OBUS PLEINS DE CALIBRE 12 (MUNITIONS)

Réexamens (article 76)


OBUS PLEINS DE CALIBRE 12 (MUNITIONS) ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE L'UNION DES RÉPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIÉTIQUES, DE LA POLOGNE, DE LA TCHÉCOSLOVAQUIE ET DE LA HONGRIE; ET CARTOUCHES DE FUSILS DE CALIBRE 12 ORIGINAIRES OU EXPORTÉES D'ITALIE, DE FRANCE, DE BELGIQUE ET DU ROYAUME-UNI
No du réexamen : RR-89-001

TABLE DES MATIÈRES


Ottawa, le mercredi 4 octobre 1989

No du réexamen : RR-89-001

EU ÉGARD À un réexamen effectué en vertu de l'article 76 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation visant les conclusions de préjudice sensible rendues le 27 septembre 1979 et maintenues le 20 mars 1985;

AU SUJET DES OBUS PLEINS DE CALIBRE 12 (MUNITIONS) ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE L'UNION DES RÉPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIÉTIQUES, DE LA POLOGNE, DE LA TCHÉCOSLOVAQUIE ET DE LA HONGRIE;

ET EU ÉGARD À un réexamen effectué en vertu de l'article 76 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation visant les conclusions de préjudice sensible rendues le 27 mars 1986;

AU SUJET DES CARTOUCHES DE FUSILS DE CALIBRE 12 ORIGINAIRES OU EXPORTÉES D'ITALIE, DE FRANCE, DE BELGIQUE ET DU ROYAUME-UNI.

Lieu et dates de l'audience : Ottawa (Ontario)
Les 10 et 11 juillet 1989


Participants : John D. Richard, c.r.
pour Société d'expansion commerciale Libec Inc.
Montréal (Québec)
H1Z 3G5

(fabricant)
W. Gerald Mazzei
pour Royal Canadian Cartridge & Munitions Corp.
North Vancouver (Colombie-Britannique)
V7K 3C2

Sylvie Bigras
pour Fédération de tir du Canada
Gloucester (Ontario)
K1B 5N4

R.F. Gore
pour Pragotrade
Division de Motokov Canada Inc.
Rexdale (Ontario)
M9W 5V1

(utilisateur - importateur - autre)

Jury :
Membre présidant : Arthur B. Trudeau

Membre : W. Roy Hines

Membre : Kathleen Macmillan


Personnel désigné :
Directeur : Marcel J.W. Brazeau

Agent de la recherche : Ken Campbell

Avocat du Tribunal : Ginette Collin

Commis à l'inscription et
à la distribution : Molly C. Hay


Adresser toute communication au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
20e étage
Immeuble Journal sud
365, avenue Laurier ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

CONCLUSIONS DE RÉEXAMEN

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, en application de l'article 76 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, a procédé à un réexamen des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal antidumping le 27 septembre 1979 au sujet des obus pleins de calibre 12 (munitions) originaires ou exportés de l'Union des républiques socialistes soviétiques, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie dans le cadre de l'enquête n° ADT-6-79, maintenues le 20 mars 1985 dans le cadre du réexamen n° R-13-84; et des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien des importations le 27 mars 1986 au sujet des cartouches de fusils de calibre 12 originaires ou exportées d'Italie, de France, de Belgique et du Royaume-Uni dans l'enquête n° CIT-14-85.

En vertu du paragraphe 76(4) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur annule les conclusions du 27 septembre 1979 maintenues le 20 mars 1985, de même que les conclusions du 27 mars 1986, à compter du 4 octobre 1989.

Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre présidant


W. Roy Hines
_________________________
W. Roy Hines
Membre


Kathleen Macmillan
_________________________
Kathleen Macmillan
Membre


Robert J. Martin
_________________________
Robert J. Martin
Secrétaire

EXPOSÉ DES MOTIFS

LES FAITS

Le présent réexamen est effectué en application de l'article 76 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation [1] (la Loi) et porte sur les conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal antidumping le 27 septembre 1979 au sujet des obus pleins de calibre 12 (munitions) originaires ou exportés de l'Union des républiques socialistes soviétiques, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie dans le cadre de l'enquête n° ADT-6-79, maintenues le 20 mars 1985 dans le cadre du réexamen n° R-13-84, et des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien des importations le 27 mars 1986 au sujet des cartouches de fusils de calibre 12 originaires ou exportées d'Italie, de France, de Belgique et du Royaume-Uni dans l'enquête n° CIT-14-85.

