CYCLES LAMBERT INC.


CYCLES LAMBERT INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2011-049

Décision et motifs rendus
le jeudi 22 novembre 2012


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 11 octobre 2012 en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 19 septembre 2011 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CYCLES LAMBERT INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)

Date de l’audience : le 11 octobre 2012

Membre du Tribunal : Serge Fréchette, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Nick Covelli
Laura Little

Gestionnaire, Programmes et services du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Ekaterina Pavlova

PARTICIPANTS :

Appelante Conseiller/représentant
Cycles Lambert Inc. Michael Kaylor
Intimé Conseiller/représentant
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Geneviève Lecours

TÉMOINS :

Jean-Paul Brutus
Médecin

Sylvain Gagnon
Médecin

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel a été interjeté par Cycles Lambert Inc. (Cycles Lambert) le 6 décembre 2011, aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes1, à l’égard d’une révision d’un classement tarifaire, datée du 19 septembre 2011, faite par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (AFSC) aux termes du paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si des gants de cycliste (les marchandises en cause) sont correctement classés dans le numéro tarifaire 6116.93.00 de l’annexe du Tarif des douanes2 à titre de gants, mitaines et moufles en bonneterie de fibres synthétiques, comme l’a déterminé l’AFSC, ou s’ils doivent être classés dans le numéro tarifaire 9021.10.00 à titre d’articles et appareils d’orthopédie ou pour fractures, comme le soutient Cycles Lambert.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

3. Cycles Lambert a importé les marchandises en cause en juin 2007. Les marchandises en cause ont été classées dans le numéro tarifaire 6116.93.00.

4. Le 11 mai 2011, Cycles Lambert a présenté une demande de révision du classement tarifaire des marchandises en cause, aux termes du paragraphe 74(1) de la Loi, dans laquelle elle demandait que celles-ci soient classées dans le numéro tarifaire 9021.10.00.

5. Le 18 juillet 2011, aux termes de l’alinéa 59(1)a) de la Loi, l’ASFC a confirmé le classement des marchandises en cause dans le numéro tarifaire 6116.93.003.

6. Le 29 juillet 2011, Cycles Lambert a demandé un réexamen du classement tarifaire des marchandises en cause en application du paragraphe 60(1) de la Loi.

7. Le 19 septembre 2011, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, l’ASFC a réaffirmé sa décision antérieure, confirmant le classement des marchandises en cause dans le numéro tarifaire 6116.93.00.

8. Le 6 décembre 2011, Cycles Lambert a déposé un avis d’appel auprès du Tribunal.

9. Le 11 octobre 2012, le Tribunal a tenu une audience à Ottawa (Ontario).

10. Deux témoins ont comparu à l’audience. Le Dr Jean-Paul Brutus a témoigné au nom de Cycles Lambert à titre d’expert en anatomie de la main, du poignet et de l’avant-bras. Le Dr Sylvain Gagnon a témoigné au nom de l’ASFC à titre d’expert en chirurgie microvasculaire de la main et en neuropathie compressive.

MARCHANDISES EN CAUSE

11. Dans un énoncé conjoint des faits signé par les parties, les marchandises en cause sont décrites comme divers styles de gants de cyclisme à doigts courts pour homme et femme, en bonneterie et en fibres synthétiques, pourvus de coussinets en gel sur l’empaumure4.

12. Plus particulièrement, la transaction en question concernait les marques de commerce et les numéros de modèle des marchandises en cause suivants :

gants pour homme Evo Exotek Gel (G-24 no 870049)

gants pour homme Evo Exotek Gel (G-24 no 870050)

gants pour homme Evo Pilot Super Gel (G-6A no 870051, no 870052)

gants pour homme et femme Comfort Super Gel (G-5A no 870053, no 870054)

gants pour homme et femme Comfort [...] Gel (G-5 no 870056)5

[Traduction]

CADRE LÉGISLATIF

13. Dans des appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi concernant les questions de classement tarifaire, le Tribunal détermine le classement tarifaire de marchandises conformément aux règles d’interprétation prescrites.

