VIANDE DE BOEUF DÉSOSSÉE

Réexamens (article 76)


VIANDE DE BOEUF DÉSOSSÉE DESTINÉE À LA TRANSFORMATION ORIGINAIRE OU EXPORTÉE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE POUR LAQUELLE DES SUBVENTIONS ONT ÉTÉ PAYÉES DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT PAR LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE ET/OU PAR LE GOUVERNEMENT D'UN ÉTAT MEMBRE
Réexamen no : RR-90-006

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le lundi 22 juillet 1991

Réexamen no : RR-90-006

EU ÉGARD À un réexamen, en vertu du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, des conclusions de probabilité de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien des importations le 25 juillet 1986, dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86, au sujet de la :

VIANDE DE BOEUF DÉSOSSÉE DESTINÉE À LA TRANSFORMATION ORIGINAIRE OU EXPORTÉE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE POUR LAQUELLE DES SUBVENTIONS ONT ÉTÉ PAYÉES DIRECTEMENT OU INDIRECTEMENT PAR LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE ET/OU PAR LE GOUVERNEMENT D'UN ÉTAT MEMBRE

O R D O N N A N C E

Conformément au paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur a réexaminé les conclusions de probabilité de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien des importations le 25 juillet 1986, dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86.

En vertu du paragraphe 76(4) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur proroge, par la présente, les conclusions susmentionnées, sans modification.

Sidney A. Fraleigh
_________________________
Sidney A. Fraleigh
Membre présidant


Kathleen E. Macmillan
_________________________
Kathleen E. Macmillan
Membre


Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire intérimaire

Loi sur les mesures spéciales d'importation - Déterminer s'il convient d'annuler ou de proroger, avec ou sans modification, les conclusions rendues le 25 juillet 1986, dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Dates de l'audience : Du 21 au 24 mai 1991
Date de l'ordonnance
et des motifs : Le 22 juillet 1991

Membres du Tribunal : Sidney A. Fraleigh, membre présidant
Kathleen E. Macmillan, membre
Arthur B. Trudeau, membre

Directeur de la recherche : Peter Welsh
Gestionnaire de la recherche : Tom Geoghegan
Agents de la recherche : John O'Neill
Douglas Allen
Préposé aux statistiques : Margaret Saumweber

Avocat pour le Tribunal : Gilles B. Legault
Commis à l'enregistrement
et à la distribution : Margaret J. Fisher


Participants : Peter Clark et
Chris Hines
pour Canadian Cattlemen's Association
Lakeside Packers Ltd., A Division of Lakeside
Farm Industries
et Fédération canadienne des producteurs de
lait

(l'industrie)
et Le gouvernement de l'Alberta
et le gouvernement de la Saskatchewan

(parties appuyant la position de l'industrie)
Bryan Jay Yolles
pour Australian Meat and Live-stock Corporation

(partie appuyant la position de l'industrie)
Gordon B. Greenwood
pour CBF - Irish Livestock and Meat Board

(exportateur)

Témoins :

Dennis Laycraft
Directeur général
Canadian Cattlemen's Association

Jas. H. (Jim) Graham
Président
Canadian Cattlemen's Association

Len Vogelaar
Directeur, Canadian Cattlemen's Association
Président, Canada Beef Export Federation

W.A. (Al) Rogerson
Directeur général
Lakeside Packers Ltd.
A Division of Lakeside Farm Industries

Morley Shepherdson
Membre du conseil, Canadian Cattlemen's Association
Président du conseil, Conseil consultatif national pour l'amélioration des bovins de boucherie

Chris J. Mills
Conseiller en matière de recherches et de politiques
Canadian Cattlemen's Association

Mike Hayward
Directeur de groupe - commercialisation
Amériques, Europe et Moyen-Orient
Australian Meat and Live-stock Corporation

Andrew Irving
Agent principal adjoint
Division commerciale de la Communauté européenne
Ministère de l'Agriculture et de l'alimentation
Dublin (Irlande)

Dan Browne
Directeur général, Dawn Meats Group
Vice-président, CBF - Irish Livestock and Meat Board
Président du conseil, Irish Meat Processors Association

Owen Brooks
Directeur
Marchés internationaux
CBF - Irish Livestock and Meat Board

Stanley R. Johnson
Directeur, Professeur d'économie
Center for Agricultural and Rural Development
Iowa State University

Merritt Cluff
Conseiller en matière de politiques
Division de la stratégie intégrée
Direction générale des politiques
Agriculture Canada

Don Guillemette
Directeur des ventes de boeuf aux grands magasins
F.W. Fearman Company, Limited

Don Armstrong
Négociant-agent
L.N. Reynolds Co. Ltd.

Philip Cola
Directeur général
Levinoff Meat Products Ltd.

Adresser toutes communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
20e étage
Immeuble Journal Sud
365, avenue Laurier ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

LE CONTEXTE

Il s'agit d'un réexamen, en vertu du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation (la LMSI), des conclusions de probabilité de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien des importations le 25 juillet 1986, dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86, au sujet de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire ou exportée de la Communauté économique européenne (la CEE).

Le 13 décembre 1990, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a publié l'avis d'expiration no LE-90-008 pour informer les parties intéressées de la date d'expiration prévue des conclusions et pour demander aux parties intéressées qui appuyaient l'ouverture d'un réexamen ou qui s'y opposaient de présenter des exposés. Le 22 février 1991, le Tribunal a décidé de réexaminer les conclusions et a fait parvenir un avis de réexamen à toutes les parties intéressées connues. Cet avis a été publié dans la partie I de la Gazette du Canada du 2 mars 1991.

Dans le cadre du réexamen, le Tribunal a envoyé des questionnaires à la Canadian Cattlemen's Association (la CCA), à la Fédération canadienne des producteurs de lait, aux principaux exploitants nationaux d'abattoirs et les principales entreprises de transformation, et aux principaux importateurs de viande de boeuf désossée destinée à la transformation. À partir des réponses aux questionnaires et de renseignements provenant d'autres sources, le personnel de la recherche du Tribunal a préparé un rapport préalable à l'audience. À la demande du Tribunal, Agriculture Canada a effectué une étude économétrique pour déterminer les répercussions d'une reprise anticipée de l'importation subventionnée au Canada de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire de la CEE sur la production, les prix et le commerce dans les divers secteurs de la production de viande de boeuf. En outre, tous les documents pertinents, notamment les conclusions initiales, l'avis de réexamen, ainsi que les sections publiques et confidentielles des réponses aux questionnaires, ont été versés au dossier. Tous les documents publics ont été mis à la disposition des parties intéressées, tandis que les documents confidentiels n'ont été transmis qu'aux avocats indépendants.

Des audiences publiques ont été tenues à Ottawa (Ontario) du 21 au 24 mai 1991.

La CCA, la Fédération canadienne des producteurs de lait, Lakeside Packers Ltd., A Division of Lakeside Farm Industries (Lakeside Packers), le gouvernement de l'Alberta et le gouvernement de la Saskatchewan étaient représentés à l'audience par des avocats et ont présenté des arguments à l'appui de la prorogation des conclusions. De plus, ces parties, à l'exclusion de la Fédération canadienne des producteurs de lait, ont déposé des éléments de preuve lors de l'audience.

Le CBF - Irish Livestock and Meat Board (CBF) était représenté à l'audience par un avocat qui a déposé des éléments de preuve et formulé des arguments à l'appui de l'annulation des conclusions. La CEE a déposé un mémoire dans lequel elle s'oppose à la prorogation des conclusions.

À l'invitation du Tribunal, M. Stanley R. Johnson, directeur et professeur d'économie du Center for Agricultural and Rural Development à l'Iowa State University, a pris part à l'audience et a formulé des observations au sujet de l'étude préparée par Agriculture Canada au nom du Tribunal. Il a répondu aux questions des membres du Tribunal et des avocats au sujet de l'étude, de même que des marchés canadien et américain des bovins et de la viande de boeuf. M. Merritt Cluff, d'Agriculture Canada, a également comparu pour répondre aux questions relatives à l'étude.

