SUCRE RAFFINÉ

Demandes de réexamens


LE DUMPING AU CANADA DU SUCRE RAFFINÉ ORIGINAIRE
OU EXPORTÉ DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE, DU DANEMARK,
DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE, DES PAYS-BAS,
DU ROYAUME-UNI ET DE LA RÉPUBLIQUE DE CORÉE, ET
LE SUBVENTIONNEMENT DU SUCRE RAFFINÉ ORIGINAIRE OU EXPORTÉ
DE L’UNION EUROPÉENNE
Demande de réexamen no : RD-95-001

TABLE DES MATIERES


Ottawa, le vendredi 26 juillet 1996

EU ÉGARD À une demande de réexamen, aux termes du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, des conclusions rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 6 novembre 1995 dans le cadre de l’enquête no NQ-95-002;

CONCERNANT le dumping au Canada du sucre raffiné originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la République de Corée, et le subventionnement du sucre raffiné originaire ou exporté de l’Union européenne.

O R D O N N A N C E

Le Tribunal n’est pas convaincu du bien-fondé d’un réexamen et, en application du paragraphe 76(3.1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, a par conséquent rejeté la demande de réexamen.

Lyle M. Russell
_________________________
Lyle M. Russell
Membre présidant



Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre



Charles A. Gracey
_________________________
Charles A. Gracey
Membre



Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

Date de l’ordonnance et des motifs : Le 26 juillet 1996

Membres du Tribunal : Lyle M. Russell, membre présidant

Robert C. Coates, c.r., membre

Charles A. Gracey, membre

Directeur de la recherche : Peter Welsh

Gestionnaire de la recherche : John O’Neill

Avocats pour le Tribunal : John L. Syme

Heather A. Grant

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a procédé à une enquête [1] , aux termes des dispositions de l’article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [2] (la LMSI), à la suite de la publication par le sous-ministre du Revenu national (le Sous-ministre) d’une décision provisoire [3] datée du 7 juillet 1995 et d’une décision définitive [4] datée du 5 octobre 1995 concernant le dumping au Canada du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la République de Corée, et concernant le subventionnement du sucre raffiné tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté de l’Union européenne.

Le 6 novembre 1995, le Tribunal a publié ses conclusions dans le cadre de l’enquête no NQ-95-002 (l’enquête). Le Tribunal a conclu, entre autres, que le dumping du sucre raffiné originaire ou exporté des États-Unis, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni et que le subventionnement du sucre raffiné originaire ou exporté de l’Union européenne menaçaient de causer un dommage sensible à la branche de production nationale. Le Tribunal a établi que la branche de production nationale était formée des sociétés Sucre Lantic Limitée (Lantic), Sucres Redpath, division des Industries Redpath Limitée (Redpath) et Rogers Sugar Ltd. (Rogers). La branche de production nationale a participé à toutes les délibérations portant sur ces questions par l’entremise de son association industrielle, l’Institut canadien du sucre (l’ICS).

De janvier à avril 1996, le Tribunal a examiné la question de l’intérêt public [5] aux termes de l’article 45 de la LMSI concernant l’imposition de droits antidumping et de droits compensateurs sur les importations de sucre raffiné à la suite des conclusions du Tribunal. Le 4 avril 1996, le Tribunal a publié ses considérations sur la question de l’intérêt public, dans lesquelles il concluait que l’intérêt public ne justifiait pas une réduction ou une élimination des droits antidumping et des droits compensateurs sur les importations de sucre raffiné.

Dans un exposé daté du 12 mars 1996, la société United Sugars Corporation [6] (United) a demandé au Tribunal de réexaminer, aux termes de l’article 76 de la LMSI, ses conclusions de menace de dommage rendues dans l’enquête. En application du paragraphe 70(2) des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur [7] (les Règles du Tribunal), le Tribunal a invité les parties à l’enquête à lui présenter des observations concernant la demande de United. Le Tribunal a reçu, à l’appui de la demande de United, des exposés conjoints des Canadian Industrial Sweetener Users (CISU) et du Conseil national de l’industrie laitière du Canada (le Conseil de l’industrie laitière), ainsi que des sociétés Canadian Blending & Processing, Inc. (CBP) et E.D. & F. Man (Sugar) Ltd. (Man). La société Breuvages Coca-Cola Ltée (Coca-Cola) a également déposé un exposé pour appuyer la demande de United. L’ICS et la Canadian Sugar Beet Producers’ Association Inc. (l’Association ) ont présenté des exposés s’opposant à la demande.

Les motifs de réexamen invoqués par United reposent presque exclusivement sur des renseignements confidentiels versés aux dossiers de l’enquête et de l’examen en matière d’intérêt public no PB-95-002 (l’examen en matière d’intérêt public). Cependant, compte tenu de la nature des allégations faites dans la présente cause, le Tribunal a jugé nécessaire de publier un exposé des motifs entièrement public. Le Tribunal a, bien entendu, pris les dispositions nécessaires pour que tous les renseignements confidentiels auxquels il fait référence soient protégés.

EXPOSÉS DES PARTIES

Demande de réexamen de United

United soutient qu’il y a lieu d’entreprendre un réexamen pour trois motifs. Les deux premiers motifs découlent de certains documents produits par Redpath, documents qui figuraient au dossier de l’examen en matière d’intérêt public du Tribunal mais non pas à celui de l’enquête du Tribunal. Les motifs de United sont les suivants.

Motif 1 - Éléments de preuve pertinents

United soutient que :

au moment de l’audience tenue par le Tribunal sur la question du dommage, des renseignements importants à la disposition de la branche de production canadienne concernant la question d’une menace de dommage n’ont pas été fournis au Tribunal et étaient pertinents dans le cadre de l’enquête no NQ-95-002 du Tribunal [8] .

[Traduction]

United soutient que les documents versés au dossier dans le cadre de l’examen en matière d’intérêt public fournissent de nombreux éléments de preuve sur la stratégie de croissance de Redpath pour le marché canadien. Cette stratégie comportait plusieurs aspects. D’abord, United prétend que Redpath prévoyait cibler certains des principaux clients de ses concurrents intérieurs [9] .

Deuxièmement, les documents révèlent que Redpath avait un plan d’expansion de sa capacité de production en deux étapes. L’étape I, approuvée au printemps de 1995, prévoyait d’importantes dépenses et, entre autres, visait à accroître la capacité de raffinage de Redpath et à réduire ses coûts de production [10] . United souligne que ce projet d’expansion n’a pas ét?E9‚ mentionné au Tribunal par Redpath dans sa réponse au questionnaire préparé dans le cadre de l’enquête. Les plans de l’étape II, dont les coûts étaient d’environ 2,5 fois plus élevés que ceux de l’étape I et qui renforceraient encore plus la capacité de raffinage, ont été finalisés et soumis pour approbation à la société mère de Redpath, Tate & Lyle Industries Limited (Tate & Lyle), juste avant l’audience tenue par le Tribunal relativement à son enquête [11] .

United soutient que l’«affaire de dumping» faisait partie intégrante de la stratégie de Redpath et que celle-ci a utilisé certaines des circonstances cré?E9‚es par l’affaire au détriment de ses concurrents intérieurs [12] .

Selon United, la stratégie de Redpath avait un rapport direct avec l’enquête. United soutient que [traduction] «les avocats auraient dû avoir l’occasion de contre-interroger sur ces documents et d’argumenter sur la question d’une menace de dommage en fonction de la situation réelle de Redpath et non de l’historique sélectif fourni au Tribunal [13] ». United affirme que, comme cette occasion n’a pas été donnée aux avocats et procureurs dans le cadre de l’examen en matière d’intérêt public du Tribunal, la seule façon d’aborder ces problèmes était d’entreprendre un réexamen.

Motif 2 - Incohérences entre le dossier de l’enquête et celui de l’examen en matière d’intérêt public

United soutient que :

le Tribunal ne doit pas permettre aux parties d’obtenir des conclusions de dommage lorsqu’elles ne divulguent pas des documents pertinents ou présentent des témoignages trompeurs [14] .

[Traduction]

United affirme que plusieurs incohérences existent entre le dossier de l’enquête et celui de l’examen en matière d’intérêt public. Ces incohérences seraient prétendument dues au fait que, dans le cadre de l’enquête, Redpath, et en particulier M. Andrew A. Ferrier, président de Redpath, n’a pas ouvertement répondu aux demandes d’information ni donné d’éléments de preuve à l’audience. Les éléments de preuve en question concernent la stratégie de marketing de Redpath, ses résultats prévus en cas de conclusions de dommage et les plans d’expansion de sa capacité.

