Enquêtes de dommage antidumping

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Réexamen relatif à l’expiration no RR-2019-003

Barres d’armature pour béton

Ordonnance et motifs rendus
le mercredi 14 octobre 2020

 



EU ÉGARD À un réexamen relatif à l’expiration, aux termes du paragraphe 76.03(3) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, des conclusions rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 9 janvier 2015, dans le cadre de l’enquête no NQ-2014-001, concernant :

CERTAINES BARRES D’ARMATURE POUR BÉTON ORIGINAIRES OU EXPORTÉES DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE, DE LA RÉPUBLIQUE DE CORÉE ET DE LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE

ORDONNANCE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, conformément au paragraphe 76.03(3) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, a procédé au réexamen relatif à l’expiration de ses conclusions rendues le 9 janvier 2015, dans le cadre de l’enquête no NQ-2014-001, concernant le dumping de barres d’armature crénelées pour béton en acier, laminées à chaud, en longueurs droites ou sous forme de bobines, souvent identifiées comme armature, de différents diamètres jusqu’à 56,4 millimètres inclusivement, de finitions différentes, excluant les barres rondes ordinaires et la fabrication d’autres produits d’armature, originaires ou exportées de la République populaire de Chine, de la République de Corée et de la République de Turquie, et le subventionnement des marchandises susmentionnées originaires ou exportées de la République populaire de Chine. Conformément aux conclusions de l’enquête no NQ-2014-001, la définition du produit exclut :

  • les armatures d’un diamètre de 10 mm (10M) produites selon la norme CSA G30 18.09 (ou selon des normes équivalentes) et revêtues de résine époxyde selon la norme ASTM A775/A 775M 04a (ou selon des normes équivalentes) en longueurs de 1 pied (30,48 cm) jusques et y compris 8 pieds (243,84 cm).

Aux termes de l’alinéa 76.03(12)b) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur proroge par les présentes ses conclusions concernant les marchandises susmentionnées.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre


 

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

le 11 août 2020

Membres du Tribunal :

Peter Burn, membre présidant
Cheryl Beckett, membre
Georges Bujold, membre

Personnel de soutien :

Peter Jarosz, conseiller juridique principal
Heidi Lee, conseillère juridique
Mark Howell, analyste principal
Thy Dao, analyste
Josée St-Amand, analyste
Andrew Wigmore, analyste
Julie Charlebois, conseillère, Service de données

PARTICIPANTS :

Producteurs nationaux

Conseillers/représentants

AltaSteel Inc.

Benjamin P. Bedard
Linden Dales
Shannel J. Rajan
Greg Landry
Annie Arko

ArcelorMittal Long Products Canada, G.P.

Paul Conlin
Anne-Marie Oatway
Lydia Blois
Manon Carpentier
Nasrudin Mumin

Gerdau Ameristeel Corporation

Christopher J. Kent
Gerry Stobo
Christopher J. Cochlin
Andrew M. Lanouette
Marc McLaren-Caux
Michael Milne
Cynthia Wallace
Andrew Paterson
E. Melisa Celebican
Jordan Lebold

Max Aicher (North America) Limited

Jonathan O’Hara
Lisa Page
Chris Scheitterlein
Nicole Rozario
Thomas van den Hoogen
Ricki-Lee Williams
Tayler Farrell

Importateurs/exportateurs/autres

Conseillers/représentants

Association des exportateurs d’acier de la Turquie

Gordon LaFortune

Syndicat des Métallos

Craig Logie
Christopher Somerville
Jacob Millar

Ministère de l’Emploi, du Commerce et des Technologies, gouvernement de la Colombie‑Britannique

Jeffrey S. Thomas

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1] Le Tribunal canadien du commerce extérieur, conformément au paragraphe 76.03(3) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] , a procédé au réexamen relatif à l’expiration de ses conclusions rendues le 9 janvier 2015, dans le cadre de l’enquête no NQ-2014-001, concernant le dumping de certaines barres d’armature pour béton originaires ou exportées de la République populaire de Chine (Chine), de la République de Corée (Corée) et de la République de Turquie (Turquie) et le subventionnement de certaines barres d’armature de béton originaires ou exportées de la Chine (les marchandises en cause).

[2] Aux termes de la LMSI, les conclusions de dommage ou de menace de dommage et la protection conférée par les droits antidumping ou compensateurs qui y sont associés expirent cinq ans après la date à laquelle les conclusions ont été rendues, à moins que le Tribunal n’entreprenne un réexamen relatif à l’expiration des conclusions avant cette date. Les conclusions de l’enquête no NQ‑2014-001 devaient donc expirer le 8 janvier 2020.

[3] Le mandat du Tribunal dans le cadre du présent réexamen relatif à l’expiration consiste à déterminer si l’expiration des conclusions causera vraisemblablement un dommage à la branche de production nationale et, par conséquent, à rendre une ordonnance prorogeant ou annulant les conclusions, avec ou sans modification, pour cinq années supplémentaires.

CONTEXTE DE LA PROCÉDURE

[4] Le Tribunal a amorcé le présent réexamen relatif à l’expiration le 9 décembre 2019. Le 10 décembre 2019, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a ouvert une enquête relative au réexamen relatif à l’expiration pour déterminer si l’expiration des conclusions causerait vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping et du subventionnement des marchandises en cause.

[5] Le 7 mai 2020, l’ASFC a conclu, aux termes de l’alinéa 76.03(7)a) de la LMSI, que l’expiration des conclusions causera vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping des marchandises en cause provenant de la Chine, de la Corée et de la Turquie et du subventionnement des marchandises en cause provenant de la Chine [2] .

[6] Le 8 mai 2020, à la suite de la décision de l’ASFC, le Tribunal a procédé au réexamen relatif à l’expiration afin de déterminer si l’expiration des conclusions causera vraisemblablement un dommage à la branche de production nationale.

[7] La période visée par le réexamen relatif à l’expiration comprend les trois années civiles complètes de 2017, 2018 et 2019, et les trois mois du 1er janvier au 31 mars 2020.

[8] Le Tribunal a fait parvenir un questionnaire aux producteurs nationaux et aux importateurs connus de barres d’armature correspondant à la définition du produit, ainsi qu’aux producteurs étrangers connus des marchandises en cause. À partir des réponses aux questionnaires et d’autres renseignements au dossier, le personnel du Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur, Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs, a préparé des versions non confidentielles et confidentielles du rapport d’enquête et les a déposées au dossier le 29 juin 2020 [3] .

[9] Les producteurs nationaux AltaSteel Inc. (AltaSteel), ArcelorMittal Long Products Canada, G.P. (ArcelorMittal), Gerdau Ameristeel Corporation (Gerdau), et Max Aicher (North America) Limited (MANA), ainsi que le Syndicat des Métallos (SDM), ont déposé des observations à l’appui de la prorogation des conclusions. L’Association des exportateurs d’acier de la Turquie (AEAT) a déposé des observations en opposition à la prorogation des conclusions. Le ministère de l’Emploi, du Commerce et des Technologies du gouvernement de la Colombie-Britannique n’a pas déposé d’observations.

[10] Le Tribunal n’a pas reçu de demandes d’exclusions de produit.

[11] En raison des circonstances attribuables à la pandémie de COVID-19, le Tribunal a annulé l’audience publique devant se tenir le 4 août 2020 et a instruit l’affaire selon la procédure d’audience décrite ci-après [4] .

[12] Après le dépôt des répliques des parties qui appuient la prorogation des conclusions, les parties ont reçu l’autorisation de proposer par écrit au Tribunal des questions à poser à une ou plusieurs autres parties. Ces questions étaient limitées à des demandes de clarification ou d’explications relatives aux éléments de preuve présentées par une autre partie et devaient porter directement sur les questions du présent réexamen relatif à l’expiration. Les parties avaient la possibilité de s’opposer aux questions proposées et de répondre à toute opposition.

[13] L’AEAT a suggéré des questions à poser aux quatre producteurs nationaux, et ArcelorMittal (conjointement avec AltaSteel) et Gerdau ont suggéré des questions pour l’AEAT. L’AEAT s’est opposée à certaines des questions suggérées conjointement par ArcelorMittal et AltaSteel, ainsi qu’à d’autres questions de Gerdau. ArcelorMittal, en collaboration avec AltaSteel, et Gerdau ont présenté des réponses aux oppositions de l’AEAT.

[14] En fonction des questions et oppositions présentées, le Tribunal a transmis des questions écrites à AltaSteel, ArcelorMittal, Gerdau, MANA et l’AEAT. Le Tribunal a reçu des réponses écrites des parties le 7 août 2020.

[15] Le 11 août 2020, le Tribunal a entendu, par vidéoconférence, les plaidoiries finales d’AltaSteel, ArcelorMittal, Gerdau, MANA, SDM et l’AEAT.

PRODUIT

Définition du produit

[16] Les marchandises en cause sont définies comme suit [5] :

Barres d’armature crénelées pour béton en acier, laminées à chaud, en longueurs droites ou sous forme de bobines, souvent identifiées comme armature, de différents diamètres jusqu’à 56,4 millimètres inclusivement, de finitions différentes, excluant les barres rondes ordinaires et les produits de barres d’armature fabriqués, originaires ou exportées de la République populaire de Chine, de la République de Corée et de la République de Turquie.

[17] Conformément aux conclusions du Tribunal dans l’enquête no NQ-2014-001, les marchandises en cause excluent [6] :

les armatures d’un diamètre de 10 mm (10M) produites selon la norme CSA G30 18.09 (ou selon des normes équivalentes) et revêtues de résine époxyde selon la norme ASTM A775/A 775M 04a (ou selon des normes équivalentes) en longueurs de 1 pied (30,48 cm) jusques et y compris 8 pieds (243,84 cm).

Renseignements sur le produit

[18] L’ASFC a fourni ces renseignements supplémentaires sur le produit [7] :

[21] Il est entendu que les marchandises en cause comprennent toutes les barres à haute adhérence laminées à chaud, laminées en acier à billettes, en acier à rail, en acier à essieu, en acier faiblement allié et autres aciers alliés qui ne correspondent pas à la définition d’acier inoxydable.

[22] Les barres d’armature nues, aussi appelées « non revêtues » ou « noires », servent généralement pour des projets en milieu non corrosif où les revêtements anticorrosion ne sont pas nécessaires. Inversement, celles avec revêtement anticorrosion (c.‑à‑d. par exemple celles avec résine époxyde ou galvanisées à chaud) servent pour des projets de béton qui seront exposés à des agents corrosifs, comme le sel de voirie.

[23] Les marchandises en cause incluent les barres d’armature nues et les barres d’armature munies d’un revêtement ou d’un fini de surface. Les produits de barres d’armature usinés sont généralement conçus au moyen de programmes de conception automatisée par ordinateur, et fabriqués sur mesure pour les besoins précis du projet d’un client. Ils ont habituellement un revêtement protecteur ou anticorrosif. N’étant pas considérées comme des produits fabriqués, les barres d’armature simplement coupées à longueur correspondent à la définition des marchandises en cause.

Procédé de fabrication

[19] Les longueurs standards des barres d’armature sont de 6 mètres (20 pieds), 12 mètres (40 pieds) et 18 mètres (60 pieds), même si les barres d’armature peuvent être coupées et vendues dans d’autres longueurs, selon les spécifications des clients, ou vendues en bobines [8] .

[20] Les barres d’armature à haute adhérence en acier peuvent être fabriquées dans une aciérie dite intégrée ou dans une usine qui utilise des rebuts métalliques ferreux comme matière première. Les rebuts ferreux sont amenés à température de fusion dans un four électrique à arc, puis transformés dans un four-poche. L’acier en fusion est ensuite coulé en continu en billettes d’acier rectangulaires qui sont coupées en longueurs. Une usine intégrée pourrait aussi fabriquer des billettes avec l’acier en fusion. Les billettes sont ensuite laminées en barres d’armature de différentes dimensions, qui sont coupées en différentes longueurs selon les exigences des clients [9] .

[21] Les barres d’armature à haute adhérence sont laminées avec des saillies sur la surface, ce qui améliore l’adhérence du béton et assure un renfort accru. Les saillies doivent satisfaire aux exigences énoncées dans les normes nationales [10] .

Normes de fabrication

[22] Les barres d’armature sont fabriquées au Canada conformément à la Norme nationale du Canada CAN/CSA-G30.18-FM92, Barres d’acier en billettes pour l’armature du béton (Norme nationale) [11] établie par l’Association canadienne de normalisation et approuvée par le Conseil canadien des normes [12] .

[23] Les numéros d’identification suivants pour les barres sont ceux qui sont les plus communément utilisés pour les marchandises en cause au Canada avec leur diamètre correspondant exprimé en millimètres entre parenthèses : 10 (11,3), 15 (16,0), 20 (19,5), 25 (25,2), 30 (29,9) et 35 (35,7). Les dimensions des barres d’armature correspondent généralement au numéro d’identification de la barre avec la lettre « M ». Ainsi, une barre 10M a le numéro d’identification 10 et un diamètre de 11,3 millimètres [13] .

[24] La Norme nationale précise deux types de barres d’armature, soit ordinaires ou « R » et soudables ou « W ». Les barres du type R sont destinées à des usages généraux, tandis que celles du type W sont utilisées lorsqu’il faut tenir compte de facteurs comme le soudage, le cintrage ou l’endurance. Les barres d’armature soudées ont déjà été un produit de première qualité de l’industrie canadienne, ce qui reflétait le coût plus élevé de l’acier allié; cependant, étant donné que toutes les importations sont des produits soudables, la production canadienne est passée au produit soudable comme produit standard. Les barres d’armature soudables peuvent être substituées aux barres d’armature ordinaires pour toutes les utilisations, mais non l’inverse [14] .

[25] La Norme nationale précise également des niveaux limites d’élasticité de 300, 400 et 500. Le nombre désigne la limite d’élasticité minimale qui est mesurée en mégapascals (MPa). La nuance et la limite d’élasticité des barres d’armature sont obtenues en combinant le nombre et la nuance. Ainsi, 400R correspond à une barre ordinaire ayant une limite d’élasticité de 400 MPa et 400W correspond à une barre soudée ayant une limite d’élasticité de 400 MPa [15] .

CADRE LÉGISLATIF

[26] Aux termes du paragraphe 76.03(10) de la LMSI, le Tribunal doit déterminer si l’expiration des conclusions rendues à l’égard des marchandises en cause causera vraisemblablement un dommage ou un retard à la branche de production nationale [16] . Aux termes du paragraphe 76.03(12) de la LMSI, si le Tribunal conclut que l’expiration des conclusions ne causera vraisemblablement pas un dommage, il doit les annuler. Toutefois, si le Tribunal conclut que l’expiration des conclusions causera vraisemblablement un dommage, il doit les proroger avec ou sans modification.

[27] Avant de procéder à son analyse concernant la probabilité de dommage, le Tribunal doit d’abord déterminer ce qui constitue des « marchandises similaires ». Ensuite, le Tribunal doit déterminer ce qui constitue la « branche de production nationale ».

[28] Le Tribunal doit aussi déterminer s’il est indiqué d’évaluer les effets cumulatifs du dumping des marchandises en cause provenant de la Chine, de la Corée et de la Turquie et s’il est indiqué d’évaluer les effets cumulatifs du dumping et du subventionnement des marchandises en cause (c’est-à-dire s’il procédera au « cumul croisé » des effets). Ces questions sont abordées de façon détaillée dans le présent exposé des motifs, tant dans l’avis de la majorité des membres du Tribunal que dans l’opinion distincte du Membre Bujold.

MARCHANDISES SIMILAIRES ET CATÉGORIES DE MARCHANDISES

[29] Afin de déterminer si la reprise ou la poursuite du dumping et du subventionnement des marchandises en cause causera vraisemblablement un dommage sensible aux producteurs nationaux de marchandises similaires, le Tribunal doit déterminer quelles marchandises produites au pays, s’il y en a, constituent des marchandises similaires aux marchandises en cause. Il doit également évaluer s’il y a plus d’une catégorie de marchandises parmi les marchandises en cause et les marchandises similaires [17] .

[30] Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires » par rapport à toutes les autres marchandises comme suit :

a) marchandises identiques aux marchandises en cause;

b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause.

[31] Pour trancher la question des marchandises similaires lorsque les marchandises ne sont pas en tous points identiques aux marchandises en cause, le Tribunal tient habituellement compte de divers facteurs, dont les caractéristiques physiques des marchandises (comme la composition et l’apparence) et leurs caractéristiques de marché (comme la substituabilité, l’établissement des prix, les circuits de distribution, les utilisations finales et la question de savoir si elles répondent aux mêmes besoins des clients) [18] .

[32] Dans le cadre de l’enquête no NQ-2014-001, le Tribunal a conclu que les barres d’armature produites au pays de même description que les marchandises en cause sont des marchandises similaires par rapport aux marchandises en cause [19] . Le Tribunal a conclu que les marchandises en cause et les marchandises produites au pays sont des produits de base qui se livrent concurrence par le biais du prix sur le marché canadien et sont, par ailleurs, entièrement interchangeables. Le Tribunal a par ailleurs conclu que ces marchandises sont destinées aux mêmes utilisations, vendues par l’intermédiaire des mêmes canaux de distribution et utilisées par les mêmes utilisateurs finaux [20] . Le Tribunal a également conclu qu’il y avait une seule catégorie de marchandises [21] .

[33] Le présent réexamen relatif à l’expiration n’a donné lieu à aucune observation présentée par les parties ni à aucun élément de preuve laissant supposer que les barres d’armature produites au pays de même description que les marchandises en cause ne sont pas « similaires » à ces dernières ou qu’il existe plus d’une catégorie de marchandises. Par conséquent, le Tribunal conclut que les barres d’armature produites au pays ayant les mêmes spécifications que les marchandises en cause constituent des marchandises similaires par rapport à ces dernières et qu’il existe une seule catégorie de marchandises.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

[34] Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit la « branche de production nationale » de la façon suivante :

[...] l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires. Peut toutefois en être exclu le producteur national qui est lié à un exportateur ou à un importateur de marchandises sous-évaluées ou subventionnées, ou qui est lui-même un importateur de telles marchandises.

[35] Le Tribunal doit donc déterminer s’il est probable qu’un dommage soit causé aux producteurs nationaux dans leur ensemble ou aux producteurs nationaux dont la production constitue une proportion majeure de la production collective de marchandises similaires [22] .

[36] Durant la période visée par le réexamen relatif à l’expiration, il y avait cinq producteurs nationaux connus, soit AltaSteel, ArcelorMittal, Gerdau, MANA et Ivaco Rolling Mills LP. Ils ont tous répondu au questionnaire du Tribunal. Par conséquent, le Tribunal conclut, aux fins du réexamen relatif à l’expiration, que ces cinq producteurs représentent une part importante, si ce n’est la totalité, de la production des marchandises similaires et constituent donc la branche de production nationale.

CUMUL ET CUMUL CROISÉ

Cumul

[37] En vertu du paragraphe 76.03(11) de la LMSI, le Tribunal évalue les effets cumulatifs du dumping ou du subventionnement des marchandises « [...] importées au Canada en provenance de plus d’un pays [...] s’il est convaincu qu’une telle évaluation est indiquée, compte tenu des conditions de concurrence [...] » entre les marchandises importées au Canada d’un de ces pays et les marchandises provenant de tout autre pays, ou entre ces marchandises et les marchandises similaires. La question de savoir si le Tribunal doit évaluer les effets cumulatifs des marchandises sous-évaluées ou subventionnées est une question préliminaire déterminante. Si le Tribunal conclut qu’il n’est pas indiqué d’évaluer les effets cumulatifs de certaines marchandises, il doit procéder à une analyse distincte de la probabilité de dommage de ces marchandises.

[38] Au moment d’évaluer les conditions de concurrence entre les marchandises, le Tribunal tient habituellement compte des facteurs suivants, le cas échéant : la mesure dans laquelle les marchandises provenant de chaque pays visé sont interchangeables avec les marchandises en cause provenant des autres pays visés ou avec les marchandises similaires; la mesure dans laquelle les marchandises importées de chaque pays visé et les marchandises similaires sont vendues dans les mêmes marchés géographiques; l’existence de canaux de distribution communs ou similaires; et les différences quant à l’échéancier de la livraison des marchandises importées provenant d’un pays visé quelconque et celui de marchandises provenant d’autres pays visés, et les différences quant à l’échéancier de la disponibilité des marchandises similaires provenant de la branche de production nationale. Cependant, le Tribunal a souligné précédemment que le terme « conditions de concurrence » est un terme général qui ne se limite pas à un ensemble de facteurs, quel qu’il soit, habituellement analysé par le Tribunal [23] .

[39] À l’heure actuelle, si les autres conditions prévues par la loi et applicables sont respectées, le Tribunal évalue les effets cumulatifs des marchandises provenant de pays qui font l’objet d’une enquête de dumping, et il évalue séparément les effets cumulatifs des marchandises provenant de pays qui font l’objet d’une enquête de subventionnement. De plus, il analyse séparément la probabilité de dommage découlant des marchandises en provenance de pays qui font simultanément l’objet de ces deux types d’enquêtes. La pratique actuelle a été décrite en détail dans la décision rendue par le Tribunal à l’issue d’un réexamen relatif à l’expiration dans le cadre de l’affaire Tubes soudés en acier au carbone [24] .

Positions des parties

[40] Les conseillers juridiques de la branche de production nationale font valoir que la décision rendue dans TSAC est erronée et que, même si une telle analyse n’est pas nécessaire pour justifier la prorogation des conclusions dans la présente affaire, la LMSI exige que le Tribunal évalue indistinctement les effets cumulatifs des importations qui sont sous-évaluées, subventionnées et à la fois sous‑évaluées et subventionnées [25] . C’est de cette façon que procédait le Tribunal avant que l’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) rende sa décision dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde). La branche de production nationale soutient précisément : a) que les lois canadiennes exigent sans ambiguïté que cette pratique antérieure soit adoptée, b) que le législateur n’a pas modifié les lois canadiennes à ce sujet à la lumière des décisions de l’Organe d’appel de l’OMC, et c) que le législateur continue de refuser de le faire même s’il a apporté d’autres modifications à la LMSI.

[41] Les conseillers juridiques de l’AEAT appuient la pratique adoptée par le Tribunal au motif que les dispositions de cumul de la LMSI sont ambiguës et que, lorsqu’elles sont correctement interprétées, elles donnent au Tribunal le droit d’évaluer les effets cumulatifs des barres d’armature sous-évaluées provenant de la Turquie et de la Corée séparément des effets des barres d’armature sous-évaluées et subventionnées provenant de la Chine (ou qu’elles confèrent au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de le faire même si les dispositions ne sont pas ambiguës).

Principes d’interprétation des lois

[42] Selon la règle moderne d’interprétation des lois, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » [26] . De plus, selon les principes d’interprétation des lois, le Tribunal peut s’appuyer sur des sources internationales pour interpréter ses lois nationales, car ces sources constituent le fondement de l’adoption et du contexte des lois. Il existe une présomption selon laquelle les lois nationales doivent être interprétées conformément aux obligations internationales, mais cette présomption de conformité peut en fait être réfutée si des dispositions législatives prévoient clairement que des mesures contraires aux obligations internationales peuvent être prises (ces principes sont examinés de façon détaillée ci-dessous).

[43] Dans l’arrêt National Corn Growers Association c. Canada (Tribunal des importations), la Cour suprême du Canada énonçait ce qui suit :

[a]yant conclu que les règles d’interprétation législative permettent de tenir compte d’une convention sous‑jacente au stade préliminaire où il s’agit de déterminer si la loi nationale renferme une ambiguïté, je conclus sans hésitation en l’espèce que le Tribunal n’a pas agi déraisonnablement en se référant au GATT. [27]

[44] La minorité des juges de la Cour suprême, en accord avec la majorité sur la décision, indiquait également ce qui suit :

[...] c’est au Tribunal, composé d’experts qui sont versés dans les complexités des relations commerciales internationales et dont les fonctions consistent à entendre un nombre considérable de causes en matière commerciale, qu’il appartient de décider quels documents peuvent ou non l’aider à interpréter la Loi. Il se peut bien qu’il n’y ait rien à reprocher à ce que dit mon collègue concernant les documents auxquels une cour de justice peut se référer aux fins de l’interprétation d’un texte législatif, mais il ne s’agit pas en l’espèce d’un pourvoi contre la décision d’une cour ordinaire. Il s’agit plutôt de l’interprétation que donne à sa propre loi constitutive un tribunal administratif. Si le législateur veut fixer des limites quant au type de documents auxquels le Tribunal peut se référer, alors il appartient au législateur lui‑même de le faire. En attendant, les cours de justice ne doivent pas prendre sur elles de déterminer quels documents peuvent être consultés par un tribunal administratif [28] .

[Nos italiques]

[45] Plus récemment, dans l’arrêt B010 [29] , la juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de la Cour, affirmait ce qui suit :

La Cour a précédemment expliqué que les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel font partie du contexte d’adoption des lois canadiennes : R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, par. 53. Cela découle du fait que donner à une loi canadienne une interprétation qui va à l’encontre des obligations internationales du Canada risque d’amener les tribunaux à s’ingérer dans la conduite des affaires étrangères de l’exécutif et la censure en droit international. L’importance contextuelle du droit international est d’autant plus claire lorsque la disposition à interpréter a été « adoptée en vue d’assurer l’exécution d’obligations internationales ».

[...]

Conformément au contexte international d’adoption de la législation canadienne, la Cour a maintes fois approuvé et appliqué la présomption interprétative selon laquelle la loi est conforme aux obligations internationales de l’État. [...]

Ces principes issus de la jurisprudence nous dirigent vers des instruments internationaux applicables à l’étape du contexte de l’interprétation législative [30] .

