TUBES DE CANALISATION SOUDÉS À GROS DIAMÈTRES EN ACIER AU CARBONE ET EN ACIER ALLIÉ

TUBES DE CANALISATION SOUDÉS DE GROS DIAMÈTRE EN ACIER AU CARBONE ET EN ACIER ALLIÉ
Enquête préliminaire de dommage no PI-2015-003

Décision rendue
le mardi 24 mai 2016

Motifs rendus
le mercredi 8 juin 2016

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant des :

TUBES DE CANALISATION SOUDÉS DE GROS DIAMÈTRE EN ACIER AU CARBONE ET EN ACIER ALLIÉ ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE ET DU JAPON

DÉCISION PROVISOIRE DE DOMMAGE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le présumé dumping dommageable de tubes de canalisation soudés de gros diamètre en acier au carbone et en acier allié, dont le diamètre extérieur est supérieur à 24 po (609,6 mm), mais ne dépasse pas 60 po (1 524 mm), peu importe l’épaisseur de la paroi, la longueur, le traitement de la surface (recouverte ou non), la finition des extrémités (lisses ou biseautées), la présence ou non de marques au pochoir, et les attestations (y compris les marques ou les attestations multiples applicables à des utilisations comme le transport du pétrole et du gaz), originaires ou exportés de la République populaire de Chine et du Japon, et le subventionnement des marchandises susmentionnées originaires ou exportées de la République populaire de Chine ont causé un dommage ou un retard ou menacent de causer un dommage.

Pour plus de clarté, les marchandises qui font l’objet de la présente enquête préliminaire de dommage englobent tout ce qui suit :

  • les tubes de canalisation conformes à la spécification 5L de l’American Petroleum Institute (API) dans les nuances A25, A, B et X jusques et y compris X100, ou bien conformes à des spécifications équivalentes dans des nuances équivalentes, telle la spécification CSA Z245.1 jusques et y compris la nuance 690;
  • les tubes de canalisation non finis (même s’ils n’ont pas encore été mis à l’essai, inspectés, ou attestés comme conformes aux spécifications), originaires de la République populaire de Chine et du Japon, et importés pour servir à la production ou à la finition de tubes de canalisation conformes aux spécifications finales, y compris pour le diamètre extérieur, la nuance, l’épaisseur de la paroi, la longueur, la finition des extrémités ou le traitement de la surface;
  • les tubes secondaires et de qualité inférieure (« produits à service limité »).

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 24 mars 2016, selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert des enquêtes concernant les présumés dumping et subventionnement dommageables des marchandises susmentionnées.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine par la présente que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises susmentionnées ont causé un dommage ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

Jean Bédard
Jean Bédard
Membre présidant

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre

Ann Penner
Ann Penner
Membre

L’exposé des motifs sera publié d’ici 15 jours.

Membres du Tribunal : Jean Bédard, membre présidant
Jason W. Downey, membre
Ann Penner, membre

Directeur des enquêtes sur les recours commerciaux : Mark Howell

Agents des enquêtes sur les recours commerciaux : Noha Rahal
Boxi Zhou

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Eric Wildhaber
Rebecca Marshall-Pritchard

Superviseur du greffe : Haley Raynor

Agent de soutien du greffe : Sara Pelletier

PARTICIPANTS :

 

Conseillers/représentants

Baoshan Iron & Steel Co., Ltd.
Baosteel America Inc. (Canada Office)

Vincent Routhier
Gabrielle Dumas Aubin

Cantak Corporation
Metal One Corporation

Peter Clark
Renée Clark
Golsa Ghamari
Andrew DiCapua

Evraz Inc. NA Canada

Christopher J. Kent
Christopher J. Cochlin
Christopher R.N. McLeod
Andrew M. Lanouette
Hugh Seong Seok Lee
Michael Milne
Susana May Yon Lee
Adrian Burger

Fraser Surrey Docks

Bill Wehnert

JFE Steel Corporation
Nippon Steel & Sumitomo Metal Corporation

Greg Somers

Kinder Morgan Canada

Greg Kanargelidis
Zachary Silver

Spectra Energy Transmission

Ken Wieltchnig

Sumitomo Canada Limited
Sumitomo Corporation

Darrel H. Pearson
Jesse I. Goldman
Laura Murray
George Reid
Jessica Horwitz

TransCanada PipeLines Limited

Riyaz Dattu
Gerard J. Kennedy

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

  1. Le 5 février 2016, Evraz Inc., NA Canada et la Canadian National Steel Corporation (Evraz) ont déposé une plainte auprès du président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) concernant le présumé dumping dommageable de certains tubes de canalisation soudés de gros diamètre en acier au carbone et en acier allié (les marchandises en question), originaires ou exportés de la République populaire de Chine (la Chine) et du Japon, et le présumé subventionnement dommageable des marchandises en question originaires de la Chine.
  2. Le 24 mars 2016, l’ASFC a ouvert une enquête à la suite de la plainte déposée par Evraz.
  3. Le 29 mars 2016, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a publié un avis d’ouverture d’enquête préliminaire de dommage[1].
  4. Baoshan Iron & Steel Co., Ltd. et BaoSteel America Inc. (bureau du Canada) (Baosteel), Metal One Corporation et Cantak Corporation (MO&C), Kinder Morgan Canada (KMC), JFE Steel Corporation et Nippon Steel & Sumitomo Metal Corporation (JFE), ainsi que Sumitomo Corporation et Sumitomo Canada Limited (Sumitomo) s’opposent à la plainte.
  5. Les autres participants à la présente enquête préliminaire de dommage sont TransCanada PipeLines Limited (TransCanada), Spectra Energy Transmission et Fraser Surrey Docks. Aucun de ces participants n’a déposé d’observations ni signifié son soutien ou son opposition à la plainte.
  6. Le 24 mai 2016, conformément au paragraphe 37.1(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation[2], le Tribunal a déterminé que les éléments de preuve indiquaient, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question avaient causé ou menaçaient de causer un dommage à la branche de production nationale.

