Enquêtes de dommage antidumping

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Enquête préliminaire de dommage no PI-2020-004

Barres d’armature pour béton

Décision rendue
le lundi 23 novembre 2020

Motifs rendus
le lundi 7 décembre 2020

 



EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant des :

BARRES D’ARMATURE POUR BÉTON

DÉCISION PROVISOIRE DE DOMMAGE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping de barres d’armature crénelées pour béton en acier, laminées à chaud, en longueurs droites ou sous forme de bobines, souvent identifiées comme armature, de différents diamètres jusqu’à 56,4 millimètres inclusivement, de finitions différentes, excluant les barres rondes ordinaires et les produits de barres d’armature fabriqués, originaires ou exportées de la République algérienne démocratique et populaire, de la République arabe d’Égypte, de la République d’Indonésie, de la République italienne, de la Malaisie, de la République de Singapour et de la République socialiste du Vietnam, a causé un dommage ou un retard, ou menace de causer un dommage, selon la définition de ces termes dans la Loi sur les mesures spéciales d’importation. La définition du produit exclut en outre « les armatures d’un diamètre de 10 mm (10M) produites selon la norme CSA G30 18.09 (ou selon des normes équivalentes) et revêtues de résine époxyde selon la norme ASTM A775/A 775M 04a (ou selon des normes équivalentes) en longueurs de 1 pied (30,48 cm) jusques et y compris 8 pieds (243,84 cm) ».

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 22 septembre 2020, selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert une enquête concernant le présumé dumping dommageable des marchandises susmentionnées.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine par la présente que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises susmentionnées a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre

L’exposé des motifs sera publié d’ici 15 jours.

Membres du Tribunal :

Peter Burn, membre présidant
Cheryl Beckett, membre
Georges Bujold, membre

Personnel de soutien :

Alain Xatruch, conseiller juridique
Gayatri Shankarraman, analyste principale
Rebecca Campbell, analyste
Grant MacDougall, analyste

PARTICIPANTS :

Producteurs nationaux

Conseillers/représentants

AltaSteel Inc.

Benjamin P. Bedard
Linden Dales
Shannel J. Rajan
Greg Landry
Manon Carpentier

ArcelorMittal Long Products Canada, G.P.

Paul Conlin
Anne-Marie Oatway
Lydia Blois
Meagan Brae Vestby

Gerdau Ameristeel Corporation

Christopher J. Kent
Gerry Stobo
Christopher J. Cochlin
Andrew M. Lanouette
Marc McLaren-Caux
Michael Milne
Susana May Yon Lee
Cynthia Wallace
Andrew Paterson
E. Melisa Celebican
Jordan Lebold
Alexander Hobbs

Max Aicher (North America) Limited

Jonathan O’Hara
Lisa Page
Chris Scheitterlein
Jordan Goodman
Shahnaz Dhanani
Jeremiah Kopp

Importateurs/exportateurs/autres

Conseillers/représentants

Al Ezz Dekheila Steel Company – Alexandria
NatSteel Holdings Pte Ltd.

Greg Somers

Délégation de l’Union européenne au Canada

Leah Littlepage

Jebsen & Jessen Metals GmbH

Jesse Goldman
Julia Webster
Sam Levy

Hoa Phat Dung Quat Steel Joint Stock Company
Hoa Phat Group Joint Stock Company

Peter Clark

Ministère du Commerce et de l’Industrie de l’Égypte

Ibrahim El Seginy

Ministère du Commerce de la République d’Indonésie

Pradnyawati

PT. Putra Baja Deli

Kok Wie

Syndicat des Métallos

Craig Logie
Christopher Somerville
Jacob Miller

Veuillez adresser toutes les communications au :

Greffier
Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1]  Le 4 août 2020, AltaSteel Inc. (AltaSteel), ArcelorMittal Long Products Canada, G.P. (AMLPC) et Gerdau Ameristeel Corporation (Gerdau) (collectivement, les parties plaignantes) ont déposé une plainte auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) alléguant que le dumping de certaines barres d’armature pour béton, souvent identifiées comme armature, originaires ou exportées de la République algérienne démocratique et populaire (Algérie), de la République arabe d’Égypte (Égypte), de la République d’Indonésie (Indonésie), de la République italienne (Italie), de la Malaisie, de la République de Singapour (Singapour) et de la République socialiste du Vietnam (Vietnam) (les marchandises en cause) a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

[2]  Le 22 septembre 2020, l’ASFC a ouvert une enquête concernant le dumping des marchandises en cause aux termes du paragraphe 31(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] .

[3]  À la suite de la décision de l’ASFC d’ouvrir une enquête, le 23 septembre 2020, le Tribunal canadien du commerce extérieur a entrepris son enquête préliminaire de dommage, conformément au paragraphe 34(2) de la LMSI, pour déterminer si les éléments de preuve indiquaient, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause a causé ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale [2] .

[4]  La présente enquête préliminaire de dommage fait suite aux conclusions du Tribunal dans Barres d’armature I [3] selon lesquelles le dumping de barres d’armature provenant de la Chine, de la Corée et de la Turquie, et le subventionnement de barres d’armature provenant de la Chine, menaçaient de causer un dommage à la branche de production nationale, et aux conclusions du Tribunal dans Barres d’armature II [4] selon lesquelles le dumping de barres d’armature provenant du Bélarus, du Territoire douanier distinct de Taïwan, de Penghu, de Kinmen et de Matsu (Taipei chinois), de Hong Kong, du Japon, du Portugal et de l’Espagne avait causé un dommage à la branche de production nationale. Elle fait également suite à la récente Enquête de sauvegarde sur l’acier [5] menée par le Tribunal, qui a conclu que l’importation de barres d’armature au Canada de toutes provenances (à l’exception d’un petit nombre de pays exclus de l’enquête) n’avait pas causé de dommage grave et ne menaçait pas de causer un dommage grave à la branche de production nationale. Les mesures de sauvegarde provisoires sur les barres d’armature, en vigueur depuis octobre 2018, ont donc été levées.

[5]  La plainte est appuyée par les producteurs nationaux Max Aicher (North America) Limited (MANA) et Ivaco Rolling Mills 2004 L.P. (Ivaco) [6] , bien que, parmi les deux, seul MANA ait participé à la présente enquête préliminaire de dommage et déposé des observations. Le Tribunal a également reçu des observations à l’appui de la plainte du Syndicat des Métallos, un syndicat qui représente un certain nombre de travailleurs employés par les parties plaignantes.

