Enquêtes de dommage antidumping

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Enquête préliminaire de dommage no PI-2020-003

Gluten de blé

Décision rendue
le mardi 13 octobre 2020

Motifs rendus
le mercredi 28 octobre 2020

 



EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant du :

GLUTEN DE BLÉ

DÉCISION PROVISOIRE DE DOMMAGE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI), a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping de gluten de blé, mélangé ou non avec de la farine de blé, du sel ou toute autre substance, ayant une teneur minimale en protéines de blé de 40 % en poids sur une base sèche, calculée selon un facteur de Jones de 5.7, originaire ou exporté de l’Australie, de l’Autriche, de la Belgique, de la France, de l’Allemagne et de la Lituanie, mais excluant (i) le gluten de blé dénaturé; (ii) le gluten de blé hydrolysé; (iii) les isolats de protéines de blé; et (iv) le gluten de blé certifié biologique, conformément à la Loi sur les aliments et drogues (L.R.C. 1985, ch. F‑27) et à ses règlements d’application ainsi qu’à la Loi sur la salubrité des aliments au Canada (L.C. 2012, ch. 24) et à ses règlements d’application, y compris le Règlement sur la salubrité des aliments au Canada (DORS/2018‑108), et répondant autrement aux exigences de ces lois et règlements, qui peuvent être périodiquement modifiés ou remplacés (les marchandises en cause), a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage selon la définition de ces termes dans la LMSI.

Il est entendu que les marchandises en cause comprennent notamment le gluten de blé élastique tel que défini par la norme 163‑1987 du Codex de l’Organisation mondiale de la Santé, Rév. 1‑2001 (« Norme pour les produits à base de blé incluant le gluten de blé »).

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 14 août 2020, selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert une enquête concernant le présumé dumping dommageable de gluten de blé provenant de l’Allemagne, de l’Australie, de l’Autriche, de la Belgique, de la France et de la Lituanie.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal détermine par la présente que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises susmentionnées a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant

Jean Bédard

Jean Bédard
Membre

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre

L’exposé des motifs sera publié d’ici 15 jours.


 

Membres du Tribunal :

Randolph W. Heggart, membre présidant
Jean Bédard, membre
Serge Fréchette, membre

Personnel de soutien :

Peter Jarosz, conseiller juridique principal
Isaac Turner, stagiaire en droit
Mark Howell, analyste principal
Josée St-Amand, analyste
Thy Dao, analyste
Andrew Wigmore, analyste
Julie Charlebois, conseillère, Service des données

PARTICIPANTS :

Producteurs nationaux

Conseillers/représentants

ADM Agri-Industries Co.

Christopher J. Kent
Christopher J. Cochlin
Gerry Stobo
Andrew M. Lanouette
Marc McLaren-Caux
Michael Milne
Susana May Yon Lee
Cynthia Wallace
Andrew Paterson
E. Melisa Celebican
Alexander Hobbs
Jordan Lebold

Permolex Ltd.

Paul Conlin
Benjamin P. Bedard
M. Drew Tyler
Linden Dales
Anne-Marie Oatway
Shannon McSheffrey
Lydia Blois
Greg Landry
Meagan Brae Vestby
Manon Carpentier

Importateurs/exportateurs/autres

Conseillers/représentants

Roquette Frères

Greg Tereposky
Daniel Hohnstein
Stephanie Desjardins
Alejandro Barragan

Roquette Amilina AB

Greg Tereposky
Daniel Hohnstein
Stephanie Desjardins
Alejandro Barragan

Can Am Ingredients Inc.

Joe Gillen

Tereos Starch & Sweetners Belgium

Paul Jacquelin

Délégation de l’Union européenne au Canada

Leah Littlepage

Ambassade de la République de Lituanie au Canada

Inga Miškinytė

Manildra Group USA

Beau Jackson
Jeffrey Neeley

Shoalhaven Starches PTY

Beau Jackson
Jeffrey Neeley

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

[1]  La présente enquête préliminaire de dommage porte sur une plainte déposée le 24 juin 2020 par ADM Agri-Industries Co. (ADM), un producteur national de gluten de blé.

