Enquêtes de dommage antidumping

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Enquête préliminaire de dommage no PI-2018-005

Feuilles d’acier résistant à la corrosion

Décision rendue
le lundi 24 septembre 2018

Motifs rendus
le mardi 9 octobre 2018

 



EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant des :

FEUILLES D’ACIER RÉSISTANT À LA CORROSION

DÉCISION PROVISOIRE DE DOMMAGE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le présumé dumping dommageable de feuilles laminées à plat d’acier au carbone résistant à la corrosion, y compris celles contenant les éléments d’alliage suivants :

  jusqu’à 0,01 % de bore (B);

  jusqu’à 0,1 % de niobium (Nb);

  jusqu’à 0,08  de titane (Ti);

  jusqu’à 0,3 % de vanadium (V);

en bobines ou coupées à longueur, d’une épaisseur jusqu’à 0,168 po (4,267 mm) et d’une largeur jusqu’à 72 po (1 828,8 mm), plus ou moins les écarts admis par les normes applicables, chimiquement passivées, originaires ou exportées de la République populaire de Chine, du Taipei chinois, de la République de l’Inde et de la République de Corée, à l’exclusion cependant de tout ce qui suit :

  les feuilles d’acier résistant à la corrosion non passivées;

  les feuilles d’acier résistant à la corrosion devant servir à la fabrication d’automobiles, d’autobus, de camions, d’ambulances ou de corbillards ou encore de châssis ou autres parties, de pièces ou d’accessoires destinés à ces véhicules;

  les produits d’acier pour la construction aéronautique;

  les feuilles d’acier revêtues ou plaquées de fer-blanc, de plomb, de nickel, de cuivre, de chrome, d’oxydes de chrome, à la fois de fer-blanc et de plomb (fer mat), ou à la fois de chrome et d’oxydes de chrome (fer chromé);

  les produits d’acier inoxydable laminés à plat;

  les feuilles d’acier résistant à la corrosion déjà peintes ou recouvertes d’enduits organiques (non métalliques) – laques, vernis;

  le ruban de blindage galvanisé, ruban d’acier plat large de 3 po au plus, traité au zinc par une opération finale, soit de galvanisation par immersion à chaud, soit d’électrozingage, de sorte que toutes les surfaces, y compris les bords, sont recouvertes de zinc;

  l’acier à outils;

a causé un dommage ou un retard, ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 26 juillet 2018, selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert une enquête concernant le présumé dumping dommageable des marchandises susmentionnées.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine par la présente que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises susmentionnées a causé ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre

 

L’exposé des motifs sera publié d’ici 15 jours.


 

Membres du Tribunal :

Peter Burn, membre présidant
Serge Fréchette, membre
Randolph W. Heggart, membre

Personnel de soutien :

Laura Little, conseillère juridique

 

Shawn Jeffrey, analyste principal

 

Jyotsna Venkatesh, analyste

PARTICIPANTS :

 

Conseillers/représentants

ArcelorMittal Dofasco G.P.

Paul Conlin
M. Drew Tyler
Anne-Marie Oatway
Carly Haynes
Shannon McSheffrey


Stelco Inc.



Benjamin P. Bedard
Linden Dales
Lydia Blois
David Plotkin


Gouvernement du Vietnam


Chu Thang Trung

Gouvernement de Corée (ministère des Affaires étrangères)

Kyoungsoo Lee

JFE Shoji Trade America Inc.

Darrel H. Pearson
George W. H. Reid
Sabrina A. Bandali

Indian Steel Corporation Limited

Dharmesh Shah

Syndicat des Métallos

Craig Logie

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1]  Le 5 juin 2018, ArcelorMittal Dofasco G.P. (AMD) a déposé une plainte auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), alléguant que le dumping de certaines feuilles d’acier résistant à la corrosion (COR) originaires ou exportées de la République populaire de Chine (Chine), du Taipei chinois, de la République de l’Inde (Inde) et de la République de Corée (Corée) (les marchandises en question) avait causé ou menaçait de causer un dommage à la branche de production nationale [1] .

[2]  Le 26 juillet 2018, le président de l’ASFC a ouvert une enquête concernant le dumping des marchandises en question, aux termes du paragraphe 31(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [2] .