United soutient que, compte tenu du caractère «sélectif» des éléments de preuve que Redpath a choisi de présenter à l’enquête, le Tribunal devrait, pour protéger l’intégrité de son processus d’enquête, entreprendre un réexamen et annuler ses conclusions de menace de dommage.

Motif 3 - Changement de circonstances

United soutient que :

les circonstances entourant l’expansion de Redpath constituent un changement important de la situation de la branche de production canadienne qui justifie un nouvel examen du besoin de la protection qu’offrent des conclusions de menace de dommage [15] .

[Traduction]

United soutient que les renseignements versés au dossier de l’examen en mati?E8Šre d’intérêt public révèlent que la situation de Redpath a énormément changé par rapport à celle qu’elle a «rapportée» au Tribunal lors de l’enquête. Depuis que le Tribunal a rendu ses conclusions dans le cadre de l’enquête, Redpath a mis en œuvre un deuxième programme d’expansion de sa capacité (étape II) qui, lorsqu’il sera terminé [16] , réduira considérablement ses coûts de production. United souligne que puisque cette expansion réduira de beaucoup les coûts de production, Redpath sera un producteur à prix de revient bas capable d’être concurrentiel face à pratiquement tous les scénarios sur le marché. United prétend que, selon les éléments de preuve présentés dans le cadre de l’enquête, Redpath aurait subi des contrecoups plus graves que ses concurrents intérieurs [17] . Cependant, United fait remarquer que les éléments de preuve présentés dans le cadre de l’examen en matière d’intérêt public indiquent que, même à la suite des conclusions du Tribunal, compte tenu de ses coûts de production moins élevés, Redpath pouvait réduire ses marges nettes, ce qui pourrait avoir des conséquences pour ses concurrents intérieurs [18] .

United soutient que la capacité supplémentaire de Redpath ainsi que ses coûts inférieurs et leurs répercussions sur la compétitivité de cette société sont des motifs justifiant un réexamen.

La demande de réexamen de United ne renferme aucune proposition concernant la norme légale que le Tribunal devrait appliquer en déterminant si un réexamen est justifié en fonction d’un changement de circonstances. L’exposé n’indique pas non plus quels critères ou quelles normes le Tribunal devrait utiliser pour déterminer s’il y a lieu d’entreprendre un réexamen à partir de faits qui, bien qu’ils n’aient pas figuré au dossier au moment de l’enquête, existaient à ce moment-là.

EXPOSÉS PRÉSENTÉS EN RÉPONSE À LA DEMANDE DE RÉEXAMEN DE UNITED

Les exposés déposés par le CISU et le Conseil de l’industrie laitière ainsi que par CBP et Man avancent les mêmes motifs que ceux de United pour justifier un réexamen et sont essentiellement conformes à la demande de United. Les deux exposés ont insisté sur le fait que les parties comparaissant devant le Tribunal sont obligées de lui fournir tous les renseignements pertinents. Ils ont également fait remarquer que les parties qui dissimulent des renseignements pertinents ne devraient pas se voir récompenser en obtenant l’allégement qu’elles demandent.

Coca-Cola a déposé un exposé appuyant la demande de United. Coca-Cola avait soutenu lors de l’enquête que le sucre liquide constituait une catégorie distincte de marchandises similaires. Le Tribunal n’a pas accepté cet argument. Dans son exposé, Coca-Cola soutient que, en s’appuyant sur les documents versés au dossier de l’examen en matière d’intérêt public, le Tribunal devrait revenir sur sa décision de ne pas considérer le sucre liquide comme une catégorie distincte de marchandises similaires.

L’ICS et l’Association ont déposé des exposés pour s’opposer à la demande de United. L’ICS et l’Association soutiennent que, depuis toujours, le Tribunal n’a entrepris un réexamen intérimaire que lorsqu’il est convaincu qu’il existe des indications raisonnables établissant que les circonstances ayant servi de fondement à ses conclusions ont changé. Les deux parties prétendent que la demande de réexamen de United ne fournit aucune indication du genre et que le Tribunal devrait, par conséquent, rejeter la demande de United pour ce seul motif.

En ce qui concerne le fait que, dans l’enquête, le Tribunal n’a pas été informé du plan d’expansion de la capacité de Redpath, l’ICS soutient que le plan de Redpath n’avait aucun rapport avec l’enquête du Tribunal parce que :

- alors que la période visée par l’enquête du Tribunal portait sur ce qui s’était produit sur le marché canadien au cours des quatre années et demie précédant l’enquête du Sous-ministre, le plan de Redpath portait sur ce qui serait arrivé si la situation du marché qui prévalait après la décision provisoire du Sous-ministre s’était maintenue;

- il n’y aurait pas eu d’expansion importante si la branche de production nationale n’avait pas réussi à obtenir des conclusions de dommage (c.-à-d. qu’un plan d’expansion qui dépend des conclusions de dommage n’était pas pertinent).

De plus, l’ICS fait valoir que, au moment de l’enquête, Redpath repr?E9‚sentait moins du tiers de la capacité de raffinage intérieur. De l’avis de l’ICS, les allégations de United, même si elles étaient acceptées, ne portent pas atteinte à la prépondérance des éléments de preuve de Redpath. De plus, les allégations de United n’affaiblissent en rien les éléments prouvant l’existence d’un dommage avancés par Rogers et Lantic, qui, ensemble, représentent le reste de la branche de production nationale. Selon l’ICS, le plan d’expansion éventuel de Redpath n’est simplement pas important si on le compare à tous les autres éléments de Redpath prouvant un dommage ainsi qu’aux «éléments de preuve de dommage» de Rogers et de Lantic.

En ce qui concerne l’allégation de United selon laquelle M. Ferrier a induit le Tribunal en erreur lors de son enquête concernant le plan de Redpath d’enlever des clients à ses concurrents intérieurs, l’ICS soutient que de nombreux éléments de preuve figurant au dossier de l’enquête indiquent que Redpath faisait une vive concurrence aux autres producteurs nationaux pour occuper une part du marché et qu’elle avait déjà obtenu un important volume de ventes futures de l’un des principaux clients de ses concurrents. L’ICS soutient que Redpath avait l’intention d’augmenter considérablement sa part, en remplaçant des importations ou en obtenant les volumes intérieurs existant; somme toute, la croissance serait issue du marché. En d’autres termes, M. Ferrier n’a jamais nié qu’une partie au moins de la stratégie de Redpath pourrait consister à enlever certains clients à ses concurrents.

Comme cela a été indiqué, l’Association soutient que United n’a pas fourni d’indications raisonnables d?92'un changement de circonstances justifiant un réexamen. L’Association appuie également la position prise par l’ICS concernant la pertinence et l’importance des éléments de preuve prétendument dissimulés.

Enfin, l’Association estime que la demande de réexamen de United, du moins dans la mesure où elle s’appuie sur l’allégation d’un témoignage trompeur et d’une dissimulation de documents, est analogue à une demande présentée à un tribunal en vue d’annuler un jugement obtenu frauduleusement. Dans des cas de ce genre, les tribunaux appliquent un critère en neuf points rigoureux pour décider si le jugement sera cassé. L’Association soutient que United n’a pas satisfait à ces exigences.

POUVOIR DE RÉEXAMEN DU TRIBUNAL

L’article 76 de la LMSI donne au Tribunal le pouvoir de procéder à des réexamens. Les dispositions de l’article 76 qui sont pertinentes à la présente cause sont les suivantes :

(2) Le Tribunal peut, de sa propre initiative ou à la demande du sous-ministre, de toute autre personne ou d’un gouvernement, réexaminer une ordonnance ou des conclusions rendues en vertu des articles 3 à 6 et, à cette fin, accorder une nouvelle audition sur toute question.

(3) Le Tribunal ne fait droit à une demande de réexamen aux termes des paragraphes (2) ou (2.1) que si le demandeur le convainc du bien-fondé de celle-ci.

(4) À la fin du réexamen visé au paragraphe (2), le Tribunal rend une ordonnance motivée annulant ou prorogeant l’ordonnance ou les conclusions avec ou sans modification, selon le cas.