DÉCISION DE L’ASFC D’OUVRIR DES ENQUÊTES

  1. L’ASFC était d’avis que des éléments de preuve indiquaient que les marchandises en question avaient été sous-évaluées et subventionnées et qu’ils indiquaient, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question avaient causé ou menaçaient de causer un dommage.
  2. Pour prendre la décision d’ouvrir des enquêtes aux termes du paragraphe 31(1) de la LMSI, l’ASFC s’est fondée sur les données sur le volume des marchandises sous-évaluées et subventionnées pour la période du 1er juillet 2014 au 31 décembre 2015[3].
  3. L’ASFC a estimé que les marges de dumping étaient de 53,6 p. 100 du prix à l’exportation des marchandises en question dans le cas de la Chine et de 25,4 p. 100 dans le cas du Japon[4]. L’ASFC a estimé également que le taux de subvention des marchandises chinoises était de 30,3 p. 100 du prix à l’exportation des marchandises en question[5].
  4. Par ailleurs, l’ASFC était d’avis que les marges estimées de dumping et le montant estimé de subvention n’étaient pas minimaux et que les volumes estimés de marchandises sous-évaluées et subventionnées n’étaient pas négligeables[6].

ANALYSE

Cadre législatif

  1. Le mandat du Tribunal dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage est énoncé au paragraphe 34(2) de la LMSI, qui exige du Tribunal qu’il détermine « si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises [en question] a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage ».
  2. En l’espèce, Evraz fait valoir que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé un dommage ou menacent de causer un dommage; aucune allégation de retard n’a été présentée.
  3. Pour s’acquitter de son mandat dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal a recours au critère de l’« indication raisonnable ». Ce critère est moins exigeant que la norme de preuve qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage menée aux termes de l’article 42 de la LMSI[7]. Le terme « indication raisonnable » n’est pas défini dans la LMSI, mais il est compris comme signifiant que les éléments de preuve n’ont pas à être « concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités »[8] [traduction]. Néanmoins, de simples affirmations non étayées par des éléments de preuve pertinents ne peuvent être suffisantes[9]. L’issue ne doit pas être tenue pour acquise[10]. La plainte, bien qu’interprétée de manière libérale, doit être étayée d’éléments de preuve convaincants qui sont suffisants et pertinents, en ce sens qu’ils abordent les exigences établies par la LMSI ainsi que les facteurs pertinents énoncés dans le Règlement sur les mesures spéciales d’importation[11].
  4. Le Tribunal a auparavant conclu que le critère de l’« indication raisonnable » était rempli lorsque[12] :
    • le présumé dommage ou la présumée menace de dommage est étayé par des éléments de preuve qui sont suffisants en ce sens qu’ils sont pertinents, exacts et adéquats;
    • les allégations résistent à un examen assez poussé eu égard aux éléments de preuve, même si la thèse avancée peut ne pas sembler convaincante ou incontestable.
  5. Afin de déterminer si le critère de l’indication raisonnable a été rempli aux fins de l’enquête préliminaire de dommage, le Tribunal doit s’appuyer sur les renseignements et éléments de preuve fournis dans la plainte, sur les observations des parties et, le cas échéant, sur les réponses aux demandes formulées par le Tribunal par la voie de questionnaires ou de lettres. Dans la plupart des cas, toutefois, ces éléments de preuve sont moins exhaustifs que ceux recueillis aux fins d’une enquête définitive de dommage et ne sont pas soumis à une vérification aussi rigoureuse. Ce n’est qu’à l’étape de l’enquête définitive de dommage que le Tribunal a l’occasion de recueillir des renseignements plus détaillés, de recevoir des observations sur l’ensemble des éléments de preuve versés au dossier et de vérifier ces éléments de preuve dans le cadre de la procédure d’audience.

Observations sur les questions de dommage et de menace de dommage

Evraz

  1. Evraz fait valoir que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé un dommage important à la branche de production nationale. Pour étayer ses allégations, elle a présenté des éléments de preuve indiquant qu’il y avait eu hausse du volume des marchandises en question, perte de ventes, sous-cotation des prix, compression des prix, perte de parts de marché, sous-utilisation de la capacité et perte de rentabilité.
  2. Evraz soutient également que le dumping et le subventionnement des marchandises en question menacent de causer un dommage important à la branche de production nationale. Selon elle, le volume des importations sous-évaluées et subventionnées augmente et continuera d’augmenter, étant donné la capacité de production des pays visés, leur propension à l’exportation à destination du marché canadien et les mesures commerciales visant les tubes de canalisation dans d’autres pays. Elle fait en outre valoir que les prix des marchandises en question continueront vraisemblablement d’entraîner une sous-cotation, une baisse et une compression des prix nationaux, ce qui se traduira par une augmentation de la part de marché des marchandises en question aux dépens des marchandises similaires.

Parties opposées à la plainte

  1. Les parties opposées à la plainte soutiennent qu’Evraz ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait et que les éléments de preuve présentés dans la plainte n’indiquent pas, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement dommageables allégués des marchandises en question ont causé ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.
  2. Elles font valoir que ni la plainte ni l’ASFC n’ont tenu compte d’autres facteurs ayant pu causer un dommage à la branche de production nationale, comme la contraction de la demande de pétrole et le ralentissement économique qui en a découlé. Elles soutiennent en outre qu’Evraz fait reposer ses arguments sur ses propres données faisant état de pertes de ventes, alors que ces données sont limitées et contiennent des lacunes importantes.