De même, à l'invitation du Tribunal, les représentants de F.W. Fearman Company, Limited, qui achète et transforme de la viande de boeuf désossée, de L.N. Reynolds Co. Ltd., un importateur-négociant, et de Levinoff Meat Products Ltd., une entreprise d'abattage et de désossage de vaches, ont comparu en tant que témoins du Tribunal pour répondre à des questions portant sur la production, l'importation, la commercialisation et les prix de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation et des bovins.

L'Australian Meat and Live-stock Corporation (l'AMLC), qui appuyait la prorogation des conclusions, était représentée à l'audience par un avocat et a déposé des éléments de preuve et répondu aux questions des avocats et du Tribunal. De plus, le New Zealand Meat Producers Board (le New Zealand Board) a soumis un mémoire à l'appui de la prorogation des conclusions.

LE RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS DE 1986, DANS LE CADRE DE L'ENQUÊTE No CIT-2-86

Le 25 juillet 1986, le Tribunal canadien des importations a conclu que l'importation au Canada de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire ou exportée de la CEE pour laquelle des subventions avaient été payées directement ou indirectement par la CEE ou par le gouvernement d'un État membre, ou les deux, n'avait pas causé, ne causait pas, mais était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Dès le début de l'audience, le Tribunal canadien des importations a tenté de déterminer si la CCA, qui représente les éleveurs de bovins, avait la qualité nécessaire pour présenter une plainte relativement à l'importation de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation. Après avoir entendu des éléments de preuve et des arguments à ce sujet, le Tribunal canadien des importations a répondu par l'affirmative. Ce dernier a considéré que la production au Canada de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation représentait un processus continu, qui comprend de nombreuses étapes, à partir des bovins sur pied jusqu'à la viande de boeuf destinée à être hachée en boîtes. Tout en reconnaissant que d'autres intéressées, notamment l'industrie laitière, les entreprises d'abattage, de désossage et de conditionnement, produisaient les marchandises en question, le Tribunal canadien des importations n'était pas convaincu que les divers éléments de la chaîne de production devaient être isolés en industries soi-disant distinctes aux fins de l'application des dispositions de la LMSI. Le Tribunal canadien des importations a décidé que les éleveurs-naisseurs et les exploitants de parcs d'engraissement, représentés par la CCA, faisaient partie de l'industrie de la production de viande de boeuf désossée destinée à la transformation et que leur contribution à l'ensemble du processus était importante.

Dans le cadre de l'examen du préjudice sensible, le Tribunal canadien des importations a remarqué que le marché nord-américain des bovins constituait un marché continental où les prix sont fixés librement, selon le jeu de l'offre et de la demande. Le Tribunal canadien des importations a également noté qu'en vertu des prix en vigueur, les entreprises canadiennes d'élevage d'animaux de boucherie étaient peu rentables, et ce, depuis un certain temps. À la lumière des éléments de preuve déposés, il était évident que les prix au Canada fluctuaient indépendamment de ceux des États-Unis, selon certaines proportions que l'on désigne «prix-plafond à l'importation» et «prix-plancher à l'exportation». Cependant, vu que le niveau général des prix découlait de la situation du marché américain (dont la taille est 10 fois plus grande que celle du marché canadien), c'était cette situation qui, en gros, régissait la rentabilité de l'industrie canadienne de l'élevage bovin.

Bien que le Tribunal canadien des importations ait reconnu que le subventionnement de la viande de boeuf sur le marché canadien se soit accompagné d'une certaine compression des prix et qu'un plus grand nombre de vaches de réforme aient été exportées en raison des faibles prix, il n'était pas convaincu que le préjudice attribuable au subventionnement puisse être réputé sensible. Il en est donc venu à la conclusion qu'il n'existait pas de préjudice passé ou présent.

Pour ce qui est de l'avenir, le Tribunal canadien des importations était persuadé qu'en l'absence de conclusions de préjudice, le marché canadien serait de nouveau inondé par de grandes quantités de marchandises en question provenant de la CEE. Il a fait remarquer que les exportations de produits subventionnés originaires de la CEE et destinés aux États-Unis se limitaient à 5 000 tonnes par année. En 1984, les exportations destinées au Canada, qui est un exportateur net de viande de boeuf, principalement vers les États-Unis, ont été cinq fois supérieures à cette quantité; aux États-Unis, le Congrès s'est empressé d'accuser le Canada de servir de porte d'entrée sur le continent américain pour les marchandises subventionnées provenant de la CEE. Le Congrès a été saisi de projets de loi réclamant la tenue d'une enquête sur les importations de produits de boeuf canadien, en raison, comme l'indique les préambules de ces projets, du fait que le Canada était réputé courtier indirect pour les marchandises originaires de la CEE.

Le Tribunal canadien des importations était convaincu qu'en l'absence de mesures visant à restreindre les importations originaires de la CEE, la menace de mesures de représailles de la part des États-Unis contre les exportations canadiennes friserait le probable. Le Tribunal canadien des importations ne doutait pas que si les États-Unis usaient de mesures de représailles, les effets pour l'industrie canadienne du boeuf en général, et pour les éleveurs-naisseurs et exploitants de parcs d'engraissement en particulier, seraient catastrophiques. Le «prix-plancher à l'exportation», qui constituait un seuil de protection sous lequel les prix canadiens de la viande de boeuf et des bovins ne pouvaient chuter et qui, par le passé, avait largement protégé l'industrie nationale contre les effets négatifs des importations subventionnées à faibles prix, serait probablement éliminé. Par conséquent, le Tribunal canadien des importations en est venu à la conclusion que le maintien du subventionnement au Canada de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire de la CEE était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation.

LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

1. La participation de l'Australian Meat and Live-stock Corporation et du New Zealand Meat Producers Board

Avant l'audience, le CBF - Irish Livestock and Meat Board (CBF) s'est opposé à la participation de l'Australian Meat and Live-stock Corporation (l'AMLC) et du New Zealand Meat Producers Board (le New Zealand Board). Dans une requête déposée le 9 mai 1991, on soutient : que l'Australie et la Nouvelle-Zélande n'avaient pas participé à l'enquête initiale; qu'elles ne savaient pas expressément si la production au Canada de marchandises similaires subissait un préjudice sensible et ne s'y intéressaient pas, qu'elles n'étaient pas des producteurs au Canada, pas plus qu'elles ne représentaient l'industrie canadienne produisant les marchandises en question; qu'elles n'étaient liées d'aucune façon au pays faisant l'objet de la plainte initiale; et que leur participation créerait un précédent en augmentant le nombre de tiers, ce qui allongerait la période de réexamen et ajouterait aux coûts qui s'y rattachent.

À l'audience, l'avocat représentant CBF a cité également l'article 41 du Règlement sur les mesures spéciales d'importation [1] qui renferme la définition de l'expression «personne intéressée» et l'article 3 du Règlement sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [2] qui définit l'expression «autres intéressés». Il prétend que cette dernière définition vise à faire en sorte que le Tribunal reçoive les renseignements se rapportant à une cause relevant de sa compétence, c'est-à-dire déterminer la probabilité de préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires. Les renseignements déposés par l'AMLC et par le New Zealand Board ne traitaient que de leur situation particulière et il ne relevait pas du Tribunal de protéger les intérêts d'autres entités étrangères.

Les avocats représentant la CCA et les parties en faveur de la prorogation des conclusions appuyaient la participation de l'AMLC et du New Zealand Board. L'avocat représentant l'AMLC a formulé également des arguments à l'appui de la participation de sa cliente à titre de partie intéressée.

