquête est suffisant pour conclure que des renseignements confidentiels concernant les deux mandats ont été communiqués au cours de sa participation à Fils machine de cuivre. M. Burgar soutient qu'il n'y a aucun élément de preuve dont le Tribunal est saisi, au sens juridique, selon lequel Mme Bazan a pu recevoir des renseignements confidentiels pertinents, mais uniquement des allégations imprécises. Il maintient que « cette requête proposée concerne deux mandats de représentation distincts de Mme Bazan pour deux sociétés différentes, relativement à deux produits différents » [traduction], et que « [s]on travail pour [Caraíba] a pris fin il y a six ans » [traduction].

5. Le 27 juin 2013, Paranapanema a eu l'occasion de fournir une réponse aux observations de Mme Bazan au plus tard à midi le 28 juin 2013. Le 27 juin 2013, Paranapanema a demandé une prorogation du délai (jusqu'au 2 juillet 2013) pour déposer sa réponse. Le Tribunal a rejeté cette demande le même jour aux motifs a) que le Tribunal et les parties à la présente procédure doivent respecter des délais serrés imposés par la loi et que la prorogation demandée pourrait nuire à sa bonne conduite et b) que la réponse demandée à Paranapanema est en lien avec les brèves déclarations faites par le conseiller juridique de Mme Bazan.

6. Le 28 juin 2013, Paranapanema a déposé une réponse aux observations que Mme Bazan a présentées le 27 juin 2013. En plus de répéter essentiellement ses observations faites le 24 juin 2013, Paranapanema ajoute que Mme Bazan « a un lien de longue date avec Paranapanema lui permettant d'accéder à des renseignements pertinents, comme des processus opérationnels et des systèmes comptables » [traduction], sans toutefois fournir de plus amples précisions sur ceux-ci. Paranapanema ajoute que ce qu'elle avance « est difficile à prouver en 2013 » [traduction], que Mme Bazan a envers Paranapanema un devoir de loyauté et que le « Tribunal n'a pas donné à Paranapanema le temps de devenir experte en droit canadien sur cette question » [traduction]. En outre, et prétendument à l'appui de ses allégations, Paranapanema a déposé une facture adressée à Caraíba qui vise des services professionnels rendus par Mme Bazan.

7. Le 28 juin 2013, M. Burgar a présenté d'autres observations écrites au Tribunal, que ce dernier a acceptées, concernant le fait que la correspondance de Paranapanema datée du 28 juin 2013 contient des arguments et des éléments de preuve qui n'ont pas été présentés auparavant. M. Burgar affirme que la facture fournie par Paranapanema concerne une affaire sans aucun lien, que Mme Bazan n'agit pas maintenant contre Caraíba, que cette société ne fabrique pas de tubes en cuivre et que Mme Bazan n'a jamais représenté Eluma S.A. Industria e Comercio (la société affiliée à Paranapanema qui fabrique prétendument des tubes en cuivre).

ANALYSE

8. Dans Succession MacDonald c. Martin3, la Cour suprême du Canada a indiqué que la première étape pour établir qu'il existe un conflit d'intérêts entraînant une inhabilité consiste à déterminer si « [l]'avocat a [...] appris, grâce à des rapports antérieurs d'avocat à client, des faits confidentiels relatifs à l'objet du litige »4. M. Burgar se fonde à juste titre sur Chapters Inc. v. Davies, Ward & Beck LLP5 comme source faisant autorité pour appuyer la proposition selon laquelle le fardeau d'établir le fondement factuel de cette conclusion incombe à Paranapanema6. En fait, dans Succession MacDonald, la Cour a souligné que la partie qui avance les allégations doit démontrer l'existence d'un lien antérieur d'avocat à client dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l'avocat est suffisante.

