FEUILLES DE RECHANGE

Réexamens


FEUILLES DE RECHANGE, AUSSI APPELÉES FEUILLETS MOBILES, ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRATIVE DU BRÉSIL
Réexamen no : RR-94-005

TABLE DES MATIERES


Ottawa, le mercredi 5 juillet 1995

EU ÉGARD À un réexamen, aux termes du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 6 juillet 1990, dans le cadre de l’enquête no NQ-89-004, concernant les :

FEUILLES DE RECHANGE, AUSSI APPELÉES FEUILLETS MOBILES, ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRATIVE DU BRÉSIL

O R D O N N A N C E

Conformément aux dispositions du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à un réexamen des conclusions de préjudice sensible qu’il a rendues le 6 juillet 1990, dans le cadre de l’enquête no NQ-89-004.

Aux termes du paragraphe 76(4) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur proroge, par la présente, les conclusions au sujet du dumping au Canada des feuilles de rechange originaires ou exportées de la République fédérative du Brésil.

En outre, aux termes du paragraphe 76(4) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur annule, par la présente, les conclusions concernant le subventionnement des feuilles de rechange originaires ou exportées de la République fédérative du Brésil.

Raynald Guay
_________________________
Raynald Guay
Membre présidant


Arthur B. Trudeau
_________________________
Arthur B. Trudeau
Membre


Lise Bergeron
_________________________
Lise Bergeron
Membre


Michel P. Granger
_________________________
Michel P. Granger
Secrétaire

Loi sur les mesures spéciales d’importation - Déterminer s’il y a lieu d’annuler ou de proroger, avec ou sans modification, les conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 6 juillet 1990, dans le cadre de l’enquête no NQ-89-004.

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)
Date de l’audience : Le 15 mai 1995

Date de l’ordonnance et des motifs : Le 5 juillet 1995

Membres du Tribunal : Raynald Guay, membre présidant
Arthur B. Trudeau, membre
Lise Bergeron, membre

Directeur de la recherche : Sandy Greig

Agent principal de la recherche : W. Douglas Kemp

Économiste et préposé aux
statistiques : Marcie Doran

Avocats pour le Tribunal : John L. Syme
Heather A. Grant

Agent à l’inscription et à la
distribution : Margaret J. Fisher


Participant : Michael D. Vineberg
David J. Shapiro
pour Les Produits Fanco Ltée

(fabricant)

Témoins :
Samuel Eidinger
Président
Les Produits Fanco Ltée

Harvey Eidinger
Vice-président
Les Produits Fanco Ltée

Gordon B. Hicks
Vice-président, Ventes et marketing
Hilroy, A Mead Company

Daniel S. Bell
Acheteur principal
Zellers Inc.

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

Il s’agit d’un réexamen, aux termes du paragraphe 76(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] (la LMSI), des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) le 6 juillet 1990, dans le cadre de l’enquête no NQ-89-004, concernant les feuilles de rechange, aussi appelées feuillets mobiles, originaires ou exportées de la République fédérative du Brésil (le Brésil).

Aux termes du paragraphe 76(2) de la LMSI, le Tribunal a procédé à un réexamen des conclusions et a publié un avis de réexamen [2] le 30 janvier 1995. Cet avis a été envoyé à toutes les parties intéressées connues.

Dans le cadre du présent réexamen, le Tribunal a envoyé des questionnaires détaillés aux fabricants, aux importateurs et aux acheteurs canadiens de feuilles de rechange. À partir des réponses à ces questionnaires et de renseignements obtenus d’autres sources, le personnel de la recherche du Tribunal a préparé des rapports public et protégé préalables à l’audience. Dans le cadre de ses activités de recherche, le personnel de la recherche du Tribunal a rencontré des fabricants nationaux et des importateurs, pour répondre à toutes les questions visant les questionnaires. En outre, le dossier du présent réexamen comprend tous les documents pertinents, y compris les conclusions de 1990, les rapports public et protégé préalables à l’audience de l’enquête de 1990, l’avis de réexamen, les parties publiques et confidentielles des réponses aux questionnaires, ainsi que les rapports public et protégé préalables à l’audience du présent réexamen. Toutes les pièces publiques ont été mises à la disposition des parties intéressées, tandis que les pièces protégées n’ont été distribuées qu’aux avocats indépendants qui avaient déposé auprès du Tribunal un acte de déclaration et d’engagement en matière de confidentialité.

Des audiences publiques et à huis clos ont été tenues à Ottawa (Ontario) le 15 mai 1995.

Un des deux principaux producteurs nationaux, Les Produits Fanco Ltée (Fanco), était représenté par un avocat à l’audience, a soumis des éléments de preuve et a plaidé en faveur de la prorogation des conclusions.

Hilroy, A Mead Company (Hilroy), l’autre grand fabricant national, est aussi l’un des deux principaux importateurs de feuilles de rechange. Hilroy a répondu au questionnaire et comparu à l’audience, à la demande du Tribunal, pour répondre à des questions concernant le marché des feuilles de rechange et les résultats de Hilroy sur ce marché. Un représentant de Zellers Inc. (Zellers), qui est un détaillant et l’autre grand importateur de feuilles de rechange, a comparu à l’audience à la demande du Tribunal et répondu à des questions au sujet des pratiques d’achat de Zellers en ce qui concerne les articles de papeterie de rentrée des classes, en général, et des feuilles de rechange, en particulier. Ni Hilroy ni Zellers n’étaient représentées par un avocat.