Le Tribunal en est venu d'abord à la conclusion que l'AMLC et le New Zealand Board représentent des associations selon le sens conféré au terme «personne» défini à l'article 2 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [3] , et, en deuxième lieu, que conformément à la règle no 2 des Règles du Tribunal canadien des importations [4] , ils possèdent un intérêt suffisant pour être entendus par le Tribunal avant que ce dernier ne rende sa décision au terme du réexamen.

2. L'admissibilité de la Canadian Cattlemen's Association (la CCA) en tant qu'une partie de la production au Canada de marchandises similaires

Dans l'avis de réexamen publié le 22 février 1991, le Secrétaire a donné avis que le Tribunal examinerait la question de savoir si la CCA représente la production de marchandises similaires au Canada. Le Tribunal a reçu des exposés de la CEE et de CBF, qui lui ont fait part de leur interprétation des obligations du Canada en vertu du Code des subventions [5] . Pour étayer leur position, la CEE et CBF se sont fondées sur le rapport d'un groupe spécial déposé le 13 octobre 1987 auprès du Comité des subventions et des mesures compensatoires du GATT qui a trait à l'imposition de droits compensateurs sur les importations au Canada de viande de boeuf destinée à la transformation originaire de la CEE.

L'avocat de CBF a également soumis lors de l'audience des exposés prouvant que la CCA ne représente pas l'industrie canadienne. Il a soutenu à cet égard que selon le droit canadien, les lois doivent être interprétées conformément aux obligations internationales du Canada. Il a de plus invoqué une décision de la Cour d'appel fédérale, National Corn Growers Association c. Tribunal canadien des importations [6] , selon laquelle si une loi n'est pas claire, le libellé d'un accord pertinent peut être utilisé pour interpréter la loi.

L'avocat a ajouté qu'en rendant sa décision, le Tribunal canadien des importations a reconnu l'existence d'industries différentes. Enfin, il a fait valoir que les données recueillies depuis les dernières conclusions révèlent que l'interdépendance économique ou l'intégration entre les exploitants d'abattoirs et les entreprises de transformation et la CCA avait considérablement diminué. En conséquence, les faits démontraient que la CCA ne représentait pas les producteurs canadiens de viande de boeuf désossée transformée.

Les avocats représentant la CCA et d'autres parties intéressées se sont opposés au dernier argument de CBF parce qu'il était fondé sur des faits relatifs au préjudice qui n'avaient pas été vérifiés à ce stade du réexamen.

Pour ce qui est de l'interprétation des obligations du Canada en vertu du Code des subventions, les avocats ont rappelé que le Tribunal n'est doté que de pouvoirs découlant de la loi, comme il a été établi dans la décision Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Unicare Medical Products Inc. [7] . Ils ont cité un extrait de cette décision, dans lequel le Tribunal précise que «Son pouvoir lui est explicitement ou implicitement conféré par la loi habilitante ou par d'autres lois fédérales que lui donnent sa compétence».

Les avocats de la CCA ont soutenu que l'établissement d'une preuve de préjudice sensible à l'égard des subventions diffère d'une décision rendue dans un cas de dumping. Après comparaison des droits et obligations énoncés dans le Code antidumping [8] et dans le Code des subventions à cet égard, ils ont fait remarquer que le Code des subventions renferme un critère distinct pour ce qui est des produits agricoles. L'accroissement du fardeau imposé aux programmes d'aide gouvernementale est considéré comme un critère d'établissement du préjudice dans le Code des subventions et il est intégré au paragraphe 2(1) de la LMSI en ce qui a trait au préjudice sensible en cas de subventionnement.

Se reportant également à la cause National Corn Growers Association [9] , les avocats ont prétendu que le Tribunal ne devait pas invoquer des thèmes ou des concepts puisés dans des accords ou dans des traités lorsque le libellé 9‚tabli par le Parlement est précis, comme dans le cas présent. Enfin, les avocats ont soutenu que l'interprétation du Tribunal canadien des importations était raisonnable et que le rapport du groupe spécial n'était pas pertinent ni n'avait-il pas été adopté par le Comité des subventions et des mesures compensatoires.

Pour ce qui est de la représentation de l'industrie, le Tribunal fait d'abord remarquer que les parties avaient le loisir, au moment de l'enquête initiale, de soumettre cette question à l'examen de l'appareil judiciaire canadien. La CEE a préféré vérifier, par l'intermédiaire du Code des subventions, si la décision correspondait à un accord conclu par divers pays, y compris le Canada.

De l'avis du Tribunal, le rapport du groupe spécial soumis au Comité des subventions et des mesures compensatoires n'a aucune valeur juridique, pas plus qu'il n'influe sur la décision du Tribunal dans la présente cause. Le Tribunal constitue un organisme indépendant détaché de l'appareil gouvernemental. Il doit appliquer la loi selon son libellé et croit que le Parlement aurait modifié la Loi s'il en était venu à la conclusion qu'elle est incompatible avec les obligations internationales contractées par le gouvernement.

En ce qui touche la deuxième série d'arguments formulés par l'avocat de CBF, le Tribunal est d'avis que l'objet d'un réexamen en vertu des paragraphes 76(2) et 76(5) consiste à déterminer si les conclusions doivent être prorogées. En d'autres termes, le Tribunal doit établir si la production au Canada de marchandises similaires subirait un préjudice sensible si les conclusions étaient annulées. Le Tribunal ne mettra pas davantage en doute la compétence d'une partie en ce qui touche la production au Canada de marchandises similaires, à moins que les faits ne révèlent un changement de situation justifiant un tel réexamen. De l'avis du Tribunal, les faits de la présente cause ne justifient pas un réexamen de la production au Canada de marchandises similaires. En conséquence, le Tribunal en vient à la conclusion que les éléments de preuve et l'argument concernant l'opposition à la représentativité de la CCA ne sont pas suffisants pour exclure cette dernière de la production au Canada de la viande de boeuf désossée transformée.

LA POSITION DES PARTIES

L'industrie et les parties qui l'appuient

La CCA, la Fédération canadienne des producteurs de lait, Lakeside Packers, le gouvernement de l'Alberta et le gouvernement de la Saskatchewan sont tous d'avis que les conclusions rendues par le Tribunal canadien des importations le 25 juillet 1986, dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86, devraient être prorogées. Leurs avocats ont soutenu que la CEE n'a pas cessé d'accorder des subventions à l'exportation et, qu'en fait, ces dernières ne cessent d'augmenter. Les stocks de viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire de la CEE sont en hausse et seule l'application de droits compensateurs a empêché la CEE d'exporter les marchandises en question au Canada depuis les conclusions rendues dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86. Si les conclusions étaient annulées, les avocats ont soutenu qu'il y aurait une reprise des importations subventionnées des marchandises en question, et ce en grandes quantités; dans une telle situation, les éleveurs de bovins de boucherie canadiens subiraient une baisse du prix des vaches, des veaux d'engraissement et des bovins gras, de même que d'autres formes de préjudice. En outre, le préjudice causé à l'industrie canadienne serait beaucoup plus grave si l'accès du Canada au marché américain était restreint.

La CCA a fait valoir que le préjudice prendrait la forme d'une perte de la part du marché, d'une augmentation des exportations de bovins gras, de vaches et de viande de boeuf désossée destinée à la transformation vers les États-Unis, de mesures adoptées par les États-Unis en vue de limiter les exportations de bovins et de viande de boeuf provenant du Canada, et d'une intensification de la rationalisation de l'industrie canadienne de conditionnement, ce qui entraînerait sa contraction.

Les avocats ont prétendu que la CEE est aux prises avec un excédent de viande de boeuf et que même si les stocks d'intervention ne peuvent être exportés au Canada, la nouvelle production pourrait être détournée vers le marché canadien. De même, un programme de restitution à l'exportation de la CEE a permis aux producteurs d'exporter à plus bas prix et de réaliser possiblement un bénéfice plus élevé que sur leurs ventes effectuées dans la CEE.

