BICYCLETTES

Demandes de décision sur l'identité de l'importateur (article 89)


BICYCLETTES
Demande no MP-2003-001


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 11 mars 2004

Demande no MP-2003-001

EU ÉGARD À une décision rendue aux termes de l'article 90 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. 1985, c. S-15, modifiée, sur la question d'établir l'identité de l'importateur au Canada de :

BICYCLETTES

DÉCISION CONCERNANT L'IDENTITÉ DE L'IMPORTATEUR

Le Tribunal canadien du commerce extérieur a procédé à une enquête, aux termes de l'article 90 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, à la suite d'une demande faite par le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada d'établir l'identité de l'importateur de certaines bicyclettes assujetties à l'ordonnance rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 9 décembre 2002 dans le cadre du réexamen no RR-2002-001.

Le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine, par la présente, que l'importateur desdites marchandises est Kent International Inc.

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre présidant

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

L'exposé des motifs sera publié à une date ultérieure.

Lieu de l'audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l'audience :

Le 27 octobre 2003

Date de la décision :

Le 11 mars 2004

Date des motifs :

Le 5 avril 2004

   

Membres du Tribunal :

Pierre Gosselin, membre présidant

 

Ellen Fry, membre

 

Meriel V. M. Bradford, membre

   

Conseillers pour le Tribunal :

Michèle Hurteau

 

Dominique Laporte

   

Greffier adjoint :

Gillian E. Burnett

   

Participants :

 

Peter E. Kirby

 

pour

Toys "R" Us (Canada) ltée

   

Kent International Inc.

     
   

Susanne Pereira

   

Tatiana Sandler

 

pour

Agence des douanes et du revenu du Canada

Témoins :

Robert Curran
Acheteur
Toys "R" Us (Canada) ltée

John Levi
Vice-président
Kent International Inc.

Adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333,avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Ottawa, le lundi 5 avril 2004

Demande no MP-2003-001

EU ÉGARD À une décision rendue aux termes de l'article 90 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. 1985, c. S-15, modifiée, sur la question d'établir l'identité de l'importateur au Canada de :

BICYCLETTES

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

Le 25 juillet 2003, le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) a présenté au Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal), aux termes du paragraphe 89(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importations 1 , une demande de décision concernant l'identité de l'importateur au Canada de certaines bicyclettes assujetties à l'ordonnance rendue par le Tribunal le 9 décembre 2002 dans le cadre du réexamen relatif à l'expiration no RR-2002-001. Les bicyclettes en question sont originaires ou exportées du Taipei chinois (auparavant désigné comme Taïwan) et de la République populaire de Chine.

Le 30 juillet 2003, le Tribunal a publié un avis de demande de décision. Il a invité les parties intéressées à déposer des exposés écrits faisant état des faits, documents et arguments à l'appui de tout point de vue relié à cette prise de décision, au plus tard le 5 septembre 2003. Les avis de participation et les actes de déclaration et d'engagement devaient être déposés au plus tard le 29 août 2003. Le Tribunal a reçu des avis de participation au nom de l'ADRC, de Toys « R » Us (Canada) ltée (TRU) et de Kent International Inc. (Kent). La Canadian Bicycle Manufacturers Association (CBMA) a demandé l'autorisation d'intervenir dans la procédure. Le 11 septembre 2003, le Tribunal a refusé d'accéder à la demande de la CBMA au motif que les dispositions pertinentes des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 2 ne prévoyaient pas que la CBMA devienne partie dans le cadre de la présente procédure et qu'aucune règle ne prévoyait d'accorder le statut d'intervenant à quiconque dans le cadre d'une procédure aux termes de l'article 89 de la LMSI.

Le 27 octobre 2003, le Tribunal a tenu une audience publique dans la présente affaire.

PREUVE

M. Robert Curran, un acheteur pour TRU, a témoigné au nom de cette dernière. Il a d'abord expliqué comment on prend la décision d'acheter un type particulier de bicyclette. Il a indiqué qu'il visite les diverses expositions de bicyclettes dans le monde afin d'examiner les couleurs et les designs des bicyclettes offertes pour l'année suivante. Il a indiqué que la stratégie de commercialisation de TRU est de se concentrer sur les bicyclettes pour enfants et d'offrir la sélection la plus vaste au Canada. Il a indiqué que TRU agit parfois en tant qu'importateur lorsqu'il n'y a pas d'autres façons d'obtenir les bicyclettes, comme les bicyclettes importées sous licence, p. ex. la marque Barbie. Il a expliqué que TRU n'importe cependant pas les bicyclettes Kent.

