Enquêtes de dommage antidumping

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Enquête préliminaire de dommage no PI-2020-006

Certains corps de broyage

Décision rendue
le lundi 15 février 2021

Motifs rendus
le mardi 2 mars 2021

 



EU ÉGARD À une enquête préliminaire de dommage, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, concernant :

CERTAINS CORPS DE BROYAGE

DÉCISION PROVISOIRE DE DOMMAGE

Le Tribunal canadien du commerce extérieur, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation (LMSI), a procédé à une enquête préliminaire de dommage afin de déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement de corps de broyage en fonte chromée de forme sphérique (« boulets ») ou ovoïde, d’un diamètre de 12,7 millimètres (½ pouce) à 76,2 millimètres (3 pouces) inclusivement avec tolérances de 5 pour cent (5 %), avec une composition d’alliage de 10 pour cent ou plus (≥ 10 % de la masse totale) de chrome (« Cr ») et produit par la méthode de coulée, originaires ou exportés de la République de l’Inde, ont causé un dommage ou un retard ou menacent de causer un dommage selon la définition de ces termes dans la LMSI.

La présente enquête préliminaire de dommage fait suite à l’avis en date du 17 décembre 2020, selon lequel le président de l’Agence des services frontaliers du Canada avait ouvert des enquêtes concernant les présumés dumping et subventionnement dommageables des marchandises susmentionnées.

Aux termes du paragraphe 37.1(1) de la LMSI, le Tribunal canadien du commerce extérieur détermine par la présente que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises susmentionnées ont causé un dommage ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre

L’exposé des motifs suivra à une date ultérieure.


 

Membres du Tribunal :

Susan D. Beaubien, membre présidant
Randolph W. Heggart, membre
Serge Fréchette, membre

Personnel de soutien :

Martin Goyette, conseiller juridique principal
Mark Howell, analyste principal
Andrew Wigmore, analyste

PARTICIPANTS :

 

Conseillers/représentants

AIA Engineering Limited

Victoria Bazan

Magotteaux Limitée

Vincent Routhier
Yannick Trudel

Veuillez adresser toutes les communications à :

La greffière adjointe
Téléphone : 613-993-3595
Courriel : tcce-citt@tribunal.gc.ca

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

INTRODUCTION

[1] Le 27 octobre 2020, Magotteaux Limitée (Magotteaux) (la plaignante), de Magog (Québec), a déposé une plainte auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) alléguant que des corps de broyage sous-évalués et subventionnés originaires ou exportés de la République de l’Inde (Inde) (les marchandises en cause) ont causé un dommage ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

[2] Aux termes du paragraphe 31(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation [1] , l’ASFC a ouvert des enquêtes concernant le dumping et le subventionnement des marchandises en cause. Les enquêtes ont été ouvertes le 17 décembre 2020.

[3] Dans le cadre de ses enquêtes, l’ASFC a estimé que les marchandises en cause avaient été sous‑évaluées selon une marge de dumping de 38,8 p. 100 et subventionnées selon un montant de subvention de 11,5 p. 100 [2] au cours de la période du 1er octobre 2019 au 30 septembre 2020 [3] .

[4] Le 18 décembre 2020, le Tribunal canadien du commerce extérieur a ouvert son enquête préliminaire de dommage aux termes du paragraphe 34(2) de la LMSI. L’avis d’ouverture de l’enquête a été publié dans la partie I de la Gazette du Canada du 2 janvier 2021.

[5] AIA Engineering Limited (AIA), une société indienne et un producteur de marchandises en cause, a déposé un avis de participation. AIA n’a pas déposé d’observations, et le Tribunal n’a reçu aucune observation s’opposant à la plainte. La plaignante a déposé un bref mémoire en plus de la plainte.

[6] Le 15 février 2021, aux termes du paragraphe 37.1(1) de la LMSI, le Tribunal a conclu à l’existence d’éléments de preuve qui indiquaient, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en cause ont causé ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale. Les motifs de cette décision sont énoncés ci-dessous.

