R. ATKINSON


R. ATKINSON
c.
PRÉSIDENT DE L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2012-065

Décision et motifs rendus
le mercredi 20 novembre 2013


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 22 août 2013 en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l'Agence des services frontaliers du Canada le 21 novembre 2012 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

R. ATKINSON Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L'appel est rejeté.

Daniel Petit
Daniel Petit
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Date de l'audience : le 22 août 2013

Membre du Tribunal : Daniel Petit, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Eric Wildhaber
Anca Petrescu (stagiaire en droit)

Gestionnaire, Programmes et services du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Ekaterina Pavlova

PARTICIPANTS :

Appelante Conseiller/représentant
R. Atkinson  
Intimé Conseiller/représentant
Président de l'Agence des services frontaliers du Canada Brian Harvey

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes1 à l'égard d'une décision rendue par le président de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), datée du 21 novembre 2012, concernant une demande de révision d'un classement tarifaire aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. M. Atkinson a voulu importer un pistolet airsoft modifié UMAREX Walther P38 (la marchandise en cause)2. Il s'agit d'une reproduction du fameux « U.N.C.L.E. Special » qui figurait dans la série télévisée des années 60 « The Man from U.N.C.L.E. ». La marchandise en cause a été confisquée par l'ASFC le 30 mai 2012 lors de son entrée au Canada3 en vertu d'une décision selon laquelle il s'agit d'un dispositif prohibé, plus particulièrement qu'il s'agit d'une réplique d'un pistolet semi-automatique Walther P38 (un Walter P38)4, et que, par conséquent, elle est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l'annexe du Tarif des douanes5. L'importation au Canada des marchandises du numéro tarifaire 9898.00.00 est interdite aux termes du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

3. Le 12 juin 2012, M. Atkinson a déposé une demande de révision aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi6. Le 21 novembre 2012, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi, l'ASFC a confirmé sa décision7.

4. Le 7 janvier 2013, M. Atkinson a déposé le présent appel auprès du Tribunal8.

5. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commercer extérieur9, audience qui a eu lieu le 22 août 2013.

6. Le Tribunal a examiné la marchandise en cause10 ainsi qu'un Walther P3811.

7. L'ASFC a déposé un rapport12 (le rapport de l'ASFC) rédigé par le commissaire Murray A. Smith de la Gendarmerie royale du Canada, dans lequel sont formulées diverses observations au sujet de la marchandise en cause, y compris ce qui suit : elle mesure 180 mm, elle pèse 480 g, son chargeur a une capacité de 12 + 1 projectiles et elle tire des plombs de 0,2 g à une vitesse initiale de 265 pieds la seconde; la glissière, la détente et le chien sont tous fonctionnels; les inscriptions « Walther P38 » et « 2807 km » apparaissent sur le côté gauche; le côté droit porte le numéro de série « MG 742639 ». Le rapport de l'ASFC conclut que le dispositif reproduit le plus fidèlement possible un Walther P38 fabriqué par Carl Walther Waffenfabrik.

CADRE JURIDIQUE

8. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

L'importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

9. En l'espèce, le Tribunal doit déterminer si la marchandise en cause est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l'annexe du Tarif des douanes, qui prévoit ce qui suit :

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l'assemblage d'armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire, [...]

For the purposes of this tariff item,

Pour l'application du présent numéro tarifaire :

. . . 

[...]

(b) “automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s'entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...]

10. Pour le classement de marchandises dans le numéro tarifaire 9898.00.00, le paragraphe 136(2) du Tarif des douanes prévoit que les Règles générales pour l'interprétation du Système harmonisé13 ne s'appliquent pas. De plus, la note 1 du chapitre 98 prévoit ce qui suit : « Les marchandises qui sont décrites dans une disposition du présent Chapitre peuvent être classées dans ladite disposition si les conditions et exigences de celle-ci et de tout autre règlement applicable sont respectées. »

11. Selon le Tarif des douanes, un « dispositif prohibé » comprend une réplique, telle que définie au paragraphe 84(1) du Code criminel.

12. Le paragraphe 84(1) du Code criminel14 définit « réplique » de la façon suivante :

“replica firearm” means any device [requirement 1] that is designed or intended to exactly resemble, or to resemble with near precision, a firearm, and [requirement 2] that itself is not a firearm, [requirement 3] but does not include any such device that is designed or intended to exactly resemble, or to resemble with near precision, an antique firearm.

« réplique » Tout objet, [2e condition] qui n'est pas une arme à feu, [1re condition] conçu de façon à en avoir l'apparence exacte — ou à la reproduire le plus fidèlement possible — ou auquel on a voulu donner cette apparence. La présente définition [3e condition] exclut tout objet conçu de façon à avoir l'apparence exacte d'une arme à feu historique — ou à la reproduire le plus fidèlement possible — ou auquel on a voulu donner cette apparence.

13. Le terme « arme à feu », pour les fins du numéro tarifaire en question, a la même signification que celle donnée à l'article 2 du Code criminel :

“firearm” means a barrelled weapon from which any shot, bullet or other projectile can be discharged and that is capable of causing serious bodily injury or death to a person, and includes any frame or receiver of such a barrelled weapon and anything that can be adapted for use as a firearm.