Le Tribunal est d’avis que l’article 76 de la LMSI lui laisse un large pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu d’entreprendre un réexamen, de procéder à un réexamen et de disposer d’un réexamen. Le pouvoir de réexaminer du Tribunal a donné lieu à un examen judiciaire limité. Cependant, des pouvoirs de réexamen semblables d’autres tribunaux administratifs ont été qualifiés par la Cour suprême du Canada d’un «plenary independent power [19] » ([traduction] pouvoir indépendant absolu).

Le Tribunal effectue deux types de réexamen, des réexamens «de temporarisation» ou selon un délai fixe et des réexamens «intérimaires». La demande de United porte sur un réexamen intérimaire. Dans son exposé, l’ICS déclare que, en décidant s’il doit ou non entreprendre un réexamen, le Tribunal doit déterminer s’il y a eu un changement important de circonstances justifiant un réexamen. Cet exposé tient compte du fait que, depuis toujours, le Tribunal a procédé à des réexamens intérimaires lorsqu’il existait des indications raisonnables établissant que les circonstances sur lesquelles les conclusions étaient fondées avaient substantiellement changé.

Cependant, le Tribunal souligne que ni la LMSI ni le Règlement sur les mesures spéciales d’importation [20] (le Règlement) ni les Règles du Tribunal ne précisent les motifs à partir desquels le Tribunal peut entreprendre un réexamen. Compte tenu des larges pouvoirs de réexamen énoncés à l’article 76 de la LMSI, le Tribunal n’accepte pas comme question de droit que, en absence d’un changement important de circonstances, il ne peut ou ne devrait pas entreprendre un réexamen intérimaire [21] . En décidant s’il doit entreprendre un réexamen, le Tribunal doit, bien entendu, exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux objets de la LMSI. Or, de l’avis du Tribunal, le principal objet de la LMSI est de protéger les branches de production nationale contre tout dommage sensible ou menace de dommage causé par le dumping ou le subventionnement des importations.

Le Tribunal a systématiquement soutenu qu’aux termes du paragraphe 76(3) de la LMSI, il incombe aux personnes qui demandent un réexamen de convaincre le Tribunal du bien-fondé de celui-ci. Le Tribunal, dans la présente cause, reprend cette position à son compte. Dans la demande de réexamen no RD-93-001 [22] , le Tribunal a déclaré :

Aux termes du paragraphe 76(3) de la LMSI, le Tribunal ne fait droit à une demande de réexamen des conclusions déposée par une personne ou par un gouvernement que si le demandeur le convainc du bien-fondé de celle-ci. Par conséquent, les renseignements fournis par cette personne ou par ce gouvernement doivent être de nature à répondre à cette condition préliminaire imposée par la loi. Le Tribunal doit être convaincu, sur la foi des faits que lui présentent les parties intéressées par le réexamen, qu’un réexamen est justifié [23] .

MOTIFS DE LA DÉCISION

Coca-Cola

Coca-Cola a demandé au Tribunal de revenir sur sa décision de ne pas considérer le sucre liquide comme une catégorie distincte de marchandises similaires et de ne pas exclure le sucre liquide de ses conclusions de menace de dommage. À l’appui de sa demande, Coca-Cola a renvoyé le Tribunal à certains documents confidentiels déposés dans le cadre de l’examen en matière d’intérêt public qui, selon elle, renforçaient son affirmation selon laquelle c’était la concurrence du sirop de maïs enrichi en fructose (HFCS), et non pas les importations des marchandises en question, qui déterminait le volume des ventes et le prix du sucre liquide. Le Tribunal a examiné les documents invoqués.

Dans son exposé des motifs présentés dans le cadre de l’enquête, le Tribunal a conclu que le sucre liquide ne devait pas être considéré comme une catégorie distincte de marchandises similaires pour diverses raisons, notamment à cause du fait que, selon le Tribunal, «le sucre liquide et les autres formes de marchandises en question ont la même utilisation finale du point de vue fonctionnel, se font la concurrence et sont substituables l’un à l’autre dans de nombreuses applications [24] ». Le Tribunal a également décidé de ne pas accorder une série d’exclusions demandées parce que toutes les exclusions, incluant l’exclusion concernant le sucre liquide, portaient «sur des marchandises que la branche de production nationale produit actuellement et qui sont facilement substituables à des marchandises produites à l’intérieur ou qui peuvent les concurrencer directement [25] ». Le Tribunal a fait remarquer que la presque totalité des marchandises en question sur lesquelles le Sous-ministre avait fait enquête avaient été sous-évaluées ou à la fois sous-évaluées et subventionnées selon des marges de dumping moyennes pondérées et des niveaux de subvention importants. La concurrence du HFCS, et son incidence sur les marges des raffineurs, a également été analysée dans l’exposé des motifs du Tribunal dans le cadre de l’enquête [26] .

Les documents auxquels Coca-Cola a renvoyé ne changent rien au fait que la plus grande partie du sucre liquide est simplement du sucre en granules auquel de l’eau a été ajoutée, et n’ajoutent rien de vraiment important à la connaissance qu’a le Tribunal des rapports concurrentiels existant entre le sucre liquide et le HFCS. Le Tribunal est, par conséquent, d’avis qu’ils ne remettent pas en cause la validité permanente des conclusions du Tribunal portant sur le sucre liquide ni la pertinence continue des conclusions du Tribunal dans leur ensemble. Par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu, en se fondant sur les motifs avancés par Coca-Cola, du bien-fondé d’un réexamen.

United

Comme cela a été indiqué, la demande de réexamen de United repose sur trois motifs. Le Tribunal a décidé d’aborder en premier lieu le motif fondé sur un «changement de circonstances», et examinera ensuite les deux autres motifs avancés par United. Le Tribunal a décidé d’examiner les motifs dans cet ordre parce que le sommaire des faits qu’exige l’examen du motif fondé sur un «changement de circonstances» aidera à examiner les deux autres motifs de United.

Changement de circonstances

En expliquant les raisons pour lesquelles le Tribunal a rejeté la demande de réexamen dans son exposé des motifs publié dans le cadre de la demande de réexamen no RD-89-009 [27] , le Tribunal a maintenu à un niveau assez élevé le seuil à franchir pour entreprendre des réexamens intérimaires. Sans être lié par ses décisions antérieures, le Tribunal, dans cette cause, estime que son approche a, jusqu’à ce jour, été la bonne. Dans la demande de réexamen no RD-89-009, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

Le Tribunal note qu’un réexamen, en vertu de l’article 76 de la LMSI, a pour but de déterminer s’il existe des motifs pour maintenir, modifier ou éliminer des conclusions existantes de préjudice à la production nationale. De tels motifs existeraient si les conditions qui ont causé le préjudice avaient changé suffisamment pour indiquer que les conclusions n’étaient plus pertinentes, en tout ou en partie. Les renseignements pertinents à un tel réexamen pourraient inclure des changements à la structure de l’industrie, à la situation financière, au mélange du produit, aux comportements en matière de mise en marché ou de consommation de même que, dans les cas de droits compensateurs, aux changements importants à la nature permanente des niveaux de subvention [28] .

L’argument de fond de ce passage a été cité dans plusieurs causes de demandes de réexamen avec l’approbation du Tribunal [29] . Le Tribunal a, de temps à autre, constaté que les circonstances sur lesquelles reposaient des conclusions avaient suffisamment changé pour justifier un réexamen. Cependant, conformément à l’approche adoptée dans le cadre de la demande de réexamen no RR-89-009, il n’a entrepris un réexamen que lorsqu’il existait des indications d’un changement fondamental de circonstances. Par exemple, dans le cadre du réexamen no RR-91-005 [30] , le Tribunal a conclu qu’un réexamen était justifié dans la mesure où des éléments de preuve indiquaient que «le seul producteur canadien [...] ne fabriquait plus les marchandises en question [31] ». Dans le cadre du réexamen no RR-94-001 [32] , le Tribunal a décidé d’entreprendre un réexamen intérimaire, étant donné qu’il existait des indications raisonnables d’un changement du marché de la bière en Colombie-Britannique, de nature à soulever un doute sur la question de savoir si la Colombie-Britannique continuait d’être un marché régional. En effet, les conclusions de dommage du Tribunal étaient, dans cette cause, fondées sur l’existence d’un marché régional.