Lorsqu'on lui a demandé ce qui incite TRU à importer ou à s'approvisionner auprès de fournisseurs au Canada, M. Curran a expliqué que le risque associé aux taux de change était une considération importante dans la décision de ne pas importer. M. Curran a fait observer que les bicyclettes achetées à Kent sont achetées en dollars canadiens. Il a également fait observer que TRU ne devient propriétaire des bicyclettes que lorsqu'elles sont livrées à ses entrepôts et qu'elle n'en est responsable qu'à partir de la livraison. Il a indiqué que Kent choisit le courtier en douane, traite avec lui et le paye. En réponse à une question du Tribunal, M. Curran a expliqué que, lorsque TRU passe une commande auprès de Kent, elle ne précise pas l'usine dans laquelle les bicyclettes doivent être fabriquées et elle ne connaît pas leur pays d'origine, à moins qu'elle ne demande un pays en particulier. Il a déclaré que Kent est responsable de la garantie sur les bicyclettes et qu'elle les reprend si TRU éprouve des difficultés. Il a également souligné que la garantie offerte par Kent est un avantage important, étant donné que TRU n'a pas la capacité d'assurer le service des bicyclettes. Le représentant de Kent au Canada s'occupe des questions reliées aux clients et expédie les pièces de bicyclettes, le cas échéant.

M. John Levi, vice-président de Kent, a témoigné à l'audience. Il a déclaré que Kent vend des bicyclettes et d'autres produits à TRU depuis plus de 20 ans et que les deux sociétés travaillent en étroite collaboration. Il a fait observer que Kent a un vendeur au Canada qui fournit son assistance afin de régler les affaires courantes. Il a expliqué que, lorsque Kent achète des bicyclettes auprès d'une usine étrangère, il y a une commande minimum pour remplir un conteneur, qui contient plusieurs styles de bicyclettes. Il a indiqué qu'un conteneur standard de 40 pieds contient approximativement 320 à 350 bicyclettes de 26 pouces, ou 800 à 900 bicyclettes de 12 pouces. En ce qui concerne le procédé d'achat, il a indiqué que TRU émet un bon de commande qui est transmis à l'une des usines à l'étranger avec des dates de livraison fermes. Il a souligné que Kent assume toute la responsabilité quant à la qualité des marchandises et à leur livraison en temps opportun et qu'elle est titulaire de ces marchandises. Il a ajouté que Kent a son propre courtier en douane. M. Levi a également indiqué que Kent fournit un service après-vente direct aux clients de TRU, s'ils éprouvent des difficultés, et qu'elle peut même autoriser un gérant de magasin de TRU à échanger une bicyclette pour une autre.

En réponse à l'ADRC, M. Levi a expliqué que Kent n'achète habituellement pas de sa propre initiative; elle attend de recevoir un bon de commande d'un client avant de faire entrer les bicyclettes au Canada. Il a fait observer que, quand TRU émet un bon de commande à Kent, ce bon de commande est transmis à Kent au New Jersey et que Kent émet ensuite son propre bon de commande à l'usine.

POSITION DES PARTIES

L'ADRC a soutenu que, aux termes de l'article 89 la LMSI, elle peut saisir le Tribunal de la question de savoir qui, pour l'application de la LMSI, est l'importateur au Canada. L'ADRC est d'avis que l'expression « importateur au Canada » est critique pour prendre cette décision, et elle a souligné que l'importateur inscrit aux termes de la Loi sur les douanes 3 n'est pas nécessairement l'« importateur au Canada » aux termes de la LMSI et qu'il pourrait s'agir de deux personnes différentes.

