PÂTES ALIMENTAIRES SÉCHÉES À BASE DE BLÉ

PÂTES ALIMENTAIRES SÉCHÉES À BASE DE BLÉ
Enquête préliminaire de dommage no PI-2017-004

Décision rendue
le lundi 26 février 2018

Motifs rendus
le mardi 13 mars 2018

TABLE DES MATIÈRES

 

EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant des

PÂTES ALIMENTAIRES SÉCHÉES À BASE DE BLÉ ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DE LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE

DÉCISION PROVISOIRE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que les présumés dumping et subventionnement de pâtes alimentaires séchées à base de blé; ni farcies ni autrement préparées, et dont la teneur en œufs ne dépasse pas deux pour cent; même enrichies, fortifiées, biologiques ou de blé entier; et même contenant du lait ou d’autres ingrédients; originaires ou exportées de la République de Turquie; à l’exclusion des pâtes alimentaires réfrigérées, congelées ou en conserve ont causé un dommage ou un retard, ou menacent de causer un dommage.

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 28 décembre 2017 selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert des enquêtes concernant les présumés dumping et subventionnement dommageables des marchandises susmentionnées.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine par les présentes que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises susmentionnées ont causé un dommage ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

Jean Bédard
Jean Bédard
Membre présidant

Ann Penner
Ann Penner
Membre

Rose Ritcey
Rose Ritcey
Membre

L’exposé des motifs sera publié d’ici 15 jours.

Membres du Tribunal : Jean Bédard, membre présidant
Ann Penner, membre
Rose Ritcey, membre

Personnel de soutien : Courtney Fitzpatrick, conseillère juridique

 Gayatri Shankarraman, analyste principale

 Rebecca Campbell, analyste

 Josée St-Amand, analyste

PARTICIPANTS :

 

Conseillers/représentants

AGT Foods and Ingredients

Victoria Bazan

Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires

Gregory Tereposky
Vincent DeRose
Jennifer Radford
Daniel Hohnstein
Stéphanie Desjardins
Chirani Mudunkotuwa
Samuel Zakhour

Durum Gida Sanayi ve Ticaret A.S.

Victoria Bazan

Medallion Foods Inc. / Aliments Médaillon Inc.

Philip Hirst

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

  1. Le 7 novembre 2017, l’Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires (l’ACFPA) a déposé une plainte auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) alléguant que le dumping et le subventionnement de pâtes alimentaires séchées à base de blé originaires ou exportées de la République de Turquie (Turquie) (les marchandises en question) ont causé ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale[1].
  2. Le 28 décembre 2017, le président de l’ASFC a ouvert des enquêtes de dumping et de subventionnement en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation[2]. Dans son énoncé des motifs de l’ouverture de ces enquêtes, l’ASFC estime que durant la période allant du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2017, les marchandises en question ont été sous-évaluées selon une marge de dumping de 26,5 p. 100, et que durant la période allant du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2017, elles ont été subventionnées selon un montant de subvention de 9,94 p. 100, tous deux exprimés en pourcentage du prix à l’exportation[3].
  3. Le 29 décembre 2017, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a lancé la présente enquête préliminaire de dommage aux termes du paragraphe 37.1(1) de la LMSI.
  4. Le 26 février 2018, le Tribunal a déterminé, pour les motifs suivants, que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que les marchandises en question ont causé ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

DÉFINITION DU PRODUIT

  1. Aux fins des enquêtes de l’ASFC et de la présente enquête préliminaire de dommage, les marchandises en question sont définies comme suit[4] :

    Pâtes alimentaires séchées à base de blé; ni farcies ni autrement préparées, et dont la teneur en œufs ne dépasse pas deux pour cent; même enrichies, fortifiées, biologiques ou de blé entier; et même contenant du lait ou d’autres ingrédients; originaires ou exportées de la République de Turquie; à l’exclusion des pâtes alimentaires réfrigérées, congelées ou en conserve.

CADRE LÉGISLATIF

  1. Le mandat du Tribunal dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage est énoncé au paragraphe 34(2) de la LMSI, qui exige du Tribunal qu’il détermine « [...] si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises [en question] a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage »[5].
  2. Le critère de « l’indication raisonnable » qui s’applique dans une enquête préliminaire de dommage est moins élevé que la norme de preuve requise qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage en vertu de l’article 42 de la LMSI[6]. Aucune définition du critère « indication raisonnable » n’est prévue dans la LMSI, mais selon le sens qui leur est normalement donné, il n’est pas nécessaire que les éléments de preuve en question soient « [...] concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités [...] »[7] [traduction].
  3. Le Tribunal a déjà conclu que le critère de l’« indication raisonnable » était rempli lorsque les conditions suivantes sont réunies[8] :
    • le présumé dommage ou la présumée menace de dommage est étayé par des éléments de preuve qui sont suffisants en ce sens qu’ils sont « pertinents, exacts et adéquats »;
    • compte tenu des éléments de preuve, les allégations résistent à un « examen assez poussé » eu égard aux éléments de preuve, même si la thèse avancée peut ne pas sembler convaincante ou incontestable.
  1. Bien que le Tribunal examinera les plaintes de manière libérale, l’issue d’une enquête préliminaire de dommage ne doit toutefois pas être tenue pour acquise[9]. De simples affirmations ne sont pas suffisantes[10]. Les plaintes, ainsi que le dossier des parties opposées, doivent présenter une image la plus complète possible et être étayées d’éléments de preuve positifs étant suffisants et pertinents, en ce sens qu’ils répondent aux exigences de la LMSI et concernent des facteurs pertinents du Règlement sur les mesures spéciales d’importation[11].
  2. Règle générale, les éléments de preuve recueillis dans la phase préliminaire de la procédure seront beaucoup moins détaillés et exhaustifs que dans une enquête définitive de dommage. Tous les éléments de preuve ne sont pas disponibles à la phase préliminaire, et aucune audience n’est tenue permettant d’examiner pleinement ce qui est disponible. En conséquence, la preuve ne sera pas évaluée dans la même mesure qu’elle le serait lors d’une enquête définitive de dommage. Le Tribunal accordera aux plaignantes le bénéfice du doute.
  3. En tenant compte de ce cadre, le Tribunal remarque que la plainte déposée par l’ACFPA comporte des lacunes sur certains aspects importants. Comme il en sera question plus loin, dans certains cas, il n’y a aucun élément de preuve, alors que dans d’autres, les éléments de preuve sont minimaux ou incomplets. Par exemple, la plainte ne fournit pas de renseignements exhaustifs sur la capacité de production, l’utilisation de la capacité, les investissements, l’emploi, les salaires et les heures travaillées des trois membres de l’ACFPA en ce qui a trait aux pâtes alimentaires séchées à base de blé. De plus, les données financières de deux des trois membres de l’ACFPA sont incomplètes, et certaines des données financières pourraient inclure des données non pertinentes ou superflues. Puisque la partie plaignante avait assez facilement accès à des renseignements plus complets et précis de la nature susdécrite, ces renseignements auraient dû figurer dans la plainte.
  4. Néanmoins, comme il sera démontré ci-dessous, le Tribunal a « sondé » les données disponibles dans le but de déterminer si la plainte fournit assez d’éléments de preuve pour conclure que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises en question a causé un dommage ou menace de causer un dommage.