Le changement de circonstances sur lequel United et les parties soutenant sa demande s’appuient est, pour l’essentiel, le suivant :

- Redpath s’est lancée dans la réalisation d’un programme d’expansion de sa capacité qui, une fois pleinement mis en œuvre, réduira considérablement ses coûts de production;

- Redpath a mis en œuvre une stratégie de marketing pour enlever à ses concurrents intérieurs certains de leurs principaux clients;

- compte tenu de sa nouvelle capacité et du plan de marketing mis en œuvre, Redpath pourrait réduire ses marges nettes, ce qui, par ricochet, pourrait avoir des conséquences pour ses concurrents intérieurs.

Comme cela a été indiqué, en déterminant si un changement de circonstances suffit à justifier un réexamen, le Tribunal se demande si les circonstances semblent avoir changé au point de remettre en question la pertinence continue d’une ordonnance ou de conclusions. En concluant que le dumping et le subventionnement du sucre en question, dans le cadre de l’enquête, menaçaient de causer un dommage sensible à la branche de production nationale, le Tribunal a pris en compte les facteurs énumérés aux paragraphes 37(2) et (3) du Règlement.

Dans le cadre de l’enquête, en ce qui concerne l’Union européenne, le Tribunal a établi que les subventions en cause continueraient d’être offertes aux producteurs et aux exportateurs dans un avenir prévisible, que l’Union européenne, qui était un importateur net de sucre dans les années 70, était devenue le plus gros exportateur de sucre au monde et que les stocks de sucre excédentaires de l’Union européenne étaient près de deux fois plus élevés que le marché apparent annuel au Canada. Tout en reconnaissant que les importations sur le marché canadien de sucre raffiné originaire de l’Union européenne avaient diminué depuis quelques années, le Tribunal a attribué ce fait à l’entrée en scène de certains fournisseurs des États-Unis ainsi qu’à la décision prise par la branche de production nationale de défendre sa part du marché [33] . Le Tribunal a constaté que les États-Unis ont un programme sur le sucre qui maintient le prix intérieur du sucre dans leur pays à des niveaux bien supérieurs aux prix mondiaux. Le Tribunal s’est fait dire que, jumelé à la forte intensité capitalistique des activités de raffinage du sucre qui incite à augmenter les économies d’échelle et à maximiser la production, ce programme a favorisé une production supérieure aux besoins intérieurs [34] .

Le Tribunal souligne que United n’allègue pas que les circonstances ont changé du côté de l’Union européenne ou des États-Unis. Les seules circonstances qui auraient prétendument changé concernent la branche de production nationale. De plus, ces prétendus changements touchent presque exclusivement Redpath. Bien que certains «changements» de Redpath puissent avoir une incidence sur Lantic et sur Rogers, le Tribunal est d’avis qu’ils n’ont, en rien, aidé à diminuer la vulnérabilité de ces sociétés face à la menace créée par des importations sous-évaluées ou subventionnées de sucre raffiné en provenance des États-Unis et de l’Union européenne.

Reste donc au Tribunal à considérer si les changements de circonstances de Redpath sont suffisants à eux seuls pour justifier un réexamen. À cet égard, le Tribunal fait d’abord remarquer que, au moment de l’enquête, Redpath représentait moins du tiers de la capacité de la branche de production nationale. Dans son exposé des motifs, le Tribunal a examiné les effets du dumping et du subventionnement et constaté que, pour conserver sa part du marché, la branche de production nationale avait adopté une stratégie de «tolérance zéro» en matière de prix. Le Tribunal a constaté que la principale cause de la baisse des marges nettes de la branche de production était les ventes et les offres de sucre sous-évalué et subventionné. En rendant ses conclusions de menace de dommage, le Tribunal a déclaré que, si des droits antidumping et des droits compensateurs n’étaient pas imposés, la pression à la baisse sur les marges nettes reprendrait [35] et la branche de production nationale ne pourrait maintenir indéfiniment sa stratégie de «tolérance zéro».

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal estime qu’il n’est pas anormal que Redpath ait lancé un programme visant à réduire ses coûts afin d’être plus compétitive, et il ne peut accepter que la concurrence accrue entre les producteurs nationaux pendant et après l’enquête du Tribunal devienne un motif de réexamen de ses conclusions. Le Tribunal souligne que l’expansion de Redpath ne sera pleinement réalisée qu’en janvier 1997. Il fait également remarquer que les économies que Redpath espère ainsi réaliser sont des estimations, conditionnelles à l’atteinte d’un certain niveau de production. Reste donc à voir si Redpath réalisera les économies de coûts visées et, en particulier, si elle atteindra le niveau de production requis.

De plus, le fait que Redpath soit disposée à accepter des marges nettes d’un niveau égal ou presque égal à celui antérieur à l’enquête n’est pas, en soi, un élément prouvant que les conclusions ne sont plus appropriées. Si Redpath réussit à réduire ses coûts de production autant que le prévoit l’estimation, elle serait peut-être prête à accepter des marges nettes d’un niveau comparable à celui qui existait avant l’enquête pour certains de ses clients, tout en continuant de réaliser des profits acceptables [36] . Cependant, rien ne pousse le Tribunal à croire que, si les conclusions sont annulées, les importations de sucre raffiné en provenance des États-Unis et de l’Union européenne ne reprendront pas à des prix sous-évalués et subventionnés. Dans l’exposé des motifs publié dans le cadre de l’enquête, le Tribunal a déclaré ce qui suit :

En bref, les programmes sur le sucre en vigueur aux États-Unis et dans l’Union européenne incitent les producteurs de sucre dans ces pays à produire plus de sucre raffiné qu’ils n’en ont besoin. Ces excédents doivent être vendus sur le marché des exportations ou stockés. De plus, les deux administrations ont mis en place des programmes qui encouragent les exportations de sucre raffiné. Même si les États-Unis et l’Europe sont parmi les plus grands marchés de sucre raffiné au monde, ces marchés ne sont aucunement fermés aux importations. Par conséquent, il est clair que les États-Unis et l’Europe n’exporteront pas sur leurs marchés. Comme le Canada est un grand marché libre pour le sucre et qu’il est situé à une distance raisonnable de transport, particulièrement à partir des États-Unis, il est également évident pour le Tribunal que les exportateurs aux États-Unis et dans l’Union européenne seront toujours incités à vendre sur ce marché. En raison du niveau très élevé du soutien des prix dans ces administrations, le sucre raffiné exporté au Canada sera presque assurément sous-évalué et, dans le cas des exportations de l’Union européenne, sous-évalué et subventionné [37] .

Comme cela a été indiqué, United n’a pas allégué un changement de dynamique des marchés des États-Unis et de l’Union européenne, et le Tribunal ne trouve aucune raison de conclure que les exportateurs de sucre aux États-Unis et dans l’Union européenne ne fixeront pas le prix de leur sucre à des niveaux leur permettant de le vendre sur le marché canadien. Le Tribunal renvoie aux éléments de preuve soumis par United dans le cadre de l’enquête selon lesquels, si le Tribunal avait rendu des conclusions de non-dommage, United serait revenue probablement aussitôt sur le marché canadien [38] .

Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal n’est pas convaincu que le changement de circonstances invoqué par United justifie un réexamen.

Renseignements pertinents qui n’ont pas été déposés auprès du Tribunal dans le cadre de l’enquête

United soutient que des documents pertinents pour l’enquête du Tribunal et à la disposition de la branche de production nationale au moment de l’enquête auraient dû être versés au dossier et que les avocats et procureurs auraient dû avoir l’occasion de contre-interroger sur ces documents. Les documents en question sont les mêmes que ceux qui ont été analysés ci-dessus et concernent la stratégie d’expansion de Redpath.

L’ICS soutient que le plan d’expansion de la capacité de Redpath n’avait aucun rapport avec l’enquête du Tribunal, puisqu’il était conditionnel à l’obtention par Redpath de conclusions de dommage et puisque la période visée par l’enquête du Tribunal portait sur ce qui s’était produit au cours des quatre années et demie précédant l’enquête du Sous-ministre. L’ICS affirme que, même si les renseignements en question étaient pertinents, ils n’étaient pas «importants».

Le Tribunal est d’avis que, pour évaluer la pertinence du plan d’expansion de Redpath, il faut examiner séparément l’étape I de ce plan de son étape II. L’argument de l’ICS concernant la pertinence de ce plan, du moins en ce qui concerne la première étape, est imparfait. D’abord, le Tribunal fait remarquer que l’étape I a été approuvée sans condition au printemps de 1995. Deuxièmement, le Tribunal ne peut accepter l’argument selon lequel, parce qu’un événement se produit après la période d’enquête choisie par le Tribunal, il n’est pas pertinent pour une enquête. Il faut se rappeler que l’étape I du plan d’expansion de la capacité de Redpath a principalement été mise en œuvre pour permettre à cette société d’obtenir une part du marché sur certains secteurs du marché à marge plus élevée. Cela entraînerait également une réduction modérée des coûts des marchandises vendues par Redpath. En tant que telle, cette étape était donc pertinente à la question de la menace de dommage et peut-être du dommage.