Les avocats ont ajouté que l'industrie canadienne était plus vulnérable au préjudice sensible causé par une reprise des importations de la CEE qu'au moment des premières conclusions. Ils ont précisé qu'il ressort clairement des éléments de preuve déposés que la compression des prix sur les marchés canadiens des bovins et de la viande de boeuf attribuable au subventionnement des marchandises importées serait à elle seule cause de préjudice sensible même si les producteurs canadiens avaient accès au marché américain. Si l'accès à ce marché était limité de quelque façon que ce soit, les pertes seraient beaucoup plus élevées.

Dans son mémoire, le gouvernement de l'Alberta a précisé que ses efforts en vue de libéraliser les marchés internationaux et d'améliorer la situation de l'industrie de la viande dans cette province seraient compromis par les importations subventionnées de viande de boeuf en provenance de la CEE. En outre, au cours de l'audience, les avocats représentant cette province ont soutenu que l'annulation des conclusions de préjudice minerait l'effet des mesures stratégiques adoptées par l'Alberta à l'égard de l'intervention de la CEE dans le cas des céréales et des graines oléagineuses en favorisant une désorganisation du marché causée par la CEE à un autre niveau de la chaîne de production des céréales et de la viande de boeuf. L'importation effrénée au Canada de la viande de boeuf fortement subventionnée en provenance de la CEE réduirait l'effet des mesures stratégiques adoptées par le gouvernement, ferait grimper les coûts des programmes et abaisserait les rendements de l'industrie des bovins et de la viande de boeuf.

Le gouvernement de l'Alberta souligne également dans son mémoire que les causes de droits compensateurs concernant le porc et la viande de porc ont incité les États-Unis à examiner de très près les secteurs canadiens du bétail et de la viande. Cette surveillance s'est accrue en raison des niveaux records des exportations canadiennes de bovins sur pied; les États-Unis n'accepteront pas facilement toute autre mesure de détournement de la production causée par les importations en provenance de la CEE.

Le gouvernement de la Saskatchewan a fait valoir que les conclusions rendues dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86 devraient être prorogées jusqu'à ce que la CEE mette un terme au subventionnement néfaste et préjudiciable causé par ses exportations de viande de boeuf désossée destinée à la transformation. Les avocats ont déclaré que les stocks de viande de boeuf de la CEE atteignent maintenant des niveaux records et que la CEE envisagera des mesures en vue de minimiser ses frais d'entreposage et de subventions; par ailleurs, plusieurs usines d'Irlande et du Danemark pourraient recevoir des permis pour expédier de la viande de boeuf au Canada dans les mois qui suivront la levée des droits compensateurs.

L'Australian Meat and Live-stock Corporation (l'AMLC) a déposé un mémoire dans lequel elle préconise la prorogation des conclusions rendues dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86. Elle y déclare que si les conclusions étaient annulées, la CEE recommencerait à exporter au Canada d'importantes quantités de viande de boeuf désossée destinée à la transformation. Selon elle, ces exportations causeraient un préjudice sensible à l'industrie canadienne de la viande de boeuf. En outre, les grandes quantités de viande de boeuf provenant de la CEE déplaceraient les ventes de viande de boeuf du Canada et de pays tiers aux États-Unis. Il a été soutenu que cette augmentation soudaine des importations de viande de boeuf entraînerait l'application de mesures de représailles en vertu de la U.S. Meat Import Act of 1979 [10] contre les livraisons de viande de boeuf originaire du Canada et de pays tiers. Toujours selon l'AMLC, les dispositions de l'Accord de libre-échange (l'ALÉ) entre le Canada et les États-Unis ne protégeraient pas l'industrie canadienne de la viande de boeuf contre une menace de représailles, menace tout aussi probable aujourd'hui qu'en 1986.

Dans le mémoire qu'il a soumis au Tribunal, le New Zealand Meat Producers Board (le New Zealand Board) a fait valoir que les conclusions rendues par le Tribunal canadien des importations dans le cadre de l'enquête no CIT-2-86 au sujet de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire de la République d'Irlande et du Danemark devraient être prorogées. Le New Zealand Board a déclaré que le marché canadien revêt une importance capitale pour l'économie de la Nouvelle-Zélande tout comme pour la vitalité de l'industrie de la viande et des éleveurs de viande de boeuf de la Nouvelle-Zélande. Les exportateurs qui ne bénéficient pas de subventions, comme la Nouvelle-Zélande, et qui exercent leurs activités sans recourir à un avantage concurrentiel déloyal, seront affectés par ce type d'importations. Le New Zealand Board a ajouté dans son mémoire que la CEE a tendance à recourir de façon soutenue aux exportations, notamment en haussant le niveau des subventions pour stimuler les exportations et réduire les ventes de viande de boeuf destinées à grossir les stocks d'intervention.

L'exportateur

Le CBF - Irish Livestock and Meat Board (CBF) et la délégation de la Commission des Communautés européennes (la délégation) ont soutenu que les conclusions devraient être annulées.

CBF a fait valoir que la menace de représailles, qui représentait l'élément fondamental de l'examen initial du Tribunal canadien des importations au sujet du préjudice sensible, n'existe plus en raison de l'adoption de l'ALÉ entre le Canada et les États-Unis. Il a fait remarquer que les États-Unis n'ont pas usé de représailles contre le Nicaragua qui, après avoir été chassé du marché américain, a accru ses exportations de viande de boeuf désossée destinée à la transformation vers le Canada en 1989 et 1990, ce qui a entraîné une augmentation des exportations canadiennes de viande de boeuf vers les États-Unis. En outre, l'avocat a prétendu que l'ALÉ protège les producteurs canadiens contre l'application de mesures de représailles. Les dispositions de l'Accord prévoient la tenue de consultations avant l'application de telles mesures et stipulent que les restrictions quantitatives ne peuvent être imposées que pendant la période nécessaire pour éviter que soit neutralisée la mesure imposée par les États-Unis.

L'avocat a prétendu qu'aucun élément de preuve n'appuie les allégations de la CCA, à savoir que les producteurs irlandais recommenceraient à exporter au Canada d'importantes quantités de viande de boeuf désossée destinée à la transformation, et ce, à bas prix. En outre, l'avocat a souligné qu'au cours de l'enquête initiale, où l'on venait tout juste de noter d'importantes importations provenant de la CEE, le Tribunal canadien des importations a conclu qu'il n'y avait eu qu'une légère compression des prix et n'a pas rendu de décision de préjudice sensible passé ou présent.

L'avocat a fait valoir que la production des marchandises en question par les producteurs irlandais a tout de même ses limites et qu'en 1988, 1989 et 1990, les producteurs irlandais ont écoulé toute leur production de viande de boeuf désossée destinée à la transformation sur le marché libre et que la viande de vache, de taureau et de génisse ne pouvait être vendue pour grossir les stocks d'intervention en Irlande. Même si ce type de viande pouvait être vendu à cette fin, ces stocks ne peuvent être écoulés au Canada; par conséquent, ils ne constituent pas une menace pour la production au Canada de marchandises similaires.

Par la suite, l'avocat a prétendu que les producteurs irlandais vendraient leur produit là où ils obtiendraient le meilleur rendement, pas nécessairement au Canada. En fait, les ventes à d'autres marchés comme l'Europe de l'Est et le Moyen-Orient peuvent permettre à l'exportateur d'obtenir un rendement plus élevé. Il a été soutenu que le programme de restitution à l'exportation ne se traduit pas nécessairement par des rendements plus élevés à l'égard des exportations; en effet, il pourrait même donner lieu à des rendements inférieurs à ceux obtenus sur le marché de la CEE.

