Enquêtes de dommage antidumping

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Enquête préliminaire de dommage no PI-2020-001

Tôles fortes

Décision rendue

le lundi 27 juillet 2020

Motifs rendus
le mardi 11 août 2020

 



EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant des :

TÔLES FORTES

DÉCISION PROVISOIRE DE DOMMAGE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI), a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping de certaines tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud, n’ayant subi aucun autre complément d’ouvraison que le laminage à chaud, traitées thermiquement ou non, coupées à longueur, d’une largeur plus grande que 72 pouces (+/‑ 1 829 mm) à 152 pouces (+/‑ 3 860 mm) inclusivement, et d’une épaisseur variant de 0,375 pouce (+/‑ 9,525 mm) jusqu’à 4,5 pouces (114,3 mm) inclusivement (dont les dimensions sont plus ou moins exactes afin de tenir compte des tolérances admissibles incluses dans les normes applicables), originaires ou exportées du Territoire douanier distinct de Taiwan, Penghu, Kinmen et Matsu (Taipei chinois), de la République fédérale d’Allemagne, de la République de Corée, de la Fédération de Malaisie et de la République de Turquie (les marchandises en question), à l’exclusion :

  • des tôles en bobines,

  • des tôles dont la surface présente par intervalle un motif laminé en relief (aussi appelées « tôles de plancher »),

  • des tôles originaires ou exportées de la République de Corée qui sont couvertes par les conclusions du Tribunal dans NQ-2013-005,

a causé un dommage ou un retard, ou menace de causer un dommage, selon la définition de ces termes dans la LMSI. Il demeure entendu que les marchandises en question incluent des tôles d’acier qui contiennent de l’acier allié en plus grande quantité que ce qui est toléré selon les normes de l’industrie à condition que l’acier ne réponde pas aux exigences des normes de l’industrie en matière de nuance d’alliage de tôle d’acier.

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 27 mai 2020, selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert une enquête concernant le présumé dumping dommageable des marchandises susmentionnées.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la LMSI, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine par la présente que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises susmentionnées a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre


 

Membres du Tribunal :

Randolph W. Heggart, membre présidant
Susan D. Beaubien, membre
Serge Fréchette, membre

Personnel de soutien :

Kalyn Eadie, conseillère juridique principale
Heidi Lee, conseillère juridique
Gayatri Shankarraman, analyste principale
Rebecca Campbell, analyste
Mylène Lanthier, analyste

PARTICIPANTS :

Producteurs nationaux

Conseillers/représentants

Algoma Steel Inc.

Benjamin P. Bedard

Drew Tyler

Linden Dales

Shannel J. Rajan

Lydia Blois

Greg Landry

Meagan Vestby

Nasrudin Mumin

Annie Arko

SSAB Central Inc.

Alison G. FitzGerald

Erika Woolgar

Importateurs/exportateurs/autres

Conseillers/représentants

Acier Wirth Steel

China Steel Corporation

Ilsenburger Grobblech GmbH

Salzgitter Mannesmann Grobblech GmbH

Salzgitter Mannesmann International (Canada) Inc.

Peter Clark

Barry Desormeaux

POSCO

Jesse Goldman

Jacob Mantle

Julia Webster

Sam Levy

Alberta Pressure Vessel Manufacturers’ Association

Victoria Bazan

Syndicat des Métallos

Craig Logie

Marmen Inc. et Marmen Énergie Inc.

Maxime Gagnier

ASTCO Canada

Andy Choi

Hyundai Steel Company

Joong-Won Lee

Erdemir

Bugrahan Eldelekli

Fatih Citak

Arda Onkok

Ministère du Commerce de la République de Turquie

Aysegul Sahinoglu Yerdes

Ministère du Commerce international et de l’Industrie de Malaisie

Ahmad Zaidi Bin Mohd Ilias

Sujata Muniandy

JK JI Seng Sdn Bhd

Bee Chooi Tan

JI Kang Dimensi Sdn Bhd

Lai Yin Yeong

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1]  Le 6 avril 2020, Algoma Steel Inc. a déposé une plainte auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) dans laquelle elle affirme que le dumping de certaines tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud, originaires ou exportées du Territoire douanier distinct de Taiwan, Penghu, Kinmen et Matsu (Taipei chinois), de la République fédérale d’Allemagne (Allemagne), de la République de Corée (Corée du Sud), de la Fédération de Malaisie (Malaisie) et de la République de Turquie (Turquie) (les marchandises en cause) a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale [1] .

[2]  Le 27 mai 2020, l’ASFC a ouvert une enquête portant sur le dumping des marchandises en cause, conformément au paragraphe 31(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [2] . D’après les estimations de l’ASFC, les marchandises en cause avaient été sous-évaluées selon les marges de dumping suivantes, exprimées en pourcentage du prix à l’exportation : 24,9 p. 100 pour le Taipei chinois, 23,3 p. 100 pour l’Allemagne, 17,2 p. 100 pour la Malaisie, 16,9 p. 100 pour la Corée du Sud et 44,5 p. 100 pour la Turquie [3] .

[3]  Le 28 mai 2020, le Tribunal canadien du commerce international a entrepris son enquête préliminaire de dommage, conformément au paragraphe 34(2) de la LSMI.

[4]  La plainte est appuyée par SSAB Central Inc. (SSAB) et Janco Steel Ltd. (Janco).

[5]  Le Tribunal a reçu des observations s’opposant à la plainte de la part de trois importateurs : Acier Wirth Steel (Wirth), Marmen Inc. et Marmen Énergie Inc. (Marmen) et Salzgitter Mannesmann International (Canada) Inc. (Salzgitter).

[6]  Le Tribunal a également reçu des observations s’opposant à la plainte de la part de quatre producteurs étrangers : China Steel Corporation (CSC), Erdemir, Ilsenburger Grobblech GmbH (ILG) et POSCO [4] . Algoma et SSAB ont déposé des observations à l’appui de la plainte.

[7]  Le 27 juillet 2020, le Tribunal a déterminé que les éléments de preuve indiquaient, de façon raisonnable, que les marchandises en cause avaient causé un dommage ou menaçaient de causer un dommage à la branche de production nationale. Les motifs de cette décision sont énoncés ci-après.