[2]  ADM allègue que le dumping de gluten de blé, mélangé ou non avec de la farine de blé, du sel ou toute autre substance, ayant une teneur minimale en protéines de blé de 40 % en poids sur une base sèche, calculée selon un facteur de Jones de 5.7, originaire ou exporté de l’Australie, de l’Autriche, de la Belgique, de la France, de l’Allemagne et de la Lituanie, mais excluant (i) le gluten de blé dénaturé; (ii) le gluten de blé hydrolysé; (iii) les isolats de protéines de blé; et (iv) le gluten de blé certifié biologique, conformément à la Loi sur les aliments et drogues (L.R.C. 1985, ch. F‑27) et à ses règlements d’application ainsi qu’à la Loi sur la salubrité des aliments au Canada (L.C. 2012, ch. 24) et à ses règlements d’application, y compris le Règlement sur la salubrité des aliments au Canada (DORS/2018‑108), et répondant autrement aux exigences de ces lois et règlements, qui peuvent être périodiquement modifiés ou remplacés (les marchandises en cause), a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage.

[3]  Le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a ouvert une enquête concernant le dumping des marchandises en cause le 14 août 2020. Conformément au paragraphe 31(1) de la LMSI, l’ASFC a déterminé que des éléments de preuve indiquaient que les marchandises en cause avaient été sous-évaluées et indiquaient également, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause avait causé un dommage ou menaçait de causer un dommage à la branche de production nationale.

[4]  La période visée par l’enquête de l’ASFC sur le présumé dumping des marchandises en cause s’est étendue du 1er janvier 2019 au 30 avril 2020. L’ASFC a estimé que les marges de dumping des marchandises sous-évaluées pour chacun des pays visés étaient importantes. 

[5]  Le 17 août 2020, le Tribunal canadien du commerce extérieur a débuté la présente enquête préliminaire de dommage.

[6]  Cinq producteurs étrangers de marchandises en cause, Tereos Starch & Sweeteners Belgium, Roquette Frères et Roquette Amilina, Manildra Group USA et Shoalhaven Starches PTY, ainsi que la Délégation de l’Union européenne (UE) au Canada et l’ambassade de la République de Lituanie au Canada, ont déposé des observations s’opposant à la plainte.

[7]  D’autres participants à la présente enquête préliminaire de dommage sont Permolex Ltd. (Permolex), un producteur national de gluten de blé qui a fait parvenir une lettre appuyant la plainte mais qui n’a pas déposé d’observations, et Can Am Ingredients Inc. qui n’a pas déposé d’observations appuyant ou s’opposant à la plainte.

[8]  Le 13 octobre 2020, aux termes du paragraphe 37.1(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] , le Tribunal a déterminé que les éléments de preuve indiquaient, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises susmentionnées avait causé ou menaçait de causer un dommage à la branche de production nationale. Le présent exposé des motifs donne les raisons de cette décision.

OBSERVATIONS DES PARTIES SUR LE DOMMAGE ET LA MENACE DE DOMMAGE

[9]  À l’appui de son affirmation selon laquelle le dumping des marchandises en cause a causé ou menace de causer un dommage, ADM a déposé des éléments de preuve indiquant une augmentation des volumes d’importation des marchandises en cause, la perte de ventes, la sous-cotation des prix, la baisse des recettes et des profits.

[10]  Un certain nombre de parties se sont opposées à une décision d’indication raisonnable de dommage. Ils ont aussi présenté un certain nombre d’autres arguments. Roquette Frères et Roquette Amilina soutiennent que les importations de gluten de blé en cause et l’ensemble des marchandises « similaires » produites par la branche de production nationale consistent en de multiples catégories de marchandise. En avançant cet argument, Roquette Frères et Roquette Amilina affirment que la plainte décrit un certain de nombre de produits de gluten de blé différents produits par ADM au Canada [2] .