Nature du marché des tubes de canalisation de gros diamètre

  1. Les éléments de preuve et les renseignements soumis au Tribunal en l’espèce offrent un instantané du marché des tubes de canalisation de gros diamètre et font ressortir certaines questions qui pourraient se révéler importantes à la suite d’un examen approfondi. Ces éléments de preuve et renseignements ont été utiles au Tribunal, et ils seront un point d’enquête important à l’étape finale de l’enquête du Tribunal.
  2. Par exemple, il semble que les tubes de canalisation de gros diamètre soient le composant déterminant des travaux d’oléoducs et de gazoducs; ainsi, il existe un lien étroit entre ces deux branches de production. Il semble aussi que les travaux d’oléoducs et de gazoducs aient une grande envergure, exigent des investissements massifs et soient soumis à une combinaison unique de pressions et de considérations d’ordre économique, environnemental et politique[13].
  3. Il semble que, dans le cadre de ces travaux, l’approvisionnement en tubes de canalisation de gros diamètre se fasse par la voie d’appels d’offres et de négociations avec les fournisseurs qui, bien souvent, fabriquent directement les marchandises[14].
  4. Il semble que les usines produisant des tubes de canalisation de gros diamètre aient généralement obtenu une certification attestant qu’elles respectent certaines normes de qualité avant de présenter des soumissions ou d’obtenir des contrats, ce qui permet d’assurer l’intégrité physique des marchandises fournies[15]. Les caractéristiques des produits peuvent varier grandement selon les travaux, et les exigences en matière d’utilisation finale à certains endroits des oléoducs constituent un facteur important (par exemple les endroits où ceux-ci traversent une rivière)[16].
  5. Les contrats peuvent porter sur la totalité ou sur certaines phases des travaux et, comme les délais d’exécution sont souvent longs, ils contiennent généralement des clauses de rajustements de prix[17]. L’existence d’une mesure de diversification de l’approvisionnement est un facteur important pour les utilisateurs[18].

Définition du produit

  1. Baosteel et MO&C soutiennent toutes deux que la définition du produit est trop large, qu’elle serait difficile à faire appliquer par l’ASFC et qu’elle comprend des épaisseurs de paroi qu’Evraz ne produit pas. En particulier, elles font valoir que les marchandises en question ont de multiples caractéristiques convenant à différentes utilisations finales et qu’elles ne se limitent pas aux tubes de canalisation servant à l’acheminement de pétrole et de gaz.
  2. Pour sa part, Evraz soutient qu’elle produit bel et bien des tubes de toutes les épaisseurs de paroi qu’englobe la définition du produit, ou qu’elle pourra le faire aux termes de la modernisation prévue de son usine de Regina (Saskatchewan), en juillet 2016.
  3. L’ASFC définit les marchandises en question comme des tubes de canalisation soudés de gros diamètre présentant certaines caractéristiques, originaires ou exportés de la Chine et du Japon. Il est bien établi que le Tribunal doit mener son enquête préliminaire de dommage en se fondant sur la définition que fait l’ASFC des marchandises sous-évaluées ou subventionnées[19]. Ainsi, le Tribunal ne peut, de son propre chef, modifier la définition des marchandises en question. Par conséquent, la portée de la définition du produit, et sa faisabilité administrative, est une question qui relève de la compétence exclusive de l’ASFC. Pour ces motifs, le Tribunal ne changera pas la définition du produit, ni maintenant ni à l’étape finale de son enquête.

Marchandises similaires et catégories de marchandise

Marchandises similaires

  1. Dans l’évaluation de la question de savoir si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé un dommage ou menacent de causer un dommage aux producteurs nationaux de marchandises similaires, le Tribunal peut examiner la question de savoir si les marchandises en question constituent une ou plusieurs catégories de marchandise et doit définir la portée des marchandises similaires produites au pays par rapport à celle des marchandises en question.
  2. Le Tribunal tient généralement compte d’un certain nombre de facteurs pour trancher la question des marchandises similaires et celle des catégories de marchandise, dont les caractéristiques physiques des marchandises (comme la composition et l’apparence) et leurs caractéristiques de marché (comme la substituabilité, l’établissement des prix, les circuits de distribution, les utilisations finales et la question de savoir si les marchandises répondent aux mêmes besoins des clients)[20].
  3. Les parties s’entendent pour dire que les tubes de canalisation soudés de gros diamètre fabriqués au Canada sont des marchandises similaires par rapport aux marchandises en question. À la lumière des éléments de preuve au dossier qui concernent les facteurs susmentionnés, le Tribunal conclut que les tubes de canalisation soudés de gros diamètre produits au Canada sont des marchandises similaires par rapport aux marchandises en question.
  4. Le Tribunal souligne que, dans le cadre de l’enquête préliminaire de dommage no PI-2015-002[21], il a été souligné que Bri-Steel Manufacturing Ltd. (Bri-Steel) était un producteur canadien de tubes de canalisation sans soudure. Le Tribunal a reconnu ce fait aux fins de la présente enquête préliminaire de dommage et a, de sa propre initiative, exploré avec les parties la question de savoir s’il devait considérer que les tubes de canalisation sans soudure de gros diamètre étaient également des marchandises similaires par rapport aux marchandises en question[22]. Ce faisant, le Tribunal a demandé à Bri-Steel de fournir certains renseignements, notamment des données sur sa production nationale et sur le volume de ses ventes nationales de 2013 à 2015. Les données reçues de Bri-Steel ont amené le Tribunal à conclure que Bri-Steel produisait et vendait au Canada des volumes négligeables de marchandises ayant les dimensions visées par la définition du produit en l’espèce [23].
  5. Baosteel est la seule partie qui s’est prononcée sur la production de tubes de canalisation sans soudure de gros diamètre de Bri-Steel au regard de la question des marchandises similaires, mais elle n’a pas donné de raison pour laquelle le Tribunal devrait inclure la production nationale de tubes de canalisation sans soudure de gros diamètre dans la portée de la présente enquête préliminaire de dommage. Essentiellement, les éléments de preuve concernant la substituabilité des tubes de canalisation sans soudure de gros diamètre par des tubes de canalisation soudés de gros diamètre sont insuffisants et, pour autant que l’on sache, il y a peu ou pas d’importations de tubes de canalisation sans soudure de gros diamètre au Canada[24]. En bref, le Tribunal est convaincu que les forces du marché qui existaient dans Tubes de canalisation en acier au carbone et en acier allié n’ont pas cours en l’espèce.