DÉFINITION DU PRODUIT

[8]  L’ASFC a défini les marchandises en cause de la façon suivante :

Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud, n’ayant subi aucun autre complément d’ouvraison que le laminage à chaud, traitées thermiquement ou non, coupées à longueur, d’une largeur plus grande que 72 pouces (+/‑ 1 829 mm) à 152 pouces (+/‑ 3 860 mm) inclusivement, et d’une épaisseur variant de 0,375 pouce (+/‑ 9,525 mm) jusqu’à 4,5 pouces (114,3 mm) inclusivement (dont les dimensions sont plus ou moins exactes afin de tenir compte des tolérances admissibles incluses dans les normes applicables), à l’exclusion :

  • des tôles en bobines,

  • des tôles dont la surface présente par intervalle un motif laminé en relief (aussi appelées « tôles de plancher »),

  • et des tôles originaires ou exportées de la République de Corée qui sont couvertes par les conclusions du Tribunal canadien du commerce extérieur dans NQ-2013-005.

Il demeure entendu que les marchandises en cause incluent des tôles d’acier qui contiennent de l’acier allié en plus grande quantité que ce qui est toléré selon les normes de l’industrie à condition que l’acier ne réponde pas aux exigences des normes de l’industrie en matière de nuance d’alliage de tôle d’acier [5] .

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Demande pour la tenue d’une audience

[9]  Dans ses observations, ILG a demandé à ce que le Tribunal tienne une audience dans le cadre de son enquête préliminaire de dommage.

[10]  ILG reconnaît qu’il est exceptionnel que le Tribunal tienne une audience pendant une enquête préliminaire, mais elle fait valoir qu’une audience a eu lieu dans Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud, car le Tribunal a identifié des questions qui devaient être considérées par l’envoi de questionnaires et par l’interrogation des témoins [6] . ILG soutient que, en l’occurrence, une audience doit aussi avoir lieu pour permettre l’évaluation de la preuve présentée dans la plainte et se pencher sur les questions liées à l’augmentation croissante de la part du marché national, conjuguée aux effets du volume et du prix des importations provenant des États-Unis.

[11]  Algoma s’oppose à la demande pour la tenue d’une audience. Selon elle, le Tribunal tient des audiences pendant une enquête préliminaire uniquement dans le cadre d’affaires exceptionnelles, où le contre-interrogatoire concernant une question est un élément crucial permettant au Tribunal de rendre une décision.

[12]  Algoma soutient que de telles circonstances exceptionnelles n’existent pas en l’espèce et qu’ILG n’a recensé aucun document ni aucune question en particulier pour lequel un contre‑interrogatoire ou d’autres observations sont requis. Selon Algoma, la tenue d’une audience n’est pas justifiée simplement parce qu’une plainte ne renferme pas de détails suffisants pour permettre de constituer le dossier du Tribunal dans le cadre d’une enquête aux termes de l’article 42 ou parce qu’une plaignante n’est pas raisonnablement en mesure d’obtenir des renseignements auprès de tiers.

[13]  Le 10 juillet 2020, le Tribunal a envoyé une lettre aux parties dans laquelle il a refusé la demande d’ILG et les a informés que les motifs de la décision interlocutoire seraient inclus dans le présent exposé des motifs [7] .

[14]  La demande d’ILG pour la tenue d’une audience est principalement fondée sur la prétention d’ILG selon laquelle elle doit « évaluer » [traduction] la preuve présentée dans la plainte. Comme expliqué ci-après, la norme de preuve requise en l’espèce est moins rigoureuse que celle retenue dans le cadre d’une enquête définitive de dommage et les plaintes font l’objet d’un examen plus libéral. Par conséquent, cet objectif dépasse la portée d’une enquête préliminaire de dommage.

[15]  De plus, la question (soulevée par ILG) relative à l’augmentation apparente de la part de marché de la branche de production nationale est analysée dans les observations des parties. Les éléments de preuve concernant cet indicateur de rendement seront examinés dans le cadre de l’évaluation du Tribunal pour déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’un dommage a été causé ou qu’il existe une menace de dommage. 

[16]  Les autres motifs invoqués par ILG à l’appui de sa demande pour la tenue d’une audience sont des questions qui peuvent faire l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, où ils peuvent être évalués en fonction d’un dossier de preuve complet (notamment un rapport d’enquête préparé à la suite d’une cueillette exhaustive de données concernant les importations de tôles fortes et le marché canadien des tôles fortes). 

Arguments concernant le volume des importations de la Corée du Sud

[17]  POSCO soutient que la plainte ne renferme pas d’éléments de preuve suffisants pour permettre au Tribunal d’établir l’existence d’une indication raisonnable de dommage, car l’ASFC a déterminé de façon erronée que les renseignements sur les volumes des importations de la Corée du Sud étaient complets et qu’elle a décidé à tort d’ouvrir une enquête. Plus particulièrement, POSCO fait valoir, d’une part, que la plaignante aurait dû prendre des mesures pour faire en sorte que les importations de marchandises en cause dans l’enquête nNQ-2013-005 soient retirées des estimations des volumes des importations de marchandises en cause figurant dans la plainte et, d’autre part, que l’ASFC aurait dû s’assurer que les plaignantes prennent ces mesures avant de conclure que le dossier de plainte était complet.

[18]  POSCO affirme aussi que, même si l’ASFC a calculé ses propres volumes d’importations en se fondant sur les données douanières dont elle disposait (y compris les ajustements pour l’exclusion des marchandises qui ne font pas partie de la définition du produit) [8] , l’ASFC n’a pas communiqué avec les importateurs pour corroborer ses calculs [9] . Pour cette raison, selon POSCO, les estimations de l’ASFC des volumes d’importations ne peuvent être considérées comme précises. POSCO souligne en outre que l’ASFC n’a pas fourni d’estimation des volumes d’importations et n’a effectué aucune évaluation du caractère négligeable durant la période choisie pour l’enquête de dumping, soit du 1er mars 2019 au 29 février 2020.

[19]  POSCO demande donc au Tribunal de conclure qu’il n’existe aucune indication raisonnable de dommage et de clore l’enquête pour ce qui est de la Corée du Sud.

[20]  Subsidiairement, POSCO demande que le Tribunal ordonne à l’ASFC de calculer immédiatement les volumes d’importations de la Corée du Sud durant la période d’enquête relative au dumping et de clore l’enquête sur la Corée du Sud, conformément à l’alinéa 35(1)a) de la LMSI, si le volume est en deçà du seuil relatif au caractère négligeable.