[Nos italiques]

[46] Ces principes doivent s’appliquer aux dispositions en cause.

[47] En interprétant la LMSI, le Tribunal peut et devrait examiner les accords internationaux en vertu desquels le Canada a des obligations internationales et s’inspirer de ces accords et des décisions qui interprètent les dispositions de ces accords pour établir un contexte et des lignes directrices. Bien que les décisions de l’OMC ne lient pas les membres qui ne sont pas parties au différend, ceux‑ci devraient s’appuyer sur les décisions de l’OMC pour interpréter les dispositions pertinentes. Qui plus est, lorsque le Tribunal est appelé à choisir entre diverses interprétations possibles d’une disposition, il doit privilégier l’interprétation qui est conforme au droit international [31] . Enfin, il est bien établi en droit que les lois nationales non ambiguës ont préséance sur les obligations internationales du Canada. Ainsi, quel que soit le contexte international, le Tribunal ne peut pas faire quelque chose qu’il n’est pas autorisé à faire en droit interne. Quoi qu’il en soit, le Tribunal ne se trouve pas dans cette situation pour ce qui est des dispositions de cumul de la LMSI.

[48] La pratique antérieure du Tribunal en ce qui a trait au cumul reposait sur une interprétation de la LMSI qui ne peut pas être maintenue compte tenu des principes mentionnés ci‑dessus. Le Tribunal avait choisi une interprétation qui permettait d’évaluer indistinctement le dommage ou la probabilité de dommage découlant des importations qui ont été sous‑évaluées, subventionnées et à la fois sous‑évaluées et subventionnées. Or, cette interprétation n’est pas conforme aux obligations du Canada en vertu de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (Accord antidumping) et de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (Accord SMC), comme l’a précisé l’Organe d’appel de l’OMC. Les parties au présent réexamen exhortent le Tribunal à revenir à cette pratique antérieure, car, selon elles, la LMSI exigerait sans ambiguïté l’adoption d’une telle pratique. Toutefois, la majorité des membres du Tribunal estime que le paragraphe 76.03(11) de la LMSI peut être interprété conformément aux obligations internationales du Canada et que cette présomption de conformité n’a pas été réfutée, car la disposition en question n’exige pas expressément ou sans ambiguïté le retour à la pratique antérieure, et ce, pour les motifs exposés ci‑dessous.

Libellé des dispositions de cumul

[49] Le paragraphe 42(3) de la LMSI stipule ce qui suit :

(3) Lors de l’ouverture ou de la poursuite de l’enquête, le Tribunal évalue les effets cumulatifs du dumping ou du subventionnement des marchandises, visées par la décision provisoire, importées au Canada en provenance de plus d’un pays, s’il est convaincu à la fois que :

a) relativement aux importations de marchandises de chacun de ces pays, la marge de dumping ou le montant de subvention n’est pas minimal et que le volume des importations n’est pas négligeable;

b) l’évaluation des effets cumulatifs est indiquée compte tenu des conditions de concurrence entre les marchandises, visées par la décision provisoire, importées au Canada en provenance d’un ou de plusieurs de ces pays et :

(i) soit les marchandises, visées par la décision provisoire, importées au Canada en provenance d’un ou de plusieurs autres de ces pays,

(ii) soit les marchandises similaires des producteurs nationaux.

[Nos italiques]

[50] Le paragraphe 76.03(11) de la LMSI stipule ce qui suit :

(11) Pour l’application du paragraphe (10), le Tribunal évalue les effets cumulatifs du dumping ou du subventionnement des marchandises importées au Canada en provenance de plus d’un pays et visées par la décision prise par le président au titre du paragraphe (9), s’il est convaincu qu’une telle évaluation est indiquée, compte tenu des conditions de concurrence entre les marchandises visées par l’ordonnance ou les conclusions et importées au Canada d’un de ces pays, et :

(a) soit celles visées par l’ordonnance ou les conclusions et importées au Canada en provenance d’un autre de ces pays;

(b) soit celles similaires des producteurs nationaux.

[Nos italiques]

[51] D’emblée, il est utile de rappeler le but et l’effet du cumul. Essentiellement, dans certaines circonstances, il n’est pas nécessaire de conclure à l’existence d’un dommage (ou d’une probabilité de dommage) découlant de marchandises qui proviennent d’un seul pays pour justifier l’imposition (ou le maintien) de droits sur ces marchandises.

[52] Le paragraphe 76.03(11) de la LMSI prévoit expressément que le Tribunal doit évaluer les effets cumulatifs des marchandises en provenance de plus d’un pays si certaines conditions sont remplies. L’interprétation de cette disposition soulève toutefois des questions en ce qui concerne, d’une part, les marchandises qui devraient faire l’objet d’une évaluation des effets cumulatifs et, d’autre part, les conditions de concurrence que devrait examiner le Tribunal pour justifier la réalisation d’une telle évaluation. La première question d’interprétation que doit trancher le Tribunal est celle de savoir si l’expression « dumping ou [...] subventionnement » utilisée au paragraphe 76.03(11) signifie que le Tribunal devrait effectuer des analyses distinctes des effets des marchandises sous‑évaluées et des marchandises subventionnées provenant de différents pays, ou s’il peut effectuer une seule analyse des effets cumulatifs combinés des marchandises.

[53] Dans le langage courant, le mot « ou » est utilisé pour indiquer un choix [32] . À cet égard, selon une première interprétation de ces éléments, on pourrait affirmer que les dispositions de la LMSI indiquent sans ambiguïté qu’il n’est pas permis d’évaluer les effets cumulatifs des marchandises sous‑évaluées avec les effets cumulatifs des marchandises subventionnées (conformément aux accords).

[54] Cependant, en matière d’interprétation législative, le mot « ou » peut être interprété de façon conjonctive ou disjonctive. Le paragraphe 2(7) de la LMSI appuie une interprétation disjonctive :

(7) L’application des dispositions de la présente loi traitant à la fois des marchandises sous‑évaluées et des marchandises subventionnées est la suivante :

a) lorsqu’elles s’appliquent au dumping, elles ne s’appliquent pas au subventionnement;

(b) lorsqu’elles s’appliquent au subventionnement, elles ne s’appliquent pas au dumping.

[55] Dans le même ordre d’idées, les autres mots utilisés dans cette disposition peuvent être interprétés comme suit : le mot « indiquée » signifie « appropriée dans les circonstances » [33] , tandis que le terme « compte tenu de » signifie « tenir compte de », « considérer » ou « prendre note de » [34] . Autrement dit, le paragraphe 76.03(11) exige que le Tribunal procède à une évaluation des effets cumulatifs s’il est convaincu qu’il est approprié de le faire dans les circonstances, tout en prenant note des conditions de concurrence.

[56] À cet égard, le Tribunal est d’avis que cette disposition lui confère le pouvoir discrétionnaire de considérer l’application de différentes pratiques commerciales aux marchandises comme une condition de concurrence, c’est‑à‑dire comme une raison de conclure qu’une évaluation des effets cumulatifs n’est pas indiquée [35] . Comme l’a mentionné précédemment le Tribunal, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne donne à aucune partie le droit à un résultat précis ou à l’application d’un critère juridique particulier [36] . Après avoir examiné les conditions de concurrence, le Tribunal doit décider si, dans le contexte de cette disposition, il peut également tenir compte d’autres facteurs pour déterminer si une évaluation des effets cumulatifs est indiquée.

[57] Le libellé du paragraphe 76.03(11) laisse place à l’interprétation en ce qui a trait à l’expression « dumping ou [...] subventionnement » et au passage portant sur les conditions de concurrence; par conséquent, une analyse contextuelle doit être effectuée pour en préciser le sens.

Analyse contextuelle des dispositions de cumul

[58] Les circonstances dans lesquelles des recours commerciaux peuvent être exercés, d’une part, et les règles applicables au déroulement des enquêtes, d’autre part, sont en grande partie régies par les accords qui ont été conclus par l’OMC à la suite du Cycle de négociations commerciales multilatérales d’Uruguay (le Cycle d’Uruguay) en 1994. Deux de ces accords sont particulièrement importants dans le contexte de la LMSI : l’Accord SMC et l’Accord antidumping. Les dispositions clés de ces accords prévoient des méthodes à employer pour déterminer l’existence de dumping ou de subventions passibles de droits compensateurs, des exigences concernant l’ouverture d’enquêtes, ainsi que des obligations relatives à l’équité procédurale, à la durée des ordonnances et à la transparence dans le processus décisionnel. De plus, ces accords établissent les facteurs économiques qui doivent être pris en compte pour déterminer si un dommage a été causé et, le cas échéant, si le dommage est attribuable à des importations sous‑évaluées ou subventionnées.

[59] Après que le Canada a adopté ces deux accords de l’OMC, des modifications importantes ont été apportées à la LMSI en 1994 afin de mettre en œuvre les obligations du Canada en vertu de ces accords multilatéraux internationaux. Ces modifications portaient sur des points importants, tels que la définition des subventions, la détermination du dommage et les procédures à suivre pour établir les marges de dumping. D’autres modifications ont été apportées à la LMSI après qu’un sous‑comité parlementaire a effectué un examen complet de cette loi et rédigé un rapport à ce sujet en 1996. La LMSI a par la suite été modifiée en 1999 par l’ajout du paragraphe 76.03(11), qui a précisé que le Tribunal est tenu d’évaluer les effets cumulatifs des marchandises dans le cadre d’un réexamen relatif à l’expiration d’une manière semblable à celle décrite au paragraphe 42(3), qui ne s’applique qu’à l’évaluation des effets cumulatifs dans le cadre d’une enquête initiale.

L’analyse contextuelle – les accords et les décisions de l’OMC

[60] Lorsqu’elle est interprétée dans le contexte de l’ensemble du régime législatif et des accords et des décisions de l’OMC, la pratique actuelle est conforme à l’esprit de la LMSI. C’est sur ce point que reposait la décision du Tribunal dans TSAC, point qui a été accepté et adopté par la majorité des membres du Tribunal. Les observations formulées par la majorité des membres du Tribunal dans les présents motifs s’ajoutent à la décision unanime exposée dans TSAC.

[61] Le Tribunal est d’avis qu’il doit tenir compte des décisions de l’Organe d’appel de l’OMC lorsqu’il interprète ses lois nationales qui intègrent les accords de l’OMC. Les membres de l’OMC peuvent porter des différends devant les groupes spéciaux de l’OMC et ensuite interjeter appel des décisions de ces groupes spéciaux devant l’Organe d’appel de l’OMC. Ce système de règlement des différends a été créé dans le cadre des accords de l’OMC qui ont été négociés et signés durant le Cycle d’Uruguay. Ce système est intégré dans le Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, communément appelé le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends (Mémorandum d’accord). L’article 3 du Mémorandum d’accord énonce les dispositions générales du système de règlement des différends de l’OMC. L’article 3.2 prévoit que « [l]e système de règlement des différends de l’OMC est un élément essentiel pour assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial multilatéral. [...] il a pour objet de préserver les droits et les obligations résultant pour les Membres des accords visés, et de clarifier les dispositions existantes de ces accords conformément aux règles coutumières d’interprétation du droit international public » [37] .

[62] Dans É.‑U. – Acier inoxydable (Mexique), l’Organe d’appel de l’OMC a plus particulièrement analysé le rôle interprétatif des décisions des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel :

Il est bien établi que les rapports de l’Organe d’appel n’ont aucune force obligatoire, sauf pour ce qui est du règlement du différend entre les parties. Cela toutefois ne veut pas dire que les groupes spéciaux ultérieurs sont libres de ne pas tenir compte des interprétations du droit et du ratio decidendi figurant dans les rapports antérieurs de l’Organe d’appel qui ont été adoptés par l’ORD. Dans l’affaire Japon – Boissons alcooliques II, l’Organe d’appel a constaté ce qui suit :

[l]es rapports de groupes spéciaux adoptés sont une partie importante de l’« acquis » du GATT. Ils sont souvent examinés par les groupes spéciaux établis ultérieurement. Ils suscitent chez les Membres de l’OMC des attentes légitimes et devraient donc être pris en compte lorsqu’ils ont un rapport avec un autre différend.

Dans l’affaire États-Unis – Crevettes (article 21:5 – Malaisie), l’Organe d’appel a précisé que ce raisonnement s’appliquait aussi aux rapports de l’Organe d’appel adoptés. Dans l’affaire États-Unis – Réexamens à l’extinction concernant les produits tubulaires pour champs pétrolifères, l’Organe d’appel a estimé ce qui suit : « suivre les conclusions de l’Organe d’appel dans des différends précédents n’est pas seulement approprié, mais c’est ce que l’on attend des groupes spéciaux, en particulier dans les cas où les questions sont les mêmes ».

La pratique de règlement des différends montre que les Membres de l’OMC attachent de l’importance au raisonnement exposé dans les rapports antérieurs de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel. Les rapports de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel adoptés sont souvent cités par les parties à l’appui de leurs arguments juridiques dans les procédures de règlement des différends, et sont invoqués par les groupes spéciaux et l’Organe d’appel dans les différends ultérieurs. En outre, lorsqu’ils adoptent ou modifient des lois et réglementations nationales touchant à des questions de commerce international, les Membres de l’OMC tiennent compte de l’interprétation juridique des accords visés donnée dans les rapports de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel adoptés. Ainsi, l’interprétation du droit consignée dans les rapports de groupes spéciaux et de l’Organe d’appel adoptés devient partie intégrante de l’acquis du système de règlement des différends de l’OMC. Assurer “la sécurité et la prévisibilité” du système de règlement des différends, comme il est prévu à l’article 3:2 du Mémorandum d’accord, suppose que, en l’absence de raisons impérieuses, un organisme juridictionnel tranchera la même question juridique de la même façon dans une affaire ultérieure.

Dans la structure hiérarchique envisagée dans le Mémorandum d’accord, les groupes spéciaux et l’Organe d’appel ont des rôles distincts à jouer. En vue de renforcer le règlement des différends dans le système commercial multilatéral, le Cycle d’Uruguay a abouti à l’établissement de l’Organe d’appel en tant qu’organe permanent. Conformément à l’article 17:6 du Mémorandum d’accord, l’Organe d’appel est investi du pouvoir de réexaminer les “questions de droit couvertes par le rapport du groupe spécial et [les] interprétations du droit données par celui-ci”. Ainsi, l’article 17:13 prévoit que l’Organe d’appel peut “confirmer, modifier ou infirmer” les constatations et les conclusions juridiques des groupes spéciaux. La création de l’Organe d’appel par les Membres de l’OMC pour réexaminer les interprétations du droit données par les groupes spéciaux montre que les Membres reconnaissaient l’importance de l’uniformité et de la stabilité dans l’interprétation de leurs droits et obligations au titre des accords visés. Cela est essentiel pour promouvoir “la sécurité et la prévisibilité” du système de règlement des différends et pour assurer le “règlement rapide” des différends. Le fait que le Groupe spécial n’a pas suivi des rapports de l’Organe d’appel adoptés précédemment qui traitaient des mêmes questions compromet la constitution d’une jurisprudence cohérente et prévisible clarifiant les droits et les obligations des Membres au titre des accords visés ainsi qu’il est prévu par le Mémorandum d’accord. La clarification, qui est envisagée à l’article 3:2 du Mémorandum d’accord, éclaircit la portée et la signification des dispositions des accords visés conformément aux règles coutumières d’interprétation du droit international public. Si l’application d’une disposition peut être considérée comme limitée au contexte dans lequel elle a lieu, la pertinence de la clarification figurant dans des rapports de l’Organe d’appel adoptés n’est pas limitée à l’application d’une disposition particulière dans une affaire donnée [38] .

[Italiques dans l’original, notes de bas de page omises]

[63] Le Tribunal est d’avis qu’il faut tenir compte des décisions des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel de l’OMC lors de l’examen du contexte et de l’interprétation des accords de l’OMC, car ces décisions ont une incidence sur l’interprétation de la LMSI.

[64] L’élément le plus important du contexte établi par l’Accord SMC et l’Accord antidumping est simple : il s’agit de deux accords entièrement distincts. Bien que ces deux accords traitent des recours commerciaux qui peuvent être exercés, la principale cause de ces recours (que ce soit le dumping ou le subventionnement) a toujours été considérée et traitée comme un sujet distinct et fait l’objet d’enquêtes distinctes. Les procédures et les dispositions de fond qui sont énoncées dans ces deux accords ne sont pas interchangeables; ainsi, chacun de ces accords exige la tenue d’une analyse de dommage. C’est seulement lorsque les enquêtes sont effectuées conformément aux disciplines imposées par chacun de ces accords que l’imposition de droits antidumping et compensateurs, respectivement, par un membre de l’OMC permettra de se conformer aux obligations prévues par ces accords.

[65] La question du cumul des effets des marchandises en provenance de plus d’un pays est abordée dans ces deux accords. Il est donc inexact d’affirmer qu’il existe un silence ou un vide juridique sur la question du cumul dans le cadre d’enquêtes de dommage. Au contraire, chacun de ces accords établit des exigences particulières et limitatives qui régissent ces enquêtes. Toutefois, l’Accord SMC ne traite que des effets des marchandises subventionnées dans le cadre d’une enquête de subventionnement, tandis que l’Accord antidumping ne traite que des effets des marchandises sous‑évaluées dans le cadre d’une enquête antidumping.

[66] Dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde), l’Organe d’appel de l’OMC a reconnu ces principes lorsqu’il a affirmé ce qui suit :

Nous avons constaté que [l’article 15] n’était pas muet sur la question du cumul des effets des importations subventionnées et des effets des importations non subventionnées. Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, l’article 15.3 prévoit que les autorités chargées de l’enquête peuvent, si les conditions énoncées dans la dernière clause de cet article sont remplies, procéder à une évaluation cumulative des effets des importations qui font simultanément l’objet d’enquêtes en matière de droits compensateurs. Il s’ensuit qu’une évaluation cumulative au titre de l’article 15.3 ne doit pas inclure les effets des importations non subventionnées [39] .

[Nos italiques]

[67] Dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde), l’Organe d’appel de l’OMC a aussi formulé les observations suivantes, qui sont particulièrement importantes pour ce qui est de l’interprétation de la LMSI :

Enfin, nous notons que l’argument des États-Unis voulant que l’article VI:6 a) du GATT de 1994 étaye leur interprétation selon laquelle le cumul croisé en cause en l’espèce est compatible avec les dispositions de l’article 15 de l’Accord SMC. L’article VI:6 a) du GATT de 1994 stipule ce qui suit :

Aucun Membre ne percevra de droits antidumping ou de droits compensateurs à l’importation d’un produit du territoire d’un autre Membre, à moins qu’il ne détermine que l’effet du dumping ou de la subvention, selon le cas, est tel qu’il cause ou menace de causer un dommage important à une branche de production nationale établie, ou qu’il retarde de façon importante la création d’une branche de production nationale.

Les États-Unis s’appuient en particulier sur le membre de phrase “selon le cas” figurant à l’article VI:6 a). Pour eux, cette formulation est une façon de reconnaître qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles les pratiques commerciales déloyales visées par la détermination de l’existence d’un dommage faite par l’autorité chargée de l’enquête peuvent, “selon le cas”, comprendre le dumping, le subventionnement ou les deux pratiques commerciales déloyales”.

Nous examinons le membre de phrase “selon le cas” figurant à l’article VI:6 a) à l’intérieur de la structure de cette disposition, en nous référant à l’”effet du dumping ou de la subvention, selon le cas”. En particulier, nous observons que cette clause fait référence à deux éléments, le “dumping” et la “subvention”, et relie ces deux éléments par le mot “ou”. Pour nous, l’emploi de “ou”, ainsi que du singulier l’”effet”, indique que la disposition fait séparément référence au “dumping” ou à la “subvention”. Lu dans ce contexte, le membre de phrase “selon le cas” précise qu’un dommage peut être causé soit par l’effet de la subvention (un “cas”) soit par l’effet du dumping (l’autre “cas”). Nous convenons par conséquent avec le Groupe spécial que le membre de phrase “selon le cas” fait référence à l’une des deux options indiquées expressément dans cette disposition et que la troisième option avancée par les États-Unis – les “importations faisant l’objet d’un dumping et subventionnées” ou les “importations faisant l’objet d’un commerce déloyal” – ne figure pas à l’article VI:6 a) [40] .

[Nos italiques, notes de bas de page omises]

[68] La pratique adoptée par le Tribunal conformément à la LMSI, avant que l’Organe d’appel rende sa décision dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde), s’éloignait du cadre juridique qui a été énoncé par l’Organe d’appel de l’OMC dans cette affaire. La pratique antérieure du Tribunal en ce qui a trait au cumul reposait sur la prémisse selon laquelle la LMSI est muette sur la question du cumul des effets des marchandises sous‑évaluées et des effets des marchandises subventionnées, et pourrait donc être interprétée dans l’abstrait comme permettant un cumul croisé. La décision de l’OMC dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde), qui confirmait que ce type de cumul n’est pas permis dans le cadre d’enquêtes de dommage du point de vue des accords de l’OMC, a été le catalyseur de la modification de la pratique du Tribunal en ce qui a trait à l’interprétation et à l’application de la LMSI, car cette décision a clarifié le contexte dans lequel le cumul est permis conformément aux accords de l’OMC. À cet égard, il convient de rappeler que le cumul croisé des effets des marchandises en provenance de pays qui font l’objet d’enquêtes en matière de droits antidumping et de pays qui font l’objet d’enquêtes en matière de droits compensateurs n’était pas et n’est pas conforme aux obligations expressément prévues dans la LMSI ou les accords de l’OMC.

[69] En ce qui concerne les accords de l’OMC eux‑mêmes, un examen même superficiel des accords en cause démontre le caractère distinct des dispositions de cumul. Pour ce qui est des enquêtes, les dispositions de cumul sont énoncées à l’article 3.3 de l’Accord antidumping, qui prévoit ce qui suit :

Dans les cas où les importations d’un produit en provenance de plus d’un pays feront simultanément l’objet d’enquêtes antidumping, les autorités chargées des enquêtes ne pourront procéder à une évaluation cumulative des effets de ces importations que si elles déterminent a) que la marge de dumping établie en relation avec les importations en provenance de chaque pays est supérieure au niveau de minimis au sens du paragraphe 8 de l’article 5 et que le volume des importations en provenance de chaque pays n’est pas négligeable. [...]

[70] Les dispositions de cumul de l’article 15.3 de l’Accord SMC sont ainsi libellées :

Dans les cas où les importations d’un produit en provenance de plus d’un pays feront simultanément l’objet d’enquêtes en matière de droits compensateurs, les autorités chargées des enquêtes ne pourront procéder à une évaluation cumulative des effets de ces importations que si elles déterminent a) que le montant du subventionnement établi en relation avec les importations en provenance de chaque pays est supérieur au niveau de minimis au sens du paragraphe 9 de l’article 11 et que le volume des importations en provenance de chaque pays n’est pas négligeable, et b) qu’une évaluation cumulative des effets des importations est appropriée à la lumière des conditions de concurrence entre les produits importés et des conditions de concurrence entre les produits importés et le produit national similaire.

[71] Il ressort clairement des dispositions précitées que la pratique antérieure du Tribunal est incompatible avec les dispositions de l’OMC lors du cumul des effets de marchandises qui font uniquement l’objet d’une enquête de dumping avec les marchandises qui font uniquement l’objet d’une enquête de subventionnement. De fait, une marge de dumping ne peut jamais être établie à l’égard des marchandises qui font uniquement l’objet d’une enquête de subventionnement, et un montant de subventionnement ne peut pas être établi à l’égard des marchandises qui font uniquement l’objet d’une enquête de dumping, et ce, malgré les restrictions applicables au cumul qui sont énoncées dans les accords de l’OMC susmentionnés.

[72] Les parties soutiennent également que la décision de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) ne s’appliquait qu’aux enquêtes de dommage initiales et n’interdisait pas la pratique antérieure du Tribunal dans le contexte de réexamens relatifs à l’expiration, et que dans la décision rendue dans É.‑U. – Tubes et tuyaux (Turquie), le Groupe spécial de l’OMC a adopté la pratique antérieure du Tribunal dans ce contexte.

[73] Le Tribunal a fait part de son opinion sur ce point dans TSAC. Ultimement, les accords de l’OMC établissent des restrictions claires concernant le type d’évaluation cumulative qui peut être effectuée pour appuyer les conclusions de dommage (et les droits qui en découlent) dans le cadre d’enquêtes de dommage, et ce, peu importe si ces accords permettent ou interdisent expressément un quelconque cumul dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration, comme il a été mentionné ci‑dessus. Le paragraphe 42(3) de la LMSI (qui porte sur l’évaluation des effets cumulatifs dans le cadre d’enquêtes) et le paragraphe 76.03(11) de la LMSI (qui porte sur l’évaluation des effets cumulatifs dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration) sont presque identiques. Le Tribunal est d’avis qu’en utilisant des libellés essentiellement identiques, le législateur a voulu donner le même sens au paragraphe 76.03(11) et aux parties pertinentes du paragraphe 42(3). En conséquence, la même interprétation devrait s’appliquer dans le contexte d’un réexamen relatif à l’expiration régi par l’article 76.03.

[74] De plus, l’Organe d’appel de l’OMC ne s’est pas prononcé sur la question du contexte particulier dans lequel les réexamens relatifs à l’expiration sont effectués, si ce n’est pour dire que ses décisions antérieures sur le cumul dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration ne portaient pas sur la question de l’évaluation des effets cumulatifs des marchandises en provenance de pays pratiquant le dumping et de pays pratiquant le subventionnement, mais traitaient plutôt de la façon d’évaluer les effets cumulatifs de marchandises qui ont uniquement été sous‑évaluées.