[6]  Le Tribunal a reçu des observations en opposition à la plainte de la part des producteurs étrangers suivants : Al Ezz Dekheila Steel Company – Alexandria (EZDK) d’Égypte; Hoa Phat Dung Quat Steel Joint Stock Company et Hoa Phat Group Joint Stock Company (collectivement, Hoa Phat) du Vietnam; et NatSteel Holdings Pte Ltd. (NatSteel) de Singapour. Le ministère du Commerce et de l’Industrie de l’Égypte (gouvernement égyptien) et le ministère du Commerce de la République d’Indonésie (gouvernement indonésien) ont également déposé des observations en opposition à la plainte. La délégation de l’Union européenne au Canada, Jebsen & Jessen Metals GmbH (anciennement Ferrostaal Metals GmbH) et PT. Putra Baja Deli ont déposé des avis de participation auprès du Tribunal mais n’ont pas déposé d’observations.

[7]  Le 23 novembre 2020, aux termes du paragraphe 37.1(1) de la LMSI, le Tribunal a conclu à l’existence d’éléments de preuve qui indiquaient, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale. Les motifs de cette décision sont énoncés ci-après.

DÉFINITION DU PRODUIT

[8]  La définition du produit de l’ASFC est ainsi libellée :

Barres d’armature crénelées pour béton en acier, laminées à chaud, en longueurs droites ou sous forme de bobines, souvent identifiées comme armature, de différents diamètres jusqu’à 56,4 millimètres inclusivement, de finitions différentes, excluant les barres rondes ordinaires et les produits de barres d’armature fabriqués, originaires ou exportées de la République algérienne démocratique et populaire, de la République arabe d’Égypte, de la République d’Indonésie, de la République italienne, de la Fédération de Malaisie, de la République de Singapour et de la République socialiste du Vietnam.

Sont aussi exclues les armatures d’un diamètre de 10 mm (10M) produites selon la norme CSA G30 18.09 (ou selon des normes équivalentes) et revêtues de résine époxyde selon la norme ASTM A775/A 775M 04a (ou selon des normes équivalentes) en longueurs de 1 pied (30,48 cm) jusques et y compris 8 pieds (243,84 cm) [7] .

DÉCISION DE L’ASFC D’OUVRIR UNE ENQUÊTE

[9]  L’ASFC a ouvert une enquête en vertu du paragraphe 31(1) de la LMSI, car elle était d’avis qu’il y avait des éléments de preuve indiquant que les marchandises en cause avaient fait l’objet de dumping, ainsi que des éléments de preuve qui révélaient une indication raisonnable que le dumping avait causé ou menaçait de causer un dommage à la branche de production nationale.

[10]  En utilisant les renseignements relatifs à la période choisie pour l’enquête de dumping, soit du 1er juin 2019 au 30 juin 2020, l’ASFC a estimé les marges de dumping et les volumes de marchandises sous-évaluées pour chacun des pays visés comme suit [8]  :

Pays

Marge de dumping
(% du prix à l’exportation)

Volume de marchandises sous-évaluées
(% du total des importations)

Algérie

20,2

10,4

Égypte

11,4

4,4

Indonésie

13,0

8,8

Italie

58,8

21,6

Malaisie

14,0

3,4

Singapour

15,9

11,3

Vietnam

16,6

9,3

QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

Désignation de renseignements comme confidentiels dans la plainte

[11]  Le gouvernement égyptien fait valoir que les parties plaignantes n’ont pas respecté les exigences prévues à l’article 6.5.1 de l’Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 [9] de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), car elles ont désigné une quantité « excessive » [traduction] » de renseignements comme confidentiels dans leur plainte.

[12]  AMLPC et AltaSteel affirment que, compte tenu de la nature de la présente enquête, certains renseignements sont extrêmement délicats d’un point de vue commercial; c’est pourquoi ils doivent être désignés comme confidentiels. De plus, elles affirment que, comme le législateur reconnaît cette réalité, des dispositions relatives à la confidentialité et à l’engagement sont prévues dans la LMSI et permettent aux conseillers juridiques des parties d’avoir accès aux renseignements confidentiels.

[13]  Les plaintes sont déposées auprès de l’ASFC et, de ce fait, elles font partie de ses dossiers administratifs, lesquels sont par la suite transmis au Tribunal pour les fins de l’enquête préliminaire de dommage. À ce titre, toute question qui pourrait être soulevée concernant la désignation de renseignements comme confidentiels dans la plainte relève de la compétence de l’ASFC. Par conséquent, l’enquête préliminaire de dommage du Tribunal n’est pas le cadre qui convient pour se pencher sur la désignation de ces renseignements comme confidentiels.

Arguments concernant le calcul des valeurs normales et des prix à l’exportation ainsi que la période choisie pour l’enquête de dumping

[14]  Le gouvernement égyptien affirme que l’ASFC n’a pas respecté différentes dispositions de l’Accord antidumping de l’OMC quand elle a calculé les valeurs normales et les prix à l’exportation. Hoa Phat fait valoir aussi que l’ASFC a commis différentes erreurs et qu’elle a fait preuve de discrimination envers le Vietnam dans le calcul des valeurs normales.

[15]  Pour sa part, le gouvernement indonésien soutient que, à première vue, la plainte ne renferme aucun élément de preuve de dumping puisque différentes hypothèses portant sur les valeurs normales y sont formulées sans être étayées. Il affirme aussi que la période de 13 mois choisie par l’ASFC pour l’enquête de dumping en l’occurrence est inhabituelle.

[16]  AMLPC, AltaSteel et le Syndicat des Métallos soutiennent que les observations présentées par les parties opposées portent sur des questions qui ne relèvent pas de la compétence du Tribunal.

[17]  En effet, le calcul des valeurs normales et des prix à l’exportation dans le cadre d’une enquête, tout comme la période choisie pour l’enquête de dumping, sont des questions qui relèvent de la compétence exclusive de l’ASFC et ne peuvent donc pas être révisées ou examinées par le Tribunal dans le contexte d’une enquête préliminaire de dommage.

Demande visant à mettre fin à l’enquête en ce qui concerne l’Égypte

[18]  Le gouvernement égyptien souligne que, selon les renseignements figurant dans le tableau 4 [10] de la plainte, aucune marchandise n’a été importée de l’Égypte durant la période visée par l’enquête de dumping de l’ASFC. Par conséquent, le gouvernement égyptien soutient qu’aucun élément de preuve relatif au dumping ne permettait de justifier l’ouverture de l’enquête, comme l’exige l’article 5.2 de l’Accord antidumping de l’OMC, et il demande la clôture de l’enquête en ce qui concerne l’Égypte, conformément à l’article 5.8 [11] .