[21]  En réponse à ces arguments, Algoma soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner la décision de l’ASFC selon laquelle le dossier de la plainte était déclaré complet ou pour examiner la décision de l’ASFC d’ouvrir une enquête. Par ailleurs, selon Algoma, le Tribunal n’a pas compétence pour examiner la décision de l’ASFC de clore une enquête en application de l’alinéa 35(1)a) et il ne peut ordonner à l’ASFC de prendre des mesures en conformité avec cette disposition.

[22]  Algoma affirme aussi que, pour ce qui est des volumes d’importations, le dossier de la plainte était bien constitué puisqu’il renfermait les meilleurs renseignements à sa disposition. Plus particulièrement, les renseignements qui auraient permis à Algoma de retirer de ses estimations les importations provenant de la Corée du Sud visées par l’enquête no NQ-2013-005 ne sont pas du domaine public. Selon Algoma, l’ASFC n’a aucune obligation de communiquer avec les importateurs pour corroborer ses données sur l’importation. Le fait que l’ASFC n’ait pas procédé de cette façon ne rend pas les données sur l’importation de l’ASFC si peu fiables qu’elles ne permettent pas de conclure à l’existence d’une indication raisonnable de dommage. Enfin, Algoma fait valoir que POSCO n’a pas expliqué pourquoi la décision de l’ASFC d’évaluer le caractère négligeable en se fondant sur les données de 2019, plutôt que sur celles de la période choisie pour l’enquête de dumping, mènerait à la conclusion que les éléments de preuve n’indiquent pas, de façon raisonnable, qu’un dommage a été causé.

[23]  Dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal a pour mandat d’effectuer une évaluation indépendante pour déterminer si les éléments de preuves indiquent, de façon raisonnable, qu’un dommage a été causé. Le Tribunal n’examine pas les décisions de l’ASFC de déclarer le dossier d’une plainte complet ou d’ouvrir une enquête.

[24]  Le Tribunal n’est pas d’avis que la preuve sur les volumes d’importations soit tellement inexacte qu’il devrait conclure qu’il n’existe aucune indication raisonnable de dommage pour ce qui est de la Corée du Sud.

[25]  Comme mentionné ci-après, une enquête préliminaire de dommage se fonde nécessairement sur des renseignements qui peuvent ne pas être complets ou entièrement validés. Pour ce qui est des données du dossier relatives aux volumes, le Tribunal accepte l’affirmation de la plaignante selon laquelle elle a fondé ses estimations sur les meilleurs renseignements à sa disposition et que les données sur les volumes d’importations provenant de la Corée du Sud (visées par l’enquête nNQ‑2013-005) ne sont pas du domaine public.

[26]  Le Tribunal se fie habituellement aux estimations des volumes d’importations de l’ASFC (si ces renseignements sont disponibles) précisément parce qu’il reconnaît que l’ASFC a accès à des données douanières, lesquelles sont en général plus précises que les données que peuvent fournir les parties.

[27]  En outre, le Tribunal ne considère pas que la décision de l’ASFC de ne pas communiquer avec les importateurs pour corroborer les estimations fondées sur ses propres données douanières rende les données relatives aux volumes des importations si peu fiables que le Tribunal devrait conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve permettant d’indiquer, de façon raisonnable, qu’un dommage a été causé. Comme mentionné ci-dessus, l’ASFC a pris plusieurs mesures, lesquelles sont décrites dans l’analyse confidentielle de la plainte, pour s’assurer que ses estimations des volumes d’importations soient les plus exactes possible. 

[28]  Enfin, l’analyse relative à l’existence d’une indication raisonnable de dommage ne s’arrête pas aux volumes d’importations; elle englobe aussi l’examen de plusieurs facteurs. L’analyse du Tribunal relative à l’existence d’une indication raisonnable de dommage (ou de menace de dommage), qui porte sur l’ensemble des facteurs pertinents, figure ci-après.

[29]  Pour ce qui est de l’argument subsidiaire de POSCO, rien dans la LMSI ou dans la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur n’indique que le Tribunal peut ordonner au président de l’ASFC de respecter l’obligation énoncée à l’alinéa 35(1)a). Le pouvoir de clore une enquête au motif que les volumes d’importations sont négligeables demeure la compétence de l’ASFC jusqu’à ce qu’une décision provisoire de dumping soit rendue. Cette décision n’a toujours pas été rendue.

CADRE LÉGISLATIF

Indication raisonnable

[30]  Le paragraphe 34(2) de la LMSI énonce le mandat du Tribunal en ce qui concerne les enquêtes préliminaires de dommage. Il prévoit que le Tribunal doit déterminer « si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping [...] des marchandises [en cause] a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage » [10] .

[31]  L’expression « indiquent, de façon raisonnable » n’est pas définie dans la LMSI, mais elle signifie que les éléments de preuve n’ont pas à être « concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités » [11] [traduction]. La norme de preuve requise est moins élevée que celle qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage menée aux termes de l’article 42 de la LMSI [12] .

[32]  Toutefois, l’issue d’une enquête préliminaire de dommage ne doit toutefois pas être tenue pour acquise [13] . De simples affirmations ne sont pas suffisantes [14] . Les plaintes, ainsi que le dossier des parties opposées, doivent être étayés d’éléments de preuve positifs et suffisants. De tels éléments de preuve doivent également être pertinents, en ce sens qu’ils répondent aux exigences de la LMSI et concernent des facteurs pertinents du Règlement sur les mesures spéciales d’importation, et ce, d’une manière suffisamment convaincante à la présente étape de l’enquête [15] .

[33]  ILG affirme que, dans les enquêtes préliminaires, le seuil établi sur le plan de la preuve n’est pas assez élevé, comme le démontre le fait que le Tribunal conclut très rarement qu’il n’y a pas d’indication raisonnable de dommage. ILG affirme que l’on ne devrait pas accorder aux parties le « bénéfice du doute ».

[34]  En réponse, Algoma soutient qu’ILG semble s’attendre à ce que les plaignantes parviennent à satisfaire à la norme de preuve applicable à l’enquête définitive de dommage.

[35]  Pour ce qui est des enquêtes préliminaires de dommage, le législateur a établi le seuil sur le plan de la preuve à l’article 37.1 de la LMSI. L’interprétation du Tribunal de la norme de preuve requise dans une enquête préliminaire de dommage, exposée ci-dessus, a été soigneusement conçue de façon à respecter les exigences prévues par la LMSI et les accords de l’OMC. Le Tribunal doit examiner les éléments de preuve au dossier en fonction de cette norme, en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire.