Catégories de marchandise

  1. Baosteel et MO&C soutiennent que les marchandises en question comprennent deux catégories de marchandise produites selon deux méthodes de production différentes, soit 1) les tubes de canalisation soudés en spirale sous flux en poudre et 2) les tubes de canalisation soudés longitudinalement sous flux en poudre. Selon elles, le recours à une de ces deux méthodes de production plutôt qu’à l’autre a une incidence sur les utilisations finales possibles des tubes de canalisation de gros diamètre, et également sur « les perceptions des clients et des utilisateurs finaux »[25] [traduction].
  2. Evraz a fait valoir auprès de l’ASFC que les marchandises en question et les marchandises similaires constituent une seule catégorie de marchandise, argument auquel a adhéré l’ASFC. Dans ses observations en réponse, Evraz a en outre souligné que même si les tubes de canalisation soudés en spirale et longitudinalement sous flux en poudre sont soumis à des procédés différents, ils ne peuvent être classés en deux catégories de marchandise distinctes, puisqu’ils sont destinés aux mêmes clients, que leurs prix respectifs sont étroitement liés et évoluent de manière parallèle, et, fait encore plus important, qu’ils sont presque parfaitement substituables sur le marché. Par ailleurs, Evraz a invoqué une décision de la Commission du commerce international des États-Unis, dans laquelle il est conclu que les tubes de canalisation soudés en spirale et longitudinalement sous flux en poudre forment une seule et unique catégorie de marchandise[26].
  3. Le Tribunal a clairement établi par le passé que les différences entre les méthodes de production, les utilisations finales ou les coûts de production ne l’empêchent pas de conclure à l’existence d’une seule catégorie de marchandise. Il est bien établi que des marchandises peuvent faire partie d’une même catégorie même si elles se déclinent en de multiples variétés, différant, par exemple, sur le plan des nuances et des caractéristiques liées à l’utilisation finale, de sorte qu’elles ne sont pas nécessairement substituables les unes aux autres[27].
  4. Dans le cadre de l’analyse des catégories de marchandise, il faut se concentrer sur les produits, et non sur les procédés ou méthodes de fabrication utilisés pour les obtenir[28]. Le Tribunal est d’avis que Baosteel et MO&C n’ont pas présenté d’éléments de preuve convaincants étayant la non-substituabilité présumée des tubes de canalisation de gros diamètre obtenus par l’un ou l’autre des procédés de fabrication. De façon similaire, Baosteel et MO&C ont présenté peu d’éléments de preuve, voire aucun, pour démontrer l’existence de deux marchés distincts pour ces deux produits. Le Tribunal conclut en outre que Baosteel et MO&C ont tout au plus établi que les tubes de canalisation soudés longitudinalement sous flux en poudre sont parfois les seuls à pouvoir être utilisés dans certaines portions des oléoducs (par exemple aux endroits où ceux-ci traversent une rivière), mais elles n’ont pas réussi à démontrer que ces deux types de tubes ne peuvent généralement pas se substituer les uns aux autres dans les oléoducs en temps normal.
  5. Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve présentés par M. Harapiak, d’Evraz, sont les plus convaincants qui figurent au dossier concernant la substituabilité, dans les travaux d’oléoducs, des tubes de canalisation soudés en spirale et longitudinalement sous flux en poudre[29]. En outre, l’analyse qui suit concernant la transparence des prix donne à penser que les importations de tubes de canalisation soudés longitudinalement sous flux en poudre sous-évalués et subventionnés tirent vers le bas le prix des tubes de canalisation soudés en spirale sous flux en poudre. Ce phénomène ne serait pas observé s’il n’existait pas de substituabilité vers le bas entre les tubes de canalisation soudés longitudinalement sous flux en poudre et les tubes de canalisation soudés en spirale sous flux en poudre. Ce constat cadre avec la conclusion voulant que les deux types de produits peuvent bel et bien se substituer l’un à l’autre, et qu’ils forment une seule catégorie de marchandise.
  6. En somme, le Tribunal conclut que, en l’espèce, il n’existe pas deux catégories de marchandise distinctes. Le Tribunal a déjà établi que les différences dans les méthodes de fabrication ne sont pas un motif justifiant la création de catégories de marchandise distinctes. Par ailleurs, les facteurs que sont la substituabilité et l’établissement des prix donnent à penser qu’il existe un seul marché et, donc, une seule catégorie de marchandise.

Branche de production nationale

  1. Evraz dit être le seul producteur national de marchandises similaires et, donc, constituer la branche production nationale en l’espèce. Les parties qui s’opposent à la plainte ne remettent pas en question cette affirmation. Ainsi, le Tribunal est convaincu que le volume de production d’Evraz représente une part importante, voire la totalité, de la production nationale de marchandises similaires. Le Tribunal s’est donc demandé s’il y avait une indication raisonnable de dommage ou de menace de dommage causé à la production de marchandises similaires d’Evraz.

