Enquêtes de dommage antidumping

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Enquête préliminaire de dommage no PI-2019-001

Tiges de pompage

Décision rendue
le vendredi 29 novembre 2019

Motifs rendus
le jeudi 12 décembre 2019

 



EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant des :

TIGES DE POMPAGE

DÉCISION PROVISOIRE DE DOMMAGE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI), a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping de tiges de pompage, y compris les tiges de pompage courtes, avec ou sans guides ou manchons, conformes à la spécification 11B de l’American Petroleum Institute (API), aux normes équivalentes et aux normes exclusives, finies ou semi‑finies, faites d’acier massif (y compris l’acier au carbone, allié ou de nuances spéciales), dont le corps fait au plus 63,5 mm (2,5 po) de diamètre, plus ou moins les écarts admissibles, originaires ou exportées de la République argentine, de la République fédérative du Brésil et des États-Unis du Mexique, a causé un dommage ou un retard, ou menace de causer un dommage, selon la définition de ces termes dans la LMSI.

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 30 septembre 2019, selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert une enquête concernant le présumé dumping dommageable des marchandises susmentionnées.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la LMSI, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine par la présente que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises susmentionnées a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Jean Bédard

Jean Bédard
Membre présidant

Peter Burn

Peter Burn
Membre

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre

L’exposé des motifs sera publié d’ici 15 jours.


 

Membres du Tribunal :

Jean Bédard, membre présidant
Peter Burn, membre
Georges Bujold, membre

Personnel de soutien :

Martin Goyette, conseiller juridique principal
Shawn Jeffrey, analyste principal
Joseph Long, analyste
Chelsea Lappin, analyste
Patrick Stidwill, analyste

PARTICIPANTS :

 

Conseillers/représentants

Apergy Canada ULC – Alberta Oil Tool

Christopher J. Kent

Gerry Stobo

Christopher J. Cochlin

Andrew M. Lanouette

Marc McLaren-Caux

Michael Milne

Susana May Yon Lee

Cynthia Wallace

Melisa Celebican

Andrew Peterson

 

Tenaris Global Services (Canada) Inc.

Greg Tereposky

Daniel Hohnstein

Stephanie Desjardins

Alejandro Barragan

Graciela Jasa

 

République fédérative du Brésil

Felipe Alexandre Gomes Seqeiros

Clarissa Souza Della Nina

Davino Ribeiro de Sema

 

Gouvernement de l’Argentine

Franco A. Senilliani Melchior

Bureau de représentation au Canada – ministère de l’Économie du Mexique

Jacqueline Marquez Rojano

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               Le 9 août 2019, Alberta Oil Tool (AOT), une division d’Apergy Canada ULC, a déposé une plainte auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) alléguant que le dumping de certaines tiges de pompage originaires ou exportées de la République argentine (Argentine), de la République fédérative du Brésil (Brésil) et des États-Unis du Mexique (Mexique) (les marchandises en question) a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

[2]               Le 30 septembre 2019, l’ASFC a ouvert une enquête concernant le dumping des marchandises en question aux termes du paragraphe 31(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation[1]. Dans son énoncé des motifs concernant l’ouverture de cette enquête, l’ASFC a estimé que, pour la période du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019, les marchandises en question provenant de l’Argentine ont fait l’objet de dumping selon une marge de dumping de 7,60 %, celles provenant du Brésil selon une marge de dumping de 2,89 %, et celles provenant du Mexique selon une marge de dumping de 11,08 %, exprimée en pourcentage du prix à l’exportation[2].

[3]               En conséquence de la décision de l’ASFC d’ouvrir une enquête, le 1er octobre 2019 le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a entrepris son enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la LMSI, afin de déterminer s’il y a une indication raisonnable que le dumping des marchandises en question a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

[4]               La plainte d’AOT et la présente enquête suivent de près les conclusions du Tribunal rendues dans le cadre de l’enquête no NQ-2018-001[3] en décembre 2018, selon lesquelles le dumping et le subventionnement de tiges de pompage provenant de la Chine, définies de la même manière que les marchandises en question dans la présente enquête préliminaire, avaient causé un dommage à la branche de production nationale.