[19]  En réponse, AMLPC et AltaSteel affirment que le tableau 4 de la plainte, qui montre le pourcentage des importations durant certains mois ou trimestres de la période visée par l’enquête de dumping, renferme une erreur dans la colonne de juin 2019, mais que la dernière colonne indique correctement que les marchandises en cause en provenance de l’Égypte représentaient 4,8 p. 100 du total des importations durant la période visée par l’enquête de dumping [12] . De plus, elles affirment que les données mêmes de l’ASFC montrent que les importations en provenance de l’Égypte représentaient 4,4 p. 100 du total des importations durant cette période [13] .

[20]  L’appréciation par l’ASFC de la preuve relative au dumping qui figure dans la plainte et sa décision d’ouvrir une enquête ne sont pas assujetties à l’examen du Tribunal. Par ailleurs, il appartient à l’ASFC de déterminer si elle doit mettre fin à une enquête en ce qui concerne un pays en particulier en raison des volumes négligeables des importations avant de rendre une décision provisoire [14] . Par conséquent, le Tribunal ne peut se pencher sur cette question à cette étape-ci de l’enquête.

[21]  Quoi qu’il en soit, le Tribunal souligne que la preuve au dossier établit clairement que des marchandises en cause ont été importées de l’Égypte en juin 2019, soit le premier mois de la période choisie par l’ASFC pour l’enquête de dumping, et que ces importations représentaient 4,4 p. 100 du total des importations des marchandises en cause pour l’ensemble de la période visée par l’enquête de dumping [15] . Ce pourcentage est supérieur au seuil relatif au caractère négligeable de 3 p. 100 prévu dans l’Accord antidumping et la LMSI [16] .

CADRE LÉGISLATIF

[22]  Le paragraphe 34(2) de la LMSI énonce le mandat du Tribunal en ce qui concerne les enquêtes préliminaires de dommage. Il prévoit que le Tribunal doit déterminer « si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping [...] des marchandises [en cause] a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage ».

Norme de preuve établie par l’expression « indiquent, de façon raisonnable »

[23]  Dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage, la norme de preuve requise, établie par l’expression « indiquent, de façon raisonnable », est moins élevée que celle qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage aux termes de l’article 42 de la LMSI [17] . Les éléments de preuve en question n’ont pas à être « concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités » [18] . En fait, à cette étape de l’enquête, le Tribunal ne dispose pas de tous les éléments de preuve et ceux dont il dispose sont beaucoup moins détaillés que lors d’une enquête définitive de dommage.

[24]  Cependant, l’issue des enquêtes préliminaires de dommage ne doit pas être tenue pour acquise [19] . De simples affirmations ne sont pas suffisantes [20] . Les plaintes, ainsi que le dossier des parties opposées, doivent être étayés d’éléments de preuve positifs et suffisants. De tels éléments de preuve doivent également être pertinents, en ce sens qu’ils répondent aux exigences de la LMSI et concernent des facteurs pertinents du Règlement sur les mesures spéciales d’importation [21] .

[25]  Hoa Phat soutient que le seuil sur le plan de la preuve dans les enquêtes préliminaires de dommage ne doit pas être établi trop bas et que le bénéfice du doute ne doit pas être accordé aux parties plaignantes. Elle soutient aussi que le bilan du Tribunal lors de ces enquêtes, lequel favorise largement les parties plaignantes, permet de croire que le seuil est présentement établi plus bas que ce qui était prévu par le législateur quand il a modifié la LMSI pour rendre obligatoire la tenue d’enquêtes préliminaires de dommage.

[26]  En réponse, AMLPC et AltaSteel font valoir que la norme moins élevée qui s’applique lors d’une enquête préliminaire de dommage sert à évaluer si les éléments de preuve sont suffisants pour poursuivre l’enquête, tandis que, à l’étape de l’enquête définitive de dommage, le rôle du Tribunal est de déterminer s’il doit imposer les mesures prévues dans le cadre des recours commerciaux. Elles affirment que le Tribunal ne devrait pas interpréter l’expression « indiquent, de façon raisonnable » comme si le seuil sur le plan de la preuve devait être plus élevé que celui appliqué récemment.

[27]  Le Tribunal est d’avis que son interprétation relative au seuil sur le plan de la preuve devant être appliqué dans les enquêtes préliminaires de dommage convient en l’espèce et que le seuil ne doit pas être plus élevé. Comme le Tribunal l’a affirmé récemment dans Tôles fortes [22] , où il a dû se pencher sur des arguments assez semblables à ceux avancés par Hoa Phat, l’interprétation de la norme de preuve applicable lors d’une enquête préliminaire de dommage, exposée ci-dessus, a été soigneusement conçue de façon à respecter les exigences prévues par la LMSI et les accords de l’OMC. Le Tribunal doit donc examiner les éléments de preuve au dossier en fonction de cette norme, en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire.

[28]  En outre, le Tribunal a parfois invoqué le bénéfice du doute au profit des parties plaignantes [23] , ce qui témoigne simplement du fait que, à cette étape peu avancée de l’enquête, la norme de preuve applicable pour ce qui est de l’indication raisonnable de dommage ou de menace de dommage n’exige pas que les éléments de preuve puissent satisfaire au seuil plus élevé sur le plan de la fiabilité et de la force probante qui est établi dans le contexte d’une enquête définitive de dommage [24] .

Facteurs relatifs au dommage et paramètres du cadre d’analyse

[29]  Pour en arriver à sa décision provisoire, le Tribunal tient compte des facteurs de dommage et de menace de dommage énoncés à l’article 37.1 du Règlement, notamment le volume des importations de marchandises sous-évaluées, l’effet des marchandises sous-évaluées sur le prix des marchandises similaires, l’incidence économique des marchandises sous-évaluées sur la branche de production nationale et, s’il existe un dommage ou une menace de dommage, la question de savoir s’il y a un lien de causalité entre le dumping des marchandises et le dommage ou la menace de dommage.