[75] Cette déclaration a été reconnue par le Groupe spécial de l’OMC dans É.‑U. – Tubes et tuyaux (Turquie), dans laquelle le Groupe spécial a invoqué la décision rendue dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) pour appuyer ses arguments concernant le cumul dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration. Il convient de souligner que ce n’est qu’après que le Groupe spécial de l’OMC a entièrement adopté l’analyse effectuée par l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) concernant le cumul dans le cadre d’enquêtes de dommage [41] qu’il a déclaré ce qui suit dans É.‑U. – Tubes et tuyaux (Turquie) :

Compte tenu de notre approche, nous ne considérons pas non plus que les constatations de l’Organe d’appel dans l’affaire États-Unis – Acier au carbone (Inde) concernant le cumul des importations subventionnées et des importations faisant l’objet d’un dumping non subventionnées dans les déterminations de l’existence d’un dommage établies dans les enquêtes initiales sont pertinentes pour notre évaluation [concernant les réexamens relatif à l’expiration] [42] .

[76] Bien que le cumul des effets des marchandises sous‑évaluées avec les effets d’autres marchandises sous‑évaluées soit expressément permis par l’Accord antidumping (et également par l’Accord SMC) dans le cadre d’enquêtes initiales, le cumul n’est ni permis ni interdit par les accords internationaux dans le cadre d’un réexamen relatif à l’expiration. Autrement dit, au sein de l’OMC, il existe une perception selon laquelle il y a un silence sur cette question pour ce qui est des réexamens relatifs à l’expiration. Cependant, ce silence est tout au plus neutre dans ces circonstances. Les énoncés au sujet de l’absence de dispositions concernant le cumul dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration dans É.‑U. – Tubes et tuyaux (Turquie) ne signifient pas que le Tribunal doit évaluer les effets cumulatifs des marchandises sous‑évaluées et subventionnées. La décision rendue dans É.‑U. – Tubes et tuyaux (Turquie) n’empêche pas le Tribunal d’adopter une méthode qu’il estime conforme aux deux accords en cause et à la LMSI.

[77] Il importe de souligner que, bien que les accords de l’OMC ne permettent pas ou n’interdisent pas expressément un quelconque cumul dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration, la LMSI traite de la même manière le cumul dans le cadre d’enquêtes et le cumul dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration. Encore là, il serait tout à fait illogique d’utiliser une approche différente pour effectuer le cumul dans le cadre d’enquêtes de dommage et dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration puisque le libellé des dispositions pertinentes de la LMSI est presque identique. Aucun argument fondamental convaincant n’a été présenté au Tribunal à l’appui de cette thèse. Étant donné que les accords distincts prévoient la réalisation de réexamens relatifs à l’expiration de façon générale, mais aussi de façon distincte, l’opinion la plus cohérente – que le Tribunal adopte – est que les réexamens relatifs à l’expiration au titre de la LMSI visant des marchandises sous‑évaluées en provenance d’un pays doivent être effectués (du moins sur le plan conceptuel) séparément des réexamens visant des marchandises subventionnées en provenance d’un autre pays.

L’analyse contextuelle – l’économie de la Loi

[78] La question du cumul a été soulevée principalement parce que la LMSI a été rédigée de manière « abrégée » afin de tenir compte des deux types de procédures de recours commerciaux (les enquêtes de dumping autant que les enquêtes de subventionnement).

[79] L’expression « dumping ou [...] subventionnement » est utilisée dans les parties pertinentes de la LMSI. Cette expression figure non seulement dans les dispositions de cumul précitées, mais aussi dans d’autres dispositions de la Loi. Par exemple, les parties pertinentes des articles 31, 42 et 76.03 de la LMSI contiennent toutes cette expression. Il est également évident que la Loi traite des particularités distinctes de ces différents types d’enquêtes, notamment dans le contexte d’une analyse de dommage [43] .

[80] Par conséquent, la LMSI ne confond pas le dumping et le subventionnement dans les mots clés de ses dispositions [44] . De l’avis du Tribunal, il y a un décalage entre, d’une part, ce libellé en particulier et le régime législatif adopté par le législateur et, d’autre part, l’argument de la branche de production nationale selon lequel la LMSI commande clairement et délibérément l’adoption d’une pratique qui est contraire aux obligations distinctes énoncées dans l’Accord antidumping et l’Accord SMC que la Loi vise à mettre en œuvre.

[81] Un examen de la pratique adoptée par l’ASFC au titre des dispositions pertinentes de la LMSI permet d’étayer ce point. L’ASFC mène des enquêtes sur les droits antidumping et les droits compensateurs appliqués aux marchandises provenant de différents pays qui sont entièrement distinctes, tant sur le fond que sur la forme. Par exemple, l’ASFC a rendu les deux décisions distinctes suivantes dans le cadre du présent réexamen relatif à l’expiration :

[...] l’expiration des conclusions rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur le 9 janvier 2015, dans le cadre de l’enquête no NQ-2014-001, concernant certaines barres d’armature pour béton originaires ou exportées de la République populaire de Chine, de la République de Corée et de la République de Turquie,

1. causera vraisemblablement la poursuite ou la reprise du dumping des marchandises originaires ou exportées de la République populaire de Chine, de la République de Corée et de la République de Turquie, et

2. causera vraisemblablement la poursuite ou la reprise du subventionnement des marchandises originaires ou exportées de la République populaire de Chine [45] .

Ces décisions entrent en vigueur le 7 mai 2020.

[Nos italiques]

[82] De plus, selon le libellé des décisions susmentionnées, l’ASFC a procédé à deux analyses distinctes dans son énoncé des motifs avant de rendre les deux décisions mentionnées ci‑dessus dans le cadre du présent réexamen relatif à l’expiration, soit une analyse des facteurs à prendre en considération relativement à la vraisemblance de la poursuite ou de la reprise du dumping et une analyse des facteurs à prendre en considération relativement à la vraisemblance de la poursuite ou de la reprise du subventionnement [46] .

L’analyse contextuelle – l’intention du législateur

[83] En l’espèce, le Tribunal a conclu que le paragraphe 76.03(11) doit être interprété conformément aux obligations internationales du Canada, car il est possible d’interpréter cette disposition selon la présomption de conformité. Cette présomption peut toujours être réfutée si le législateur avait clairement l’intention de permettre au Tribunal de prendre des mesures qui sont contraires aux obligations internationales. L’intention du législateur ressort bien des éléments textuels et contextuels ainsi que de l’économie de la LMSI mentionnés précédemment. Dans le cadre du présent réexamen, le Tribunal n’a été saisi d’aucun élément de preuve convaincant lui permettant d’établir que l’intention du législateur était d’adopter une règle de cumul non conforme aux obligations internationales susmentionnées.

[84] Les arguments de la branche de production nationale, concernant le « choix » du législateur de ne pas modifier les dispositions de cumul de la LMSI après la décision rendue dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde), ne sont pas convaincants. L’argument le plus convaincant dans le présent réexamen est que le législateur a fait ce choix simplement parce que, lorsqu’elles sont correctement interprétées (ce que le Tribunal s’est efforcé de faire après la décision rendue dans É.‑U. – Acier au carbone [Inde]), les dispositions de cumul étaient et demeurent conformes aux accords de l’OMC – et aucune modification n’est donc requise. Le Tribunal réitère sa position selon laquelle la LMSI doit, si possible, être interprétée conformément aux obligations internationales du Canada [47] . À la lumière du libellé du paragraphe 76.03(11), le Tribunal peut faire une telle interprétation sans que des modifications soient nécessaires.

[85] La branche de production nationale soutient également que le libellé des dispositions de cumul de l’OMC prévoit que les autorités chargées des enquêtes « pourront » évaluer les effets cumulatifs (comme le prévoyait la LMSI en 1994). Or, la Loi a été modifiée en 1999 afin de remplacer « le Tribunal peut évaluer » par « le Tribunal évalue » aux paragraphes 42(3) et 76.03(11). Hormis le fait que la décision d’évaluer les effets cumulatifs est prise si le Tribunal estime qu’une telle évaluation est indiquée à la lumière des conditions de concurrence, cette modification n’est pas pertinente dans la mesure où le Tribunal conclut que l’évaluation des effets cumulatifs mentionnée dans la LMSI ne peut être effectuée que dans le cadre d’une seule analyse de dommage, soit l’analyse de dommage pouvant découler du dumping ou l’analyse de dommage pouvant découler du subventionnement. Le législateur n’a pas donné de directives claires, aux fins de l’examen du dommage et, ultimement, de la justification de l’imposition de droits antidumping ou compensateurs, en ce qui a trait à l’évaluation des effets cumulatifs des marchandises provenant de différents pays qui font l’objet de différents types d’enquêtes, ou des deux types d’enquêtes susmentionnés. Autrement dit, le fait de remplacer « le Tribunal peut évaluer » par « le Tribunal évalue » ne change en rien l’interprétation selon laquelle les effets cumulatifs des marchandises en provenance de pays qui font l’objet d’une enquête de dumping ne peuvent pas être évalués avec les effets cumulatifs des marchandises en provenance de pays qui font l’objet d’une enquête de subventionnement, ou vice versa.

Conclusion sur le cumul

[86] En résumé, le Tribunal doit déterminer si les dispositions de la LMSI démontrent sans ambiguïté que le législateur avait l’intention d’établir qu’il convient d’évaluer les effets cumulatifs des marchandises provenant de pays qui font l’objet d’enquêtes de dumping avec les effets cumulatifs des marchandises provenant de pays qui font l’objet d’enquêtes de subventionnement, une pratique antérieure qui était contraire aux obligations internationales du Canada. Le Tribunal conclut que les dispositions de la LMSI sur ce point ne démontrent pas l’existence d’une telle intention non ambiguë, et qu’elles peuvent et devraient donc être interprétées conformément aux exigences des accords de l’OMC. Les parties au présent réexamen qui sont en faveur du recours à cette pratique antérieure pour ce qui est de l’évaluation des effets cumulatifs n’ont donc pas convaincu la majorité des membres du Tribunal de revenir à cette façon de faire.

[87] Par conséquent, conformément à sa pratique établie et aux éléments de preuve concernant les conditions de concurrence, le Tribunal effectuera des analyses de la probabilité de dommage distinctes pour les marchandises qui font l’objet d’une enquête de dumping (c.‑à‑d. les marchandises en provenance de la Corée et de la Turquie) et les marchandises qui font l’objet d’une enquête de dumping et d’une enquête de subventionnement (c.‑à‑d. les marchandises en provenance de la Chine).

[88] Subsidiairement, le Tribunal pourrait effectuer des enquêtes et des réexamens entièrement distincts en ce qui concerne les droits antidumping et les droits compensateurs. Dans le cadre du présent réexamen relatif à l’expiration, une telle pratique consisterait à évaluer le volume cumulatif probable et les effets sur les prix de toutes les marchandises sous‑évaluées (provenant de la Corée, de la Turquie et de la Chine, pourvu que les conditions de concurrence permettent une telle évaluation), puis à évaluer séparément le volume probable et les effets sur les prix des marchandises subventionnées (provenant de la Chine, de façon distincte de tout autre facteur, y compris des marchandises sous‑évaluées provenant de la Corée et de la Turquie). Cependant, la réalisation d’analyses distinctes, bien qu’elle ne soit pas impossible [48] , entraînerait d’autres difficultés dans certains cas. Par exemple, cela exigerait que la probabilité de dommage découlant du même ensemble de marchandises soit évaluée à deux reprises (ce qui pourrait par ailleurs mener à un double compte des marchandises analysées) et accentuerait les difficultés liées au traitement de tous les facteurs autres que les marchandises en cause, et permettrait de déterminer la séquence appropriée de l’analyse de la probabilité de dommage. Tout compte fait, le Tribunal conclut qu’il ne s’agit pas de l’approche à privilégier.

Analyse des effets du dumping et du subventionnement des marchandises en provenance de la Chine

[89] Comme il a été mentionné précédemment, les marchandises en cause provenant de la Chine seront vraisemblablement sous‑évaluées et subventionnées. Selon l’analyse de la majorité des membres du Tribunal, les effets cumulatifs des marchandises en cause provenant de la Chine ne peuvent pas être évalués avec les effets cumulatifs des marchandises provenant des autres pays, car ces marchandises font uniquement l’objet d’une enquête antidumping ou font uniquement l’objet d’une enquête de subventionnement.

[90] Toutefois, aucune disposition législative ne traite directement du « cumul croisé », qui consiste à analyser les effets du dumping et du subventionnement des mêmes marchandises provenant d’un seul pays. Comme il a été mentionné dans le cadre d’affaires précédentes, les effets du dumping et du subventionnement des mêmes marchandises provenant d’un pays donné se manifestent par un seul ensemble d’effets dommageables sur les prix, et il est impossible d’isoler les effets causés par le dumping de ceux qui sont causés par le subventionnement [49] . En fait, lorsque les marchandises sous‑évaluées et subventionnées proviennent d’un seul pays, les effets sont si étroitement enchevêtrés qu’il est impossible d’en attribuer une proportion précise au dumping et au subventionnement des mêmes marchandises [50] .

[91] Puisque le présent réexamen relatif à l’expiration concerne des marchandises sous‑évaluées et subventionnées provenant de la Chine, les effets probables de la reprise du dumping et du subventionnement des marchandises en cause provenant de la Chine ne se répercuteront que sur un seul ensemble de prix. Par conséquent, le Tribunal évaluera les effets cumulatifs croisés probables de la poursuite ou de la reprise du dumping et du subventionnement des marchandises en cause provenant de la Chine sur la branche de production nationale.

OPINION DISTINCTE DU MEMBRE BUJOLD SUR LE CUMUL

[92] En tout respect, je ne peux souscrire à l’analyse de mes collègues sur la question du cumul. Pour les motifs que j’ai récemment énoncés dans Vis en acier au carbone [51] , je suis d’avis que, interprété et appliqué correctement, le paragraphe 76.03(11) de la LMSI exige également une évaluation des effets cumulatifs de la reprise probable du dumping des marchandises provenant des trois pays en question dans les circonstances de l’espèce.

[93] À mon avis, le libellé non ambigu de cette disposition commande une telle conclusion, et ce, indépendamment du fait que les marchandises provenant de la Chine seront aussi vraisemblablement subventionnées. Je ne souscris donc pas à la conclusion de mes collègues selon laquelle le paragraphe 76.03(11) peut être interprété autrement à la lumière des obligations internationales du Canada, ni d’ailleurs à leur opinion concernant le sens et la pertinence de ces obligations, qui renvoie à la conclusion qu’a tirée le Tribunal sur cette question dans TSAC.

[94] À cet égard, je constate que mes collègues ont expressément approuvé dans leur analyse l’approche adoptée par le Tribunal dans TSAC. À mon avis, il s’agit d’une approche malavisée et, bien qu’ils demeurent pertinents, je ne répéterai pas en l’espèce les motifs que j’ai invoqués dans VAC pour appuyer ma conclusion selon laquelle la décision rendue dans TSAC à l’égard de cette question est erronée et ne devrait pas être suivie.

[95] J’examinerai plutôt les motifs additionnels fournis par mes collègues à l’appui de ce qu’ils ont décrit comme étant la pratique actuelle du Tribunal concernant le cumul. En tout respect, j’estime que la description faite par mes collègues des principes pertinents d’interprétation des lois et leur « analyse contextuelle » des dispositions de cumul de la LMSI comportent des lacunes. À mon avis, sous le couvert de cette « analyse contextuelle », mes collègues ont conclu à tort qu’une interprétation de dispositions inapplicables des accords internationaux l’emportait sur le libellé clair du paragraphe 76.03(11) de la LMSI.

[96] Par conséquent, je suis d’avis que leur conclusion, selon laquelle il ne serait pas approprié, compte tenu des obligations internationales du Canada, d’évaluer les effets cumulatifs des marchandises provenant d’un pays qui ont été sous‑évaluées et subventionnées avec les effets des marchandises provenant d’autres pays qui ont été uniquement sous‑évaluées, n’est pas conforme avec le paragraphe 76.03(11) de la LMSI. De façon plus générale, j’estime que les dispositions de cumul de la LMSI ne confèrent pas au Tribunal le pouvoir discrétionnaire qu’il posséderait selon mes collègues.

[97] J’examinerai ci‑dessous ces questions ainsi que les points précis de leur analyse avec lesquels je suis en désaccord.

Principes d’interprétation des lois et pertinence potentielle du droit international

[98] Mes collègues s’appuient sur la règle moderne d’interprétation des lois et invoquent certains précédents pour étayer leur conclusion selon laquelle, afin d’interpréter la LMSI, le Tribunal peut et devrait examiner les accords internationaux qui sont sources d’obligations internationales pour le Canada et s’inspirer de ces accords et des décisions qui interprètent les dispositions de ces accords pour établir un contexte et des lignes directrices. À mon avis, leur analyse des principes d’interprétation pertinents et des obligations internationales du Canada est incomplète et inexacte à certains égards importants.

[99] Premièrement, même s’il est vrai que les obligations du Canada issues de traités internationaux et les principes sous‑jacents du droit international peuvent jouer un rôle dans l’interprétation des lois canadiennes, cela ne signifie pas que le droit international doit nécessairement et convenablement être pris en considération suivant la règle moderne d’interprétation des lois [52] . Ce n’est que « dans la mesure du possible », c’est‑à‑dire lorsque le libellé d’une disposition est ambigu ou s’y prête, que les lois nationales peuvent et devraient être interprétées à la lumière des obligations internationales du Canada et des principes sous‑jacents du droit international [53] . L’expression « dans la mesure du possible » est un qualificatif important [54] , ce qui signifie que, contrairement à ce qu’affirment mes collègues, les accords internationaux ne sont pas nécessairement pertinents à l’étape du contexte de l’interprétation législative. Fondamentalement, le droit international ne peut pas servir à appuyer une interprétation qui n’est pas conforme aux dispositions non ambiguës des lois nationales, dont la LMSI [55] .

[100] Pour ce motif, je ne partage pas l’avis de mes collègues selon lequel la pratique antérieure du Tribunal en ce qui a trait au cumul reposait sur une interprétation qui ne peut pas être maintenue compte tenu des principes d’interprétation des lois. Au contraire, l’application de ces principes m’amène à conclure que le paragraphe 76.03(11) de la LMSI est clair et sans ambiguïté et que c’est plutôt la pratique adoptée récemment par le Tribunal, que mes collègues ont choisi de suivre en l’espèce, qui n’est pas conforme au libellé de cette disposition.

[101] Dans VAC, j’ai énoncé le fondement juridique sur lequel je me suis appuyé pour conclure que, si les conditions qui y sont établies sont remplies, le paragraphe 76.03(11) ne peut pas être interprété de manière à permettre au Tribunal d’effectuer une évaluation séparée des effets du dumping des marchandises en cause provenant de pays visés par la décision de l’ASFC (en l’espèce, les marchandises provenant de la Turquie, de la Corée et de la Chine), ce qui est, à mon humble avis, le résultat erroné de l’interprétation de mes collègues dans la présente affaire [56] . Dans mes observations au sujet de l’analyse de mes collègues présentées ci‑dessous, je fournirai les autres motifs sur lesquels je m’appuie pour affirmer que ceux-ci se sont appuyés à tort sur de prétendues obligations internationales comme facteur déterminant pour en arriver à cette conclusion [57] .

[102] Deuxièmement, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de mes collègues selon laquelle les décisions qui interprètent les dispositions de l’Accord antidumping ou de l’Accord SMC fournissent un « contexte » utile pour l’interprétation des dispositions sur le cumul de la LMSI. Ces décisions, y compris le rapport de l’Organe d’appel de l’OMC dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde), ne peuvent pas éclairer le sens authentique des paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI, car elles ne faisaient pas partie du contexte dans lequel ces dispositions ont été adoptées.

[103] Dans l’arrêt Entertainment Software, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que si une disposition législative est ambiguë et qu’il se peut que le droit international « ait influé sur son objet et son contexte », l’« instrument international » pertinent pourrait être pris en compte dans l’exercice d’interprétation [58] . La Cour a également souligné que c’est le droit international qui fait partie du « contexte d’adoption des lois » qui peut être pertinent et être pris en compte [59] .

[104] En tout respect, l’affirmation de mes collègues selon laquelle le Tribunal « doit » tenir compte des décisions de l’Organe d’appel de l’OMC lorsqu’il interprète ses lois nationales qui intègrent les accords de l’OMC est manifestement incompatible avec cet arrêt de la Cour d’appel fédérale. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé que les instruments de droit international ne peuvent être utilisés pour interpréter les lois nationales que dans la mesure où certaines conditions sont remplies [60] .

[105] En effet, la fonction principale de l’interprétation des lois est de déterminer l’intention du législateur [61] . Il incombe au décideur de discerner le sens de la disposition et l’intention du législateur, et non d’échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité [62] . Ces principes fondamentaux doivent guider le Tribunal lorsqu’il détermine quels documents ou instruments peuvent faire partie du contexte international pertinent dans lequel la LMSI et, plus particulièrement, ses dispositions régissant le cumul, ont été adoptées.

[106] Après avoir examiné la jurisprudence, j’arrive à la conclusion que seuls les « instruments internationaux » que le législateur était censé connaître au moment de l’adoption des dispositions pertinentes des lois nationales peuvent légitimement être pris en compte à l’étape du contexte de l’interprétation législative. En effet, étant donné que, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada, l’objectif de l’interprétation des lois est de déterminer l’intention du législateur, on ne peut en aucun cas affirmer que l’intention du législateur ressort de documents comme un rapport de l’Organe d’appel de l’OMC qui a été publié une quinzaine d’années après l’adoption des dispositions pertinentes de la LMSI et qui n’était donc pas connu du législateur au moment de l’adoption de cette loi [63] .

[107] Autrement dit, même si le législateur ne fixe aucune limite quant au type de documents auxquels le Tribunal peut se référer dans le cadre de son exercice d’interprétation [64] , cela ne veut pas dire que tous les documents internationaux sont pertinents ou font partie du contexte international pertinent. Contrairement à mes collègues, je suis d’avis qu’une importante distinction doit être faite entre les accords internationaux en soi, tels qu’ils existaient au moment de l’adoption des lois nationales, et les décisions dans lesquelles les dispositions de ces accords ont par la suite été interprétées. La jurisprudence citée par mes collègues n’appuie tout simplement pas l’affirmation selon laquelle les rapports de l’Organe d’appel de l’OMC fournissent des lignes directrices et un « contexte » pour l’interprétation de la LMSI conformément à la règle moderne d’interprétation des lois.

[108] En fait, la jurisprudence internationale ne fait même pas partie du contexte pertinent de l’interprétation des traités. L’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités [65] prévoit ce qui suit :

[a]ux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :

a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité;

b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.

[109] L’alinéa 31(3)b) de la Convention de Vienne dispose également que « toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité » sera prise en compte lors de l’interprétation du libellé d’un traité. Cependant, les rapports des groupes spéciaux ou de l’Organe d’appel de l’OMC ne constituent pas une telle pratique ultérieure [66] . Étant donné que ces rapports ne font pas partie du contexte aux fins de l’interprétation d’un traité, il s’ensuit qu’ils ne font pas non plus partie du contexte international potentiellement pertinent pour l’interprétation d’une loi nationale comme la LMSI.

[110] Cette distinction entre les accords internationaux et les décisions qui les interprètent aux fins de définir le contexte pertinent dans lequel les lois nationales sont adoptées est également confirmée dans la jurisprudence citée par mes collègues. Par exemple, dans l’arrêt B010, qui est l’un des jugements sur lesquels mes collègues se sont appuyés, la Cour suprême du Canada a déclaré que « [...] [l]es valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel font partie du contexte d’adoption des lois canadiennes [...] » [nos italiques] et a expressément mentionné que les « instruments internationaux » peuvent constituer le contexte international possiblement pertinent. Les décisions qui interprètent des accords internationaux ne constituent pas des instruments internationaux. En effet, les instruments internationaux désignent les traités, les conventions, les protocoles ou les documents similaires qui peuvent être signés ou ratifiés par un État [67] . La jurisprudence internationale ne doit donc pas être confondue avec les instruments internationaux. Seuls les instruments internationaux peuvent, « dans la mesure du possible », être pris en compte à l’étape du contexte de l’interprétation législative.

[111] En plus de ne pas constituer des instruments internationaux qui font partie du contexte dans lequel la LMSI a été adoptée, la jurisprudence de l’OMC, dont le rapport de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde), n’établit clairement pas des valeurs et des principes du droit international coutumier et conventionnel de l’ordre de ceux qui ont été reconnus comme des éléments contextuels pertinents par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt B010 en s’appuyant sur l’arrêt Hape. En droit, on ne peut même pas affirmer que ces rapports imposent des obligations internationales au Canada.

[112] Les décisions de l’Organe d’appel n’établissent pas les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel et n’imposent pas des obligations internationales au Canada dans le cadre des différends où il n’est ni le plaignant ni le défendeur. Dans leur analyse, mes collègues présument que le rapport de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) présente une interprétation définitive des dispositions portant sur le cumul des accords de l’OMC que doit respecter le Canada et, par extension, que doit adopter le Tribunal. Cela est inexact.

[113] Un différend devant l’OMC porte sur une question spécifique et oppose deux ou plusieurs membres donnés de l’OMC. Le rapport d’un groupe spécial ou de l’Organe d’appel porte également sur cette question spécifique qui fait l’objet du différend entre ces membres. Même adoptés, les rapports des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel ne constituent pas des précédents contraignants pour d’autres différends entre les mêmes parties ou entre des parties différentes sur le même sujet, quoique les mêmes questions concernant le droit de l’OMC puissent se poser. Comme c’est le cas dans d’autres domaines du droit international, la procédure de règlement des différends de l’OMC n’établit pas le principe du respect des décisions rendues (stare decisis) en vertu duquel les groupes spéciaux ou l’Organe d’appel seraient liés dans les affaires ultérieures par les décisions antérieures [68] .