[36]  ILG affirme que l’on ne devrait pas accorder aux plaignantes le « bénéfice du doute ». Certes, pour décrire la norme de preuve requise par l’expression « indique, de façon raisonnable », le Tribunal a parfois invoqué le bénéfice du doute [16] , ce qui illustre simplement le fait que, à cette étape peu avancée de l’enquête, la norme de preuve applicable pour ce qui est de l’indication raisonnable de dommage ou de menace de dommage n’exige pas que les éléments de preuve puissent satisfaire au seuil plus élevé sur le plan de la fiabilité et de la force probante qui est établi dans le contexte d’une enquête définitive de dommage.

MARCHANDISES SIMILAIRES ET CATÉGORIES DE MARCHANDISE

[37]  Pour déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause a causé ou menace de causer un dommage aux producteurs nationaux de marchandises similaires, le Tribunal doit d’abord définir quelles sont les marchandises similaires par rapport aux marchandises en cause. Il peut également examiner si les marchandises en cause constituent une ou plusieurs catégories de marchandise.

[38]  Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires » par rapport à toutes autres marchandises de la façon suivante :

a) marchandises identiques aux marchandises en cause;

b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause.

[39]  Pour trancher la question des marchandises similaires et des catégories de marchandise, le Tribunal tient généralement compte d’un certain nombre de facteurs, y compris les caractéristiques physiques des marchandises (comme leur composition et leur apparence) et leurs caractéristiques de marché (comme la substituabilité, les prix, les circuits de distribution, les utilisations finales et la question de savoir si elles répondent aux mêmes besoins des clients).

[40]  Algoma soutient que les tôles de production nationale sont des marchandises similaires aux marchandises en cause et qu’il n’y a qu’une seule catégorie de marchandise. Elle fait valoir que les marchandises en cause et les marchandises similaires sont des produits de base parfaitement interchangeables qui se font concurrence sur le marché canadien. 

[41]  ILG soutient que les tôles ne sont pas un produit de base, car ce ne sont pas toutes les formes de tôles qui peuvent être substituées les unes aux autres. Selon ILG, différents types de tôles possèdent différentes propriétés et caractéristiques et sont destinées à des utilisations finales particulières. Cependant, ILG affirme également qu’elle ne souhaite pas soulever de questions liées aux marchandises similaires et aux catégories de marchandise.

[42]  En réponse, Algoma soutient qu’ILG n’a fourni aucun renseignement ni élément de preuve concernant les types de tôles qui pourraient constituer une catégorie distincte de marchandise.

[43]  Le Tribunal a conclu à maintes reprises que les tôles de production nationale et les tôles importées étaient interchangeables sur le plan des caractéristiques physiques et des caractéristiques de marché, et que ces produits de base se livraient concurrence sur le marché canadien en grande partie en fonction du prix [17] .

[44]  Pour ce qui est des tôles fortes, la preuve présentée par la plaignante permet d’appuyer la même conclusion : les tôles fortes de production nationale et importées sont des produits de base interchangeables, utilisés pour les mêmes applications et vendus au moyen des mêmes réseaux de distribution [18] .

[45]  Par conséquent, le Tribunal fondera son analyse sur la prémisse suivante : les tôles fortes de production nationale dont la description est la même que celle des marchandises en cause sont des « marchandises similaires » aux marchandises en cause et il existe une seule catégorie de marchandise.

PRODUCTION NATIONALE

[46]  Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit la « branche de production nationale » de la façon suivante :

[...] l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires. Peut toutefois en être exclu le producteur national qui est lié à un exportateur ou à un importateur de marchandises sous-évaluées ou subventionnées, ou qui est lui-même un importateur de telles marchandises.

[47]  Le Tribunal doit donc déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’un dommage ou une menace de dommage soit causé aux producteurs nationaux dans leur ensemble ou aux producteurs nationaux dont la production constitue une proportion majeure de la production collective de marchandises similaires [19] .

[48]  La plainte a recensé six producteurs nationaux de marchandises similaires, à savoir Algoma, Janco, SSAB, Samuel Son & Co., Tidy Steel-Fab Ltd. et Varsteel Ltd. Selon la plaignante, Algoma est la seule aciérie au Canada qui produit des tôles fortes. Les autres producteurs énumérés sont des centres de services qui achètent des bobines d’acier de différentes épaisseurs de tôles et les coupent en longueurs rectilignes pour en faire des tôles fortes. Le Tribunal a conclu à maintes reprises que les centres de service sont des producteurs de tôles et qu’ils doivent être inclus dans la branche de production nationale [20] .

[49]  Le dossier de la présente enquête préliminaire de dommage renferme les données relatives à la production nationale d’Algoma, ainsi que les estimations de la production nationale de SSAB et Janco. Les données relatives aux ventes sur le marché intérieur et les données financières figurant dans la plainte concernent uniquement Algoma. Selon la preuve, la production d’Algoma représente une proportion majeure de la production totale de marchandises similaires [21] . Par conséquent, aux fins de l’enquête préliminaire de dommage, le Tribunal évaluera le dommage relativement au rendement d’Algoma. Le Tribunal se penchera sur le rôle des autres producteurs dans le contexte de l’enquête définitive de dommage. 

CUMUL

[50]  Dans le cadre d’une analyse définitive de dommage, le paragraphe 42(3) de la LMSI exige que le Tribunal évalue l’effet cumulatif du dumping de marchandises importées au Canada de plus d’un des pays visés si le Tribunal est convaincu que les conditions suivantes sont remplies :

a) la marge de dumping des marchandises en cause provenant de chacun des pays n’est pas minimale et le volume des marchandises importées au Canada en provenance de n’importe lequel de ces pays n’est pas négligeable;

b) l’évaluation des effets cumulatifs des marchandises en cause est indiquée compte tenu des conditions de concurrence entre les marchandises de chacun des pays visés, les autres marchandises sous-évaluées, et les marchandises similaires.

[51]  Bien que le paragraphe 42(3) de la LMSI traite des enquêtes définitives de dommage, le Tribunal applique généralement le même cadre d’analyse dans une enquête préliminaire de dommage [22] . Le Tribunal estime normalement que le fait de ne pas évaluer les effets cumulatifs des marchandises en cause dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage est un cas d’exception lorsque les éléments de preuve disponibles semblent justifier le cumul.