PRODUIT

Le produit visé par le présent réexamen est décrit comme des feuilles de rechange, aussi appelées feuillets mobiles, originaires ou exportées du Brésil. Les feuilles de rechange sont offertes dans une gamme variée de formats, avec différents réglages et diverses dispositions des perforations. Le format des feuilles varie de 3 po x 5 po à 8 1/2 po x 14 po, et les feuilles peuvent comporter des lignes verticales, un quadrillage, des colonnes ou ne pas être réglées. Le type le plus populaire de feuilles de rechange sur le marché mesure 8 3/8 po x 10 7/8 po [3] , comprend des lignes horizontales, une marge verticale et trois perforations permettant l’insertion dans une reliure à anneaux. Aux États-Unis, on utilise surtout des feuilles mesurant 8 po x 10 1/2 po. Les feuilles de rechange peuvent aussi être importées sans être entièrement finies, c'est-à-dire soit en vrac, soit sans perforations ni lignes. Les feuilles de rechange sont vendues selon des formats d’emballage très différents, soit en paquets de 20 feuilles jusqu’à 1 000 feuilles. Le paquet le plus populaire, produit au Canada ou importé, est celui de 200 feuilles.

La plupart du temps, les feuilles de rechange sont utilisées dans les établissements d’enseignement. Par conséquent, le marché de ces marchandises est saisonnier, et la majorité des ventes aux utilisateurs finals se font entre le début d’août et la mi-septembre. Le démarchage des producteurs commence à la fin de l’automne et la livraison se fait l’été suivant. Au début du printemps, la plupart des gros acheteurs se sont engagés pour la saison suivante. En se fondant sur le carnet de commandes, les fabricants commencent à produire les feuilles de rechange en janvier ou en février et poursuivent la production jusqu’en août. Les livraisons commencent en mars ou en avril et se poursuivent jusqu’en août. La plupart des livraisons se font entre la fin juin et le mois d’août.

Le marché des feuilles de rechange est dominé par les grands détaillants qui utilisent les feuilles de rechange comme produit d’appel dans leurs programmes de rentrée des classes. En vue de réduire la perte que leur feront subir les ventes de ce produit, ces marchandiseurs exigent le meilleur prix possible sur le marché.

Les producteurs de feuilles de rechange ont généralement plusieurs chaînes de production capables de fabriquer des feuilles de rechange et des articles connexes de papeterie. Chaque chaîne de production peut varier par l’âge, l’ingénierie, la complexité, la souplesse, l’apport de main-d’œuvre et la rentabilité. La plupart des machines modernes sont fabriquées en Allemagne et exploitent deux rouleaux de papier pour tablettes, de 43 po de largeur x 55 po de hauteur, pesant chacun entre 2 500 et 3 000 lb. Le papier est monté sur des dévidoirs et passe par une série de rouleaux et de cylindres ou matrices de réglage qui impriment les lignes sur le papier. Le papier ligné est alors coupé aux dimensions, perforé et empilé en feuilles finies. Une feuille de couverture préimprimée est placée sur le dessus du nombre requis de feuilles, et le produit est emballé sous film de plastique. Le produit passe ensuite par un tunnel chauffant dans lequel le film de plastique se rétracte et enveloppe le papier de manière à former un emballage plastique solide. Les paquets sont ensuite mis en boîte pour la livraison.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

En 1989, il y avait quatre fabricants de feuilles de rechange au Canada. Les deux plus grands, Hilroy et Fanco, assuraient la grande majorité de la production intérieure de feuilles de rechange, alors que les sociétés Esselte Pandaflex Canada Inc. (Esselte) et Spiral Paper Products, Division of Belt Manufacturing Limited (Spiral), se partageaient le reste de la production intérieure. Peu après les conclusions de 1990, Esselte a cessé la production de feuilles de rechange.

Fanco, qui a été fondée par M. Samuel Eidinger en 1943, demeure sous le contrôle de la famille Eidinger, de Montréal (Québec). La société a commencé à fabriquer des produits en papier, y compris des feuilles de rechange, vers 1969. Elle vend le gros de sa production aux grandes surfaces. Les feuilles de rechange sont le principal élément du programme d’articles de papeterie de rentrée des classes de Fanco, se vendant mieux que tous les autres produits de papeterie scolaire, en volume comme en valeur. Les autres produits que Fanco fournit comprennent les cahiers à reliure spirale et les cahiers d’exercices, le papier d’ordinateur, les reliures à anneaux, les couvertures pour rapports, les albums de coupures, le papier de bricolage et divers blocs. Elle produit également des blocs et des reliures pour le commerce (le bureau). Fanco produit les articles de papeterie à son usine de Montréal et les reliures à anneaux en vinyle à son établissement de Lachine (Québec).

Hilroy a été fondée en 1918 par M. Roy C. Hill pour la conversion de produits en papier pour le marché des fournitures scolaires. Hilroy fabrique des feuilles de rechange depuis plus de 60 ans et fournit une vaste gamme de produits aux grossistes pour la revente sur le marché de consommation. Ses autres produits comprennent les cahiers d’exercices à reliure par brochage, les cahiers à reliure spirale, les couvertures pour mémoires, les feuillets intercalaires à onglets, les blocs-sténos, les reliures à anneaux, les planchettes à pince, les carnets de notes et les blocs-notes. L’entreprise fabrique ces produits à son usine de Toronto (Ontario).

Au moment de l’enquête, Hilroy était une division d’Abitibi-Price Inc. qui l’avait achetée en 1968 à la famille Hill. En 1990 et au cours de la plupart des années antérieures, Hilroy a fabriqué toutes les feuilles de rechange qu’elle a vendues au Canada. Cependant, depuis 1991, Hilroy a fait l’appoint de sa production par des importations de feuilles de rechange. En 1995, Hilroy a été vendue à Mead School & Office Products, a division of Mead Corporation, de Dayton (Ohio). Cette aliénation d’entreprise n’a rien changé à la pratique de Hilroy de faire l’appoint de sa production par l’importation de marchandises, et ses projets pour l’année à venir semblent comporter un recours encore plus grand aux feuilles de rechange importées.