[114] Autrement dit, un groupe spécial n’est pas tenu de suivre les précédents rapports de l’Organe d’appel, même si ces derniers donnent une certaine interprétation des dispositions mêmes qu’il est chargé d’examiner. L’Organe d’appel n’est pas tenu lui non plus de maintenir les interprétations du droit qu’il a données dans des affaires antérieures. Bien qu’en pratique l’Organe d’appel s’attende à ce que ses décisions soient suivies dans les affaires ultérieures, l’existence de raisons impérieuses peut justifier que l’on s’écarte des interprétations antérieures [69] .

[115] À cet égard, je remarque que mes collègues ont cité le rapport de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier inoxydable (Mexique) à l’appui de leur opinion selon laquelle les décisions des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel de l’OMC doivent être prises en compte lors de l’examen du contexte et de l’interprétation des accords de l’OMC étant donné que ces décisions ont une incidence sur l’interprétation de la LMSI. À mon humble avis, ce rapport n’appuie pas cette assertion.

[116] Premièrement, le rapport confirme que la jurisprudence de l’OMC ne lie pas le Canada à moins que le pays soit partie au différend. Deuxièmement, il indique simplement que même s’il n’y a pas de mécanisme de précédent formel, on s’attend à ce que les décisions antérieures soient prises en compte lorsque les mêmes obligations doivent être clarifiées dans le cadre d’un différend ultérieur afin d’assurer un degré de certitude et de prévisibilité dans l’interprétation des dispositions des accords de l’OMC. Cela ne signifie pas que les rapports de l’Organe d’appel deviennent pertinents à l’égard de l’interprétation de la LMSI ou que ceux-ci « influent » sur cette interprétation. À moins que, comme l’a suggéré l’Organe d’appel dans l’affaire É.‑U. – Acier inoxydable (Mexique), les rapports de l’Organe d’appel soient pris en compte par des membres de l’OMC, y compris le Canada, lors de l’adoption ou de la modification de lois ou de règlements nationaux se rapportant à des questions relatives au commerce international (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), je suis d’avis que ces rapports sont fort éloignés de l’intention du législateur.

[117] En ce qui a trait au recours, par mes collègues, à l’article 3.2 du Mémorandum d’accord, je tiens à souligner que cette disposition ne donne pas aux rapports de l’Organe d’appel une valeur de précédent dans le cadre d’interprétations ultérieures. Du point de vue des règles de l’OMC, cette disposition n’empêche pas les groupes spéciaux de l’OMC de s’écarter d’interprétations antérieures formulées par l’Organe d’appel lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » de le faire. C’est d’ailleurs exactement ce qu’a récemment fait un groupe spécial de l’OMC dans le cadre d’un différend impliquant le Canada [70] .

[118] Il s’ensuit que les membres de l’OMC qui ne sont pas parties au différend ne sont aucunement tenus d’accepter les conclusions de l’Organe d’appel ou de mettre en œuvre ses recommandations. En termes simples, le rapport de l’Organe d’appel dans l’affaire É.‑U. – Acier au carbone (Inde) n’impose pas au Canada des exigences prohibitives découlant des accords de l’OMC et ne représente pas un élément contextuel convaincant dans l’interprétation des lois nationales. Par conséquent, le rapport est sans grande pertinence quant à l’interprétation des paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI.

[119] De plus, même si les rapports de l’Organe d’appel adoptés par l’Organe de règlement des différends de l’OMC seront acceptés sans condition par les parties au différend, la Conférence ministérielle et le Conseil général ont le pouvoir exclusif, conformément à l’article IX:2 de l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (l’Accord de l’OMC), d’adopter des interprétations qui sont contraignantes envers les membres de l’OMC. En l’absence d’une telle interprétation contraignante des dispositions de l’Accord SMC et de l’Accord antidumping régissant le cumul, il n’y a pas de motif valable pour conclure, comme l’a fait le Tribunal dans TSAC, que les obligations internationales du Canada à cet égard ont été interprétées « par l’OMC » [71] . Les rapports de l’Organe d’appel comme celui dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) ne constituent pas des interprétations contraignantes des dispositions des accords de l’OMC et ne comprennent pas non plus des recommandations invitant l’ensemble des membres de l’OMC à se conformer à leurs conclusions.

[120] Par conséquent, compte tenu de l’absence d’effet contraignant sur les pays autres que les États-Unis et l’Inde, les conclusions de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) ne peuvent pas être considérées comme établissant des obligations internationales pour le Canada ou comme établissant des principes de droit international semblables à ceux qui peuvent être pris en compte dans l’interprétation des lois nationales. Ici encore, il convient de souligner que dans l’arrêt National Corn Growers, la Cour suprême a évoqué l’examen de « conventions internationales » dans le cadre de l’interprétation contextuelle de la LMSI et non pas aux interprétations ultérieures des dispositions de telles conventions par des organes décisionnels internationaux.

[121] Il en va de même dans l’arrêt Hape, qui a été invoqué par le Tribunal dans TSAC et mentionné par mes collègues au soutien de l’affirmation selon laquelle la législation canadienne doit être réputée, et donc interprétée, comme étant conforme aux obligations internationales du Canada. Cet arrêt limite clairement la portée de cette présomption aux obligations contraignantes en droit international. Dans cette affaire, la Cour suprême a en fait statué que selon un principe d’interprétation législative bien établi, une loi est réputée conforme au droit international, de sorte que dans l’interprétation de la portée de la Charte, une cour devrait tendre à assurer le respect des obligations contraignantes du Canada en droit international, lorsque les libellés exprès de ses dispositions le permettent [72] . L’arrêt Hape ne permet pas d’affirmer que la législation canadienne doit être interprétée conformément aux décisions non contraignantes prises dans le cadre de différends impliquant d’autres pays.

[122] À mon avis, les rapports de l’Organe d’appel interprétant les dispositions de l’Accord SMC et de l’Accord antidumping dans le cadre de différends entre d’autres membres de l’OMC ne doivent donc pas être confondus avec les obligations commerciales internationales du Canada en tant que telles ou perçus comme circonscrivant de manière concluante les limites de ces obligations. Il y a une distinction importante à faire entre le libellé d’un traité, les interprétations contraignantes en application de l’article IX:2 de l’Accord de l’OMC et la jurisprudence de l’OMC. Ni l’arrêt National Corn Growers ni l’arrêt B010, et encore moins l’arrêt Hape, ne suggèrent que la LMSI doit être réputée conforme à la jurisprudence non contraignante de l’OMC.

[123] Comme il n’énonce pas d’obligations internationales pour le Canada, le rapport de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) n’aurait pas dû devenir, comme l’ont dit mes collègues, le « catalyseur de la modification de la pratique du Tribunal en ce qui a trait à l’interprétation et à l’application de la LMSI » relativement au cumul. Ce rapport reflète les opinions formulées par l’Organe d’appel au moment de sa délivrance pour régler un différend entre les États‑Unis et l’Inde. On ne peut présumer que l’Organe d’appel ne reverra pas son raisonnement et sa décision sur cette question dans des différends ultérieurs entre d’autres membres de l’OMC présentant des faits et des arguments possiblement différents. Pour ce motif, je suis d’avis que mes collègues ont incorrectement conclu, à la lumière des conclusions tirées par l’Organe d’appel dans ce rapport, que la pratique antérieure du Tribunal en matière de cumul n’est pas conforme aux obligations du Canada en vertu de l’Accord SMC et de l’Accord antidumping.

[124] En clair, cela signifie que, à moins que la LMSI soit contestée avec succès « en tant que telle » ou « telle qu’elle est appliquée » dans une enquête ou un réexamen relatif à l’expiration devant le Tribunal par d’autres membres de l’OMC conformément aux procédures de règlement des différends de l’OMC, il n’y a aucune obligation internationale pour le Canada d’adopter l’interprétation qu’a fait l’Organe d’appel des dispositions des accords de l’OMC à cet égard et, par extension, aucune obligation pour le Tribunal d’interpréter la LMSI conformément aux décisions de l’Organe d’appel.

[125] Par conséquent, j’estime, avec égards, que mes collègues se sont appuyés à tort sur la jurisprudence de l’OMC qui n’existait pas au moment de l’adoption des dispositions de cumul de la LMSI, que ce soit en tant que « contexte » pour l’interprétation de ces dispositions ou bien comme fondement de l’application de la présomption de conformité des lois nationales avec le droit international dans l’exercice d’interprétation de ces dispositions. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Entertainment Software, le droit international n’est pas toujours pertinent, convaincant et contraignant, et il est parfois mal utilisé par les décideurs dans l’élaboration d’un argument juridique [73] .

Les exigences des paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI

[126] Pour évaluer s’il est possible d’interpréter les dispositions sur le cumul de la LMSI à la lumière du point de vue de mes collègues quant à la signification des obligations internationales du Canada [74] , la première question à examiner consiste à déterminer s’il y a ambiguïté dans le libellé de ces dispositions de sorte qu’il prêterait à de multiples interprétations. À cet égard, je ne suis pas d’accord avec la conclusion de mes collègues selon laquelle les paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI sont sujets à interprétation et qu’ils ne commandent pas sans ambiguïté l’adoption de la pratique antérieure du Tribunal.

[127] Il est utile d’examiner comment le Tribunal a interprété par le passé le libellé des dispositions de cumul de la LMSI. Fait intéressant, aucun précédent ne suggère qu’il est nécessaire d’entreprendre une analyse contextuelle pour en clarifier le sens. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans Hypothèques Trustco Canada, lorsque « le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation » [75] .

[128] Par exemple, dans Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud [76] , une affaire qui a été tranchée après la délivrance du rapport de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde), les marchandises en cause visées par l’enquête étaient des tôles sous-évaluées en provenance de la Russie et des tôles sous-évaluées et subventionnées en provenance de l’Inde. Le Tribunal a été appelé à déterminer s’il était approprié d’examiner les effets cumulatifs des marchandises sous-évaluées provenant de l’Inde et de la Russie en tenant compte de facteurs pertinents relatifs aux conditions de concurrence, comme la substituabilité, la qualité, l’établissement des prix, les circuits de distribution, les modes de transport, le moment de l’arrivée des importations et la répartition géographique. Soulignant expressément que cet examen était obligatoire en vertu du paragraphe 42(3) de la LMSI, le Tribunal s’est exprimé ainsi :

De plus, comme les conditions du paragraphe 42(3) de la LMSI ont été satisfaites, à savoir que les marges de dumping et le montant de subvention ne sont pas minimaux, que les volumes ne sont pas négligeables et que les conditions de concurrence justifient une évaluation des effets cumulatifs, le libellé de la LMSI, et surtout l’emploi du mot « évalue », donne à penser que, dans les circonstances, l’examen des effets cumulatifs n’est pas seulement approprié, mais qu’il est en fait obligatoire [77] .

[129] Ayant conclu qu’il convenait (et, en fait, qu’il était obligatoire dans les circonstances de cette affaire) d’examiner les effets cumulatifs des marchandises sous-évaluées provenant de l’Inde et des marchandises sous-évaluées provenant de la Russie, le Tribunal a procédé à l’analyse de dommage en considérant ensemble les effets des marchandises sous-évaluées et subventionnées provenant de l’Inde et ceux des marchandises sous-évaluées provenant de la Russie. C’est ainsi que le paragraphe 42(3) et le paragraphe 76.03(11), qui sont formulés de manière très similaire, doivent être interprétés et appliqués. Ces dispositions ne donnent pas au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d’exclure de l’analyse des effets cumulatifs les marchandises sous-évaluées auxquelles s’applique la décision de l’ASFC en se fondant sur des facteurs qui ne sont pas liés aux conditions de concurrence pertinentes.

[130] Le Tribunal a également examiné le sens ordinaire et l’objet du paragraphe 42(3) en termes non équivoques dans Tubes en cuivre circulaires [78] . Dans cette affaire, les marchandises en cause étaient des marchandises sous-évaluées provenant du Brésil, de la Grèce, de la Corée et du Mexique, et des marchandises sous-évaluées et subventionnées provenant de la Chine. Après s’être assuré que les marges de dumping et, le cas échéant, le montant de subvention se rapportant aux marchandises en cause pour chacun des pays susmentionnés n’étaient pas minimaux, que le volume des marchandises en cause provenant de chaque pays visé n’était pas négligeable, et que les « [...] mêmes conditions de concurrence exist[ai]ent entre les marchandises en cause, d’une part, et entre les marchandises en cause et les marchandises similaires, d’autre part » [79] , le Tribunal a tiré la conclusion suivante :

En effet, dans les circonstances en l’espèce, le Tribunal ne considère pas les volumes relativement limités des importations grecques et brésiliennes ainsi que leur présence sur le marché canadien comme une condition distinctive de concurrence appuyant la thèse du « décumul »; le Tribunal constate que l’objet même du paragraphe 42(3) de la LMSI permet (en fait, ordonne) une évaluation cumulative des effets du dumping et du subventionnement des marchandises en cause à condition que les volumes en provenance des pays visés ne soient pas de minimis et qu’une telle analyse soit indiquée à la lumière des conditions de concurrence [80] .

[Italiques dans l’original, notre soulignement]

[131] Je souscris à l’interprétation de la disposition ci-dessus, qui est conforme à ma propre interprétation dans VAC. À tout le moins, le cumul de toutes les marchandises sous-évaluées auxquelles s’applique la décision de l’ASFC est obligatoire lorsque les conditions prévues par la loi sont satisfaites. Suivant les libellés des paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI, c’est la décision pertinente de l’ASFC qui détermine quelles marchandises doivent être incluses dans une évaluation des effets cumulatifs.

[132] Dans le présent réexamen relatif à l’expiration, l’ASFC a décidé, au titre du paragraphe 76.03(9) de la LMSI, que les marchandises en cause des trois pays visés seraient vraisemblablement sous-évaluées. Si les conditions de concurrence pertinentes justifient le cumul, la LMSI n’autorise pas une analyse séparée des effets des marchandises sous-évaluées provenant de l’un ou l’autre des pays visés, même si ces marchandises peuvent inclure des importations qui sont également subventionnées, et ce, peu importe ce que stipule l’Accord SMC ou l’Accord antidumping ou ce que décide l’Organe d’appel dans le cadre de différends n’impliquant pas le Canada. Sinon, il ne serait pas possible de conclure que les importations sous-évaluées cumulées de tous les pays en question causeront vraisemblablement un dommage à la branche de production nationale. Un tel résultat est, à mon avis, incompatible avec le régime législatif.

[133] Il est raisonnable d’affirmer que l’évaluation des effets cumulatifs repose sur la reconnaissance que la branche de production nationale est exposée aux effets des importations sous-évaluées ou subventionnées dans leur ensemble et qu’elle peut subir un dommage, comme c’est le cas en l’espèce, en raison des effets globaux d’au moins toutes les importations sous-évaluées, et que ces effets pourraient ne pas être adéquatement pris en compte dans une analyse propre à un seul pays ou une analyse distincte des effets d’un sous-ensemble d’importations sous-évaluées. En d’autres termes, l’objet du cumul est de prendre en compte les situations où les importations d’un pays en particulier ne causeraient pas un dommage sensible, mais où le cumul des effets des marchandises en cause provenant de tous les pays visés causerait un tel dommage ou, dans le contexte d’un réexamen relatif à l’expiration, causerait vraisemblablement un dommage. À mon avis, ce raisonnement explique pourquoi, en 1999, le législateur a modifié la LMSI de façon à rendre le cumul obligatoire [81] .

[134] Dans un article commentant les modifications, on a fait remarquer que le résultat et l’objectif de la modification étaient les suivants :

La nouvelle loi exige que le TCCE cumule les effets dommageables du dumping et du subventionnement des importations en provenance de plus d’un pays dans les enquêtes de dommage et les réexamens relatifs à l’expiration au titre de la LMSI. Cette modification vise à reconnaître le fait que le dumping/subventionnement, qu’il provienne d’une ou de plusieurs sources, a un effet unique sur les prix sur le marché national qui, dans la plupart des cas, ne peut être dissocié. La possibilité de cumul est toutefois assujettie à certaines conditions préalables conformément à la LMSI, comme l’exigent l’Accord antidumping et l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC [82] .

[Traduction, nos italiques, notes omises]

[135] Les conditions préalables applicables ont été abordées précédemment en l’espèce ainsi que dans mon opinion distincte dans VAC. Dans la présente affaire, ces conditions sont limitées à déterminer si une évaluation des effets cumulatifs des marchandises sous-évaluées en cause en provenance des trois pays visés est appropriée à la lumière des conditions de concurrence pertinentes.

[136] Le Tribunal ne peut pas faire abstraction du libellé clair du paragraphe 42(3) ou, en l’espèce, du paragraphe 76.03(11) de la LMSI, qui exige le cumul des effets de toutes les importations sous‑évaluées, ni ignorer l’objet des dispositions pour se conformer à une interprétation du sens des disciplines de l’OMC. Plus particulièrement, l’évolution de la jurisprudence de l’OMC concernant des différends impliquant d’autres pays et se rapportant à leur propre régime de recours commerciaux ne rend pas la LMSI ambiguë et ne modifie pas le sens authentique de ses dispositions régissant le cumul.

[137] Sur cette question, il convient de souligner les affirmations de la Cour suprême dans Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran [83] . Dans cette affaire, la Cour suprême a été notamment appelée à déterminer si le silence dans la Loi sur l’immunité des États à ce sujet créait une ambiguïté quant à la question de savoir si les exceptions à l’immunité des États aux termes de la loi s’appliquaient aux agents de rang inférieur. La Cour suprême a examiné la question de savoir s’il était possible de dissiper cette ambiguïté alléguée en se référant au droit international coutumier et à son évolution significative sur le principe de réparation en droit international public depuis l’adoption de la Loi sur l’immunité des États.

[138] La Cour suprême a conclu qu’il n’était pas permis de se fonder sur le droit international coutumier – et il ne saurait en être ainsi – pour créer des exceptions additionnelles à l’immunité accordée aux États étrangers en application de la Loi sur l’immunité des États. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Lebel a énoncé ce qui suit :

Un certain nombre d’intervenants soutiennent que le par. 3(1) de la [Loi sur l’immunité des États] est ambigu et qu’il faut donc l’interpréter en conformité avec la common law, la Charte et le droit international. Une intervenante, l’Association canadienne des libertés civiles, plaide que la [Loi sur l’immunité des États] est ambiguë parce qu’elle ne s’applique pas clairement dans les cas de violation alléguée des normes de jus cogens. [...]

L’état actuel du droit international sur les réparations destinées aux victimes de torture ne modifie pas la loi et ne la rend pas ambiguë. On ne saurait utiliser le droit international pour étayer une interprétation à laquelle fait obstacle le texte de la loi. De même, la présomption de conformité ne permet pas d’écarter l’intention claire du législateur (voir S. Beaulac, « “Texture ouverte”, droit international et interprétation de la Charte canadienne », dans E. Mendes et S. Beaulac, dir., Canadian Charter of Rights and Freedoms (5e éd. 2013), p. 231-235). De fait, la présomption voulant que la loi respecte le droit international ne demeure que cela — une simple présomption. Or, selon la Cour, celle-ci peut être réfutée par les termes clairs de la loi en cause (Hape, par. 53-54). En l’espèce, la [Loi sur l’immunité des États] énumère toutes les exceptions à l’immunité des États. L’ordre juridique interne du Canada, tel qu’instauré par le Parlement, prévaut [84] .

[Italiques dans l’original, notre soulignement]

[139] De façon similaire, en l’espèce, même en supposant, aux fins de la discussion, que le droit international a évolué de façon à imposer de nouvelles contraintes à la capacité du Tribunal de procéder à une évaluation des effets cumulatifs dans le cadre d’enquêtes de dommage et de réexamens relatifs à l’expiration, l’état actuel du droit international ne rend pas la LMSI ambiguë et ne rend pas le cumul discrétionnaire [85] . Ce sont les dispositions des lois nationales, comme le législateur les a formulées et comme le Tribunal les a correctement interprétées avant TSAC et avant la publication du rapport de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) [86] , qui doivent prévaloir.

[140] En ce qui concerne les motifs précis formulés par mes collègues à l’appui de leur conclusion selon laquelle leur interprétation du paragraphe 76.03(11) de la LMSI est autorisée par le libellé de la disposition, je remarque que ceux-ci comportent trois volets. Mes collègues renvoient à l’utilisation du mot « ou » dans l’expression « dumping ou [...] subventionnement », au sens ordinaire du mot « indiquée » et au sens de l’expression « conditions de concurrence ». Je vais aborder ces points un par un.

« Dumping ou subventionnement »

[141] Je suis en désaccord avec la conclusion de mes collègues selon laquelle la première question d’interprétation que doit trancher le Tribunal est celle de savoir si l’expression « dumping ou [...] subventionnement » utilisée au paragraphe 76.03(11) signifie que le Tribunal devrait effectuer des analyses distinctes des effets des marchandises sous‑évaluées et des marchandises subventionnées provenant de différents pays, ou s’il peut effectuer une seule analyse des effets cumulatifs combinés des marchandises. C’est la décision pertinente de l’ASFC qui indique l’évaluation des effets cumulatifs de quelles marchandises, en provenance de quels pays et de quel type (dumping ou subventionnement) est exigée.

[142] En l’espèce, la question que le Tribunal est appelé à trancher est de savoir s’il doit évaluer les effets cumulatifs du dumping des marchandises en cause en provenance de la Turquie, de la Corée et de la Chine en application du paragraphe 76.03(11) de la LMSI. La question de savoir s’il doit procéder à une évaluation des effets cumulatifs du subventionnement de certaines marchandises en cause en application de cette disposition ne se pose pas parce que la décision de l’ASFC à cet égard ne s’applique pas aux marchandises subventionnées importées au Canada en provenance de plus d’un pays.

[143] Le Tribunal l’a bien souligné dans l’enquête no NQ-2014-001 (l’instance qui a mené aux conclusions faisant l’objet du présent réexamen) : « [p]uisque l’ASFC a déterminé que seules les marchandises en question provenant de la Chine sont subventionnées, la question de l’examen des effets cumulatifs aux termes du paragraphe 42(3) de la LMSI n’est pertinente qu’à l’égard du dumping des marchandises en question provenant de la Chine, de la Corée et de la Turquie » [87] . La même question se pose dans le cadre du présent réexamen relatif à l’expiration, bien que ce soit aux termes du paragraphe 76.03(11).

[144] Par conséquent, le sens du mot « ou » n’est pas déterminant quant à la façon d’appliquer la disposition. Il n’est pas nécessaire de déterminer si ce mot est disjonctif ou conjonctif pour décider s’il est indiqué d’évaluer les effets cumulatifs de toutes les importations sous-évaluées en l’espèce. Si cette question était pertinente, je tiens à souligner que, de toute manière, je ne suis pas convaincu que, dans le contexte des paragraphes 42(3) et 76.03(11), le mot « ou » peut être interprété de manière disjonctive.

[145] Premièrement, cette interprétation n’est pas conforme aux décisions susmentionnées qui portent à croire que, conformément à l’intention du législateur lors des dernières modifications qu’il a apportées à ces dispositions, la LMSI prescrit une évaluation des effets cumulatifs de tout dumping et de tout subventionnement des marchandises auxquelles s’appliquent les décisions de l’ASFC, pourvu que les conditions prévues par la loi soient respectées. Deuxièmement, en ce qui concerne l’affirmation de mes collègues selon laquelle le paragraphe 2(7) de la LMSI appuie l’interprétation disjonctive, il y a lieu de souligner que, dans ce cas, l’expression « dumping ou [...] subventionnement » devrait également être interprétée de manière disjonctive au titre de l’évaluation des effets des marchandises chinoises en cause dans l’affaire qui nous occupe. Toutefois, malgré le paragraphe 2(7), mes collègues estiment qu’il est indiqué, en l’espèce, d’évaluer ensemble les effets du dumping et du subventionnement des marchandises en cause en provenance de la Chine.

[146] Le Tribunal a déjà précisé, en ce qui concerne le sens du paragraphe 2(7), ce qui suit :

Le Tribunal est d’avis que le paragraphe 2(7) de la LMSI semble avoir été promulgué à titre de disposition déclaratoire ex abundanti cautela (par précaution abondante). D’une façon générale, les dispositions de la LMSI traitant à la fois des marchandises sous-évaluées et des marchandises subventionnées sont interprétées comme ne s’appliquant que soit aux marchandises subventionnées soit aux marchandises sous-évaluées, selon le caractère des circonstances particulières. Affirmer que le paragraphe 2(7) interdit au Tribunal d’examiner ensemble les effets du dumping et ceux du subventionnement lorsque les mêmes marchandises sont à la fois sous-évaluées et subventionnées, ou sont susceptibles d’être à la fois sous-évaluées et subventionnées, est déraisonnable, étant donné l’impossibilité de distinguer les effets du dumping des effets du subventionnement par rapport aux mêmes marchandises. Si le Parlement avait voulu empêcher le Tribunal de tenir compte des effets cumulatifs croisés dans de telles situations, il l’aurait énoncé d’une façon beaucoup plus claire et directe, en langage courant [88] .