PARAMÈTRES DU CADRE D’ANALYSE

  1. Avant d’examiner les allégations de dommage ou de menace de dommage, le Tribunal doit définir certains paramètres du cadre d’analyse. Plus précisément, le Tribunal doit déterminer quelles marchandises produites par la branche de production nationale constituent des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en question, s’il y a plus qu’une catégorie de marchandises similaires, en plus de circonscrire la branche de production nationale qui produit ces marchandises.  

MARCHANDISES SIMILAIRES ET CATÉGORIES DE MARCHANDISE

  1. Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires », par rapport à toutes autres marchandises, comme suit : « Selon le cas : a) marchandises identiques aux marchandises en cause; b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause ».
  2. Le Tribunal tient généralement compte d’un certain nombre de facteurs pour trancher la question des marchandises similaires et celle des catégories de marchandise, dont les caractéristiques physiques des marchandises (comme la composition et l’apparence) et leurs caractéristiques de marché (comme la substituabilité, l’établissement des prix, les circuits de distribution, les utilisations finales et la question de savoir si les marchandises répondent aux mêmes besoins des clients)[12].
  3. Les parties s’entendent pour dire que les pâtes alimentaires séchées à base de blé produites au Canada portant la même description que les marchandises en question sont des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en question. De plus, les parties s’entendent pour dire qu’il y a une seule catégorie de marchandise.
  4. Par conséquent, et sur la foi de la preuve au dossier portant sur les facteurs susmentionnés, le Tribunal mènera son analyse sur ce fondement[13].

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

  1. Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit l’expression « branche de production nationale » comme « l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires ».
  2. L’ACFPA est formée de trois producteurs nationaux de pâtes alimentaires séchées à base de blé, à savoir Italpasta Limitée (Italpasta), Les aliments Primo ltée (Primo) et Produits Grisspasta Ltée (Grisspasta). L’ACFPA soutient que ses trois membres et la Corporation d’Aliments Catelli (Catelli) sont les quatre principaux producteurs de pâtes alimentaires séchées à base de blé au Canada[14].
  3. À la lumière des éléments de preuve au dossier, le Tribunal accepte et conclut que la production totale d’Italpasta, de Primo et de Grisspasta représente une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires[15]. Le Tribunal examinera le rôle de Catelli et des producteurs nationaux de moindre taille dans le contexte de son enquête définitive de dommage.

VUE D’ENSEMBLE DU MARCHÉ CANADIEN

  1. Le Tribunal a dressé un portrait du marché canadien à l’aide des éléments de preuve contenus dans la plainte. La plainte indique que le marché canadien des pâtes alimentaires séchées à base de blé se divise en trois segments principaux, soit le segment de détail, le segment des services alimentaires et le segment industriel. Le segment de détail comprend les grossistes, les distributeurs et les détaillants de pâtes alimentaires séchées à base de blé, qui vendent tous aux consommateurs canadiens. Le segment des services alimentaires comprend les institutions, les restaurants et les chaînes de restaurants. Le segment industriel comprend les fabricants de produits alimentaires transformés. Ces trois segments de marché peuvent ensuite être divisés en sous-segments. Par exemple, dans le segment de détail, les pâtes alimentaires séchées à base de blé peuvent être commercialisées et vendues sous le nom d’une marque nationale (comme « Primo », « Italpasta » ou « Catelli ») ou sous le nom d’une marque maison propre à une chaîne d’alimentation (comme « le Choix du Président », « sans nom » ou « Great Value »)[16].
  2. La plainte indique aussi que les pâtes alimentaires séchées à base de blé sont un produit de base qui est vendu sur un marché très concurrentiel et sensible au prix. Les variations de prix se répercutent rapidement dans l’ensemble du segment de détail, tandis que les marchandises à bas prix n’ont pas toujours un effet aussi rapide dans le segment industriel et le segment des services alimentaires, les prix étant établis différemment dans ces segments. Cependant, une baisse de prix marquée dans un segment du marché se répercutera sur les prix dans les autres segments.
  3. Le Tribunal s’attend à ce que des renseignements plus détaillés sur le marché canadien soient fournis lors de l’enquête définitive de dommage. Ce type de renseignements contextuels est essentiel, puisque le Tribunal cherche à comprendre la dynamique du marché lorsqu’il entreprend son enquête plus approfondie concernant les allégations de dommage et de menace de dommage.