14. L’annexe du Tarif des douanes est conçu afin d’être conforme au Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le Système harmonisé) élaboré par l’Organisation mondiale des douanes6. L’annexe est divisée en sections et en chapitres et les chapitres 1 à 98 contiennent une liste de marchandises classées dans des positions, sous-positions et numéros tarifaires. Le chapitre 99 est divisé en numéros tarifaires seulement.

15. Le paragraphe 10(1) du Tarif des douanes prévoit que le classement est effectué, sauf indication contraire, en conformité avec les Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé7 et les Règles canadiennes8 énoncées à l’annexe.

16. Les Règles générales sont composées de six règles structurées en cascade, de sorte qu’il faut d’abord déterminer si le classement au niveau de la position peut être établi en application de la Règle 1, qui prévoit que « [...] le classement [est] déterminé [...] d’après les termes des positions et des Notes de Sections ou de Chapitres [...] ». Si le classement des marchandises ne peut être déterminé conformément à la Règle 1, il faut alors tenir compte de la Règle 2, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le classement soit établi.

17. Conformément à la Règle 6 des Règles générales, « [l]e classement des marchandises dans les sous-positions d’une même position est déterminé légalement d’après les termes de ces sous-positions et des Notes de sous-positions ainsi que, mutatis mutandis, d’après les Règles ci-dessus [c’est-à-dire les Règles 1 à 5] [...] ». En ce qui concerne les numéros tarifaires, la Règle 1 des Règles canadiennes prévoit que les marchandises doivent être classées « [...] d’après les termes de ces numéros tarifaires et des Notes supplémentaires ainsi que, mutatis mutandis, d’après les [Règles générales] [...] ».

18. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions, le Tribunal doit tenir compte des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises9. Bien que les Notes explicatives n’aient pas force exécutoire pour le Tribunal, il faut les respecter, à moins qu’il n’existe un motif valable de ne pas le faire10.

NOMENCLATURE TARIFAIRE

19. Les dispositions pertinentes du Tarif des douanes prévoient ce qui suit :

61.16 Gants, mitaines et moufles, en bonneterie.

[...]

-Autres :

[...]

6116.93.00 - -De fibres synthétiques

[...]

90.21 Articles et appareils d’orthopédie, y compris les ceintures et bandages médico-chirurgicaux et les béquilles; attelles, gouttières et autres articles et appareils pour fractures; articles et appareils de prothèse; appareils pour faciliter l’audition aux sourds et autres appareils à tenir à la main, à porter sur la personne ou à implanter dans l’organisme, afin de compenser une déficience ou une infirmité.

[...]

9021.10.00 -Articles et appareils d’orthopédie ou pour fractures

20. Les notes du chapitre 61 prévoient ce qui suit :

1. Le présent Chapitre ne comprend que des articles confectionnés en bonneterie.

2. Ce Chapitre ne comprend pas :

a) les articles du no 62.12;

b) les articles de friperie du no 63.09;

c) les appareils d’orthopédie, tels que bandages herniaires, ceintures médico-chirurgicales (no 90.21).

[Nos italiques]

21. Les Notes explicatives de la position no 61.16 prévoient ce qui suit :

Cette position couvre tous les articles de ganterie en bonneterie, ans qu’il soit fait de distinction entre ceux pour femmes ou fillettes et ceux pour hommes ou garçonnets. Il s’agit ici aussi bien des gants dont tous les doigts sont séparés les uns des autres que des moufles, qui comportent tout au plus une séparation pour le pouce, et des mitaines, qui laissent à découvert le bout des doigts. Les gants peuvent être courts et s’arrêter au poignet, ou être mi-longs ou longs de manière à recouvrir l’avant-bras et même quelquefois une partie du bras.

Les articles de ganterie non terminés, en bonneterie sont également classés ici, à condition d’en présenter les caractéristiques essentielles.

Sont exclus de la présente position :

a) Les gants, mitaines et moufles en bonneterie, fourrés intérieurement de pelleteries naturelles ou factices, ou comportant des parties extérieures de pelleteries naturelles ou factices dont le rôle excède celui de simples garnitures (nos 43.03 ou 43.04).

b) Les gants, mitaines et moufles pour bébés (no 61.11).

c) Les articles de ganterie en matières textiles, autres qu’en bonneterie (no 62.16).

d) Les gants (moufles) pour frictions et les gants de toilette (no 63.02).