Le 27 septembre 1979, à l'issue d'une enquête menée conformément à l'article 16 de la Loi antidumping [2] , le Tribunal antidumping a conclu que les obus pleins de calibre 12 (munitions) originaires ou exportés de l'Union des républiques socialistes soviétiques, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie étaient susceptibles de causer un préjudice sensible.

Ces conclusions étaient en vigueur lorsque la Loi a été édictée le 1er décembre 1984 et ont été maintenues en vertu des dispositions transitoires contenues dans celle-ci. La Loi abrogeait et remplaçait la Loi antidumping et prévoyait la création du Tribunal canadien des importations. Le 20 mars 1985, le Tribunal canadien des importations, après avoir complété un réexamen en vertu de l'article 76 de la Loi, a ordonné le maintien desdites conclusions sans modification.

Les autres conclusions de préjudice sensible visées par le présent réexamen remontent au 27 mars 1986 et résultent d'une enquête menée en vertu du paragraphe 42(1) de la Loi. Le Tribunal canadien des importations a conclu que le dumping au Canada des cartouches de fusils de calibre 12 originaires ou exportées d'Italie, de France, de Belgique et du Royaume-Uni avait causé, causait et était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.

Le 31 décembre 1988, les dispositions des articles 16 à 37 et 41 à 62 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [3] sont entrées en vigueur. Ainsi, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a été créé et le Tribunal canadien des importations a cessé d'exister à cette date. En application de l'article 76 de la Loi, le Tribunal a réexaminé les deux séries de conclusions et a émis un Avis de réexamen le 27 février 1989, dans lequel il soulignait que la situation du marché avait suffisamment évolué pour justifier le réexamen des deux séries de conclusions. Cet avis a été communiqué à toutes les parties intéressées et a été publié dans la Gazette du Canada du 11 mars 1989. Comme elles portent sur la même catégorie de marchandises, les deux séries de conclusions ont été combinées aux fins du réexamen.

Le 5 avril 1989, le Tribunal a communiqué un Avis de changement de la date de l'audience publique à toutes les parties intéressées connues. Cet avis a paru dans la Gazette du Canada du 15 avril 1989.

Dans le cadre du réexamen, le Tribunal a soumis des questionnaires détaillés aux fabricants canadiens et à certains importateurs des marchandises en question. À partir des réponses aux questionnaires et d'autres sources, les agents de la recherche du Tribunal ont préparé des rapports public et protégé préalables à l'audience concernant le réexamen. En outre, le dossier renferme tous les documents pertinents, y compris les conclusions initiales et l'ordonnance, l'Avis de réexamen et les réponses publiques et confidentielles aux questionnaires. Toutes les pièces publiques ont été transmises aux parties intéressées, alors que les documents protégés n'ont été communiqués qu'aux avocats indépendants.

Des audiences publiques et à huis clos ont eu lieu à Ottawa (Ontario) les 10 et 11 juillet 1989.

La Société d'expansion commerciale Libec Inc. (Libec), un fabricant, était représentée à l'audience par un avocat; elle a soumis des éléments de preuve et plaidé en faveur du maintien des conclusions.

La Royal Canadian Cartridge & Munitions Corp. (RCCM), un fabricant éventuel des marchandises en question, a également soumis des éléments de preuve en faveur du maintien des conclusions. La société était représentée par un avocat, mais celui-ci n'a convoqué aucun témoin.

Un témoin pour Pragotrade, une division de Motokov Canada Inc. (Pragotrade), un importateur d'obus pleins fabriqués en Tchécoslovaquie, a demandé que les conclusions de 1979 soient annulées.

Un porte-parole de la Fédération de tir du Canada a comparu et a demandé que les obus pleins de calibre 12 d'un poids de 28 grammes ne soient pas touchés par les conclusions.

À la demande du Tribunal, des porte-parole de Canadian Tire Corp. (CTC) ont participé à l'audience pour répondre aux questions quant aux politiques et aux procédures d'approvisionnement de la CTC visant les marchandises en question.

Même si la société Eley Limited, un fabricant et exportateur d'obus pleins du Royaume-Uni, et la Mission commerciale d'URSS au Canada ont déposé un avis de comparution, Eley ayant également soumis une présentation écrite, ni l'une ni l'autre n'est intervenue au cours de l'audience.