[11]  L’ambassade de la République de Lituanie au Canada soutient qu’ADM doit être exclue de la définition de la branche de production nationale parce qu’ADM est un importateur de gluten de blé en cause et qu’elle a aussi un lien avec l’exportateur américain Archer-Daniels-Midland Company, qui est la société mère de la plaignante [3] .

[12]  Manildra Group USA et Shoalhaven Starches PTY soutiennent que les importations australiennes ne doivent pas être cumulées avec les importations provenant des autres pays visés parce que les produits importés d’Australie font face à des conditions de compétition différentes [4] . Plus particulièrement, ces importations australiennes sont prétendument vendues à un client en C.-B., sont toujours assujetties a un contingent tarifaire, sont en concurrence avec des marchandises des États-Unis plutôt que de l’Europe et sont plus dispendieuses.

ANALYSE

Cadre législatif

[13]  Le paragraphe 34(2) de la LMSI énonce le mandat du Tribunal en ce qui concerne les enquêtes préliminaires de dommage. Il prévoit que le Tribunal doit déterminer « si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping [...] des marchandises [en cause] a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage ».

[14]  En l’espèce, ADM soutient que le dumping a causé un dommage ou menace de causer un dommage. Aucune allégation n’a été faite en qui concerne le retard.

[15]  Dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, la norme de preuve requise, établie par l’expression « indiquent de façon raisonnable », est moins élevée que celle qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage menée aux termes de l’article 42 de la LMSI. Cela signifie que les éléments de preuve n’ont pas à être « concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités » [5] [traduction]. Néanmoins, de simples affirmations non étayées par des éléments de preuve pertinents ne peuvent être suffisantes [6] .

[16]  Afin d’en arriver à sa décision provisoire, le Tribunal tient compte des facteurs de dommage et de menace de dommage prévus à l’article 37.1 du Règlement sur les mesures spéciales d’importation [7] , y compris du volume des importations de marchandises sous-évaluées et subventionnées, l’effet des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur le prix des marchandises similaires, l’incidence économique des marchandises sousévaluées et subventionnées sur la branche de production nationale et, s’il existe un dommage ou une menace de dommage, la question de savoir s’il existe un lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises et le dommage ou la menace de dommage.

[17]  Cependant, avant d’examiner les allégations de dommage et de menace de dommage, le Tribunal doit déterminer quelles marchandises produites par la branche de production nationale constituent des marchandises similaires par rapport aux marchandises en cause et quelle branche de production nationale produit ces marchandises. Cette analyse préliminaire est nécessaire étant donné que le paragraphe 2(1) de la LMSI définit le terme « dommage » comme « [l]e dommage sensible causé à une branche de production nationale » et l’expression « branche de production nationale » comme « l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires ».

Marchandises similaires et catégories de marchandise

[18]  Pour déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause a causé ou menace de causer un dommage aux producteurs nationaux de marchandises similaires, le Tribunal doit d’abord définir quelles sont les marchandises similaires par rapport aux marchandises en cause. Il peut également examiner la question de savoir si les marchandises en cause constituent une ou plusieurs catégories de marchandise.

[19]  ADM soutient que les produits de gluten de blé qu’elle produit sont des « marchandises similaires » aux marchandises en cause et qu’ils constituent une seule catégorie de marchandise. À l’appui de cette position, ADM fait valoir que le gluten de blé de production nationale est produit au moyen de procédés de production identiques ou presque à ceux des marchandises en cause, a les mêmes propriétés physiques ou des propriétés similaires, est commercialisé et vendu au moyen des mêmes réseaux de distribution, est acheté par les mêmes utilisateurs finaux pour les mêmes utilisations finales, et il est toujours interchangeable avec les marchandises en cause ayant la même teneur en protéines ou une teneur similaire [8] .