[Nos italiques]

22. Les notes du chapitre 90 définissent l’expression « articles et appareils orthopédiques » comme suit :

6. Au sens du no 90.21, on considère comme articles et appareils orthopédiques les articles et appareils servant :

- soit à prévenir ou à corriger certaines difformités corporelles;

- soit à soutenir ou à maintenir des parties du corps à la suite d’une maladie, d’une opération ou d’une blessure.

Les articles et appareils orthopédiques comprennent les chaussures orthopédiques ainsi que les semelles intérieures spéciales, conçues en vue de corriger les affections orthopédiques du pied, pour autant qu’elles soient 1) fabriquées sur mesure ou 2) fabriquées en série, présentées par unités et non par paires et conçues pour s’adapter indifféremment à chaque pied.

[Nos caractères gras]

23. En plus de la définition ci-dessus, les Notes explicatives de la position no 90.21 dressent une liste d’« appareils orthopédiques » :

On peut citer, parmi ces articles et appareils :

1) Les appareils pour la coxalgie.

2) Les appareils utilisés après la résection de l’humérus.

3) Les appareils pour maxillaires.

4) Les appareils dits palettes pour le redressement des doigts.

5) Les appareils pour le redressement de la tête et de la colonne vertébrale (mal de Pott).

6) Les chaussures orthopédiques et les semelles intérieures spéciales, conçues en vue de corriger les affections orthopédiques du pied, pour autant qu’elles soient 1) fabriquées sur mesure ou 2) fabriquées en série, présentées par unités et non par paires et conçues pour s’adapter indifféremment à chaque pied.

7) Les articles d’orthodontie (appareils de redressement, arcs, bagues, etc.) utilisés pour corriger les difformités de la denture.

8) Les appareils pour l’orthopédie du pied (pour pieds-bots, de décharge pour la jambe, avec ou sans ressort pour le pied, releveurs de pieds, etc.).

9) Les bandages herniaires (inguinaux, cruraux, ombilicaux, etc.).

10) Les appareils redresseurs contre la scoliose et la déviation de la taille, ainsi que tous corsets et ceintures médico-chirurgicaux (y compris certaines ceintures antiptosiques) caractérisés :

a) soit par la présence de pelotes, coussins, buscs ou ressorts spéciaux adaptables selon le patient;

b) soit par la nature des matières constitutives (cuir, métal, matières plastiques, etc.);

c) soit encore par la présence de parties renforcées, de pièces rigides en tissu ou de bandes de différentes largeurs.

La conception spéciale de ces articles répond à une fonction orthopédique déterminée et les différencie des corsets ou ceintures ordinaires, même si ces derniers jouent aussi un rôle effectif de support ou de maintien.

11) Les suspensoirs orthopédiques (à l’exclusion des simples suspensoirs en bonneterie, par exemple).

[...]

Sont exclus de la présente position :

a) Les bas à varices (no 61.15).

b) Les simples protecteurs ou réducteurs de pression des callosités du pied (no 39.26, lorsqu’ils sont en matière plastique ou no 40.14, lorsqu’ils sont en caoutchouc alvéolaire fixé sur gaze à l’aide d’un sparadrap adhésif).

c) Les ceintures et bandages du type de ceux visés dans la Note 1 b) du présent Chapitre tels que les ceintures de grossesse ou les ceintures de maternité (nos 62.12 ou 63.07, généralement).

d) Les chaussures de série dont le semelage comporte simplement un relief destiné à soutenir la voûte plantaire (Chapitre 64).

[Nos italiques]

POSITION DES PARTIES

Cycles Lambert

24. Cycles Lambert soutient que les marchandises en cause doivent être classées dans la position no 90.21 à titre d’« appareils orthopédiques ».