DÉFINITION DU PRODUIT

[7] L’ASFC a défini les marchandises en cause comme suit :

Corps de broyage en fonte chromée de forme sphérique (« boulets ») ou ovoïde, d’un diamètre de 12,7 millimètres (½ pouce) à 76,2 millimètres (3 pouces) inclusivement avec tolérances de 5 pour cent (5 %), avec une composition d’alliage de 10 pour cent ou plus (≥ 10 % de la masse totale) de chrome (« Cr ») et produit par la méthode de coulée, originaires ou exportés de l’Inde. [4]

CADRE LÉGISLATIF

Norme de preuve requise par l’expression « indiquent, de façon raisonnable »

[8] Le mandat du Tribunal en ce qui concerne une enquête préliminaire de dommage est énoncé au paragraphe 34(2) et à l’article 37.1 de la LMSI. Il prévoit que le Tribunal doit déterminer « si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises [en cause] a causé un dommage ou un retard ou menace de causer un dommage ».

[9] L’interprétation du Tribunal de la norme de preuve requise par l’expression « indiquent, de façon raisonnable » établie par le législateur a été soigneusement conçue de manière à respecter les exigences prévues par la LMSI et les accords de l’OMC. Le Tribunal doit examiner les éléments de preuve au dossier en fonction de cette norme, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

[10] L’expression « indiquent, de façon raisonnable » n’est pas définie dans la LMSI, mais elle a été interprétée comme exigeant une norme de preuve moins élevée que celle qui s’applique lors d’une enquête définitive de dommage aux termes de l’article 42 de la LMSI [5] . À ce titre, les éléments de preuve étayant une conclusion de dommage préliminaire n’ont pas à être « concluants ou probants selon la prépondérance des probabilités » [6] [traduction], étant donné qu’il est possible que ceux-ci ne soient pas complets ou entièrement validés.

[11] Ainsi, à cette étape peu avancée de l’enquête, la norme de preuve requise par l’expression « indiquent, de façon raisonnable » pour ce qui est du dommage ou de la menace de dommage n’exige pas que les éléments de preuve satisfassent au seuil plus élevé sur le plan de la fiabilité et de la force probante qui est établi dans le contexte d’une enquête définitive de dommage [7] .

[12] Afin d’en arriver à sa décision préliminaire, le Tribunal tient compte des facteurs de dommage et de menace de dommage prévus à l’article 37.1 du Règlement sur les mesures spéciales d’importation [8] . Ces facteurs comprennent le volume des importations des marchandises sous-évaluées ou subventionnées, l’effet des marchandises sous-évaluées ou subventionnées sur le prix des marchandises similaires, l’incidence économique des marchandises sous-évaluées ou subventionnées sur la situation de la branche de production nationale et – s’il existe un dommage ou une menace de dommage [9] – la question de savoir s’il existe un lien de causalité entre le dumping ou le subventionnement des marchandises et le dommage ou la menace de dommage.

[13] L’issue d’une enquête préliminaire de dommage ne doit pas être prise pour acquis [10] . La norme de preuve n’est pas satisfaite par de simples allégations non étayées par des éléments de preuve [11] . Les parties à une enquête préliminaire de dommage doivent faire de leur mieux en déposant des éléments de preuve positifs et suffisants qui ont trait à la fois aux conditions prescrites dans la LMSI et aux facteurs énoncés dans le Règlement.

[14] Les éléments de preuve doivent être suffisants afin de persuader le Tribunal qu’une enquête définitive est justifiée, compte tenu de l’étape à laquelle en est l’enquête. Le Tribunal évaluera si les allégations résistent à un examen assez poussé, compte tenu des éléments de preuve et des observations s’opposant à la plainte des autres parties intéressées, même si la thèse avancée peut ne pas sembler convaincante ou incontestable.

[15] En l’espèce, seule la plaignante a déposé des éléments de preuve auprès du Tribunal. L’autre partie à la procédure (AIA) n’a pas contesté ni élevé de doutes concernant les éléments de preuve de Magotteaux, qui sont donc non contredits.

MARCHANDISES SIMILAIRES ET CATÉGORIES DE MARCHANDISE

[16] Pour déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en question ont causé ou menacent de causer un dommage aux producteurs nationaux de marchandises similaires, le Tribunal doit d’abord définir quelles sont les marchandises similaires par rapport aux marchandises en cause. Il examine également si les marchandises en cause constituent une ou plusieurs catégories de marchandise.