[52]  Le Tribunal évalue habituellement le caractère négligeable en se fondant sur les estimations des volumes de l’ASFC durant la période visée par l’enquête de dumping. Comme mentionné ci‑dessus, l’ASFC n’a pas fourni d’estimation concernant le caractère négligeable liée à la période choisie pour l’enquête de dumping, mais elle souligne dans ses motifs que le volume des importations de la Corée du Sud représentait 2,9 p. 100 des importations totales en 2019, ce qui est juste en deçà du seuil relatif au caractère négligeable de 3 p. 100 des importations totales, comme le prévoit le paragraphe 2(1) de la LMSI [23] .

[53]  Algoma soutient que l’estimation préliminaire de l’ASFC selon laquelle les importations de tôles fortes provenant de la Corée du Sud en 2019 représentaient 2,9 p. 100 des importations totales n’est pas une raison valable pour que les importations sud-coréennes soient exclues du cumul. Aucune des parties n’a demandé l’exclusion du cumul pour ce motif. POSCO a présenté des observations détaillées concernant les volumes des importations de la Corée du Sud, mais elle n’y mentionne pas le cumul.

[54]  Algoma affirme également que, à cette étape-ci de l’instance, seule l’ASFC peut trancher la question du caractère négligeable. Par conséquent, le Tribunal commettrait une erreur s’il excluait du cumul les importations de la Corée du Sud, ce qui pourrait faire en sorte que le Tribunal mette fin à la procédure contre la Corée du Sud, en se fondant uniquement sur le caractère négligeable.

[55]  Le Tribunal s’est penché sur une situation semblable dans l’enquête préliminaire de dommage pour Certains éléments d’acier de fabrication industrielle. Dans cette affaire, la majorité des membres du Tribunal a estimé qu’une preuve selon laquelle les volumes d’importations sont peut-être en deçà du seuil relatif au caractère négligeable pourrait justifier un examen approfondi en vue de déterminer s’il existe une indication raisonnable de dommage en ce qui concerne ce pays. Cet examen plus approfondi pourrait être réalisé en procédant à une évaluation de façon décumulée [24] .

[56]  Le Tribunal a ensuite évalué si les volumes d’importations des Émirats arabes unis, du Royaume-Uni et de l’Espagne étaient négligeables. Le Tribunal a décidé de ne pas procéder de façon cumulée en ce qui concerne les Émirats arabes unis, car les volumes des importations estimés étaient bien en deçà du seuil de 3 p. 100 durant la période visée par l’enquête. Cependant, le Tribunal a décidé d’appliquer le cumul au Royaume-Uni et à l’Espagne, car les estimations de leurs volumes n’étaient pas en deçà du seuil pour l’ensemble de la période visée par l’enquête.

[57]  Les tendances des importations de la Corée du Sud en l’occurrence sont semblables à celles du Royaume-Uni et de l’Espagne dans l’enquête Certains éléments d’acier de fabrication industrielle. Les volumes des importations de la Corée du Sud en 2017 et en 2018 étaient au-dessus du seuil de 3 p. 100 (3,8 p. 100 en 2017 et 8,8 p. 100 en 2018) [25] . Par ailleurs, le Tribunal fait remarquer que les données pour 2019, soit 2,9 p. 100, sont très près du seuil. 

[58]  Enfin, le Tribunal souligne que l’ASFC fournira des estimations mises à jour lors de la détermination préliminaire de dumping ou avant celle-ci, en conformité avec que le mandat qui lui est conféré à l’alinéa 35(1)a). Compte tenu de tous ces facteurs, le Tribunal considère que, concernant la Corée du Sud, il est prudent de procéder de façon cumulée et de ne pas recourir à l’examen approfondi que suppose l’analyse non cumulée.

[59]  Pour ce qui est des autres conditions relatives au cumul, aucune marge de dumping n’est négligeable. Rien n’indique que les conditions de concurrence entre les marchandises en cause et les marchandises similaires feraient en sorte que le cumul ne serait pas approprié. Bien que, selon plusieurs parties qui s’opposent à la plainte, il n’existe aucune indication raisonnable que les importations de sources individuelles aient causé des dommages, ces parties n’affirment pas que les conditions de concurrence rendent nécessaire la réalisation d’une analyse distincte des importations provenant de ces sources.

[60]  Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que la preuve dont il dispose appuie le cumul et il procédera à une évaluation de l’effet cumulatif des marchandises en cause provenant de toutes les sources aux fins de la présente enquête préliminaire de dommage.

ANALYSE DE DOMMAGE

[61]  Algoma soutient que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’un dommage important a été causé à la branche de production nationale en raison de la sous-cotation et de la baisse des prix.

[62]  Algoma souligne que les importations à bas prix provenant des pays visés ont fait des percées importantes sur le marché canadien, ce qui a donné lieu à une baisse des prix sur le marché canadien, avec des volumes en constante augmentation, donnant lieu à une perte des parts de marché. La branche de production nationale a perdu des revenus, ce qui a eu une incidence sur ses résultats financiers. De plus, la capacité d’utilisation a diminué, ce qui pose un risque pour les niveaux d’emploi.

Volumes d’importations des marchandises sous-évaluées

[63]  Les volumes d’importations des marchandises en cause, en valeur absolue et par rapport à la production nationale et aux ventes de la production nationale, ont augmenté en 2018 comparativement à 2017. Ils ont ensuite diminué en 2019 en deçà des niveaux de 2017. La part des importations totales des marchandises en cause a augmenté de 26 p. 100 en 2017 à 40 p. 100 en 2018, puis a diminué à 38 p. 100 en 2019 [26] .

[64]  Le Tribunal souligne que les importations des pays non visés ont également diminué considérablement durant la période visée par l’enquête, tout comme la taille du marché canadien dans son ensemble [27] . Algoma fait valoir que la diminution des importations en 2019 est attribuable à l’imposition de mesures de sauvegarde touchant les tôles fortes en février de cette année-là.

[65]  ILG affirme que les quotas sur les tôles fortes ne sont pas atteints, ce qui permet de croire que les mesures de sauvegarde ne sont pas la cause de la diminution des importations. Salzgitter et Wirth soutiennent toutes deux que les importations ne pouvaient faire concurrence aux bas prix offerts par Algoma à compter de la mi-2019 et, par conséquent, elles ont été écartées du marché.