25. Cycles Lambert soutient que les marchandises en cause sont conformes à la note 6 du chapitre 90 parce que ce sont des appareils servant à prévenir certaines difformités corporelles. Plus particulièrement, Cycles Lambert affirme que la neuropathie cubitale et le syndrome du canal carpien (SCC) sont des difformités corporelles qui peuvent être causées par la compression des nerfs dans les mains des cyclistes et prévenues en utilisant des gants de cyclisme dont la paume est rembourrée de gel.

26. À cet égard, Cycles Lambert se fonde sur la définition des mots suivants tirée des dictionnaires11 :

« deformity » (difformité) [...] caractère de ce qui est difforme [...] partie du corps [...] difforme [...]

« bodily » (corporel) [...] physique : opposé à MENTAL 2. qui concerne le corps [...]

« physical » (physique) [...] 5. a) qui concerne le corps, opposé à l’esprit (exercice physique) [...]

« prevent » (prévenir) [...] 3. empêcher une chose d’arriver; rendre impossible par des précautions; entraver – v. intr. faire obstacle à [...]

[Traduction]

27. Cycles Lambert renvoie au mot « appliance » (appareil) défini comme « [...] un dispositif ou une machine pour exécuter une tâche précise, en particulier activé mécaniquement ou au moyen de l’électricité »12 [traduction], puis au mot « device » (dispositif) défini comme « [...] une pièce d’équipement ou mécanisme destiné à être utilisé à une fin particulière ou à remplir une fonction spéciale »13 [traduction].

28. Cycles Lambert soutient que la liste d’« appareils orthopédiques » énoncés dans les Notes explicatives de la position no 90.21 n’est pas exhaustive et que le Parlement a voulu donner une portée assez large au sens « ordinaire » du mot « appareil » selon le contexte législatif particulier dans lequel il est utilisé en l’espèce14.

ASFC

29. L’ASFC soutient que l’exclusion des « appareils orthopédiques » du chapitre 61 énoncés dans la note 2c) ne s’applique pas parce que les marchandises en cause ne sont pas des « appareils orthopédiques » et ne peuvent donc être classées dans la position no 90.21. Plus particulièrement, l’ASFC soutient que les marchandises ne sont pas comprises dans la définition d’« appareils orthopédiques » énoncée à la note 6 du chapitre 90, c’est-à-dire d’appareils qui servent à prévenir des « difformités corporelles », pour les motifs suivants :

  • le fait que les gants de cyclisme diminuent quelque peu la pression exercée sur les mains ou qu’ils soient expressément conçus et rembourrés pour le cyclisme ne suffit pas pour conclure qu’ils servent à prévenir des difformités corporelles;
  • la seule utilisation de gants de cyclisme ne prévient pas la neuropathie cubitale ou le SCC, puisque d’autres facteurs, comme l’ergonomie de la bicyclette et le positionnement des mains, peuvent également contribuer à ces troubles;
  • les marchandises sont portées pour de nombreuses fins non orthopédiques, y compris « [...] le confort, une meilleure adhérence aux poignées du guidon, une protection contre les éléments et la sécurité en cas de chute »15 [traduction] et ne sont donc pas analogues aux « appareils orthopédiques » énumérés dans les Notes explicatives de la position no 90.21;
  • les marchandises en cause sont vendues dans des magasins de détail d’articles de sport, et non par des détaillants de fournitures médicales;
  • la documentation sur les produits et la facture commerciale ne décrivent pas les marchandises en cause comme des « appareils orthopédiques » ni ne font mention de la nature orthopédique de celles-ci;
  • les marchandises en cause ne sont généralement pas utilisées en orthopédie et/ou conçues pour fonctionner comme des appareils à des fins orthopédiques.

30. L’ASFC adopte la position selon laquelle les marchandises en cause sont correctement classées dans la position no 61.16 parce que, selon la description des marchandises en cause dans l’énoncé conjoint des faits, elles sont expressément désignées dans cette position à titre de « gants » « en bonneterie » de fibres synthétiques et respectent le libellé de celle-ci (et celui des Notes explicatives connexes). L’ASFC se fonde également sur ce qui suit :

  • le mot « glove » (gant) tel que défini dans le dictionnaire;
  • l’utilisation courante dans le secteur d’activité du mot « gant » pour décrire les marchandises en cause;
  • le catalogue de produits de Cycles Lambert décrit les marchandises en cause comme des « gants de cyclisme » [traduction];
  • la facture commerciale de la transaction en question décrit les marchandises en cause comme des « gants de sport » [traduction].