Spiral a été établie en 1981. À l’origine, elle vendait ses produits essentiellement par contrat aux conseils scolaires. Les feuilles de rechange étaient un élément important de la production et des ventes de l’entreprise. Vers 1992, l’entreprise a changé le point de mire de sa commercialisation, passant de la vente par contrat à la vente au détail par listes de prix. Sur ce marché, les feuilles de rechange sont devenues un élément secondaire de la production et des ventes de l’entreprise.

Aux fins du présent réexamen, le Tribunal considère que Fanco et Hilroy interviennent pour une proportion majeure de la production canadienne.

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS DE 1990

Le 6 juillet 1990, le Tribunal a conclu que le dumping et le subventionnement des feuilles de rechange brésiliennes avaient causé, causaient et étaient susceptibles de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires. Le Tribunal a explicitement fait remarquer que deux producteurs nationaux, Hilroy et Fanco, assuraient la quasi-totalité de la production intérieure, Hilroy ayant bien au-delà de la moitié du volume. Pour ces motifs, le Tribunal a considéré que chaque entreprise intervenait pour une proportion majeure de la production canadienne et que le préjudice sensible causé à l’un ou l’autre producteur par le dumping ou le subventionnement des feuilles de rechange était suffisant pour justifier des conclusions de préjudice sensible à la production intérieure.

Fanco était la partie plaignante dans le cadre de l’enquête et a reçu l’appui de Hilroy. Fanco a allégué qu’en 1989, elle avait perdu un client de longue date, Kmart Canada Limitée (Kmart), pour la fourniture de feuilles de rechange. Kmart a commencé à s’approvisionner auprès de Tilibra Paper Products (Tilibra) du Brésil. Malgré certains indices de tension dans les relations entre Fanco et Kmart, le Tribunal était persuadé que Fanco a perdu ce client lorsqu’elle a refusé d’accorder le bas prix exigé par Kmart, qui était à peu près l’équivalent du prix à quai des feuilles de rechange de Tilibra. Fanco a réagi à cette perte en soumissionnant énergiquement d’autres affaires, ce qui a fini par lui valoir deux gros clients de son concurrent, Hilroy.

Le Tribunal était d’accord avec la position de Fanco selon laquelle elle avait subi un préjudice sensible, à la fois par la vente perdue et par la compression des prix, causé par le dumping et le subventionnement. Il a fait remarquer que Kmart représentait 5 p. 100 du marché canadien et a estimé que la compression des prix subie par Fanco était presque égale à son revenu annuel net moyen avant impôt pour les trois années précédentes. Pour ces motifs, et parce que Fanco intervenait pour une proportion majeure de la production intérieure, le Tribunal a conclu que la production canadienne de feuilles de rechange avait subi et subissait un préjudice sensible. Par ailleurs, parce que les ventes et les marges bénéficiaires de Hilroy avaient augmenté en 1989, le Tribunal n’a pas conclu que le dumping et le subventionnement lui avaient causé un préjudice sensible passé et présent.

Cependant, le Tribunal a conclu à la probabilité de préjudice sensible à la production intérieure à la fois de Fanco et de Hilroy. Il a fait remarquer que l’Amérique du Nord est le principal marché pour ce produit et que les fabricants brésiliens continueraient vraisemblablement à essayer de percer ce marché afin d’utiliser leur capacité excédentaire pendant leur saison creuse, qui coïncide avec la saison de production nord-américaine. De fait, le témoin de Tilibra a confirmé que l’entreprise vendait des feuilles de rechange à perte en vue d’inciter les clients à acheter d’autres produits de papeterie, plus rentables. Le Tribunal a conclu que Tilibra et d’autres fabricants brésiliens auraient fait d’autres ventes importantes en 1989, s’ils avaient fait leurs entrées sur le marché plus tôt, compte tenu de la nature normalisée, et sensible au prix, des marchandises. Le Tribunal prévoyait que la perte de ventes et la compression des prix seraient encore plus graves si des droits antidumping et des droits compensateurs n’étaient pas imposés.

POSITION DES PARTICIPANTS À L’AUDIENCE

Fanco

Les avocats de Fanco ont fait valoir qu’en l’absence de droits antidumping et de droits compensateurs, il est vraisemblable que les importations de feuilles de rechange sous-évaluées et subventionnées en provenance du Brésil réapparaîtront sur le marché canadien en de telles quantités et à des prix qui causeront un dommage sensible à la branche de production de feuilles de rechange.

De l’avis de Fanco, depuis 1990, le Brésil a considérablement accru sa capacité de produire des feuilles de rechange, par l’ajout de plusieurs grosses machines modernes pour la fabrication de feuilles de rechange. Avec l’ajout de ces nouvelles machines, la capacité brésilienne de production de feuilles de rechange dépasse désormais la demande canadienne de ce produit. Cette croissance importante de capacité intensifie les pressions qui poussent les fabricants brésiliens à s’installer sur les marchés d’exportation établis et accroît la probabilité de dumping.

En outre, les avocats de Fanco ont fait remarquer que le Brésil a continué de porter un intérêt vif et constant au marché canadien pour tous les autres produits de programme de rentrée des classes. Les avocats ont signalé que, depuis 1989, tous les grands détaillants canadiens ont fait l’acquisition de produits de papeterie scolaire fabriqués au Brésil, dont certains à des prix très concurrentiels.