[5]               Tenaris Global Services (Canada) Inc. (Tenaris Canada) a déposé un avis de participation à l’enquête préliminaire de dommage du Tribunal mais n’a pas déposé d’observations. Selon la plainte et les éléments de preuve disponibles, Tenaris Canada est l’unique importateur de marchandises en question, et des filiales de Tenaris S.A. (Tenaris) sont les seuls producteurs et exportateurs de marchandises faisant l’objet de la présente enquête[4]. Les gouvernements de l’Argentine, du Brésil et du Mexique ont aussi déposé des avis de participation mais n’ont pas déposé d’observations. Enfin, la plaignante n’a pas non plus déposé d’observations supplémentaires après le dépôt de sa plainte.

[6]               Le 29 novembre 2019, le Tribunal a déterminé qu’il y avait des éléments de preuve qui indiquaient, de façon raisonnable, que les marchandises en question avaient causé ou menaçaient de causer un dommage à la branche de production nationale. Les motifs de cette décision sont énoncés ci-dessous.

DÉFINITION DU PRODUIT

[7]               Les marchandises en question ont été définies ainsi par l’ASFC :

Tiges de pompage, y compris les tiges de pompage courtes, avec ou sans guides ou manchons, conformes à la spécification 11B de l’American Petroleum Institute (API), aux normes équivalentes et aux normes exclusives, finies ou semi-finies, faites d’acier massif (y compris l’acier au carbone, allié ou de nuances spéciales), dont le corps fait au plus 63,5 mm (2,5 po) de diamètre, plus ou moins les écarts admissibles, originaires ou exportées de la République argentine, de la République fédérative du Brésil et des États-Unis du Mexique[5].

OBSERVATIONS D’AOT

[8]               AOT soutient dans sa plainte que l’imposition de mesures antidumping et compensatoires en conséquence des conclusions du Tribunal dans Tiges de pompage I a eu pour résultat une réduction importante du volume de tiges de pompage chinoises sur le marché canadien. AOT soutient que les marchandises en question ont remplacé les importations chinoises comme principales marchandises à bas prix sur le marché, et qu’elles se sont emparées de toute la part de marché, ou presque, qu’AOT avait perdue au profit des tiges de pompage chinoises sous-évaluées et subventionnées. AOT soutient que les importations en question ont pu s’emparer de cette part de marché à cause d’une politique de prix agressive et ce qui semble être une campagne concertée pour s’emparer de parts de marché.

[9]               AOT soutient que les marchandises en question ont causé un dommage sensible à la branche de production nationale par la sous-cotation et la compression des prix, qui ont eu des conséquences défavorables importantes sur son rendement. AOT soutient aussi que le dumping des marchandises en question représente une menace de dommage imminente et prévisible pour la branche de production nationale si aucuns droits ne sont imposés.

CADRE LÉGISLATIF

[10]           Le paragraphe 34(2) de la LMSI énonce le mandat du Tribunal en ce qui concerne les enquêtes préliminaires de dommage. Il prévoit que le Tribunal doit déterminer « si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises [en question] a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage ».

[11]           L’expression « indiquent, de façon raisonnable » n’est pas définie dans la LMSI, mais elle signifie que les éléments de preuve n’ont pas à être « concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités »[6]. La norme de preuve requise par l’expression « indiquent, de façon raisonnable » est moins élevée que celle qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage menée aux termes de l’article 42 de la LMSI[7].

[12]           Les éléments de preuve recueillis dans la phase préliminaire de la procédure sont beaucoup moins détaillés et exhaustifs que dans une enquête définitive de dommage. Tous les éléments de preuve ne sont pas disponibles à la phase préliminaire, et aucune audience n’est tenue permettant d’examiner pleinement ce qui est disponible. En conséquence, la preuve n’est pas évaluée dans la même mesure que dans une enquête définitive de dommage.