[3]  Le 27 juillet 2018, le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a commencé son enquête préliminaire de dommage aux termes du paragraphe 37.1(1) de la LMSI.

[4]  La plainte est appuyée par Stelco Inc. (Stelco). Le Tribunal a reçu des observations s’opposant à la plainte de la part d’Indian Steel Corporation Limited (ISCL), un fabricant indien de COR, et d’Ideal Roofing Company Limited, un importateur et distributeur qui n’est pas partie à l’instance. AMD a déposé une réponse à ces observations.

[5]  Le 24 septembre 2018, le Tribunal a déterminé, pour les motifs suivants, qu’il y avait des éléments de preuve qui indiquaient, de façon raisonnable, que les marchandises en question avaient causé ou menaçaient de causer un dommage à la branche de production nationale.

DÉFINITION DU PRODUIT [3]

[6]  Aux fins de l’enquête de l’ASFC et de la présente enquête préliminaire de dommage, les marchandises en question sont définies comme suit :

Feuilles laminées à plat d’acier au carbone résistant à la corrosion, y compris celles contenant les éléments d’alliage suivants :

jusqu’à 0,01 % de bore (B);

jusqu’à 0,1 % de niobium (Nb);

jusqu’à 0,08 % de titane (Ti);

jusqu’à 0,3 % de vanadium (V);

en bobines ou coupées à longueur, d’une épaisseur jusqu’à 0,168 po (4,267 mm) et d’une largeur jusqu’à 72 po (1 828,8 mm), plus ou moins les écarts admis par les normes applicables, chimiquement passivées, originaires ou exportées de la République populaire de Chine, du Taipei chinois, de la République de l’Inde et de la République de Corée, à l’exclusion cependant de tout ce qui suit :

les feuilles d’acier résistant à la corrosion non passivées;

les feuilles d’acier résistant à la corrosion devant servir à la fabrication d’automobiles, d’autobus, de camions, d’ambulances ou de corbillards ou encore de châssis ou autres parties, de pièces ou d’accessoires destinés à ces véhicules;

les produits d’acier pour la construction aéronautique;

les feuilles d’acier revêtues ou plaquées de fer-blanc, de plomb, de nickel, de cuivre, de chrome, d’oxydes de chrome, à la fois de fer-blanc et de plomb (fer mat), ou à la fois de chrome et d’oxydes de chrome (fer chromé);

les produits d’acier inoxydable laminés à plat;

les feuilles d’acier résistant à la corrosion déjà peintes ou recouvertes d’enduits organiques (non métalliques) – laques, vernis;

le ruban de blindage galvanisé, ruban d’acier plat large de 3 po au plus, traité au zinc par une opération finale, soit de galvanisation par immersion à chaud, soit d’électrozingage, de sorte que toutes les surfaces, y compris les bords, sont recouvertes de zinc;

l’acier à outils;

DÉCISION DE L’ASFC D’OUVRIR UNE ENQUÊTE

[7]  L’ASFC a estimé que, pour la période du 1er avril 2017 au 31 mars 2018, les marchandises en question avaient été sous-évaluées selon les marges de dumping suivantes, exprimées en pourcentage du prix à l’exportation : 27,1 p. 100 pour la Chine, 3,5 p. 100 pour le Taipei chinois, 35,8 p. 100 pour l’Inde et 21,9 p. 100 pour la Corée [4] .

CADRE LÉGISLATIF

Indication raisonnable

[8]  Le paragraphe 34(2) de la LMSI énonce le mandat du Tribunal en ce qui concerne les enquêtes préliminaires de dommage. Il prévoit que le Tribunal doit déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question a causé un dommage ou menace de causer un dommage.

[9]  L’expression « indiquent, de façon raisonnable » n’est pas définie dans la LMSI, mais elle signifie que les éléments de preuve n’ont pas à être « concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités » [5] [traduction].

[10]  La norme de preuve requise, établie par l’expression « indiquent, de façon raisonnable », est moins élevée que celle qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage menée aux termes de l’article 42 de la LMSI [6] .

[11]  Le Tribunal s’attend à ce que les éléments de preuve recueillis dans la phase préliminaire de la procédure soient beaucoup moins détaillés et exhaustifs que dans une enquête définitive de dommage. Tous les éléments de preuve ne sont pas disponibles à la phase préliminaire, et aucune audience n’est tenue permettant d’examiner pleinement ce qui est disponible. En conséquence, la preuve n’est pas évaluée dans la même mesure que dans une enquête définitive de dommage.