Cumul

  1. Le paragraphe 42(3) de la LMSI, qui concerne l’enquête définitive de dommage, exige du Tribunal qu’il procède à une évaluation cumulative des effets dommageables des marchandises sous-évaluées et subventionnées qui sont importées au Canada, s’il est convaincu que certaines conditions sont remplies. En particulier, le Tribunal doit être convaincu que la marge de dumping et le montant de subvention ne sont pas minimaux[30], que le volume des marchandises importées au Canada en provenance de chacun des pays visés n’est pas négligeable[31] et que l’évaluation des effets cumulatifs des marchandises en question est indiquée compte tenu des conditions de concurrence entre les marchandises provenant de l’un ou l’autre des pays visés, les autres marchandises sous-évaluées et subventionnées et les marchandises similaires. Par le passé, le Tribunal a également procédé au cumul croisé des effets des marchandises sous-évaluées et subventionnées, tant à l’étape de l’enquête préliminaire qu’à l’étape de l’enquête définitive de dommage, quand les effets des marchandises sous-évaluées et subventionnées étaient enchevêtrés dans un ensemble d’effets sur les prix[32].
  2. En raison du caractère plutôt nouveau du rapport United States – Countervailing Measures on Certain Hot-rolled Carbon Steel Flat Products from India[33], qui porte sur une enquête définitive de dommage et non sur une enquête préliminaire de dommage, et également parce que la LMSI est muette sur la façon dont le cumul devrait être traité à l’étape de l’enquête préliminaire et parce que les parties n’ont pas abordé cette question de façon aussi approfondie que le Tribunal l’aurait souhaité dans leurs observations, le Tribunal a déterminé qu’il n’avait pas à procéder à une analyse non cumulée à cette étape-ci.
  3. Néanmoins, sous réserve de l’examen des observations qui pourraient être présentées par les parties sur cette question à l’étape de l’enquête définitive de dommage, le Tribunal souligne qu’Evraz préférera peut-être présenter séparément les allégations de dommage ou de menace de dommage causé par les marchandises en question sous-évaluées et subventionnées originaires ou exportées de la Chine, d’une part, et les allégations de dommage ou de menace de dommage causé par les marchandises en question sous‑évaluées originaires ou exportées du Japon, d’autre part.
  4. Dans le cadre de la présente enquête préliminaire de dommage, le Tribunal a fait reposer son analyse sur les marges de dumping estimées, sur le montant estimé de subvention ainsi que sur les volumes fournis par l’ASFC. Le Tribunal fait remarquer que les marges de dumping et le montant de subvention des marchandises provenant de la Chine et du Japon ne sont pas minimales. En outre, le volume des marchandises importées au Canada en provenance de chacun de ces pays n’est pas négligeable. Le Tribunal constate en outre que les conditions de concurrence entre les marchandises en question, et entre les marchandises en question et les marchandises similaires, sont apparemment semblables[34]. Par conséquent, le Tribunal a procédé à une évaluation cumulative des effets dommageables présumés des marchandises en question.
  5. Le Tribunal va maintenant examiner si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’il existe un dommage ou une menace de dommage en se fondant sur les facteurs énoncés à l’article 37.1 du Règlement.

Volume de marchandises sous-évaluées et subventionnées

  1. Evraz soutient qu’il y a eu une hausse importante des importations de marchandises en question tant en valeur absolue que par rapport à la production nationale. Evraz fait en outre valoir qu’en raison de cette hausse, les marchandises en question ont accru leur part de marché aux dépens de celle des marchandises similaires.
  2. Les parties qui s’opposent à la plainte soutiennent plutôt que toute hausse de la part de marché des marchandises en question s’est faite aux dépens des marchandises non visées. MO&C souligne en outre que le volume des importations de marchandises non visées a diminué depuis 2013, qu’il était beaucoup plus élevé en 2013 que celui des importations en provenance du Japon en 2015, et que le volume des importations en provenance du Japon n’a jamais été aussi élevé qu’entre 2013 et 2015.
  3. Pour les besoins de cette analyse, le Tribunal tiendra compte de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015.
  4. Au vu de la preuve au dossier, le volume total des importations de marchandises en question à destination du Canada a fait un bond important au cours de la période, surtout en 2014, année au cours de laquelle il a doublé[35]. En 2015, le volume des marchandises en question a de nouveau connu une hausse appréciable, et il représentait un pourcentage important de l’ensemble des importations de tubes de canalisation de gros diamètre au Canada. De 2013 à 2015, les ventes de marchandises produites au Canada ont quant à elles chuté de 65 p. 100.
  5. Selon l’ASFC, la part de marché des marchandises en question a enregistré une hausse marquée de 2013 à 2015[36]. Au cours de cette période, les importations de marchandises en question en provenance de la Chine ont progressé de 213 p. 100 et celles en provenance du Japon de 223 p. 100. Au cours de la même période, les importations de marchandises non visées ont diminué de 89 p. 100[37].
  6. De façon similaire, les éléments de preuve révèlent que, lorsqu’il est exprimé par rapport à la production nationale et à l’utilisation nationale de marchandises similaires, le volume des marchandises en question a augmenté sur le marché canadien de 2013 à 2015, particulièrement en 2015[38]. Cette progression des importations de marchandises en question semble avoir un lien avec la diminution globale de la production nationale de 2013 à 2015.
  7. Au vu de ce qui précède, les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le volume des importations des marchandises en question a augmenté tant en valeur absolue qu’en valeur relative par rapport au volume des marchandises similaires.