[30]  Cependant, avant d’examiner les allégations de dommage et de menace de dommage, le Tribunal doit définir certains paramètres du cadre d’analyse. Plus précisément, le Tribunal doit déterminer quelles marchandises produites par la branche de production nationale constituent des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en cause, s’il existe plus d’une catégorie de marchandise et quelle branche de production nationale produit ces marchandises similaires. Il en est ainsi parce que le paragraphe 2(1) de la LMSI définit « dommage » comme “dommage sensible causé à une branche de production nationale » et « branche de production nationale » comme « l’ensemble des producteurs nationaux des marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires ».

[31]  Comme les marchandises en cause sont originaires ou exportées de plus d’un pays, le Tribunal doit aussi déterminer s’il évaluera les effets cumulatifs du dumping des marchandises en cause provenant de tous les pays visés (c’est-à-dire s’il effectuera une seule analyse de dommage ou une analyse distincte pour chaque pays visé).

MARCHANDISES SIMILAIRES ET CATÉGORIES DE MARCHANDISE

[32]  Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires » par rapport aux autres marchandises de la façon suivante : « a) marchandises identiques aux marchandises en cause; b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause ».

[33]  Pour trancher la question des marchandises similaires et des catégories de marchandise, le Tribunal tient généralement compte d’un certain nombre de facteurs, y compris les caractéristiques physiques des marchandises (comme leur composition et leur apparence) et leurs caractéristiques de marché (comme la substituabilité, les prix, les circuits de distribution, les utilisations finales et la question de savoir si elles répondent aux mêmes besoins des clients).

[34]  Dans Barres d’armature I, le Tribunal a conclu, en se fondant sur les facteurs qui précèdent, que les barres d’armature produites au pays dont la description est la même que celle des marchandises en cause étaient des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en cause et qu’elles constituaient une seule catégorie de marchandise [25] . Le Tribunal est parvenu à la même conclusion dans Barres d’armature II et Barres d’armature I – réexamen [26] . Dans les deux cas, les marchandises en cause étaient définies de la même façon qu’en l’espèce.

[35]  Aucun élément de preuve ou argument démontrant le contraire n’a été déposé dans le cadre de la présente enquête préliminaire de dommage. Par conséquent, le Tribunal effectuera son analyse en partant du principe que les barres d’armature produites au Canada dont la description est la même que les marchandises en cause sont des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en cause et qu’elles constituent une seule catégorie de marchandise.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

[36]  Comme mentionné ci-dessus, le paragraphe 2(1) de la LMSI définit la « branche de production nationale » comme « l’ensemble des producteurs nationaux des marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires ».

[37]  Il y a cinq producteurs nationaux connus de barres d’armature : AltaSteel, AMLPC, Gerdau, MANA et Ivaco. Ces producteurs représentent donc la totalité de la production nationale connue de marchandises similaires et constituent la branche de production nationale aux fins de la présente enquête préliminaire de dommage. Cette conclusion est compatible avec les décisions récentes du Tribunal concernant les barres d’armature [27] .

[38]  Le Tribunal souligne que les résultats financiers et la capacité de production d’Ivaco ne sont pas inclus dans le cadre de la plainte [28] . Cependant, comme la production collective de marchandises similaires des quatre autres producteurs nationaux représente une proportion très élevée du total de la production nationale entre le 1er janvier 2017 et le 30 juin 2020 [29] , le Tribunal considère que les résultats financiers et la capacité de production de ces derniers sont une représentation raisonnable de l’état de l’ensemble de la branche de production nationale aux fins de la présente enquête préliminaire de dommage.

CUMUL

[39]  Dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, le paragraphe 42(3) de la LMSI exige que le Tribunal évalue les effets cumulatifs du dumping des marchandises importées au Canada en provenance de plus d’un des pays visés s’il est convaincu 1) que la marge de dumping relativement aux importations de marchandises de chacun de ces pays n’est pas minimale et que le volume des marchandises importées de chacun de ces pays n’est pas négligeable, et 2) qu’une telle évaluation est indiquée compte tenu des conditions de concurrence entre les marchandises de n’importe quel de ces pays et les marchandises de n’importe quel autre de ces pays ou les marchandises similaires produites au pays.

[40]  Bien que le paragraphe 42(3) de la LMSI traite des enquêtes définitives de dommage, le Tribunal applique généralement le même cadre d’analyse dans une enquête préliminaire de dommage [30] . Le Tribunal estime normalement que le fait de ne pas évaluer les effets cumulatifs des marchandises en cause dans le cadre d’une enquête préliminaire de dommage est un cas d’exception lorsque les éléments de preuve disponibles semblent justifier le cumul [31] .

[41]  Le Tribunal évalue habituellement le caractère minimal et négligeable en se fondant sur l’estimation des marges de dumping et des volumes d’importation de l’ASFC durant la période visée par l’enquête de dumping. En l’espèce, la marge de dumping estimée de chaque pays n’est pas minimale (c’est-à-dire qu’elle ne constitue pas moins de 2 p. 100 du prix à l’exportation des marchandises) et le volume estimé des importations de chaque pays n’est pas négligeable (c’est-à-dire qu’il ne constitue pas moins de 3 p. 100 du total du volume des importations de tous les pays) [32] .

[42]  EZDK soutient que, même si les volumes d’importation de l’Égypte durant la période visée par l’enquête de dumping se situaient légèrement au-dessus du seuil relatif au caractère négligeable de 3 p. 100, sa participation moyenne durant la période qui s’étend du 1er janvier 2017 au 30 juin 2020 s’établissait bien en deçà de ce seuil. Elle fait valoir que, dans l’enquête préliminaire de dommage dans EAFI [33] , le Tribunal s’est penché sur l’ensemble de la période d’examen pour évaluer si le cumul était justifié et que la même approche devrait être adoptée en l’occurrence.

[43]  En réponse, les parties plaignantes affirment que le caractère négligeable est évalué en fonction de la période visée par l’enquête de dumping choisie par l’ASFC et non la période d’enquête que le Tribunal choisirait habituellement dans le contexte d’une enquête définitive de dommage. Elles soutiennent aussi que la situation dans EAFI était différente, en ce sens que le volume des importations en provenance des Émirats arabes unis dans cette affaire était négligeable durant la période visée par l’enquête de dumping de l’ASFC, ainsi que durant toutes les périodes annuelles examinées.

