TIGES DE POMPAGE

TIGES DE POMPAGE
Enquête préliminaire de dommage no PI-2018-001

Décision rendue
le mardi 17 juillet 2018

Motifs rendus
le mercredi 1er août 2018

 

TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant des

TIGES DE POMPAGE

DÉCISION PROVISOIRE DE DOMMAGE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement de tiges de pompage, y compris les tiges de pompage courtes, avec ou sans guides ou manchons, conformes à la spécification 11B de l’American Petroleum Institute (API), aux normes équivalentes et aux normes exclusives, finies ou semi‑finies, faites d’acier massif (y compris l’acier au carbone, allié ou de nuances spéciales), dont le corps fait au plus 63,5 mm (2,5 po) de diamètre, plus ou moins les écarts admissibles, originaires ou exportées de la République populaire de Chine ont causé un dommage ou un retard ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 18 mai 2018 selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert des enquêtes concernant les présumés dumping et subventionnement dommageables des marchandises susmentionnées.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine par les présentes que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises susmentionnées ont causé un dommage ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Peter Burn
Peter Burn
Membre

Rose Ritcey
Rose Ritcey
Membre

L’exposé des motifs sera publié d’ici 15 jours.

Membres du Tribunal : Serge Fréchette, membre présidant
Peter Burn, membre
Rose Ritcey, membre

Personnel de soutien : Anja Grabundzija, conseillère juridique principale
Mark Howell, analyste principal
Andrew Wigmore, analyste
Heidi Matuschka, analyste

 

PARTICIPANTS :

 

Conseillers/représentants

Alberta Oil Tool, une division d’Apergy ULC (anciennement une division de Dover Canada ULC)

Geoffrey C. Kubrick
Jonathan O’Hara

Imex Canada Inc.

Hasina Jamani

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

  1. Le 29 mars 2018, Alberta Oil Tool (AOT), une division d’Apergy Canada ULC (anciennement une division de Dover Canada ULC) a déposé une plainte auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) alléguant que le dumping et le subventionnement de certaines tiges de pompage originaires ou exportées de la République populaire de Chine (Chine) (les marchandises en question) avaient causé un dommage ou menaçaient de causer un dommage à la branche de production nationale.
  2. Le 18 mai 2018, l’ASFC a ouvert des enquêtes sur le dumping et le subventionnement des marchandises en question, aux termes du paragraphe 31(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation[1]. Dans son énoncé des motifs concernant l’ouverture de ces enquêtes, l’ASFC a estimé que, pour la période du 1er janvier 2017 au 31 mars 2018, les marchandises en question avaient été sous-évaluées selon une marge de dumping de 92,5 p. 100 et avaient été subventionnées selon un montant de subvention de 28,9 p. 100, exprimés en pourcentage du prix à l’exportation.
  3. Suite à la décision de l’ASFC d’ouvrir des enquêtes, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a commencé, le 22 mai 2018, son enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la LMSI, afin de déterminer s’il y a une indication raisonnable que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.
  4. Le 17 juillet 2018, le Tribunal a déterminé, pour les motifs suivants, que les éléments de preuve indiquaient, de façon raisonnable, que les marchandises en question avaient causé ou menaçaient de causer un dommage à la branche de production nationale.

DÉFINITION DU PRODUIT

  1. Les marchandises faisant l’objet des enquêtes ont été définies ainsi par l’ASFC[2] :

tiges de pompage, y compris les tiges de pompage courtes, avec ou sans guides ou manchons, conformes à la spécification 11B de l’American Petroleum Institute (API), aux normes équivalentes et aux normes exclusives, finies ou semi‑finies, faites d’acier massif (y compris l’acier au carbone, allié ou de nuances spéciales), dont le corps fait au plus 63,5 mm (2,5 po) de diamètre, plus ou moins les écarts admissibles, originaires ou exportées de la République populaire de Chine.