De l’avis du Tribunal, l’étape II du plan d’expansion de la capacité de Redpath n’avait que peu ou pas de rapport avec l’enquête du Tribunal. Ce point de vue repose sur le fait que l’étape II était conditionnelle à l’obtention par la branche de production nationale de conclusions de dommage. Que Redpath soit retournée à Tate & Lyle si la branche de production n’avait pas obtenu de conclusions de dommage et, ce qui est encore plus important, que Tate & Lyle eût approuvé à ce moment-là l’étape II relève, de l’avis du Tribunal, du domaine de la spéculation.

Selon le Tribunal, le plan de Redpath consistant à cibler les clients de ses concurrents n’avait qu’un rapport marginal avec l’enquête. Ce plan n’a été mis en œuvre qu’après la publication de la décision provisoire du Sous-ministre. Le Tribunal fait remarquer que, dans le cadre de l’enquête, le Tribunal a entendu des témoignages portant sur un gros client qui est passé d’un autre producteur national à Redpath en septembre 1995. Cependant, après la décision provisoire, des droits provisoires ont été imposés et presque toutes les importations sous-évaluées et subventionnées ont disparu du marché. De l’avis du Tribunal, la concurrence qui s’est produite au sein même de la branche de production sur ce marché après la décision provisoire, en l’absence de marchandises sous-évaluées et subventionnées, n’aide guère à comprendre la dynamique du marché et, en particulier, à déterminer si le dumping ou le subventionnement causent un dommage ou une menace de dommage. Le Tribunal souligne que la perte de tous les clients, qui constituait le fondement de l’argument de Lantic à l’appui du dommage, était survenue au cours de la période précédant la mise en œuvre de la stratégie de Redpath. En d’autres termes, on ne peut mettre sur le compte de cette stratégie les clients perdus dont le Tribunal a tenu compte pour rendre ses conclusions.

Le motif des «éléments de preuve pertinents» de United est, essentiellement, une demande présentée au Tribunal de réexaminer ses conclusions du fait qu’il existait, au moment de l’enquête, des éléments de preuve pertinents qui n’ont pas été déposés auprès du Tribunal. Ce dernier est d’avis que son pouvoir de réexamen est assez large pour lui permettre d’entreprendre un réexamen pour ce motif, s’il estime que les circonstances justifient un tel réexamen [39] . À sa connaissance, le Tribunal n’a jamais considéré une demande de réexamen fondée sur de «nouveaux éléments de preuve». En examinant cette question, le Tribunal a, par conséquent, jugé utile de considérer les approches adoptées par d’autres tribunaux dans des circonstances semblables. Dans l’affaire Re Jordan c. York University Faculty Association [40] , la Haute Cour de justice de l’Ontario a tenu compte d’une décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario (la CRT) de ne pas réexaminer une question. La demande de réexamen reposait, en partie, sur des renseignements qui existaient au moment des procédures initiales de la CRT mais qui n’avaient pas fait partie des éléments de preuve. En décidant de ne pas entreprendre un réexamen, la CRT a déclaré que la partie demandant un réexamen devait prouver :

- que les prétendus nouveaux éléments de preuve qu’il s’agirait d’examiner n’auraient pu être obtenus en faisant preuve de diligence raisonnable et présentés à l’audience initiale;

- qu’il existait une forte probabilité que les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence importante et déterminante sur la décision que l’on cherchait à faire annuler.

En confirmant la décision de la CRT, la Haute Cour de justice de l’Ontario a souligné que le critère utilisé par la CRT était semblable à celui dont les tribunaux se servent pour décider s’ils doivent accepter «fresh evidence after a judgment has been pronounced [41] » ([traduction] de nouveaux éléments de preuve après qu’un jugement a été rendu). Elle a fait remarquer que la CRT avait le pouvoir de fixer ses propres pratiques et procédures. Elle a ensuite conclu que la CRT n’avait rien fait d’incorrect en adoptant le critère à deux volets.

Nonobstant le fait que le critère de la CRT a été confirmé dans l’affaire Re Jordan, le Tribunal est d’avis que, compte tenu de l’objectif poursuivi, le deuxième volet du critère de la CRT est peut-être trop rigoureux. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une cause reposant sur de «nouveaux éléments de preuve», le Tribunal préfère l’approche préconisée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Wilson Reinerio Castro c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration [42] . Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a examiné le pouvoir de la Commission d’appel de l’immigration (la CAI) de rouvrir une décision d’appel. La CAI avait refusé de rouvrir sa décision parce que les éléments de preuve en question n’étaient pas de nature à avoir «probablement, sinon certainement, pour effet d’établir des faits qui justifieraient une décision différente [43] ». Soulignant que l’objet sous-jacent de la compétence de la CAI est équitable, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la CAI parce que celle-ci avait appliqué un critère trop rigoureux. La Cour d’appel fédérale a déclaré :

Pour obtenir une réouverture, j’estime qu’il est suffisant que la preuve offerte établisse l’existence d’une possibilité raisonnable, et non d’une probabilité, qui justifierait [la CAI] de modifier sa décision initiale [44] .

Comme cela a été indiqué, le Tribunal est d’avis que l’étape I du plan d’expansion de Redpath était pertinente pour l’enquête. Cependant, bien que, du point de vue de son orientation, l’expansion de Redpath pourrait la rendre moins sensible à la menace de dommage que présentaient les marchandises sous-évaluées ou subventionnées, du point de vue de son importance, le Tribunal n’est pas convaincu que, s’il avait été mis au courant de l’existence de l’étape I au moment de son enquête, il existait une possibilité raisonnable que cela aurait modifié les conclusions. Pour en arriver là, le Tribunal tient compte du fait qu’aucun des éléments de preuve concernant les États-Unis, l’Union européenne, Rogers ou Lantic n’a été contesté et que la prépondérance des éléments de preuve de Redpath demeure intacte. Enfin, le Tribunal ne croit pas que, du fait que l’étape I du plan de Redpath était inconnue des parties à l’enquête, des champs d’enquête dont on aurait raisonnablement pu s’attendre qu’ils modifient les conclusions ultimes aient été écartés ou évités. À cet égard, le Tribunal souligne que la question de la concurrence au sein même de la branche de production a été longuement analysée dans l’enquête et que le Tribunal en a tenu compte dans ses conclusions [45] .

Le Tribunal est d’avis que l’approche adoptée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Castro ressemble à celle qu’il a lui-même adoptée dans des réexamens fondés sur un «changement de circonstances». Selon cette approche, le Tribunal tient compte de toutes les circonstances de la cause et détermine si les conclusions demeurent pertinentes. Elle présume que, en l’absence d’indications raisonnables d’un tel changement de circonstances, les conclusions ne doivent pas être réexaminées. Le critère de la Cour d’appel fédérale oblige la CAI à se demander s’il existe une possibilité raisonnable que de nouveaux éléments de preuve puissent modifier sa décision. Ces deux critères portent sur la question de savoir si les nouveaux renseignements ou nouveaux éléments de preuve soulèvent un doute quant à la pertinence ou la justesse continue de la décision initiale.

De l’avis du Tribunal, qu’une demande de réexamen soit fondée sur un changement de circonstances survenu après les conclusions ou sur de nouveaux éléments de preuve, la question fondamentale demeure la même. Compte tenu du changement de circonstances ou des nouveaux éléments de preuve, les conclusions du Tribunal continuent-elles d’être pertinentes? Autrement dit, le Tribunal devrait-il entreprendre un réexamen de conclusions, même s’il conclut que ni le changement de circonstances ni les nouveaux éléments de preuve ne fournissent des indications raisonnables établissant que les conclusions ne sont plus pertinentes?