[12]  À la présente étape de l’enquête, la norme de preuve qui s’applique est moins rigoureuse que celle retenue dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, et les plaintes seront examinées libéralement. L’issue d’une enquête préliminaire de dommage ne doit toutefois pas être tenue pour acquise [7] . De simples affirmations ne sont pas suffisantes [8] . Les plaintes, ainsi que le dossier des parties opposées, doivent être étayés d’éléments de preuve positifs et suffisants. De tels éléments de preuve doivent également être pertinents, en ce sens qu’ils répondent aux exigences de la LMSI et concernent des facteurs pertinents du Règlement sur les mesures spéciales d’importation [9] , et ce, d’une manière propre à convaincre à la présente étape de l’enquête.

Facteurs relatifs au dommage et à la menace de dommage

[13]  Pour en arriver à sa décision provisoire de dommage, le Tribunal tient compte des facteurs énoncés à l’article 37.1 du Règlement, notamment des volumes des importations des marchandises sous-évaluées, de l’effet des marchandises sous-évaluées sur les prix des marchandises similaires, de l’incidence économique des marchandises sous-évaluées sur la branche de production nationale et, s’il existe un dommage ou une menace de dommage [10] , de la question de savoir qu’il existe un lien de causalité entre le dumping des marchandises et le dommage ou la menace de dommage.

[14]  Toutefois, avant d’examiner les allégations de dommage ou de menace de dommage, le Tribunal doit déterminer quelles marchandises produites par la branche de production nationale constituent des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en question, s’il y a plus qu’une catégorie de marchandises similaires, en plus de circonscrire la branche de production nationale qui produit ces marchandises. Cette analyse est nécessaire, car le paragraphe 2(1) de la LMSI définit le terme « dommage » comme « [l]e dommage sensible causé à une branche de production nationale » [11] et l’expression « branche de production nationale » comme « l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires ».

MARCHANDISES SIMILAIRES ET CATÉGORIES DE MARCHANDISE

[15]  Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires », par rapport à toutes autres marchandises, comme suit : « Selon le cas : a) marchandises identiques aux marchandises en cause; b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause ».

[16]  AMD soutient que les COR de production nationale sont des marchandises similaires par rapport aux marchandises en question et qu’il n’existe qu’une seule catégorie de marchandises, en se fondant sur le fait non contesté qu’elles sont des produits de base qui se livrent concurrence sur le marché national et qu’elles sont entièrement interchangeables [12] . AMD fait également remarquer que le Tribunal a tiré une conclusion semblable dans une décision antérieure concernant des feuilles d’acier résistant à la corrosion [13] . Aucune autre observation concernant les marchandises similaires ou les catégories de marchandises n’a été déposée. La preuve soutient raisonnablement l’argument d’AMD.

[17]  Par conséquent, le Tribunal réalisera son analyse compte tenu du fait que les COR de production nationale qui ont la même description que les marchandises en question sont des « marchandises similaires », par rapport aux marchandises en question, et qu’il n’existe qu’une catégorie de marchandises.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

[18]  Dans sa décision d’ouvrir l’enquête, l’ASFC a conclu qu’AMD et Stelco représentent « presque toute la production canadienne de marchandises similaires », dont le reste est attribuable à Material Sciences Corporation (MSC) [14] . Cette conclusion n’est pas contestée et est étayée par des éléments de preuve au dossier du Tribunal.

[19]  Par conséquent, le Tribunal est convaincu que la production collective d’AMD et de Stelco constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires.

Cumul

[20]  Dans le cadre d’une analyse préliminaire de dommage, le paragraphe 42(3) de la LMSI exige que le Tribunal évalue l’effet cumulatif du dumping de marchandises importées au Canada de plus d’un des pays visés si le Tribunal est convaincu que certaines conditions sont remplies. Plus précisément, le Tribunal doit être convaincu que [15]  :

  • 1. la marge de dumping ou le montant de la subvention par rapport aux marchandises en question provenant de chacun des pays n’est pas minimal et que le volume des marchandises importées au Canada en provenance de n’importe lequel de ces pays n’est pas négligeable;

  • 2. l’évaluation des effets cumulatifs des marchandises en question est indiquée compte tenu des conditions de concurrence entre les marchandises de chacun des pays visés, les autres marchandises sous-évaluées ou subventionnées, et les marchandises similaires.