[13]           À la présente étape de l’enquête, la norme de preuve qui s’applique est moins rigoureuse que celle retenue dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, et les plaintes seront examinées libéralement. Le Tribunal accorde généralement aux plaignantes le bénéfice du doute[8].

[14]           L’issue d’une enquête préliminaire de dommage ne doit toutefois pas être tenue pour acquise[9]. De simples affirmations ne sont pas suffisantes[10]. Les plaintes, ainsi que le dossier des parties opposées, doivent être étayés d’éléments de preuve positifs et suffisants. De tels éléments de preuve doivent également être pertinents, en ce sens qu’ils répondent aux exigences de la LMSI et concernent des facteurs pertinents du Règlement sur les mesures spéciales d’importation[11].

[15]           Avant d’examiner les allégations de dommage ou de menace de dommage, le Tribunal doit définir certains paramètres du cadre d’analyse. Plus précisément, le Tribunal doit déterminer quelles marchandises produites par la branche de production nationale constituent des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en question, en plus de circonscrire la branche de production nationale qui produit ces marchandises. Cette analyse est nécessaire, car le paragraphe 2(1) de la LMSI définit le terme « dommage » comme « [l]e dommage sensible causé à une branche de production nationale » et l’expression « branche de production nationale » comme « l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires ». De plus, le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires », par rapport à toutes autres marchandises, comme suit : « Selon le cas : a) marchandises identiques aux marchandises en cause; b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause ».

MARCHANDISES SIMILAIRES ET CATÉGORIES DE MARCHANDISE

[16]           Dans sa plainte, AOT soutient que les tiges de pompage produites au pays sont des marchandises similaires aux marchandises en question et qu’il n’y a qu’une seule catégorie de marchandise. Les observations d’AOT à cet égard correspondent aux conclusions du Tribunal sur la question des marchandises similaires et des catégories de marchandise dans Tiges de pompage I[12]. Il y a aussi des éléments de preuve au dossier qui appuient ces conclusions[13]. Par conséquent, le Tribunal ne voit aucune raison pour laquelle il devrait s’écarter de ses conclusions sur ces questions rendues dans Tiges de pompage I.

[17]           Par conséquent, le Tribunal effectuera son analyse compte tenu du fait que les tiges de pompage produites au Canada qui sont de même description que les marchandises en question sont des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en question, et qu’il n’y a qu’une catégorie de marchandise.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

[18]           Les éléments de preuve indiquent qu’AOT est le seul producteur national de tiges de pompage. Par conséquent, AOT constitue la branche de production nationale. Cela correspond aux conclusions du Tribunal rendues dans Tiges de pompage I[14].

CUMUL

[19]           Dans le cadre d’une analyse définitive de dommage, le paragraphe 42(3) de la LMSI exige que le Tribunal évalue l’effet cumulatif du dumping de marchandises importées au Canada de plus d’un des pays visés si le Tribunal est convaincu que les conditions suivantes sont remplies :

a)    la marge de dumping des marchandises en question provenant de chacun des pays n’est pas minimale et le volume des marchandises importées au Canada en provenance de n’importe lequel de ces pays n’est pas négligeable

b)    l’évaluation des effets cumulatifs des marchandises en question est indiquée compte tenu des conditions de concurrence entre les marchandises de chacun des pays visés, les autres marchandises sous-évaluées, et les marchandises similaires.

[20]           Bien que le paragraphe 42(3) de la LMSI traite des enquêtes définitives de dommage, en pratique le Tribunal applique le même cadre d’analyse dans une enquête préliminaire de dommage[15].

[21]           Étant donné que les marges de dumping estimées par l’ASFC pour chacun des pays visés ne sont pas minimales, et que les volumes estimés des marchandises sous-évaluées pour chacun des pays visés ne sont pas négligeables[16], le Tribunal conclut que la première condition est remplie.