[17] Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit les « marchandises similaires » par rapport à toutes autres marchandises de la façon suivante :

a) marchandises identiques aux marchandises en cause;

b) à défaut, marchandises dont l’utilisation et les autres caractéristiques sont très proches de celles des marchandises en cause.

[18] Pour trancher la question des marchandises similaires et des catégories de marchandise, le Tribunal tient généralement compte d’un certain nombre de facteurs, y compris les caractéristiques physiques des marchandises (comme leur composition et leur apparence) et leurs caractéristiques de marché (comme la substituabilité, les prix, les circuits de distribution, les utilisations finales et la question de savoir si elles répondent aux mêmes besoins des clients).

[19] Il est affirmé dans la plainte que les boulets de broyage produits au Canada par Magotteaux sont des marchandises similaires aux marchandises en question. La plaignante soutient de plus que les marchandises en cause constituent une seule catégorie de marchandise.

[20] L’ASFC a conclu que les corps de broyage produits au pays de la même description que les marchandises en cause sont des marchandises similaires aux marchandises en cause. L’ASFC a de plus conclu que les marchandises en cause et les marchandises similaires constituent une seule catégorie de marchandise [12] .

[21] Ces conclusions n’ont pas été contestées par des observations des parties s’opposant à la plainte, et aucun élément de preuve au dossier ne suggère que les corps de broyage produits au pays de la même description que les marchandises en cause ne sont pas des marchandises similaires par rapport aux marchandises en cause ou que les marchandises en cause constituent plus d’une catégorie de marchandise. En outre, les éléments de preuve au dossier ayant trait aux utilisations finales et à la concurrence, sur le marché, entre les marchandises en cause et les corps de broyage produits au pays de la même description suggèrent qu’elles sont des « marchandises similaires ».

[22] Par conséquent, le Tribunal fondera son analyse sur la considération selon laquelle les corps de broyage produits au pays de la même description que les marchandises en cause sont des « marchandises similaires » par rapport aux marchandises en cause et qu’il n’y a qu’une catégorie de marchandise. Le Tribunal réexaminera ces conclusions préliminaires dans le contexte de son enquête définitive de dommage.

BRANCHE DE PRODUCTION NATIONALE

[23] Le paragraphe 2(1) de la LMSI définit la « branche de production nationale » de la façon suivante :

[...] l’ensemble des producteurs nationaux de marchandises similaires ou les producteurs nationaux dont la production totale de marchandises similaires constitue une proportion majeure de la production collective nationale des marchandises similaires. Peut toutefois en être exclu le producteur national qui est lié à un exportateur ou à un importateur de marchandises sous-évaluées ou subventionnées, ou qui est lui-même un importateur de telles marchandises.

[24] Le Tribunal doit donc déterminer si les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, qu’un dommage a été causé ou menace d’être causé aux producteurs nationaux dans leur ensemble ou aux producteurs nationaux dont la production constitue une proportion majeure de la production collective nationale de marchandises similaires [13] .

[25] Les éléments de preuve non contredits dont dispose le Tribunal indiquent que Magotteaux est le seul producteur national de marchandises similaires [14] . À ce titre, le Tribunal examinera les questions de savoir s’il y a une indication raisonnable de dommage ou de menace de dommage relativement à Magotteaux.

CUMUL CROISÉ

[26] Lorsque des marchandises en cause provenant d’une même source sont à la fois sous-évaluées et subventionnées, le Tribunal considère qu’il n’est pas nécessaire ni possible de désenchevêtrer les effets du subventionnement et ceux du dumping [15] . Le Tribunal analysera donc les effets cumulatifs du dumping et du subventionnement des marchandises dans la présente enquête préliminaire [16] .

ANALYSE DE DOMMAGE

[27] L’analyse relative à l’existence d’une indication raisonnable de dommage englobe l’examen de plusieurs facteurs. L’analyse du Tribunal relative à l’existence d’une indication raisonnable de dommage (ou de menace de dommage), qui porte sur l’ensemble des facteurs pertinents, figure ci‑dessous.