OBSERVATIONS DES PARTIES

  1. AOT fait valoir dans sa plainte que les importations des marchandises en question, qui sont en augmentation depuis 2014 et qui se sont intensifiées en 2017, exercent une pression à la baisse sur les prix du marché. AOT affirme qu’elles sont à l’origine d’une perte de ventes et d’un recul de la part de marché, de la baisse et de la compression des prix, et d’une baisse marquée de la rentabilité de la branche de production nationale. AOT avance en outre que les marchandises en question menacent de causer un dommage soutenu et accru si des droits ne sont pas imposés.
  2. Imex Canada Inc. (Imex) a déposé un exposé s’opposant à la plainte. Imex souligne qu’AOT est le seul producteur de tiges de pompage au Canada et elle s’oppose à ce qu’un fabricant unique détienne le « monopole » [traduction] et soit le seul à répondre à la demande de tiges de pompage au Canada. Imex semble également contester l’allégation selon laquelle les marchandises en question vendues au Canada profiteraient d’un avantage important sur le plan des prix. Elle soutient en outre qu’AOT n’a pas la capacité d’approvisionner l’ensemble du marché canadien et que les droits imposés causeraient aux industries en aval et à l’emploi un dommage bien plus important que tout éventuel dommage à la branche de production nationale qu’ils auraient visé à éviter. Elle suggère enfin qu’AOT n’a pas réussi à accroître le nombre de ses distributeurs ni sa capacité de production, et qu’elle recourt à des stratégies visant à maintenir les prix artificiellement élevés.
  3. Comme il est expliqué plus en détail ci‑après, le mandat du Tribunal dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la LMSI, se limite à déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises en question a causé ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale. Dans ce contexte, le Tribunal ne peut pas prendre en considération des arguments ou des éléments de preuve portant sur l’incidence que pourrait avoir l’imposition potentielle de droits sur les utilisateurs finaux, sur les industries en aval ou sur la concurrence sur le marché de façon générale. De tels éléments ne peuvent être examinés que dans le cadre d’une enquête d’intérêt public menée aux termes de l’article 45 de la LMSI, laquelle ne peut être ouverte que si le Tribunal conclut au dommage ou à une menace de dommage à l’issue de son enquête définitive de dommage aux termes de l’article 42 de la LMSI
  4. Par conséquent, le Tribunal examinera seulement les observations d’Imex se rapportant à l’existence d’une indication raisonnable de dommage ou de menace de dommage. Le Tribunal ne se prononce pas sur les autres arguments d’Imex. 

CADRE LÉGISLATIF

  1. Le paragraphe 34(2) de la LMSI énonce le mandat du Tribunal en ce qui concerne les enquêtes préliminaires de dommage. Il prévoit que le Tribunal doit déterminer « si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises [en question] a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage »[3].
  2. Dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, la norme de preuve requise, établie par l’expression « indiquent, de façon raisonnable », est moins élevée que celle qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage menée aux termes de l’article 42 de la LMSI[4]. L’expression « indiquent, de façon raisonnable » n’est pas définie dans la LMSI, mais elle signifie que les éléments de preuve n’ont pas à être « concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités »[5] [traduction].
  3. Le Tribunal a déjà conclu que le critère de l’« indication raisonnable » était rempli lorsque les conditions suivantes sont réunies[6] :
  • le présumé dommage ou la présumée menace de dommage est étayé par des éléments de preuve qui sont suffisants en ce sens qu’ils sont « pertinents, exacts et adéquats »;
  • compte tenu des éléments de preuve, les allégations résistent à un « examen assez poussé » eu égard aux éléments de preuve, même si la thèse avancée peut ne pas sembler convaincante ou incontestable.
  1. Les éléments de preuve recueillis dans la phase préliminaire de la procédure sont beaucoup moins détaillés et exhaustifs que dans une enquête définitive de dommage. Tous les éléments de preuve ne sont pas disponibles à la phase préliminaire, et aucune audience n’est tenue permettant d’examiner pleinement ce qui est disponible. En conséquence, la preuve n’est pas évaluée dans la même mesure que dans une enquête définitive de dommage. Le Tribunal accorde aux plaignantes le bénéfice du doute.
  2. L’issue d’une enquête préliminaire de dommage ne doit toutefois pas être tenue pour acquise[7]. De simples affirmations ne sont pas suffisantes[8]. Les plaintes, ainsi que le dossier des parties opposées, doivent être étayés d’éléments de preuve positifs et suffisants. De tels éléments de preuve doivent également être pertinents, en ce sens qu’ils répondent aux exigences de la LMSI et concernent des facteurs pertinents du Règlement sur les mesures spéciales d’importation[9].
  3. Pour en arriver à sa décision provisoire de dommage, le Tribunal tient compte des facteurs énoncés à l’article 37.1 du Règlement, notamment des volumes des importations des marchandises sous-évaluées et subventionnées, de l’effet des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur les prix des marchandises similaires, de l’incidence économique des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur la branche de production nationale et, s’il existe un dommage ou une menace de dommage[10], de la question de savoir qu’il existe un lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises et le dommage ou la menace de dommage.
  4. Avant d’examiner les allégations de dommage ou de menace de dommage, le Tribunal doit définir certains paramètres du cadre d’analyse. Plus précisément, le Tribunal doit déterminer quelles marchandises produites par la branche de production nationale constituent des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en question, en plus de circonscrire la branche de production nationale qui produit ces marchandises. Cette analyse est nécessaire, car le paragraphe 2(1) de la LMSI définit le terme « dommage » comme « [l]e dommage sensible causé à une branche de production nationale » et l’expression « branche de production nationale » comme « l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires ». De plus, le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires », par rapport à toutes autres marchandises, comme suit : « Selon le cas : a) marchandises identiques aux marchandises en cause; b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause ».