[21]  Bien que le paragraphe 42(3) de la LMSI traite des enquêtes définitives de dommage, en pratique le Tribunal applique le même cadre d’analyse dans une enquête préliminaire de dommage [16] .

[22]  AMD soutient qu’il est approprié que le Tribunal évalue l’effet dommageable cumulatif du dumping de marchandises en provenance des pays visés. Aucune autre partie n’a déposé des observations concernant le cumul.

[23]  Les marges de dumping estimées par l’ASFC pour chacun des pays visés ne sont pas minimales, et les volumes de marchandises importées de n’importe lequel de ces pays ne sont pas négligeables [17] . Par conséquent, le Tribunal conclut que la première condition du paragraphe 42(3) de la LMSI est remplie.

[24]  Dans l’évaluation des conditions de concurrence, le Tribunal a précédemment pris en considération des facteurs comme l’interchangeabilité des marchandises de chaque pays (les unes par rapport aux autres, et par rapport aux marchandises similaires), leur présence simultanée sur un même marché géographique et la question de savoir si elles sont distribuées par l’entremise des mêmes circuits ou en utilisant les mêmes moyens de transport [18] .

[25]  Les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que les COR de chacun des pays visés sont un produit de base qui peut généralement être produit pour satisfaire aux mêmes spécifications. Selon la déclaration écrite de M. A. Connor, le vice-président du commerce d’AMD, les COR « produites selon une spécification particulière par un producteur, qu’il s’agisse de producteurs nationaux ou étrangers, sont interchangeables, pour quasiment n’importe quelle utilisation donnée, avec celles produites selon la même spécification par un autre producteur » [traduction] [19] .

[26]  En ce qui concerne les clients et la distribution sur le marché canadien, AMD a fourni des éléments de preuve qui indiquent, de façon raisonnable, que les marchandises en question de chacun des pays exportateurs nommés et les marchandises similaires sont achetées par les mêmes clients (par exemple, des centres de service et des utilisateurs finaux) et vendues via les mêmes circuits de distribution aux utilisateurs finaux (par exemple, des fabricants) [20] . Notamment, les centres de service de l’acier sont décrits comme des « acheteurs de grands volumes de COR (produites au Canada ou à l’étranger), ayant des réseaux de distribution partout au Canada » [traduction] [21] . D’autres éléments de preuve montrent que les marchandises en question provenant de toutes les sources sont expédiées au Canada par navire [22] .

[27]  De plus, AMD et Stelco ont présenté des allégations et des éléments de preuve se rapportant à des clients en particulier qui indiquent, de façon raisonnable, qu’il existe une concurrence directe dans le même marché géographique entre les marchandises en question provenant de Chine, du Taipei chinois et de Corée et les marchandises similaires produites au Canada [23] .

[28]  Dans l’ensemble, le Tribunal est convaincu que les éléments de preuve au dossier montrent, de façon raisonnable, que les conditions de concurrence entre les marchandises en question et entre les marchandises en question et les marchandises similaires sont semblables. Le Tribunal conclut donc qu’il est indiqué de procéder à une évaluation de l’effet cumulatif des marchandises en question provenant de toutes les sources dans le cadre de la présente enquête préliminaire de dommage.

[29]  Cependant, dans l’éventualité d’une enquête définitive de dommage [24] , le Tribunal a l’intention d’examiner en détail les éléments de preuve relatifs aux conditions de concurrence, notamment en ce qui concerne les marchandises en question provenant d’Inde.

ANALYSE DE DOMMAGE

Volume des importations des marchandises en question

[30]  Selon les estimations de l’ASFC, les importations de marchandises en question se sont accrues chaque année de 2015 à 2017. Selon les données confidentielles de l’ASFC sur les importations, les importations totales de marchandises en question se sont accrues de 56 p. 100 de 2015 à 2017 [25] . Les importations provenant de Chine ont enregistré la hausse la plus importante, alors que les importations provenant du Taipei chinois, d’Inde et de Corée ont globalement diminué. Au cours de la même période (c’est-à-dire de 2015 à 2017), les importations de marchandises provenant de pays non visés se sont accrues de 4 p. 100, et l’ensemble estimé du marché canadien apparent s’est accru de 12 p. 100.