Volumes d’importation des marchandises sous-évaluées et subventionnées

[28] L’ASFC a effectué sa propre analyse des importations des marchandises en cause en se fondant sur ses données sur les importations. Cette analyse indique des tendances et des volumes similaires en ce qui concerne les importations de corps de broyage originaires de l’Inde aux estimations fournies dans la plainte [17] .

[29] En quantités absolues, les estimations de l’ASFC indiquent une augmentation marquée en glissement annuel du volume des marchandises en cause. Les importations de marchandises en cause ont plus que quadruplé entre 2017 et 2018 et ont presque doublé encore en 2019. Les importations de marchandises en cause ont continué d’augmenter au cours des neuf premiers mois de 2020 [18] . En quantité relatives (comparativement à la production nationale et aux ventes de la production nationale), le volume des marchandises en cause a augmenté de façon marquée de 2017 à 2019 [19] . Les éléments de preuve indiquent également que le marché canadien a accusé une baisse au cours de la même période [20] .

[30] Ayant examiné les éléments de preuve au dossier, et en particulier les estimations de l’ASFC du volume des importations, le Tribunal conclut qu’il y a une indication raisonnable que les importations de marchandises en cause ont augmenté de façon marquée, à la fois en quantités absolues et relatives.

Effets des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur les prix

Sous-cotation et baisse des prix

[31] Magotteaux allègue que les prix des marchandises en cause ont entraîné la sous-cotation de ceux des marchandises similaires produites au pays, provoquant une baisse des prix et une perte de ventes. À titre de preuve, elle donne des exemples de pression sur les prix exercée par les marchandises en cause en ce qui concerne certains de ses plus importants clients, ce qui a eu pour résultat la baisse des prix de vente ou des offres de prix, la perte de ventes et la perte de clients [21] . À cet égard, Magotteaux a présenté des éléments de preuve indiquant que les offres de prix trimestriels faites à deux importants clients ont graduellement baissé, ce qui représente une diminution de plus de 20 p. 100 de 2018 au deuxième trimestre de 2020 [22] . De plus, les prix de vente à un troisième client ont aussi baissé de façon marquée au cours de la même période [23] .

[32] De plus, selon Magotteaux, ses prix de vente et ses offres de prix aux clients qui achètent aussi des marchandises en cause étaient plus bas que ses prix de vente aux clients qui n’achètent pas de marchandises en cause, l’écart augmentant avec le temps [24] .

[33] Magotteaux a expliqué qu’elle fait des offres de prix à ses clients habituellement sur une base trimestrielle. L’offre de prix comprend le prix de base ainsi qu’un facteur d’ajustement pour tenir compte de la fluctuation des prix trimestriels des matières premières et du taux de change [25] . À ce titre, Magotteaux fonde ses allégations sur les prix départ usine de ses installations à Magog (Québec), plutôt que sur le prix rendu chez le client, ou sur le revenu des ventes net tiré de ces ventes.

[34] Les éléments de preuve présentés dans la plainte, dont certains sont confidentiels, indiquent, de façon raisonnable, qu’il y a eu sous-cotation des prix par rapport aux marchandises en cause, provoquant une perte de ventes et la perte de certains clients qui ont opté pour les marchandises en cause. Les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que la perte de ces ventes et de ces clients (et la perte de parts de marché qui en a résulté) est due aux prix. Selon Magotteaux, des clients l’ont informée qu’ils achetaient les marchandises en cause à cause des écarts de prix entre les marchandises en cause et les marchandises similaires [26] . Malgré avoir fait des efforts pour récupérer ses clients perdus, Magotteaux n’a pas été en mesure de réduire davantage ses prix au point de pouvoir récupérer ses clients perdus.

[35] De plus, le Tribunal a examiné la valeur en douane unitaire calculée à partir des estimations de l’ASFC pour les importations de marchandises en cause et non visées et l’a comparée à la valeur unitaire du revenu des ventes net des corps de broyage produits au pays [27] . La valeur unitaire des marchandises en cause a diminué chaque année comparativement à 2017, et particulièrement au cours des neuf premiers mois de 2020. La valeur unitaire des marchandises similaires a augmenté en 2018, mais a commencé à diminuer en 2019 pour chuter au cours des neuf premiers mois de 2020, semblable à la valeur unitaire des marchandises en cause. La valeur en douane unitaire pour les importations de marchandises non visées a dépassé celle des marchandises en cause ainsi que la valeur des ventes nette des marchandises similaires aux cours de toutes les périodes, sauf en 2017.