[147] À mon avis, si le législateur avait eu l’intention d’interdire le cumul croisé des effets des marchandises qui sont à la fois sous-évaluées et subventionnées et des marchandises qui sont seulement sous-évaluées ou subventionnées, il l’aurait également énoncé de façon directe, en langage courant. De plus, il y a lieu de répéter qu’en l’espèce, la question porte sur le cumul des marchandises sous-évaluées en provenance de plusieurs pays en application du paragraphe 76.03(11) et que les marchandises provenant des trois pays en question seront vraisemblablement sous‑évaluées. Par conséquent, il s’agit d’une situation où des marchandises sous-évaluées sont prises en compte dans l’évaluation du Tribunal, c’est-à-dire que la disposition est appliquée à des marchandises sous-évaluées. Tout au plus, bien que le Tribunal ait précédemment conclu autrement, le paragraphe 2(7) pourrait peut-être être invoqué pour avancer que les marchandises qui sont seulement subventionnées ne devraient pas être cumulées avec les marchandises en provenance d’autres pays qui sont seulement sous-évaluées. Or, cette situation n’est pas en cause dans le présent réexamen relatif à l’expiration.

[148] De plus, l’un des producteurs nationaux a indiqué qu’il existe en droit canadien une présomption selon laquelle le mot « ou » est inclusif lorsqu’il est utilisé dans une loi, laquelle ne peut pas être réfutée en l’espèce, compte tenu du contexte immédiat du paragraphe 76.03(11) de la LMSI. On a notamment fait valoir que lorsque le législateur emploie le mot « ou » au sens exclusif ou disjonctif ailleurs dans la LMSI, il utilise une formulation qui énonce clairement cette intention, par exemple le mot « soit » ou l’expression « selon le cas » (« either… or » en anglais) [89] . Un autre producteur national a souligné que l’expression « dumping ou [...] subventionnement » au paragraphe 76.03(11), et ailleurs dans la LMSI, a un sens conjonctif en ce qu’elle peut être interprétée de manière à inclure des importations qui sont seulement sous-évaluées, des importations qui sont seulement subventionnées ou un mélange d’importations sous-évaluées et subventionnées provenant de différents pays [90] . Compte tenu de ces éléments contextuels, je ne suis pas d’accord avec mes collègues pour dire que les paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI pourraient être considérés comme non ambigus en ce qui concerne l’interdiction de cumul des marchandises sous-évaluées et des marchandises subventionnées au motif que, dans le langage courant, le mot « ou » est utilisé pour « indiquer un choix ».

« [...] indiquée, compte tenu des conditions de concurrence [...] »

[149] Mes collègues laissent également entendre que le paragraphe 76.03(11) de la LMSI exige que le Tribunal procède à une évaluation des effets cumulatifs « s’il est convaincu qu’il est approprié de le faire dans les circonstances, tout en prenant note des conditions de concurrence ». À mon avis, cette interprétation introduit un nouveau critère de détermination du caractère indiqué du cumul qui est incompatible avec le libellé de la disposition et les précédents du Tribunal.

[150] Plus précisément, je ne suis pas d’accord pour dire que le Tribunal doit uniquement prendre note des conditions de concurrence dans son évaluation. Les exigences du paragraphe 76.03(11) vont au‑delà du simple examen des conditions de concurrence pour déterminer si le cumul est indiqué. Si les conditions de concurrence pertinentes justifient le cumul, la LMSI n’autorise pas la non‑inclusion des marchandises sous‑évaluées visées par la décision de l’ASFC dans l’évaluation des effets cumulatifs. C’est ce qu’a fait valoir l’un des producteurs nationaux :

La disposition est claire. Le cumul est obligatoire s’il est indiqué à la lumière des conditions de concurrence. Le seul motif justifiant une évaluation de façon décumulée a trait aux conditions de concurrence et non pas aux considérations de conformité aux règles de l’OMC [91] .

[Traduction]

[151] La jurisprudence du Tribunal confirme que son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 76.03(11) de la LMSI n’est pas aussi large que le laissent croire mes collègues. Ce pouvoir discrétionnaire doit être appliqué par le Tribunal dans les limites des conditions énoncées au paragraphe 76.03(11), à savoir celles qui sont mentionnées aux alinéas a) ou b) :

La loi prévoit que le Tribunal peut décider qu’il n’est pas indiqué d’évaluer les effets cumulatifs lorsque a) les conditions de concurrence entre les marchandises en cause ne sont pas semblables, ou b) les conditions de concurrence entre les marchandises en cause et les marchandises similaires ne sont pas semblables. [...] Le libellé du paragraphe 76.03(11) doit être interprété comme signifiant que les marchandises en cause en provenance des pays sont cumulées lorsque les conditions de concurrence de ces marchandises sont semblables, et non pas lorsqu’elles sont différentes [92] .

[Nos italiques]

[152] De même, dans le réexamen relatif à l’expiration no RR-2008-004, le Tribunal a affirmé que sa conclusion à l’égard du caractère indiqué de l’évaluation cumulative doit se faire sur la base de son évaluation des conditions de concurrence pertinentes. Le Tribunal s’est exprimé comme suit :

Si le Tribunal n’est pas convaincu qu’une évaluation des effets cumulatifs du dumping ou du subventionnement de marchandises provenant de plus d’un pays est indiquée, compte tenu [en anglais : based on, c’est-à-dire « en se fondant sur » ou « sur la base de »] de son évaluation des conditions pertinentes de concurrence, il n’effectuera pas l’évaluation des effets du dumping ou du subventionnement de façon cumulative [93] .

[153] Par conséquent, le paragraphe 76.03(11) n’accorde pas au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de soustraire à l’évaluation des effets cumulatifs des marchandises sous-évaluées provenant d’un pays qui sont visées par une décision de l’ASFC sur la base de facteurs qui n’ont rien à voir avec les conditions de concurrence pertinentes. En toute déférence, je considère que l’interprétation de mes collègues conduit à penser, à tort, que le Tribunal pourrait ne pas inclure dans l’évaluation des effets cumulatifs certaines marchandises pour le simple motif que le cumul ne serait pas convenable dans les circonstances, sans égard aux conditions de concurrence pertinentes. À mon avis, cette interprétation n’est pas possible à la lumière du libellé de la disposition, lorsque ses mots sont lus conjointement. Selon moi, cette interprétation ouvre inutilement la porte, dans des instances à venir, à l’argument selon lequel le Tribunal devrait retirer certaines marchandises de l’évaluation des effets cumulatifs malgré le fait que les conditions de concurrence pertinentes justifient le cumul.

Déterminer si des pratiques commerciales différentes constituent des « conditions de concurrence »

[154] Mes collègues ont également indiqué que le paragraphe 76.03(11) de la LMSI accorde au Tribunal le pouvoir discrétionnaire de considérer l’application de différentes pratiques commerciales aux marchandises comme une condition de concurrence, c’est-à-dire comme un motif permettant de conclure que le cumul n’est pas indiqué. À cet égard, je suis d’avis que lorsqu’il s’agit de déterminer si des importations sous-évaluées provenant de différents pays doivent être incluses ou non dans le cumul, le fait que certaines de ces marchandises sont également subventionnées n’est pas un facteur pertinent dans le cadre de l’évaluation. Ce fait ne permet pas de distinguer les marchandises sous‑évaluées et subventionnées des autres marchandises sous-évaluées en cause sur le marché, ni de faire en sorte que celles-ci se font concurrence dans des conditions différentes ou uniques [94] .

[155] Le Tribunal avait déjà exprimé une opinion semblable dans l’enquête no NQ-2013-001. Dans cette affaire, on a fait valoir que les marchandises en cause en provenance de la Chine, qui étaient à la fois sous-évaluées et subventionnées, et les autres marchandises en cause, qui étaient seulement sous-évaluées, ne se livraient pas concurrence sur un pied d’égalité. Le Tribunal a conclu que « le fait d’avoir un avantage en matière de coûts, que ce soit en raison d’une technique de fabrication novatrice ou de subventions à la production, ne change rien au fait que les marchandises en cause en provenance de l’Espagne et de la Chine se font concurrence entre elles et font concurrence aux marchandises en cause en provenance d’Israël, ou aux marchandises similaires, sur le marché canadien » [95] .

[156] Toutefois, il importe de souligner que, si l’application de différentes pratiques commerciales aux marchandises est considérée comme une condition de concurrence, comme le laissent entendre mes collègues, le cumul croisé est, implicitement, prévu et permis, sur le plan conceptuel, au titre du paragraphe 76.03(11) de la LMSI. Autrement, je me demande à quoi cela servirait de tenir compte de ce facteur dans l’analyse.

[157] En d’autres termes, en supposant qu’il pourrait exister des situations où des marchandises qui sont sous-évaluées et subventionnées ont un effet différent sur les prix sur le marché national comparativement aux marchandises qui sont seulement sous-évaluées, cela signifierait que le cumul croisé serait permis en vertu des dispositions sur le cumul, lorsque les éléments de preuve n’établissent pas l’existence d’un tel effet différent [96] . Par exemple, dans Fils en acier inoxydable, la décision citée par mes collègues sur cette question, après avoir fait allusion au scénario hypothétique susmentionné en tant que facteur possiblement pertinent militant contre le cumul croisé des effets des marchandises sous‑évaluées et subventionnées en provenance de différents pays, le Tribunal a ensuite conclu que cette situation n’était pas présente dans les circonstances de cette affaire. Le Tribunal a statué qu’il était donc indiqué de procéder à l’évaluation des effets cumulatifs du dumping des marchandises en cause en provenance de la Corée, de la Suisse et des États-Unis, et du subventionnement des marchandises en cause en provenance de l’Inde [97] .

[158] En l’espèce, bien que mes collègues aient également abordé dans une note en bas de page certains scénarios hypothétiques dans le cadre desquels le dumping, le subventionnement ou le dumping et le subventionnement des marchandises en cause pourraient donner lieu à des conditions de concurrence différentes entre elles, ils n’ont mentionné aucun élément de preuve établissant que ces différences existeront vraisemblablement. En fait, selon mon examen des éléments de preuve au dossier, il n’y en a aucun qui va en ce sens. En d’autres termes, comme c’était le cas dans Fils en acier inoxydable, il n’existe aucun élément de preuve permettant de conclure que les marchandises chinoises en cause, qui seront vraisemblablement sous-évaluées et subventionnées, sont susceptibles d’avoir une dynamique de concurrence sur le marché qui est différente de celle des autres marchandises en cause qui seront vraisemblablement seulement sous-évaluées. Par conséquent, dans la mesure où il est pertinent, ce facteur ne justifie pas la non-inclusion des marchandises chinoises en question dans l’évaluation des effets cumulatifs dans le présent réexamen relatif à l’expiration.

L’« analyse contextuelle » de mes collègues

[159] Mes collègues ont affirmé que la caractéristique la plus importante du contexte qu’offrent l’Accord SMC et l’Accord antidumping est que ces deux accords sont entièrement distincts et que les procédures et les dispositions de fond qu’ils énoncent ne sont pas interchangeables. Par conséquent, selon mes collègues, ces deux accords exigent séparément une analyse de dommage tel que le prescrivent leurs modalités. Je ne suis pas de cet avis. Le fait qu’il existe deux accords distincts ne crée pas, en soi, d’obligations internationales et ne renseigne pas le Tribunal sur la nature et la portée des obligations internationales du Canada qui pourraient, si cela était possible, servir de guide pour l’interprétation du paragraphe 76.03(11) de la LMSI.

[160] Ce qui importe, ce sont les dispositions concrètes de chacun des accords. À cet égard, j’estime que la caractéristique la plus importante du contexte qu’offrent l’Accord SMC et l’Accord antidumping est que ces deux accords ne comprennent pas de dispositions qui régissent le cumul dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration ou qui sont pertinentes dans l’interprétation du paragraphe 76.03(11) de la LMSI. En tout état de cause, en vertu de la LMSI, le cumul est obligatoire pour évaluer les effets des marchandises sous-évaluées en provenance de plusieurs pays. Il n’y a aucun fondement juridique justifiant l’exclusion des marchandises sous-évaluées provenant d’une source en particulier de cette évaluation pour un motif autre que le fait que les conditions de concurrence sont différentes pour ces marchandises. Le fait qu’il existe deux accords internationaux distincts ne change rien à cette exigence non ambiguë.

[161] Je remarque également que conformément à l’analyse effectuée par mes collègues, il est indiqué de procéder au cumul croisé des effets des marchandises en cause chinoises qui sont sous-évaluées et subventionnées. À mon avis, cette conclusion est incompatible avec leurs affirmations concernant l’exigence d’une analyse de dommage distincte fondée sur le type de pratique commerciale. Si le Tribunal est tenu en vertu de l’Accord SMC et de l’Accord antidumping d’effectuer une analyse de dommage distincte comme le prescrivent les modalités de ces accords, une analyse distincte des effets du dumping et des effets du subventionnement des marchandises chinoises en question devrait alors également s’imposer.

[162] Quoi qu’il en soit, l’« analyse contextuelle » de mes collègues se concentre sur la mauvaise question, c’est-à-dire sur ce qui doit être fait, selon eux, pour assurer la conformité aux dispositions de l’Accord SMC et de l’Accord antidumping. Encore une fois, le rôle du Tribunal est de déterminer le sens authentique du paragraphe 76.03(11) de la LMSI, et non pas d’interpréter les dispositions d’accords internationaux, qui ne sont pas directement applicables en droit canadien, ou de faire respecter leurs modalités. La question fondamentale consiste à déterminer comment ces dispositions sont incorporées au droit canadien.

[163] Dans leur analyse, mes collègues ne tiennent pas compte du fait que la LMSI n’adopte ni n’incorpore explicitement l’Accord SMC et de l’Accord antidumping de façon globale, et qu’elle ne mandate pas non plus le Tribunal d’interpréter et d’appliquer ses dispositions conformément aux obligations internationales du Canada. En fait, lorsque la LMSI exige que le Tribunal tienne compte des obligations du Canada, elle le fait de manière expresse [98] .

[164] On ne peut donc pas présumer que le législateur a adopté ces accords indistinctement. Comme je l’ai mentionné précédemment en l’espèce ainsi que dans l’opinion distincte que j’ai formulée dans VAC, selon moi, le libellé des paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI n’incorpore clairement pas les restrictions applicables au cumul qui sont énoncées dans les dispositions de l’Accord SMC, tel que l’a interprété l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde). Le contexte dans lequel le cumul est autorisé en vertu des accords de l’OMC n’est donc pas déterminant pour établir les circonstances dans lesquelles il est autorisé en vertu des dispositions sur le cumul de la LMSI ou de l’intention du législateur [99] .

[165] Dans leur analyse, mes collègues insistent également sur le fait que la pratique antérieure du Tribunal en matière de cumul est incompatible avec les dispositions des accords internationaux. Toutefois, ils ne sont pas en mesure d’identifier les dispositions précises que cette pratique enfreint dans le contexte d’un réexamen relatif à l’expiration. L’essentiel de leur discussion sur les exigences des accords de l’OMC porte sur l’article 15.3 de l’Accord SMC et l’article 3.3 de l’Accord antidumping, deux dispositions qui ne s’appliquent pas aux réexamens relatifs à l’expiration et qui, par conséquent, n’imposent pas d’obligations à l’autorité chargée de l’enquête dans le cadre de ces réexamens. À mon avis, cela mine leur analyse.

[166] Dans la mesure où les obligations internationales et la jurisprudence de l’OMC qui les interprète sont des éléments contextuels pertinents pour déterminer le sens du paragraphe 76.03(11) [100] , elles doivent être prises au pied de la lettre. Le rôle du Tribunal n’est pas de conclure à l’existence implicite, dans les accords de l’OMC, d’obligations qui n’ont pas été établies. En d’autres termes, le silence des accords internationaux et le fait que l’Organe d’appel ne se soit pas prononcé sur la question du cumul dans le contexte précis des réexamens relatif à l’expiration sont des éléments significatifs et non neutres. Cela signifie que rien dans le droit international n’empêche de procéder, dans le cadre d’un réexamen relatif à l’expiration, à une évaluation des effets cumulatifs des marchandises qui seront vraisemblablement sous-évaluées et subventionnées et des marchandises qui seront vraisemblablement uniquement sous-évaluées.

[167] De plus, en supposant, pour les besoins de l’argumentation, que mes collègues ont raison et que les obligations internationales, telles qu’elles sont interprétées par les groupes spéciaux et l’Organe d’appel de l’OMC, devraient se voir accorder un poids important et servir de guide pour l’interprétation contextuelle du paragraphe 76.03(11) de la LMSI, alors le contexte international complet devrait être pris en compte. Dans ce scénario, un examen de la jurisprudence de l’OMC révèle non seulement que le rapport de l’Organe d’appel dans É.‑U. – Acier au carbone (Inde) et le rapport du Groupe spécial dans É.‑U. – Tubes et tuyaux (Turquie) n’interdisent pas le cumul croisé dans les réexamens à l’extinction (c’est-à-dire relatifs à l’expiration), mais aussi que d’autres rapports confirment que l’autorité chargée de l’enquête n’est pas tenue d’appliquer dans les réexamens à l’extinction les disciplines de l’OMC qui s’appliquent aux enquêtes initiales.

[168] Dans le cadre de l’Accord SMC, pour le réexamen de la détermination de l’existence d’un dommage déjà établi conformément à l’article 15, l’article 21.3 n’exige pas que le dommage soit à nouveau déterminé conformément à l’article 15, et toute autorité chargée de l’enquête n’est donc pas tenue de suivre les dispositions de l’article 15 lorsqu’elle détermine la probabilité de dommage au titre de l’article 21.3 [101] .

[169] Les dispositions parallèles de l’Accord antidumping sont les articles 3 (c.-à-d. 3.1 à 3.5) et 11.3. Aux termes de l’Accord antidumping, la nature de la détermination à faire dans le cadre d’un réexamen à l’expiration diffère à certains égards essentiels de la nature de la détermination à faire dans le cadre d’une enquête initiale, et les disciplines applicables aux enquêtes initiales ne peuvent pas être automatiquement importées dans les processus de réexamen [102] . En outre, l’Accord antidumping établit une distinction entre la « détermination de l’existence d’un dommage », traitée à l’article 3, et la détermination de la probabilité « que le [...] dommage subsister[a] ou se reproduir[a] », traitée à l’article 11.3. Par conséquent, toute autorité chargée de l’enquête n’est pas tenue de suivre les dispositions de l’article 3 et de l’article VI du GATT lorsqu’elle détermine la probabilité d’un dommage [103] .

[170] Étant donné les différences reconnues dans la portée des dispositions des accords de l’OMC relatives aux enquêtes initiales et aux réexamens relatifs à l’expiration, même si je devais accepter que le paragraphe 76.03(11) n’oblige pas sans ambiguïté le cumul de toutes les marchandises sous‑évaluées importées des trois pays en question et que les obligations internationales deviendraient donc pertinentes pour son interprétation, je devrais conclure que la capacité du Tribunal de procéder à un cumul dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration n’est pas limitée par les dispositions de l’OMC qui s’appliquent aux enquêtes initiales. La jurisprudence de l’OMC indiquant qu’un réexamen relatif à l’expiration est un processus distinct ayant un objectif différent de celui d’une enquête initiale donne également à penser que, dans ce contexte, le paragraphe 76.03(11) pourrait être interprété et appliqué d’une manière différente du paragraphe 42(3).

L’objet de la Loi et l’intention du législateur

[171] Selon mes collègues, le Tribunal n’a été saisi d’aucun élément de preuve convaincant dans le cadre du réexamen lui permettant d’établir que l’intention du législateur était d’adopter une règle de cumul non conforme aux obligations internationales. Toutefois, au moment de l’adoption des dispositions de cumul de la LMSI, le gouvernement du Canada reconnaissait officiellement que les obligations internationales du Canada comprenaient le droit de procéder à un cumul croisé.

[172] À cet égard, dans le cadre d’un examen de ses politiques commerciales sous les auspices de l’OMC en 1998, le Canada a répondu comme suit à une question du Japon concernant le cumul croisé au titre de la LMSI :

L’Accord antidumping et l’Accord sur les SMC ont pour but et pour objet d’établir des mesures correctives contre les pratiques commerciales déloyales qui causent un dommage à une branche de production nationale. Le refus de permettre des mesures correctives dans une situation où l’effet cumulé du dumping et de pratiques de subventionnement cause un dommage à une branche de production nationale irait à l’encontre du but des accords. Aussi la position du Canada est-elle que le silence sur la question du cumul entre accords peut s’interpréter dans le sens de l’autorisation du cumul croisé.

En plus du principe général selon lequel ce qui n’est pas expressément interdit est permis, on peut faire valoir en faveur de cette position un certain nombre de considérations pratiques, par exemple : qu’il soit causé par le dumping, par le subventionnement ou par les deux à la fois, il existe un effet unique sur les prix sur le marché intérieur, qui est la cause du dommage infligé à une branche de production nationale. Dans la plupart des cas, il serait pratiquement impossible de ventiler avec précision le montant total du dommage selon qu’il est causé par le dumping ou le subventionnement; et l’interdiction du cumul croisé favoriserait le contournement réalisé par le recours combiné au dumping et au subventionnement [104] .

[173] Étant donné l’expression de cette position par le pouvoir exécutif du Canada à l’époque, il semble clair que le législateur n’avait pas l’intention d’interdire le cumul croisé lorsqu’il a modifié la LMSI pour rendre le cumul obligatoire dans les enquêtes de dommage et les réexamens relatifs à l’expiration en 1999. L’interprétation la plus raisonnable, compte tenu de la compréhension qu’avait le Canada de ses obligations internationales au moment de l’entrée en vigueur de ces dispositions, est que l’objet des paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI consistait à rendre le cumul obligatoire, y compris le cumul croisé.

[174] Bref, le législateur ne peut pas avoir incorporé dans le droit national une obligation internationale qui, selon sa perception, n’existait pas. Pour cette raison, les circonstances de l’adoption des dispositions de cumul de la LMSI n’étayent pas la thèse selon laquelle le législateur avait l’intention d’empêcher le cumul croisé ni d’incorporer une telle obligation internationale prohibitive à cet effet dans le droit canadien. Contrairement à mes collègues, je suis d’avis que l’entièreté des éléments textuels et contextuels, de même que l’historique législatif pertinent, dont il a été question ci‑dessus et dans mon opinion distincte dans VAC, indiquent le contraire.

[175] Enfin, selon la règle moderne d’interprétation des lois, l’objet de la LMSI doit être pris en considération. L’objet de la LMSI est de protéger les industries canadiennes touchées par des importations faisant l’objet d’un commerce déloyal [105] . À mon avis, l’interprétation que font mes collègues du paragraphe 76.03(11) de la LMSI n’est pas conforme à l’objet de la Loi, car elle diminue la probabilité que soit rendue une ordonnance prorogeant des conclusions à l’égard des marchandises provenant de certains pays visés en exigeant que soient effectuées des analyses distinctes ou non cumulées. L’effet de cette interprétation et qu’il devient alors nécessaire de prouver plusieurs instances de dommage.

[176] Je considère que l’intention du législateur est respectée lorsque certaines marchandises sont retirées de l’évaluation des effets cumulatifs au motif de différences dans les conditions de concurrence. Toutefois, lorsque le Tribunal soustrait des marchandises du cumul en raison de facteurs qui ne sont pas expressément prévus dans la LMSI, il mine l’objet et le but de cette dernière.

[177] L’interprétation de mes collègues pourrait également avoir comme conséquence involontaire d’inciter les producteurs nationaux à renoncer à porter des allégations de subventionnement dommageable lorsqu’ils subissent l’effet négatif de marchandises sous-évaluées et subventionnées provenant de multiples pays. De fait, en l’espèce, si les marchandises en cause importées de la Chine n’avaient pas été subventionnées, elles auraient selon toute vraisemblance été comprises dans l’évaluation cumulative des effets des marchandises sous-évaluées, avec celles provenant de la Turquie et de la Corée. Le Tribunal n’aurait donc mené qu’une seule analyse de dommage. Il se pourrait que des plaignants ou la branche de production nationale renoncent à déposer des allégations de subventionnement dommageable afin d’éviter d’avoir à démontrer séparément le dommage causé par les marchandises sous-évaluées et subventionnées provenant d’un pays donné. Je ne crois pas que le législateur ait eu l’intention de produire ce résultat lorsqu’il a adopté les paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI.

[178] En dernière analyse, je conclus que l’intention du législateur était, aux fins de l’examen du dommage et en fin de compte, de justifier l’imposition ou la prorogation de droits antidumping ou compensateurs, de commander au Tribunal de procéder à l’évaluation cumulative des effets des marchandises provenant de différents pays qui sont sous-évaluées et subventionnées et des effets des marchandises qui sont uniquement sous-évaluées ou uniquement subventionnées, pour autant que cette évaluation soit justifiée par les conditions de concurrence pertinentes.

Application aux faits de l’espèce

[179] Dans l’ensemble, la preuve suffit amplement à justifier la conclusion selon laquelle les marchandises en cause provenant de la Chine, de la Corée et de la Turquie se font concurrence entre elles et font concurrence aux marchandises similaires, et que les conditions de concurrence entre ces marchandises sont similaires [106] . Par conséquent, il est légitime de procéder à une évaluation cumulative des effets des marchandises sous-évaluées provenant des trois pays visés.

[180] Comme aucun élément de preuve au dossier ne permet au Tribunal de distinguer, d’une part, l’effet probable attribuable au dumping des marchandises provenant de la Turquie, de la Corée et de la Chine et, d’autre part, l’effet probable du subventionnement des marchandises provenant de la Chine, il est nécessaire d’avoir recours à une analyse de dommage commune dans le présent réexamen relatif à l’expiration. Autrement dit, la LMSI commande en l’espèce une évaluation cumulative des effets des importations de marchandises en cause provenant de la Chine, qui sont à la fois sous‑évaluées et subventionnées, et des effets des importations de marchandises en cause provenant de la Turquie et de la Corée, qui sont uniquement sous-évaluées.