Selon la position de Fanco, les feuilles de rechange sont considérées comme l’article de base de l’ensemble des produits de papeterie de rentrée des classes et, en l’absence de droits antidumping et de droits compensateurs, il est probable que les exportateurs brésiliens reprendront le dumping des feuilles de rechange. Les avocats de Fanco ont fait valoir que le fait que les exportateurs brésiliens n’ont pas vendu de feuilles de rechange au Canada depuis les conclusions prouve qu’ils ne peuvent vendre au Canada sans avoir recours au dumping.

Si les importations de feuilles de rechange sous-évaluées et subventionnées réapparaissent sur le marché intérieur, les avocats de Fanco ont fait valoir que les volumes élevés reviendront rapidement, ce qui causera un dommage sensible à la production intérieure de feuilles de rechange. Les avocats ont soutenu que la demande de feuilles de rechange est caractérisée par deux éléments qui l’emportent clairement sur toutes les autres variables contribuant à la dynamique du marché. Dans le marché des feuilles de rechange d’aujourd’hui, la concurrence féroce au niveau du gros exerce des pressions à la baisse constantes sur les prix unitaires. Par ailleurs, la concentration croissante parmi plusieurs gros clients de détail qui achètent des feuilles de rechange accroît considérablement leur pouvoir d’achat respectif, ce qui, par ailleurs, intensifie les pressions à la baisse sur les prix.

Les avocats de Fanco ont signalé que les grandes surfaces ne font qu’un ou deux importants achats de feuilles de rechange par an et que la perte de ce petit nombre de clients au profit d’un tiers pourrait avoir un effet immédiat et très marqué. Rappelant les déclarations du témoin de Zellers, les avocats ont affirmé que, si Zellers apprenait qu’un fournisseur de qualité était disposé à s’engager envers un des concurrents de Zellers, en début de saison d’achat, à lui vendre des marchandises à 15 p. 100 de moins que le prix courant au Canada, Zellers utiliserait ce renseignement dans ses négociations avec Fanco et Hilroy pour obtenir le même prix ou leur retirer sa clientèle.

Les avocats de Fanco ont soutenu que, malgré les bonnes relations passées entre les fournisseurs et les détaillants, ces derniers sont parfois forcés de sacrifier leurs relations à long terme pour le meilleur prix. Il est donc d’autant plus important de protéger la branche de production contre la concurrence injuste; en effet, dès qu’il sera connu que des feuilles de rechange sous-évaluées ou subventionnées sont offertes au niveau du gros, les autres grands détaillants profiteront rapidement de ce renseignement, et Fanco perdra toute une saison de production.

Hilroy

Un représentant de la société a témoigné à l’audience, à la demande du Tribunal, mais Hilroy n’était pas représentée par un avocat. De l’avis de Hilroy, les conclusions du Tribunal ont empêché les feuilles de rechange brésiliennes d’entrer au Canada et, en l’absence d’importations brésiliennes, la part du marché de Hilroy est demeurée assez constante. Cependant, ses prix et ses marges bénéficiaires ont continué de chuter, Hilroy et Fanco réduisant toutes deux leurs prix pour essayer de maintenir et d’améliorer leurs parts du marché.

Selon le témoin de Hilroy, des facteurs de concurrence intérieure ont maintenu les prix du marché et les marges bénéficiaires à de faibles niveaux, et la demande du marché est demeurée pour ainsi dire inchangée, car les effectifs scolaires sont restés stables. Bien qu’il n’y ait pas de substitut acceptable pour les feuilles de rechange, Hilroy prévoit que la consommation diminuera à l’avenir, étant délogée par les ordinateurs domestiques et le papier d’ordinateur qu’utilisent les étudiants.

La perspective d’une prorogation ou d’une annulation des conclusions laisse Hilroy indifférente. Le témoin de Hilroy a déclaré que, bien que la prorogation des conclusions aurait pour effet d’exclure toute concurrence future du Brésil, il n’était pas d’avis que les Brésiliens reviendraient sur le marché canadien avec des feuilles de rechange subventionnées.

Le témoin de Hilroy a fait valoir que le marché canadien des feuilles de rechange est vraisemblablement le marché le plus concurrentiel au monde pour ce produit, ce qui n’est pas de nature à attirer des nouveaux venus. Selon son témoignage, avec le libre-échange, le marché nord-américain est devenu un marché qui est approvisionné surtout par les entreprises nationales de transformation de papier. La concurrence des entreprises de transformation de papier de l’extérieur de l’Amérique du Nord demeure limitée, même s’il n’y a pas de droits antidumping ou de droits compensateurs imposés aux États-Unis. Pour ces motifs, Hilroy croit qu’une annulation des conclusions n’aura aucune répercussion importante à l’avenir [4] .

Zellers

Un acheteur principal de produits de papeterie scolaire chez Zellers a témoigné à l’audience, à la demande du Tribunal. Le témoin de Zellers a indiqué que les conclusions n’avaient eu aucune incidence sur les résultats de l’entreprise. Selon le témoin, Zellers n’a jamais acheté de feuilles de rechange en provenance du Brésil, bien qu’elle ait été approchée par des représentants de la branche de production brésilienne des feuilles de rechange juste avant l’enquête. Zellers n’a pas acheté de feuilles de rechange en provenance du Brésil depuis les conclusions, en raison des droits antidumping et des droits compensateurs qui ont été imposés. Cependant, si les conclusions étaient annulées, le témoin a avancé que Zellers examinerait les coûts et la qualité du produit brésilien. Le témoin a ajouté, cependant, qu’il a entendu dire que le papier brésilien n’est pas d’aussi bonne qualité que le papier canadien.