[44]  Le Tribunal souligne que, dans EAFI, la preuve a révélé que le volume des importations en provenance des Émirats arabes unis représentait entre 0 p. 100 et 1 p. 100 du total des importations durant chacune des trois périodes annuelles examinées et 1 p. 100 du total des importations durant l’ensemble de la période [34] . Ce n’est manifestement pas le cas en l’espèce. Bien qu’aucune importation ne provenait de l’Égypte en 2017, en 2018 et durant le premier semestre de 2020, le volume des importations en provenance de l’Égypte en 2019 et durant la période visée par l’enquête de dumping de l’ASFC représentait respectivement 6,0 p. 100 et 4,4 p. 100 du total des importations [35] . Or, en l’espèce, le Tribunal est d’avis que, selon ces chiffres, les circonstances ne justifient pas une analyse distincte des effets des marchandises en cause en provenance de l’Égypte.

[45]  Pour ce qui est des conditions de concurrence, le Tribunal a précédemment fait son évaluation en fonction de facteurs comme l’interchangeabilité, la qualité, les prix, les circuits de distribution, le mode de transport, les délais de livraison et la répartition géographique [36] .

[46]  Le Tribunal conclut que les éléments de preuve dont il dispose à cette étape-ci de l’enquête indiquent, de façon raisonnable, que les conditions de concurrence entre les marchandises en cause et entre les marchandises en cause et les marchandises similaires sont semblables. Aucune des parties opposées n’a présenté d’éléments de preuve à l’effet contraire.

[47]  Le Tribunal a conclu à maintes reprises que les barres d’armature importées et celles produites au pays sont des produits de base parfaitement interchangeables qui se font concurrence sur le marché canadien en fonction du prix [37] . Les éléments de preuve révèlent aussi que des offres pour les marchandises en cause ont été faites durant les mêmes périodes en 2019-2020 et que les marchandises en cause font concurrence directement aux marchandises similaires sur les mêmes marchés géographiques, qu’elles sont expédiées au Canada par le même mode de transport (fret maritime) et qu’elles sont vendues via les mêmes circuits de distribution que les marchandises similaires (par exemple elles sont vendues aux transformateurs d’armatures et aux centres de service/distributeurs) [38] .

[48]  Par conséquent, pour les fins de la présente enquête préliminaire de dommage, le Tribunal considère qu’il convient de réaliser une seule analyse de dommage en vue d’évaluer les effets cumulatifs du dumping au Canada des barres d’armature en provenance des sept pays visés. 

ANALYSE DE DOMMAGE

Volume des marchandises sous-évaluées

[49]  L’ASFC a fait sa propre estimation des volumes d’importation des marchandises en cause, qui diffère légèrement des volumes estimés par les parties plaignantes [39] . Selon les estimations de l’ASFC, en quantités absolues, les importations de marchandises en cause ont augmenté de 177 p. 100 entre 2017 et 2019. Bien que les estimations de l’ASFC n’incluent pas les volumes d’importation au cours du premier semestre de 2019, elles incluent de tels volumes pour la période du 1er janvier au 30 juin 2020, qui dépassent ceux des années complètes 2017 et 2018. De plus, les estimations de l’ASFC indiquent que, alors que les importations de marchandises en cause ne représentaient que 16,7 p. 100 du total des importations en 2017, elles représentaient 67,3 p. 100 du total des importations au premier semestre de 2020 [40] .

[50]  Par rapport à la production nationale et aux ventes intérieures de cette production, les volumes d’importation des marchandises en cause ont pratiquement doublé de 2017 à 2019, puis, seulement au cours du premier semestre de 2020, ont augmenté d’un autre de 50 p. 100 [41] .

[51]  Bien que les données des parties plaignantes ne diffèrent pas grandement des estimations de l’ASFC, les parties plaignantes ont présenté des données pour la période du 1er janvier au 30 juin pour 2019 et 2020. En quantités absolues et relatives, les données présentées par les parties plaignantes révèlent que les volumes d’importation des marchandises en cause ont augmenté en 2018, en 2019 et durant le premier semestre de 2020 comparativement à la même période en 2019 [42] . Plus particulièrement, en quantités absolues, les importations de marchandises en cause ont augmenté de 251 p. 100 durant le premier semestre de 2020 comparativement à la même période en 2019.

[52]  Les estimations fournies par l’ASFC et les parties plaignantes font état d’une tendance semblable, à savoir la présence accrue des marchandises en cause, plus particulièrement après le retrait des mesures de sauvegarde provisoires sur les barres d’armature à la fin d’avril 2019 et au premier semestre de 2020, où le marché total des barres d’armature a enregistré une certaine baisse [43] .

[53]  Ayant examiné les éléments de preuve au dossier, et en particulier les estimations de l’ASFC du volume des importations, le Tribunal conclut qu’il existe une indication raisonnable d’une augmentation marquée des importations de marchandises en cause, à la fois en quantités absolues et relatives.

Effets des marchandises sous-évaluées sur les prix

[54]  Les parties plaignantes allèguent que les importations de marchandises en cause ont entraîné une sous-cotation, une baisse et une compression des prix. Pour appuyer leurs prétentions, elles se fondent sur les données connues relatives aux prix moyens des importations, sur le prix de leurs propres ventes intérieures et sur des allégations de dommage ayant trait à certains clients en particulier.

[55]  Les éléments de preuve déposés à l’appui de la plainte révèlent que, selon la valeur moyenne annuelle globale, les importations de marchandises en cause ont entraîné une sous-cotation des prix des ventes intérieures en 2018, en 2019 et durant le premier semestre de 2020, mais pas en 2017 [44] . Le niveau de sous-cotation des prix était plus élevé en 2019 et en 2020, ce qui coïncide avec l’augmentation des volumes des importations des marchandises en cause durant cette période.

[56]  En outre, selon les propres estimations de l’ASFC sur les volumes des importations des marchandises en cause et la valeur en douane déclarée des marchandises, les importations des marchandises en cause ont mené à une sous-cotation des prix des ventes intérieures durant toutes les périodes et par une marge plus prononcée que celle alléguée dans la plainte [45] . Ces données montrent également que, sur une base annuelle moyenne, les importations de chaque pays visé, pris individuellement, ont mené à une sous-cotation des prix des ventes intérieures durant toutes les périodes, à l’exception de 2018, où le prix des importations en provenance d’un des pays visés était plus élevé [46] .

[57]  EZDK et NatSteel soutiennent que, compte tenu de la différence entre les prix moyens des ventes intérieures et les prix moyens des importations des marchandises non visées provenant des pays en cause dans Barres d’armature I, la branche de production nationale a ressenti des effets plus importants sur les prix en raison des importations non sous-évaluées et que, par conséquent, les marchandises sous-évaluées ne sont pas à l’origine des dommages subis.