MARCHANDISES SIMILAIRES ET CATÉGORIES DE MARCHANDISE

  1. AOT affirme que les tiges de pompage produites au Canada sont « généralement identiques » [traduction] aux marchandises en question, car AOT et les producteurs chinois fabriquent des marchandises conformes à la spécification 11B de l’American Petroleum Institute (API), utilisées pour l’extraction de pétrole et de gaz. Si certains produits d’AOT sont dotés de caractéristiques améliorées, ils demeurent dans l’ensemble interchangeables avec les marchandises en question. AOT soutient en outre que les marchandises en question et les marchandises similaires ne forment qu’une seule et même catégorie de marchandise étant donné qu’elles servent la même fonction qui consiste à relier le bloc‑moteur en surface à la pompe qui se trouve au fond du puits, qu’elles sont des produits finis ayant un filetage compatible permettant de les assembler entre elles, qu’elles sont assujetties à la spécification API 11B ou à des spécifications comparables, qu’elles sont faites des mêmes matériaux et produites sur les mêmes machines essentiellement selon les mêmes procédés, et qu’elles sont vendues sur les mêmes circuits de distribution, aux mêmes utilisateurs finaux dans le secteur pétrolier et gazier[11].
  2. AOT ajoute que le degré de substituabilité est élevé entre les différentes tiges de pompage visées par la définition du produit. Plus particulièrement, selon AOT, les tiges de pompage de qualité inférieure et de qualité supérieure peuvent être substituées les unes aux autres; les tiges de pompage plus épaisses peuvent, dans certains cas, être utilisées à la place de tiges plus minces, et les tiges avec guides peuvent rivaliser avec les tiges sans guides[12].  
  3. Imex n’a présenté aucune observation sur les questions de marchandises similaires et de catégories de marchandise.
  4. Compte tenu de ce qui précède, et des facteurs relatifs aux questions de marchandises similaires et de catégories de marchandise[13], le Tribunal conclut que les tiges de pompage produites par la branche de production nationale de même description que les marchandises en question sont des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en question et constituent une seule et même catégorie de marchandise.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

  1. Les éléments de preuve montrent qu’AOT est le seul producteur national de tiges de pompage. AOT représente donc la branche de production nationale. 

ANALYSE DE DOMMAGE

Volume des importations des marchandises en question

  1. Il n’y a pas de données statistiques publiées sur le volume des importations des tiges de pompage. AOT a estimé le volume des importations des marchandises en question en appliquant une valeur unitaire moyenne, estimée d’après les renseignements commerciaux d’AOT sur les prix des marchandises en question, à des données de Statistique Canada accessibles au public sur la valeur en dollars des importations[14]. L’estimation d’AOT montre que, après avoir diminué de 46 p. 100 en 2015 par rapport à 2014, le volume des importations des marchandises en question a augmenté de 37 p. 100 en 2016 et de 141 p. 100 en 2017[15].
  2. L’ASFC a examiné l’évolution de la valeur des importations au moyen de ses propres données estimatives sur la valeur des importations. L’ASFC a conclu que la valeur des importations a progressé, étant passée de 9,3 millions de dollars en 2014 à 15 millions de dollars en 2017[16]
  3. Le Tribunal a appliqué les valeurs unitaires moyennes estimées fournies dans la plainte aux données de l’ASFC sur la valeur annuelle des importations. Les résultats montrent que le volume des marchandises en question a diminué de 47 p. 100 en 2015, avant d’augmenter de 39 p. 100 en 2016 et de 123 p. 100 en 2017. De plus, le volume des importations des marchandises en question s’est accru par rapport à la production et à la consommation des marchandises similaires en 2016 et en 2017. 
  4. Le Tribunal conclut qu’il existe une indication raisonnable que le volume des importations des marchandises en question s’est fortement accru, en termes absolus comme relatifs, durant la période visée par l’enquête.