ANALYSE DE DOMMAGE

  1. Pour en arriver à sa décision provisoire de dommage, le Tribunal tient compte des facteurs énoncés à l’article 37.1 du Règlement, notamment des volumes des importations des marchandises sous-évaluées et subventionnées, de l’effet des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur les prix des marchandises similaires, de l’incidence économique des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur la branche de production nationale et, s’il existe un dommage ou une menace de dommage, de la question de savoir qu’il existe un lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises et le dommage ou la menace de dommage.

Volume des importations des marchandises en question

  1. L’ACFPA s’est servie des données de Statistique Canada pour estimer que le volume des marchandises en question a augmenté de 225 p. 100 en 2015 et de 109 p. 100 en 2016[17]. Au total, le volume des marchandises en question a augmenté de 581 p. 100 de 2014 à 2016[18]. Les données estimatives de l’ACFPA montrent également une hausse du volume des importations des marchandises en question de 18 p. 100 lorsqu’on compare les trois premiers trimestres de 2016 aux trois premiers trimestres de 2017[19].
  2. Les données confidentielles de l’ASFC sur les importations montrent une tendance similaire quant au volume des importations des marchandises en question, mais indiquent une augmentation totale inférieure à celle qu’a estimée l’ACFPA pour la période de 2014 à 2016[20].
  3. Les données de l’ASFC démontrent aussi que la part des importations des marchandises en question est en hausse par rapport aux importations totales, puisqu’elle est passée de 2,2 p. 100 en 2014 à 12 p. 100 en 2016 et qu’elle représentait 11,1 p. 100 des importations totales aux trois premiers trimestres de 2017[21].
  4. Le Tribunal conclut que ces estimations indiquent, de façon raisonnable, une augmentation considérable du volume des marchandises en question en quantité absolue.
  5. Les estimations de l’ACFPA et les données de l’ASFC montrent également une tendance à la hausse générale du volume des importations des marchandises en question par rapport à la production et à la consommation nationales[22]. Puisque l’ACFPA n’a pas fourni dans sa plainte de données sur les volumes des ventes nationales de la branche de production nationale, le Tribunal a établi le ratio des importations des marchandises en question par rapport à la consommation nationale en se servant de la production nationale estimée par l’ACFPA, après déduction des ventes à l’exportation. Le Tribunal considère que ce nombre estimatif représente une approximation raisonnable des ventes nationales sur le marché national étant donné que l’ACFPA a dû estimer les données de Catelli à ce stade préliminaire. Ces données estimatives montrent que le volume des importations des marchandises en question est en hausse par rapport à la consommation nationale des marchandises similaires[23].
  6. Le Tribunal conclut qu’il y a une indication raisonnable que les volumes absolus et relatifs des importations des marchandises en question ont nettement augmenté de 2014 jusqu’au troisième trimestre de 2017.

Effets sur les prix des marchandises similaires

  1. L’ACFPA soutient que le prix des marchandises en question a mené, de façon marquée, à la sous-cotation du prix des marchandises similaires sur le marché national, ainsi qu’à leur baisse, et qu’il a fait perdre des ventes aux producteurs nationaux, en particulier dans le sous-segment des marques maison du segment de détail du marché.
  2. L’ACFPA a estimé les prix de vente moyens au pays en divisant les ventes annuelles totales d’Italpasta, de Primo et de Grisspasta par leur production annuelle totale. AGT n’est pas d’accord avec cette méthode d’estimation des prix de vente, puisqu’elle s’appuie sur les chiffres des ventes bruts (plutôt que nets) et tient compte à la fois des ventes nationales et des ventes à l’exportation.
  3. Bien que l’ACFPA n’aborde pas expressément la question des prix unitaires dans les observations qu’elle a déposées en réponse, elle a expliqué dans un autre contexte avoir utilisé les chiffres des ventes bruts plutôt que nets parce qu’elle n’avait pas de renseignements sur les remises, les rabais et les dépenses commerciales de Catelli[24].
  4. Le Tribunal conclut que les données sur les prix unitaires fournies par l’ACFPA sont suffisantes pour les besoins de la présente enquête préliminaire de dommage. À l’étape de l’enquête définitive de dommage, le Tribunal exigera toutefois des renseignements beaucoup plus détaillés qui tiennent compte de la nature complexe de l’établissement des prix de ce produit dans tous les segments du marché et, en ce qui concerne chaque segment de détail, du fait que les pratiques d’établissement des prix des pâtes alimentaires vendues sous la marque de leur producteur diffèrent de celles qui portent sur les pâtes alimentaires vendues sous une marque maison. Le Tribunal examinera aussi les effets des prix d’un segment du marché sur les autres segments du marché.
  5. Les prix moyens estimatifs fournis par l’ACFPA révèlent une tendance constante de sous-cotation marquée des prix de 2014 jusqu’au troisième trimestre de 2017[25]. La marge de sous-cotation des prix par les importations des marchandises en question a augmenté de 2014 à 2016 et aux trois premiers trimestres de 2017 par rapport à la période correspondante de 2016, et cette marge était importante. Les chiffres estimatifs de l’ACFPA montrent que les prix des marchandises en question étaient également inférieurs au prix moyen des importations non visées à chaque période examinée et déterminaient donc les prix sur le marché canadien[26].
  6. La plainte contient des allégations de baisse des prix de la part de deux producteurs nationaux. Un producteur national allègue qu’il a dû baisser ses prix pour conserver un client au détail important en raison de la concurrence livrée par les marchandises en question. Un autre producteur national allègue que son prix de vente moyen par livre a baissé de 2015 à 2016 puis à nouveau aux trois premiers trimestres de 2017 en raison des importations des marchandises en question à bas prix. Ces allégations sont étayées par des déclarations confidentielles déposées en preuve[27].
  7. Néanmoins, le Tribunal constate que les prix moyens consolidés contenus dans la plainte ne révèlent aucune baisse des prix[28]. Le Tribunal remarque également que la valeur du compte visé par la seule allégation de baisse précise d’un producteur dans un seul sous-segment du marché de détail est minime par rapport à la valeur totale des ventes de la branche de production nationale et à la valeur de l’ensemble des ventes du marché national pendant la période pertinente. Pour ces motifs, le Tribunal n’est pas convaincu que les éléments de preuve de la partie plaignante indiquent, de façon raisonnable, une baisse marquée des prix.
  8. De plus, l’ACFPA n’a fourni aucun élément de preuve étayant une compression des prix.
  9. Dans l’ensemble, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont entraîné une sous-cotation des prix, mais qu’ils sont insuffisants pour conclure que les marchandises en question ont entraîné une baisse ou une compression marquée des prix dans une mesure significative.