[20]  Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires » par rapport aux autres marchandises de la façon suivante :

a)  marchandises identiques aux marchandises en cause;

b)  à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause.

[21]  Pour trancher la question des marchandises similaires et des catégories de marchandise, le Tribunal tient généralement compte d’un certain nombre de facteurs, y compris les caractéristiques physiques des marchandises (comme leur composition et leur apparence) et leurs caractéristiques de marché (comme la substituabilité, les prix, les circuits de distribution, les utilisations finales et la question de savoir si elles répondent aux mêmes besoins des clients) [9] .

[22]  En appliquant ces critères au contexte de la présente enquête préliminaire de dommage, le Tribunal conclut que le gluten de blé produit au Canada qui est de même description que les marchandises en cause constitue des marchandises similaires aux marchandises en cause.

[23]  En ce qui concerne les catégories de marchandise, la question est de savoir s’il y a suffisamment de différences entre les différents types de gluten de blé qui composent les marchandises similaires pour justifier de les séparer en différentes catégories. Le Tribunal a affirmé antérieurement qu’une seule catégorie de marchandise peut exister même si les marchandises « ne sont pas entièrement substituables pour l’ensemble des utilisations, [quand elles] font néanmoins partie du même continuum de marchandises similaires dans une même catégorie, qui représente une gamme de marchandises possédant des caractéristiques physiques et des niveaux d’efficacité variables, mais ayant la même utilisation finale générale, et sont, dans les circonstances appropriées, suffisamment substituables les unes aux autres » [note omise] [10] . Aucune partie n’a préconisé expressément que le Tribunal analyse le dommage selon de multiples catégories spécifiques de marchandise.

[24]  Toutefois, Roquette Frères et Roquette Amilina ont avancé des arguments et déposé des éléments de preuve qui laissaient entendre que des catégories distinctes étaient peut-être nécessaires dans le cadre de la présente enquête préliminaire de dommage [11] . Roquette a indiqué des différences dans les marchandises en cause en fonction du prix, des spécifications et des utilisations finales.

[25]  Le Tribunal conclut que les observations de Roquette Frères et Roquette Amilina ne sont pas convaincantes. Les éléments de preuve et les arguments, en particulier en ce qui concerne les prix et les spécifications des produits, ont été en grande partie réfutés dans les observations en réponse d’ADM [12] . Par conséquent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause constituent une seule catégorie de marchandise.

Branche de production nationale

[26]  ADM soutient qu’elle et Permolex sont les deux seuls producteurs nationaux de marchandises similaires, ADM représentant une proportion majeure de la production totale de la branche de production nationale [13] . Cela a été accepté par l’ASFC, mais, comme décrit ci-dessus, cela est contesté par l’ambassade de la République de Lituanie au Canada compte tenu du fait qu’ADM a indiqué avoir importé des marchandises en cause.

[27]  Le Tribunal ne détient aucun renseignement direct sur les activités de Permolex.

[28]  Toutefois, aux fins de la présente enquête et selon les éléments de preuve déposés par ADM ayant trait au volume et à la valeur de sa production nationale de marchandises similaires et de ses importations de marchandises en cause (et de son estimation de la production de Permolex) [14] , le Tribunal conclut qu’ADM est à la fois un producteur national et qu’elle représente la proportion majeure de la production totale de la branche de production nationale. Le Tribunal fondera son analyse dans le cadre de la présente enquête préliminaire de dommage sur cette prémisse.

Cumul

[29]  À l’exception des importations australiennes, aucun élément de preuve ou argument n’indique que les marchandises en cause provenant des différents pays font face à des conditions de concurrence différentes qui justifieraient une analyse distincte aux fins de la présente enquête préliminaire.

[30]  En ce qui concerne les importations australiennes, à cette étape-ci de l’enquête le Tribunal ne considère pas que les éléments de preuve concernant les importations australiennes sont suffisamment convaincants pour établir qu’il y a des conditions de concurrence différentes pour ces importations. Toutefois, le Tribunal a l’intention d’examiner cette question plus en détail dans le contexte d’une enquête de dommage définitive.