ANALYSE

31. Compte tenu du libellé de la position no 61.16, des Notes explicatives de ladite position et de la description des marchandises en cause donnée dans l’énoncé conjoint des faits des parties, il ressort clairement que les marchandises en cause peuvent, de prime abord, être classées dans la position no 61.16, conformément à la Règle 1 des Règles générales, puisque que ce sont des gants en bonneterie.

32. Cependant, en raison de la note 2c) du chapitre 61, si les marchandises en cause sont comprises dans la définition d’« appareils orthopédiques » de la note 6 du chapitre 90, elles doivent plutôt être classées dans la position no 90.21.

33. Comme indiqué précédemment, Cycles Lambert affirme que les marchandises en cause sont des appareils orthopédiques parce que ce sont des appareils qui servent à « prévenir ou à corriger certaines difformités corporelles », à savoir la neuropathie cubitale et le SCC.

34. Par conséquent, pour que le présent appel soit accueilli, Cycles Lambert doit établir ce qui suit : 1) la neuropathie cubitale ou le SCC est une difformité corporelle; 2) les marchandises en cause servent à prévenir ou à corriger la neuropathie cubitale ou le SCC; 3) les marchandises en cause sont des appareils.

35. Il est évident que le terme « difformité corporelle » laisse entendre que la difformité doit être relative au corps. À cet égard, il n’est pas contesté que la neuropathie cubitale et le SCC touchent des parties du corps, à savoir le nerf cubital ou médian de la main ou du poignet16.

36. La neuropathie cubitale ou le SCC constitue-t-il une « difformité » de la main ou du poignet, ou du nerf cubital ou médian en particulier?

37. Le terme « deformity » (difformité) est défini de la manière suivante : « 1 fait d’être difforme; laideur, défigurement. 2 malformation, en particulier du corps ou d’un de ses membres »17 [traduction]. Le terme « deformed » (difforme) est défini de la manière suivante : « 1 déformé (en parlant d’une personne ou d’un de ses membres) »18 [traduction].

38. La définition médicale du terme « deformity » est semblable et est formulée comme suit : « Anomalie de la forme, donnant lieu à une altération physique [...] »19 [traduction].

39. Le Dr Brutus ne s’est pas prononcé sur le sens de l’expression « difformité corporelle » au cours de sa comparution. Toutefois, le Dr Gagnon a déclaré qu’au sens médical, une « difformité corporelle » s’entend d’une déformation, d’une altération physique, d’une malformation congénitale, d’un désalignement ou d’une anomalie dans la forme du corps20.

40. Par conséquent, pour constituer une « difformité » au sens ordinaire du mot, la neuropathie cubitale ou le SCC doit causer une altération, une malformation, une déformation ou un désalignement du nerf cubital ou médian.

41. Le Dr Gagnon a donné des exemples de difformités corporelles. Plus particulièrement, il a mentionné une « colonne vertébrale déformée » [traduction] et un « flexum du genou »21 [traduction]. Il a également fait mention de dispositifs pour la colonne vertébrale, la hanche et la cheville22. Au moins trois de ces exemples correspondent à la liste d’appareils figurant dans les Notes explicatives de la position no 90.21. Plus particulièrement, la liste comprend des dispositifs pour traiter la déviation de la colonne vertébrale. Bien qu’il n’y ait aucune mention expresse du genou, la liste n’a qu’une valeur illustrative. Outre la colonne vertébrale et la hanche, d’autres parties du corps expressément désignées semblent être sui generis par rapport à la colonne vertébrale et au genou : les jambes, les doigts, la tête, les maxillaires, la denture et les pieds. Il s’agit tous de membres ou de parties du squelette. Par conséquent, les exemples du Dr Gagnon semblent appropriés.

42. La cause de Cycles Lambert est fondée sur le fait que la neuropathie cubitale et le SCC constituent des difformités d’une partie du corps de type très différent : les vaisseaux sanguins.