Zellers est l’un des plus grands détaillants canadiens de feuilles de rechange. En général, elle utilise ce produit comme produit d’appel dans ses produits de rentrée des classes. Dans ses réponses au questionnaire, Zellers a indiqué que la quantité de feuilles de rechange qu’elle vend au détail est directement liée à la quantité que peuvent se procurer les magasins. Selon le témoin de Zellers et les réponses de l’entreprise au questionnaire, Zellers classe le prix comme le facteur le plus important lorsqu’il s’agit de décider des produits à acheter et, par conséquent, elle est particulièrement attentive au prix de gros qu’elle paye. Ainsi, le témoin a avancé qu’une différence de prix de 10 p. 100 entre deux marques concurrentielles de feuilles de rechange serait suffisante pour donner l’incitation nécessaire à changer de fournisseur.

Jusqu’en 1995, Zellers a acheté la totalité de ses feuilles de rechange de la branche de production nationale. En 1995, cependant, Zellers a commencé à s’approvisionner à l’étranger, achetant une partie de ses feuilles de rechange directement en Indonésie, surtout parce qu’elle pouvait trouver des feuilles de rechange indonésiennes de qualité comparable aux feuilles de rechange canadiennes, à très bon prix.

INDICATEURS ÉCONOMIQUES

Les indicateurs économiques que le Tribunal a examinés pour évaluer le marché des feuilles de rechange comprennent les données sur la production des feuilles de rechange de la branche de production, le volume et la valeur des importations, le volume et la valeur des ventes sur le marché intérieur, le volume et la valeur des exportations, les données sur l’établissement des prix, les données sur les coûts, les données financières et d’autres statistiques concernant le marché. Étant donné qu’il n’y a que deux grands fabricants de feuilles de rechange au Canada et un nombre très limité d’importateurs, les données liées aux indicateurs économiques sont confidentielles et ne sauraient être décrites qu’en fonction des tendances qu’elles révèlent.

La production intérieure et le marché des feuilles de rechange ont culminé en 1991. Cette année-là, le volume de feuilles de rechange produites au Canada a augmenté d’un peu moins de 40 p. 100, et le marché a crû tout juste de plus de 40 p. 100, sous la poussée d’importations de plus de 1,5 million de paquets de 200 feuilles de rechange en provenance des États-Unis. Les années suivantes, les volumes de production intérieure ont chuté, avant de revenir à un point situé à quelque 10 points de pourcentage en deçà des sommets de 1994. Le volume des importations a augmenté en 1992 et en 1993, puis chuté en 1994. Au départ, les feuilles de rechange en provenance des États-Unis constituaient les seules importations sur le marché, mais elles ont été ultérieurement rejointes, puis surpassées, par les volumes croissants de feuilles de rechange en provenance de l’Indonésie. Le marché intérieur a fléchi à la fois en 1992 et en 1993, et est resté stable en 1994.

Entre 1990 et 1994, le prix de gros des feuilles de rechange est tombé. Les prix se sont repliés de plus de 25 p. 100 en 1991, se sont raffermis en 1992, puis ont continué leur régression en 1993 et en 1994. Au cours de la période de cinq ans, les prix ont diminué d’environ 30 p. 100 au total.

Le principal coût de production des feuilles de rechange est le coût de leur matière première, le papier pour tablettes. Une part du papier pour tablettes utilisé par la branche de production est produite par des usines de papier canadiennes, mais ce sont des usines des États-Unis qui répondent à la plus grande partie de la demande intérieure. Selon les éléments de preuve présentés au Tribunal, le Brésil a fourni du papier pour tablettes au Canada, mais c’est en Europe qu’il vend actuellement la plus grande partie de son papier pour tablettes. Le papier pour tablettes, comme l’ensemble du papier en vrac, se vend au poids, à un prix déterminé par la conjoncture du marché mondial. Les récentes pénuries de matières premières en Amérique du Nord obligent certaines, sinon toutes, les usines à limiter les quantités de papier pour tablettes qu’elles fabriquent et font monter les prix du papier pour tablettes.

Les résultats financiers de la branche de production ont été variables au cours des cinq ann?E9‚es examinées. Les bénéfices bruts en pourcentage des ventes sont demeurés relativement stables en 1990 et en 1991, mais ont monté en flèche en 1992, de concert avec une augmentation sur un an du prix de gros des feuilles de rechange et une chute du coût du papier pour tablettes. Au cours des deux années qui ont suivi, les bénéfices bruts de la branche de production ont baissé de façon continue, sous les pressions combinées de la chute des prix unitaires et de l’augmentation des coûts. En 1994, les bénéfices bruts de la branche de production s’établissaient à moins de la moitié de leur niveau de 1992. Les éléments de preuve dont le Tribunal a été saisi révèlent qu’en 1995, les prix unitaires commenceront à augmenter sous l’effet de l’escalade des coûts du papier pour tablettes. Cependant, une concurrence féroce continuera de limiter les augmentations de prix, malgré les pressions provoquées par l’augmentation des coûts, d’où l’intensification des pressions à la baisse sur les bénéfices bruts de la branche de production.

À la fin d’un réexamen, le Tribunal doit annuler ou proroger, avec ou sans modification, des conclusions. En rendant sa décision dans la présente affaire, le Tribunal doit traiter de deux questions fondamentales. Il doit d’abord déterminer s’il y a probabilité de reprise du dumping des feuilles de rechange ou du subventionnement, ou des deux, en provenance du Brésil, si les conclusions sont annulées. S’il conclut à la probabilité d’une reprise du dumping ou du subventionnement, ou des deux, des feuilles de rechange en provenance du Brésil, le Tribunal doit alors déterminer si cette reprise est susceptible de causer un dommage sensible à la production au Canada de feuilles de rechange.