[31]  La plainte attribue la diminution des importations du Taipei chinois, d’Inde et de Corée, de 2015 à 2017, à la forte augmentation des importations provenant de Chine dans chacun de ces marchés au cours de la même période [26] . Néanmoins, tel qu’il est discuté plus en détail ci-après, AMD soutient que les importations sous-évaluées de chacun des pays en question ont eu des effets négatifs sur les prix des marchandises similaires de production nationale.

[32]  Le Tribunal conclut que les estimations de l’ASFC concernant les importations indiquent, de façon raisonnable, qu’il y a eu une hausse marquée du volume des marchandises en question en valeurs absolues [27] . De plus, le dossier confidentiel indique, de façon raisonnable, une hausse marquée du volume des marchandises en question en valeurs relatives par rapport à la production et aux ventes au Canada [28] .

Effet sur les prix des marchandises similaires

[33]  AMD fait valoir que les marchandises en question ont mené à une sous-cotation importante des prix des marchandises similaires de production nationale, ce qui a entraîné une baisse des prix et/ou la perte de ventes.

[34]  Des données sur les prix moyens de la branche de production nationale (c’est-à-dire AMD et Stelco) ont été présentées à l’appui de la plainte. Les éléments de preuve montrent que le prix de vente moyen des marchandises similaires a augmenté en glissement annuel entre 2015 et 2017, ce qui représente une augmentation globale de 25 p. 100 [29] . La valeur unitaire moyenne globale des importations des marchandises en question s’est également accrue de 2015 à 2017 (elle a enregistré un recul en 2016, en glissement annuel), ce qui représente une augmentation globale de 11 p. 100. En 2016 et en 2017, la valeur unitaire moyenne des importations des marchandises en question est restée nettement inférieure au prix des marchandises similaires [30] .

[35]  De plus, les déclarations de M. W. Butler d’AMD et de M. G. Anderson de Stelco fournissent un certain nombre d’exemples particuliers de sous-cotation des prix ayant entraîné des pertes de ventes [31] . M. Butler a également fait référence à plusieurs cas où des clients n’ont pas offert à AMD la possibilité de faire une proposition puisqu’ils s’attendaient à ce que les prix d’AMD ne puissent pas concurrencer les bas prix des marchandises en question [32] .

[36]  En ce qui concerne la baisse des prix, malgré une augmentation annuelle du prix moyen des marchandises similaires de production nationale, la plainte fait état de plusieurs cas spécifiques où les producteurs nationaux ont censément été obligés de réduire leurs prix pour être concurrentiels au moment des ventes [33] .

[37]  AMD s’appuie également sur le prix des COR dans le Midwest américain, tel que publié par CRU, pour étayer son allégation. AMD fait remarquer que les données de CRU incluent des COR pour le secteur de l’automobile non visé et qu’aucune publication ne fait le suivi des COR pour les secteurs autres que celui l’automobile de manière distincte. Néanmoins, elle fait valoir que les données du CRU sont un indicateur des tendances et des fluctuations des prix des COR pour des secteurs autres que celui de l’automobile dans le marché canadien, car il s’agit de marchandises similaires produites en utilisant le même équipement [34] . Les prix pratiqués sur le marché du Midwest américain devraient généralement suivre le prix au comptant des COR sur le marché du centre du Canada [35] . Bien que ces prix aient été similaires en 2014 et en 2015, ils ont différé en 2016, en 2017 et au cours du premier trimestre de 2018, avec le prix d’AMD ayant sensiblement diminué sous le prix au comptant du marché du Midwest américain [36] . AMD fait valoir que cet écart de prix entre les marchés découle des déterminations du département du Commerce des États-Unis eu égard le dumping de COR originaires ou exportées de Chine, du Taipei chinois, de Corée et d’Inde, qui ont remédié aux effets dommageables du dumping sur le marché américain, alors que le marché canadien a continué d’être aux prises avec des distorsions de prix attribuables aux importations sous-évaluées. AMD soutient que cela démontre que le dumping des marchandises en question a causé une compression importante des prix, mais – nonobstant la différence de prix – les prix de vente des marchandises similaires se sont en fait accrus entre 2015 et 2017.