« arme à feu » Toute arme susceptible, grâce à un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile, d'infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne, y compris une carcasse ou une boîte de culasse d'une telle arme ainsi que toute chose pouvant être modifiée pour être utilisée comme telle.

14. Le paragraphe 84(1) du Code criminel définit « arme à feu historique » comme suit :

“antique firearm” means

(a) any firearm manufactured before 1898 that was not designed to discharge rim-fire or centre-fire ammunition and that has not been redesigned to discharge such ammunition, or

(b) any firearm that is prescribed to be an antique firearm.

« arme à feu historique » Toute arme à feu fabriquée avant 1898 qui n'a pas été conçue ni modifiée pour l'utilisation de munitions à percussion annulaire ou centrale ou toute arme à feu désignée comme telle par règlement.

15. Par conséquent, pour être considérée comme une réplique, la marchandise en cause doit respecter trois conditions : 1) être un objet conçu de façon à avoir l'apparence exacte d'une arme à feu ou à reproduire le plus fidèlement possible une arme à feu, ou auquel on a voulu donner cette apparence; 2) ne pas être une arme à feu; 3) ne pas être un objet conçu de façon à avoir l'apparence exacte d'une arme à feu historique, ou à reproduire le plus fidèlement possible une arme à feu historique, ou auquel on a voulu donner cette apparence.

ANALYSE

16. M. Atkinson adopte la position selon laquelle l'importation de la marchandise en cause ne peut être prohibée en tant que « réplique » au motif que celle-ci a été modifiée avant l'importation. Il soutient que, par conséquent, elle n'a pas l'apparence exacte ni ne reproduit le plus fidèlement possible un Walther P38. Il soutient de plus que la vitesse initiale du projectile déterminée par l'ASFC pour la marchandise en cause ne peut être juste étant donné qu'elle diffère des spécifications du fabricant. M. Atkinson soutient également que de nombreuses répliques en vente au Canada reproduisent plus fidèlement que la marchandise en cause de vraies armes à feu.

17. L'ASFC soutient que la marchandise en cause est fabriquée par la Maruzen Company, un fabricant réputé de répliques airsoft. L'ASFC affirme que, par conséquent, il s'agit d'une « réplique » car la marchandise en cause est conçue de façon à avoir l'apparence exacte d'un Walther P38 ou à le reproduire le plus fidèlement possible. Selon les arguments de l'ASFC, les dimensions de même que l'apparence générale de la marchandise en cause sont presque identiques à celles d'un Walther P38. L'ASFC soutient que la marchandise en cause n'est pas une arme à feu et qu'elle n'est pas conçue de façon à avoir l'apparence exacte d'une arme à feu historique ou à en reproduire une le plus fidèlement possible. Elle soutient que l'argument de M. Atkinson relatif à la vitesse initiale du projectile n'est pas pertinent en l'espèce.

18. Le Tribunal conclut que M. Atkinson n'a pas démontré que la marchandise en cause n'est pas correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.0015. Les éléments de preuve démontrent plutôt que les trois éléments de la définition de « réplique » sont respectés : 1) la marchandise en cause est conçue de façon à avoir l'apparence exacte d'une arme à feu ou à la reproduire le plus fidèlement possible; 2) elle n'est pas une « arme à feu »; 3) elle n'est pas une « arme à feu historique ». Ces trois conditions sont analysées individuellement ci-dessous.

19. Au sujet de la 1re condition, M. Atkinson soutient essentiellement que le degré de modification à laquelle la marchandise en cause a été soumise avant son importation suffit pour annuler toute ressemblance avec un Walther P38. Le Tribunal n'est pas d'accord. Il est vrai que la longueur du canon est de 68 mm, ce qui est inférieur de 2 mm au canon de 70 mm d'un Walther P38, que la crosse du premier est légèrement différente de celle du second, que le premier a aussi un canon amélioré de type « birdcage » et que le mécanisme interne est différent puisque des projectiles différents sont tirés16. Hormis ces différences mineures, le Tribunal est convaincu que la marchandise en cause est conçue de façon, sinon à avoir l'apparence exacte d'un Walther P38, à tout le moins à le reproduire le plus fidèlement possible.

20. En d'autres termes, il y a une ressemblance manifeste sur le plan des dimensions, de la forme, de l'apparence générale et de l'ensemble des caractéristiques visuelles entre la marchandise en cause et le Walther P38, et les modifications ne peuvent être qualifiées autrement que de mineures ou superficielles17. Les similitudes comprennent l'aspect de la glissière et de la carcasse, la position de la détente, l'aspect de la crosse, le profil de la glissière, le chien, la fixation des plaquettes, la forme et la position du levier de démontage, l'extracteur, l'arrêtoir de glissière, le verrou de sûreté, le cran de mire, les stries de préhension de la glissière et l'arrêtoir de chargeur. La forme extérieure générale de la carcasse et de la glissière et la position des diverses composantes mécaniques et leur fixation à la marchandise en cause sont presque identiques au Walther P38. De plus, le rapport de l'ASFC affirme que l'extracteur de la marchandise en cause « n'a aucune fonction mécanique dans un dispositif à air comprimé d'un calibre de 6 mm » [traduction] et que « [l]a seule fonction de l'extracteur est de simuler l'apparence d'un [Walther P38] »18 [traduction]. De près, ou à une distance de quelques pieds, les deux sont très semblables.