LE PRODUIT

D'après les documents reprenant les conclusions du Tribunal, les marchandises en cause sont des obus pleins de calibre 12. Les fabricants canadiens offrent des cartouches de calibre 12, 16, 20, 28 et .410. Les cartouches de calibre 12 interviennent pour environ 85 p. 100 du marché canadien. Elles sont disponibles selon diverses grosseurs de plombs et diverses charges variables selon les besoins des chasseurs. Les cartouches à gros plombs sont utilisées pour la chasse au petit gibier comme le lapin, alors que celles à petits plombs servent à la chasse aux oiseaux et au tir au pigeon d'argile.

Les enquêtes précédentes ont permis de distinguer deux segments de marché pour les marchandises en cause : celui des cartouches de première qualité et celui des cartouches de promotion. Les premières se distinguent des secondes en ce qu'elles contiennent plus de plombs, que leur charge est plus puissante et que leur douille est plus élevée. De plus, les cartouches de première qualité sont des produits de marque faisant l'objet d'importantes campagnes publicitaires; elles ne sont offertes qu'en calibre 12, avec des plombs de dimensions limitées, et renferment habituellement 1 1/8 once de plombs.

L'INDUSTRIE NATIONALE

La composition de l'industrie nationale a beaucoup évolué au fil des ans. Les Industries Valcartier Inc. (IVI), qui intervenait pour plus de 90 p. 100 de la production canadienne de cartouches à l'époque de l'enquête de 1986, a cessé d'en fabriquer au début de 1988. De nouveaux fabricants ont en partie comblé le vide laissé par IVI.

Filiale à part entière du Groupe SNC de Montréal, IVI était le seul fabricant intégré de cartouches au Canada. La société exploitait une usine à Val Bélair (Québec) et disposait d'une fonderie, d'un laminoir, d'installations de transformation du plastique et d'ateliers d'usinage.

Libec et IVI ont participé au réexamen de 1985 et à l'enquête de 1986 en tant que parties plaignantes. Fondée en 1980, Libec a commencé à fabriquer des cartouches à son usine de Ste-Justice de Newton (Québec) en 1984. Contrairement à IVI, Libec n'est pas un fabricant entièrement intégré; elle utilise plutôt des chargeuses automatisées pour assembler les composantes des cartouches. La société s'approvisionne en composantes et en matières premières auprès de fournisseurs canadiens et étrangers.

Quatre autres sociétés canadiennes ont commencé à fabriquer des cartouches de calibre 12 depuis 1986 et assurent le reste de la production nationale. Deux d'entre elles, Bleimeister Lead Shot Ltd. (Bleimeister), d'Edmonton (Alberta) et Shur-Shot Mfg. Ltd. (Shur-Shot), de Surrey (Colombie-Britannique) sont situées dans l'ouest du pays, alors que les deux autres, Tony Sport Reg'd (Tony Sport) et Amerie Rosario Pistone Enrg. (Pistone) sont établies à Montréal (Québec). Tout comme Libec, ces nouveaux fournisseurs ne sont pas des fabricants intégrés, mais ils utilisent plutôt des chargeuses automatisées pour assembler les composantes des cartouches.

HISTORIQUE

À l'enquête de 1979, la partie plaignante et le plus important des deux fabricants canadiens de cartouches, IVI, a soutenu que le dumping causait un préjudice sensible sous forme d'une compression des prix, de pertes de bénéfices et de ventes, d'une diminution des emplois et d'une utilisation réduite de la capacité. L'autre fabricant canadien, Winchester Western (Canada) Limited, appuyait la plainte, mais a avisé le Tribunal de son intention de mettre fin à ses activités de production pour des motifs non liés au dumping.

Au cours de l'audience, les participants ont convenu de façon générale de l'existence de deux segments de marché pour les marchandises en cause : celui des cartouches de première qualité et celui des cartouches de promotion. Selon les éléments de preuve, les cartouches de première qualité renfermaient des composantes plus coûteuses et devaient donc être vendues à un prix plus élevé que les autres. Les fournisseurs canadiens offraient les deux types de cartouches de calibre 12, alors que les importations provenant des pays susmentionnés se composaient exclusivement de cartouches de promotion. Même si le Tribunal a souligné que les cartouches importées étaient de qualité légèrement inférieure à celles de même type fabriquées au Canada, il estimait en dernière analyse que les importations concurrençaient directement les cartouches de promotion de fabrication canadienne.