[38]  Cependant, la différence de prix indique, de façon raisonnable, que le dumping a, de façon marquée, mené « à la compression du prix des marchandises similaires en empêchant les augmentations de prix qui par ailleurs se seraient vraisemblablement produites pour ces marchandises » [nos italiques] [37] . Selon AMD, elle a été en mesure d’augmenter ses prix en 2016 et en 2017 « en raison de la reprise des conditions du marché, [mais] cette amélioration était moins importante qu’elle aurait dû être en raison des importations et des offres d’importations des pays en question » [traduction] [38] . Si ce n’était pas du dumping, les prix des marchandises similaires auraient raisonnablement augmenté et peut-être même convergé vers le prix du marché du Midwest américain.

[39]  À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question a mené à une sous-cotation, une diminution et une compression marquées du prix des marchandises similaires.

Incidence sur la branche de production nationale

[40]  Dans le cadre de son analyse en vertu de l’alinéa 37.1(1)c) du Règlement, le Tribunal tient compte de l’incidence des marchandises sous-évaluées sur la situation de la branche nationale de production et, plus précisément, de tous les facteurs et indices économiques pertinents influant sur cette situation.

[41]  AMD fait valoir que les marchandises en question ont causé un dommage sensible à la branche de production nationale, sous la forme de pertes accrues de ventes et de parts de marché, ce qui, à son tour, a eu une incidence négative sur le rendement financier, l’utilisation de la capacité et l’emploi.

[42]  Le rendement financier consolidé de la branche de production nationale a été mitigé, avec une augmentation de la production et des ventes nationales (en termes de volume) de 2015 à 2016, puis une diminution en 2017 (à un niveau tout de même supérieur à celui de 2015). Les données trimestrielles indiquent que, bien que les deux indicateurs aient été stables au cours de la première moitié de 2017, ils étaient inférieurs aux volumes de production et de ventes du premier trimestre de 2016, puis qu’ils ont progressivement diminué au cours de la seconde moitié de 2017. Les deux indicateurs ont davantage diminué au cours du premier trimestre de 2018, comparativement au premier trimestre de 2017 [39] .

[43]  En ce qui concerne la part du marché national, celle des marchandises en question s’est nettement accrue entre 2015 et 2017, principalement au détriment des marchandises similaires de production nationale [40] . La part du marché national des importations de pays non visés a légèrement diminué au cours de la même période.

[44]  Les résultats financiers consolidés de la branche de production nationale font ressortir de nettes améliorations de la marge bénéficiaire brute et du revenu net de 2015 à 2017, ainsi qu’au cours du premier trimestre de 2018, comparativement au premier trimestre de 2017 [41] . Ces améliorations, particulièrement en 2016 et en 2017, sont surtout attribuables à une augmentation des prix de vente, avec une augmentation de 25 p. 100 de la valeur de vente nette de 2015 à 2017. Au cours de la même période, la production nationale et le coût des marchandises vendues ont augmenté de seulement 2 p. 100 et 4 p. 100, respectivement.

[45]  Le déclin des ventes nationales et de la part du marché national de 2016 à 2017 coïncide avec l’indication d’effets négatifs sur les prix et de perte de ventes causés par le dumping au cours de ces années.

[46]  De 2015 à 2016, la capacité totale des usines de la branche de production nationale a diminué, tandis que le volume de production de marchandises similaires a augmenté, ce qui a entraîné une légère augmentation du taux d’utilisation de la capacité relative à la production de marchandises similaires. En 2017, tandis que la production nationale diminuait, la capacité totale des usines a légèrement augmenté et le taux d’utilisation de la capacité a légèrement diminué [42] . La plainte fait remarquer que les COR sont produites à l’aide du même équipement que celui utilisé pour les autres produits (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas des « marchandises similaires »). Le taux global de l’utilisation de la capacité de la branche de production nationale pour les marchandises produites à l’aide du même équipement était élevé et a légèrement augmenté entre 2015 et 2017.