PROBABILITÉ DE RÉAPPARITION DES IMPORTATIONS SUBVENTIONNÉES

Dans le cadre de l’enquête, le gouvernement du Brésil a répondu à une demande de renseignements du ministère du Revenu national (Revenu Canada) concernant les subventions accordées aux fabricants de feuilles de rechange, mais sa réponse est arrivée trop tard pour être vérifiée avant que Revenu Canada ne rende sa décision définitive de dumping et de subventionnement. Par conséquent, le montant de la subvention indiqué dans la décision définitive était fondé sur les renseignements fournis par Fanco et Hilroy. Revenu Canada n’a pas réexaminé le montant de la subvention depuis qu’il a rendu sa décision définitive de dumping et de subventionnement le 6 juin 1990.

Le Tribunal est d’avis que les renseignements fournis par Revenu Canada relativement à la mise à jour de 1992, pour le Brésil, du rapport sur l’examen des politiques commerciales produit par le Secrétariat du GATT constituent le meilleur élément de preuve dont il dispose sur l’état actuel des programmes de subventions cités par Fanco dans l’enquête. Selon Revenu Canada, ce rapport indique que les subventions à l’exportation au Brésil ont été graduellement éliminées et qu’aucune subvention n’est actuellement accordée ni maintenue au sens du paragraphe 1 de l’article XVI du GATT. Revenu Canada a affirmé, cependant, qu’il croit savoir que certaines entreprises au Brésil qui utilisaient les programmes de subventions bénéficient de certaines clauses de droits acquis. Le Tribunal n’a pas obtenu de renseignements lui permettant de déterminer si une entreprise quelconque exportant des feuilles de rechange subventionnées vers le Canada bénéficie des clauses de droits acquis, et ignore également la durée de ces clauses de droits acquis.

Bien que le Tribunal ne considère pas que cet élément de preuve particulier soit une preuve concluante de l’abolition de tous les programmes qui pourraient subventionner les exportations de feuilles de rechange en provenance du Brésil, il connaît le programme général de réformes économiques mis en œuvre par le gouvernement du Brésil et, en l’absence de tout élément de preuve contraire, il estime que le gouvernement du Brésil demeure déterminé à démanteler ses programmes de subventions. À cette fin, le Tribunal est convaincu qu’il n’est pas probable qu’il y ait une réapparition des importations de feuilles de rechange bénéficiant d’une subvention à l’exportation en provenance du Brésil.

PROBABILITÉ DE REPRISE DU DUMPING

Dans l’examen de la question de savoir si les exportateurs brésiliens sont susceptibles de reprendre le dumping des feuilles de rechange au Canada si les conclusions sont annulées, le Tribunal a examiné les changements de la capacité des fabricants brésiliens de produire des feuilles de rechange, le caractère saisonnier des marchés des feuilles de rechange au Canada et au Brésil, le comportement des exportateurs brésiliens de produits de papeterie au Canada et aux États-Unis, la relation entre les feuilles de rechange et les autres produits de papeterie dans la gamme de produits de rentrée des classes, la concentration du pouvoir d’achat sur le marché intérieur, les pressions à la baisse sur les prix sur le marché intérieur et la compétitivité des feuilles de rechange brésiliennes dans la double optique de la qualité et des délais de livraison.

Les éléments de preuve révèlent que le Brésil a accru considérablement sa capacité de production des feuilles de rechange au cours des quelques dernières années. Le Tribunal a entendu en preuve que six nouvelles machines Bielomatik pour la fabrication de feuilles de rechange ont été installées récemment au Brésil [5] . Quoiqu 2'il ne soit pas clair si ces machines ont augmenté la capacité déjà installée ou si elles ont remplacé des machines plus vieilles, il est manifeste que l’effet net de l’ajout des nouvelles machines a été d’augmenter la capacité brésilienne de fabrication de feuilles de rechange d’environ 130 millions de paquets de 200 feuilles de rechange qui, s’ils étaient tous acheminés vers le Canada, inonderaient le marché intérieur de ce produit [6] , [7] .

L’année scolaire commence en septembre en Amérique du Nord, mais en mars au Brésil. Par conséquent, lorsque la demande de feuilles de rechange culmine au Canada, les installations de fabrication sont sous-utilisées au Brésil. Le Tribunal croit que les marchés contracycliques, combinés à une augmentation très considérable de la capacité installée de production de feuilles de rechange au Brésil, indiquent que les fabricants brésiliens de feuilles de rechange auront vraisemblablement autant, sinon davantage, de capacité sous-utilisée pour servir le marché canadien qu’ils en avaient au moment de l’enquête.

Le Tribunal a entendu des éléments de preuve au sujet de grandes activités de marketing aux États-Unis et au Canada de la part de la branche de production brésilienne de la papeterie de rentr?E9‚e des classes. Le grand salon commercial nord-américain pour les produits de papeterie scolaire a lieu sous les auspices de la School and Home and Office Product Association (la SHOPA), qui tient un salon annuel à la Nouvelle-Orléans (Louisiane) depuis 1991. Les témoins de Fanco ont signalé qu’en 1991, année où le Brésil a commencé à participer au marché nord-américain de la papeterie scolaire, trois ou quatre fabricants brésiliens avaient un stand au salon, et que ce nombre avait pour ainsi dire doublé en 1994, avec sept exposants. On allègue que ces sept entreprises représentent pour ainsi dire tous les fabricants brésiliens de produits de papeterie scolaire.