Entre 1976 et 1979, même si le marché intérieur apparent des cartouches de promotion s'est développé, la part des fournisseurs canadiens a régressé. En revanche, celle des sociétés d'Europe de l'Est, qui était négligeable en 1976, atteignait 32 p. 100 à la fin de mai 1979. Bien que le dumping des importations d'Europe de l'Est, moins coûteuses, ait contribué à la détérioration de la situation financière d'IVI, d'autres facteurs, y compris le déménagement de ses installations de production et des problèmes de livraison, ont sensiblement miné sa capacité de production.

Comme la production au Canada avait débuté récemment et compte tenu de la gravité des répercussions des facteurs non liés aux coûts sur la production et les ventes d'IVI, le Tribunal a conclu que le dumping n'avait pas causé, ne causait pas, mais était susceptible de causer un préjudice sensible.

Lors du réexamen de 1985, le Tribunal a constaté que depuis les conclusions de 1979, le marché s'était considérablement effrité. En 1981, il avait régressé de moitié par rapport à 1978 alors qu'en 1984, il avait encore quelque peu diminué comparativement à 1981.

Diverses raisons ont été avancées pour expliquer ce phénomène, y compris la tendance vers l'urbanisation, le manque d'intérêt dans la chasse de la part des jeunes, le contrôle plus strict des armes à feu et la longue sécheresse dans les Prairies qui a réduit de 40 p. 100 la population du gibier à plumes. Ce rétrécissement du marché avait rendu précaire l'investissement d'IVI et avait confronté la société aux rabais intéressants offerts par les divers fournisseurs. Elle était donc très vulnérable à une concurrence déloyale au chapitre des prix. Les exportateurs tchèques ont soutenu que les valeurs normales appliquées dans leur cas, et fondées sur le prix des produits italiens vendus sur le marché intérieur, étaient beaucoup plus élevées que le prix des exportations italiennes selon leurs sources. Ils jugeaient donc inutile toute tentative de percer sur le marché canadien, d'où l'absence de cartouches de calibre 12 importées de la Tchécoslovaquie. Il n'était pas déraisonnable de supposer que l'URSS, la Pologne et la Hongrie étaient dans la même situation. Le 20 mars 1985, le Tribunal a donc maintenu sans modification les conclusions de 1979.

Au cours de l'enquête de 1986 sur les importations provenant des quatre pays d'Europe de l'Ouest, les deux fabricants canadiens, IVI et Libec, ont soutenu que le dumping des marchandises en question avait causé un préjudice sensible.

Le Tribunal a accordé beaucoup d'importance au rôle de CTC, vu le chiffre d'affaires considérable de cette entreprise à très grande surface de vente. Il a été précisé qu'entre 1971 et 1982, IVI avait fourni des cartouches de promotion de marque privée à CTC. En 1983, IVI a répondu à une demande de prix de CTC en accordant un rabais. CTC a répondu que ce prix restait trop élevé par rapport à celui des importations. Le marché a été attribué à la firme italienne Olin, qui faisait concurrence à Eley, du Royaume-Uni. En 1984, IVI a soumis un prix réduit, mais la commande a été attribuée à Eley pour un prix sensiblement moins élevé que celui exigé par IVI.

Pour tenter de reconquérir le marché des cartouches de promotion de marque privée de CTC en 1985, IVI a soumissionné le prix le plus bas possible; ce prix, qui n'englobait que les coûts directs de la main-d'oeuvre et des matériaux, était légèrement supérieur à celui proposé par le Royaume-Uni. IVI a décroché une commande de plusieurs millions de cartouches qui explique à elle seule l'accroissement de la production et de la part de marché d'IVI en 1985. N'eût été de ce marché, ces deux facteurs se seraient nettement détériorés en 1985 par rapport à l'année précédente. Cependant, l'accroissement du volume des ventes a été payé chèrement. Les pertes découlant des ventes à CTC expliquent dans une large mesure la détérioration de la performance d'IVI en 1985.

De l'avis du Tribunal, la compression des prix et les pertes de ventes liées au marché de CTC sont à elles seules d'une importance considérable. En outre, les données sur les prix confirment que la vaste distribution des importations à moindre coût a obligé les fabricants canadiens à ramener leurs prix au même niveau, tant chez les distributeurs et les entreprises à très grande surface de vente que chez les détaillants, pour éviter de perdre des ventes. Le préjudice causé par le dumping prenait aussi la forme d'une réduction du volume des ventes à des clients autres que CTC. Ces pertes au cours de la période à l'étude furent importantes.