[66]  Selon le Tribunal, l’augmentation des volumes d’importations des marchandises en cause en 2018, et le fait que la part totale des importations des marchandises en cause s’est maintenue en grande partie dans le contexte d’une diminution de l’ensemble des importations et de la contraction du marché en 2019, sont des motifs suffisants pour déterminer qu’il existe une indication raisonnable de l’augmentation importante des volumes d’importations des marchandises en cause. Cependant, le Tribunal devra examiner davantage les dynamiques du marché en 2019 dans l’enquête définitive de dommage.

Effets des marchandises sous-évaluées sur les prix

[67]  Algoma soutient que les marchandises en cause ont entraîné une sous-cotation importante du prix des marchandises similaires de la branche de production nationale, ce qui a donné lieu à une baisse de prix et à des pertes de ventes. La plainte renfermait des données sur la moyenne des prix de la branche de production nationale, ainsi que les prix des importations de marchandises en cause et des importations des États-Unis tirés des données de Statistique Canada.

[68]  Les éléments de preuve figurant dans la plainte indiquent que, selon le prix global annuel moyen, les importations de marchandises en cause ont mené à la sous-cotation des prix des ventes sur le marché national chaque année de la période d’enquête. L’analyse de l’ASFC des prix des importations, fondées sur ses propres données relatives au volume et à la valeur, montre une tendance similaire à l’analyse de la plaignante [28] .

[69]  Algoma soutient que les prix des importations de marchandises en cause étaient les plus bas, car ils étaient considérablement inférieurs à ceux des importations américaines, dont les prix sont habituellement semblables à ceux des marchandises produites au Canada.

[70]  CSC et ILG font valoir que les prix des marchandises en cause provenant du Taipei chinois et de l’Allemagne, respectivement, étaient près des prix des importations américaines et, par conséquent, étaient seulement légèrement inférieurs à ceux d’Algoma. 

[71]  Pour ce qui est du Taipei chinois, cette affirmation n’est pas corroborée par les éléments de preuve au dossier. Quant à l’Allemagne, les prix allemands étaient plus près des prix américains en 2018 et en 2019, mais ils ont tout de même entraîné une sous-cotation des prix de vente sur le marché national au cours de chacune des deux années [29] .

[72]  Algoma a aussi présenté des rapports confidentiels d’activités d’importation dans lesquels sont décrites les situations où elle a soit perdu une vente, soit été forcée de réduire son prix pour conclure une vente. Ces rapports présentés par Algoma renferment également des renseignements commerciaux généraux sur les importations [30] , qu’Algoma a liés aux volumes et aux prix figurant dans les données de Statistique Canada sur les importations. Algoma affirme que ces marchandises ont été importées à des prix qui ont mené à la sous-cotation des siens à l’époque. Elle soutient aussi que les acteurs du marché sont au fait de ces prix, compte tenu de leur connaissance du marché, et que cette situation accentue la sous-cotation et la baisse des prix.

[73]  Les parties qui s’opposent à la plainte ont fait part de leurs préoccupations concernant la fiabilité des rapports d’activités d’importation présentés par Algoma. Bien que ce type d’élément de preuve doive faire l’objet d’une vérification plus approfondie dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, le Tribunal conclut que, pour les fins de l’enquête préliminaire de dommage, cet élément de preuve satisfait à la norme de preuve requise par l’expression « indique, de façon raisonnable ».

[74]  Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause, à tout le moins, a entraîné une sous-cotation importante du prix des marchandises similaires.

Incidence des marchandises sous-évaluées sur la situation de la branche de production nationale

[75]  Dans le cadre de son analyse aux termes de l’alinéa 37.1(1)c) du Règlement, le Tribunal examine l’incidence des marchandises sous-évaluées sur la situation de la branche de production nationale et, plus particulièrement, tous les facteurs et indices économiques pertinents ayant une incidence sur la situation de la branche de production nationale [31] . Ces incidences doivent être distinguées de l’incidence de tous autres facteurs sur la branche de production nationale [32] . Aux termes de l’alinéa 37.1(3)a), le Tribunal doit déterminer s’il existe un lien de causalité entre le dumping des marchandises et le dommage, en fonction du volume, des effets sur les prix et de l’incidence des marchandises sous-évaluées sur la branche de production nationale.

Part de marché

[76]  Selon Algoma, les importateurs des marchandises en cause ont accru de manière agressive leur part de marché en 2017 et en 2018 par une sous-cotation des prix des importations américaines, ce qui leur a permis d’acquérir la part qui était auparavant détenue par les importateurs de marchandises similaires provenant des États-Unis. Malgré les mesures de sauvegarde touchant les tôles fortes, les importateurs des marchandises en cause ont pu maintenir leur part du marché en 2019.

[77]  Compte tenu de la conjoncture du marché à l’époque, Algoma soutient qu’elle aurait dû être en mesure d’augmenter ses gains davantage. Le fait que cette augmentation ne se soit pas matérialisée est attribuable à la concurrence exercée par les marchandises en cause à bas prix.

[78]  Les parties qui s’opposent à la plainte soulignent que la part de marché de la branche de production nationale a augmenté au cours de la période visée par l’enquête. Elles affirment que la perte de gains potentiels de parts de marché ne devrait pas être considérée comme ayant causé un dommage à Algoma.

[79]  En réponse, Algoma fait valoir que selon le Règlement le « déclin réel ou potentiel » de la part de marché est un facteur pertinent. Par conséquent, elle soutient que l’incapacité d’accroître la part de marché dans un contexte de dynamiques changeantes du marché en raison du prix inéquitable des importations est un facteur pertinent.

[80]  Selon la preuve, la branche de production nationale a augmenté sa part de marché au cours de la période d’enquête. Les importateurs des marchandises en cause semblent s’être approprié une fraction de la part du marché perdue par les importations non visées en 2018 et avoir conservé une partie de ces gains en 2019. Cependant, la branche de production nationale a augmenté sa part de marché en 2019, tandis que les importateurs des marchandises en cause ont perdu des parts de marché. Comme mentionné ci-dessus, ces changements se sont produits dans un contexte de contraction apparente du marché, la taille du marché canadien ayant apparemment diminué de façon importante au cours de la période visée par l’enquête. Par ailleurs, plus de la moitié de cette diminution a eu lieu entre 2018-2019 [33] . Le Tribunal doit se pencher sur cette question davantage dans le cadre de l’enquête définitive.