Le motif de United fondé sur le «changement de circonstances» et celui qui repose sur les «nouveaux éléments de preuve» se recoupent en grande partie; le premier motif fait de la stratégie d’expansion de Redpath un changement de circonstances justifiant un réexamen, tandis que le dernier renvoie au fait que les éléments de preuve se rapportant à ces mêmes questions n’ont pas été déposés auprès du Tribunal dans le cadre de l’enquête. Compte tenu de ce chevauchement et de l’avis du Tribunal selon lequel la question fondamentale est la même, qu’il s’agisse d’une demande fondée sur un changement de circonstances ou sur de nouveaux éléments de preuve, pour les raisons énoncées ci-dessus ainsi que dans la section précédente, le Tribunal n’est pas convaincu qu’un réexamen est justifié à partir du motif de United fondé sur des «éléments de preuve pertinents».

Intégrité du processus d’enquête du Tribunal

United soutient que plusieurs incohérences existent entre le dossier de l’enquête et celui de l’examen en matière d’intérêt public. Les éléments de preuve en question concernent la stratégie de marketing de Redpath, ses résultats prévus en cas de conclusions de dommage et les plans d’expansion de sa capacité. United soutient que, compte tenu du caractère «sélectif» des éléments de preuve que Redpath a choisi de présenter à l’enquête, le Tribunal devrait, pour protéger l’intégrité de son processus d’enquête, procéder à un réexamen et annuler ses conclusions de menace de dommage.

En ce qui concerne l’allégation de United selon laquelle le Tribunal a été induit en erreur sur le plan de Redpath consistant à enlever des clients à ses concurrents intérieurs, l’ICS soutient qu’il y a de nombreux éléments de preuve au dossier de l’enquête indiquant que Redpath faisait une vive concurrence aux autres producteurs nationaux pour accaparer une part du marché. L’ICS affirme que, en ce qui concerne l’expansion de la capacité, le Tribunal n’a pas été induit en erreur, puisque le plan d’expansion de Redpath n’avait aucun rapport avec l’enquête du Tribunal.

Le Tribunal n’a jamais été mis en présence d’une demande de réexamen fondée sur des motifs d’«intégrité». Il existe relativement peu de causes dans lesquelles des questions semblables ont été débattues. Le Tribunal a examiné plusieurs causes portant sur des décisions ou des jugements prétendument obtenus par des voies frauduleuses ainsi qu’une cause dans laquelle une cour a examiné le pouvoir d’un tribunal de réexaminer sa décision en vue purement de maintenir l’intégrité de son processus. Ces deux types de causes sont discutés à tour de rôle ci-dessous.

Fraude

Les causes dans lesquelles les tribunaux administratifs ont annulé leurs décisions pour des motifs de fraude ou de fausse déclaration sont normalement celles dans lesquelles une partie qui a gain de cause a induit un tribunal en erreur sur un aspect fondamental de la cause [46] . Les causes traitant de l’annulation de jugements de première instance obtenus par voie frauduleuse sont semblables à cet égard. Dans l’affaire 100 Main Street East Ltd. c. Sakas [47] , la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé une décision d’un tribunal inférieur annulant un jugement de première instance obtenu par voie frauduleuse. Dans cette affaire, l’appelant, qui avait convenu de vendre un terrain à l’intimé, a refusé de conclure la vente, et l’intimé lui a lancé une poursuite. L’appelant maintenait qu’il ne pouvait conclure la transaction parce que son associé refusait de fournir un acte transférant le terrain à l’acquéreur. Cependant, il a omis de dire à la Haute Cour de l’Ontario qu’après avoir signé le contrat de vente avec l’intimé, il avait passé un deuxième contrat en vertu duquel il acceptait de vendre le même terrain à son associé, mais à un prix plus élevé. Après avoir analysé plusieurs causes antérieures, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit :

These authorities make it clear that the new evidence of fraud must relate to the “foundation” of the decision or be “material” to the claim or defence, but need not necessarily amount to a “determining factor in the result.” [48]

([Traduction] Il est clair d’après la jurisprudence que les nouveaux éléments de preuve de fraude doivent porter sur le «fondement» de la décision ou être «importants» par rapport à la demande ou à la défense, sans avoir nécessairement à constituer un «facteur qui détermine le résultat».)

Les causes précédentes ont deux éléments en commun. D’abord, bien entendu, il faut qu’il y ait eu une fraude. Le plus souvent, celle-ci existe lorsqu’une partie ou un témoin induit un tribunal en erreur concernant une des questions en cause dans les délibérations. Deuxièmement, la fraude doit porter sur une question liée au fondement de la décision ou qui est importante pour celle-ci. Le Tribunal estime que cette approche générale est sûre et il l’a appliquée aux domaines au sujet desquels on prétend que le Tribunal a été induit en erreur.

- Expansion de la capacité de Redpath

L’ICS prétend que, puisque le plan d’expansion de la capacité de Redpath n’a été approuvé qu’après la période visée par les questionnaires du Tribunal, période qui s’est terminée le 31 mars 1995, Redpath n’était pas obligée de fournir ce renseignement. D’un point de vue purement technique, cette réponse est peut-être vraie, mais elle est moins que candide, puisqu’il aurait été très apparent pour Redpath que l’étape I de son plan d’expansion aurait intéressé le Tribunal et les autres parties. Le fait admis que l’étape I du plan d’expansion a été approuvée peu de temps après la période visée par l’enquête du Tribunal donne beaucoup de poids à l’idée voulant que ce plan devait déjà être bien développé au moment de la dernière partie de cette période. De plus, ce n’est pas parce qu’un événement se produit après la période visée par un réexamen qu’il devient peu pertinent.

Cependant, pour les raisons énoncées ci-dessus, le Tribunal n’est pas convaincu que l’étape I du plan d’expansion était «importante». De plus, comme aucune question précise n’a été pos?E9‚e à Redpath concernant ses plans d’investissement en capital pour la période postérieure au 31 mars 1995, il est difficile de dire que l’omission de Redpath était frauduleuse. Le Tribunal a déjà indiqué que, à son avis, l’étape II du plan d’expansion de Redpath n’avait que peu ou pas de rapport avec l’enquête et, pour cette raison, le Tribunal ne la considère pas comme «importante».

- Le plan de Redpath visant à cibler d’autres producteurs nationaux

Il a été directement demandé à M. Ferrier, à plusieurs reprises, si Redpath avait ou non un plan visant à cibler les clients de ses concurrents intérieurs [49] . Celui-ci a uniformément répondu que Redpath avait l’intention d’accroître son volume sur le marché et que cela pourrait viser certains volumes de ses concurrents intérieurs. Cependant, de l’avis du Tribunal, selon les documents déposés dans le cadre de l’examen en matière d’intérêt public du Tribunal, Redpath avait effectivement une stratégie visant à cibler certains des clients de ses concurrents [50] . Le Tribunal a déjà conclu que ce plan n’avait qu’une importance marginale pour l’enquête. Nonobstant la position prise sur la pertinence, le Tribunal est troublé par ce qu’il considère être un manque de transparence de la part de M. Ferrier dans ses réponses à cette question. Le Tribunal s’attend à ce que toutes les parties et tous les témoins qui comparaissent devant lui répondent aux questions de façon véridique et complète.

- Calculs concernant la rentabilité des capitaux investis (RCI)

Comme United le souligne, il a été demandé à M. Ferrier quelle RCI Redpath réaliserait en 1996 si elle obtenait des conclusions de dommage. Celui-ci a répondu que cela dépendrait du marché [51] . Sans être fausse, cette réponse pouvait fort bien amener à la conclusion que Redpath n’avait effectué aucune prévision du genre. Or, selon les documents déposés dans le cadre de l’examen en matière d’intérêt public, au moment de l’enquête, Redpath avait établi des prévisions détaillées sur la rentabilité des capitaux. Bien que les prévisions concernant ce qu’une société pourrait gagner si elle obtenait des conclusions de dommage ne soient que d’une importance marginale relativement aux questions de dommage et de menace de dommage, la question a été posée à M. Ferrier et celui-ci a donné une réponse qui aurait pu induire le Tribunal en erreur. Encore une fois, nonobstant sa position concernant la pertinence de ces éléments de preuve, le manque de transparence dont M. Ferrier a fait preuve préoccupe le Tribunal.