Incidence sur la branche de production nationale

  1. Dans le cadre de son analyse en vertu de l’alinéa 37.1(1)c) du Règlement, le Tribunal doit tenir compte de l’incidence des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur la situation de la branche nationale de production et, plus précisément, de tous les facteurs et indices économiques pertinents influant sur cette situation.
  2. L’ACFPA soutient que la branche de production nationale a subi un dommage qui s’est traduit par des pertes de ventes, des pertes de revenus, une réduction de la rentabilité et des emplois, l’incapacité de tirer profit d’un investissement récent et la fermeture sans précédent d’une usine pendant deux semaines en raison des marchandises en question.
  3. AGT soutient que la plainte ne satisfait pas à la norme de preuve exigée dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, en particulier parce qu’elle s’appuie sur des données incomplètes et donc sur des hypothèses inexactes en ce qui concerne le volume et la valeur des ventes de la branche de production nationale sur le marché national, les parts de marché et le rendement financier des membres de l’ACFPA.
  4. En réponse, l’ACFPA affirme que certaines estimations et hypothèses étaient nécessaires, car elle n’avait pas accès aux données d’un des quatre principaux producteurs. Elle soutient également avoir adopté une approche prudente pour estimer ces données.
  5. Comme il l’a remarqué ci-dessus, le Tribunal reconnaît que tous les éléments de preuve ne sont pas disponibles au présent stade préliminaire, en particulier parce que la partie plaignante représente une proportion majeure mais non la totalité de la production de la branche de production nationale. Par conséquent, le Tribunal est convaincu que les estimations de la partie plaignante en ce qui concerne la taille du marché canadien, y compris le recours aux chiffres des ventes bruts pour estimer la valeur ainsi que l’utilisation de la différence entre la production nationale et les exportations comme approximation des ventes sur le marché national, sont raisonnables à ce stade. 

Production nationale

  1. En ce qui concerne la production nationale, la plainte contient des données consolidées pour Italpasta, Primo et Grisspasta ainsi que des estimations pour Catelli et quelques autres petits producteurs qui pourraient être présents sur le marché. Les données consolidées indiquent que la production nationale a diminué de 3 p. 100 de 2014 à 2016 et de 9 p. 100 aux trois premiers trimestres de 2017 par rapport aux trois premiers trimestres de 2016[29]. Cette tendance à la baisse de la production, conjuguée à l’augmentation du volume et de la part de marché des marchandises en question ainsi qu’à la baisse, bien que plus lente, de la part de marché des importations non visées, peut indiquer que les marchandises en question ont eu une certaine incidence négative sur la production nationale.

Part de marché et ventes

  1. Les éléments de preuve disponibles indiquent que, en volume, la taille du marché national des pâtes alimentaires séchées à base de blé s’est contractée légèrement de 2014 à 2016 et a diminué aux trois premiers trimestres de 2017 par rapport à la même période en 2016[30].
  2. De 2014 à 2016, les parts de marché de la branche de production nationale et des pays non visés ont diminué, tandis que celle des marchandises en question a augmenté de près de six points de pourcentage[31]. Cependant, la branche de production nationale et les marchandises en question ont gagné des parts de marché au cours des trois premiers trimestres de 2017 par rapport à la même période en 2016, alors que la part de marché des pays non visés a continué de diminuer[32]. Ces éléments de preuve pourraient indiquer que les marchandises en question ont enlevé des parts de marché aux importations de marchandises non visées plutôt qu’aux marchandises similaires produites au pays pendant la période intermédiaire de 2017.
  3. En ce qui a trait aux ventes, les ventes consolidées de la branche de production nationale ont légèrement diminué chaque année complète de la période d’examen et aux trois premiers trimestres de 2017 comparativement aux trois premiers trimestres de 2016[33]. Comme indiqué ci-dessus, un producteur national allègue avoir perdu un compte important auprès d’un grand détaillant dans le sous-segment des marques maison en raison des marchandises en question[34].
  4. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’augmentation marquée des marchandises en question en 2016 coïncide avec la seule perte de ventes alléguée et avec une baisse correspondante de la production et des parts de marché, ce qui indique que les importations des marchandises en question ont remplacé au moins une partie de la production nationale et des ventes des producteurs nationaux[35].

Rentabilité

  1. Comme souligné précédemment, l’ACFPA n’a pas fourni de données financières exhaustives ou pertinentes dans sa plainte. Plus précisément, les données financières visant deux producteurs nationaux n’étaient pas à jour et, dans deux cas, il était difficile de déterminer si les données incluaient ou non les ventes à l’exportation. De plus, aucune tentative de consolidation des informations financières des trois membres de l’ACFPA n’a été faite.
  2. Étant donné ces lacunes, le Tribunal a fouillé dans les éléments de preuve contenus dans la plainte pour évaluer la rentabilité de la branche de production nationale. Il a compilé les données financières disponibles et a dressé un portrait consolidé du rendement financier de la branche de production nationale, puisque la LMSI exige qu’il examine si un dommage sensible a été causé à l’ensemble des producteurs nationaux ou aux producteurs nationaux dont la production totale constitue une proportion majeure de la production collective nationale. Le Tribunal ne peut examiner uniquement les effets sur chaque société individuellement; il doit concentrer son analyse sur les données consolidées visant l’ensemble de la branche de production nationale.
  3. Les données consolidées par le Tribunal démontrent que le rendement financier de la branche de production nationale s’est amélioré de 2014 à 2016 sur le plan de la valeur nette des ventes, des marges brutes et du revenu net[36]. Par conséquent, le Tribunal conclut que rien n’indique, de façon raisonnable, que la branche de production nationale a subi une baisse de ses bénéfices.