[36] Bien que les prix rendus des importations soient probablement plus élevés que la valeur en douane, et les prix rendus feront l’objet d’un examen plus approfondi dans le cadre d’une enquête définitive de dommage si l’ASFC rend des décisions provisoires de dumping ou de subventionnement, les éléments de preuve indiquent que la valeur unitaire des marchandises en cause a mené à la sous-cotation de la valeur de vente nette des marchandises produites au pays depuis 2018. Le degré de sous-cotation des prix a été relativement constant depuis 2018, les prix des marchandises similaires diminuant en phase avec ceux des marchandises en cause.

[37] Le Tribunal reconnaît que des considérations relatives à l’éventail des produits compris dans les comparaisons puisse influer sur celles-ci en ce qui concerne la moyenne des prix, et dans l’éventualité d’une enquête définitive de dommage le Tribunal recueillera des données sur les prix de produits de référence.

[38] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que les marchandises en cause ont entraîné, au minimum, une sous-cotation marquée du prix des marchandises similaires.

Compression des prix

[39] Magotteaux soutient qu’à cause de la pression sur les prix exercée par les marchandises en cause, elle a été incapable d’augmenter ses prix de vente au diapason de l’augmentation des coûts des matières premières, coûts additionnels qu’elle a dû absorber. Magotteaux soutient aussi que la pression sur les prix a forcé ses prix à la baisse plus que ceux des matières premières lorsque ceux-ci ont baissé.

[40] Les éléments de preuve suggèrent un certain degré de compression des prix liée au fait que le producteur national a été incapable de refléter, dans ses prix, les augmentations de prix des matières premières qui ont eu lieu début 2018 et début 2020. Toutefois, les prix des matières premières semblent avoir diminué au cours de la plus grande partie de la période pour laquelle la plainte fournit des renseignements [28] . Bien que la plainte fournisse certains éléments de preuve de compression des prix (c’est-à-dire de l’incapacité de la branche de production nationale d’augmenter ses prix afin de refléter les augmentations de coûts), cela est insuffisant pour démontrer qu’il y a eu compression marquée des prix. Le Tribunal examinera plus en profondeur la question de la compression des prix dans le contexte de son enquête définitive de dommage.

Incidence des marchandises sous-évaluées et subventionnées sur la branche de production nationale

[41] Dans le cadre de son analyse aux termes de l’alinéa 37.1(1)c) du Règlement, le Tribunal tient compte de l’incidence des marchandises en cause sur la situation de la branche de production nationale [29] . De plus, aux termes de l’alinéa 37.1(3)a) du Règlement, le Tribunal examine s’il existe un lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises et le dommage subi (le cas échéant) selon l’incidence qu’a sur la branche de production nationale le volume des marchandises sous-évaluées et subventionnées et l’effet de ces marchandises sur les prix. Le critère qui s’applique consiste à déterminer s’il y a une indication raisonnable que le dumping et le subventionnement des marchandises en cause ont, à eux seuls, causé un dommage.

[42] Magotteaux allègue que les marchandises en cause ont causé un dommage sensible à la branche de production nationale en raison de la sous-cotation des prix, de la baisse des prix, de la compression des prix, et de la perte de ventes et de parts de marché, ce qui a entraîné une réduction des ventes, du volume de production, de la profitabilité, de l’utilisation de la capacité, des emplois et des salaires, et des répercussions négatives sur les investissements.

[43] Les éléments de preuve indiquent que le volume de la production et des ventes de la branche de production nationale a diminué en 2018 ainsi qu’en 2019 [30] . Les ventes à l’exportation ont augmenté au cours de la même période [31] . Toutefois, cette amélioration dans les résultats ayant trait aux exportations du producteur national n’est pas au point d’avoir annulé l’importance de l’incidence des marchandises en cause sur les ventes nationales de la branche de production nationale et de sa production nationale destinée à être vendue au pays.