CBF a fait valoir qu'il existe en Amérique du Nord un marché des marchandises en question qui se divise en deux marchés secondaires distincts, c'est-à-dire la viande de boeuf désossée destinée à la transformation fraîche et celle congelée. Le marché de la viande fraîche est desservi par les producteurs nationaux, tandis que celui de la viande congelée est desservi en grande partie par des importateurs. Par conséquent, les importations n'influent pas de façon appréciable sur le marché de la viande fraîche. En outre, l'avocat a soutenu que les perspectives semblent bonnes pour le marché nord-américain de la viande de boeuf et que les écarts chronologiques entre les cycles de production des bovins des États-Unis et du Canada ont pour effet de modérer les variations de l'offre et de la demande sur le marché nord-américain.

L'avocat a soutenu que si les conclusions étaient annulées et qu'il y avait reprise des importations originaires de la CEE qui entraînerait des problèmes pour l'industrie, la CCA serait admissible à une aide de la part d'Agriculture Canada en vertu de la Loi sur l'importation de la viande [11] et, le cas échéant, des mesures seraient prises.

Dans son mémoire, la délégation a fait valoir que, depuis le prononcé des conclusions, les importations canadiennes de viande de boeuf désossée destinée à la transformation ne provenant pas de la CEE ont largement remplacé les importations de cette source et n'ont pas entraîné une désorganisation du marché canadien ou, indirectement, du marché américain. La délégation a précisé que cette situation prouve que la menace de probabilité de préjudice causé par la quantité de marchandises importées, comme le prévoyait le Tribunal canadien des importations dans ses conclusions, n'était pas fondée.

LE PRODUIT ET L'INDUSTRIE

La viande de boeuf est le principal produit issu de l'abattage des bovins, les produits secondaires étant les peaux, utilisées pour le cuir, et les parties de l'animal qui ne se prêtent pas à la consommation humaine, mais qui servent à d'autres fins. Il existe deux types de viande de boeuf : la viande de grande qualité, obtenue à partir de génisses et de bouvillons, et la viande de boeuf désossée destinée à la transformation, obtenue principalement à partir de vaches de réforme provenant des secteurs de naissage-élevage et de la production laitière. La viande de boeuf désossée destinée à la transformation s'obtient également des parures de carcasses de génisses et de bouvillons.

Le troupeau canadien de bovins, y compris les taureaux, les vaches, les génisses, les bouvillons et les veaux totalise actuellement 11,2 millions de têtes. Le secteur canadien de naissage-élevage se compose de plus de 100 000 entreprises dont 60 p. 100 sont situées dans l'Ouest du Canada. En 1990, le troupeau de vaches d'élevage se composait de 4,4 millions de têtes. Le secteur de naissage-élevage produit principalement des veaux sevrés. Lorsque les vaches deviennent moins productives, elles sont sorties du troupeau et vendues aux fins d'abattage. Les éleveurs-naisseurs peuvent conserver certains veaux sevrés pour fins d'engraissement [12] , mais ils vendent la plupart des veaux sevrés à des exploitants de parcs d'engraissement; ces derniers donnent aux animaux des aliments à valeur protéique élevée jusqu'à ce qu'ils atteignent la quantité de gras requise pour la finition. Les veaux sont ensuite abattus pour leur viande, qui est pour la majeure partie de grande qualité et vendue sur le marché de la consommation de la viande fraîche.

Le Canada compte environ 14 000 parcs d'engraissement, dont 49 p. 100 sont situés à l'ouest de la frontière séparant l'Ontario du Manitoba, tandis qu'un pourcentage élevé du reste est situé en Ontario et au Québec. Les parcs de l'Ouest du Canada sont habituellement plus vastes que ceux de l'est, d'où des ventes beaucoup plus élevées sur le marché des bovins gras de l'ouest. Le troupeau de veaux d'engraissement totalisait 3,6 millions de têtes en 1990.

On dénombre 257 000 fermes laitières au Canada, la majorité dans l'Est du Canada, principalement au Québec et en Ontario, où est concentré 73 p. 100 du troupeau laitier. En 1990, ce dernier totalisait 2,1 millions de vaches et de génisses. Le lait constitue le principal produit de ces animaux et les veaux produits dans le secteur laitier représentent la principale source de la viande de veaux vendue au Canada. Les vaches sont isolées du troupeau laitier lorsque leur production laitière diminue au point d'affecter la rentabilité de l'animal. Comme pour les vaches du secteur de naissage-élevage, ces vaches sont abattues aux fins de production de viande de boeuf désossée destinée à la transformation.

Le secteur d'exploitants nationaux d'abattoirs s'occupe de tous les types de bovins. Dans le cas des bovins de grande qualité, c'est-à-dire des génisses et des bouvillons, les exploitants peuvent abattre, réfrigérer et conditionner les carcasses ou les envoyer à des entreprises de transformation plus poussée qui produisent ce qu'il est convenu d'appeler du «boeuf en caisse carton», c'est-à-dire des carcasses découpées en morceaux primaires, ce qui réduit la quantité de travail requise par l'utilisateur final pour transformer ces morceaux en produits vendables, notamment des steaks et des rôtis. Au Canada, un nombre important de carcasses de boeuf de grande qualité sont encore livrées directement au secteur de la vente au détail par des exploitants d'abattoirs.

Dans le cas des vaches de réforme, l'exploitant d'abattoir peut abattre l'animal et transformer entièrement les carcasses pour produire de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation. Cependant, de nombreuses carcasses de vaches sont envoyées à des entreprises de transformation plus poussée (usines de désossage) pour la fabrication de viande de boeuf désossée destinée à la transformation. Cette viande est vendue à des entreprises de transformation des aliments, à des points de vente au détail et à des fabricants de galettes de viande aux fins de transformation plus poussée pour fabriquer toute une gamme de produits de viande, comme de la viande hachée, de la saucisse, des rôtis de boeuf de charcuterie, des viandes fumées et des viandes préparées. Une faible quantité de viande de boeuf provenant de vaches de réforme est destinée au marché de la vente au détail, principalement sous forme de faux-filets et de languettes.

La norme dans l'industrie de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation, qui doit être hachée, est composée de 85 p. 100 de maigre (c'est-à-dire que la teneur en gras est de 15 p. 100). Le contenu requis en maigre est obtenu en mélangeant la viande maigre de vaches de réforme aux parures de carcasses de génisses et de bouvillons contenant la quantité de gras stipulé. La teneur en gras du produit final peut être inférieure ou supérieure, selon les exigences de l'utilisateur final.

Le boeuf intervient pour environ 40 p. 100 de la consommation totale de viande au Canada, ce qui dépasse la consommation et du porc et de la volaille, les deux autres principales viandes comprises dans le régime alimentaire canadien. Selon les estimations, le marché canadien des producteurs nationaux s'établissait à près de 2 milliards de dollars en 1990 dont environ 500 millions de dollars pour la viande de boeuf désossée destinée à la transformation.

La viande de boeuf désossée destinée à la transformation est un produit de base dont le prix est assujetti à d'importantes fluctuations. La principale clientèle est constituée d'un petit nombre d'entreprises de transformation et de négociants qui importent également de nombreuses sources aux fins de vente directe au Canada. La loyauté de l'acheteur pèse peu dans la balance, et les changements de sources d'approvisionnement sont communs pour des sommes ne dépassant pas 0,5 ¢ la livre; cette situation influe considérablement sur la quantité de viande de boeuf produite au Canada ou importée des diverses sources étrangères. Bien que la viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire du marché national soit vendue principalement à l'état frais et que la viande provenant de l'étranger entre au Canada à l'état congelé, certains acheteurs passent de la viande fraîche à la viande congelée si l'écart de prix entre les deux est trop prononcé. Au Canada, le prix de la viande fraîche est habituellement plus élevé que celui de la viande congelée.