Résultats financiers et indicateurs économiques

[81]  Selon Algoma, l’afflux des marchandises en cause a eu un effet négatif sur ses résultats financiers. Algoma reconnaît que les prix nord-américains ont monté en flèche en 2018, ce qui a donné lieu à de bons résultats au deuxième semestre de 2018 et au premier semestre de 2019. Cependant, elle soutient que la montée en flèche des prix n’était pas soutenue par la demande sous‑jacente, mais qu’elle a plutôt été causée par les effets temporaires combinés des mesures imposées par les États-Unis au titre de l’article 232 et des représailles tarifaires canadiennes. Algoma affirme que les importations des marchandises en cause à bas prix ont fait en sorte que les prix ont fléchi fortement au deuxième semestre de 2019 et que ses résultats financiers en ont subi les contrecoups durant les deux derniers trimestres de l’année.

[82]  Malgré les mesures de sauvegarde touchant les tôles fortes, Algoma soutient qu’elle n’a pas été en mesure d’augmenter le taux d’utilisation de sa capacité de production de tôles fortes en raison de la concurrence exercée par les importations de marchandises en cause. De plus, Algoma affirme que les marchandises en cause à bas prix ont eu des répercussions négatives sur l’emploi. 

[83]  Ayant examiné les éléments de preuve confidentiels et non confidentiels présentés par Algoma, et à la lumière des facteurs pertinents, le Tribunal conclut que les éléments de preuve appuient, de façon raisonnable, les prétentions d’Algoma, aux fins de la présente enquête préliminaire de dommage.

[84]  Les éléments de preuve indiquent que les importations des marchandises en cause ont augmenté en 2018, et que les importations des marchandises en cause sont demeurées sur le marché en 2019 malgré une contraction importante du marché. Les marchandises en cause ont été importées à des prix qui semblent avoir entraîné une sous-cotation des prix des producteurs nationaux [34] . L’importation continue de marchandises en cause à bas prix en 2019 semble avoir été la cause de la baisse de rendement déclarée par la branche de production nationale en 2019.

[85]  Considérant qu’une norme de preuve moins stricte s’applique lors d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal conclut que les éléments de preuve au dossier indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage important à la branche de production nationale.

Autres facteurs et lien de causalité

[86]  Les parties qui s’opposent à la plainte soutiennent que le dommage qu’aurait subi la branche de production nationale est attribuable à des facteurs autres que le dumping, à savoir :

  • la concurrence exercée par les importations américaines, lesquelles constituent une proportion élevée des importations au Canada;

  • l’incidence des droits imposés par les États-Unis au titre de l’article 232, les représailles tarifaires canadiennes, les mesures de sauvegarde touchant les tôles fortes et d’autres mesures commerciales prises dans le monde touchant les prix des tôles au Canada;

  • la contraction de taille du marché canadien en 2019;

  • les conditions généralement mauvaises du marché mondial des tôles en 2019;

  • l’incidence de la pandémie de COVID-19 sur les économies canadienne et mondiale et les marchés des tôles.

[87]  Certains de ces facteurs (qui, incidemment, auraient aussi eu des effets sur les marchandises en cause) pourraient sans doute avoir été d’autres causes de dommage à la branche de production nationale. Cependant, le Tribunal a conclu à maintes reprises qu’il procédera à examen plus approfondi des autres facteurs et du lien de causalité dans le cadre l’enquête définitive de dommage, lorsqu’il disposera d’un dossier de preuve complet [35] . Le Tribunal compile des renseignements détaillés concernant les volumes et les prix des importations visées et non visées, ainsi que les conditions du marché durant la période visée par l’enquête au moyen des réponses au questionnaire. Aux fins de l’enquête préliminaire de dommage, les éléments de preuve sont suffisants pour déterminer l’existence d’une indication raisonnable de dommage en se fondant sur les marchandises en cause uniquement.

[88]  Le Tribunal tient à souligner que la présente affaire soulève des questions concernant les dynamiques des marchés intérieur et international en 2019 et leur incidence potentielle sur les résultats financiers de la branche de production nationale. Ces questions devront être soigneusement examinées lors de l’enquête définitive de dommage. 

[89]  Pour ce qui est de la COVID-19, le Tribunal soutient que la plainte a été déposée en avril 2020 et qu’elle renferme des données allant jusqu’à la fin de 2019, avant que la pandémie de COVID-19 puisse avoir une incidence sur les conditions économiques. Cependant, le Tribunal se penchera sur l’incidence de la pandémie lors de l’enquête définitive de dommage, car le Tribunal recueillera des données jusqu’au premier semestre de 2020.

[90]  Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les éléments de preuve au dossier indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage important à la branche de production nationale. 

[91]  Comme il existe une indication raisonnable que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage, le Tribunal n’examinera pas, pour des raisons d’économie judiciaire, la question de savoir s’il existe une indication raisonnable que le dumping des marchandises en cause menace de causer un dommage. 

CONCLUSION

[92]  Le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre

 



[1]   Comme la branche de production nationale est déjà établie, le Tribunal n’a pas besoin d’examiner la question du retard.

[2]   L.R.C., 1985, ch. S-15 [LMSI].

[3]   Pièce PI-2020-001-05, vol. 1, p. 46.

[4]   Les parties suivantes ont déposé des avis de participation mais n’ont déposé aucune observation : Salzgitter Mannesmann Grobblech GmbH, l’Alberta Pressure Vessel Manufacturers’ Association, le Syndicat des Métallos, ASTCO Canada Inc., Hyundai Steel Company, le ministère du Commerce de la République de Turquie, le ministère du Commerce international et de l’Industrie de Malaisie, JK JI Seng Sdn Bhd, et JI Keng Dimensi Sdn Bhd.

[5]   Pièce PI-2020-001-05, vol. 1, p. 36.

[6]   Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud (27 août 2003), PI-2003-002 (TCCE), p. 2.

[7]   Pièce PI-2020-001-10, vol. 1.

[8]   Pièce PI-2020-001-05, vol. 1, par. 47-48.

[9]   Pièce PI-2020-001-05, vol. 1, par. 54.

[10]   Le paragraphe 34(2) de la LMSI est formulé comme suit : « Dès réception de l’avis prévu au sous-alinéa (1)a)(i), le Tribunal procède à une enquête préliminaire – qui n’a pas à inclure d’audition – afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage. »

[11]   Ronald A. Chisholm Ltd. v. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (FCTD).