Capacité et utilisation de la capacité

  1. L’ACFPA n’a fourni aucune donnée sur la capacité de production dans sa plainte et n’a fourni que des données partielles sur les taux d’utilisation de la capacité[37]. De ce fait, le Tribunal est incapable de tirer des conclusions probantes en ce qui concerne ces facteurs. Cependant, le Tribunal accepte les éléments de preuve de Primo qui montrent que celle-ci a accru sa capacité en 2017 et que le taux d’utilisation de sa capacité a changé[38].  

Emplois, salaires, heures travaillées

  1. L’ACFPA n’a fourni aucune donnée sur les salaires ni sur les heures travaillées. De plus, bien que chaque société ait fourni des renseignements sur les emplois totaux, il est difficile de déterminer si ces emplois sont reliés à la production et à la vente de marchandises similaires[39]. Néanmoins, le Tribunal accepte les éléments de preuve d’Italpasta selon lesquels celle-ci a licencié certains de ses employés en raison des importations des marchandises en question[40].

Lien de causalité et caractère sensible du dommage

  1. Lors d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal doit déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, l’existence d’un lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises en question et le dommage, en prenant en compte l’incidence du volume des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur la branche de production nationale et ses prix. La norme est celle de savoir s’il y a indication raisonnable que le dumping et le subventionnement des marchandises ont, en eux-mêmes[41], causé un dommage.
  2. Le terme « sensible » n’est pas défini dans la LMSI. Dans le passé, le Tribunal a jugé qu’il s’entend d’un dommage qui est plus que de minimis, mais qui n’est pas nécessairement grave[42]. En d’autres mots, le dommage doit être suffisant pour avoir une incidence dans les circonstances particulières de l’espèce.
  3. Il n’y a pas de ligne de démarcation nette ni de formule permettant d’établir le point où un dommage devient sensible. Le Tribunal évalue le caractère sensible de tout dommage au cas par cas en prenant en compte la portée, le moment et la durée du dommage[43].
  4. En l’espèce, des éléments de preuve montrent qu’il y a eu des pertes de ventes et de revenus dans le sous-segment des marques maison du segment de détail du marché national et que ces pertes peuvent être reliées, de façon raisonnable, au volume accru et aux bas prix des marchandises en question. Le Tribunal conclut que les pertes de ventes et de revenus ont eu une incidence significative sur le rendement financier du producteur national qui les a subies[44].
  5. Cependant, le rendement financier de l’ensemble de la branche de production nationale a été relativement solide durant la période étudiée. De plus, la plainte ne contient aucun élément de preuve indiquant que les marchandises en question avaient une présence importante dans les autres segments du marché durant la période étudiée, bien que certains éléments de preuve montrent que de petites quantités ont été importées afin d’être vendues à des acheteurs institutionnels[45]. Par conséquent, lorsqu’il examine la branche de production nationale en fonction de ses résultats consolidés et de tous les segments du marché, le Tribunal conclut que le dommage subi par la branche de production nationale à ce jour est moindre que ce qu’il considère comme étant un dommage sensible.
  6. Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que les éléments de preuve n’indiquent pas, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé un dommage sensible à la production nationale.

ANALYSE DE LA MENACE DE DOMMAGE

  1. Le Tribunal doit maintenant examiner si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question menacent de causer un dommage sensible, en prenant en compte les facteurs prévus au paragraphe 37.1(2) du Règlement. Le Tribunal doit aussi prendre en compte les facteurs énoncés au paragraphe 37.1(3) du Règlement pour déterminer s’il existe un lien de causalité entre les marchandises en question et toute menace de dommage.
  2. Le critère d’« indication raisonnable » est moins exigeant que la norme de preuve qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage. Comme souligné précédemment, ce critère est rempli lorsque les éléments de preuve sont pertinents, exacts et suffisants, et lorsque les allégations résistent à un examen assez poussé, même si la thèse avancée peut ne pas sembler convaincante ou incontestable. Ce seuil s’applique à l’analyse de menace de dommage du Tribunal. Le Tribunal remarque que les éléments de preuve indiquant que les marchandises en question menacent de causer un dommage à la branche de production nationale n’ont pas à le convaincre pas de façon concluante. À ce stade, l’analyse vise à déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’une telle menace existe.
  3. Comme il l’a fait dans la partie de son analyse portant sur le dommage, le Tribunal a fouillé dans les éléments de preuve sur la menace de dommage et a continué de donner le bénéfice du doute à la partie plaignante. Comme il sera démontré, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’il existe une menace de dommage suffisante pour les fins d’une enquête préliminaire de dommage.