[22]           En ce qui concerne la deuxième condition, la preuve au dossier indique que les mêmes conditions de concurrence existent entre les marchandises en cause et entre les marchandises en cause et les marchandises similaires produites au pays. À cet égard, le Tribunal souligne que les tiges de pompage sont généralement produites selon la norme API 11B ou des spécifications équivalentes, ce qui suggère que les marchandises en question sont interchangeables entre elles et avec les marchandises similaires; dans Tiges de pompage I NQ[17], le Tribunal a conclu que les tiges de pompage sont des produits de base. De plus, dans la présente enquête, les marchandises en question provenant des trois pays visés sont produites et exportées par des sociétés apparentées (des filiales de Tenaris) et elles sont toutes importées au Canada par une seule société, Tenaris Canada.[18] Enfin, la plainte comprend des allégations relatives à des clients et des éléments de preuve indiquant, dans une mesure raisonnable, que les marchandises en question provenant de chacun des trois pays visés concurrencent directement les marchandises similaires produites au pays.

[23]           Compte tenu de de qui précède, le Tribunal conclut qu’il est indiqué de procéder à une évaluation de l’effet cumulatif des marchandises en question provenant de toutes les sources dans le cadre de la présente enquête préliminaire de dommage.

ANALYSE DE DOMMAGE

Volume des importations des marchandises sous-évaluées

[24]           Il n’y a pas de données statistiques publiées sur le volume des importations des tiges de pompage. AOT a estimé le volume des importations des marchandises en question (en nombre de pièces) en appliquant une valeur unitaire moyenne, estimée en se fondant sur sa connaissance du marché ayant trait aux prix des marchandises en cause, aux données accessibles au public de Statistique Canada sur la valeur des importations. De plus, AOT a fait des ajustements pour tenir compte des importations de marchandises non visées[19].

[25]           L’estimation d’AOT indique une augmentation marquée du volume des marchandises en question, en valeur absolue ainsi que par rapport à la production nationale et aux ventes nationales des marchandises similaires produites au pays, au cours de toutes les périodes prises en considération (de 2016 à 2017, de 2017 à 2018, et du premier semestre de 2018 au premier semestre de 2019)[20].

[26]           L’ASFC a effectué sa propre analyse des importations des marchandises en se fondant sur ses données sur la valeur des importations. Cette analyse indique des tendances similaires aux renseignements fournis dans la plainte[21].

[27]           Le Tribunal a appliqué les valeurs unitaires moyennes estimées fournies dans la plainte à la valeur annuelle des importations estimée par l’ASFC. Les résultats indiquent une augmentation considérable des importations en question, tant en valeur absolue que relative, de 2016 jusqu’au premier semestre de 2019. En valeur absolue, les importations en question ont augmenté de 253 % en 2017 par rapport à 2016, et d’un autre 7 % en 2018 par rapport à 2017. Cette dernière augmentation s’est produite au même moment où le marché était à la baisse. Les données sur lesquelles le Tribunal s’est fondé ne comprenaient pas de données pour le premier semestre de 2018 et, par conséquent, il n’a pu faire de comparaison entre le volume des importations des marchandises en question au premier semestre de 2018 et au premier semestre de 2019.

[28]           En résumé, les éléments de preuve indiquent de façon raisonnable qu’il y a eu une augmentation marquée du volume des importations des marchandises en question.

Effets sur les prix des marchandises similaires

[29]           Afin de démontrer que les marchandises en question exercent une pression sur les prix prévalant sur le marché, AOT s’est fondée sur des allégations de dommage spécifiques énoncées dans sa plainte.

[30]           AOT a fournis des exemples, ayant trait à des clients, de sous-cotation des prix par les marchandises en cause de juillet 2017 à janvier 2019, et de ventes perdues au profit des marchandises en cause à partir de l’imposition de droits provisoires sur les tiges de pompage provenant de la Chine jusqu’au dépôt de la plainte (troisième trimestre 2018 au deuxième trimestre 2019)[22]. Les exemples fournis sont récents et suggèrent que l’ampleur de la sous-cotation des prix par les marchandises en question est importante. Ces éléments de preuve feraient l’objet d’un examen plus approfondi dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, mais le Tribunal convient qu’ils satisfont au critère de l’indication raisonnable pour les besoins de la présente enquête préliminaire de dommage.