Le Tribunal a entendu en preuve qu’aux États-Unis, le Brésil commercialise la gamme complète de produits de papeterie de rentrée des classes, y compris les feuilles de rechange. Cependant, depuis 1989, les exportateurs brésiliens ont choisi de ne pas vendre de feuilles de rechange sur le marché canadien, bien qu’ils continuent de livrer une concurrence vigoureuse relativement à tous les autres aspects du programme de rentrée des classes. S’appuyant sur les données de Statistique Canada au sujet des importations de produits de papeterie de rentrée des classes, Fanco a fait remarquer que près de cinq millions de dollars de cahiers d’exercices à reliure spirale et agrafés sont entrés au Canada en provenance du Brésil entre janvier 1991 et août 1994. La valeur des importations des cahiers en provenance du Brésil est passée d’environ 670 000 $ en 1992 à près de 1,2 million de dollars au cours des huit premiers mois de 1994 [8] .

Le Tribunal a entendu des témoignages contradictoires concernant l’importance des feuilles de rechange dans l’ensemble du programme de rentrée des classes. D’une part, Fanco a fait valoir que les feuilles de rechange sont l’élément clé du programme de rentrée des classes d’un fabricant, l’élément sans lequel les ventes des autres éléments du programme, comme les cahiers à reliure spirale et les cahiers d’exercices, subiraient un préjudice. D’autre part, les éléments de preuve fournis par Zellers, le premier client national pour les feuilles de rechange, tendent à démontrer que chaque produit du programme de rentrée des classes est acheté pour sa valeur, et que chaque produit doit être considéré comme un produit distinct. Dans tous les cas, peu importe que les feuilles de rechange soient vendues comme un produit distinct ou comme l’élément clé d’une gamme de produits, les éléments de preuve révèlent clairement que les acheteurs sont constamment aux aguets pour le plus bas prix possible.

Le témoin de Zellers a indiqué que, sur le marché d’aujourd’hui, il n’est pas rare que les grands détaillants, comme Zellers, cherchent partout dans le monde le meilleur rapport qualité-prix qui soit pour chaque produit offert, que ce produit soit destiné ou non à être un produit d’appel, comme les feuilles de rechange, ou un produit sur lequel l’entreprise espère réaliser un bénéfice. Le Tribunal a aussi entendu en preuve qu’il y a eu une consolidation du pouvoir d’achat entre les grands détaillants, étant donné que plusieurs petits détaillants ont effectivement cessé de vendre d’importants volumes de feuilles de rechange.

La concurrence intérieure a fait du Canada l’un des marchés les plus compétitifs pour les feuilles de rechange dans le monde, et les grandes surfaces continuent d’exercer des pressions sur les fabricants en leur réclamant des prix toujours plus bas. Depuis quelques années, la concurrence est de plus en plus féroce en raison d’une concentration du pouvoir d’achat qui fait que des nombres de plus en plus restreints d’acheteurs se disputent des parts de plus en plus grandes du marché intérieur. Un facteur qui a contribué à la compétitivité du marché est l’émergence de l’Indonésie comme grand fournisseur de feuilles de rechange à faible coût. Comme l’a expliqué le témoin de Zellers, l’entreprise mène des négociations énergiques sur le prix des feuilles de rechange, et elle cherche le meilleur prix partout dans le monde. Si Zellers était au courant qu’un meilleur prix est offert à un client canadien, elle utiliserait ce renseignement pour arracher un prix encore plus avantageux. De fait, le témoin a révélé au Tribunal que Zellers projette d’acheter certains produits en Indonésie en 1995, surtout parce qu’elle peut obtenir des feuilles de rechange indonésiennes de bonne qualité à bon prix. Dans un climat de concurrence aussi féroce, les importations à bas prix comme celles-là sont devenues le levier sur lequel s’appuient les grands détaillants pour négocier un prix encore plus bas avec les fabricants canadiens [9] .

Enfin, le Tribunal a entendu des éléments de preuve concernant la qualité des feuilles de rechange brésiliennes par rapport à celle des feuilles de rechange canadiennes, ainsi que la réputation des exportateurs brésiliens en matière de respect des délais de livraison. Fanco a témoigné que les feuilles de rechange brésiliennes sont de qualité comparable à celle des feuilles de rechange canadiennes, alors que Hilroy était d’avis qu’elles sont de qualité inférieure. Hilroy a aussi fait valoir que les exportateurs brésiliens ont la réputation de ne pas respecter leurs délais de livraison. À la lumière de ces renseignements, le Tribunal est d’avis que les exportations brésiliennes ne jouiraient pas d’un avantage comparatif sur les feuilles de rechange canadiennes pour ce qui est de la qualité et des délais de livraison.

Compte tenu des circonstances exposées plus haut, le Tribunal estime que divers facteurs l’amènent à conclure que les exportateurs brésiliens sont susceptibles de reprendre le dumping des feuilles de rechange au Canada si les conclusions du Tribunal sont annulées.

En premier lieu, pendant la période où les conclusions étaient en vigueur, les fabricants brésiliens de feuilles de rechange ont démontré leur intention de maintenir une présence sur le marché canadien de la papeterie scolaire en poursuivant leurs ventes de marchandises comme les cahiers à reliure spirale et les cahiers d’exercices. En second lieu, les marchés contracycliques, combinés à une augmentation très considérable de la capacité installée de production de feuilles de rechange au Brésil, donnent aux fabricants brésiliens une incitation économique très réelle à se servir de machines par ailleurs sous-utilisées pour approvisionner le marché canadien. De l’avis du Tribunal, si les conclusions sont annulées, ces mêmes fabricants voudront probablement arrondir leurs gammes de produits, ainsi qu’accroître leur part du marché de la papeterie scolaire en recommençant à exporter des feuilles de rechange vers le Canada.