43. La neuropathie cubitale et le SCC sont des problèmes courants chez les cyclistes23. La pression directe exercée par le cycliste pour tenir les poignées du guidon compresse le nerf cubital, qui est situé dans le « canal de Guyon » au niveau de la main et du poignet24. Le Dr Gagnon et le Dr Brutus ont déclaré que la compression ne modifie en rien la forme du nerf25. Toutefois, ils ont ajouté que la compression du nerf entraîne la diminution du flux sanguin à l’intérieur26. Par conséquent, Cycles Lambert adopte la position selon laquelle la neuropathie cubitale modifie la forme du corps, c’est-à-dire des vaisseaux sanguins dans le nerf cubital, donc le déforme27. Bien que le témoignage du Dr Brutus ait essentiellement porté sur la neuropathie cubitale, il semble que le même argument s’applique relativement au SCC, qui consiste en la compression du nerf médian au niveau du poignet28.

44. Le Tribunal est d’avis que cet argument comporte plusieurs problèmes.

45. Premièrement, en ce qui concerne les parties du corps figurant dans la liste des Notes explicatives de la position no 90.21, il est évident qu’un vaisseau sanguin est très différent, puisqu’il ne s’agit ni d’un membre ni d’une partie du squelette.

46. Deuxièmement, les Notes explicatives de la position no 90.21 excluent de ladite position les « [...] réducteurs de pression des callosités du pied [...] ». Par analogie, il semble raisonnable de déduire que les troubles causés par la pression exercée sur certaines parties de la main ou du poignet ne constituent pas des « difformités corporelles ».

47. Troisièmement, la même liste indique également que les varices sont un type de trouble qui ne constitue pas une « difformité corporelle ». Puisqu’il s’agit d’un trouble lié au système sanguin, le Tribunal est d’avis que les vaisseaux sanguins sont davantage semblables aux veines qu’ils ne le sont à la colonne vertébrale, à la tête ou aux maxillaires.

48. Quatrièmement, au cours de son témoignage, le Dr Brutus n’a pas, dans les faits, qualifié la neuropathie cubitale ou le SCC de « difformité ». Il a plutôt qualifié les symptômes subséquents de « [...] troubles sensoriels et de troubles moteurs [...] »29 [traduction].

49. Pour sa part, le Dr Gagnon a expressément déclaré que la neuropathie cubitale n’est pas une « difformité corporelle »30. Il a plutôt décrit la neuropathie cubitale, lorsqu’elle entraîne une lésion permanente du nerf, comme une « maladie » [traduction] ou une « dysfonction »31 [traduction]. Il a également qualifié le SCC de « maladie »32 [traduction].

50. L’opinion du Dr Gagnon est conforme à la définition du terme « neuropathy » (neuropathie), qui s’entend d’une « maladie ou dysfonction d’un ou de plusieurs nerfs périphériques »33 [traduction].

51. La documentation médicale versée au dossier ne comporte aucune description de la neuropathie cubitale ou du SCC en tant que « difformité ». La compression nerveuse en général est plutôt qualifiée de « trouble »34 [traduction]. Le SCC est un « syndrome »35 [traduction]. La neuropathie cubitale est couramment qualifiée de « Cyclist’s Palsy » (paralysie du cycliste) ou de « Handlebar Palsy » (paralysie causée par la tenue du guidon)36. À cet égard, le terme « palsy » est défini de la manière suivante : « spécialt, paralysie accompagnée de tremblements involontaires »37 [traduction]. Il n’est aucunement fait mention des mots « difformité », « difforme », « déformation », « altération physique », « malformation », « déformé », « désalignement » ou de termes descriptifs semblables.

52. De plus, il n’apparaît même pas clairement que la compression du nerf et la diminution de la circulation dans les vaisseaux sanguins du nerf modifient la forme des vaisseaux sanguins. Le Dr Gagnon a exprimé l’opinion selon laquelle il n’y a « [...] pas de modifications d’ordre physique »38 [traduction].

53. Par conséquent, Cycles Lambert n’a pas réussi à démontrer que la neuropathie cubitale et le SCC sont des « difformités corporelles ».