[31]           En ce qui concerne la compression des prix, les éléments de preuve déposés par AOT indiquent d’une façon raisonnable qu’elle n’a pas été en mesure d’augmenter ses prix de vente de façon à suivre la hausse des prix des barres en acier de qualité spéciale, lesquelles constituent une part importante des coûts directs des matières premières[23]. De plus, les états financiers d’AOT suggèrent une rentabilité réduite au niveau de la marge brute et du bénéfice net à mesure que le coût des marchandises vendues a augmenté[24].

[32]           Compte tenu du fait que la norme de preuve requise est moins élevée dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal conclut que ces éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que les marchandises en question ont donné lieu à une sous-cotation et à une compression importante des prix.

Incidence sur la branche de production nationale

[33]           Dans le cadre de son analyse en vertu de l’alinéa 37.1(1)c) du Règlement, le Tribunal tient compte de l’incidence des marchandises sous-évaluées sur la situation de la branche de production nationale et, plus précisément, de tous les facteurs et indices économiques pertinents influant sur cette situation.

[34]           Lors d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal doit déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, l’existence d’un lien de causalité entre le dumping des marchandises en question et le dommage subi selon l’incidence qu’ont sur la branche de production nationale le volume des marchandises sous-évaluées et l’effet de ces marchandises sur les prix. Le critère qui s’applique consiste à se demander si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question a, à lui seul[25], causé un dommage.

[35]           Dans la plainte, AOT soutient que les marchandises en question ont causé un dommage sensible à la branche de production nationale par la sous-cotation et la compression des prix, occasionnant une perte de revenu significative et des conséquences défavorables sur ses ventes, sa production, sur l’utilisation de sa capacité de production, sur les emplois, les investissements et la rentabilité.

[36]           Ayant examiné les éléments de preuve confidentiels et non confidentiels déposés par AOT à la lumière des facteurs pertinents, le Tribunal conclut qu’ils appuient de façon raisonnable les allégations d’AOT aux fins de la présente enquête préliminaire de dommage. Tenant compte de la norme de preuve moins élevée dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal conclut que ces éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question a causé un dommage sensible à la branche de production nationale.

[37]           Les éléments de preuve déposés par AOT indiquent une tendance négative des ventes, de l’utilisation de la capacité de production, des emplois et de la rentabilité qui semble coïncider avec l’augmentation du volume des marchandises en question[26]. Bien que ces éléments de preuve puissent ne pas être suffisants pour satisfaire au critère pertinent dans le contexte d’une enquête définitive de dommage, ils satisfont au critère de « l’indication raisonnable » pour les besoins d’une enquête préliminaire de dommage. Dans la version confidentielle de la plainte, AOT allègue aussi une autre tendance négative, qui devra être examinée plus en profondeur à l’étape de l’enquête définitive[27].

[38]           L’ampleur de l’incidence négative des marchandises sous-évaluées sur la branche de production nationale aurait été exacerbée par le fait qu’elle s’est produite alors que la branche de production nationale n’avait pas eu le temps ou l’occasion de récupérer du dommage causé par les importations sous-évaluées et subventionnées de tiges de pompage provenant de la Chine.

[39]           Dans l’ensemble, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent de façon raisonnable que la branche de production nationale a subi un dommage et que la présence accrue des marchandises sous-évaluées est une cause de ce dommage.

[40]           Au cours de l’enquête définitive de dommage, le Tribunal tiendra particulièrement compte des divers facteurs et des forces du marché qui pourraient influer sur l’état de la branche de production nationale, de façon à s’assurer pleinement de l’existence d’un lien de causalité entre le dumping des marchandises en question et le dommage sensible causé à la branche de production nationale.