[44] Les éléments de preuve indiquent que les marchandises en cause ont rapidement acquis une part de marché aux dépens de la branche de production nationale. En 2017, la part de marché de la branche de production nationale était de 88,2 p. 100. L’année suivante (2018), ce chiffre a baissé à 78,2 p. 100. La part de marché de la branche de production nationale a chuté de façon marquée en 2019 jusqu’à 56,5 p. 100, cette tendance à la baisse se poursuivant au cours des trois premiers trimestres de 2020, ne laissant à la branche de production nationale que 45,7 p. 100 de part de marché [32] . Au cours de la même période, les marchandises en cause ont progressivement augmenté leur part de marché de 4,8 p. 100 en 2017 à 54 p. 100 pendant les trois premiers trimestres de 2020. Les éléments de preuve indiquent par ailleurs que les importations de pays non visés ont perdu des parts de marché au cours de la même période, passant de 7,0 p. 100 en 2017 à 0,3 p. 100 au cours des trois premiers trimestres de 2020.

[45] La part de marché accrue acquise par les marchandises en cause, ce qui s’est produit lorsque les marchandises en cause ont entraîné la sous-cotation des prix des marchandises similaires, indique que les marchandises en cause ont supplanté des ventes qui, sans quoi, auraient été effectuées par la branche de production nationale ou au profit d’importations non visées.

[46] L’utilisation de la capacité de la branche de production nationale est restée à des niveaux relativement élevés, mais a suivi une tendance à la baisse [33] . Les emplois et les salaires semblent aussi avoir diminué, mais les données fournies dans la plainte sont incomplètes en ce qui concerne ces facteurs [34] .

[47] Les événements négatifs décrits ci-dessus se sont déroulés en même temps que le volume des importations de marchandises en cause a brusquement augmenté, en quantités absolues et relatives, et en même temps que, selon les éléments de preuve au dossier, les marchandises en cause entraînaient la sous‑cotation des prix des marchandises similaires.

[48] En tenant compte qu’une norme de preuve moins stricte s’applique lors d’une enquête préliminaire de dommage, le Tribunal conclut que les éléments de preuve au dossier indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en cause ont causé un dommage sensible à la branche de production nationale.

[49] Le Tribunal examinera plus en profondeur les facteurs ci-dessus, et leur incidence, dans le contexte de l’enquête définitive. Le Tribunal prendra aussi en considération la tournure des événements ayant trait à d’autres facteurs et indices, tels que le rendement financier du producteur national ou l’incidence sur ses investissements. En ce qui concerne les investissements, il est allégué dans la plainte que la concurrence des importations de marchandises en cause a eu des répercussions sur les investissements prévus de Magotteaux, et qu’il est peu probable que la direction de l’entreprise soit en faveur de dépenses en investissement dans ses installations, étant donné l’incidence de la concurrence déloyale des importations de marchandises en cause.

[50] Comme il y a une indication raisonnable que les marchandises en cause ont causé un dommage, le Tribunal n’a pas à examiner la question de savoir s’il y a une indication raisonnable que les marchandises en cause menacent de causer un dommage. Il n’examinera pas cette question par souci d’économie des ressources judiciaires.

CONCLUSION

[51] Le Tribunal conclut que les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement des marchandises en cause ont causé ou menacent de causer un dommage à la branche de production nationale.

Susan D. Beaubien

Susan D. Beaubien
Membre présidant

Randolph W. Heggart

Randolph W. Heggart
Membre

Serge Fréchette

Serge Fréchette
Membre

 



[1] L.R.C., 1985, ch. S-15 [LMSI].

[2] Pièce PI-2020-006-05 aux par. 85, 108.

[3] Pièce PI-2020-006-05 au par. 39.

[4] Pièce PI-2020-006-05 au par. 15.

[5] Maïs-grain (10 octobre 2000), PI-2000-001 (TCCE) à la p. 5.

[6] Ronald A. Chisholm Ltd. v. Deputy M.N.R.C.E. (1986), 11 CER 309 (FCTD) [en anglais seulement].

[7] Tôles fortes (27 juillet 2020), PI-2020-001 (TCCE) au par. 36.