De l'avis de l'ADRC, le Tribunal doit répondre à deux questions afin de remplir son mandat aux termes de l'article 90 de la LMSI, la première étant l'interprétation correcte à donner à l'expression « importateur au Canada » et la seconde étant laquelle des deux sociétés en considération correspond à la signification de l'expression « importateur au Canada ». L'ADRC a souligné le fait qu'il n'y a pas de définition législative d'« importateur au Canada », bien que l'article 2 donne la définition suivante du terme « importateur » : « La personne qui est le véritable importateur des marchandises. » De l'avis de l'ADRC, la définition de l'article 2 n'est pas concluante de l'interprétation du terme « importateur », étant donné que le Parlement a choisi délibérément de qualifier davantage ou de restreindre cette définition en ajoutant les mots « au Canada ». De l'avis de l'ADRC, ceci comporte une exigence en matière de résidence. L'ADRC a fait valoir que, si l'expression « au Canada » était supprimée du texte de loi, il en résulterait une modification de la LMSI, étant donné que cette exigence se retrouve dans de nombreuses dispositions de la LMSI, et cela changerait complètement la façon dont les droits antidumping sont imposés et la nature de la loi elle-même. En ce qui concerne l'incohérence entre les versions française et anglaise des articles 89 et 90 et le fait que le texte français fait seulement référence à « importateur », l'ADRC a fait valoir que, conformément à la règle moderne d'interprétation et à l'esprit de la LMSI, il faut prendre en considération toutes les dispositions de la LMSI, telles que l'article 8, qui utilise l'expression « importateur au Canada ». L'ADRC a également fait valoir que l'expression « importateur au Canada » exige une certaine présence d'affaires au Canada et que, à cet effet, il faut prendre en considération des facteurs tels que les impôts canadiens payés et la présence au Canada d'un bureau, d'inventaires, d'employés et de gestionnaires. L'ADRC a soutenu qu'il est clair que, des deux sociétés, TRU est en fait la seule société canadienne. Selon l'ADRC, même sans l'exigence en matière de résidence, les éléments de preuve établissent clairement que TRU est manifestement l'importateur au Canada.

TRU et Kent ont indiqué que l'expression « importer in Canada » (importateur au Canada) que l'on trouve dans la version anglaise des articles 89 et 90 de la LMSI se lit simplement « importateur » dans la version française. Si l'on acceptait l'argument de l'ADRC selon lequel l'expression « importateur au Canada » comporte une exigence en matière de résidence, cela créerait des situations où une personne qui est le véritable importateur conformément à la définition d'importateur qui figure à l'article 2 ne serait pas l'importateur au Canada. TRU et Kent ont soutenu que le Tribunal doit d'abord examiner la question de savoir qui est le véritable importateur. À cet égard, les éléments de preuve indiquent que TRU fait affaire avec tous ses fournisseurs de la même façon qu'elle le fait avec Kent. TRU considère les transactions comme des transactions au pays; elle ne se préoccupe pas de l'origine des marchandises; sa seule préoccupation est celle de savoir si les bicyclettes seront livrées en temps opportun; et c'est ainsi qu'elle gère ses affaires depuis de nombreuses années. TRU et Kent ont fait valoir que, pour des raisons de saine gestion commerciale, telles que les coûts et les risques associés aux taux de change, les risques de perte de marchandises et les questions de garantie, TRU a décidé de laisser Kent s'occuper des importations. Kent accepte tous les risques, embauche son propre courtier en douane et lui donne des instructions. TRU et Kent ont également indiqué que, par comparaison aux circonstances de certaines décisions antérieures du Tribunal, les transactions en cause n'ont pas été structurées avec l'intention d'éviter les droits antidumping. Elles ont soutenu que la propriété des marchandises et ce qu'il advient des marchandises quand on apporte des changements à un bon de commande sont des facteurs critiques dans la gestion des affaires.

TRU et Kent ont fait valoir que l'expression « importateur au Canada » ne comporte aucune exigence en matière de résidence et qu'elle indique simplement que quiconque est le véritable importateur des marchandises est l'importateur au Canada. En ce qui concerne l'incohérence entre les textes français et anglais, TRU et Kent ont renvoyé au principe du sens commun, qui prévoit que, lorsqu'une version est ambiguë, le sens qui est commun aux deux versions doit être retenu et que, dans ce cas, le texte français doit prévaloir.

DÉCISION

En vertu de son mandat aux termes des articles 89 et 90 de la LMSI, où, à la demande de l'ADRC, la question se pose de savoir qui, pour l'application de la LMSI, est l'importateur au Canada de marchandises importées au Canada qui sont passibles des droits, le Tribunal doit déterminer qui est l'importateur au Canada des marchandises.

Conformément au paragraphe 89(2) de la LMSI, quand l'ADRC fait sa demande, elle doit mentionner la personne qu'elle croit être l'importateur. Des deux, Kent et TRU, l'ADRC a indiqué qu'elle croit que TRU est l'importateur au Canada des marchandises.

Le Tribunal doit donc déterminer laquelle de Kent et de TRU est l'importateur au Canada des marchandises.