[181] Comme je suis d’accord avec mes collègues, en ce qui concerne les motifs énoncés dans l’analyse de dommage ci-dessous, pour dire que même si les effets des marchandises provenant de la Chine étaient analysés séparément, l’expiration de l’ordonnance causera vraisemblablement un dommage sensible à la branche de production nationale, j’appliquerai le principe de l’économie des ressources judiciaires et m’abstiendrai de fournir une autre analyse de la probabilité de dommage cumulant les effets des marchandises en cause provenant de tous les pays visés, même si j’estime qu’il y a lieu de procéder de cette façon.

ANALYSE DE LA PROBABILITÉ DE DOMMAGE

[182] Le réexamen relatif à l’expiration est de nature prospective [107] . Par conséquent, les éléments de preuve recueillis pendant la période visée par le réexamen, au cours de laquelle une ordonnance ou des conclusions étaient en vigueur, ne sont pertinents que dans la mesure où ils influent sur l’analyse prospective visant à déterminer si l’expiration de l’ordonnance ou des conclusions causera vraisemblablement un dommage [108] .

[183] Il n’y a pas de présomption de dommage dans le cadre d’un réexamen relatif à l’expiration; les conclusions doivent être fondées sur des éléments de preuve positifs, en conformité avec la législation nationale et les exigences des accords de l’Organisation mondiale du commerce [109] . Dans le contexte d’un réexamen relatif à l’expiration, les éléments de preuve positifs peuvent comprendre des éléments de preuve fondés sur des faits antérieurs qui appuient des conclusions prospectives [110] .

[184] Pour ce qui est de l’analyse de probabilité de dommage, le Tribunal a constamment indiqué qu’il faut s’en tenir aux circonstances auxquelles on peut raisonnablement s’attendre à court et à moyen terme. En l’espèce, le Tribunal juge approprié de centrer son analyse sur les 12 à 18 prochains mois suivant la période visée par le réexamen comme il l’a fait dans des dossiers précédents concernant des produits de l’acier [111] .

[185] Le paragraphe 37.2(2) du Règlement dresse la liste des facteurs dont le Tribunal peut tenir compte lorsqu’il évalue la probabilité de dommage quand l’ASFC a déterminé qu’il y a probabilité de poursuite ou de reprise du dumping ou du subventionnement. Les facteurs que le Tribunal juge pertinents en l’espèce sont exposés en détail plus bas. Lorsque c’est possible, l’analyse de ces facteurs couvrira les marchandises en cause provenant des trois pays visés. Cependant, le Tribunal est tenu, au final, d’évaluer séparément les effets de la poursuite ou de la reprise probables du dumping des marchandises en cause provenant de la Turquie et de la Corée et les effets de la poursuite ou de la reprise probables du dumping et du subventionnement des marchandises en cause provenant de la Chine. Il s’assurera donc, là où c’est justifié, de faire la distinction entre, d’une part, les marchandises en cause provenant de la Turquie et de la Corée et, d’autre part, celles provenant de la Chine, et veillera à ne pas attribuer les effets des marchandises en cause provenant de la Turquie et de la Corée aux marchandises en cause provenant de la Chine, et vice versa.

Changements dans les conditions du marché

[186] Le Tribunal déterminera d’abord si des changements sont survenus dans les conditions du marché international et national depuis l’enquête initiale afin d’évaluer les volumes et les prix probables des marchandises en cause et leur incidence sur la branche de production nationale advenant l’annulation des conclusions [112] .

[187] Le facteur le plus important à cet égard est la pandémie de COVID-19 survenue au début de 2020, qui continue d’avoir des répercussions économiques importantes. L’économie mondiale est tombée au point mort et s’efforce lentement de revenir au niveau d’activité d’avant la pandémie. Il est généralement admis que la conception et la distribution d’un vaccin sûr et efficace seront l’élément central à la source de la reprise économique. Dans l’éventualité où un vaccin ne serait pas conçu et distribué en 2021, comme le prévoient les autorités de santé publique reconnues, les perspectives économiques pourraient se détériorer encore plus.

[188] L’AEAT fait valoir que la pandémie de COVID-19 a causé tellement d’incertitude et d’instabilité que les réponses au questionnaire et les autres données colligées et synthétisées dans le rapport d’enquête du Tribunal, les prévisions économiques et les autres documents, y compris les témoignages déposés par les parties, y compris l’AEAT, ne peuvent être considérés comme des éléments de preuve positifs. L’AEAT fait donc valoir qu’il est impossible pour le Tribunal de rendre des conclusions de dommage probable fondées sur des éléments de preuve positifs, comme l’exigent les lois nationales et les accords de l’OMC.

[189] Le Tribunal rejette les arguments de l’AEAT. Dans un réexamen relatif à l’expiration, le mandat du Tribunal consiste à faire des déductions raisonnables et logiques sur les activités futures en se fondant sur des éléments de preuve positifs. La notion d’élément de preuve positif renvoie à la qualité de la preuve sur laquelle l’autorité chargée de l’enquête peut s’appuyer pour rendre des conclusions. Un élément de preuve positif doit être de caractère affirmatif, objectif et vérifiable et doit être crédible [113] . Malgré la nature de la pandémie de COVID-19 et le niveau particulièrement élevé d’incertitude, le Tribunal ne se trouve pas dans l’impossibilité de remplir le mandat que lui confère la loi à l’égard du présent réexamen. Le Tribunal est convaincu que les éléments de preuve au dossier sont positifs, fiables et, en tout état de cause, qu’il s’agit des meilleurs éléments de preuve disponibles, ce qui permet au Tribunal de rendre des conclusions éclairées sur la probabilité de dommage.

Conditions du marché international

[190] Comme il a déjà été mentionné, la pandémie mondiale de COVID-19 s’est déclarée au début de 2020 et a eu des répercussions économiques majeures dans le monde entier. Selon la plupart des prévisions, l’économie mondiale devrait se rétablir vers la fin de 2021.

[191] En juin 2020, dans ses perspectives économiques, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a mis de l’avant deux scénarios qu’elle estimait aussi probables l’un que l’autre. Dans le premier cas (le scénario « à une vague »), une fois que le sommet des cas de COVID-19 serait atteint et que la reprise serait graduelle, l’économie mondiale se contracterait de 6 p. 100 en 2020 et retrouverait presque son niveau de 2019 avant la fin de 2021. Dans le deuxième scénario, « à deux vagues », où on assisterait à une recrudescence des cas de COVID-19, l’OCDE prévoit que l’économe mondiale se contracterait de 7,6 p. 100 en 2020 et se trouverait toujours à un niveau nettement inférieur à celui de 2019 à la fin de 2021 [114] . Les perspectives de l’OCDE pour chacun des pays visés sont les suivantes [115] :

Chine : Selon le scénario à une vague, le PIB [produit intérieur brut] reculerait de 2,6 p. 100 en 2020, puis enregistrerait une croissance de 6,8 p. 100 en 2021. Selon le scénario à deux vagues, le PIB perdrait 3,7 p. 100 en 2020 et reviendrait à une croissance de 4,5 p. 100 en 2021.

Corée du Sud : Selon le scénario à une vague, le PIB reculerait de 1,2 p. 100 en 2020, puis augmenterait de 3,1 p. 100 en 2021. Selon le scénario à deux vagues, le PIB perdrait 2,5 p. 100 en 2020 et reviendrait à une croissance de 1,4 p. 100 en 2021.

Turquie : Selon le scénario à une vague, le PIB reculerait de 4,8 p. 100 en 2020, puis enregistrerait une croissance de 4,3 p. 100 en 2021. Selon le scénario à deux vagues, le PIB perdrait 8,1 p. 100 en 2020 et reviendrait à une croissance de 2 p. 100 en 2021.

[Caractère gras dans l’original]

[192] De même, dans ses Perspectives économiques mondiales d’avril 2020, le Fonds monétaire international (FMI) projetait une contraction de 3 p. 100 de l’économie mondiale en 2020, ce qui constituerait, comme le souligne le FMI, un pire recul que celui causé par les crises financières de 2008 et 2009 [116] . Si l’on parvient à maîtriser la progression de la COVID-19 dans la deuxième moitié de 2020, le FMI prévoit une croissance de 5,8 p. 100 en 2021. Il souligne toutefois que ces prévisions sont « d’une incertitude extrême » [traduction] et qu’il s’attend à ce qu’à la fin de 2021, le PIB des marchés avancés et émergents et celui des économies en développement soit toujours inférieur aux niveaux de référence prépandémie publiés en janvier 2020 [117] .

[193] Par ailleurs, le monde est toujours aux prises avec une crise mondiale de surcapacité de production d’acier [118] . Pour la première fois depuis 2014, la capacité mondiale de production d’acier a augmenté en 2019 (de 1,5 p. 100) pour s’établir à environ 2,4 milliards de tonnes métriques. La plus grande partie de cette augmentation a pris place en Asie. Même si la capacité excédentaire a diminué de 6 millions de tonnes métriques en 2019 par rapport à 2018, selon l’OCDE, des projets en cours devraient ajouter une capacité additionnelle de 58,2 millions de tonnes métriques d’ici 2022 [119] .

[194] Selon la mise à jour de juin 2020 de la World Steel Association, la demande mondiale d’acier devrait diminuer de 6,4 p. 100 en 2020 avant de reprendre 3,8 p. 100 en 2021. En ce qui concerne les prévisions pour les pays visés plus précisément, la demande d’acier en Corée devrait stagner, tandis que la demande d’acier en Chine devrait augmenter de 1 p. 100 en 2020 et continuer de croître en 2021 sous l’effet de projets d’infrastructure [120] .

[195] La capacité globale de production de barres d’armature n’a pas augmenté de 2017 à 2019 et devrait rester stable en 2020, 2021 et 2022 [121] . Selon CRU, la capacité de production excédentaire mondiale de barres d’armature a diminué année après année entre 2017 et 2019, et devrait connaître un regain en 2020, puis rebaisser à un niveau inférieur à celui de 2019 en 2021, avant de diminuer encore davantage en 2022 [122] . La production et la demande mondiales de barres d’armature ont augmenté de 2017 à 2019, mais, sans surprise, on anticipe une diminution en 2020. Cependant, selon les prévisions de CRU, la production et la demande mondiales de barres d’armature se rétabliront et atteindront des niveaux supérieurs à ceux de 2019 en 2021, puis augmenteront encore en 2022 [123] .

[196] Depuis que les conclusions faisant l’objet du réexamen ont été rendues, de nombreuses restrictions commerciales ont été appliquées par d’autres gouvernements visant les importations de barres d’armature en provenance des pays visés.

[197] En mars 2018, les États-Unis ont imposé, conformément à l’article 232 du Trade Expansion Act of 1962, des droits de 25 p. 100 sur les importations de certains produits d’acier, y compris les barres d’armature, provenant de la plupart des pays, y compris les pays visés (les « mesures aux termes de l’article 232 des États-Unis »). La Corée a depuis négocié un contingent trimestriel d’importations libres de droits, mais les marchandises en provenance de la Chine et de la Turquie sont toujours assujetties à des droits de 25 p. 100.

[198] Le 18 juillet 2018, l’Union européenne a imposé des mesures de sauvegarde provisoires sur les produits en acier, y compris les barres d’armature. Par la suite, le 31 janvier 2019, elle a imposé des mesures définitives sous la forme d’un contingent tarifaire couvrant les volumes d’importation historiques mais imposant des droits de 25 p. 100 sur les importations excédentaires.

[199] Outre les exemples susmentionnés, le rapport d’enquête montre que 14 autres mesures antidumping ou compensatoires visant différentes catégories de barres d’armature, de barres et de tiges en acier ont été adoptées [124] . Prises ensemble, ces mesures, dont la plupart n’étaient pas en place au moment des conclusions, limitent l’accès des exportateurs d’acier à certains des principaux marchés et accroissent la probabilité que les producteurs d’acier, y compris les producteurs des marchandises en cause, se tournent vers n’importe quel marché libre de telles restrictions.

Conditions du marché national

[200] Le marché apparent canadien des barres d’armature a grandi au cours de la période visée par le réexamen. Les ventes totales de barres d’armature ont augmenté de 22 p. 100 en 2018, de 6 p. 100 en 2019 et de 17 p. 100 au premier trimestre de 2020 par rapport au premier trimestre de 2019 [125] .

[201] En 2017, au début de la période visée par le réexamen, le prix moyen des barres d’armature de production nationale était comparable au prix moyen pendant la période visée par l’enquête. En 2018, la valeur de vente nette rendue (VVNR) moyenne des barres d’armature de production nationale a augmenté de 23 p. 100, puis d’encore 4 p. 100 en 2019, mais elle a diminué de 15 p. 100 au premier trimestre de 2020 par rapport à la même période en 2019. La VVNR moyenne des importations et celle du marché dans son ensemble ont suivi la même tendance, soit une hausse en 2018 et en 2019 puis une baisse au premier trimestre de 2020 par rapport à celui de 2019 [126] .

[202] D’importants changements sont survenus en ce qui concerne les sources des importations depuis l’enquête. En 2017 et en 2018, la majorité des importations non visées faites par les importateurs, provenaient des États‑Unis. Toutefois, les importations provenant des États-Unis ont chuté après l’adoption de représailles tarifaires par le Canada, si bien que ce sont d’autres pays (ne faisant pas partie des pays visés) qui sont devenus les principales sources en 2019 et dans la période intermédiaire de 2020 [127] .

[203] Pour ce qui est de l’avenir, on s’attend à ce que le marché canadien se redresse et soit en légère croissance. Comme de nombreux autres pays, le Canada a adopté en mars 2020 des mesures de confinement strictes en réponse à la COVID-19. L’activité économique a lentement repris avec le relâchement de certaines mesures, mais la voie vers un retour aux niveaux d’avant la pandémie demeure incertaine. Selon le scénario « à une vague » de l’OCDE, le PIB du Canada se contractera de 8 p. 100 en 2020 et retrouvera une croissance de 3,9 p. 100 en 2021 [128] . Selon le scénario « à deux vagues » de l’OCDE, la contraction du PIB en 2020 atteindra 9,4 p. 100 et la croissance sera de 1,5 p. 100 en 2021 [129] .

[204] Dans l’après-coup des mesures de confinement liées à la COVID-19, on s’attend à ce que la demande de barres d’armature commence à se rétablir au troisième trimestre de 2020, mais pour l’ensemble de l’année elle devrait être inférieure à celle de l’année précédente. On prévoit une faible demande en 2021 et en 2022 également [130] .

[205] En général, les répondants aux questionnaires du Tribunal prévoient que le marché national restera dans une situation précaire pour l’avenir prévisible en raison de la pandémie de COVID-19 [131] .

Volume probable des importations de marchandises en cause advenant l’annulation des conclusions

[206] En vertu de l’alinéa 37.2(2)a) du Règlement, le Tribunal peut prendre en compte le volume probable des marchandises sous-évaluées ou subventionnées advenant l’expiration de l’ordonnance ou des conclusions, et tout particulièrement le fait qu’une augmentation importante du volume des importations des marchandises sous-évaluées ou subventionnées, soit en quantité absolue, soit par rapport à la production ou à la consommation de marchandises similaires, est vraisemblable ou non.

[207] Pour évaluer le volume probable des importations de marchandises sous-évaluées et subventionnées, le Tribunal prend en compte le rendement probable de la branche de production étrangère, la possibilité pour les producteurs étrangers de produire les marchandises dans des installations servant actuellement à la production d’autres marchandises, la preuve de l’imposition de mesures antidumping ou compensatoires par d’autres gouvernements et le fait que les mesures prises par d’autres gouvernements causeront vraisemblablement ou non une réaffectation au Canada des marchandises en cause [132] .

Volume probable des marchandises en cause sous-évaluées de la Turquie et de la Corée

[208] Aussi récemment qu’au début de la période visée par le réexamen (c’est-à-dire en 2017 et en 2018), les barres d’armature provenant de la Turquie accaparaient une part substantielle du marché canadien. Cependant, cette part a chuté de 25 points de pourcentage en 2019, lorsque l’ASFC a commencé à établir les valeurs normales en dollars américains plutôt qu’en livres turques. Par conséquent, les barres d’armature turques ont eu une présence minime sur le marché canadien en 2019 et dans le premier trimestre de 2020 [133] . Les barres d’armature coréennes ont pour l’essentiel été absentes du marché canadien pendant la période visée par le réexamen.

[209] Dans son enquête initiale, le Tribunal a constaté que la Turquie et la Corée produisaient des barres d’armature en énorme quantité, et que le niveau de production de chacun de ces pays surpassait largement la taille du marché apparent canadien [134] . Selon la preuve présentée dans le présent réexamen, c’était toujours le cas pendant la période visée par le réexamen [135] .

[210] La capacité excédentaire de production de barres d’armature de la Turquie et de la Corée, respectivement, était de loin supérieure à la taille de l’ensemble du marché canadien à n’importe quel moment de la période visée par le réexamen [136] . Du côté de la Turquie, la capacité excédentaire a augmenté de 2017 à 2019, passant de 2,97 millions de tonnes métriques à 7,68 millions de tonnes métriques [137] . Selon les prévisions, la capacité excédentaire devrait commencer à diminuer en 2020 et être ramenée à 3,59 millions de tonnes métriques en 2022, ce qui continue de représenter plusieurs fois la taille du marché canadien à n’importe quel moment de la période visée par le réexamen. De même, en Corée, il est prévu que la capacité excédentaire de production de barres d’armature augmente pour atteindre 4,3 millions de tonnes métriques en 2020, avant de reculer en 2021 et en 2022 pour retomber à 3,3 millions de tonnes métriques [138] .

[211] La capacité de production turque est restée stable tout au long de la période visée par le réexamen [139] . Les prévisions de CRU n’anticipent pas d’augmentation de la capacité de production, mais des producteurs turcs ont déclaré avoir entrepris des travaux pour accroître leur capacité [140] . La production turque de barres d’armature dépassait largement la demande intérieure pendant la période visée par le réexamen, ce qui continuera d’être vrai jusqu’en 2022 [141] .

[212] La demande d’acier en Corée a diminué entre 2017 et 2019, ce qui est en partie attribuable à la faiblesse de l’industrie de la construction et à une détérioration des marchés d’exportation [142] . La demande de barres d’armature a suivi la même tendance, et il est prévu qu’elle diminuera encore en 2020 [143] . CRU prévoit que la demande de barres d’armature reprendra de la vigueur en 2021 et en 2022, sans toutefois revenir à son niveau de 2017 [144] .

[213] Par ailleurs, la preuve montre que les producteurs turcs sont largement axés sur les exportations [145] . Les marchandises en cause provenant de la Turquie ont représenté une part importante du total des importations du marché canadien en 2017 et en 2018. Toutefois, comme il a déjà été mentionné, cette part a chuté en 2019 après que l’ASFC a ajusté les devises utilisées dans ses calculs. L’AEAT fait valoir que les producteurs turcs se sont détournés du marché nord-américain après la mise en place des mesures aux termes de l’article 232 des États-Unis et qu’il est peu probable qu’ils recommencent à y envoyer des quantités dommageables. Toutefois, ce n’est pas ce que montre la preuve au dossier. En mars 2020, les États-Unis ont essentiellement éliminé les droits antidumping sur les importations provenant de certains producteurs turcs. Cela s’est traduit par une hausse des importations de provenance turque aux États-Unis, ce qui montre que les producteurs turcs ont la capacité et la volonté d’augmenter rapidement leurs exportations vers l’Amérique du Nord [146] .

[214] De même, les exportations coréennes de barres d’armature ont augmenté continuellement de 2017 à 2019, avec une hausse totale de 28 p. 100 sur cette période [147] . De plus, les produits longs d’acier coréens, une catégorie de marchandise qui comprend généralement les barres d’armature, sont restés présents sur le marché canadien pendant la période visée par le réexamen, en quantités croissantes de 2017 à 2019 [148] .

[215] Même si les conditions ne sont pas les mêmes en Turquie et en Corée, la preuve montre que les producteurs de ces deux pays visés seront fortement motivés à augmenter le volume de leurs exportations advenant l’annulation des conclusions. Les deux pays ont une capacité excédentaire très importante et connaîtront probablement des conditions difficiles sur leur marché intérieur et leurs marchés d’exportation dans les 12 à 18 prochains mois.

[216] La Turquie et la Corée sont également visées par des mesures commerciales visant les barres d’armature dans d’autres marchés, ce qui nuira vraisemblablement à l’exportation des marchandises en cause vers ces marchés et augmentera la probabilité que les producteurs des marchandises en cause cherchent d’autres débouchés, comme le Canada.

[217] Les prix dans le marché nord-américain, y compris le marché canadien, sont généralement supérieurs à ceux des autres marchés [149] . Rien n’indique que cette situation changera à court terme. Compte tenu des mesures aux termes de l’article 232 des États-Unis, qui limitent l’accès des pays visés au marché américain, les producteurs des marchandises en cause verront vraisemblablement le Canada comme un marché attirant leur permettant de profiter des prix nord-américains.

[218] Par ailleurs, la présence persistante, bien que dans certain cas modeste, des importations de marchandises en cause provenant de la Corée et de la Turquie tout au long de la période visée par le réexamen, malgré l’imposition de droits antidumping, montre que l’intérêt des producteurs de ces pays étrangers pour le marché canadien ne se dément pas, et que ces producteurs disposent toujours de circuits de distribution des marchandises en cause au Canada. La faiblesse des volumes est aussi une indication du fait que, nonobstant l’existence de ces circuits de distribution, les marchandises en cause ne sont pas concurrentielles sur le marché canadien aux valeurs normales, ou encore, dans le cas de la Turquie, une fois les valeurs normales fixées en dollars américains afin de compenser la dévaluation de la livre turque.

[219] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que l’annulation des conclusions mènerait vraisemblablement à une augmentation importante du volume des marchandises en cause provenant de la Corée et de la Turquie.

Volume probable des marchandises en cause sous-évaluées et subventionnées de la Chine

[220] La Chine est le premier pays producteur d’acier au monde. Ces dernières années, la croissance économique chinoise a ralenti, en partie sous l’effet d’une escalade de restrictions commerciales [150] . On s’attend à ce que la croissance ralentisse encore davantage en raison de restrictions commerciales croissantes et de leurs incidences sur la production manufacturière et l’investissement chinois [151] . Les mesures de confinement relatives à la COVID-19 adoptées au début de 2020 ont causé une brusque contraction de l’économie chinoise (-6,8 p. 100) dans le premier trimestre de l’année [152] . Selon les prévisions, la demande d’acier en Chine augmentera de 1 p. 100 en 2020 et restera stable en 2021, alors qu’elle avait augmenté de 8,5 p. 100 en 2019 [153] .

[221] Selon CRU, la production de barres d’armature a recommencé à croître au fil de l’assouplissement des mesures de confinement liées à la COVID-19 [154] . La production devrait continuer de croître, quoique légèrement, en 2021 et en 2022, tandis qu’on prévoit que la demande demeurera stable [155] .

[222] Même en tenant compte de l’augmentation de la production, la capacité excédentaire prévue en Chine pour 2020, 2021 et 2022 est immense par rapport à la taille du marché canadien apparent des barres d’armature dans son ensemble [156] .

[223] Les volumes d’exportation de barres d’armature de la Chine ont diminué de 2017 à 2019. Malgré tout, la Chine a exporté 4,6 millions de tonnes métriques de barres d’armature en 2019, et plus de 1,8 million de tonnes métriques de janvier à mai 2020 [157] . Pour ce qui est de l’avenir, selon les prévisions de CRU, les exportations nettes de barres d’armature chinoises devraient augmenter en 2021 et en 2022 [158] .

[224] Des barres d’armature chinoises étaient présentes sur le marché canadien au cours de la période visée par le réexamen, bien qu’en quantité minime. Cette présence des marchandises en cause est une indication de l’intérêt persistent des producteurs chinois à l’égard du marché canadien et de l’existence de circuits de distribution établis au Canada. Comme dans le cas des importations de marchandises en cause provenant de la Corée et de la Turquie, le Tribunal estime que le faible volume des importations provenant de la Chine pendant la période visée par le réexamen montre que les produits chinois ne sont pas concurrentiels à prix équitable, et qu’il est peu probable que ce volume soit représentatif de la quantité de marchandises en cause provenant de la Chine advenant l’annulation des conclusions.

[225] Dans l’ensemble, la preuve montre que les producteurs chinois des marchandises en cause seront motivés à augmenter le volume de leurs exportations. À titre de marché où les prix sont relativement plus élevés, le Canada est une destination d’exportation attirante, tout particulièrement dans un contexte où les mesures aux termes de l’article 232 des États-Unis limitent l’accès des marchandises en cause chinoises au marché américain [159] . La Chine fait aussi l’objet de diverses mesures commerciales dans d’autres marchés, ce qui limite sa capacité d’y accéder et pousse les producteurs des marchandises en cause à chercher d’autres débouchés.

[226] Pour ces motifs, le Tribunal conclut qu’il y aura vraisemblablement une augmentation importante du volume des marchandises en cause provenant de la Chine advenant l’annulation des conclusions.

Effets probables des marchandises en cause sur les prix advenant l’annulation des conclusions

[227] Le Tribunal doit déterminer si, en cas d’annulation des conclusions, le dumping ou le subventionnement des marchandises en cause mènera à la sous-cotation marquée ou à la baisse du prix de marchandises similaires, ou à la compression du prix de ces marchandises, en empêchant les augmentations de prix qui par ailleurs se seraient vraisemblablement produites pour ces marchandises. [160] À cet effet, le Tribunal fait une distinction entre les effets des marchandises sous‑évaluées ou subventionnées sur les prix et tout autre effet qui pourrait vraisemblablement se produire dû à d’autres facteurs ayant un impact sur les prix.