[8] D.O.R.S./84-927 [Règlement].

[9] Lorsqu’il examine la question de savoir si les éléments de preuves indiquent, de façon raisonnable, que le dumping ou le subventionnement des marchandises en cause menace de causer un dommage, le Tribunal se fonde sur le paragraphe 37.1(2) du Règlement, qui énonce les facteurs dont le Tribunal doit tenir compte dans son analyse de menace de dommage.

[10] Barres d’armature pour béton (12 août 2014), PI-2014-001 (TCCE) au par. 19.

[11] L’article 5 de l’Accord antidumping de l’OMC et l’article 11 de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC exigent d’une autorité chargée d’une enquête qu’elle examine l’exactitude et l’adéquation des éléments de preuve fournis dans une plainte de dumping ou de subventionnement afin de déterminer s’il y a des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’une enquête; une plainte sera rejetée ou une enquête sera close dès que l’autorité concernée sera convaincue que les éléments de preuve relatifs au dumping ou subventionnement, ou au dommage, ne sont pas suffisants pour justifier la poursuite de la procédure, les affirmations non étayées par des éléments de preuve pertinents ne constituant pas des éléments de preuve suffisants.

[12] Pièce PI-2020-006-05 au par. 43.

[13] L’expression « proportion majeure » s’entend d’une proportion importante ou considérable de la production collective nationale de marchandises similaires, et pas forcément d’une majorité : Electrical Manufacturers Association c. Canada (Tribunal antidumping), [1986] 2 C.F. 652 (C.A.F.); McCulloch of Canada Limited et McCulloch Corporation c. Le Tribunal antidumping, [1978] 1 C.F. 222 (C.A.F.); Rapport du Groupe spécial, Chine – Automobiles (États-Unis), WT/DS440/R, au par. 7.207; Rapport de l’Organe d’appel, CE – Éléments de fixation (Chine), WT/DS397/AB/R aux par. 411, 419, 430; Rapport du Groupe spécial, Argentine – Droits antidumping sur la viande de volaille, WT/DS241/R aux par. 7.341-7.344.

[14] Pièce PI-2020-006-02.01 à la p. 214.

[15] Voir par exemple Feuilles d’acier résistant à la corrosion (7 janvier 2020), PI-2019-002 (TCCE) au par. 36.

[16] Comme les marchandises en cause sont originaires d’un seul pays (l’Inde), la question du cumul tel que défini au paragraphe 42(3) de la LMSI ne se pose ni dans le cadre de la présente enquête préliminaire ni dans celui d’une enquête définitive de dommage.

[17] Pièce PI-2020-006-05 au par. 50; pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) à la p. 30.

[18] Pièce PI-2020-006-03.02 (protégée) à la p. 13.

[19] Pièce PI-2020-006-03.02 (protégée) à la p. 13; pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 77, 80, 500-515.

[20] Pièce PI-2020-006-03.02 (protégée) à la p. 13.

[21] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 239-249.

[22] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 64, 71-72, 240-241, 246; pièce PI-2020-006-02.01 aux p. 71-72.

[23] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) à la p. 248.

[24] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 73, 249, 292-323.

[25] Pièce PI-2020-006-02.01 à la p. 217.

[26] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 239-240, 244-245.

[27] Pièce PI-2020-006-03.02 (protégée) à la p. 45; pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 500-515.

[28] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 499, 1537.

[29] Les facteurs et les indices économiques pertinents ayant une incidence sur la situation de la branche de production nationale comprennent (i) tout déclin réel ou potentiel dans la production, les ventes, la part du marché, les bénéfices, la productivité, le rendement sur capital investi ou l’utilisation de la capacité de la branche de production, (ii) toute incidence négative réelle ou potentielle sur les liquidités, les stocks, les emplois, les salaires, la croissance ou la capacité de financement, et (iii) l’importance de la marge de dumping des marchandises ou du montant de subvention octroyé pour celles-ci.

[30] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 75, 77, 134, 498.

[31] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 75, 77, 498, 1532-1533.

[32] Pièce PI-2020-006-05 au par 51.

[33] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) à la p. 134.

[34] Pièce PI-2020-006-03.01 (protégée) aux p. 134-135.

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