Effets probables sur les prix

  1. L’ACFPA soutient que les marchandises en question se sont emparé de parts de marché au moyen d’une sous-cotation soutenue des prix du marché national. Elle soutient que la présence continue des marchandises en question à bas prix sur le marché national continuera d’exercer une pression à la baisse sur le prix des marchandises similaires et entraînera ainsi d’autres pertes de ventes ainsi qu’une baisse marquée des prix.
  2. Comme il a été mentionné ci-dessus, les éléments de preuve contenus dans la plainte indiquent, de façon raisonnable, que les producteurs turcs sont en mesure d’entraîner une sous-cotation marquée des prix des importations non visées et des prix des marchandises similaires sur le marché national. Les données contenues dans la plainte indiquent que les marchandises en question dominaient déjà le marché en matière de prix en 2014, mais leur prix unitaire moyen franco à bord a tout de même baissé depuis, soit de 11 p. 100 de 2014 à 2016 et encore de 8 p. 100 au cours des trois premiers trimestres de 2017 comparativement à la période correspondante de 2016[46]. C’est là une indication raisonnable que le prix des marchandises en question demeurera vraisemblablement bas à court terme et pourrait baisser encore plus.
  3. Il est également raisonnable de prévoir que le prix des marchandises similaires de la branche de production nationale subira une pression à la baisse. Comme souligné précédemment, la plainte contient des éléments de preuve confidentiels selon lesquels un producteur national a abaissé ses prix à la suite des pressions exercées par un grand détaillant et un producteur national a perdu une vente importante parce que ses prix n’étaient pas jugés concurrentiels[47]. Un autre producteur national prévoit des baisses annuelles de ses ventes nettes par livre et de son bénéfice par livre de 2017 à 2019, qu’il attribue à la présence des marchandises en question à bas prix[48].
  4. À la lumière de ces éléments de preuve, le Tribunal conclut qu’il y a indication raisonnable que les producteurs nationaux subiront vraisemblablement des pressions accrues sur les prix dans un marché très concurrentiel et sensible au prix. Si les producteurs nationaux n’abaissent pas leurs prix pour demeurer concurrentiels, ils risquent de perdre des ventes.
  5. Même si les effets ont à ce jour été concentrés dans le sous-segment des marques maison du segment de détail du marché, les éléments de preuve présentés sont suffisants pour convaincre le Tribunal qu’ils indiquent, de façon raisonnable, que ces effets risquent de se propager aux autres segments du marché national. Par exemple, M. Porco de Primo et M. DeMichino d’Italpasta ont déclaré que les prix des importations des marchandises en question à bas prix se répercutent sur l’ensemble du marché national[49]. Des éléments de preuve confidentiels montrent également qu’un grand détaillant a fait pression sur les producteurs nationaux pour qu’ils abaissent de façon importante le prix des produits de marque[50]. Sur ce point, toutefois, le Tribunal remarque que certains des exemples des effets probables des marchandises en question sur les prix auraient pu être mieux étayés.
  6. En somme, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que les marchandises en question entrent sur le marché national à des prix qui auront vraisemblablement pour effet de faire baisser de façon marquée le prix des marchandises similaires.

Augmentation importante vraisemblable des volumes des marchandises en question

  1. L’ACFPA soutient que la tendance à la hausse du volume des importations des marchandises en question se poursuivra et qu’elles continueront d’enlever des parts de marché à la branche de production nationale. L’ACFPA soutient aussi qu’il y a une capacité de production excédentaire en Turquie et que les producteurs turcs de marchandises en question ont une propension à exporter.
  2. Selon un rapport de 2017 sur la Turquie publié par le Foreign Agricultural Service du département de l’Agriculture des États-Unis déposé avec la plainte, la Turquie compte 23 usines de pâtes alimentaires en activité, qui ont une capacité de production annuelle de plus de deux millions de tonnes métriques[51]. Ce rapport indique aussi que le taux combiné d’utilisation de la capacité des producteurs turcs est supérieur à 70 p. 100, ce qui donne une production d’environ 1,4 million de tonnes métriques et une capacité inutilisée d’environ 600 000 tonnes métriques[52]. Le Tribunal conclut que ces données indiquent, de façon raisonnable, qu’il y a une capacité de production excédentaire en Turquie.
  3. La plainte a démontré que la production de marchandises en question a nettement augmenté depuis 2009, mais que la consommation n’a pas suivi au même rythme en Turquie[53]. De plus, des éléments de preuve montrent que les exportations de marchandises en question ont augmenté de 215 p. 100 de 2009 à 2015 et de 24 p. 100 de 2015 à 2016[54]. La plainte contient aussi un article dans lequel un membre du conseil d’administration de l’association turque des producteurs de pâtes alimentaires déclare que la Turquie compte augmenter sa production destinée à l’exportation pour atteindre 2 millions de tonnes en 2023[55]. Tout bien considéré, le Tribunal conclut que ces éléments de preuve sont suffisants pour indiquer, de façon raisonnable, que les producteurs turcs ont une propension à l’exportation. Le Tribunal conclut aussi que la différence entre le volume estimatif des exportations en 2016 et le volume cible pour 2023 est considérable, puisqu’elle représenterait une hausse de 140 p. 100 en sept ans, et qu’elle pourrait signaler donc une augmentation potentielle des exportations des marchandises en question.
  4. L’existence d’autres marchés d’exportation pouvant absorber des exportations additionnelles est une question que le Tribunal compte examiner dans le cadre de son enquête définitive de dommage. L’ACFPA a mentionné que des mesures sont imposées sur les marchandises en question aux États-Unis. Puisque ces mesures sont en vigueur depuis 1996, les producteurs et les exportateurs s’y sont probablement ajustés. Par conséquent, le Tribunal n’est pas convaincu qu’elles présentent un risque important de détournement à l’heure actuelle, étant donné qu’elles sont en place depuis plus de 20 ans. Pour des raisons similaires, le Tribunal n’est également pas convaincu que le contingent tarifaire imposé par l’Union européenne en 2007 présente un risque important de détournement. 
  5. Néanmoins, le Tribunal reconnaît que la capacité inutilisée en Turquie représente une quantité qui équivaut à approximativement trois fois la taille du marché canadien des pâtes alimentaires séchées, selon l’estimation de l’ACFPA[56]. Même si une partie seulement de cette capacité excédentaire était exportée au Canada, elle pourrait avoir un effet important sur le marché national. Le Tribunal reconnaît aussi qu’un contingent tarifaire est en vigueur au Canada pour les produits à base de blé, y compris les pâtes alimentaires. Cependant, les taux applicables aux numéros tarifaires sous lesquels la plupart des marchandises en question ont été importées à ce jour ne sont pas suffisants pour servir, à eux seuls, de barrière efficace à l’entrée au Canada[57].
  6. Le Tribunal rappelle sa conclusion selon laquelle le volume des importations des marchandises en question a augmenté de façon stable et marquée depuis 2014. Le Tribunal conclut aussi qu’il y a indication raisonnable que les exportateurs turcs sont capables et désireux d’augmenter le volume de marchandises en question destinées au Canada si les conditions du marché le justifient et s’il y a une demande pour leurs produits. À cet égard, le Tribunal remarque qu’il y a des éléments de preuve indiquant que Loblaws Inc., un grand détaillant canadien, utilise les marchandises en question pour certains de ses produits à base de pâtes alimentaires portant les marques maison le Choix du Président, PC Menu Bleu et sans nom[58]. Ces produits couvrent un éventail de niveaux de prix. Il y a aussi des éléments de preuve indiquant que de petites quantités de marchandises en question ont également été vendues dans les segments du marché autres que le segment de détail[59].
  7. Étant donné les éléments de preuve indiquant que les prix des marchandises en question font l’objet de tactiques de prix agressives et qu’ils continueront vraisemblablement de déterminer les prix sur le marché national à court terme, et en tenant compte de la capacité de production excédentaire et de la propension des producteurs turcs à exporter, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’il y aura vraisemblablement une augmentation marquée du volume des importations des marchandises en question.