9. À cet égard, le Tribunal conclut que Paranapanema n'a pas fourni d'éléments de preuve suffisants pour justifier l'inhabilité de Mme Bazan dans la présente affaire. Le Tribunal est plutôt d'avis que les allégations de Paranapanema ne sont rien de plus que des affirmations imprécises et en grande partie dénuées de fondement qui, dans d'autres circonstances, auraient pu être rejetées sommairement n'eût été la question sérieuse qu'elles concernent.

10. Le Tribunal n'accepte pas non plus l'affirmation de Paranapanema selon laquelle il ne lui a pas donné l'opportunité ou suffisamment de temps pour faire part de ses préoccupations. En fait, le Tribunal constate que Paranapanema a appris le fait que Mme Bazan représentait Great Lakes au plus tard le 7 juin 20137, lorsqu'elle a reçu la liste des participants à la présente procédure. Paranapanema n'a exprimé ses préoccupations quant à la représentation de Great Lakes par Mme Bazan que le 24 juin 2013. Par conséquent, Paranapanema a disposé de plus de deux semaines pour recueillir des éléments de preuve à l'appui de son affirmation, ainsi que pour chercher un conseiller juridique canadien.

11. Quoi qu'il en soit, le Tribunal n'estime pas que Fils machine de cuivre est une affaire liée à la présente enquête parce que chacune de ces affaires concerne un produit différent n'ayant pas la même utilisation finale ni le même circuit de distribution. Le fait que les deux produits soient fabriqués de cuivre ne suffit pas pour établir un lien suffisant entre les deux procédures.

12. Par conséquent, et en l'absence d'éléments de preuve clairs et probants, le Tribunal ne peut conclure, de façon raisonnable, que Mme Bazan a pu recevoir des renseignements confidentiels au cours de son mandat dans Fils machine de cuivre qui pourraient être pertinents en l'espèce. À cet égard, la simple allusion selon laquelle elle a acquis des connaissances sur des « processus opérationnels et des systèmes comptables », dont la pertinence dans le cadre de la procédure actuelle n'est pas précisée, au cours de son mandat dans Fils machine de cuivre, n'est pas, de l'avis du Tribunal, suffisante pour établir ne serait-ce qu'une perception raisonnable de conflit d'intérêts de la part de Mme Bazan.

13. En outre, puisque Caraíba n'est pas elle-même partie à la présente procédure, un lien clair entre le devoir de loyauté de Mme Bazan envers Caraíba et toute application ou élargissement de ce devoir envers Paranapanema aurait dû être démontré. Cela n'a pas été fait8.

14. Mme Bazan est la conseillère juridique choisie9 par Great Lakes depuis l'ouverture du dossier auprès de l'ASFC et doit pouvoir continuer d'agir à ce titre dans le cadre de la procédure dont le Tribunal est saisi relativement à cette affaire.

DÉCISION

15. Le Tribunal rejette par la présente la requête.


1 . (12 avril 2007) NQ-2006-003 (TCCE).

2 . D.O.R.S./91-499 [Règles du TCCE].

3 . [1990] 3 R.C.S. 1235 [Succession MacDonald].

4 . Succession MacDonald au para. 45.

5 . 2001 CanLII 24189 (ON CA) aux para. 29-30.

6 . Le Tribunal rejette le sous-entendu dans les observations de Paranapanema selon lequel il incombe au Tribunal de l'aider à établir les éléments de ses allégations.

7 . Peut-être plus tôt en prenant connaissance de l'avis public émis par l'Agence des services frontaliers du Canada concernant sa procédure.

8 . Par ailleurs, la Cour suprême du Canada, dans R. c. Neil, 2002 RCS 70 [Neil], a explicitement reconnu le besoin d'équilibrer l'importance du devoir de loyauté d'un avocat envers un client par rapport aux réalités du système juridique, faisant remarquer qu'un élargissement inutile de ce devoir pourrait être défavorable au bon fonctionnement du système juridique.

9 . L'accès à un conseiller juridique de son choix est une valeur concurrente reconnue par la Cour suprême du Canada dans Succession MacDonald, Neil et Strother c. 3464920 Canada Inc., 2007 CSC 24.