L'ÉVOLUTION ET LES INDICATEURS ÉCONOMIQUES

Le Tribunal a entendu des témoignages et a examiné des éléments de preuve sur l'évolution de l'industrie canadienne de la viande de boeuf et sur son rendement au cours des dernières années. Il a examiné l'évolution des structures au cours des années 80 et les tendances de la production, des marchés, des prix et du commerce depuis les conclusions de 1986. Il a également entendu des témoignages et examiné des éléments de preuve sur les perspectives de l'industrie pour les années 90.

L'évolution

Le Tribunal a conclu que la production et le commerce de la viande de boeuf et des bovins a évolué et qu'ils ont connu plusieurs changements de structures. Le marché national de la viande de boeuf de grande qualité est stagnant depuis 1986. Cependant, le marché des marchandises en question a subi une baisse. Les témoins qui ont comparu à l'audience s'entendent sur un point : le marché global de la viande de boeuf sera à tout le moins faible au cours des prochaines années. Cette prévision est conforme aux perspectives des années 90 qu'Agriculture Canada a établies dans une étude préparée à l'intention du Tribunal.

Le secteur canadien de conditionnement a connu une importante restructuration, qui n'est pas encore terminée. De nombreuses usines ont fermé leurs portes dans l'Est et dans l'Ouest du Canada, et un nombre beaucoup plus petit d'entreprises ont fusionné leurs activités d'abattage et de conditionnement. Bien que la capacité de l'industrie ait diminué, les taux d'utilisation demeurent faibles. Bon nombre des entreprises encore actives ne sont pas rentables. En outre, l'industrie s'est déplacée vers l'ouest. Les statistiques recueillies par le personnel indiquent que l'on trouve plus de la moitié de la capacité canadienne de conditionnement de la viande de boeuf dans l'ouest, principalement en Alberta.

Le troupeau bovin national a diminué passant de 12,2 millions de têtes en 1981 à 10,6 millions de têtes en 1986, année où s'est amorcée sa reconstitution. Les troupeaux de vaches de boucherie et de veaux d'engraissement ont atteint respectivement 4,4 millions et 3,6 millions de têtes en 1990, ce qui représente à peu près leurs niveaux de 1981. Par contre, le troupeau laitier a perdu 400 000 têtes au cours de la décennie pour atteindre à 2,1 millions de têtes. Selon les éléments de preuve déposés, le troupeau laitier continuera de diminuer pour toutes sortes de raisons, y compris l'accroissement de la productivité et la faible croissance de la demande de lait.

Le nombre d'exploitants de parcs d'engraissement a diminué depuis 1986. La taille des parcs a augmenté, mais on note un déplacement des parcs de l'Ontario et du Manitoba vers l'Alberta. Au cours de la décennie, les ventes de bovins engraissés ont diminué passant de 2,6 à 2,4 millions de têtes.

Les indicateurs économiques

Le Tribunal a constaté que la production nationale de viande de boeuf de grande qualité a diminué de 6 p. 100 entre 1986 et 1990, tandis que celle de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation a chuté de 16 p. 100 au cours de la même période.

Les importations de boeuf de grande qualité ont grimpé entre 1986 et 1990, passant d'environ 34 millions de livres à un peu plus de 100 millions de livres. Pour leur part, les importations de viande de boeuf désossée destinée à la transformation ont continué d'augmenter après les conclusions de 1986 et, en 1990, elles ont atteint 131 millions de livres, ce qui représente une hausse d'environ 30 millions de livres par rapport à 1986.

Depuis 1986, les exploitants nationaux d'abattoirs sont aux prises avec un marché stagnant dans le cas de la viande de boeuf de grande qualité et avec un marché à la baisse pour ce qui est de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation. Bien qu'ils aient détenu une forte proportion du marché de la viande de boeuf de grande qualité en 1990 (environ 90 p. 100), leur part a tout de même reculé d'environ 7 points de pourcentage par rapport à 1986. En ce qui touche le marché de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation, la part du marché des exploitants nationaux d'abattoirs a subi une baisse entre 1986 et 1990 passant d'environ 80 p. 100 à un peu plus de 70 p. 100. Les exploitants d'abattoirs ont en partie compensé le recul de la production de viande de boeuf de grande qualité et de viande de boeuf désossée destinée à la transformation sur le marché canadien en exportant davantage vers les États-Unis.

Presque toute la viande de boeuf de grande qualité importée au Canada provient des États-Unis. Une forte augmentation a récemment été enregistrée dans ce que les spécialistes appellent le boeuf «non estampillé», c'est-à-dire la viande de boeuf sans catégorie. L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont des principaux fournisseurs de viande de boeuf désossée destinée à la transformation au Canada. En 1988, d'importantes quantités de viande de boeuf originaire du Nicaragua ont toutefois fait leur entrée au Canada et, en 1989, elles représentaient environ 10 p. 100 du marché national. Bien que des importations originaires du Nicaragua aient régressé en 1990, cette baisse a été largement compensée par une augmentation des importations de l'Australie, qui ont grimpé de plus de 50 p. 100 par rapport à l'année précédente pour atteindre des niveaux correspondant davantage à ceux des années antérieures.

Les témoignages de plusieurs témoins et les données sur les fluctuations des prix ont convaincu le Tribunal de la sensibilité de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation à la variation des prix. La pénétration soutenue des importations depuis les conclusions s'est accompagnée d'une vive concurrence sur le plan des prix, plus particulièrement en 1990, lorsque les importations originaires de l'Australie ont repris la part du marché détenue par les importations en provenance du Nicaragua. En 1990, la baisse des prix de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation importée congelée a été suivie d'une baisse des prix de la viande de boeuf fraîche.

L'évolution de la situation en ce qui touche la production, les prix et le commerce de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation depuis 1986 a eu des répercussions sur l'offre canadienne de bouvillons et de génisses engraissés, de veaux d'engraissement et de vaches. Le nombre total de vaches de réforme vendues a diminué passant de 782 000 têtes en 1986 à 725 000 têtes en 1990. La diminution des ventes de vaches de réforme peut être en grande partie attribuée à la reconstitution du troupeau depuis la fin des années 80. En outre, une plus grande proportion d'animaux ont été vendus aux États-Unis à partir de 1988. En 1990, 24 p. 100 de l'ensemble des vaches de réforme vendues ont été livrées aux États-Unis comparativement à 17 p. 100 en 1988 et un peu plus de 5 p. 100 en 1986. Par conséquent, le nombre de vaches abattues au Canada a été moins élevé. Comme il a été mentionné, certains facteurs expliquent cette situation. Les animaux ont été vendus en moins grand nombre et le pourcentage des animaux vendus aux États-Unis a connu une hausse. De plus, les exploitants d'abattoirs ont dû faire face à une diminution du marché national et à l'avivement de la concurrence exercée par les importateurs.

Les tendances relatives à la vente et aux exportations de bovins d'engraissement ont changé radicalement en 1990 : un peu plus de 200 000 têtes ont été exportées aux États-Unis en raison de la vive concurrence exercée par les exploitants d'abattoirs des États-Unis. Cette situation a entraîné une augmentation des frais assumés par les exploitants de parcs d'engraissement canadiens à l'égard des bovins d'engraissement et elle s'est traduite par une diminution de la rentabilité.

À l'examen de la tendance des prix de la viande de boeuf, des vaches, des bovins engraissés et des veaux d'engraissement, le Tribunal fait remarquer que les prix ont augmenté en 1987 et sont demeurés relativement stables depuis cette date. Il reconnaît que le prix des bovins canadiens est fonction de celui des bovins des États-Unis et, qu'à la longue, les prix canadiens suivent ceux des États-Unis. À cet égard, le Tribunal a entendu des témoins selon lesquels le cycle d'élevage des bovins aux États-Unis accuse un retard d'environ deux ans sur celui du Canada. Il y aurait lieu de s'attendre à ce qu'en vertu de cette situation les prix demeurent fixes aux États-Unis et, vu les liens étroits entre les prix pratiqués dans les deux pays, que les prix canadiens demeurent aussi fixes à moyen terme, ce qui garantirait la demande soutenue des bovins canadiens. Cependant, à mesure que l'industrie américaine traverse le cycle d'élevage de bovins, la production de viande de boeuf aux États-Unis augmentera et les prix fléchiront; le Canada ressentira les effets. En plus d'un affaiblissement des prix, les producteurs canadiens feront face à une baisse de la demande de viande de boeuf et d'animaux sur pied sur le marché américain. L'étude effectuée par Agriculture Canada semble appuyer ce scénario pour les années 90.