[31]  Il est aussi indiqué que les marchandises en cause font l’objet de dumping selon des marges importantes et à des volumes non négligeables. Les marges de dumping seront confirmées par les décisions de l’ASFC en matière de dumping et le Tribunal ne joue aucun rôle dans ces décisions. Par contre, le caractère négligeable est une question qui relève entièrement du Tribunal dans le cadre de son enquête. Le Tribunal prend acte des arguments des parties adverses (y compris ceux de l’ambassade de la République de Lituanie au Canada et de la Délégation de l’Union européenne au Canada) selon lesquels les volumes de marchandises en cause provenant de plusieurs des pays nommés auraient peut-être été négligeables si l’ASFC n’avait pas adopté une période d’enquête de 16 mois. Dans l’éventualité où l’ASFC rende une décision provisoire concernant les importations en cause, la question de savoir si les volumes de ces importations sont négligeables sera examinée par le Tribunal dans son enquête de dommage, étant donné l’obligation du Tribunal en vertu du paragraphe 42(4.1) de la LMSI de clore son enquête de dommage le cas échéant.

[32]  Aux fins de son enquête préliminaire de dommage, le Tribunal a évalué les effets cumulatifs de toutes les marchandises en cause.

Volume des marchandises sous-évaluées

[33]  L’ASFC a fait sa propre estimation des volumes d’importation des marchandises en cause, qui différait des volumes estimés par la plaignante [15] . L’ASFC a apporté des ajustements aux données selon les renseignements obtenus des données douanières, de la plaignante et des recherches de l’ASFC. Bien que les données soumises par la plaignante diffèrent des estimations de l’ASFC, il y a des tendances similaires. Selon les estimations de l’ASFC, les importations en cause ont augmenté de plus de 257 % en chiffres absolus entre 2017 et 2019 [16] . Cette augmentation s’est produite pendant que l’ensemble du marché de gluten de blé connaissait une croissance modérée au cours de la même période [17] . En chiffres relatifs (par rapport à la production nationale et aux ventes nationales de la production nationale), le volume des importations en cause a augmenté de façon continue de 2017 à 2019 [18] .

[34]  De plus, de 2017 à 2019, les importations provenant des pays visés ont gagné des parts de marché par rapport à celles provenant de pays non visés, et représentaient une portion importante de l’ensemble des importations [19] .

[35]  Ayant examiné les éléments de preuve au dossier, et en particulier les estimations de l’ASFC du volume des importations, le Tribunal conclut qu’il y a une indication raisonnable d’une augmentation importante des importations de marchandises en cause, tant en volume absolu qu’en volume relatif.

Effet sur le prix des marchandises similaires

[36]  La plaignante soutient que parce que le gluten de blé est un produit de base acheté en fonction du prix et dont le marché comporte un haut degré de transparence, la politique de prix agressive appliquée aux marchandises sous-évaluées a mené à la sous-cotation, la diminution et la compression marquées du prix des marchandises similaires. À l’appui de cette affirmation, la plaignante a fourni une comparaison de ses prix de vente commerciale par rapport aux prix moyens des importations figurant dans les données de Statistique Canada sur les importations. La comparaison démontre que les importations en cause ont entraîné la sous-cotation des prix de vente nationaux de 2017 à 2019, ainsi que pendant les premiers quatre mois de 2020 [20] .

[37]  L’ASFC a effectué sa propre analyse comparative des prix. Ses résultats indiquent que la sous-cotation des prix causée par les importations en cause était importante entre 2017 et 2019 et pendant les premiers quatre mois de 2020 [21] .

[38]  En ce qui concerne des allégations concrètes de dommage, la plainte contient des allégations de baisses de prix et de pertes de ventes dues à la sous-cotation des prix. M. Leon Bell, d’ADM, atteste de cas où les importations en cause ont mené à la sous-cotation des prix d’ADM au niveau du client [22] .