Les versions anglaise et française des articles 89 et 90 de la LMSI prévoient en partie ce qui suit :

89. (1) Where a question arises or is raised as to which of two or more persons is, for the purposes of this Act, the importer in Canada of goods imported or to be imported into Canada on which duty is payable or has been paid or will be payable if the goods are imported, the Commissioner may, and at the request of any person interested in the importation of the goods shall, request the Tribunal for a ruling on that question.

89. (1) Si, pour l'application de la présente loi, il faut déterminer qui est l'importateur de marchandises qui ont été ou seront importées et sur lesquelles des droits sont exigibles ou ont été versés ou seront exigibles si les marchandises sont importées, le commissaire peut, de sa propre initiative, ou doit, à la demande de toute personne intéressée, saisir le Tribunal de la question.

(2) Where the Commissioner makes a request under subsection (1) for a ruling on the question referred to therein, the Commissioner shall

(a) state in the request which of the two or more persons the Commissioner believes is the importer in Canada of the goods.

(2) Dans les cas où il fait la demande visée au paragraphe (1), le commissaire :

a) mentionne la personne qu'il croit être l'importateur.

90. Where a request is made to the Tribunal under subsection 89(1) for a ruling on the question referred to therein, the Tribunal

(a) shall arrive at its ruling on the question by determining which of the two or more persons is the importer in Canada of the goods;

(b) subject to paragraph (c), shall give its ruling on the question forthwith after receiving the request therefor.

90. Dans les cas où il est saisi de la demande visée au paragraphe 89(1), le Tribunal :

a) détermine qui est l'importateur;

b) rend sa décision dès la réception de la demande.

 

[Soulignement ajouté]

Avant de prendre une décision quant à l'identité de l'« importateur au Canada », le Tribunal doit décider de l'interprétation correcte à donner à cette expression. La version anglaise des articles 89 et 90 de la LMSI utilisent l'expression « importer in Canada », tandis que la version française utilise le terme « importateur ». De plus, le paragraphe 2(1) donne la définition suivante des termes « importer » et « importateur » :

« importer », in relation to any goods, means the person who is in reality the importer of the goods.

« importateur » La personne qui est le véritable importateur des marchandises.

De plus, les versions anglaise et française des articles 8 et 11 de la LMSI, qui portent sur le paiement des droits compensateurs et des droits antidumping, prévoient en partie ce qui suit :

8. (1) Where the Commissioner makes a preliminary determination of dumping or subsidizing in an investigation under this Act and considers that the imposition of provisional duty is necessary to prevent injury, retardation or threat of injury, the importer in Canada of dumped or subsidized goods that are of the same description as any goods to which the preliminary determination applies . . .

shall, within the time prescribed under the Customs Act for the payment of duties, at the option of the importer,

(c) pay or cause to be paid on the imported goods provisional duty in an amount not greater than the estimated margin of dumping of, or the estimated amount of subsidy on, the imported goods, or

(d) post or cause to be posted security for provisional duty in the prescribed form and in an amount or to a value not greater than the estimated margin of dumping of, or the estimated amount of subsidy on, the imported goods.

8. (1) Dans le cas où le commissaire prend une décision provisoire de dumping ou de subventionnement dans le cadre d'une enquête prévue par la présente loi et où il estime que l'imposition de droits provisoires est nécessaire pour empêcher qu'un dommage ou un retard ne soit causé ou qu'il y ait menace de dommage, lorsque des marchandises sous-évaluées ou subventionnées de même description que celles faisant l'objet de la décision sont dédouanées [...]

il appartient à l'importateur au Canada de ces marchandises, à son choix, dans le délai réglementaire fixé en application de la Loi sur les douanes pour le paiement des droits :

c) soit d'acquitter ou de veiller à ce que soient acquittés des droits provisoires d'un montant ne dépassant pas la marge estimative de dumping des marchandises importées ou le montant estimatif de la subvention octroyée pour elles;

d) soit de fournir ou de veiller à ce que soit fournie, en la forme que le commissaire prescrit, une caution pour les droits provisoires s'appliquant aux marchandises importées, ne dépassant pas cette marge ou ce montant.

11. The importer in Canada of any goods imported into Canada in respect of which duty, other than provisional duty, is payable shall, notwithstanding any security posted pursuant to section 8 or 13.2, pay or cause to be paid all such duties on the goods.

11. L'importateur au Canada de marchandises que la présente loi assujettit à des droits, autres que provisoires, doit, malgré le fait qu'une caution ait été fournie aux termes des articles 8 ou 13.2, acquitter ou veiller à ce que soient acquittés ces droits.