Effet sur le prix des marchandises similaires

  1. L’argumentation d’Evraz repose en grande partie sur trois allégations de perte de ventes et sur un certain nombre d’allégations de perte de revenus. Dans chacune de ces allégations, Evraz met l’accent sur l’incidence de certaines caractéristiques du marché des tubes de canalisation de gros diamètre (comme par exemple les longs délais s’écoulant entre les commandes et les livraisons) sur ses prix, sur la valeur de ses ventes et sur ses états financiers. En raison des longs délais d’exécution, les contrats d’approvisionnement contiennent des clauses de rajustement de prix, ce qui permet de tenir compte des conditions du marché et offre une certaine souplesse pour l’établissement des prix des tubes de canalisation de gros diamètre au fil du temps. Selon Evraz, il se pourrait donc qu’il y ait un délai entre la baisse des prix avec laquelle elle a dû composer dans ses soumissions et la manifestation des effets de cette baisse sur ses ventes et ses états financiers. Par ailleurs, Evraz souligne qu’en raison de la nature du marché des tubes de canalisation de gros diamètre, les allégations propres à certains clients sont un élément clé de l’analyse de dommage.
  2. Dans sa plainte, Evraz fait valoir que le prix des marchandises en question, mesuré selon la valeur unitaire moyenne, a entraîné une sous-cotation importante de ses propres prix, et aussi que les ventes et la part de marché des marchandises en question ont augmenté aux dépens de celles de la branche de production nationale. Evraz soutient en outre que son coût des marchandises vendues a augmenté par rapport à la valeur nette de ses ventes. Elle affirme par ailleurs que les marchandises en question ont fait baisser les prix qu’elle pouvait demander à ses différents clients et que, malgré la hausse de ses coûts, elle a été contrainte de réduire considérablement ses prix de vente pour soutenir la concurrence des marchandises en question. Elle soutient que tous ces facteurs ont fait fondre de manière importante ses ventes nationales de marchandises similaires.
  3. Selon les parties qui s’opposent à la plainte, étant donné que les tubes de canalisation de gros diamètre sont des produits sur mesure, les prix de vente moyens ne sont pas une mesure fiable pour évaluer les effets des marchandises en question sur les prix et, par conséquent, les comparaisons de prix ne doivent se faire que pour des travaux particuliers. Plus particulièrement, Baosteel soutient que les données sur les prix moyens ne permettent pas d’étayer l’affirmation selon laquelle il y a eu une baisse des prix mesurés selon la valeur unitaire moyenne. Qui plus est, certaines parties qui s’opposent à la plainte font valoir que la combinaison de produits pourrait réduire la fiabilité des valeurs unitaires moyennes.
  4. À cette étape-ci, si l’on exclut les marchandises en question importées du Japon en 2013, la comparaison de la valeur des importations des marchandises en question et du prix de vente moyen pondéré des marchandises similaires révèle que les marchandises en question ont entraîné une sous-cotation des prix des marchandises similaires à toutes les périodes entre 2013 et 2015[39]. En outre, les éléments de preuve indiquent que l’écart de prix entre les marchandises en question et les marchandises similaires s’est creusé entre 2013 et 2015.
  5. En ce qui concerne la compression des prix, les prix d’Evraz ont augmenté en 2014 par rapport à 2013 à un rythme plus rapide que la hausse de son coût des marchandises vendues sur le marché national[40]. Cela dit, en 2015, le coût des marchandises vendues d’Evraz a fait un bond important, alors que les prix d’Evraz n’ont que très peu progressé. Pendant ce temps, les valeurs unitaires des marchandises en question baissaient par rapport aux prix des marchandises similaires.
  6. En ce qui concerne la baisse des prix, le Tribunal conclut que les éléments de preuve n’étayent pas l’allégation d’Evraz voulant que les prix des marchandises similaires aient été revus à la baisse en réponse à la concurrence exercée par les marchandises en question, étant donné que les prix moyens sur le marché national ont plutôt augmenté d’une année à l’autre[41]. Bien que les prix des marchandises similaires aient augmenté entre 2013 et 2015 et qu’ils ne montraient pas de signe d’érosion, les marchandises en question sont devenues relativement moins chères que les marchandises similaires en moyenne.
  7. Par conséquent, le Tribunal conclut qu’il existe des éléments de preuve indiquant qu’Evraz a peut-être perdu des clients et des ventes en raison de la sous-cotation des prix attribuable aux fournisseurs des marchandises en question. Parmi ces éléments de preuve figurent des exemples de sous-cotation des prix et de compression des prix causées par les marchandises en question dans le cadre de contrats particuliers. Cela dit, ces éléments de preuve ne permettent pas de conclure à une baisse des prix.
  8. À l’étape de l’enquête définitive de dommage, en application de l’article 42 de la LMSI, le Tribunal fera un examen plus approfondi des éléments de preuve et des allégations concernant la perte de clients et de ventes, en accordant une attention particulière, entre autres, à l’importance relative du prix dans les décisions d’achat et aux circonstances particulières des transactions.
  9. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont entraîné la sous‑cotation et la compression des prix, mais non la baisse des prix.

Incidence sur la branche de production nationale

  1. Dans le cadre de son analyse menée aux termes de l’alinéa 37.1(1)c) du Règlement, le Tribunal tient compte de l’incidence des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur la situation de la branche de production nationale et, plus précisément, de tous les facteurs et indices économiques pertinents influant sur cette situation.
  2. Evraz soutient que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé un dommage important sous forme de perte de ventes, de baisse de la production, de réduction de l’utilisation de la capacité et de diminution des ventes nettes et des marges brutes.
  3. Baosteel et MO&C font valoir qu’Evraz s’en tire bien. Elles mettent en doute les allégations d’Evraz concernant la perte de ventes et les éléments de preuve relatifs aux indicateurs de rendement financier, soulignant que des facteurs autres que le dumping et le subventionnement présumés des marchandises en question ont pu entraîner une baisse des ventes et de la part de marché. Baosteel et MO&C soutiennent toutes deux que d’autres facteurs ont eu une incidence sur la situation de la branche de production nationale, dont la baisse de la demande sur le marché du pétrole, qui tire les prix à la baisse.
  4. Globalement, les ventes d’Evraz de marchandises produites au Canada ont enregistré une forte baisse de 2013 à 2015. En 2015, les ventes de marchandises produites au Canada sont demeurées inférieures au niveau de production de 2013, en dépit d’une hausse encourageante en 2014[42].
  5. L’utilisation de la capacité a également reculé entre 2013 et 2015. Or, le Tribunal souligne que l’usine de Regina d’Evraz a dû cesser ses activités durant deux mois en 2015 à la suite de la décision de la société d’investir dans sa modernisation. Le Tribunal est d’avis que cette décision explique au moins en partie la chute des taux d’utilisation de la capacité d’Evraz, et il examinera cette question plus en profondeur à l’étape de l’enquête définitive.
  6. Dans l’ensemble, la part de marché des marchandises similaires a diminué entre 2013 et 2015. Si elle a d’abord augmenté de façon marquée en 2014, elle a ensuite diminué dans une plus large mesure en 2015. Pendant ce temps, la part de marché des marchandises en question a fait un bond important, et la part de marché des marchandises non visées a diminué.
  7. En outre, les contrats perdus ont pu jouer un rôle crucial dans le rendement de la branche de production nationale, étant donné les grandes quantités qui sont en jeu sur de longues périodes[43]. À cet égard, le Tribunal conclut que les pertes de ventes alléguées sont crédibles, compte tenu de la norme de preuve qui s’applique à l’étape de l’enquête préliminaire de dommage. Cela dit, le Tribunal souligne que certains contrats sur lesquels reposent les allégations de perte de revenus d’Evraz n’ont pas encore été attribués. Le Tribunal tient compte des allégations des parties qui s’opposent à la plainte, selon lesquelles Evraz ne fournit pas de tubes de canalisation de gros diamètre présentant certaines caractéristiques et dimensions, et que cela pourrait expliquer en partie la perte de ventes dont Evraz fait état. Ces allégations seront examinées plus en détail à l’étape de l’enquête définitive de dommage.
  8. En ce qui a trait aux marges brutes d’Evraz et à son bénéfice net exprimé en pourcentage des ventes nettes, le Tribunal conclut que toutes les mesures se sont détériorées entre 2013 et 2015. Après une amélioration du rendement financier en 2014, la marge brute et le bénéfice net exprimé en pourcentage des ventes nettes se sont dégradés en 2015, passant sous les valeurs observées en 2013. Globalement, le Tribunal conclut que le rendement financier de la branche de production nationale s’est manifestement détérioré, particulièrement en 2015[44].