Effets sur les prix des marchandises similaires

  1. Il n’y a pas de données publiées disponibles sur les prix moyens des marchandises en question. Pour montrer que les marchandises en question exercent une pression sur les prix du marché, AOT s’est appuyée sur plusieurs allégations spécifiques de dommage.
  2. Dans ses observations, Imex a laissé entendre que les marchandises en question vendues sur le marché canadien ne profitent d’aucun avantage important sur le plan des prix par rapport aux marchandises similaires produites par la branche de production nationale. Imex n’a toutefois fourni aucun élément de preuve précis sur les prix.
  3. Certaines allégations spécifiques de dommage d’AOT sont étayées par des notes et des pièces de correspondance contenant des renseignements précis montrant qu’il est arrivé à maintes reprises qu’une soumission proposant les marchandises en question ait été considérablement moins chère qu’une soumission proposant les marchandises similaires produites au pays[17]. Les exemples fournis sont récents (datant principalement à 2017 et à 2018), ils semblent correspondre à une période d’accroissement des volumes d’importation des marchandises en question et ils laissent entrevoir que la sous-cotation attribuable aux marchandises en question était d’une ampleur importante. Bien que ces éléments de preuve devront faire l’objet d’une évaluation complète dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, le Tribunal convient qu’ils satisfont au critère de l’indication raisonnable pour les besoins de l’enquête préliminaire de dommage.
  4. Le prix de vente moyen pratiqué par AOT pour les marchandises destinées aux ventes nationales a diminué en 2015 et en 2016 et augmenté en 2017[18], ce qui permet de penser qu’il a pu y avoir une certaine baisse globale des prix en 2015 et en 2016. Même si AOT allègue que la concurrence exercée par les marchandises en question l’a amenée dans plusieurs cas à devoir abaisser ses prix pour remporter une vente[19], elle n’a pas présenté suffisamment de renseignements détaillés sur les prix, de documents justificatifs ou de points de comparaison pour permettre d’établir l’existence d’une quelconque tendance des prix et d’en expliquer la cause. Dans le cadre de l’enquête définitive de dommage, les données feront l’objet d’une analyse plus poussée qui éclairera l’effet potentiel des prix des marchandises en question.
  5. En ce qui concerne la compression des prix, les éléments de preuve montrent qu’AOT n’a pas été en mesure d’augmenter ses prix de vente de façon à suivre les hausses des coûts des tiges d’acier, lesquelles constituent une part importante des coûts des matières directes. De plus, selon les états financiers de l’entreprise, AOT a subi une compression des prix de 2015 à 2017, qui a atteint son apogée en 2017 lorsque le coût des marchandises vendues a connu une forte hausse, mais pas les prix de vente[20]. Cette compression apparente des prix coïncide avec l’accélération de la croissance du volume des importations des marchandises en question observée en 2017. Qui plus est, AOT a présenté des éléments de preuve démontrant clairement qu’elle avait tenté d’augmenter ses prix à partir d’octobre 2017, pour compenser une partie de la hausse de ses coûts de production, mais que son initiative avait fortement rebuté ses clients, qui avaient invoqué les prix concurrentiels des marchandises en question[21].
  6. Compte tenu du fait que la norme de preuve requise est moins élevée dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal conclut que ces éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que les marchandises en question ont donné lieu à une sous-cotation et à une compression importante des prix, qui ont été particulièrement marquées en 2017.