Effets probables des marchandises sous-évaluées de la Turquie et de la Corée sur les prix

[228] Comme l’a souligné le Tribunal dans l’enquête initiale, les marchandises en cause et les barres d’armature de production nationale sont des produits de base parfaitement interchangeables qui se font concurrence sur le marché canadien en fonction du prix [161] . Autrement dit, d’éventuelles importations de barres d’armature, y compris en provenance des pays visés, devront être concurrentielles par rapport aux fournisseurs offrant les plus bas prix pour se tailler une part des ventes sur le marché canadien.

[229] Différentes quantités de marchandises en cause provenant de la Turquie et de la Corée étaient présentes sur le marché canadien pendant la période visée par le réexamen. Toutefois, le Tribunal ne considère pas que le prix de vente de ces marchandises en cause est un bon indicateur du prix qui aurait cours advenant l’annulation des conclusions, puisqu’il est assujetti à l’imposition de droits et de valeurs normales. Afin d’estimer le prix probable des marchandises en cause advenant l’annulation des conclusions, il est plus utile d’examiner le prix de vente des importations provenant de pays non visés.

[230] Une tendance à la hausse a prévalu de 2017 à 2019, tant pour la production nationale que pour les importations non visées. Cependant, le prix des importations était inférieur aux prix de la branche de production nationale tout au long de la période visée par le réexamen. En 2017 et en 2018, les pays offrant les plus bas prix étaient les pays visés dans Barres d’armature II [162] , c’est‑à‑dire le Bélarus, le Taipei chinois, Hong Kong, le Japon, le Portugal et l’Espagne, et ce, même si leurs importations étaient assujetties à des droits provisoires à compter de janvier 2017. En 2019, le prix le plus bas était le prix de vente moyen des marchandises turques et coréennes, sauf dans la période intermédiaire de 2019, où les pays visés dans Barres d’armature II offraient encore une fois les prix les plus bas. Enfin, au premier trimestre de 2020, ce sont d’autres pays non visés qui offraient les prix les plus bas, dont l’Algérie, l’Italie, la Malaisie et le Vietnam.

[231] Ces éléments d’information sont étayés par la preuve relative à certains clients déposée par ArcelorMittal et AltaSteel, qui montre 15 occasions où des importations non visées ont entraîné la sous-cotation de leurs produits en 2019 et en 2020 [163] .

[232] Pour ce qui est des prix probables des marchandises en cause à l’avenir, ArcelorMittal et AltaSteel ont présenté des éléments de preuve montrant le potentiel d’une sous-cotation des prix sur la base des prix rendus (l’« analyse des prix au débarquement » d’ArcelorMittal et AltaSteel) [164] . Cette analyse, qui se fonde sur les prix à l’exportation des barres d’armature turques obtenus de Metal Bulletin et la valeur déclarée des exportations de barres d’armature coréennes aux États-Unis, compare le prix au débarquement probable des importations de marchandises en cause en juin 2020 au prix au débarquement de la production d’ArcelorMittal pour l’Est et l’Ouest du Canada. Selon les données, le prix des importations en provenance des deux pays visés entraînerait la sous-cotation des prix d’ArcelorMittal dans les deux régions.

[233] Par ailleurs, le Tribunal constate qu’il est probable que perdure la sous-cotation des prix nationaux par des pays non visés, y compris les pays visés dans Barres d’armature II. Dans la mesure où les barres d’armature sont un produit de base pour lequel la concurrence se fait en fonction du prix, les importations futures de marchandises en cause provenant de la Turquie ou de la Corée devraient faire concurrence à des prix au moins comparables, voire inférieurs, à ceux de ces autres sources pour se tailler une part du marché canadien. Selon M. Philippe Boulanger, vice-président et dirigeant principal de la commercialisation à ArcelorMittal, les prix sur le marché canadien des barres d’armature baisseraient d’au moins 60 $ par tonne métrique advenant l’annulation des conclusions. Il s’agit, selon M. Boulanger, d’une estimation prudente qui s’appuie sur l’ampleur de la sous-cotation causée par les nouvelles sources étrangères avec lesquelles ArcelorMittal est actuellement en concurrence et sur le prix au débarquement des barres d’armature turques au Canada [165] .

[234] Le Tribunal constate également que les importateurs ont su rapidement trouver de nouvelles sources d’importations lorsque les importations américaines ont été assujetties à des surtaxes de représailles au Canada et qu’ils ne pouvaient plus accéder à des importations turques à faible prix unitaire exprimé en livre turque. Le Tribunal juge probable, advenant l’annulation des conclusions, que les importateurs mettent à profit la nouvelle disponibilité des marchandises provenant des pays actuellement visés, libérées de droits et de valeurs normales. Il est vraisemblable que ces importations chercheraient à livrer concurrence sur le prix afin de réaliser des ventes.

[235] Cette analyse est appuyée par la preuve selon laquelle le marché national sera vraisemblablement dans un contexte de sensibilité accrue aux prix. Selon les déclarations de témoins déposées par Gerdau, l’entreprise s’attend à ce que les utilisateurs finaux cherchent à réduire leurs coûts dans leurs efforts pour se remettre des effets de la pandémie de COVID-19, ce qui comprendrait une intensification de la recherche de barres d’armature à faible prix [166] .

[236] La preuve susmentionnée indique également qu’advenant l’annulation des conclusions, les importations de marchandises en cause entraîneront probablement une baisse des prix. Une telle baisse est quasi inévitable étant donné la concurrence livrée par les marchandises en cause pour l’obtention de ventes et de part du marché. La branche de production nationale fait valoir qu’elle sera forcée de baisser ses prix ou de risquer de perdre des ventes. Le Tribunal est d’accord. De même, Harris Rebar, un importateur, est d’avis que la sous-cotation causée par les importations aura un effet à la baisse sur les prix du marché [167] .

[237] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que les prix des marchandises en cause provenant de la Turquie et de la Corée entraîneront vraisemblablement la sous-cotation et la baisse des prix des marchandises similaires de production nationale dans l’éventualité où les conclusions seraient annulées.

Effets probables des marchandises sous-évaluées et subventionnées de la Chine sur les prix

[238] Des quantités minimes de marchandises en cause provenant de la Chine étaient présentes pendant la période visée par le réexamen. Cependant, le prix de vente de ces marchandises pendant que des droits antidumping et compensateurs étaient en vigueur n’est pas un bon indicateur de leur prix probable advenant l’annulation des conclusions. Le Tribunal a donc plutôt examiné le prix de vente des importations provenant de pays non visés. Comme il a déjà été mentionné, les barres d’armature sont un produit de base, et les barres d’armature chinoises seraient tenues de livrer concurrence aux sources offrant les prix les plus bas pour réaliser des ventes et se tailler une part du marché.

[239] En fonction des données susmentionnées, les importations non visées en provenance des pays visés dans Barres d’armature II ont entraîné la sous-cotation des prix nationaux tout au long de la période visée par le réexamen, sauf la période intérimaire de 2020, où d’autres pays non visés offraient les prix les plus bas. Des éléments de preuve déposés par ArcelorMittal et comparant la valeur unitaire nette de ses ventes aux prix à l’exportation en Chine montrent également une augmentation de la sous-cotation des prix entre 2017 et 2019 [168] .

[240] L’analyse du prix au débarquement présentée par ArcelorMittal et AltaSteel montre aussi un potentiel de sous-cotation des prix par les marchandises en cause provenant de la Chine. En fonction des prix de juin 2020, l’analyse montre que le prix des importations chinoises entraînerait la sous-cotation des prix d’ArcelorMittal, tant dans l’Est que dans l’Ouest du Canada.

[241] Compte tenu de ces facteurs, il continuera d’y avoir sous-cotation des prix par des pays non visés, et ce, dans un contexte où les utilisateurs finaux chercheront à réduire leurs coûts pour tenter de se remettre des effets de la pandémie de COVID-19. Les producteurs nationaux s’attendent donc à devoir choisir entre baisser leurs prix et perdre des ventes, et les importateurs ont montré par le passé leur volonté de profiter des importations à prix inférieur.

[242] Pour les motifs énoncés précédemment, le Tribunal conclut qu’il est vraisemblable que le prix des marchandises en cause provenant de la Chine entraîne la sous-cotation et la baisse du prix des marchandises similaires de production nationale advenant l’annulation des conclusions.

Incidence probable sur la branche de production nationale advenant l’annulation des conclusions

[243] Le Tribunal évaluera l’incidence probable des volumes et des prix susmentionnés sur la branche de production nationale dans l’éventualité où les conclusions seraient annulées [169] , en tenant compte du rendement récent de la branche de production nationale. Dans le cadre de cette analyse, le Tribunal fait une distinction entre l’incidence probable des marchandises sous-évaluées ou subventionnées et l’incidence probable de tout autre facteur qui agit ou qui pourrait vraisemblablement agir sur la branche de production nationale [170] .

[244] La question que doit trancher le Tribunal est celle de savoir si la branche de production nationale réussira vraisemblablement à garder un rendement dans une fourchette acceptable ou à produire des résultats financiers relativement satisfaisants advenant l’annulation des conclusions. Pour les motifs énoncés ci-dessous, le Tribunal est d’avis que, advenant l’annulation des conclusions, la reprise ou la poursuite du dumping des marchandises en cause provenant de la Turquie et de la Corée ou la reprise ou la poursuite du dumping et du subventionnement des marchandises en cause provenant de la Chine causerait un dommage sensible à la branche de production nationale.

[245] Les parties appuyant la prorogation des conclusions soutiennent que la branche de production nationale a de la difficulté à concurrencer les importations à bas prix des pays non visés. Elles font également valoir qu’elles sont dans une situation de vulnérabilité particulière dans le contexte économique actuel et à court terme, car les clients cherchent à réduire leurs coûts pour se remettre des effets des mesures de lutte contre la COVID-19. Le SDM met l’accent sur le fait que les dommages causés aux producteurs nationaux auront des effets négatifs sur l’emploi, sur les pensions et sur sa position de négociation.

[246] L’AEAT, qui s’oppose à la prorogation des conclusions, fait valoir que la reprise des importations de marchandises en cause ne causera pas de dommage à la branche de production nationale. Selon elle, les importations de marchandises en cause provenant de la Turquie ne reprendraient pas en quantités dommageables, car le Canada n’est pas un marché important pour les producteurs turcs, et ces marchandises ne seraient pas vendues à des prix susceptibles de causer un dommage, car la Turquie n’a pas d’impératif de production d’acier.

[247] En guise de contexte, les résultats de la branche de production nationale se sont améliorés pendant la période visée par le réexamen, de 2017 à 2019. Les ventes de production nationale ont augmenté de 27 p. 100 en 2018, puis d’encore 24 p. 100 en 2019, alors que le marché avait crû de 22 p. 100 la première de ces années et de 6 p. 100 la deuxième [171] . La VVNR moyenne des barres d’armature de production nationale a augmenté, passant de 721 $ la tonne en 2017 à 917 $ la tonne en 2019, de même que la VVNR moyenne des importations dans leur ensemble, qui est passée de 769 $ la tonne en 2017 à 915 $ la tonne en 2019 [172] . Dans la même lignée, la part de marché de la branche de production nationale a augmenté en 2018 et en 2019, alors que la part de marché des importations globales a diminué [173] . En outre, les résultats financiers de la branche de production nationale, plus particulièrement au chapitre du revenu net, se sont nettement améliorés en 2018 et ont continué de le faire en 2019 [174] .

[248] Par contraste, comparativement au premier trimestre de 2019, les résultats du premier trimestre de 2020 ont été partagés. Les ventes de barres d’armature de production nationale ont diminué de 5 p. 100 malgré une augmentation de 17 p. 100 de la taille du marché, en raison d’une hausse des importations non visées [175] . La VVNR moyenne des barres d’armature de production nationale a reculé de 15 p. 100, à 816 $ la tonne, ce qui correspond à la tendance baissière générale des prix du marché pour cette période [176] . La branche de production nationale a également perdu une part de marché considérable au profit des importations, et ses résultats financiers ont été inférieurs à ceux du premier trimestre de 2019 [177] .

[249] Même avec l’application des conclusions et la hausse de la VVNR moyenne des barres d’armature de production nationale de 2017 à 2019, la branche de production nationale doit composer avec la pression sur les prix appliquée par les pays visés et les pays non visés. De fait, en comparant la VVNR des barres d’armature de production nationale et celle des importations globales, le Tribunal a constaté qu’il y avait sous-cotation des prix tant en 2018 qu’en 2019 [178] . Parmi les pays visés, c’est la Turquie qui est la principale source de sous-cotation des prix, dans la mesure où les autres pays visés n’ont eu qu’une présence minime sur le marché canadien pendant la période visée par le réexamen. La branche de production nationale a également eu à composer avec des pressions sur les prix causées par des pays non visés au cours de la période visée par le réexamen, plus particulièrement les pays visés dans Barres d’armature II, qui ont entraîné la sous-cotation de la VVNR de la production nationale dans une plus grande mesure et à plus d’occasions que les autres pays non visés [179] .

[250] Malgré la pression sur les prix attribuable aux importations non visées pendant la période visée par le réexamen, la branche de production nationale a eu de relativement bons résultats. On s’attend à ce que la demande reste faible pour un certain temps pendant et après la pandémie de COVID-19, mais la preuve au dossier indique que le dumping et le subventionnement des marchandises en cause causeront vraisemblablement, à eux seuls, un dommage au rendement de la branche de production nationale dans les 12 à 18 prochains mois.

[251] En fait, la preuve montre qu’advenant l’annulation des conclusions, la quantité des importations de marchandises en cause provenant de la Corée et de la Turquie augmentera probablement de façon importante, à des prix qui entraîneront vraisemblablement la sous-cotation et la baisse des prix nationaux, conformément à l’analyse distincte, ci-dessus, des volumes et des prix des marchandises turques et coréennes. Le Tribunal conclut en outre que ces importations auront aussi vraisemblablement comme effet de faire perdre des ventes, de faire baisser le volume des ventes et de faire baisser les revenus de la branche de production nationale. Tous ces effets négatifs sont indépendants des effets des marchandises chinoises, et seront probablement d’un ordre de grandeur suffisant pour causer un dommage sensible.

[252] La preuve montre également qu’il y aurait vraisemblablement une augmentation importante des importations provenant de la Chine, et qu’elles entraîneraient la sous-cotation et la baisse des prix nationaux (conformément à l’analyse distincte menée ci-dessus pour la Chine), ce qui entraînerait des effets négatifs semblables, indépendamment des effets des marchandises coréennes et turques.

[253] Les résultats financiers de la branche de production nationale se détérioreraient vraisemblablement en raison des effets de l’un ou l’autre de ces groupes de marchandises en cause, ce qui aurait des répercussions négatives sur les dépenses en immobilisations, l’emploi et les salaires. À cet égard, le Tribunal est conscient des effets de la pandémie de COVID-19, plus particulièrement du fait que le marché canadien sera vraisemblablement particulièrement sensible aux prix à brève échéance, pendant que les clients tentent de se remettre de l’impact économique des mesures de lutte contre le virus. Toutefois, les effets négatifs probables des marchandises en provenance de la Corée et de la Turquie, de même que ceux des marchandises en provenance de la Chine, sur les résultats financiers de la branche de production nationale ne sont pas attribuables à la pandémie de COVID-19 ni à ses conséquences.

[254] Selon ArcelorMittal, une baisse de prix de 60 $ la tonne métrique a entraîné des pertes nettes pour la branche de production nationale en 2019 et au premier trimestre de 2020 [180] . Le Tribunal a effectué sa propre analyse des effets d’une baisse de prix de 60 $ la tonne métrique, qui a confirmé que l’ensemble de la branche de production nationale subirait les effets négatifs du scénario susmentionné. Le Tribunal prend également note des déclarations faites par les témoins du SDM, selon lesquelles la viabilité des producteurs nationaux a une incidence directe sur la situation économique des travailleurs de l’acier actifs et retraités. Outre la perte potentielle d’emploi, les témoins ont indiqué que la concurrence déloyale de marchandises sous-évaluées et subventionnées avait considérablement affaibli la position de négociation du syndicat par le passé, plus particulièrement sur le plan des régimes de retraite, et que cette situation se répéterait advenant l’annulation des conclusions.

[255] En ce qui concerne les importations à bas prix non visées, le Tribunal constate que les pays visés seront probablement fortement motivés à augmenter leurs ventes et devront, pour récupérer une part accrue du marché canadien, livrer concurrence sur le prix non seulement à la branche de production nationale, mais aussi aux fournisseurs offrant les prix les plus bas (c’est-à-dire les pays non visés). Ainsi, les marchandises en cause provenant de la Corée et de la Turquie, de même que celles provenant de la Chine, respectivement, entraîneront vraisemblablement une sous-cotation marquée des prix, une baisse importante des prix et/ou des pertes importantes de ventes. Ces effets sont, à juste titre, attribuables aux marchandises en cause et causeront vraisemblablement un dommage s’ajoutant à celui que pourrait subir la branche de production nationale, même si les conclusions sont toujours en vigueur, en raison de la pression sur les prix attribuable aux sources d’importations non visées.

[256] Par conséquent, pour les motifs énoncés précédemment, le Tribunal conclut que la poursuite du dumping des marchandises en cause en provenance de la Corée et de la Turquie, en soi, causera vraisemblablement un dommage sensible à la branche de production nationale si les conclusions devaient être annulées.

[257] De la même façon, le Tribunal conclut que la poursuite du dumping et du subventionnement des marchandises en cause en provenance de la Chine, en soi, causera vraisemblablement un dommage sensible à la branche de production nationale si les conclusions devaient être annulées.

CONCLUSION

[258] À la lumière de l’analyse qui précède, et aux termes de l’alinéa 76.03(12)b) de la LMSI, le Tribunal proroge par les présentes ses conclusions concernant le dumping de barres d’armature crénelées pour béton en acier, laminées à chaud, en longueurs droites ou sous forme de bobines, souvent identifiées comme armature, de différents diamètres jusqu’à 56,4 millimètres inclusivement, de finitions différentes, excluant les barres rondes ordinaires et la fabrication d’autres produits d’armature, originaires ou exportées de la Chine, de la Corée et de la Turquie, et le subventionnement des marchandises susmentionnées originaires ou exportées de la Chine.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre

 



[1] L.R.C. (1985), ch. S-15 [LMSI].

[2] Pièce RR-2019-003-03, vol. 1 à la p. 5.

[3] Des modifications non confidentielles et confidentielles apportées au rapport d’enquête ont par la suite été déposées au dossier.

[4] Le 10 juillet 2020, le Tribunal a annulé l’audience publique, proposé une procédure d’audience différente et invité les parties à transmettre leurs commentaires, ce que ces dernières avaient toutes fait en date du 17 juillet 2020. Le 22 juillet 2020, le Tribunal a distribué la procédure d’audience révisée définitive. Le calendrier révisé du réexamen relatif à l’expiration a été publié dans l’avis révisé à nouveau de réexamen relatif à l’expiration le 5 août 2020.

[5] Pièce RR-2019-003-03A, vol. 1 au par. 19.

[6] Ibid. au par. 20.

[7] Ibid. aux par. 21-23.

[8] Barres d’armature pour béton (9 janvier 2015), NQ-2014-001 (TCCE) [Barres d’armature] au par. 25.

[9] Barres d’armature au par. 26.

[10] Barres d’armature au par. 27.

[11] La preuve au dossier comprend également des références à la norme CSA G30.18-09, Barres d’acier au carbone pour l’armature du béton. Ces normes semblent être équivalentes.

[12] Barres d’armature au par. 21. Voir aussi Pièce RR-2019-003-C-01, vol. 1 au par. 22; et Pièce RR-2019-003-D-01, vol. 1 au par. 19.

[13] Barres d’armature au par. 22.

[14] Barres d’armature au par. 23.

[15] Barres d’armature au par. 24.

[16] Selon le paragraphe 2(1) de la LMSI, « dommage » s’entend d’un « dommage sensible causé à une branche de production nationale », et « retard » s’entend d’un « retard sensible de la mise en production d’une branche de production nationale » [nos italiques]. Comme il existe actuellement une branche de production nationale établie, la question de savoir si l’expiration des conclusions causera vraisemblablement un retard ne se pose pas dans le cadre du présent réexamen relatif à l’expiration.

[17] Si le Tribunal détermine que le présent réexamen relatif à l’expiration vise plus d’une catégorie de marchandises, il doit effectuer des analyses de dommage distinctes et rendre une décision pour chacune des catégories. Voir Noury Chemical Corporation et Minerals & Chemicals Ltd. c. Pennwalt of Canada Ltd. et Le Tribunal antidumping, [1982] 2 C.F. 283 (C.F.).

[18] Voir par exemple Raccords de tuyauterie en cuivre (19 février 2007), NQ-2006-002 (TCCE) au par. 48.

[19] Barres d’armature au par. 47.

[20] Barres d’armature au par. 43.

[21] Barres d’armature au par. 79.

[22] « Proportion majeure » s’entend d’une proportion importante ou considérable de la production collective nationale de marchandises similaires, et pas forcément d’une majorité. Japan Electrical Manufacturers Assoc. c. Canada (Tribunal antidumping), [1986] A.C.F. nº 652 (C.A.F.); McCulloch of Canada Limited et McCulloch Corporation c. Le Tribunal antidumping, [1978] 1 C.F. 222 (C.A.F.); Chine – Droits antidumping et compensateurs visant certaines automobiles en provenance des États-Unis (23 mai 2014), OMC Doc. WT/DS440/R, Rapport du Groupe spécial au par. 7 207; Communautés européennes – Mesures antidumping définitives visant certains éléments de fixation en fer ou en acier en provenance de Chine (15 juillet 2011), OMC Doc. WT/DS397/AB/R, Rapport de l’Organe d’appel aux par. 411, 412, 419; Argentine – Droits antidumping définitifs visant la viande de volaille en provenance du Brésil (22 avril 2003), OMC Doc. WT/DS241/R, Rapport du Groupe spécial au par. 7.341.

[23] Voir Acier laminé à froid (21 décembre 2018), NQ-2018-002 (TCCE) au par. 39.

[24] (15 octobre 2018), RR-2017-005 (TCCE) [TSAC].

[25] Dans le jargon de l’OMC, le cumul de marchandises sous-évaluées avec des marchandises qui ne sont que subventionnées ou qui sont à la fois subventionnées et sous-évaluées est appelé « cumul croisé » (c.-à-d. le cumul de marchandises qui sont visées soit par l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 [Accord antidumping] ou par l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires [Accord SMC]), ou encore les deux.

[26] Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), cité dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) [1998] 1 R.C.S. 27 au par. 21.

[27] [1990] 2 R.C.S. 1324 aux p. 1372-1373 (selon les juges Gonthier, La Forest, L’Heureux-Dubé et McLachlin) [National Corn Growers].

[28] Ibid. à la p. 1348 (selon le juge en chef Dickson, le juge en chef Lamer et le juge Wilson).

[29] B010 c. Canada (Citoyenneté et immigration), [2015] 3 RCS 704 [B010].

[30] B010 aux par. 47-49. Voir aussi Canada c. Seaboard Lumber Sales Co., [1995] 3 CF 113 où le juge Linden J.C.A a affirmé ce qui suit : « Il est maintenant reconnu que les tribunaux peuvent, dès l’ouverture de l’enquête, se servir de documents internationaux pertinents aux fins d’interpréter une loi de mise en œuvre, et ce, même si la loi ne comporte à première vue aucune ambiguïté [...] L’ambiguïté peut apparaître à la suite de l’examen de divers facteurs liés au contexte; elle ne devrait pas être considérée comme une condition préalable nécessaire à l’examen de ces facteurs. Cette approche traduit la présomption selon laquelle une loi de mise en œuvre est censée correspondre aux obligations prises en vertu de la convention ou du mémorandum international en cause ».

[31] R. c. Hape [2007] 2 RCS 292 [Hape] au par. 53.

[32] Hoch c. La Reine, 2019 CCI 99 (CanLII) au par. 13.

[33] Dictionnaire Collins (en ligne : <https://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/appropriate>). Voir aussi Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 RCS 3 au par. 52.

[34] Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 au par. 13.

[35] Le Tribunal a déjà reconnu que cette question était à prendre en considération dans Fils en acier inoxydable (29 juillet 2009), RR-2008-004 (TCCE) [Fils en acier inoxydable] aux par. 53-54. Les marchandises assujetties à des droits antidumping peuvent se voir attribuer des valeurs normales qui permettent à l’exportateur d’augmenter ses prix, c’est-à-dire de percevoir le prix d’achat majoré, sans avoir à payer de droits antidumping au gouvernement canadien. En revanche, les marchandises assujetties à des droits compensateurs sont évaluées sur une base absolue, sans comparaison avec un quelconque prix plancher; les importateurs n’ont pas la possibilité d’éviter leur paiement. Pour le même type de marchandise, une vente en cours de droit antidumping peut être plus intéressante pour l’exportateur que l’application d’un droit compensateur, étant donné le même prix final pour l’importateur. Parmi les autres considérations, mentionnons les situations où il existe une grande disparité entre le montant des droits antidumping et celui des droits compensateurs. Lorsque l’un est considérablement plus élevé que l’autre, le choix sera fait en fonction du prix afin de payer le moins élevé des deux droits lorsque des marchandises similaires sont disponibles. Il s’agit de différences dans les conditions de concurrence, c’est-à-dire de rentabilité, entre les marchandises assujetties à des droits compensateurs et les marchandises similaires qui ne sont assujetties qu’à des droits antidumping. Cette situation peut alors jouer sur l’attrait des marchandises, leur présence sur le marché et leur compétitivité pendant l’application des mesures antidumping et compensatoires. De même, il est raisonnable de supposer que les marchandises susceptibles de faire l’objet d’un dumping ont une dynamique concurrentielle différente de celle des marchandises subventionnées et de celle des marchandises susceptibles d’être à la fois sous‑évaluées et subventionnées.