Le Tribunal a conclu que le dumping des importations provenant des pays en question avait causé, causait et était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires. En 1985, un nombre important de cartouches de chacun des quatre pays visés est entré à des prix de dumping. Les deux fournisseurs intérieurs avaient été victime d'une compression et d'une érosion des prix entraînant d'importantes pertes de bénéfices. Bien que le préjudice ait surtout frappé les cartouches de promotion, les ventes de cartouches de première catégorie ont également été touchées.

POSITION DES PARTIES

Au cours du présent réexamen, l'avocat de Libec a soutenu que si les conclusions étaient annulées, le dumping risquait fort de reprendre de plus belle, ce qui nuirait à la production intérieure et empêcherait l'expansion future de son client et de RCCM. Libec, qui a amorcé la fabrication de cartouches en 1984, a commencé à accroître sa capacité de production et entend procéder à d'importantes immobilisations, lesquelles pourraient toutefois être remises en question si les conclusions étaient annulées.

Les éléments de preuve et le plaidoyer de Libec reposent essentiellement sur son incapacité de vendre des cartouches de calibre 12 à CTC, qui est de loin le plus important acheteur des marchandises en question au pays. Selon les témoins entendus, CTC a fait l'essai des cartouches de Libec et a admis qu'elles répondaient à ses normes de qualité et qu'elles étaient comparables à celles fabriquées aux États-Unis, où CTC s'approvisionne en priorité. Toujours selon les témoins, Libec fabrique une gamme complète de cartouches et est en mesure d'exécuter les commandes de cartouches de première qualité et de promotion destinées à CTC. L'avocat a indiqué que Libec n'avait jamais eu l'occasion de fournir ses produits à CTC, bien qu'elle satisfasse aux exigences de cette dernière au chapitre de la qualité, des délais de livraison et des prix, ajoutant que même si Libec n'est pas un fabricant intégré, cela ne l'empêche pas d'approvisionner CTC.

Au sujet des risques de dumping, l'avocat a repris les éléments de preuve fournis par Pragotrade, soutenant que la société ne pouvait concurrencer les prix que si les conclusions étaient annulées dans le cas des importations de la Tchécoslovaquie, d'où reprise du dumping. Il a ajouté que les importations provenant des États-Unis avaient sensiblement augmenté, ce qui, à son avis, révélait qu'elles faisaient l'objet de dumping, mais que l'industrie pouvait s'adresser à Revenu Canada pour obtenir des allégements. Cependant, si les conclusions étaient annulées, il a précisé que Libec aurait peine à résister, tant à la concurrence exercée par les sociétés américaines qu'à la reprise inévitable du dumping de la part des huit pays européens visés par les deux séries de conclusions.

L'avocat de RCCM a indiqué que l'industrie intérieure en était à ses débuts et que la reprise du dumping, qui se produirait à son avis si les conclusions étaient annulées, lui porterait préjudice. Il a mentionné les importantes immobilisations auxquelles RCCM avait procédé jusqu'ici, de même que les projets de son client et de Libec qui pourraient favoriser la fabrication intégrée de cartouches au Canada dans un avenir prévisible, soutenant que dans ces circonstances, l'industrie méritait d'être protégée contre la concurrence exercée par le dumping.

Le représentant de Pragotrade a souligné que les achats de CTC sur le marché intérieur étaient certes importants, mais qu'il ne s'agissait pas du seul acheteur de cartouches au Canada. À son avis, selon les éléments de preuve, il existe un grand nombre de petits clients et bon nombre de ces détaillants et utilisateurs ont indiqué qu'ils souhaitaient acheter des cartouches fabriquées en Tchécoslovaquie.

Selon les témoins, l'accès de Pragotrade aux cartouches de la Tchécoslovaquie a été limité par son fournisseur et la plus récente livraison, qui remonte à 10 ans, visait à peine deux millions de cartouches par année. On a donc soutenu que les cartouches de la Tchécoslovaquie ne seraient jamais disponibles en quantité suffisante pour inonder le marché canadien et ne pouvaient, par conséquent, menacer la production intérieure de marchandises similaires.

MOTIFS DE LA DÉCISION

D'après les éléments de preuve fournis au cours de ce réexamen, l'industrie et le marché canadiens ont beaucoup évolué depuis la dernière enquête concernant les cartouches de calibre 12. La production intérieure de ces cartouches a fortement chuté au cours des quelque 10 dernières années, passant d'environ 62 millions à près de 10 millions d'unités entre 1976 et 1988. De même, pour les raisons évoquées dans le cadre du réexamen de 1985 et qui demeurent valables, le marché canadien des cartouches s'est grandement effrité, passant de 85 à 46 millions d'unités entre 1978 et 1988.