Incidence sur la branche de production nationale

  1. AOT fait valoir que les marchandises en question lui ont causé un dommage en entraînant une perte de ventes et une baisse de ses marges de profit, de sa production, de son utilisation de la capacité et des niveaux d’emploi. AOT reconnaît que d’autres facteurs que les marchandises en question ont nui à la branche de production nationale. Ces facteurs comprennent la baisse générale du prix du pétrole observée depuis la fin de 2014, ainsi que les exigences réglementaires relatives à la production pétrolière qui pourraient ralentir la demande d’équipement de production pétrolière et gazière au Canada[22]. Toutefois, AOT fait observer que le marché des tiges de pompage connaît une légère reprise depuis le milieu de 2016 et 2017, et soutient qu’elle n’a pas pu tirer pleinement parti de la reprise à cause des marchandises en question.
  2. Dans ses observations, Imex avance qu’AOT a été « imprudente » [traduction] en n’augmentant pas sa capacité ni le nombre de ses distributeurs au Canada, et qu’elle a tenté de maintenir les prix artificiellement élevés. Imex n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’appui de ces allégations.
  3. Lors d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal doit déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, l’existence d’un lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises en question et le dommage subi selon l’incidence qu’ont sur la branche de production nationale le volume des marchandises sous-évaluées et subventionnées et l’effet de ces marchandises sur les prix. Le critère qui s’applique consiste à se demander si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont, à eux seuls[23], causé un dommage.
  4. Les états financiers d’AOT dénotent une diminution globale du rendement de la branche de production nationale. Après avoir reculé en 2015 et en 2016, la production totale, l’utilisation de la capacité, les ventes totales (ventes nationales et ventes à l’exportation combinées) de marchandises produites par la branche de production nationale (en pièces) et l’emploi se sont améliorés en 2017, même s’ils sont demeurés bien en deçà des niveaux de 2014. Les ventes nationales découlant de la production nationale ont chuté en 2015 avant de reprendre en 2016 et en 2017, de sorte que les niveaux de 2017 ont été globalement inférieurs à ceux de 2014[24].
  5. La rentabilité d’AOT s’est systématiquement détériorée de 2014 à 2017. Malgré l’amélioration d’autres indicateurs de rendement en 2017, la marge bénéficiaire brute et la marge bénéficiaire nette d’AOT découlant des ventes nationales ont atteint leur point le plus bas cette année-là. Il semble que ce soit lié au fait qu’AOT n’a pas été en mesure d’augmenter ses prix en suivant le rythme de la hausse du coût des marchandises vendues en 2017, comme il a été mentionné. La situation coïncide aussi avec le relatif accroissement de la demande sur le marché apparent total des tiges de pompage observé en 2017 et avec la hausse marquée des importations des marchandises en question survenue la même année, ce qui dénoterait l’existence d’un lien de causalité entre les marchandises en question et la baisse de rentabilité d’AOT[25]
  6. Il semble en outre que la part de marché d’AOT ait rétréci et atteint son point le plus faible en 2016, avant de recommencer à s’accroître légèrement en 2017. Par contre, la part de marché des marchandises en question n’a cessé d’augmenter entre 2014 et 2017[26]. Les éléments de preuve d’AOT qui concernent certaines ventes perdues à cause de soumissions proposant des marchandises en question indiquent, de façon raisonnable, que la branche de production nationale a subi une perte de ventes et de parts de marché attribuable aux marchandises en question en 2016, en 2017 et en 2018[27]
  7. Le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que la branche de production nationale a subi un dommage, particulièrement en 2017, et que la présence accrue des marchandises sous-évaluées et subventionnées constitue une cause du dommage. Au cours de l’enquête définitive de dommage, le Tribunal tiendra particulièrement compte des divers facteurs et des forces du marché qui pourraient influer sur l’état de la branche de production nationale, de façon à pleinement établir l’existence d’un lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises en question et le dommage sensible causé à la branche de production nationale.
  8. À la lumière des conclusions susmentionnées, et par souci d’économie des ressources judiciaires, le Tribunal n’examinera pas la question de savoir si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question menacent de causer un dommage.

CONCLUSION

  1. Le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé un dommage à la branche de production nationale.
 

[1].     L.R.C., 1985, ch. S-15 [LMSI]

[2].     Pièce PI-2018-001-05, vol. 1D aux p. 122-127. L’énoncé des motifs de l’ASFC comprend aussi des renseignements additionnels décrivant les marchandises en question.

[3].     Si le Tribunal mène, en vertu de l’article 42 de la LMSI, une enquête de dommage mettant en cause un seul pays, il procède habituellement à une évaluation combinée des effets dommageables de marchandises qui sont à la fois sous-évaluées et subventionnées (cumul croisé). Le Tribunal estime qu’il serait inconséquent de ne pas effectuer un cumul croisé des effets des marchandises en question dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, et a donc procédé à une analyse des effets cumulatifs du dumping et du subventionnement desdites marchandises sur la branche de production nationale.

[4].     Maïs-grain (10 octobre 2000), PI-2000-001 (TCCE) à la p. 7.