[47]  Cependant, en ce qui concerne l’emploi, le nombre d’employés directs impliqués dans la production nationale de marchandises similaires a diminué de 2015 à 2017, ce qui a entraîné la réalisation de moins d’heures de travail [43] . Les salaires ont légèrement diminué au cours de la même période. Ces indicateurs ont continué de diminuer au cours du premier trimestre de 2018, comparativement au premier trimestre de 2016 et de 2017. Le Tribunal conclut que le déclin des indicateurs d’emploi est, de façon raisonnable, lié au déclin susmentionné des volumes de production et de ventes nationales en 2017 et au cours du premier trimestre de 2018.

[48]  Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les éléments de preuve au dossier indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question a causé un dommage sensible à la branche de production nationale, particulièrement sous la forme d’une perte de ventes, de parts de marché et, dans une certaine mesure, d’emplois.

[49]  Comme les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question a causé un dommage, pour des raisons d’économie judiciaire, le Tribunal n’examinera pas la question de savoir si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, le dumping des marchandises en question menace de causer un dommage.

CONCLUSION

[50]  S’appuyant sur l’analyse qui précède, le Tribunal conclut que l’exigence du paragraphe 37.1(1) de la LMSI a été respectée, en ce que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre

 



[1] .  Comme la branche de production nationale est déjà établie, le Tribunal n’a pas besoin d’examiner la question du retard.

[2] .  L.R.C., 1985, ch. S-15 [LMSI].

[3] .  Pièce PI-2018-005-05, vol. 1F à la p. 109.

[4] .  Ibid. à la p. 90.

[5] .  Ronald A. Chisholm Ltd. c. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (CF 1re inst.).

[6] .  Maïs-grain (10 octobre 2000), PI-2000-001 (TCCE) à la p. 7.

[7] .  Barres d’armature (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE) au par. 19.

[8] .  L’article 5 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) [l’Accord antidumping] et l’article 11 de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC [l’Accord sur les SMC] exigent de l’autorité chargée d’une enquête qu’elle examine l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping et de subventionnement afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête; la plainte sera rejetée ou l’enquête sera close dès que l’autorité concernée sera convaincue que les éléments de preuve relatifs au dumping et au subventionnement ou au dommage ne sont pas suffisants. L’article 5 de l’Accord antidumping et l’article 11 de l’Accord sur les SMC prévoient également qu’une simple affirmation non étayée par des éléments de preuve pertinents ne peut être jugée suffisante pour que soient respectées les exigences desdits articles.

[9] .  DORS/84-927 [Règlement].

[10] .  Lorsqu’il examine la question de savoir si les éléments de preuves indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question menacent de causer un dommage, le Tribunal se fonde sur le paragraphe 37.1(2) du Règlement, qui énonce les facteurs dont le Tribunal doit tenir compte dans son analyse de menace de dommage.

[11] .  Il ne suffit pas que le dumping ou le subventionnement contribue à un dommage sensible causé à une branche de production nationale ou à une menace de dommage sensible. Il doit exister des éléments de preuve qui démontrent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement a causé ou menacé de causer un dommage sensible. Voir Modules muraux unitisés (3 mai 2013), PI-2012-006 (TCCE) au par. 23.

[12] .  Pièce PI-2018-005-02.01, vol. 1 à la p. 33.

[13] .  Tôles d’acier résistant à la corrosion (3 juillet 2001), NQ-2000-008 (TCCE) à la p. 11.

[14] .  Pièce PI-2018-005-05, vol. 1F à la p. 113.

[15] .  Fils d’acier galvanisés (22 mars 2013), PI-2012-005 (TCCE) au par. 39.

[16] .  Tôles d’acier résistant à la corrosion (2 février 2001), PI-2000-005 (TCCE) à la p. 5.

[17] .  Pièce PI-2018-005-05, vol. 1F aux p. 114, 120.

[18] .  Une décision de décumul fondée sur les conditions de concurrence doit s’appuyer sur des éléments de preuve positifs concernant des conditions de concurrence suffisamment différentes entre les marchandises en question ou entre les marchandises en question et les marchandises similaires. Il s’agit essentiellement d’une question de fait que le Tribunal doit examiner. Voir, par exemple, Barres d’armature pour béton (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE) au par. 47; Certains feuillards et tôles plats en acier au carbone et en acier allié, laminés à chaud (17 août 2001), NQ-2001-001 (TCCE) à la p. 18.

[19] .  Pièce PI-2018-005-02.01, vol. 1 à la p. 323.