Les exploitant d'abattoirs ayant été victimes d'un resserrement des coûts et des prix, ils ont éprouvé de plus en plus de difficulté à présenter des soumissions concurrentielles pour l'obtention d'animaux afin de maintenir un niveau adéquat d'abattage en raison de la vive concurrence exercée par les exploitants américains dans le cas des animaux sur pied. En outre, la pénétration soutenue des importations dans un marché à la baisse a exercé des tensions sur leur part du marché, ce qui a entraîné une réduction des bénéfices et affecté leur demande d'animaux sur pied. Le Tribunal est d'avis que l'élargissement des écarts de prix entre le Canada et les États-Unis est à l'origine de l'augmentation des exportations vers les États-Unis.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Dans le cadre d'un réexamen, le Tribunal tient compte de deux critères pour déterminer si des conclusions devraient être prorogées. D'abord, il doit être convaincu, à la lumière des éléments de preuve qui lui sont fournis, que l'annulation des conclusions entraînera vraisemblablement un reprise des importations subventionnées. En deuxième lieu, le Tribunal doit pouvoir conclure, en étudiant les éléments de preuve, que la reprise des importations subventionnées sera telle qu'elle causera vraisemblablement un préjudice sensible à la production nationale de marchandises similaires.

La reprise des importations subventionnées

Pour déterminer la probabilité d'une reprise des importations subventionnées originaires de la CEE, le Tribunal a examiné les programmes d'aide de la CEE, la production et les marchés de l'Irlande et de la CEE. Il a accordé une attention particulière aux éléments de preuve déposés par les parties et aux déclarations des témoins de l'exportateur et des producteurs nationaux.

Les éléments de preuve révèlent que les principaux programmes d'aide offerts aux agriculteurs européens au moment des conclusions de 1986 sont encore en place. Le Tribunal note que ces programmes entraînent généralement un dépassement de la production de viande de boeuf par rapport à la demande dans la CEE et ont pour effet d'en subventionner le stockage ou l'exportation vers d'autres pays. Les stocks d'intervention de viande de boeuf, qui ont augmenté progressivement et totalisaient 710 000 tonnes à la fin de mars 1991, ont presque atteint le niveau record enregistré à la fin de 1987.

Le Tribunal accepte les faits que lui a présenté l'avocat de CBF, selon lequel les stocks d'intervention ne peuvent être vendus au Canada. Cependant, le Tribunal est d'avis que ces importants stocks peuvent avoir un effet important sur les possibilités globales d'exportation de la CEE. Ils pourraient facilement servir à satisfaire à la demande des clients actuels des producteurs irlandais et danois de viande de boeuf désossée et, par conséquent, libérer, aux fins d'exportation, la présente production qui pourrait autrement être destinée aux marchés habituels de la CEE. Il est donc possible de conclure que la production actuelle et future de viande de boeuf désossée destinée à la transformation des producteurs irlandais et danois pourrait être facilement détournée des clients habituels et actuels pour être exportée au Canada.

En raison du maintien des programmes d'aide aux agriculteurs de la CEE et du niveau élevé des stocks d'intervention, le Tribunal en vient à la conclusion que la CEE possède une forte capacité d'exportation et, qu'en conséquence, elle pourrait facilement être en mesure d'exporter sur le marché canadien, grâce à des subventions, des quantités de viande de boeuf désossée destinée à la transformation pouvant atteindre ou même dépasser celles de 1984.

La probabilité de préjudice sensible

Dans le cadre de l'examen visant à déterminer si une reprise des importations subventionnées de viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire de la CEE était susceptible de causer un préjudice sensible aux producteurs nationaux, le Tribunal a principalement tenu compte de l'incidence éventuelle de ces importations sur les prix et les volumes de viande de boeuf désossée destinée à la transformation et de vaches vendues au Canada, de même que sur le volume de la production de bovins d'engraissement et de bovins engraissés au Canada. Les témoignages formulés et le déroulement des faits depuis les conclusions de 1986 ont porté le Tribunal à conclure qu'une reprise des importations subventionnées de viande de boeuf désossée destinée à la transformation causerait probablement un préjudice sensible aux producteurs nationaux.

Le Tribunal reconnaît qu'il existe un marché continental de la viande de boeuf et des bovins en Amérique du Nord, ce qui signifie, plus précisément, que les prix pratiqués sur le marché canadien sont en grande partie fonction de l'offre et de la demande sur le marché des États-Unis. Un autre aspect important réside dans la nature du produit. Les témoignages et éléments de preuve concordent sur un point : la viande de boeuf désossée destinée à la transformation constitue un produit de base. De faibles fluctuations des prix de la viande de boeuf peuvent donc entraîner des changements relativement importants en ce qui touche le volume de viande de boeuf et le nombre de vaches et de bouvillons élevés et vendus sur le marché canadien.

Les avocats de la CCA ont fait valoir que la baisse des prix de la viande de boeuf et des bovins découlant des importations subventionnées originaires de la CEE déplacerait la viande de boeuf et les bovins canadiens du marché canadien vers le marché des États-Unis. Ce déplacement entraînerait une réduction de la part du marché national des marchandises en question pour les producteurs canadiens. Bien que les producteurs seraient probablement en mesure de vendre leurs bovins sur le marché des États-Unis, le rendement net qu'ils obtiendraient en contrepartie chuterait en proportion de la distance entre le point d'origine au Canada et la destination aux États-Unis.

L'avocat de CBF a fait valoir que les exportations destinées au Canada concurrenceraient sur le segment de la viande congelée à l'intérieur du marché de la viande de boeuf désossée destinée à la transformation, segment qui n'est pas desservi de façon importante par les producteurs nationaux. Une reprise des importations originaires de la CEE ne porterait pas atteinte aux producteurs nationaux. L'avocat a de plus soutenu qu'en 1986 le Tribunal canadien des importations n'a pas constaté de préjudice passé ou présent à partir des niveaux d'importations de 1984.

Le Tribunal note qu'en 1989 et 1990, les exportations nettes de bovins vers les États-Unis ont augmenté en raison de la présente situation du marché au Canada et aux États-Unis. Les exploitants nationaux d'abattoirs n'ont donc pas été en mesure d'obtenir des quantités suffisantes de bovins pour exercer une concurrence sur le marché canadien. En outre, la concurrence que se livrent le Nicaragua et l'Australie s'est intensifiée et, au deuxième trimestre de 1990, le prix de la viande de boeuf congelée désossée destinée à la transformation a subi une baisse de 9 ¢ la livre. Cette diminution a entraîné la chute du prix de la viande de boeuf fraîche désossée destinée à la transformation au trimestre suivant. Bien que les prix se soient stabilisés au début de 1991, le Tribunal en vient à la conclusion que non seulement le prix de la viande de boeuf congelée influe sur le prix de la viande de boeuf fraîche, mais que lorsque l'écart de prix entre ces deux types de viande devient trop important, les acheteurs délaissent la viande fraîche pour acheter de la viande congelée. Par conséquent, il est très évident que le prix de la viande fraîche vendue par les producteurs nationaux dépend du prix de la viande congelée, qui est en grande partie importée.