Enfin, le fait que les feuilles de rechange brésiliennes sont absentes du marché depuis cinq ans, qu’elles ne jouissent d’aucun avantage concurrentiel pour ce qui est de la qualité du produit ou des délais de livraison, et qu’elles reviendront sur un marché extrêmement concurrentiel où le prix est de loin le facteur le plus important dans la décision d’achat amène le Tribunal à conclure que, lorsque le Brésil reviendra sur le marché, il pratiquera probablement le dumping de son produit afin de reprendre sa part du marché.

PROBABILITÉ DE DOMMAGE SENSIBLE

Pour décider si la production au Canada de feuilles de rechange subira vraisemblablement un dommage sensible à la suite d’une reprise du dumping par les exportateurs brésiliens de feuilles de rechange, le Tribunal a évalué les tendances de la branche de production intérieure en ce qui concerne la production, les importations, les prix et les résultats financiers depuis les conclusions. L’analyse de ces indicateurs donne à penser que la branche de production est particulièrement vulnérable à une reprise du dumping.

Malgré l’absence d’importations de feuilles de rechange brésiliennes vendues sur le marché intérieur depuis les conclusions du Tribunal en 1990, la santé de la branche de production nationale s’est progressivement détériorée ces dernières années. Après avoir culminé en 1992, les marges bénéficiaires brutes de la branche de production ont dégringolé en 1993 et en 1994 jusqu’à un niveau qui ne s’était pas vu depuis 1989, avant les conclusions. Le Tribunal attribue la détérioration des résultats financiers de la branche de production à l’étau coûts-prix de ces dernières années. Au début de la période examinée, la chute des prix unitaires a été accompagnée par une chute semblable des coûts, ce qui, dans une certaine mesure, a tempéré l’effet de la chute des prix de vente. Depuis quelques années, cependant, les prix unitaires ont poursuivi leur repli, alors que les coûts ont commencé à avancer au même rythme que les coûts des pâtes et papiers, qui poursuivent leur ascension en 1995.

L’étau coûts-prix s’est resserré sous l’effet d’une concentration croissante parmi les grandes surfaces canadiennes, ce qui, par ailleurs, a entraîné une croissance du pouvoir d’achat qui ne s’était encore jamais vue dans la branche de production. En outre, les très gros acheteurs sont en mesure de faire leurs achats sur le marché international, sans l’aide ni le coût d’un intermédiaire. Le prix le plus bas dans le monde pour les approvisionnements de feuilles de rechange de qualité est le prix à battre, sur un marché où la perte d’un seul client important risque d’avoir un effet négatif considérable sur les résultats de la branche de production.

Le Tribunal s’attend tout à fait que, en l’absence de droits antidumping, les exportateurs brésiliens reviennent sur le marché canadien avec des importations sous-évaluées. Le Tribunal estime qu’en raison du nombre très limité de grands détaillants de produits de papeterie de rentrée des classes au Canada aujourd’hui, les feuilles de rechange brésiliennes entreront inévitablement, de ce fait, en concurrence directe avec les importations à bas prix en provenance de l’Indonésie, et que les marges des fabricants seront encore davantage comprimées.

Le Tribunal croit que les conséquences inévitables de cette intense concurrence surviendront dans une large mesure aux dépens de la production intérieure. Les marges bénéficiaires diminueront, lorsque les grands détaillants utiliseront les prix sous-évalués comme levier pour obliger les fabricants nationaux à baisser leurs prix. De même, les volumes de production seront réduits soit lorsque les fabricants nationaux finiront par se retirer des négociations à l’approche d’un niveau qui ne leur permettra plus de recouvrer leurs coûts, soit encore lorsque les fabricants s’approvisionneront en feuilles de rechange à faible coût à l’étranger afin de maintenir leur compétitivité au niveau des prix sur le marché. Le Tribunal est convaincu que, compte tenu du nombre très limité de principaux clients pour les feuilles de rechange au Canada, la perte d’un ou de deux clients qui passeraient aux importations sous-évaluées aura des répercussions négatives considérables sur les résultats financiers de la branche de production et sur le volume de production. Le Tribunal est persuadé qu’une reprise du dumping des feuilles de rechange par les exportateurs brésiliens causera un dommage sensible à la production intérieure.

CONCLUSION

Pour les raisons qui précèdent, le Tribunal proroge les conclusions au sujet du dumping au Canada des feuilles de rechange originaires ou exportées du Brésil. En outre, le Tribunal annule les conclusions concernant le subventionnement des feuilles de rechange originaires ou exportées du Brésil.


1. L.R.C. (1985), ch. S-15.

2. Gazette du Canada Partie I, vol. 129, no 5, le 4 février 1995 à la p. 275.

3. Ces dimensions sont communément désignées 8 1/2 po x 11 po.

4. Transcription de la session publique , le 15 mai 1995 aux pp. 77-78.

5. Transcription de la session publique , le 15 mai 1995 à la p. 28.

6. Ibid.

7. Protected Pre-Hearing Staff Report , le 20 avril 1995, pièce du Tribunal RR-94-005-6 (protégée), dossier administratif, vol. 2 à la p. 26.

8. Pièce du fabricant A-2 (protégée), dossier administratif, vol. 8.

9. Transcription de la session publique , le 15 mai 1995 aux pp. 95-96.


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Publication initiale : le 28 août 1996