[39]  Ayant examiné les éléments de preuve au dossier, le Tribunal conclut qu’il y a une indication raisonnable d’une importante sous-cotation et baisse de prix, aussi bien au niveau des prix moyen que dans les cas d’allégation de dommage.

Incidences sur la branche de production nationale

[40]  La plaignante a déposé des renseignements confidentiels sur le gluten de blé, tels que son état financier de 2017 jusqu’à la période de janvier à avril 2020, ses pertes de ventes, sa part de marché, les niveaux de stock, des données sur l’emploi, et les conséquences sur ses investissements en 2021, entre autres [23] . Étant donné que les indicateurs financiers et autres indicateurs sur les incidences sont des renseignements qui concernent un seul producteur national, une bonne partie de ces renseignements est confidentielle.

[41]  Le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que les marchandises sous-évaluées ont causé un dommage sensible à la branche de production nationale en termes de baisse de rentabilité, de pertes de ventes et de part de marché.

Autres facteurs

[42]  Le Tribunal conclut qu’il y a une indication raisonnable qu’une relation de causalité existe entre le dumping des marchandises et le dommage subi par la branche de production nationale pour les raisons suivantes :

  • les importations en 2019 ont atteint un sommet;

  • le rendement de la branche de production nationale en a subi les répercussions négatives début 2020 [24] .

  • il y a eu sous-cotation des prix en 2019, aussi bien au niveau des prix moyen à l’importation que dans les cas d’allégations de dommage;

[43]  En ce qui concerne les facteurs autres que le dumping, la suppression des contingents tarifaires pour les pays de l’UE suite à l’entrée en vigueur de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG) en septembre 2017 a été désignée comme un facteur de causalité sans lien avec le dumping. Le Tribunal est d’avis que la libéralisation du commerce par la suppression de quotas n’est pas une raison pour permettre un dumping dommageable. Toutefois, ce facteur pourrait faire l’objet d’observations supplémentaires dans le cadre de l’enquête de dommage, si l’ASFC rend une décision provisoire de dumping. Par exemple, la plaignante soutient que cette augmentation du volume des importations en cause s’est produite après l’entrée en vigueur de l’AECG le 21 septembre 2017, et celle de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) le 30 décembre 2018 [25] . Le Tribunal continuera d’examiner les tendances en matière de volumes et de prix étant donné le moment de l’entrée en vigueur de ces accords.

Menace de dommage

[44]  Comme il existe une indication raisonnable que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage, le Tribunal n’examinera pas, pour des raisons d’économie judiciaire, la question de savoir s’il existe une indication raisonnable que le dumping des marchandises en cause menace de causer un dommage.

CONCLUSION

[45]  Compte tenu de l’analyse ci-dessus, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises susmentionnées a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre présidant

Jean Bédard

Jean Bédard
Membre

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre

 



[1]   L.R.C., 1985, ch. S-15 [LMSI].

[2]   Pièce PI-2020-003-06.04, vol. 3 aux par. 11-17; pièce PI-2020-003-07.04 (protégée), vol. 4 aux par. 11-17.

[3]   Pièce PI-2020-003-06.01, vol. 3 à la p. 3.

[4]   Pièce PI-2020-003-06.05, vol. 3 aux par. 4-8; pièce PI-2020-003-07.05 (protégée), vol. 4 aux par. 4-8. Une analyse plus détaillée de cette question suit dans la section « Cumul » ci-dessous.

[5]   Ronald A. Chisholm Ltd. v. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (FCTD) [en anglais seulement].

[6]   L’article 5 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’article 11 de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC exigent d’une autorité chargée d’une enquête qu’elle examine l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping et de subventionnement afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête; une plainte sera rejetée ou une enquête sera close dès que l’autorité concernée sera convaincue que les éléments de preuve relatifs au dumping ou subventionnement, ou au dommage, ne sont pas suffisants pour justifier la poursuite de la procédure, les affirmations non étayées par des éléments de preuve pertinents ne constituant pas des éléments de preuve suffisants.