[58]  AltaSteel et AMLPC ont répondu que les importations provenant des pays en cause dans Barres d’armature I étaient sous-évaluées, car la majorité des importations en 2019 et durant le premier semestre de 2020 provenaient d’exportateurs turcs ayant des valeurs normales désuètes. Gerdau soutient que les marchandises en cause dominent le marché sur le plan du prix, car le volume des importations des marchandises en cause était 10 fois plus élevé que le volume combiné des importations provenant des pays en cause dans Barres d’armature I et Barres d’armature II durant la période visée par l’enquête de dumping.

[59]  Peu importe si les importations de barres d’armature provenant des pays en cause dans Barres d’armature I étaient « sous-évaluées » en raison des valeurs normales prétendument désuètes, il n’en demeure pas moins qu’une distinction doit être établie entre les effets sur les prix qui auraient pu découler de ces importations et les effets sur les prix des marchandises en cause. Cela dit, les éléments de preuve en l’espèce indiquent, de façon raisonnable, que, même si les importations des pays en cause dans Barres d’armature I ont entraîné la sous-cotation du prix des marchandises en cause durant la plupart des périodes, leur volume a diminué considérablement en 2019 et en 2020 (par rapport aux niveaux de 2017 et de 2018), de sorte qu’il ne représentait qu’une petite fraction du total des importations pendant ce temps [47] . Les effets sur le prix des importations des marchandises non visées provenant des pays en cause dans Barres d’armature I est une question qui mériterait une attention particulière dans le cadre d’une enquête définitive de dommage, si l’ASFC devait rendre une décision provisoire de dumping.

[60]  Les éléments de preuve déposés à l’appui de la plainte font également état d’une baisse et d’une compression des prix. Même si les prix moyens des ventes intérieures ont augmenté de 23 p. 100 en 2018 et d’un autre 4 p. 100 en 2019, ils ont diminué de 15 p. 100 au premier semestre de 2020 comparativement à la même période en 2019 [48] . Un examen minutieux de la preuve présentée sur une base trimestrielle révèle que les prix moyens des ventes intérieures ont atteint un sommet au premier trimestre de 2019, puis ont par la suite diminué tous les trimestres successifs jusqu’au deuxième trimestre de 2020. La baisse des prix des ventes intérieures était aussi supérieure à la baisse du coût des marchandises des producteurs nationaux vendues durant cette même période, ce qui permet de croire qu’il y a eu une compression des prix [49] .

[61]  En outre, la plainte compte 25 allégations de dommage ayant trait à certains clients concernant des ventes perdues en raison de la sous-cotation des prix attribuable aux marchandises en cause et de situations où les producteurs nationaux ont dû réduire leurs prix pour maintenir leurs ventes [50] . Ces allégations ont été formulées par les trois parties plaignantes et concernent des offres de marchandises en cause de tous les sept pays visés à divers moments en 2019 et en 2020.

[62]  Hoa Phat souligne que les offres de barres d’armature provenant du Vietnam faisant l’objet d’allégations de dommage de la part des parties plaignantes ont été faites à un moment où il n’y avait aucune importation de marchandises en cause en provenance du Vietnam ou après l’importation des marchandises. 

[63]  Comme le font valoir AltaSteel et AMLPC, il est possible que des offres d’importation aient été faites, mais qu’il n’y ait eu aucune importation si la branche de production nationale a pu obtenir la vente en réduisant son prix. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, AMLPC et Gerdau ont expliqué de manière satisfaisante les circonstances entourant les deux allégations de dommage concernant des offres de barres d’armature provenant du Vietnam [51] . Selon le Tribunal, prises ensemble, les allégations de dommage se rapportant à certains clients figurant dans la plainte fournissent une autre indication raisonnable de sous-cotation et de baisse des prix attribuables aux marchandises en cause.

[64]  Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent de façon raisonnable que les marchandises en cause ont entraîné une sous-cotation, une baisse et une compression appréciables des prix des marchandises similaires produites au pays au deuxième semestre de 2019 et au premier semestre de 2020. 

Incidence sur la branche de production nationale

[65]  Dans le cadre de son analyse de dommage, le Tribunal doit tenir compte de l’incidence des marchandises sous-évaluées sur la situation de la branche de production nationale et, plus précisément, de tous les facteurs et indices économiques pertinents influant sur cette situation [52] . Le Tribunal doit aussi déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, l’existence d’un lien de causalité entre le dumping des marchandises en cause et le dommage subi selon l’incidence qu’ont le volume des marchandises sous-évaluées et l’effet de ces marchandises sur les prix, et si d’autres facteurs que le dumping ont causé un dommage [53] .

[66]  Les parties plaignantes font valoir que le dumping des marchandises a causé un dommage sensible à la branche de production nationale du deuxième semestre de 2019 jusqu’en 2020, sous forme de perte de parts de marchés, de mauvais résultats financiers et de faible utilisation de la capacité.

Part de marché

[67]  Les estimations de l’ASFC et celles des parties plaignantes font état d’une part de marché légèrement différente, mais elles montrent toutes les deux que la part de marché de la branche de production nationale a augmenté de 2017 à 2019, puis a diminué durant le premier semestre de 2020, et que la part de marché des importations de marchandises en cause a augmenté de 2017 au premier semestre de 2020, les augmentations les plus importantes ayant été enregistrées en 2019 et en 2020 [54] . Plus particulièrement, les estimations de l’ASFC montrent que la part de marché de la branche de production nationale a diminué d’environ 6 points de pourcentage au premier semestre de 2020 par rapport à 2019, et que, en revanche, la part de marché des importations de marchandises en cause a augmenté d’environ 10 points de pourcentage au cours de la même période.

[68]  Comme dans le cas des prix des ventes intérieures, les estimations des parties plaignantes montrent que la part de marché de la branche de production nationale a atteint un sommet au premier trimestre de 2019 et a subséquemment atteint son plus bas niveau au deuxième trimestre de 2020, chutant de 16 points de pourcentage durant cette période [55] . Au contraire, la part de marché des importations de marchandises en cause a augmenté de 31 points de pourcentage durant la même période.