21. Compte tenu de tous ces faits, le Tribunal conclut qu'il y a des éléments de preuve clairs démontrant l'intention d'imiter ou de reproduire le plus fidèlement possible un Walther P38.

22. Au sujet de la 2e condition, le Tribunal conclut que la marchandise en cause n'est pas une arme à feu étant donné que les éléments de preuve versés au dossier démontrent que la vitesse initiale du projectile est inférieure à ce qui est considéré comme suffisant pour causer des blessures. À cet égard, le Tribunal préfère les éléments de preuve présentés par l'ASFC, fondés sur des tests réels de la marchandise en cause, à la référence faite par M. Atkinson à la documentation du fabricant qui donne une vitesse initiale différente.

23. Au sujet de la 3e condition, il n'a pas été allégué que la marchandise en cause est une « arme à feu historique » ou une reproduction d'une arme à feu historique, étant donné que la production du Walther P38 a commencé après 1898, qui est l'année après laquelle une arme à feu ne peut plus être considérée comme une « arme à feu historique ». Le Tribunal est donc convaincu que la marchandise en cause n'est pas une « arme à feu historique ». Par conséquent, cette condition est remplie.

24. Puisque la marchandise en cause respecte les trois conditions prévues au paragraphe 84(1) du Code criminel à l'égard d'une « réplique », le Tribunal conclut qu'il s'agit d'un dispositif prohibé du numéro tarifaire 9898.00.00.

25. En conclusion, le Tribunal aimerait faire certaines remarques. Premièrement, l'invocation, comme cela a été fait dans le passé, de la présence alléguée d'autres dispositifs éventuellement illégaux sur le marché canadien (tels que ceux qui sont mentionnés par M. Atkinson) ne peut aucunement influencer la décision du Tribunal quant à la question de savoir si la marchandise en cause est une arme prohibée au sens du Code criminel19. Deuxièmement, le Tribunal n'a aucune raison de douter du fait que M. Atkinson est un honnête citoyen qui n'avait aucun motif suspect lorsqu'il a tenté d'acquérir la marchandise en cause; cependant, en dépit de la perte financière et des autres pertes possibles qu'il puisse encourir en étant privé de son « U.N.C.L.E. Special », le Tribunal doit réitérer qu'il applique la lettre de la loi, sans égard à toute considération éventuelle d'équité telle que celle qui est soulevée par M. Atkinson. Troisièmement, afin d'éviter les nombreuses frustrations que M. Atkinson a exprimées depuis qu'il a été privé de la marchandise en cause, le Tribunal souhaite profiter de l'occasion pour encourager les importateurs de consulter l'ASFC avant l'importation afin de s'assurer qu'un produit donné peut être importé au Canada ou dans quelles circonstances il peut l'être.

DÉCISION

26. L'appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 1 [Loi].

2 . Pièce AP-2012-065-10A, vol. 1, onglet A4.

3 . Ibid.

4 . Pièce AP-2012-055-B-02.

5 . L.C. 1997, ch. 36.

6 . Pièce AP-2012-065-10A, onglet A2.

7 . Ibid., onglet A1.

8 . Ibid., onglet A3.

9 . D.O.R.S./91-499.

10 . Pièce AP-2012-065-B-01.

11 . Pièce AP-2012-055-B-02.

12 . Pièce AP-2012-065-10B, onglet D2.

13 . L.C. 1997, ch. 36, annexe.

14 . L.R.C. 1985, ch. C-46.

15 . Aux termes du paragraphe 152(3) de la Loi, le fardeau de démontrer que le classement de la marchandise en cause est incorrecte et que, par conséquent, il ne s'agit pas d'une arme prohibée incombe à l'appelant. Voir Canada (Agence des services frontaliers) c. Miner, 2012 CAF 81 (CanLII) aux par. 7, 21.

16 . Rapport de l'ASFC. La marchandise en cause est également accompagnée de divers accessoires (raccord de canon, lunette, crosse et rallonge de magasin) pouvant être utilisés avec le dispositif de manière à imiter le « U.N.C.L.E. Special ». Aux fins du classement tarifaire, le Tribunal est d'avis que ces accessoires ne sont pas déterminants parce que le dispositif peut être utilisé avec ou sans eux. Ainsi, l'analyse de la ressemblance avec une vraie arme à feu doit être effectuée d'abord et avant tout sans tenir compte de ces composantes accessoires à usage facultatif.

17 . La détermination de la ressemblance est avant tout un exercice visuel; voir par exemple Vito V. Servello c. Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (19 juin 2002), AP-2001-078 (TCCE), p. 3.

18 . Rapport de l'ASFC.

19 Voir par exemple R. Gustas c. Sous-ministre du Revenu national (14 janvier 1997), AP-96-006 (TCCE).