L'un des faits marquants survenus depuis 1986 est l'interruption des activités de production d'IVI au début de 1988, ce qui a ultimement incité le Tribunal à procéder au présent réexamen. Comme nous l'avons vu, IVI était le seul fabricant intégré de cartouches au Canada et assurait plus de 90 p. 100 de la production intérieure des marchandises en cause.

Les autres fabricants canadiens n'ont pas combl 9‚ le vide laissé par le départ d'IVI. En effet, en 1988, leurs ventes représentaient moins de 15 p. 100 de la demande totale. Par contre, les huit pays d'Europe visés par ce réexamen n'ont pas cherché non plus à succéder à IVI. Ceux d'Europe de l'Est visés par les conclusions de préjudice rendues en 1979, à savoir l'Union des républiques socialistes soviétiques, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, ont livré au Canada des quantités négligeables, voire nulles dans certains cas, de marchandises en cause depuis ce temps-là. De même, les pays d'Europe de l'Ouest visés par les conclusions de préjudice rendues en 1986, à savoir l'Italie, la France, la Belgique et le Royaume-Uni, sont moins actifs sur le marché canadien et n'ont accaparé au total que 2 points du marché en 1988.

Les éléments de preuve démontrent clairement que les anciens clients d'IVI se sont tournés vers les fournisseurs américains. Bien que ces derniers aient toujours été assez présents au Canada avec des ventes de 10 millions de cartouches par année en 1986 et en 1987, ils ont écoulé environ 36 millions de cartouches en 1988 et leur part du marché a progressé de presque 50 points.

Cet important revirement au profit des fabricants américains de cartouches comme Remington, Winchester et Federal s'explique par divers facteurs qui ont joué en leur faveur, comme les restrictions imposées aux fournisseurs européens à la suite des conclusions de préjudice rendues par le Tribunal et un taux de change plus avantageux.

Comme dans le cas des enquêtes précédentes, la plupart des éléments de preuve avaient trait au cas de CTC, de loin le plus important client de cartouches. Jusqu'en 1988, celui-ci s'approvisionnait surtout auprès d'IVI. Toutefois, lorsque cette société a mis fin à ses activités de production au début de 1988, CTC s'est adressé à des fournisseurs des États-Unis. D'après les éléments de preuve fournis par les témoins de CTC, le Tribunal est d'avis que le prix n'a été que l'un des facteurs qui a incité cette entreprise à se tourner vers nos voisins du sud. En fait, il semble que le prix soumis par Libec soit très concurrentiel par rapport à celui exigé par les fournisseurs américains.

Le Tribunal est d'avis que les décisions de CTC concernant ses achats se fondent sur plusieurs facteurs, le prix n'étant que l'un des éléments pris en compte. Certes, la qualité a son importance et le témoin de CTC a reconnu que Libec offrait des produits de qualité. En outre, CTC compte sur la garantie des approvisionnements et des livraisons, et peut-être surtout sur la possibilité d'offrir à ses clients des produits de marque. De l'avis du Tribunal, cette dernière considération a limité les chances des fournisseurs canadiens d'obtenir des commandes importantes de CTC.

À l'examen du marché intérieur, il est clair pour le Tribunal que les fournisseurs européens sont moins présents depuis quelques années; en fait, les quatre pays d'Europe de l'Est visés par les conclusions de 1979 n'ont effectué aucune livraison. Même si les importations provenant des quatre pays d'Europe de l'Ouest ont continué, leur volume a diminué et ne saurait être considéré comme une menace pour l'industrie canadienne.

De l'avis du Tribunal, les éléments de preuve concernant la propension des huit pays européens à recourir au dumping ne sont guère convaincants. Il a été précisé que les exportateurs d'Europe de l'Est ne pratiquaient pas le dumping et que depuis que les conclusions ont été rendues, moins d'un million de cartouches exportées par l'ensemble des quatre pays exportateurs d'Europe de l'Ouest ont fait l'objet de dumping. Tout problème lié aux chances des fournisseurs canadiens d'obtenir éventuellement de nouveaux contrats dépend peut-être de leur capacité de concurrencer les produits des États-Unis, qui se taillent la part du lion, et non ceux importés d'Europe.

CONCLUSIONS

En conséquence, le Tribunal annule lesdites conclusions, à compter du 4 octobre 1989.


1. L.R.C. 1985, ch. S-15.

2. S.R.C. 1970, ch. A-15.

3. S.C. 1988, ch. 56.


[ Table des matières]

Publication initiale : le 22 août 1997