 

[Soulignement ajouté]

À la lecture des articles 89 et 90 de la LMSI, il est clair qu'il y a une incohérence entre les versions anglaise et française. La version anglaise semble vouloir dire qu'il y a une exigence que l'importateur soit présent au Canada, ce que la version française ne fait pas. Plusieurs arguments ont été entendus de part et d'autre pour justifier qu'une version l'emporte sur l'autre.

L'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1982 4 prévoit que les deux versions d'une loi ont également force de loi et qu'aucune n'a de suprématie sur l'autre. Par conséquent, le Tribunal doit essayer de réconcilier la signification des versions anglaise et française des articles 89 et 90 de la LMSI. La règle fondamentale d'interprétation des textes de loi bilingues qui sont rédigés de façon incohérente est ce qu'on appelle le principe du sens commun5 , selon lequel le sens qui est commun aux deux versions doit être retenu à moins que, pour une raison quelconque, il ne soit inacceptable. En l'espèce, il semble y avoir une incohérence fondamentale entre les versions anglaise et française. La version française enjoint le Tribunal à traiter d'un seul élément en prenant sa décision, à savoir qui est l'« importateur » qui est un terme défini au paragraphe 2(1). Cependant, la version anglaise enjoint le Tribunal à traiter de deux éléments, à savoir qui est à la fois l'« importateur » tel qu'il est défini au paragraphe 2(1), et « au Canada ». Par conséquent, le Tribunal n'estime pas qu'il soit approprié d'appliquer le principe du sens commun. Cependant, comme l'a indiqué Pierre-André Côté dans Interprétation des lois 6 , le travail d'interprétation n'est pas terminé une fois qu'on a décidé du sens qui est commun aux deux versions. Le sens doit être compatible avec l'intention du législateur, telle qu'elle est déterminée par les règles ordinaires d'interprétation. Le principe moderne de l'interprétation des lois, tel qu'il est décrit par Elmer Driedger dans Construction of Statutes 7 , a été adopté en droit canadien8 . Il dit ceci :

Aujourd'hui, il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global selon leur sens ordinaire et grammatical en tenant compte de l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur9 .

[Traduction]

Dans l'esprit de la LMSI, la décision du Tribunal aux termes de l'article 89 a pour but d'identifier la partie à qui il incombe de payer les droits antidumping et qui est assujettie aux droits et obligations associés aux termes de la LMSI. À cet égard, les deux articles fondamentaux de la LMSI qui imposent la redevabilité pour les droits provisoires et les droits autres que les droits provisoires sont respectivement les articles 8 et 11. Chacun de ces articles utilise l'expression « importateur au Canada » (« importer in Canada ») dans les versions française et anglaise. Le Parlement a ajouté l'expression « au Canada » (« in Canada ») dans les deux versions lors d'une modification récente.

Par conséquent, le Tribunal estime que l'intention du Parlement était que les termes des articles 89 et 90 de la LMSI soient cohérents avec les termes des articles 8 et 11, de façon à ce que la décision du Tribunal identifie clairement la partie responsable aux termes des deux derniers articles. Par conséquent, le Tribunal estime que sa décision doit identifier l'« importateur au Canada » plutôt que simplement l'« importateur ».

Le second élément de la décision du Tribunal est de déterminer qui, de TRU et de Kent, est l'importateur des bicyclettes en question.

Le Tribunal est d'avis que les éléments de preuve montrent clairement que Kent est le véritable importateur des marchandises. Pour des raisons de saine gestion commerciale, TRU a décidé qu'elle ne veut pas prendre les risques inhérents à être un importateur. La plupart des détails de ces raisons d'affaires se trouvent dans le dossier confidentiel du Tribunal10 . TRU et Kent font affaire de cette façon depuis de nombreuses années, et les éléments de preuve montrent que TRU se comporte de la même façon en ce qui a trait aux autres marchandises qu'elle achète auprès d'autres fournisseurs. Les éléments de preuve n'indiquent pas que, pour quelque raison que ce soit, l'entente entre TRU et Kent ait été structurée dans le but de masquer la véritable identité de l'importateur. En effet, TRU a témoigné que la façon dont elle fait affaire avec Kent est la façon dont elle fonctionne normalement.