Intégrité

Dans l’affaire Re Canadian Pacific Express Ltd. c. Ontario Highway Transport Board [52] , la question de savoir si la Commission des transports routiers de l’Ontario (la Commission) avait compétence pour entendre de nouveau certaines demandes a été renvoyée à la Haute Cour de justice de l’Ontario sous forme d’exposé de cause. La Commission avait décidé, de sa propre initiative, d’entendre de nouveau une affaire après qu’il eut été allégué par un demandeur éconduit que les motifs de la décision de la Commission de rejeter la demande avaient été rédigés par un avocat de l’une des parties qui s’était opposée à la demande. La Commission disposait d’un large pouvoir de réexamen et la Haute Cour de justice de l’Ontario a jugé que la Commission avait le pouvoir d’entendre de nouveau la demande [53] . Dans l’énoncé de son jugement, la Cour a fait remarquer que la Commission avait le devoir de préserver l’intégrité de son processus. Elle a déclaré ce qui suit :

When allegations are raised calling into question the integrity of the decisional process, whether they are proved in a Court of law or not, the Board, if it concludes they cast a significant doubt on the integrity of its proceedings, may take steps to remove the doubt by exercising the jurisdiction [to initiate a review]. [54]

([Traduction] Lorsque des allégations remettent en question l’intégrité du processus décisionnel, qu’elles soient ou non prouvées dans un tribunal de droit, la Commission peut, si elle conclut qu’elles jettent un doute important sur l’intégrité de ses délibérations, prendre des mesures pour dissiper le doute en exerçant le pouvoir [d’entreprendre un réexamen].)

Le Tribunal est préoccupé du manque de transparence dont il a été question ci-dessus. Cependant, lorsqu’on le replace dans le contexte d’ensemble des délibérations en question et de la masse des éléments de preuve qui n’ont pas été remis en question, le Tribunal estime que ces transgressions ne sont pas de nature à jeter une ombre sur l’intégrité du Tribunal en tant qu’institution ou sur l’intégrité fondamentale de son processus décisionnel dans la présente cause.

Le Tribunal n’est pas convaincu du bien-fondé d’un réexamen et, en application du paragraphe 76(3.1) de la LMSI, a par conséquent rejeté la demande de réexamen.

Lyle M. Russell
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Lyle M. Russell
Membre présidant



Charles A. Gracey
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Charles A. Gracey
Membre

OPINION DISSIDENTE DU MEMBRE COATES

J’ai lu le résumé des faits présenté par la majorité des membres et conviens qu’il reflète fidèlement, pour l’essentiel, l’historique de cette affaire. Cependant, contrairement à la conclusion à laquelle mes collègues sont parvenus, je suis d’avis, en me fiant aux faits, qu’un réexamen des conclusions du Tribunal est justifié dans la présente cause.

À mon avis, lorsqu’une partie appartenant à la branche de production nationale comparaît devant le Tribunal, il lui incombe de divulguer la totalité de ses activités jusqu’au jour de l’audience ainsi que ses plans pour l’avenir. Toute autre attitude induit le Tribunal en erreur quant à la situation véritable de la branche de production nationale. Sans aller jusqu’à dire que les éléments de preuve dissimulés par Redpath concernant l’expansion de sa capacité ou son intention de cibler certains des clients de ses concurrents constituent une fraude, je crois néanmoins que la non-divulgation de ces renseignements a altéré les conclusions du Tribunal. Même si un réexamen des conclusions du Tribunal conduisait au même résultat que dans l’enquête, la sauvegarde de l’intégrité du processus du Tribunal exige qu’un réexamen soit effectué pour que tous les faits se rapportant aux conclusions soient divulgués et que les parties ainsi que le Tribunal aient l’occasion de les examiner.

En ce qui concerne l’obligation du Tribunal de préserver l’intégrité de son processus, j’estime que l’extrait suivant, tiré de la décision rendue dans l’affaire Re Canadian Pacific [55] , est directement pertinent :

The respondents argue that the allegations have not been proven and, on the material before this Court, that is so. But there can be no question that the allegations throw serious doubt on the Board’s decision, and, in my opinion, it may remove that doubt and clear the air by initiating a rehearing under s. 17. Whether the allegations are established is not the real issue. What is at stake is the integrity of the Board’s process and, in my view, it is for the Board to determine in its judgment whether the charges warrant ordering the matter reheard.

...

Indeed, it is the respondents’ position, as I understand their argument, that a hearing by the Board on the rehearing question would serve no useful purpose in this particular situation. They contend that the Board erred, in any event, “in taking into account an alleged ‘shadow’ cast on the writing of the reasons”, and that an inquiry into the facts was required but such an inquiry, the argument runs, is beyond the statutory power of the Board and could be conducted only by the Courts.

...

For reasons already indicated, I think that position untenable. The Board has a duty to maintain the integrity of its administrative responsibility. When allegations are raised calling into question the integrity of the decisional process, whether they are proved in a Court of law or not, the Board, if it concludes they cast a significant doubt on the integrity of its proceedings, may take steps to remove the doubt by exercising the jurisdiction conferred on it by s. 17.

([Traduction] Les intimés soutiennent que les allégations n’ont pas été prouvées et, en ce qui concerne les renseignements présentés à cette Cour, il en est ainsi. Mais il ne fait aucun doute que les allégations jettent un doute sérieux sur la décision de la Commission et, à mon avis, celle-ci pourrait dissiper ce doute et nettoyer l’atmosphère en entreprenant une nouvelle audition de l’affaire aux termes de l’art. 17. Que les allégations soient ou non établies n’est pas la vraie question. Ce qui est en jeu, c’est l’intégrité du processus de la Commission et, à mon avis, il appartient à celle-ci de déterminer dans son jugement si les accusations justifient qu’elle rende une ordonnance de nouvelle audition.

[...]

En effet, les intimés soutiennent, pour autant que je comprenne leur argumentation, qu’une audience tenue par la Commission sur la question de la nouvelle audition ne servirait en réalité à rien dans cette situation en particulier. Ils prétendent que la Commission s’est trompée, de toute manière, «en prenant en compte une prétendue “ombre” jetée sur le libellé des motifs», et qu’une enquête sur les faits était requise mais qu’une telle enquête, selon leur argumentation, déborde le pouvoir statutaire de la Commission et ne peut être menée que par les tribunaux.

[...]

Pour les raisons déjà mentionnées, je crois que cette position est intenable. La Commission a l’obligation de préserver l’intégrité de sa responsabilité administrative. Lorsque des allégations remettent en question l’intégrité du processus décisionnel, qu’elles soient ou non prouvées dans un tribunal de droit, la Commission peut, si elle conclut qu’elles jettent un doute important sur l’intégrité de ses délibérations, prendre des mesures pour dissiper le doute en exerçant le pouvoir qui lui est conféré par l’art. 17.)

À mon avis, pour décider si un doute important a été soulevé au sujet de l’intégrité du processus du Tribunal au point de justifier un réexamen, l’élément à retenir est que, indépendamment de ce que le Tribunal pense de l’importance des renseignements, Redpath a estim 9‚ que les renseignements étaient importants pour les conclusions du Tribunal et les a délibérément dissimulés par crainte de leur incidence négative sur les conclusions du Tribunal.

Même si l’on peut prétendre que, puisque Redpath représente moins du tiers de la branche de production nationale, les renseignements ne pourraient influer que marginalement sur les conclusions de menace de dommage du Tribunal, Redpath n’en reste pas moins un participant important sur le marché. L’expansion de la capacité de Redpath en fera un participant encore plus important, et la protection que lui procurera les conclusions du Tribunal ne fera que renforcer cette position.

Comme les avocats et les procureurs des exportateurs et des importateurs n’ont pas eu l’occasion de vérifier l’exactitude des éléments de preuve pendant l’enquête, il est impossible de dire, avec une quelconque certitude, quel effet la divulgation de ces renseignements aurait eu à ce moment-là. Par conséquent, à mon avis, les éléments de preuve dissimulés par Redpath jettent une «ombre» sur les conclusions du Tribunal et, pour cette raison, remettent en question l’intégrité du processus du Tribunal. Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’un réexamen des conclusions du Tribunal est justifié.

Robert C. Coates, c.r.
_________________________
Robert C. Coates, c.r.
Membre


1. Le dumping au Canada du sucre raffiné originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la République de Corée, et le subventionnement du sucre raffiné originaire ou exporté de l’Union européenne , enquête n o NQ-95-002, Conclusions , le 6 novembre 1995, Exposé des motifs , le 21 novembre 1995.