ANALYSE DE MENACE DE DOMMAGE

[41]           En ce qui concerne la question de la menace de dommage, les éléments de preuve dans la plainte d’AOT se focalisent sur la probabilité du déplacement de la demande du marché des États-Unis en conséquence de la disponibilité d’une capacité de production additionnelle dans ce pays et sur la faible demande prévue dans les pays visés.

[42]           Plus particulièrement, AOT souligne qu’une nouvelle usine de Tenaris, ayant une capacité de production de 1,8 million de pièces, a été mise en service aux États-Unis en 2019. AOT estime que la capacité de production de la nouvelle usine représente 84 % de la capacité de production de Tenaris dans les trois pays visés et que les exportations de tiges de pompage provenant des pays visés vers les États-Unis représentent plusieurs fois le marché canadien au complet[28].

[43]           Le Tribunal est convaincu que les éléments de preuve déposés par AOT indiquent de façon raisonnable que cette capacité de production additionnelle aux États-Unis encouragera probablement davantage les exportations des marchandises en question vers le Canada en déplaçant les exportations provenant des pays visés destinées auparavant aux États-Unis.

[44]           AOT soutient aussi que les conditions du marché dans les trois pays visés encourageront davantage les exportations des marchandises en question vers le Canada. À l’appui de ces allégations, AOT a déposé des éléments de preuve indiquant que la demande pour les marchandises en question (qui ne sont utilisées que pour l’extraction de pétrole dans des puits terrestres) dans chacun des pays visés sera probablement faible.

[45]           Les éléments de preuve déposés par AOT à cet égard appuient de façon raisonnable ses allégations. Ils indiquent (i) des niveaux de production de pétrole décroissants au Mexique et le haut niveau d’endettement de PEMEX (le producteur de pétrole propriété de l’État), ce qui jette un doute sur sa capacité d’investissement afin d’augmenter sa production de pétrole à partir de ses puits terrestres[29], (ii) une réduction et même possiblement l’arrêt de la production de pétrole dans les puits terrestres du Brésil[30], (iii) des prévisions incertaines ou négatives en ce qui concerne la production de pétrole dans l’important gisement de pétrole de schiste de Vaca Muerte en Argentine à cause des coûts élevés de production, de la récession en Argentine et par conséquent la réduction du programme de subvention de l’Argentine au secteur pétrolier, et de la réduction des investissements par l’entreprise pétrolière publique, YPF[31].

[46]           De plus, AOT allègue, et le Tribunal accepte, qu’en l’absence de protection, le taux important d’augmentation, en valeur absolue et relative, de la présence des marchandises en question sur le marché canadien au cours des dernières années se poursuivra dans un avenir prévisible, et que les marchandises en question continueront d’exercer une pression importante à la baisse sur les prix des marchandises similaires.

[47]           AOT, dans sa plainte confidentielle, a aussi indiqué un autre facteur qui, selon elle, contribuera probablement à la menace de dommage résultant des importations en question au cours des prochains 12 à 24 mois[32]. Le Tribunal accepte, à cette étape préliminaire, que ce facteur confidentiel appuie une conclusion selon laquelle il y a une indication raisonnable que le dumping des marchandises en question menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

[48]           Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est aussi d’avis que les éléments de preuve versés au dossier par AOT sont suffisants pour conclure qu’il y a une indication raisonnable que le dumping des marchandises en question menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

CONCLUSION

[49]           Le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en question a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Jean Bédard

Jean Bédard
Membre présidant

Peter Burn

Peter Burn
Membre

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre

 



[1]      L.R.C. (1985), ch. S-15 [LMSI]

[2]      Pièce PI-2019-001-05, vol. 1, tableau 2, p. 34.

[3]      Tiges de pompage (14 décembre 2018), NQ-2018-001 (TCCE) [Tiges de pompage I NQ].  

[4]      Pièce PI-2019-001-02.01, vol. 1, p. 117-119; pièce PI-2019-001-03.02 (protégée), vol. 2, p. 4-5.

[5]      Pièce PI-2019-001-05, vol. 1, p. 26. L’exposé des motifs de l’ASFC comprend aussi des renseignements supplémentaires décrivant les marchandises en question.