Résultats financiers et autres indicateurs de rendement

[69]  Les éléments de preuve déposés à l’appui de la plainte montrent que le rendement financier de la branche de production nationale, pour ce qui est de la valeur nette des ventes des marchandises produites au pays, de la marge bénéficiaire brute et du revenu net, sur une base globale ou unitaire, a augmenté de 2017 à 2019 avant de diminuer au deuxième semestre de 2019 et au premier semestre de 2020 [56] . Sur une base unitaire, la valeur nette des ventes , la marge bénéficiaire brute et le revenu net ont diminué respectivement de 15 p. 100, de 36 p. 100 et de 75 p. 100 au premier semestre de 2020 par rapport au premier semestre de 2019. Par ailleurs, la même tendance a été observée en ce qui concerne le volume des ventes intérieures, la production totale et l’utilisation de la capacité de production de barres d’armature [57] .

[70]  D’autre part, le nombre d’employés directs et le total des heures travaillées ont augmenté durant l’ensemble de la période [58] .

[71]  Dans l’ensemble, le Tribunal conclut que les éléments de preuve dont il dispose à cette étape‑ci de l’enquête indiquent, de façon raisonnable, que le dommage subi par la branche de production nationale durant cette période peut être qualifié de sensible.

Lien de causalité et autres facteurs

[72]  Le Tribunal conclut aussi qu’il existe une indication raisonnable d’un lien de causalité entre le dumping des marchandises en cause et le dommage subi par la branche de production nationale du fait de l’augmentation marquée des importations de marchandises en cause, des effets négatifs importants sur les prix des marchandises similaires produites au pays, ainsi que de la perte de parts de marché et de la diminution du rendement de la branche de production nationale, qui se sont tous produits durant la même période, à savoir le deuxième semestre de 2019 et le premier semestre de 2020.

[73]  Le gouvernement égyptien, le gouvernement indonésien et Hoa Phat font valoir que si la branche de production nationale a subi un dommage, celui-ci est attribuable à des facteurs autres que le dumping, comme les importations appréciables de barres d’armature provenant des États-Unis et des importations à bas prix provenant des pays en cause dans Barres d’armature I et Barres d’armature II, ainsi qu’à l’incidence de la COVID-19 et les mesures connexes de confinement sur la demande de barres d’armature.

[74]  Certains de ces facteurs (comme ceux mentionnés ci-dessus concernant les effets sur les prix causés par les importations de marchandises non visées provenant des pays en cause dans Barres d’armature I) et d’autres facteurs qui n’ont toujours pas été définis pourraient sans doute avoir contribué au dommage subi par la branche de production nationale. Le Tribunal pourra se pencher davantage sur la question des autres facteurs et du lien de causalité durant l’enquête définitive de dommage, lorsqu’il disposera d’un dossier de preuve complet.

[75]  Durant l’enquête définitive de dommage, le Tribunal compile, au moyen de questionnaires, des renseignements détaillés sur les volumes et les prix des marchandises en cause et des marchandises non visées, ainsi que sur la conjoncture du marché durant la période de l’enquête choisie. Aux fins de la présente enquête préliminaire de dommage, le Tribunal conclut que les éléments de preuve corroborent suffisamment l’existence d’une indication raisonnable de dommage en raison des marchandises en cause par elles-mêmes. 

MENACE DE DOMMAGE

[76]  Comme il existe une indication raisonnable que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage, le Tribunal n’examinera pas, pour des raisons d’économie judiciaire, la question de savoir s’il existe une indication raisonnable que le dumping des marchandises en cause menace de causer un dommage.

CONCLUSION

[77]  Compte tenu de l’analyse ci-dessus, le Tribunal détermine que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping des marchandises en cause a causé un dommage ou menace de causer un dommage à la branche de production nationale.

Peter Burn

Peter Burn
Membre présidant

Cheryl Beckett

Cheryl Beckett
Membre

Georges Bujold

Georges Bujold
Membre

 



[1]   L.R.C. (1985), ch. S-15 [LMSI].

[2]   Comme une branche de production nationale est déjà établie, le Tribunal n’a pas besoin d’examiner la question du retard.

[3]   Voir Barres d’armature pour béton (9 janvier 2015), NQ-2014-001 (TCCE) [Barres d’armature I]. Les conclusions du Tribunal dans Barres d’armature I ont été récemment prorogées à la suite d’un réexamen relatif à l’expiration aux termes de l’article 76.03 de la LMSI. Voir Barres d’armature pour béton (14 octobre 2020), RR‑2019-003 (TCCE) [Barres d’armature I – réexamen].

[4]   Voir Barres d’armature pour béton (3 mai 2017), NQ-2016-003 (TCCE) [Barres d’armature II].

[5]   Enquête de sauvegarde sur l’importation de certains produits de l’acier (3 avril 2019), GC-2018-001 (TCCE) [Enquête de sauvegarde sur l’acier]. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur définit « dommage grave » comme « [t]out dommage causant une dégradation générale notable de la situation des producteurs nationaux ». Le Tribunal a jugé que le seuil du dommage grave était plus élevé que celui du « dommage sensible », lequel s’applique dans le cadre des enquêtes de dommage en vertu de la LMSI (voir Enquête de sauvegarde sur l’acier à la p. 29).

[6]   Pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 181, 183.

[7]   Pièce PI-2020-004-05 aux p. 38-39.

[8]   Ibid. aux p. 44, 52.

[9]   En ligne : https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/19-adp.pdf [Accord antidumping]. L’article 6.5.1 est ainsi libellé : « Les autorités exigeront des parties intéressées qui fournissent des renseignements confidentiels qu’elles en donnent des résumés non confidentiels. Les résumés seront suffisamment détaillés pour permettre de comprendre raisonnablement la substance des renseignements communiqués à titre confidentiel. Dans des circonstances exceptionnelles, lesdites parties pourront indiquer que ces renseignements ne sont pas susceptibles d’être résumés. Dans ces circonstances, les raisons pour lesquelles un résumé ne peut être fourni devront être exposées. »

[10]   Pièce PI-2020-004-03.01 à la p. 44.

[11]   L’article 5.8 prévoit qu’« une enquête sera close dans les moindres délais dès que les autorités concernées seront convaincues que les éléments de preuve relatifs soit au dumping soit au dommage ne sont pas suffisants pour justifier la poursuite de la procédure. La clôture de l’enquête sera immédiate dans les cas où les autorités détermineront [...] que le volume des importations, effectives ou potentielles, faisant l’objet d’un dumping, ou le dommage, est négligeable. [...] Le volume des importations faisant l’objet d’un dumping sera normalement considérée comme négligeable s’il est constaté que le volume des importations faisant l’objet d’un dumping en provenance d’un pays en particulier représente moins de 3 pour cent des importations du produit similaire [...]. »

[12]   Voir pièce PI-2020-004-02.01 à la p. 46.