2. L.R.C. (1985), ch. S - 15, modifiée par L.C. 1994, ch. 47.

3. Gazette du Canada Partie I, vol. 129, n o 29, le 22 juillet 1995 à la p. 2359.

4. Ibid. n o 43, le 28 octobre 1995 à la p. 3692.

5. L’imposition de droits antidumping à l’égard des importations de sucre raffiné, tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière, sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté des États-Unis d’Amérique, du Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni et l’imposition de droits compensateurs à l’égard des importations de sucre raffiné, tiré de la canne à sucre ou de la betterave sucrière, sous forme de granules, de liquide et de poudre, originaire ou exporté de l’Union européenne, examen en matière d’intérêt public n o PB-95-002, Examen par le Tribunal de la question de l’intérêt public , le 4 avril 1996.

6. United Sugars Corporation est un producteur de sucre américain qui, avant la décision provisoire du Sous-ministre, était un gros exportation de sucre raffiné au Canada. Il a été partie à la fois à l’enquête n o NQ-95-002 et à l’examen en matière d’intérêt public n o PB-95-002.

7. DORS/91-499, le 14 août 1991, Gazette du Canada Partie II, vol. 125, n o 18 à la p. 2912.

8. Demande de réexamen confidentielle de United au paragraphe 2.

9. Ibid. aux paragraphes 11 et 12.

10. Ibid. au paragraphe 8.

11. Ibid. au paragraphe 9.

12. Ibid. aux paragraphes 12 et 13.

13. Ibid. au paragraphe 15.

14. Ibid. au paragraphe 2.

15. Ibid .

16. L'exposé de l'ICS en réponse à la demande de réexamen de United indique que l'expansion de la capacité de Redpath sera terminée le 1 er janvier 1997.

17. Demande de réexamen confidentielle de United aux paragraphes 39 et 40.

18. Ibid. aux paragraphes 13 et 37.

19. Labour Relations Board of the Province of British Columbia and British Columbia Interior Fruit and Vegetable Workers Union, Local 1572 c. Oliver Co - Operative Growers Exchange , [1963] R.C.S. 7 à la p. 12; Bakery and Confectionery Workers International Union of America Local No. 468 and Matti Salmi and Svend Nielsen c. White Lunch Limited , [1966] R.C.S. 282 à la p. 294; et The Zeballos District Mine & Mill Workers Union, Local 851 c. The Labour Relations Board of British Columbia , [1966] R.C.S. 465 à la p. 473.

20. DORS/95-26, Gazette du Canada Partie II, vol. 129, n o 1, le 11 janvier 1995 à la p. 80.

21. Re Commercial Union Assurance c. Ontario Human Rights Commission (1987), 38 D.L.R. (4 e ) 405 (Ont. H.C.J. (Div. Ct.)), confirmé par (1988), 47 D.L.R. (4 e ) 477 (Ont. C.A.); et Re Merrens c. Municipality of Metropolitan Toronto (1973), 33 D.L.R. (3 e ) 513 (Ont. H.C. (Div. Ct.)).

22. Bicyclettes assemblées ou démontées, et cadres de bicyclettes, avec des roues d'un diamètre de 16 pouces (40,64 cm) et plus, originaires ou exportés de Taiwan et de la République populaire de Chine , Tribunal canadien du commerce extérieur, Ordonnance et Exposé des motifs , le 17 septembre 1993.

23. Ibid., Exposé des motifs à la p. 2.

24. Supra note 1, Exposé des motifs à la p. 16.

25. Ibid. à la p. 45.

26. Ibid. aux pp. 30-31.

27. Maïs-grain subventionné, sous toutes ses formes, à l'exception du maïs de semence, du maïs sucré et du maïs à éclater, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique, à l'exclusion du maïs-grain destiné à être consommé dans la province de la Colombie - Britannique et de certains maïs jaune et blanc dentés , Ordonnance et Exposé des motifs , le 9 avril 1990.

28. Ibid., Exposé des motifs à la p. 5.

29. Voir supra note 22; et Bottes et souliers en cuir pour dames, originaires ou exportés du Brésil, de la République populaire de Chine et de Taiwan; bottes en cuir pour dames, originaires ou exportées de la Pologne, de la Roumanie et de la Yougoslavie; et bottes et souliers autres qu'en cuir pour dames, originaires ou exportés de la République populaire de Chine et de Taiwan, Tribunal canadien du commerce extérieur, demande de réexamen n o RD-93-004, Ordonnance et Exposé des motifs , le 8 mars 1994.

30. Clés brutes de remplacement en laiton originaires ou exportées de l'Italie et produites par ou au nom de Silca S.p.A. de l'Italie, de ses successeurs et de ses cessionnaires , Tribunal canadien du commerce extérieur, Ordonnance et Exposé des motifs , le 1 er juin 1992. Voir, aussi, Certains raccords pour soudure en bout originaires ou exportés du Japon , Tribunal canadien du commerce extérieur, réexamen n o RR-92-002, Ordonnance et Exposé des motifs , le 13 novembre 1992.

31. Clés brutes, ibid. , Exposé des motifs à la p. 1.

32. Boisson de malt, communément appelée bière, d'une teneur alcoolique en volume d'au moins 1 p. 100 et d'au plus 6 p. 100, en bouteilles ou en boîtes d'au plus 1 180 mL (40 oz), originaire ou exportée des États-Unis d'Amérique par Pabst Brewing Company, G. Heileman Brewing Company Inc. et The Stroh Brewery Company, leurs successeurs et ayants droit, ou en leur nom, pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique , Tribunal canadien du commerce extérieur, Ordonnance et Exposé des motifs , le 2 décembre 1994.

33. Supra note 1, Exposé des motifs aux pp. 38-39.

34. Ibid. aux pp. 39-41.

35. La pression avait temporairement diminué parce que, à la suite de la décision provisoire du Sous - ministre, pratiquement toutes les importations sous-évaluées et subventionnées avaient disparu du marché.

36. Les marges nettes représentent la différence entre le prix de vente du raffineur au client et les coûts du sucre brut que doit supporter le raffineur. C'est le montant d'argent qui reste au raffineur après qu'il a payé le sucre brut avec lequel il peut couvrir ses dépenses internes (production, vente et administration, transports, etc.) et réaliser des profits. Ainsi, si les coûts de production diminuent en raison des économies d'échelle plus fortes, toutes choses étant égales, le raffineur peut théoriquement accepter une marge nette moins élevée et continuer néanmois de réaliser des gains acceptables.

37. Supra note 1, Exposé des motifs à la p. 42.

38. Ibid. à la p. 41.

39. Voir Re Commercial Union Assurance c. Ontario Human Rights Commission , supra note 21.

40. (1977), 19 O.R. (2 e ) 226 (Ont. H.C.J. (Div. Ct.)).

41. Ibid. à la p. 236. Voir, aussi, Royal Trust Co. c. E.M. Jones , [1962] R.C.S. 132; et Northwest Territories (Commissioner) c. Simpson Air (1981) Ltd. , non publié, [1994] N.W.T.J. n o 27, le 2 juin 1994 (N.W.T.S.C.).

42. Non publié, [1988] J.C.F. n o 532, n o du greffe A-149-87, le 3 juin 1988 (C.F.A.).

43. Ibid. à la p. 5.

44. Ibid.

45. Supra note 1, Exposé des motifs à la p. 32.

46. Voir, par exemple, Messier c. Canada (Solliciteur général) , non publié, [1985] J.C.F. n o 227, appel n o A - 648 - 84, le 20 mars 1985 (C.F.A.).

47. (1975), 58 D.L.R. (3 e ) 161 (Ont. C.A.).

48. Ibid. à la p. 165.

49. Voir, par exemple, enquête n o NQ-95-002, Transcription de la séance à huis clos , vol. 2, le 4 octobre 1995 à la p. 432.

50. Voir examen en matière d'intérêt public n o PB-95-002, pièce du Tribunal PB - 95 - 002 - 7.1, dossier administratif, vol. 4A aux pp. 32, 185-86 et 189-92.

51. Enquête n o NQ-95-002, Transcription de la séance à huis clos , vol. 1, le 3 octobre 1995 aux pp. 76-77 et vol. 2, le 4 octobre 1995 aux pp. 423-24.

52. (1979), 102 D.L.R. (3 e ) 288 (Ont. H.C.J. (Div. Ct.)).

53. L'article 17 de la loi habilitante de la Commission précise « [that it] may at any time and from time to time rehear any application and may review, amend or revoke its decisions, orders » ([traduction] elle peut à tout moment et de temps à autre entendre de nouveau une requête, et peut examiner de nouveau, modifier ou révoquer ses décisions ou ordonnances).

54. Supra note 52 à la p. 297.

55. Ibid. aux pp. 296 et 297.


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Publication initiale : le 29 octobre 1996