Les bicyclettes que TRU achète à Kent sont achetées en dollars canadiens. TRU n'en devient propriétaire que lorsque les bicyclettes sont livrées à ses entrepôts au Canada. Ceci est confirmé par un cas spécifique dont il a été question dans la session à huis clos, au cours duquel TRU avait modifié un bon de commande11 . Par conséquent, Kent assume les risques associés à la livraison ainsi qu'aux fluctuations du taux de change. Les éléments de preuve indiquent également que TRU n'a en général pas de contrôle sur le pays d'origine ou sur le processus de fabrication des bicyclettes qu'elle achète à Kent. Kent retient également les services de son propre courtier en douane, qui s'occupe des transactions.

Le troisième élément dont le Tribunal doit traiter est la question de savoir si Kent est l'importateur « au Canada ». L'expression « au Canada » indique clairement qu'il y a une exigence en matière de présence au Canada. Cependant, la LMSI n'indique pas quel est le type de présence exigé. Par exemple, il n'y a aucune disposition dans la LMSI qui impose une exigence en matière de résidence ou un autre type de présence particulière, tel qu'un établissement stable au Canada.

De l'avis du Tribunal, si le Parlement avait eu l'intention d'imposer une telle exigence, il l'aurait fait de façon expresse, comme il l'a fait par le passé, par exemple dans la définition d'« acheteur au Canada »12 en vertu de la Loi sur les douanes.

Le Tribunal a constaté également que ni la Loi sur les douanes ni la Loi sur la taxe d'accise 13 n'oblige un importateur à être résident au Canada ou à avoir un établissement stable au Canada. Les importateurs non résidents et les importateurs sans établissement stable au Canada peuvent donc être redevables des droits aux termes de ces lois.

Par conséquent, le Tribunal estime que, dans sa décision, il doit appliquer le sens clair et ordinaire de l'expression « au Canada ». De l'avis du Tribunal, ceci implique une présence au Canada qui ne va pas nécessairement jusqu'à une résidence ou un établissement stable.

Le Tribunal observe que, si l'on adopte l'interprétation selon laquelle un importateur non résident ou un importateur sans établissement stable ne peut être qualifié d'« importateur au Canada » pour l'application de la LMSI, cela entraînerait des situations dans lesquelles, pour les mêmes marchandises, une société pourrait être redevable de droits antidumping, tandis qu'une société différente serait redevable pour des droits et des taxes aux termes de la Loi sur les douanes et de la Loi sur la taxe d'accise. Il faut également observer que les droits de douane, les évaluations antidumping et la taxe d'accise sont comptabilisés dans les formules B-3 de l'ADRC14 , qui doivent toutes être remplies par le même importateur.

Le Tribunal conclut que le témoignage donné lors de la session à huis clos, p. ex. sur la façon dont les commandes sont traitées15 , la façon dont les marchandises sont livrées à l'acheteur au Canada16 et l'entreposage des marchandises en question, démontre clairement que Kent a une présence au Canada.

Par conséquent, aux termes de l'article 90 de la LMSI, le Tribunal détermine que l'importateur au Canada des bicyclettes en question est Kent.


1 . L.R.C. 1985, c. S-15, modifiée [LMSI].

2 . D.O.R.S./91-499.

3 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1.

4 . Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.), Annexe B.

5 . Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., Toronto, Butterworth, 1994.

6 . 3e éd., Cowansville, Carswell, 2000.

7 . 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983.

8 . Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

9 . Ibid. à la p. 41.

10 . Transcription de l'audience à huis clos, vol. 1, 27 octobre 2003 aux pp. 5-6.

11 . Ibid. aux pp. 68-69.

12 . Par exemple, le Règlement sur la détermination de la valeur en douane, édicté par la Loi sur les douanes donne la définition suivante de « acheteur au Canada » :

2.1 Pour l'application du paragraphe 45(1) de la Loi, « acheteur au Canada » s'entend :

a) d'un résident;

b) d'une personne, autre qu'un résident, qui a un établissement stable au Canada;

c) d'une personne, autre qu'un résident, qui n'a pas d'établissement stable au Canada et qui importe les marchandises faisant l'objet de la détermination de la valeur en douane :

(i) pour sa consommation et son utilisation personnelles et qui ne les destinent pas à la vente,

(ii) pour les vendre au Canada pourvu que, avant leur achat, elle n'ait pas passé un accord visant leur vente à un résident. DORS/97-443, art. 2.

13 . L.R.C. 1985, c. E-15.

14 . Voir, par exemple, le mémoire confidentiel de l'ADRC à l'onglet 4.

15 . Transcription de l'audience à huis clos, vol. 1, 27 octobre 2003 à la p. 12.

16 . Ibid. aux pp. 69, 73.