[13]   Pièce PI-2020-004-05 à la p. 44.

[14]   Voir l’alinéa 35(1)a) de la LMSI.

[15]   Pièce PI-2020-004-03.06 (protégée) aux p. 19, 71, 74; pièce PI-2020-004-05 à la p. 44.

[16]   Voir la définition de « négligeable » au paragraphe 2(1) de la LMSI.

[17]   Maïs-grain (10 octobre 2000), PI-2000-001 (TCCE) à la p. 5.

[18]   Ronald A. Chisholm Ltd. v. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (FCTD) [en anglais seulement].

[19]   Barres d’armature pour béton (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE) au par. 19.

[20]   L’article 5 de l’Accord antidumping de l’OMC prévoit que les autorités chargées des enquêtes doivent examiner l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping afin de déterminer si les éléments de preuve sont suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête, et qu’elles doivent rejeter une plainte ou clore une enquête dès qu’elles sont convaincues que les éléments de preuve relatifs au dumping ou au dommage ne sont pas suffisants pour justifier la poursuite de la procédure. L’article 5 précise par ailleurs qu’une simple affirmation non étayée par des éléments de preuve pertinents ne peut suffire à satisfaire aux prescriptions de l’article.

[21]   DORS/84-927 [Règlement].

[22]   Tôles fortes (27 juillet 2020), PI-2020-001 (TCCE) [Tôles fortes] au par. 35.

[23]   Voir par exemple Feuilles d’acier résistant à la corrosion (7 janvier 2020), PI-2019-002 (TCCE) au par. 12; Tiges de pompage (29 novembre 2019), PI-2019-001 (TCCE) au par. 13; Capsules de nitisinone (20 novembre 2018), PI-2018-006 (TCCE) au par. 22.

[24]   Tôles fortes au par. 36.

[25]   Barres d’armature I aux par. 47, 79.

[26]   Barres d’armature II au par. 45; Barres d’armature I – réexamen au par. 33.

[27]   Voir Enquête de sauvegarde sur l’acier aux p. 60-61; Barres d’armature I – réexamen au par. 36.

[28]   Pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 82, 84-85.

[29]   Pièce PI-2020-004-03.06 (protégée) à la p. 13.

[30]   Fils d’acier galvanisés (22 mars 2013), PI-2012-005 (TCCE) au par. 40; Tôles d’acier résistant à la corrosion (2 février 2001), PI-2000-005 (TCCE) aux p. 5, 6.

[31]   Voir par exemple Tôles fortes au par. 51.

[32]   Pièce PI-2020-004-05 aux p. 44, 52. Voir aussi le tableau au paragraphe 11 de l’énoncé des motifs de l’ASFC. Les termes « minimale » et « négligeable » sont définis au paragraphe 2(1) de la LMSI.

[33]   Certains éléments d’acier de fabrication industrielle (10 novembre 2016), PI-2016-003 (TCCE) [EAFI].

[34]   EAFI au par. 31.

[35]   Pièce PI-2020-004-05 à la p. 44.

[36]   Voir par exemple Feuillards et tôles plats en acier au carbone et en acier allié, laminés à chaud (17 août 2001), NQ-2001-001 (TCCE) à la p. 18; Chaussures étanches (25 septembre 2009), NQ-2009-001 (TCCE), note 28. Le Tribunal a reconnu que d’autres facteurs peuvent être pris en considération et qu’aucun facteur n’est à lui seul déterminant. Voir Planchers laminés (16 juin 2005), NQ-2004-006 (TCCE) au par. 80.

[37]   Barres d’armature I au par. 47; Barres d’armature II au par. 68; Enquête de sauvegarde sur l’acier aux p. 59-60; Barres d’armature I – réexamen au par. 228.

[38]   Pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 42, 72, 880, 918-922, 1038-1039; pièce PI-2020-004-03.01 (protégée) aux p. 909-915. Voir aussi Enquête de sauvegarde sur l’acier à la p. 71.

[39]   Pièce PI-2020-004-03.06 (protégée) à la p. 20; pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 188, 190.

[40]   Pièce PI-2020-004-05 à la p. 44.

[41]   Pièce PI-2020-004-03.06 (protégée) aux p. 13, 20.

[42]   Pièce PI-2020-004-03.01 (protégée) aux p. 180, 192; pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 188, 190.

[43]   Pièce PI-2020-004-03.06 (protégée) à la p. 20; pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 188, 190.

[44]   Pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 76, 188, 190.

[45]   Pièce PI-2020-004-03.06 (protégée) aux p. 43, 71.

[46]   Le Tribunal reconnaît que les prix à l’importation estimés par les parties plaignantes et ceux calculés en fonction des volumes d’importation estimés et de la valeur en douane déclarée de l’ASFC ne sont pas des prix de vente à la livraison. Toutefois, il s’agit des meilleurs renseignements disponibles à cette étape-ci de l’enquête. Le Tribunal recueillera des données sur les prix de vente à la livraison lors de l’enquête définitive de dommage, si l’ASFC devait rendre une décision provisoire de dumping.

[47]   Pièce PI-2020-004-03.06 (protégée) aux p. 20, 71; pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 188, 190; pièce PI-2020-004-05 à la p. 44. Le Tribunal constate que le niveau de sous-cotation des importations provenant des pays en cause dans Barres d’armature I varie selon les prix retenus (c’est-à-dire ceux estimés par les parties plaignantes ou ceux calculés à partir des données de l’ASFC).

[48]   Pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 188, 190-191.

[49]   Pièce PI-2020-004-03.01 (protégée) aux p. 76, 191.

[50]   Pièce PI-2020-004-02.01 à la p. 72; pièce PI-2020-004-03.01 (protégée) aux p. 72-73.

[51]   Pièce PI-2020-004-09.01A (protégée) aux par. 14-16; pièce PI-2020-004-09.02 (protégée) aux par. 61-62; pièce PI-2020-004-03.01 (protégée), pièce jointe 50 au par. 48.

[52]   Voir l’alinéa 37.1(1)c) du Règlement.

[53]   Voir le paragraphe 37.1(3) du Règlement.

[54]   Pièce PI-2020-004-03.06 (protégée) à la p. 21; pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 79, 188.

[55]   Pièce PI-2020-004-02.01 aux p. 81, 190-191.

[56]   Pièce PI-2020-004-03.01 (protégée) aux p. 190-191.

[57]   Ibid. aux p. 190, 192.

[58]   Ibid. à la p. 193.

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