[7]   D.O.R.S./84-927 [Règlement].

[8]   Pièce PI-2020-003-02.01, vol. 1 à la p. 75.

[9]   Voir par exemple Tubes en cuivre circulaires (6 août 2013), PI-2013-002 (TCCE) au par. 32.

[10]   Modules et laminés photovoltaïques (3 février 2015), PI-2014-003 (TCCE) au par. 35.

[11]   Pièce PI-2020-003-06.04, vol. 3 aux p. 5-6; pièce PI-2020-003-07.04 (protégée), vol. 4 aux p. 5-6.

[12]   Pièce PI-2020-003-08.01, vol. 3 aux p. 10-13; pièce PI-2020-003-09.01 (protégée), vol. 4 aux p. 10-13. Le Tribunal désire faire remarquer que la majeure partie de la preuve déposée par ADM dans ses observations en réponse était de nature confidentielle. Cela rend difficile pour le Tribunal d’élaborer davantage dans les présents motifs sur ce qui l’a convaincu que, tout bien considéré, les différences dans les caractéristiques des produits et des marché alléguées par Roquette Frères n’étaient pas suffisantes pour justifier l’examen de différentes catégories de marchandises. De plus, la nature de ces renseignements aurait rendu très difficile pour le Tribunal de pouvoir recueillir des données ayant trait au produit ou produits comme catégorie de marchandise. Le Tribunal demanderait à toutes les parties de réexaminer leurs désignations de confidentialité concernant de telles questions (et de toutes autres questions) afin de faciliter l’utilisation de ces renseignements par le Tribunal. Le Tribunal continuera d’examiner minutieusement toutes les désignations de confidentialité dans son enquête de dommage.

[13]   Pièce PI-2020-003-02.01, vol. 1 aux p. 79, 82; pièce PI-2020-003-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 43, 47.

[14]   Pièce PI-2020-003-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 47-48.

[15]   Pièce PI-2020-003-05, vol. 1 à la p. 21; pièce PI-2020-003-03.02 (protégée), vol. 2 à la p. 52.

[16]   Pièce PI-2020-003-05, vol. 1 à la p. 21.

[17]   Pièce PI-2020-003-03.02 (protégée), vol. 2 à la p. 53.

[18]   Pièce PI-2020-003-03.02 (protégée), vol. 2 à la p. 52; pièce PI-2020-003-03.01 (protégée), vol. 2 à la p. 45; pièce PI-2020-003-03.01E (protégée), vol. 2 à la p. 7028; pièce PI-2020-003-03.01A, vol. 2 (protégée) à la p. 2704.

[19]   Pièce PI-2020-003-03.02 (protégée), vol. 2 à la p. 52.

[20]   Pièce PI-2020-003-03.01 (protégée), vol. 2 à la p. 71; pièce PI-2020-003-02.01, vol. 1 aux p. 73, 105-106.

[21]   Pièce PI-2020-003-03.02, vol. 2 à la p. 72; pièce PI-2020-003-03.01 (protégée), vol. 2 à la p. 71

[22]   Pièce PI-2020-003-03.01E (protégée), vol. 2 aux p. 5691-5692.

[23]   Pièce PI-2020-003-02.01, vol. 1 aux p. 105, 109-113, 2731-2747; pièce PI-2020-003-03.01 (protégée), vol. 2 aux p. 70, 74-78; pièce PI-2020-003-03.01A (protégée), vol. 2 à la p. 2704; pièce PI-2020-003-03.01E (protégée), vol. 2 aux p. 5680-5696.

[24]   Pièce PI-2020-003-08.01, vol. 3 aux p. 24-25.

[25]   Pièce PI-2020-003-02.01, vol. 1 aux p. 71, 72.

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