Effets probables

  1. Le Tribunal conclut qu’il y a indication raisonnable que l’augmentation des volumes de marchandises offertes à des prix qui sont inférieurs à ceux des marchandises similaires nuira vraisemblablement à la capacité de la branche de production nationale de maintenir ses ventes à leurs volumes et à leurs prix actuels, en particulier dans le segment de détail du marché. Dans certains cas, la branche de production nationale pourrait n’avoir d’autre choix que de réduire ses prix pour demeurer concurrentielle, ce qui entraînerait une réduction de ses revenus de ventes nets, tant par unité que sur le plan des marges. Comme il a été mentionné précédemment, la plainte contient des éléments de preuve selon lesquels cela est déjà arrivé au moins une fois. Dans d’autres cas, la branche de production nationale pourrait tenter de garder ses prix à leur niveau actuel et risquer ainsi de perdre des ventes, des parts de marché et des volumes de production. La plainte comprend aussi un exemple de cette nature. Le Tribunal est convaincu que dans l’un ou l’autre de ces scénarios, la rentabilité de la branche de production nationale en pâtira vraisemblablement.
  2. Le Tribunal examinera plus amplement le moment, la portée et le caractère sensible de ces effets probables dans le cadre de son enquête définitive de dommage. Lors de celle-ci, le Tribunal s’attend aussi à ce qu’on lui fournisse des renseignements plus exhaustifs concernant ce qui suit :
    • les prix, y compris la manière dont ils sont établis dans chacun des segments du marché (par exemple les modalités des contrats à long terme dans le segment industriel et le segment des services alimentaires et les ententes de prix dans le segment de détail);
    • la dynamique de marché dans le secteur des pâtes alimentaires séchées à base de blé;
    • le degré de transparence des prix au sein de chaque segment du marché et d’un segment à l’autre;
    • les allégations précises de dommage, y compris si des comptes particuliers sont menacés ou l’ont été et de quelle manière.
  1. Compte tenu de ce qui précède, et considérant qu’une norme de preuve moins stricte s’applique lors d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal conclut que les éléments de preuve pris dans leur ensemble indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question menacent de causer un dommage.
  2. Bien que le Tribunal juge les éléments de preuve suffisants pour les besoins de la présente enquête préliminaire de dommage, il souhaite signaler que des précisions et des documents justificatifs additionnels devront être fournis dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, lors de laquelle les éléments de preuve seront examinés en fonction d’une norme de preuve plus stricte.

CONCLUSION

  1. Compte tenu de l’analyse qui précède, le Tribunal conclut que l’exigence du paragraphe 37.1(1) de la LMSI est satisfaite, en ce que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé un dommage ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.
  2. Le Tribunal souligne qu’il ouvre une enquête définitive de dommage lorsque l’ASFC rend une décision provisoire de dumping ou de subventionnement et que la portée de son enquête définitive de dommage prévue par l’article 42 de la LMSI n’est pas limitée par sa décision dans la présente enquête préliminaire de dommage. En d’autres mots, l’enquête définitive de dommage du Tribunal ne se limitera pas, aux termes du mécanisme législatif, à déterminer s’il existe une menace de dommage.
  3. Par conséquent, si l’ASFC rend une décision provisoire de dumping ou de subventionnement des marchandises en question, le Tribunal fera enquête, aux termes de l’article 42 de la LMSI, sur la question de savoir si le dumping ou le subventionnement a causé ou menace de causer un dommage.
 

[1].     Puisque la branche de production nationale a été établie, le Tribunal n’est pas tenu de se pencher sur la question du retard.

[2].     L.R.C., 1985, ch. S-15 [LMSI].

[3].     Pièce PI-2017-004-05, vol. 1E aux pp. 210, 213.

[4].     Ibid. à la p. 198.

[5].     Si le Tribunal mène, en vertu de l’article 42 de la LMSI, une enquête de dommage mettant en cause un seul pays, il a coutume de procéder à une évaluation combinée des effets dommageables de marchandises qui sont à la fois sous-évaluées et subventionnées (cumul croisé). Le Tribunal estime qu’il serait inconséquent de ne pas effectuer un cumul croisé des effets des marchandises en question dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, et a donc procédé à une analyse des effets cumulatifs du dumping et du subventionnement desdites marchandises sur la branche de production nationale.

[6].     Maïs-grain (10 octobre 2000), PI-2000-001 (TCCE) à la p. 7.

[7].     Ronald A. Chisholm Ltd. c. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (CF 1re inst.).