Un témoin à l'audience a indiqué qu'en 1984, la viande de boeuf originaire de la CEE était livrée au Canada en quantités bien plus importantes que ne l'exigeait le marché, ce qui a entraîné une perturbation du marché et une baisse des prix. Le témoin a déclaré qu'en cas de reprise des importations originaires de la CEE, les importations annuelles de 30 à 40 millions de livres désorganiseraient massivement le marché et les prix pourraient chuter de plus de 5 ¢ la livre. Selon le témoin, une baisse de cette envergure aurait pour effet de freiner la demande de vaches au Canada et entraînerait une augmentation des exportations de vaches vers les États-Unis. Le témoin a de plus proposé que les exportateurs de viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire d'autres pays abaisseraient leurs prix pour demeurer concurrentiels avec les producteurs de la CEE de manière à maintenir leur part du marché. Cette situation aurait pour effet de réduire davantage les prix pratiqués au pays pour la viande de boeuf désossée destinée à la transformation.

Le Tribunal est d'avis que le marché de la viande de boeuf d?E9‚sossée transformée est fortement tributaire des prix. Pour favoriser la réintégration des marchandises importées de la CEE sur le marché, le prix de ces dernières devra être inférieur au prix actuellement pratiqué au Canada, et il le sera. Il faudra absolument déterminer de quelle façon les autres fournisseurs et l'industrie nationale réagiront à une reprise des importations originaires de la CEE.

À partir des éléments de preuve déposés, il est évident que certains exportateurs fixeront leurs prix de manière à maintenir leur part du marché. Cette situation s'est produite au cours des cinq dernières années, période au cours de laquelle les importations totales ont augmenté de façon considérable. Par conséquent, la structure du marché de la viande de boeuf désossée a changé depuis 1986. Le Tribunal croit que les exportateurs continueraient de réagir à la concurrence attribuable à une reprise des importations originaires de la CEE en tentant de maintenir leur présence sur le marché canadien. Selon les faits exposés par l'AMLC, il est peu probable que l'Australie, en particulier, qui détient une part importante du marché des importations des États-Unis, réoriente ses livraisons de viande de boeuf vers ce marché à cause des craintes relatives à l'invocation probable des dispositions de la U.S. Meat Import Act of 1979 [13] . Le Tribunal est d'avis que les fournisseurs nationaux de viande de boeuf désossée destinée à la transformation seraient vraisemblablement touchés directement, si les prix pratiqués au pays diminuaient, tout comme ceux des marchandises importées.

Le Tribunal note que les exploitants nationaux d'abattoirs connaissent une période très difficile. Le secteur du conditionnement de la viande de boeuf est en pleine période de restructuration et bon nombre d'entreprises rationalisent leurs activités. Les éléments de preuve permettent de croire que l'industrie est en mauvaise position sur le plan financier et, qu'en raison des faibles marges appliquées à ses activités, il se pourrait qu'elle ne puisse pas soutenir une intensification de la concurrence exercée sur les prix. Dans ces circonstances, l'industrie abandonnerait une part importante du marché; en conséquence, la production de viande de boeuf désossée destinée à la transformation de même que la demande de bovins seraient réduites. Même si l'on suppose un raffermissement du rendement financier de l'industrie, les exploitants d'abattoirs pourraient réagir en abaissant leurs prix, en supposant un nouvel avivement de la concurrence exercée par les importations et une réduction des prix. Une telle baisse se traduirait par des marges insatisfaisantes. Les éléments de preuve recueillis révèlent sans l'ombre d'un doute que depuis le milieu des années 80, la totalité de la croissance des importations s'est traduite directement par une baisse de la production nationale. Il est donc logique de conclure que toute pénétration future du marché par les marchandises importées influerait directement sur la production nationale.

La réduction des prix attribuable aux importations de viande de boeuf désossée destinée à la transformation se répercuterait sur chaque secteur de l'industrie. Si les exploitants nationaux d'abattoirs décidaient de réduire leurs prix pour concurrencer les importations subventionnées de viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire de la CEE, ils s'apercevraient qu'il est plus difficile de demeurer concurrentiel en achetant des bovins et, une fois leur marge réduite au point où ils devraient renoncer à des ventes par manque de bénéfices, ils réduiraient leur production de viande de boeuf désossée destinée à la transformation, d'où une baisse de la demande de vaches sur le marché national. Les exploitants de parcs d'engraissement feraient face à une diminution des prix pratiqués par les exploitants nationaux d'abattoirs, ce qui entraînerait, par la suite, un rétrécissement des marges bénéficiaires et compliquerait la tâche de ces exploitants pour ce qui est de concurrencer les parcs d'engraissement des États-Unis dans le cas des veaux d'engraissement. Les éleveurs-naisseurs recevraient des sommes inférieures de la part des parcs d'engraissement nationaux, les exploitants nationaux d'abattoirs étant incapables de soutenir la concurrence exercée par les États-Unis à l'égard des animaux engraissés.

Pour ce qui est des recettes des producteurs de bovins, le Tribunal note que selon un témoin expert, une reprise des importations subventionnées de viande de boeuf originaire de la CEE dans des proportions de 50 millions de livres par année se traduirait par une baisse des recettes pouvant atteindre 8 p. 100. Le Tribunal considère qu'il s'agit d'une diminution importante qui, combinée à d'autres facteurs commerciaux, nuirait, de façon sensible, aux producteurs canadiens.

Le Tribunal a rendu ces conclusions sans tenir compte des répercussions, sur l'industrie, des représailles dont les États-Unis pourraient user contre les exportations canadiennes de viande de boeuf ou de bovins sur pied. De l'avis du Tribunal, les producteurs nationaux subiraient vraisemblablement un préjudice sensible en cas de reprise des importations subventionnées originaires de la CEE même si l'accès au marché des États-Unis n'était pas entravé. Il n'était donc pas nécessaire de déterminer la probabilité de l'application de mesures commerciales par les États-Unis ou leur pertinence relativement aux présentes conclusions de réexamen.

LA CONCLUSION

Selon les éléments de preuve qui lui ont été soumis, le Tribunal conclut qu'il y aurait une reprise des importations subventionnées de viande de boeuf désossée destinée à la transformation originaire de la CEE, et ce en grandes quantités, si les conclusions étaient annulées. Les subventions permettront aux marchandises exportées par la CEE de faire à nouveau leur entrée sur le marché canadien à des prix qui leur garantiront une part du marché. Selon le Tribunal, les importations originaires de la CEE ajouteraient aux problèmes que connaît déjà l'industrie nationale en raison de l'augmentation des marchandises importées d'autres sources et de la situation stagnante du marché. Le Tribunal est convaincu que si les importations de la CEE recommencent, les exploitants nationaux d'abattoirs devront abandonner une part du marché ou assumer des pertes financières, et les fournisseurs d'animaux sur pied feront face à une baisse de leurs ventes au Canada. En conséquence, le Tribunal proroge les conclusions rendues par le Tribunal canadien des importations, sans modification.


1. DORS/84-927, 22 novembre 1984.

2. DORS/89-35, 27 décembre 1988.

3. L.R.C. (1985), ch. S-15.

4. DORS/85-1068, 7 novembre 1985.

5. Accord relatif à l'interprétation et à l'application des articles VI, XVI et XXIII de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce , Genève, 1979.

6. [1989] 2 C.F. 517.

7. Tribunal canadien du commerce extérieur, Appels n os 2437, 2438, 2485, 2591 et 2592, le 30 avril 1990, et rapportée dans (1990) 1 T.S.T. 1428, p. 1443.

8. Accord relatif à la mise en oeuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce , Genève, 1979.

9. Supra, note 6.

10. 19 U.S.C. 2253 note.

11. L.R.C. (1985), ch. M-3.

12. Les bovins d'engraissement sont des veaux sevrés dont l'alimentation comporte peu de protéines pour favoriser la croissance. Ils sont ensuite vendus à des exploitants de parcs d'engraissement aux fins de finition.

13. Supra, note 10.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 25 août 1997