[6]      Ronald A. Chisholm Ltd. v. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (FCTD).

[7]      Maïs-grain (10 octobre 2000), PI-2000-001 (TCCE) à la p. 7.

[8]      Tiges de pompage I PI (17 juillet 2018), PI-2018-001 (TCCE) [Tiges de pompage I PI], par. 13; Certains éléments d’acier de fabrication industrielle (10 novembre 2016), PI-2016-003 (TCCE), par. 13.

[9]      Barres d’armature en béton (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE), par. 18-19.

[10]     L’article 5 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit que les autorités chargées des enquêtes doivent examiner l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête, et qu’elles doivent rejeter ou clore une enquête dès qu’elles sont convaincues que les éléments de preuve relatifs au dumping ou au dommage ne sont pas suffisants. L’article 5 précise par ailleurs que de simples affirmations non étayées par des éléments de preuve pertinents ne peuvent suffire à satisfaire aux prescriptions de l’article.

[11]     D.O.R.S./84-927 [Règlement].                                                                     

[12]     Tiges de pompage I PI, par. 20; Tiges de pompage I NQ, par. 39.

[13]     Pièce PI-2019-001-03.02 (protégée), vol. 2, p. 9.

[14]     Tiges de pompage I NQ, par. 42.

[15]     Fils d’acier galvanisés (22 mars 2013), PI-2012-005 (TCCE) au par. 40; Tôles d’acier résistant à la corrosion (2 février 2001), PI-2000-005 (TCCE) aux p. 4, 5.

[16]     Pièce PI-2019-001-05, vol. 1, par. 108; pièce PI-2019-001-03.02, vol. 2 à la p. 23.

[17]     Tiges de pompage I NQ, par. 46.

[18]     Supra, par. [5]; pièce PI-2019-001-02.01, vol. 1, aux p. 117-119; pièce PI-2019-001-03.02 (protégée), vol. 2, aux p. 4-5.

[19]     La méthodologie d’AOT est décrite davantage dans la pièce PI-2018-03.01 (protégée), vol. 2, par. 86-92 aux p. 32-33.

[20]     Pièce PI-2019-001-03.01 (protégée), vol. 2, par. 93-96 aux p. 34-35.

[21]     Pièce PI-2010-001-05, vol. 1, par. 44 è la p. 31; voir aussi pièce PI-2019-001-03.02 (protégée), vol. 2 aux p. 13-15.

[22]     Pièce PI-2019-001-03.01 (protégée), vol. 2, par. 98 et tableau 10 aux p. 36-37 et par. 16-32 aux p. 504-512.

[23]     Pièce PI-2019-001-03.01 (protégée), vol. 2, par. 33-46 aux p. 512-518 et p. 58.

[24]     Pièce PI-2019-001-03.01 (protégée), vol. 2 à la p. 228.

[25]     Plaques de plâtre (5 août 2016), PI-2016-001 (TCCE) au par. 44; Fils machine de cuivre (30 octobre 2006), PI-2006-002 (TCCE) aux par. 40, 43; Fils d’acier galvanisés (22 mars 2013), PI-2012-005 (TCCE) au par. 75; Tubes en cuivre circulaires (22 juillet 2013), PI-2013-002 (TCCE) au par. 82.

[26]     Pièce PI-2019-001-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 43-44, 228, 477 et 660.

[27]     Pièce PI-2019-001-03.01 (protégée), vol. 2, par. 110 à la p. 42 et par. 50-52 aux p. 519-520.

[28]     Pièce PI-2019-001-02.01, vol. 1 aux p. 45-47 et 397-400.

[29]     Pièce PI-2019-001-02.01, vol. 1 aux p. 409, 424-428 et 876-879.

[30]     Pièce PI-2019-001-02.01, vol. 1 aux p. 421-423, 432-433.

[31]     Pièce PI-2019-001-02.01, vol. 1 aux p. 802-804, 807-810, 814-816, 818-874.

[32]     Pièce PI-2019-001-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 52 et 519-520.

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