Lien de causalité et autres facteurs

  1. Dans une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal doit déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’il y a un lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises en question et le dommage. De plus, aux termes de l’alinéa 37.1(3)b) du Règlement, le Tribunal doit évaluer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dommage a été causé par des facteurs autres que le dumping et le subventionnement.
  2. Les parties qui s’opposent à la plainte soutiennent que si la branche de production nationale a subi un dommage, c’est en raison de facteurs autres que le dumping ou le subventionnement, à savoir le ralentissement, en 2015, des activités de construction de pipelines et des travaux du principal client d’Evraz, Enbridge; le faible soutien du public à l’égard des travaux de construction d’oléoducs, en raison des préoccupations environnementales; la diminution de la demande de tubes en général, en raison du ralentissement de la production de pétrole; l’effet de la dépréciation du dollar; les capacités de production prétendument limitées d’Evraz quant aux épaisseurs de paroi et aux applications dans des conduites à basses températures ou sous pression; le fait que certains acheteurs, préférant diversifier leurs achats de tubes de canalisation, s’approvisionnent auprès de multiples fournisseurs; l’incertitude quant au moment où aura lieu la modernisation de l’usine d’Evraz à Regina et quant à l’ampleur de cette modernisation; et les charges financières importantes d’Evraz attribuables à la dette inter-entreprises et aux frais d’intérêt afférents.
  3. En réponse, Evraz soutient que le Tribunal a conclu par le passé qu’il suffisait que le dumping et le subventionnement soient une cause de dommage causé à la branche de production nationale, et non la seule cause. Evraz fait en outre valoir que les données font ressortir une forte corrélation entre les marchandises en question et les indications de dommage causé à la branche de production nationale, et que ce n’est que dans le cadre de l’enquête définitive de dommage que le Tribunal sera en mesure d’analyser pleinement les causes et être convaincu que le dumping et le subventionnement des importations causent ou menacent de causer un dommage important.
  4. Dans des décisions précédentes, le Tribunal a conclu qu’une simple corrélation entre le dumping, le subventionnement et les indications de dommage ne suffisait pas à prouver le lien de causalité nécessaire dans une enquête préliminaire de dommage[45]. Dans ce type d’enquête, le critère consiste plutôt à trouver des indications raisonnables que le dumping et le subventionnement des marchandises ont, en soi, causé un dommage à la branche de production nationale.
  5. Bien que les parties qui s’opposent à la plainte aient soulevé un certain nombre de facteurs qui méritent effectivement un examen plus approfondi, les éléments de preuve au dossier ne sont actuellement pas suffisants pour que le Tribunal détermine que ces autres facteurs ont causé la totalité du dommage subi par la branche de production nationale et que les marchandises en question ne sont pas une des causes de ce dommage. Le Tribunal convient toutefois que les parties qui s’opposent à la plainte ont soulevé un certain nombre de questions qu’il souhaite soumettre à un examen plus approfondi dans le cadre de l’enquête définitive de dommage, à savoir la relation d’Evraz avec Enbridge; la structure d’Evraz, y compris la répartition et l’incidence de la dette de la société et le degré d’intégration entre les usines de Camrose (Alberta), de Regina et de Portland (Oregon); enfin, la capacité d’Evraz de répondre aux besoins du marché (par exemple d’offrir toutes les épaisseurs de paroi qu’englobe la définition du produit). Ainsi, le Tribunal est d’avis que le lien de causalité est une question centrale en l’espèce et qu’il convient de l’examiner exhaustivement dans le cadre d’une enquête menée aux termes de l’article 42 de la LMSI.

CONCLUSION

  1. Tout compte fait, le Tribunal conclut que les éléments de preuve au dossier indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé un dommage important à la branche de production nationale. Ainsi, le Tribunal n’a pas à trancher la question de savoir si les marchandises en question menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.
 

[1].      Gaz. C. 2016.I.1000.

[2].      L.R.C. (1985), ch. S-15 [LMSI].

[3].      Pièce PI-2015-003-05, vol. 1CC à la p. 96.

[4].      Ibid. à la p. 100.

[5].      Ibid. à la p. 107.

[6].      Ibid. aux pp. 100, 107.

[7].      Maïs-grain (10 octobre 2000), PI-2000-001 (TCCE) à la p. 7.

[8].      Ronald A. Chisholm Ltd. v. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (FCTD).

[9].      L’article 5 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (l’Accord antidumping) et l’article 11 de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC (l’Accord sur les SMC) exigent de l’autorité chargée d’une enquête qu’elle examine l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping et de subventionnement afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête; la plainte sera rejetée ou l’enquête sera close dès que l’autorité concernée sera convaincue que les éléments de preuve relatifs au dumping et au subventionnement ou au dommage ne sont pas suffisants. L’article 5 de l’Accord antidumping et l’article 11 de l’Accord sur les SMC prévoient également qu’une simple affirmation non étayée par des éléments de preuve pertinents ne peut être jugée suffisante pour que soient respectées les exigences desdits articles.

[10].    Barres d’armature pour béton (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE) [Barres d’armature] aux par. 18-19.

[11].    D.O.R.S./84-927 [Règlement].

[12].    Barres d’armature au par. 15; Silicium métal (21 juin 2013), PI-2013-001 (TCCE) au par. 16; Modules muraux unitisés (3 mai 2013), PI-2012-006 (TCCE) au par. 24; Transformateurs à liquide diélectrique (22 juin 2012), PI‑2012-001 (TCCE) au par. 86.

[13].    Pièce PI-2015-003-02.01, vol. 1 à la p. 35.

[14].    Ibid. aux pp. 35-36.

[15].    Pièce PI-2015-003-08.03, vol. 3 à la p. 29.