[5].     Ronald A. Chisholm Ltd. v. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (FCTD).

[6].     Barres d’armature pour béton (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE) [Barres d’armature] au par. 15; Silicium métal (21 juin 2013), PI‑2013-001 (TCCE) au par. 16; Modules muraux unitisés (3 mai 2013), PI-2012-006 (TCCE) au par. 24; Transformateurs à liquide diélectrique (22 juin 2012), PI‑2012‑001 (TCCE) au par. 86.

[7].     Barres d’armature aux par. 18-19.

[8].     L’article 5 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) exige de l’autorité chargée d’une enquête qu’elle examine l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping et de subventionnement afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête; la plainte sera rejetée ou l’enquête sera close dès que l’autorité concernée sera convaincue que les éléments de preuve relatifs au dumping et au subventionnement ou au dommage ne sont pas suffisants. L’article 5 prévoit également qu’une simple affirmation non étayée par des éléments de preuve pertinents ne peut être jugée suffisante pour que soient respectées les exigences desdits articles.

[9].     DORS/84-927 [Règlement].

[10].   Lorsqu’il examine la question de savoir si les éléments de preuves indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question menace de causer un dommage, le Tribunal se fonde sur le paragraphe 37.1(2) du Règlement, qui énonce les facteurs dont le Tribunal doit tenir compte dans son analyse de menace de dommage.

[11].   Pièce PI-2018-001-02.01, vol. 1 aux p. 14-17.

[12].   Ibid. aux p. 9-11. 

[13].   Pour trancher les questions de marchandises similaires et de catégories de marchandise, le Tribunal tient généralement compte d’un certain nombre de facteurs, y compris les caractéristiques physiques des marchandises (comme leur composition et leur apparence) et leurs caractéristiques de marché (comme la substituabilité, les prix, les circuits de distribution, les utilisations finales et la question de savoir si elles répondent aux mêmes besoins des clients). Raccords de tuyauterie en cuivre (19 février 2007), NQ-2006-002 (TCCE) au par. 48.

[14].   La méthodologie d’AOT est décrite plus en détail dans la pièce PI-2018-001-02.01, vol. 1 aux p. 39-42.

[15].   Pièce PI-2018-001-03 (protégée), vol. 2 à la p. 41.

[16].   Pièce PI-2018-001-05, vol. 1D à la p. 97. Voir aussi pièce PI-2018-001-03.02A (protégée), vol. 2B à la p. 237.

[17].   Pièce PI-2018-001-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 44, 47-49, 236-239, 245-246, 285-288.

[18].   Ibid. à la p. 170.

[19].   Pièce PI-2018-001-02.01, vol. 1 aux p. 45-46; pièce PI-2018-001-03.01 (protégée), vol. 2 à la p. 295.

[20].   Ibid. à la p. 170.

[21].   Ibid. aux p. 44-45, 283-290.

[22].   Pièce PI-2018-001-02.01, vol. 1 aux p. 52-53.

[23].   Plaques de plâtre (5 août 2016), PI-2016-001 (TCCE) au par. 44; Fils machine de cuivre (30 octobre 2006), PI‑2006-002 (TCCE) aux par 40, 43; Fils d’acier galvanisés (22 mars 2013), PI-2012-005 (TCCE) au par. 75; Tubes en cuivre circulaires (22 juillet 2013), PI-2013-002 (TCCE) au par. 82.

[24].   Pièce PI-2018-001-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 51, 170, 171. Le Tribunal fait observer que même si les ventes totales se sont généralement améliorées en 2017, les ventes nationales et les ventes à l’exportation ont suivi des tendances contraires : les ventes nationales ont augmenté par rapport à 2016 et les ventes à l’exportation ont continué de diminuer.

[25].   Ibid. Les marges nettes et brutes qu’AOT a réalisées sur les ventes à l’exportation se sont améliorées en 2017 par rapport à 2016, à la différence des marges réalisées sur ses ventes nationales.

[26].   Ibid. aux p. 40-43; pièce PI-2018-001-03.02 (protégée), vol. 2A à la p. 46. La tendance dans la part de marché est similaire lorsque la part de marché est dérivée des estimations du volume de marchandises obtenues à partir des données de l’ASFC sur la valeur des importations et des valeurs unitaires moyennes fournies dans la plainte.

[27].   Pièce PI-2018-001-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 47-49 et annexes jointes à l’appui de la plainte.