[36] Certain produits de tôles d’acier résistant à la corrosion (27 juillet 2004), RR-2003-003 [Tôles d’acier résistant à la corrosion] (TCCE) au par. 68. Les obligations internationales sont pertinentes pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire, voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] aux par. 52-54, 56, 67, 69-71; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux par. 108, 110, 114, 117-121.

[37] Accord de Marakech instituant l’Organisation Mondiale du Commerce, (15 avril 1994), 1867 U.N.T.S. 14, Annexe 2, art. 3.2 (en ligne : <https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/dsu_f.htm>).

[38] États-Unis – Mesures antidumping finales visant l’acier inoxydable en provenance du Mexique, (30 avril 2008), Documents OMC. WT/DS344/AB/R, Rapport de l’Organe d’appel [É.-U. – Acier inoxydable (Mexique)] aux par. 158-161.

[39] États-Unis – Mesures compensatoires visant certains produits plats en acier au carbone laminés à chaud en provenance d’Inde, Documents OMC. WT/DS436/AB/R, Rapport de l’Organe d’appel [É.-U. – Acier au carbone (Inde)] au par. 4.589.

[40] É.-U. – Acier au carbone (Inde) aux par. 4.597-4.599.

[41] États-Unis – Mesures compensatoires visant certains tubes et tuyaux en provenance de Turquie, Documents OMC. WT/DS523/R, Rapport du Groupe spécial [É.-U. – Tubes et tuyaux (Turquie)] aux par. 7.288-7.295.

[42] É.-U. – Tubes et tuyaux (Turquie) au par. 7.329.

[43] Par exemple, le paragraphe 2(1) de la LMSI fait référence à des critères différents pour le dumping « minimal » par rapport au subventionnement « minimal », ainsi qu’à des exigences différentes aux alinéas 42(1)b) et c) concernant les conclusions d’importation massive quant aux marchandises sous-évaluées par rapport aux marchandises subventionnées.

[44] Voir aussi le paragraphe 2(7) de la LMSI.

[45] Pièce RR-2019-003-03, vol. 1 à la p. 5.

[46] Barres d’armature pour béton, Énoncé des motifs de l’ASFC (en ligne : <https://www.cbsa-asfc.gc.ca/sima-lmsi/er-rre/rb12019/rb12019-de-fra.html>).

[47] TSAC au par. 29.

[48] Ce type d’analyse de décumul n’implique pas le démêlage des effets du dumping et du subventionnement des mêmes marchandises provenant du même pays, qui est abordé sous le sous-titre « Analyse des effets du dumping et du subventionnement des marchandises en provenance de la Chine ». Comme il est expliqué sous ce sous-titre, le Tribunal reste d’avis que ce dernier exercice est pratiquement impossible.

[49] Cette approche est conforme à la fois à la LMSI et aux accords de l’OMC. L’analyse de dommage dans le cadre de la LMSI et des accords de l’OMC vise à évaluer les effets dommageables des marchandises, plutôt que ceux du dumping ou du subventionnement : AGT Food and Ingredients c. Canadian Pasta Manufacturers Association, 2019 CAF 229, aux par. 4-8; Canada – Mesures antidumping visant les importations de certains tubes soudés en acier au carbone en provenance du Territoire douanier distinct de Taiwan, Penghu, Kinmen et Matsu (21 décembre 2016), Documents OMC. WT/DS482/R, Rapport du Groupe spécial.

[50] Voir, par exemple, Tubes en acier pour pilotis (4 juillet 2018), RR-2017-003 (TCCE) au par. 42; Certains éléments d’acier de fabrication industrielle (25 mai 2017), NQ-2016-004 (TCCE) aux par. 72-73; Silicium métal (2 novembre 2017), NQ-2017-001 (TCCE) au par. 59; Joints de tubes courts (7 avril 2017), RR-2016-001 (TCCE) aux par. 30-31; Tubes de canalisation soudés à gros diamètres en acier au carbone et en acier allié (20 octobre 2016), NQ-2016-001 (TCCE) au par. 84; Tubes de canalisation en acier au carbone et en acier allié (29 mars 2016), NQ-2015-002 (TCCE) aux par. 84-85; Extrusions d’aluminium (17 mars 2014), RR-2013-003 (TCCE) [Extrusions d’aluminium] aux par. 56-57.

[51] (2 septembre 2020), RR-2019-002 (TCCE) [VAC] aux par. 59-130.

[52] Entertainment Software Assoc. c. Society Composers, 2020 CAF 100 [Entertainment Software] aux par. 76-92.

[53] Nova Tube Inc./Nova Steel Inc. c. Conares Metal Supply Ltd., 2019 CAF 52 aux par. 57-58. Il convient de souligner que, pour arriver à cette conclusion, la Cour d’appel fédérale a examiné les arrêts National Corn Growers et B010, deux des références citées par mes collègues à l’appui de leur conclusion erronée, à mon humble avis, selon laquelle les accords internationaux et les décisions interprétant ces accords fournissent nécessairement des lignes directrices et un contexte utiles pour l’interprétation de la LMSI.

[54] Brown c. Canada (Citoyenneté et immigration), 2020 CAF 130 [Brown] au par. 55.

[55] « Une disposition sans ambiguïté doit être appliquée même si elle est contraire aux obligations internationales du Canada ou au droit international [...] » (la version française de la Cour d’appel fédérale n’est pas disponible en ce moment; il s’agit donc d’une traduction du Tribunal), voir Brown au par. 56 (se référant à Németh c. Canada [Justice], 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281 au par. 35; National Corn Growers à la p. 1371; Schreiber c. Canada [Procureur général], 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269 au par. 50; Gitxaala Nation c. Canada, 2015 CAF 73 au par. 16; Hape au par. 54).

[56] Dans VAC, je suis arrivé à la même conclusion concernant les paragraphes 42(3) et 76.03(11).

[57] Je me contenterai de préciser à ce stade que, comme je l’ai indiqué dans VAC, le paragraphe 76.03(11) impose le cumul de toutes les marchandises provenant de pays auxquels s’applique la décision de l’ASFC concernant la probabilité de reprise du dumping lorsque les conditions prévues par la loi sont remplies. L’interprétation que font mes collègues, qui aboutit au décumul d’un sous-ensemble de ces marchandises au motif qu’elles sont également assujetties à une décision de l’ASFC sur la probabilité de reprise du subventionnement, n’est pas admissible en vertu de la LMSI. Le Tribunal ne peut pas procéder à un réexamen relatif à l’expiration en contradiction avec les termes du paragraphe 76.03(11) dans le seul but de se conformer à de prétendues obligations internationales.

[58] Entertainment Software au par. 83 (la version française de la Cour d’appel fédérale n’est pas disponible en ce moment; il s’agit donc d’une traduction du Tribunal).

[59] Ibid. au par. 91.

[60] Voir mon analyse des circonstances dans lesquelles le droit international peut être invoqué dans VAC aux par. 66-73. La Cour d’appel fédérale a rappelé qu’on ne peut pas supposer que les textes internationaux entrent automatiquement dans le processus d’interprétation législative, « [...] comme s’il s’agissait d’une sorte de super charte qui peut être invoquée pour compléter, modifier ou remplacer les dispositions du droit interne », dans Canada (Procureur général) c. Kattenburg, 2020 CAF 164 au par. 22. Dans cette décision rendue le 6 octobre 2020, la Cour a de nouveau averti que le droit international n’intervient dans l’interprétation du droit interne « que par certains moyens limités » et que les obligations internationales ne peuvent être utilisées pour modifier la législation interne (au par. 24). Comme dans l’affaire citée, aucun de ces « moyens limités » n’est présent ici (la version française de la Cour d’appel fédérale n’est pas disponible en ce moment; il s’agit donc d’une traduction du Tribunal).

[61] Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915 au par. 54.

[62] Vavilov au par. 121.

[63] Les paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI, dans leur version actuelle, ont été promulguées en mars 1999 (voir L.R. 1999, ch. 12, par. 26, 36). Le Rapport de l’Organe d’appel dans É.-U. – Acier au carbone (Inde) a été publié le 8 décembre 2014.

[64] Comme l’a affirmé la minorité de la Cour suprême dans National Corn Growers et comme l’ont souligné mes collègues. Toutefois, il convient de mettre l’accent sur le fait que, dans cette affaire, la question que devait trancher la Cour était de savoir « s’il était manifestement déraisonnable pour le Tribunal de tenir compte des termes du GATT en interprétant l’art. 42 de la LMSI ». La Cour a ensuite conclu que le Tribunal n’avait pas agi de façon déraisonnable en se référant au texte d’un accord international tel que le GATT dans son interprétation de l’article 42 de la LMSI. Dans sa propre analyse, la Cour a également examiné les termes mêmes de l’article 6 du GATT avant de conclure qu’elle soutenait l’interprétation de la LMSI par le Tribunal dans cette affaire. Alors que le GATT est lui-même un instrument de droit international conventionnel, les rapports des groupes spéciaux de l’OMC ou de l’Organe d’appel qui l’interprètent ne le sont pas. En tant que tel, National Corn Growers ne soutient pas le point de vue selon lequel la jurisprudence de l’OMC fait partie du contexte entourant la promulgation de la LMSI.

[65] (1969) 1155 U.N.T.S. 331, entrée en vigueur le 27 janvier 1980 [Convention de Vienne].

[66] Japon – Taxes sur les boissons alcooliques (4 octobre 1996), Documents OMC. WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R, WT/DS11/AB/R, Rapport de l’Organe d’appel [Japon – Taxes sur les boissons alcooliques] aux p. 12-14.

[67] Voir la liste des traités et autres instruments internationaux examinés par la Cour suprême dans l’arrêt B010. Dans cette affaire, la Cour a déterminé qu’il était approprié de considérer les instruments internationaux suivants pour interpréter l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 : la Convention de Palerme et ses protocoles, et la Convention sur les réfugiés (au par. 50). Sur la nature des instruments internationaux auxquels le Canada est signataire, voir aussi Baker aux par. 69-70 et de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436 au par. 76.

[68] Japon – Taxes sur les boissons alcooliques à la p. 17. Citons l’Organe d’appel : « Mais [les rapports adoptés] n’ont aucune force obligatoire, sauf pour ce qui du règlement du différend entre les parties en cause ».

[69] É.-U. – Acier inoxydable (Mexique) aux par. 157-160.

[70] États-Unis – Mesures antidumping appliquant la méthode de la fixation des prix différenciés au bois d’œuvre résineux en provenance du Canada (9 avril 2019), Documents OMC. WT/DS534/R, Rapport du Groupe spécial au par. 7.107.

[71] TSAC au par. 29.

[72] Hape aux par. 53-56 et 68. La réflexion de la Cour établit clairement qu’en vertu de la présomption de conformité, le législateur n’est pas censé légiférer de manière à violer un traité ou de quelque manière incompatible avec la courtoisie internationale et les règles établies du droit international.

[73] Entertainment Software au par. 76.

[74] Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec la conclusion de mes collègues selon laquelle la pratique antérieure du Tribunal est incompatible avec les obligations du Canada en vertu de l’Accord antidumping et l’Accord SMC. Dans la présente section, je préciserai les motifs que j’ai énoncés dans VAC à l’appui de mon point de vue selon lequel, même si cette pratique était incompatible, les paragraphes 42(3) et 76.03(11) de la LMSI ne peuvent pas être interprétés et appliqués de manière à permettre au Tribunal de procéder aux analyses distinctes du dommage que mes collègues jugent admissibles.

[75] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54 au par. 10.

[76] (6 janvier 2016), NQ-2015-001 (TCCE).

[77] Ibid. au par. 87.

[78] (18 décembre 2013), NQ-2013-004 (TCCE).

[79] Ibid. au par. 67.

[80] Ibid. au par. 73. À l’appui de cette conclusion, le Tribunal a invoqué les paragraphes 37.1(1) et (2) du Règlement sur les mesures spéciales d’importation DORS/84-927 [Règlement], qui prescrivent les facteurs dont le Tribunal doit tenir compte pour tirer ses conclusions. Il a souligné que ces facteurs sont axés sur les effets que les marchandises sous-évaluées ou subventionnées ont eus ou peuvent avoir sur un certain nombre d’indicateurs économiques. Le Tribunal a conclu à cet égard qu’il n’était pas possible d’isoler les effets causés par le dumping des effets causés par le subventionnement.

[81] Voir mon analyse des modifications pertinentes dans VAC aux par. 112-117.

[82] P.M. Saroli and G. Tereposky, “Changes to Canada’s Anti-dumping and Countervailing Duty Law for the New Millenium”, (2000) 79 Can. Bar. Rev. 352 à la p. 367 (en anglais seulement).

[83] 2014 CSC 62, [2014] 3 RCS 176.

[84] Ibid. aux par. 59-60.

[85] Afin d’éviter toute confusion à cet égard, il convient de répéter que je ne crois pas que le rapport de l’Organe d’appel dans É.-U. – Acier au carbone (Inde) génère des obligations internationales pour le Canada et que je ne suis pas d’accord avec la conclusion de mes collègues selon laquelle la pratique antérieure du Tribunal est manifestement incompatible avec les dispositions de l’OMC, en particulier dans le cadre de réexamens relatifs à l’expiration.

[86] Dans certaines instances, le Tribunal est également parvenu à une interprétation correcte après la publication de É.-U. – Acier au carbone (Inde). Comme il est mentionné précédemment, Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud a été rendue après É.-U. – Acier au carbone (Inde). Dans le cadre d’un réexamen relatif à l’expiration, É.-U. – Acier au carbone (Inde) n’a pas non plus été appliquée dans Certaines pièces d’attache (5 janvier 2015), RR-2014-001 (TCCE).

[87] Barres d’armature au par. 89 et à la note de bas de page 39.

[88] Monuments commémoratifs faits de granit noir et tranches de granit noir (19 juillet 1999), RR-98-006 (TCCE) à la p. 12.

[89] Pièce RR-2019-003-C-09 aux par. 36-40.

[90] Pièce RR-2019-003-A-01 au par. 69.

[91] Transcription de l’audience publique (11 août 2020) à la p. 10.

[92] Tôles d’acier résistant à la corrosion au par. 69.

[93] Fils en acier inoxydable au par. 46.

[94] VAC au par. 120.

[95] Fils d’acier galvanisés (20 août 2013), NQ-2013-001 (TCCE) au par. 47.

[96] En supposant que les éléments de preuve relatifs aux autres facteurs pertinents habituellement examinés par le Tribunal soutiennent le cumul.

[97] Fils en acier inoxydable aux par. 53-54.

[98] Voir, par exemple, le paragraphe 42(4) qui prévoit ce qui suit : « [d]ans le cadre de l’examen des effets cumulatifs, le Tribunal tient compte du paragraphe 12 de l’article 27 de l’Accord sur les subventions ». L’article 27 n’est pas pertinent en l’espèce.

[99] Quant au fait que l’ASFC mène deux enquêtes et rend deux décisions, il est pertinent dans la mesure où ces décisions définissent l’ensemble des marchandises que le Tribunal doit évaluer pour rendre sa décision en vertu du paragraphe 42(3) ou du paragraphe 76.03(11) de la LMSI. En l’espèce, la décision de l’ASFC selon laquelle le subventionnement des marchandises en cause en provenance de la Chine se poursuivra ou reprendra probablement ne modifie pas sa conclusion selon laquelle le dumping de ces marchandises se poursuivra ou reprendra probablement aussi, ce qui est la conclusion juridique qui déclenche l’application du paragraphe 76.03(11) à ces marchandises. Hormis à cette fin, le processus de l’ASFC et son mandat en vertu de la LMSI n’ont aucune incidence sur les obligations du Tribunal aux termes du paragraphe 76.03(11).

[100] C’est la position de mes collègues. Comme indiqué précédemment, étant donné les termes sans équivoque des paragraphes 42(3) et 76.03(11), ma conclusion est qu’il faut leur donner le même effet indépendamment des considérations de conformité avec l’OMC.

[101] États-Unis – Mesures compensatoires visant certains produits plats en acier au carbone laminés à chaud en provenance d’Inde (14 juillet 2014), Documents OMC. WT/DS436/R, Rapport du Groupe spécial aux par. 7.389‑7.390.

[102] États-Unis – Mesures antidumping visant les produits tubulaires pour champs pétrolifères en provenance du Mexique (2 novembre 2005), Documents OMC. WT/DS282/AB/R, Rapport de l’Organe d’appel aux par. 118‑123; États-Unis – Réexamen à l’extinction des droits antidumping appliqués aux produits plats en acier au carbone traité contre la corrosion en provenance du Japon (15 décembre 2003), Documents OMC WT/DS244/AB/R, Rapport de l’Organe d’appel aux par. 106-107.

[103] États-Unis – Réexamens à l’extinction des mesures antidumping visant les produits tubulaires pour champs pétrolifères en provenance d’Argentine (29 novembre 2004), Documents OMC. WT/DS268/AB/R, Rapport de l’Organe d’appel aux par. 278-280

[104] Organe d’examen des politiques commerciales (15 et 17 décembre 1998), Documents OMC. WT/TPR/M/53, Compte rendu de la réunion au par. 67.

[105] Plaques de plâtre (19 janvier 2017), GC-2016-001 (TCCE) au par. 37.

[106] Pièce RR-2019-003-A-02 aux par. 41-52; pièce RR-2019-003-C-02 aux par. 20-30 et les éléments de preuve qui y sont mentionnés.

[107] Certains lave-vaisselle et sécheuses (ordonnance de procédure datée du 25 avril 2005), RR-2004-005 (TCCE) au par. 16.

[108] Raccords de tuyauterie en cuivre (17 février 2012), RR-2011-001 (TCCE) au par. 56. Dans Conteneurs thermoélectriques (9 décembre 2013), RR-2012-004 (TCCE) [Conteneurs thermoélectriques] au par. 14, le Tribunal a affirmé que le contexte d’analyse dans lequel il est statué sur un réexamen relatif à l’expiration comprend souvent l’évaluation d’éléments de preuve rétrospectifs appuyant des conclusions prospectives. Voir aussi Extrusions d’aluminium au par. 21.

[109] Feuillards et tôles plats en acier au carbone et en acier allié, laminés à chaud (16 août 2006), RR-2005-002 (TCCE) au par. 59.

[110] Conteneurs thermoélectriques au par. 14; Extrusions d’aluminium au par. 21.

[111] Tubes structuraux (16 octobre 2019), RR-2018-006 (TCCE) [Tubes structuraux] aux par. 37-38; Tubes en cuivre circulaires (25 septembre 2019), RR-2018-005 (TCCE) au par. 35.

[112] Voir l’alinéa 37.2(2)j) du Règlement.

[113] États-Unis – Mesures antidumping appliquées à certains produits en acier laminés à chaud en provenance du Japon, Documents OMC. WT/DS184/AB/R au par. 192; Tubes structuraux au par. 148.

[114] Pièce RR-2019-003-A-03 à la p. 65, vol. 11.

[115] Ibid. aux p. 69-74.

[116] Pièce RR-2019-003-A-01 à la p. 159, vol. 11.

[117] Ibid. aux p. 159, 164.

[118] Le Tribunal a déjà pris acte de la surcapacité mondiale de production d’acier et de la menace potentielle qu’elle représente pour les producteurs d’acier nationaux. À titre d’exemples récents, voir Enquête de sauvegarde sur l’importation de certains produits de l’acier (3 avril 2019), GC-2018-001 (TCCE) [Enquête de sauvegarde sur l’acier], Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud (9 janvier 2004) NQ-2003-002 (TCCE) [Tôles V], et Tôles d’acier au carbone et tôles d’acier allié résistant à faible teneur, laminées à chaud (2 février 2010) NQ-2009-003 (TCCE) [Tôles VI]. Voir Tôles VI au par. 57; Enquête de sauvegarde sur l’acier aux p. 12-13, 36-37; Tôles V au par. 46. Voir Tôles d’acier au carbone laminées à chaud (27 octobre 1997) NQ-97-001 (TCCE) [Tôles III] au par. 48. Tôles d’acier résistant à la corrosion supra note de bas de page 14 aux par. 111-112.

[119] Pièce RR-2019-003-A-01 à la p. 185, vol. 11.

[120] Pièce RR-2019-003-A-01 aux p. 176-178, 299-300, vol 11.

[121] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) à la p. 209, vol. 12.

[122] Pièce RR-2019-003-A-01 à la p. 115, vol. 11. Voir aussi pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 209, 213, vol. 12.

[123] Pièce RR-2019-003-A-01 à la p. 116, vol. 11; Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 212-213 (voir le sommaire des données au par. 124), vol. 12.

[124] Pièce RR-2019-003-05, tableau 56, vol. 1.1.

[125] Ibid., tableau 26.

[126] Ibid., tableaux 40-41.

[127] Ibid., tableaux 21-23.

[128] Pièce RR-2019-003-A-03 à la p. 68, vol. 11.

[129] Ibid. à la p. 67.

[130] Pièce RR-2019-003-A-01 à la p. 324, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) à la p. 212, vol. 12.

[131] Voir pièce publique collective RR-2019-003-013 et pièce publique collective RR-2019-003-016.

[132] Alinéas 37.2(2)a), d), f), h) et i) du Règlement.

[133] Pièce RR-2019-003-05, tableau 28, vol. 1.1; pièce RR-2019-003-06 (protégée), tableau 27, vol. 2.1.

[134] Barres d’armature au par. 223.

[135] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 209, 213, vol. 12. Voir aussi p. 173-174 et 208-210.

[136] Pièce RR-2019-003-A-07 au par. 16, vol. 11; pièce RR-2019-003-06 (protégée), tableau 25, vol. 2.1; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 209, 213, vol. 12. Voir aussi les p. 173-174 et 208-210.

[137] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 208-210, 213, vol. 12; pièce RR-2019-003-A-01 aux p. 208-210, vol. 11.

[138] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 173-174, 209, 213, vol. 12; pièce RR-2019-003-A-01 aux p. 173-174, vol. 11.

[139] Pièce RR-2019-003-03A, au par. 117, vol. 1; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) à la p. 209, vol. 12.

[140] Pièce RR-2019-003-A-03 à la p. 153, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-04 (protégée) à la p. 162, vol. 12; Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) à la p. 209, vol. 12.

[141] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 212-213, vol. 12.

[142] Pièce RR-2019-003-C-07 à la p. 83, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-01 à la p. 248, vol. 11.

[143] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) à la p. 212, vol. 12.

[144] Ibid.

[145] Pièce RR-2019-003-A-01 aux p. 563-576, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 214, 687-689, vol. 12; pièce RR-2019-003-23.01 à la p. 17, vol. 7.1; pièce RR-2019-003-25.02 à la p. 13, vol. 7.1.

[146] Voir pièce RR-2019-003-A-03 aux p. 128-130, 154-156, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-04 (protégée) aux p. 166-167, vol. 12; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) à la p. 222, vol. 12.

[147] Pièce RR-2019-003-A-04 (protégée) à la p. 157, vol. 12.

[148] Pièce RR-2019-003-A-01 à la p. 426, vol. 11.

[149] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) à la p. 215, vol. 12.

[150] Pièce RR-2019-003-03A au par. 96, vol. 1.

[151] Ibid.

[152] Pièce RR-2019-003-A-01 à la p. 177, vol. 11.

[153] Ibid. aux p. 177, 245.

[154] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 344, 349, 350, vol. 12.

[155] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 212-213, vol. 12.

[156] Pièce RR-2019-003-03A au par. 95, vol. 1; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 209, 212, 213, vol. 12; pièce RR-2019-003-06 (protégée), vol. 2.1, tableau 25.

[157] Pièce RR-2019-003-A-03 aux par. 46, 50, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) aux p. 209, 212, 213, vol. 12; pièce RR-2019-003-A-04 (protégée) à la p. 138, vol. 12.

[158] Pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) à la p. 214, vol. 12.

[159] Ibid. à la p. 215, vol. 12.

[160] Alinéa 37.2(2)b) du Règlement.

[161] Barres d’armature au par. 47.

[162] Barres d’armature pour béton (3 mai 2017), NQ-2016-003 (TCCE) [Barres d’armature II].

[163] Pièce RR-2019-003-A-01 au par. 303, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) au par. 303, vol. 12.

[164] Pièce RR-2019-003-A-03 aux par. 82-83, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-04 (protégée) aux par. 82-83, vol. 12.

[165] Pièce RR-2019-003-A-07 au par. 77, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-08 (protégée) à la p. 85, vol. 12. Voir aussi pièce RR-2019-003-A-01 au par. 354, vol. 11; pièce RR-2019-003-A-02 (protégée) au par. 354, vol. 12.

[166] Pièce RR-2019-003-13.05 aux p. 13, 313, vol. 3.

[167] Pièce RR-2019-003-16.18 aux p. 6, 8, vol. 5.

[168] Pièce RR-2019-003-A-04 (protégée) au par. 80, vol. 12.

[169] Alinéas 37.2(2)e) et g) du Règlement.

[170] Voir l’alinéa 37.2(2)k) du Règlement.

[171] Pièce RR-2019-003-05, vol. 1.1, tableaux 26, 28.

[172] Ibid., tableau 40.

[173] Ibid., tableau 28.

[174] Ibid., tableau 46.

[175] Ibid., tableaux 25, 26, 28; pièce RR-2019-003-06 (protégée), vol. 2.1, tableaux 25, 27.

[176] Pièce RR-2019-003-05, vol. 1.1, tableaux 40-41.

[177] Ibid., tableaux 28, 46.

[178] Ibid., tableau 40.

[179] Ibid., tableaux 40-41; pièce RR-2019-003-06 (protégée), vol. 2.1, tableau 40.

[180] Pièce RR-2019-003-A-01 aux par. 354-355, vol. 11.

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