[20] .  Ibid. aux p. 198, 204, 323.

[21] .  Ibid. à la p. 204.

[22] .  Pièce PI-2018-005-02.01, vol. 1 à la p. 206; pièce PI-2018-005-03.01, vol. 2 (protégée) à la p. 259.

[23] .  Pièce PI-2018-005-03.01, vol. 2 (protégée) aux p. 243-253; vol. 2A à la p. 0.54.

[24] .  Une enquête définitive sera ouverte si l’ASFC rend une décision provisoire portant que les marchandises en question de chacun des pays exportateurs nommés sont sous-évaluées.

[25] .  Pièce PI-2018-005-03.02 (protégée), vol. 2A aux p. 13, 15.

[26] .  Pièce PI-2018-005-14 aux par. 32-35 et les pièces jointes citées en l’espèce, vol. 3; pièce PI-2018-005-02.01 aux par. 274, 297, vol. 1; ibid. à la pièce jointe 84.

[27] .  Les estimations des importations fournies dans la plainte diffèrent quelque peu des estimations de l’ASFC, mais les tendances générales sont les mêmes. Pièce PI-2018-005-03.01 (protégée), vol. 2A à la p. 0.2.

[28] .  Pièce PI-2018-005-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 230-231.

[29] .  Pièce PI-2018-002-03.01 (protégée), vol. 2A à la p. 0.3.

[30] .  En 2015, les valeurs unitaires des importations de marchandises en question provenant de Chine et de Corée étaient, respectivement, supérieures au prix moyen de vente des marchandises similaires. En 2016 et en 2017, les valeurs unitaires des importations de marchandises en question d’Inde étaient également supérieures au prix de vente des marchandises similaires. Néanmoins, les valeurs unitaires globales des importations des quatre pays en question ont créé une sous-cotation des marchandises similaires en 2016 et en 2017. Voir pièce PI‑2018‑005‑03.02, vol. 2A (protégée) aux p. 25-26; pièce PI-2018-005-03.01 (protégée), vol. 2A à la p. 0.3.

[31] .  Pièce PI-2018-005-03.01, vol. 2 (protégée) aux p. 243-247, 249-253; pièce PI-2018-002-03.01, vol. 2A (protégée) à la p. 0.54.

[32] .  Pièce PI-2018-005-03.01, vol. 2 (protégée) aux p. 244-246.

[33] .  Pièce PI-2018-005-03.01, vol. 2 (protégée) aux p. 54-55, 247-253; pièce PI-2018-002-03.01, vol. 2A (protégée) à la p. 0.54.

[34] .  Pièce PI-2018-005-02.01, vol. 1 à la p. 78.

[35] .  Particulièrement, AMD soutient que le marché nord-américain des COR est intégré et que les prix dans le nord-est des États-Unis devraient être similaires à ceux du centre du Canada.

[36] .  Pièce PI-2018-005-03.01, vol. 2 (protégée) à la p. 47.

[37] .  Sous-alinéa 37.1(1)b)(iii) du Règlement. Voir, par exemple, Acier laminé à froid (24 juillet 2018), PI-2018-002 (TCCE) au par. 74; Tubes de canalisation en acier au carbone et en acier allié (4 janvier 2018), NQ-2017-002 (TCCE) au par. 55; Tôles d’acier au carbone laminées à chaud et certaines tôles d’acier allié résistant à faible teneur (17 mai 1994), NQ-93-004 (TCCE) aux p. 23-24; Panneaux isolants en polyiso (6 mai 2010), NQ‑2009‑005 (TCCE) au par. 71.

[38] .  Pièce PI-2018-005-02.01, vol. 1 à la p. 69.

[39] .  Pièce PI-2018-005-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 230-231.

[40] .  Pièce PI-2018-005-03.01 (protégée), vol. 2A à la p. 0.2; pièce PI-2018-005-03.02 (protégée), vol. 2A à la p. 16.

[41] .  Pièce PI-2018-005-03.01 (protégée), vol. 2 à la p. 230.

[42] .  Ibid. à la p. 231.

[43] .  Pièce PI-2018-002-03.01 (protégée), vol. 2A à la p. 0.6. Remarque : les données sur l’emploi fournies avec la plainte ne concernent qu’AMD (et non Stelco).

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