[8].     Plaques de plâtre (5 août 2016), PI-2016-001 (TCCE) [Plaques de plâtre] au par. 16; Barres d’armature pour béton (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE) [Barres d’armature] au par. 15; Silicium métal (21 juin 2013), PI‑2013-001 (TCCE) au par. 16; Modules muraux unitisés (3 mai 2013), PI-2012-006 (TCCE) [Modules muraux unitisés] au par. 24; Transformateurs à liquide diélectrique (22 juin 2012), PI‑2012‑001 (TCCE) au par. 86.

[9].     Barres d’armature aux par. 18-19.

[10].   L’article 5 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) [l’Accord antidumping] et l’article 11 de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC [l’Accord sur les SMC] exigent de l’autorité chargée d’une enquête qu’elle examine l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping et de subventionnement afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête; la plainte sera rejetée ou l’enquête sera close dès que l’autorité concernée sera convaincue que les éléments de preuve relatifs au dumping et au subventionnement ou au dommage ne sont pas suffisants. L’article 5 de l’Accord antidumping et l’article 11 de l’Accord sur les SMC prévoient également qu’une simple affirmation non étayée par des éléments de preuve pertinents ne peut être jugée suffisante pour que soient respectées les exigences desdits articles.

[11].   DORS/84-927 [Règlement].

[12].   Raccords de tuyauterie en cuivre (19 février 2007), NQ-2006-002 (TCCE) [Raccords de tuyauterie en cuivre] au par. 48.

[13].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 34-35.

[14].   Il y pourrait aussi y avoir d’autres petits producteurs sur le marché national. Voir pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 à la p. 16, dans laquelle l’ACFPA estime que ces producteurs ne représenteraient qu’un très faible pourcentage de la production totale au Canada.

[15].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 aux pp. 25, 75.

[16].   De plus, certains producteurs feront du « co-emballage » avec d’autres marques, auquel cas le producteur de pâtes alimentaires produira et emballera des pâtes alimentaires pour d’autres producteurs et y apposera la marque de ces derniers.

[17].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 40, 125.

[18].   Ibid.

[19].   Ibid.

[20].   Pièce PI-2017-004-3.02 (protégée), vol. 2A à la p. 151.

[21].   Pièce PI-2017-004-05, vol. 1E à la p. 172.

[22].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 à la p. 75; pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 40, 125; pièce PI‑2017-004-3.02 (protégée), vol. 2A à la p. 151.

[23].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 à la p. 171; pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 185-87.

[24].   Pièce PI-2017-004-8.01, vol. 3 au par. 10.

[25].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 126-127, 185-87; ibid. aux pp. 247-48; pièce PI‑2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 aux pp. 62-63, 75; ibid. à la p. 129.

[26].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 52, 185-87; vol. 1C aux pp. 247-48; pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 à la p. 36.

[27].   Ibid. aux pp. 183, 188.

[28].   Ibid. aux pp. 63, 75; ibid. à la p. 129.

[29].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 à la p. 75.

[30].   Ibid. à la p. 171.

[31].   Ibid. aux pp. 61, 171.

[32].   Ibid.

[33].   Ibid. aux pp. 60-61, 171.

[34].   Ibid. aux pp. 64-65.

[35].   Ibid. aux pp. 61, 64-65, 171.

[36].   Ibid. aux pp. 154-57, 159, 168, 171; ibid. aux pp. 76-123.

[37].   Ibid. à la p. 179.

[38].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 à la p. 194; pièce PI-2017-004-3.01 vol. 2 à la p. 179.

[39].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 aux pp. 176, 184, 187.

[40].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 à la p. 199.

[41].   Plaques de plâtre (5 août 2016), PI-2016-001 (TCCE) au par. 44; Fils machine de cuivre (30 octobre 2006), PI‑2006-002 (TCCE) aux par. 40, 43; Fils d’acier galvanisés (22 mars 2013), PI-2012-005 (CITT) au par. 75; Tubes en cuivre circulaires (22 juillet 2013), PI-2013-002 (TCCE) au par. 82.

[42].   ABS Resin (15 octobre 1986), CIT-3-86; Modules muraux unitisés (12 novembre 2013), NQ-2013-002 (TCCE) au par. 58.

[43].   Dans Certaines tôles d'acier au carbone laminées à chaud (27 octobre 1997), NQ-97-001 (TCCE) à la p. 15, le Tribunal a suggéré que le concept de caractère sensible peut comporter à la fois une dimension temporelle et une dimension quantitative, indiquant ce qui suit : « [c]ependant, le Tribunal est d'avis que, jusqu'à présent, la durée et la portée du dommage subi par la branche de production n'ont pas atteint un point tel qu'il puisse être qualifié de “dommage sensible” au sens de la LMSI ».

[44].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 aux pp. 64-66.

[45].   Pièce PI-2017-004-6.01, vol. 3 à la p. 1.

[46].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 41, 185-87; pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1C aux pp. 247-48.

[47].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 aux pp. 64-66.

[48].   Ibid. à la p. 68.

[49].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 193, 199.

[50].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 aux pp. 64-66.

[51].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1A à la p. 14.

[52].   Ibid.

[53].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 à la p. 39.

[54].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1A aux pp. 333-34.

[55].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1C à la p. 3.

[56].   Pièce PI-2017-004-3.01 (protégée), vol. 2 à la p. 171.

[57].   Selon la plainte, la plupart des marchandises en question ont été importées sous les numéros tarifaires 1902.19.21, 1902.19.22 et 1902.19.23. Voir pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux par. 12, 125. Le Tribunal remarque que les marchandises importées sous les numéros tarifaires 1902.19.21 et 1902.19.22 sont exemptes de droits. Les droits applicables au numéro tarifaire 1902.19.23 sont de 0,1627 $ par kilogramme.

[58].   Pièce PI-2017-004-2.01, vol. 1 aux pp. 140-61.

[59].   Pièce PI-2017-004-6.01, vol. 3 à la p. 1.