[12]   Maïs-grain (10 octobre 2000), PI-2000-001 (TCCE), p. 4-5.

[13]   Barres d’armature en béton (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE), par. 19.

[14]   L’article 5 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) [l’Accord antidumping] exige de l’autorité chargée d’une enquête qu’elle examine l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête; la plainte sera rejetée ou l’enquête sera close dès que l’autorité concernée sera convaincue que les éléments de preuve relatifs au dumping ou au dommage ne sont pas suffisants. L’article 5 de l’Accord antidumping prévoit également qu’une simple affirmation non étayée par des éléments de preuve pertinents ne peut être jugée suffisante pour que soient respectées les exigences desdits articles.

[15]   D.O.R.S./84-927 [Règlement].

[16]   Feuilles d’acier résistant à la corrosion (7 janvier 2020), PI-2019-002 (TCCE), par. 12; Tiges de pompage (29 novembre 2019), PI-2019-001 (TCCE), par. 13; Capsules de nitisinone (20 novembre 2018), PI-2018-006 (TCCE), par. 22.

[17]   Voir par exemple Tôles d’acier au carbone (13 mars 2020), RR-2019-001 (TCCE) [RR-2019-001], par. 26-27, 126; Tôles d’acier au carbone laminées à chaud (9 août 2018), RR-2017-004 (TCCE) [RR-2017-004], par. 28‑29; Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud (6 janvier 2016), NQ-2015-001 (TCCE) [NQ-2015-001], par. 33-38, 40-45; Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud (30 janvier 2015), RR-2014-002 (TCCE) [RR-2014-002], par. 24-25.

[18]   Pièce PI-2020-001-02.01, vol. 1, p. 2685, 2686, 2689.

[19]   L’expression « proportion majeure » s’entend d’une proportion importante ou considérable de la production collective nationale de marchandises similaires, et pas forcément d’une majorité. Japan Electrical Manufacturers Association c. Canada (Tribunal antidumping), [1982] 2 C.F. 816 (C.A.F.); McCulloch of Canada Limited et McCulloch Corporation c. Le Tribunal antidumping, [1978] 1 C.F. 222 (F.C.A.); Chine – Droits antidumping et compensateurs visant certaines automobiles en provenance des États-Unis (23 mai 2014), OMC Doc. WT/DS440/R, rapport du groupe spécial au par. 7.207; Communautés européennes – Mesures antidumping définitives visant certains éléments de fixation en fer ou en acier en provenance de Chine (15 juillet 2011), OMC Doc. WT/DS397/AB/R, rapport de l’Organe d’appel aux par. 411, 419, 430; Argentine – Droits antidumping définitifs visant la viande de volaille en provenance du Brésil (22 avril 2003), OMC Doc. WT/DS241/R, rapport du groupe spécial aux par. 7.341-7.344.

[20]   Voir RR-2019-001, par. 31; RR-2017-004, par. 33; NQ-2015-001, par. 51; RR-2014-002, par. 30.

[21]   Pièce PI-2020-001-03.01 (protégée), vol. 2, p. 3237-8.

[22]   Fils d’acier galvanisés (22 mars 2013), PI-2012-005 (TCCE), par. 40; Tôles d’acier résistant à la corrosion (2 février 2001), PI-2000-005 (TCCE), p. 4, 5.

[23]   Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit « négligeable » comme suit : « Qualificatif applicable au volume des marchandises de même description, provenant d’un pays donné, qui est inférieur à un volume représentant trois pour cent de la totalité des marchandises de même description dédouanées au Canada; exceptionnellement, n’est pas négligeable l’ensemble des marchandises de même description dédouanées au Canada – provenant d’au moins trois pays exportant chacun au Canada un volume négligeable de marchandises – qui représente un volume de plus de sept pour cent de cette totalité. (negligible) »

[24]   Certains éléments d’acier de fabrication industrielle (10 novembre 2016), PI-2016-003 (TCCE), par. 29-30.

[25]   Pièce PI-2020-001-05, vol. 1, p. 40.

[26]   Pièce PI-2020-001-03.08 (protégée), vol. 2, p. 14, 29.

[27]   Pièce PI-2020-001-03.08 (protégée), vol. 2, p. 14-15.

[28]   Pièce PI-2020-001-03.01 (protégée), vol. 2, p. 43-46, 3270; pièce PI-2020-001-03.08 (protégée), vol. 2, p. 32.

[29]   Pièce PI-2020-001-02.01, vol. 1, p. 2711; pièce PI-2020-001-03.01 (protégée), vol. 2, p. 43-46, 3270.

[30]   Pièce PI-2020-001-02.01, vol. 1 at 53-57; pièce PI-2020-001-03.01 (protégée), vol. 2, p. 56-60, 73-86.

[31]   Les facteurs et indices comprennent (i) tout déclin réel ou potentiel dans la production, les ventes, la part de marché, les bénéfices, la productivité, le rendement sur capital investi ou l’utilisation de la capacité de la branche de production, (ii) toute incidence négative réelle ou potentielle sur les liquidités, les stocks, les emplois, les salaires, la croissance ou la capacité de financement, et (ii.1) l’importance de la marge de dumping des marchandises.

[32]   Aux termes de l’alinéa 37.1(3)b) du Règlement, le Tribunal doit examiner si des facteurs autres que le dumping des marchandises en cause ont causé un dommage. Les facteurs prescrits à cet égard sont (i) le volume et le prix des importations de marchandises similaires qui ne sont pas sous-évaluées, (ii) la contraction de la demande pour les marchandises ou pour des marchandises similaires, (iii) tout changement des habitudes de consommation des marchandises ou de marchandises similaires, (iv) les pratiques commerciales restrictives des producteurs étrangers et nationaux, ainsi que la concurrence qu’ils se livrent, (v) les progrès technologiques, (vi) le rendement à l’exportation et la productivité de la branche de production nationale à l’égard de marchandises similaires, et (vii) tout autre facteur pertinent, compte tenu des circonstances.

[33]   Pièce PI-2020-001-03.08 (protégée), vol. 2, p. 15.

[34]   Puisque les données sur les indicateurs de rendement ont trait à une seule entreprise, le Tribunal ne peut examiner les éléments de preuve en détail à cause du risque de divulguer des renseignements confidentiels.

[35]   Voir la décision récente Feuilles d’acier résistant à la corrosion (7 janvier 2020), PI-2019-002 (TCCE), par. 52.

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