[16].    Pièce PI-2015-003-11.01A, vol. 3B à la p. 3.

[17].    Pièce PI-2015-003-08.03, vol. 3 à la p. 29.

[18].    Pièce PI-2015-003-08.04, vol. 3A aux pp. 10-12.

[19].    Canada (DMNR) v. General Electric Canada Inc., [1994] FCJ No. 847; DeVilbiss (Canada) Ltd. c. Tribunal antidumping, [1983] 1 C.F. 706.

[20].    Raccords de tuyauterie en cuivre (19 février 2007), NQ-2006-002 (TCCE) au par. 48.

[21].    Tubes de canalisation en acier au carbone et en acier allié (27 octobre 2015), PI-2015-002 (TCCE) au par. 69.

[22].    Pièce PI-2015-003-06, vol. 1CC.

[23].    Pièce PI-2015-003-07 (protégée), vol. 2G à la p. 140. Bri-Steel, le seul producteur canadien de tubes de canalisation sans soudure de gros diamètre connu du Tribunal, a reçu un mini-questionnaire le 22 avril 2016, auquel il a répondu le même jour.

[24].    Pièce PI-2015-003-11.01A, vol. 3B à la p. 2.

[25].    Pièce PI-2015-003-08.03, vol. 3 aux pp. 49-71.

[26].    Certain Welded Large Diameter Line Pipe from Japan, enquête no 731-TA-919 (finale) (novembre 2001), Publication 3464 (USITC) aux pp. 5-6.

[27].    Tubes en acier pour pilotis (3 juillet 2012), PI-2012-002 (TCCE) aux par. 75-77; Tubes soudés en acier au carbone (11 décembre 2012), NQ-2012-003 (TCCE) aux par. 26-27, 62; Joints de tubes courts (10 avril 2012), NQ-2011-001 (TCCE) au par. 90; Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud (2 février 2010), NQ-2009-003 (TCCE) aux par. 62-66.

[28].    Caissons sans soudure en acier au carbone ou en acier allié pour puits de pétrole et de gaz (10 mars 2008), NQ‑2007-001 (TCCE) [Caissons pour puits] au par. 66; Raccords de tuyauterie en cuivre au par. 9.

[29].    Pièce PI-2015-003-11.01A, vol. 3B aux pp. 3-4.

[30].    Selon la définition figurant au paragraphe 2(1) de la LMSI, le terme « minimal » s’entend, « dans le cas de la marge de dumping, d’une marge inférieure à deux pour cent du prix à l’exportation des marchandises » et, « dans le cas du montant de subvention, d’un montant inférieur à un pour cent du prix à l’exportation des marchandises ».

[31].    Selon la définition figurant au paragraphe 2(1) de la LMSI, le terme « négligeable » est un « [q]ualificatif applicable au volume des marchandises sous-évaluées, provenant d’un pays donné, qui est inférieur à un volume représentant trois pour cent de la totalité des marchandises de même description dédouanées au Canada [...] ». Le Tribunal souligne également que, aux termes du paragraphe 42(4) de la LMSI, il doit tenir compte du paragraphe 12 de l’article 27 de l’Accord sur les SMC. Ce paragraphe, qui renvoie au paragraphe 10 de l’article 27, dispose que toute enquête concernant un pays en développement doit être close lorsque « le niveau global des subventions accordées pour le produit en question ne dépasse pas 2 pour cent de sa valeur calculée sur une base unitaire » ou que « le volume des importations subventionnées représente moins de 4 pour cent des importations totales du produit similaire dans le Membre importateur ».

[32].    Fils machine de cuivre (28 mars 2007), NQ-2006-003 (TCCE) au par. 48; Caissons pour puits aux par. 76-77; Extrusions d’aluminium (17 mars 2009), NQ-2008-003 (TCCE) au par. 147; Modules et laminés photovoltaïques (3 juillet 2015), NQ-2014-003 (TCCE) au par. 82.

[33].    États-Unis – Mesures compensatoires visant certains produits plats en acier au carbone laminés à chaud en provenance d’Inde (8 décembre 2014), WT/DS436/AB/R, Rapport de l’organe d’appel. Accessible en ligne à l’adresse https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/436abr_f.pdf.

[34].    Les utilisateurs de tubes de canalisation de gros diamètre et de marchandises similaires sont essentiellement les mêmes. Les marchandises en question et les marchandises similaires sont distribuées par les mêmes circuits. Pièce PI-2015-003-12.01 (protégée), vol. 4B à la p. 44. Evraz soutient que les mêmes conditions de concurrence s’appliquent, que les marchandises soient fabriquées dans un des pays visés, qu’elles soient fabriquées par la branche de production nationale ou qu’elles soient importées de toute autre source, puisque ces marchandises sont interchangeables. Pièce PI-2015-003-11.01A, vol. 3B à la p. 3.

[35].    Pièce PI-2015-003-03.02 (protégée), vol. 2E à la p. 14.

[36].    Pièce PI-2015-003-05, vol. 1CC à la p. 108.

[37].    Pièce PI-2015-003-03.02 (protégée), vol. 2E à la p. 14.

[38].    Ibid.

[39].    Pièce PI-2015-003-03.01A (protégée), vol. 2D à la p. 269; pièce PI-2015-003-03.01 (protégée), vol. 2 à la p. 135.

[40].    Pièce PI-2015-003-03.01 (protégée), vol. 2 aux pp. 55, 98, 135.

[41].    Ibid. à la p. 135.

[42].    Ibid.

[43].    Les pertes de ventes alléguées, qui n’ont toutefois pas été vérifiées, représentent environ le tiers de la production annuelle d’Evraz de 2014 à 2015.

[44].    Pièce PI-2015-003-03.01A (protégée), vol. 2D à la p. 269.

[45].    Fils machine de cuivre (30 octobre 2006), PI-2006-002 (TCCE) aux par. 40, 43; Fils d’acier galvanisés (22 mars 2013), PI-2012-005 (TCCE) au par. 75; Tubes en cuivre circulaires (22 juillet 2013), PI-2013-002 (TCCE) au par. 82.