54. Par conséquent, la question de savoir si les marchandises en cause sont des appareils qui servent à prévenir ou à corriger la neuropathie cubitale ou le SCC est sans objet; les marchandises en cause ne sont pas des appareils orthopédiques de la position no 90.21.

55. Par conséquent, la note 2c) du chapitre 61 ne s’applique pas, et les marchandises en cause doivent être classées dans la position no 61.16 en application de la Règle 1 des Règles générales.

56. Puisque les marchandises en cause sont composées de fibres synthétiques, le Tribunal conclut qu’elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 6116.93.00 en application de la Règle 6 des Règles générales et de la Règle 1 des Règles canadiennes, comme l’a déterminé l’ASFC.

DÉCISION

57. L’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-08A, onglet 1, pièce « C ».

4 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-08A, onglet 1 au para. 10 et pièces « C » et « D ».

5 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-08A, onglet 1 au para. 8.

6 . Le Canada est l’un des pays signataires de la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui régit le Système harmonisé.

7 . L.C. 1997, c. 36, annexe [Règles générales].

8 . L.C. 1997, c. 36, annexe.

9 . Organisation mondiale des douanes, 5e éd., Bruxelles, 2012 [Notes explicatives]. L’article 11 du Tarif des douanes prévoit également qu’il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, Organisation mondiale des douanes, 2e éd., Bruxelles, 2003, mais aucun avis de classement ne s’applique en l’espèce.

10 . Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131 (CanLII) [Suzuki] aux para. 13, 17.

11 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-04A au para. 4; pièce du Tribunal AP-2011-049-14B, onglet 13 aux pp. 112-113.

12 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-04A au para. 11.

13 . Ibid. au para. 10.

14 . Ibid. aux para. 12-15; Transcription de l’audience publique, 11 octobre 2012, à la p. 88.

15 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-08A au para. 36.

16 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-19A, onglet 2 à la p. 26, onglet 3 aux pp. 44, 48-49; pièce du Tribunal AP-2011-049-20A à la p. 3.

17 . Canadian Oxford Dictionary, Thumb Index Edition, s.v. « deformity ».

18 . Ibid., s.v. « deformed ».

19 . Stedman’s Medical Dictionary, 23e éd., pièce du Tribunal AP-2011-049-20A à la p. 80.

20 . Transcription de l’audience publique, 11 octobre 2012, à la p. 58.

21 . Ibid. à la p. 59.

22 . Ibid. à la p. 59.

23 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-19A, onglet 3 à la p. 43; pièce du Tribunal AP-2011-049-20A à la p. 71.

24 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-19A, onglet 2 à la p. 26, onglet 3 à la p. 44, Transcription de l’audience publique, 11 octobre 2012, aux pp. 10, 47.

25 . Transcription de l’audience publique, 11 octobre 2012, aux pp. 33-34, 77.

26 . Ibid. aux pp. 33-34, 77.

27 . Ibid. aux pp. 89, 96.

28 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-20A à la p. 63; Transcription de l’audience publique, 11 octobre 2012, à la p. 50.

29 . Transcription de l’audience publique, 11 octobre 2012, à la p. 10; pièce du Tribunal AP-2011-049-20A aux pp. 64, 71.

30 . Transcription de l’audience publique, 11 octobre 2012, à la p. 58.

31 . Ibid. aux pp. 49, 55-56.

32 . Ibid. aux pp. 48-49, 56; pièce du Tribunal AP-2011-049-20A à la p. 2.

33 . Canadian Oxford English Dictionary, Thumb Index Edition, s.v. « neuropathy ».

34 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-20A aux pp. 65, 71.

35 . Ibid. à la p. 66.

36 . Pièce du Tribunal AP-2011-049-19A, onglets 2, 3. Le SCC dont souffrent les cyclistes est aussi qualifié de la même manière. Pièce du Tribunal AP-2011-049-20A à la p. 76.

37 . Canadian Oxford English Dictionary, Thumb Index Edition, s.v. « palsy ».

38 . Transcription de l’audience publique, 11 octobre 2012, à la p. 78.