R. JOSCHKO


R. JOSCHKO
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2011-012

Décision et motifs rendus
le mercredi 14 décembre 2011


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 1er décembre 2011 en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 5 avril 2011 concernant une demande de révision aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

R. JOSCHKO Appelant

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)

Date de l’audience : Le 1er décembre 2011

Membre du Tribunal : Pasquale Michaele Saroli, membre présidant

Conseiller juridique pour le Tribunal : Eric Wildhaber

Gestionnaire, Bureau du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Julie Lescom

PARTICIPANTS :

Appelante Conseiller/représentant
R. Joschko R. Joschko
Intimé Conseiller/représentant
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Talitha Nabbali

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

ÉNONCÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel a été interjeté auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) conformément au paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l’ASFC a correctement classé un couteau de modèle SW 737 dont la lame s’ouvre par gravité, utilisé par les parachutistes allemands de la Luftwaffe pendant la Seconde Guerre mondiale (le couteau en cause), à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes2, et si, par conséquent, son importation au Canada est interdite en vertu du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

3. Le couteau en cause a été retenu par l’ASFC au moment de son importation le 9 décembre 2010 et classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

4. Le 4 janvier 2011, M. R. Joschko demandait la révision du classement tarifaire de l’ASFC du couteau en cause et, par extension, de son admissibilité pour importation au Canada.

5. Le 5 avril 2011, l’ASFC rendait une décision, aux termes de l’article 60 de la Loi, confirmant qu’à son avis, le couteau en cause était correctement classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et que, par conséquent, son importation au Canada était interdite.

6. Le 26 mai 2011, M. Joschko interjetait appel de la décision de l’ASFC auprès du Tribunal aux termes de l’article 67 de la Loi.

7. Le 15 septembre 2011, l’ASFC déposait le rapport d’expert de l’agent Rick McIntosh du Service de police d’Ottawa, dans lequel sont décrits le contexte historique, l’aspect physique et la fonctionnalité mécanique du couteau en cause. La qualité d’expert en couteaux de l’agent McIntosh n’a pas été contestée par M. Joschko et il a été reconnu à ce titre par le Tribunal pour les besoins de l’espèce.

8. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux règles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur3, ce qui coïncidait avec la préférence exprimée par M. Joschko4. L’audience sur pièces a été tenue le 1er décembre 2011. Le même jour l’ASFC déposait le couteau en cause comme pièce.

COUTEAU EN CAUSE

9. Le couteau en cause est un couteau de modèle SW 737 dont la lame s’ouvre par gravité, utilisé par les parachutistes allemands de la Luftwaffe pendant la Seconde Guerre mondiale. Les parties sont d’accord et le Tribunal accepte (i) qu’il mesure environ 15,24 cm (6 po) de long en position fermée (c.-à-d. quand la lame est rentrée), (ii) qu’il est muni d’une lame en acier inoxydable à tranchant unique qui mesure 10 cm (environ 4 po), (iii) qu’il y a un levier sur le manche en bois qui, lorsqu’on appuie dessus, libère la lame qui s’ouvre et se verrouille par gravité, (iv) qu’il est muni d’un poinçon mesurant 8,5 cm (3,5 po) qui se déploie entièrement à partir de la base du manche et (v) qu’il est muni d’un étui avec support pour le transporter5.

CADRE LÉGISLATIF

10. Les extraits suivants sont les dispositions législatives et réglementaires pertinentes dans le présent appel.

11. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

[Nos italiques]

12. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit ce qui suit :

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

. . . 

For the purposes of this tariff item:

. . . 

(b) ”automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire, [...]

[...]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...].

[Nos italiques]

13. À cet égard, la définition d’« arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel6 comprend ce qui suit :

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or . . . .

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche; [...].

POSITION DES PARTIES

M. Joschko

14. M. Joschko est d’accord avec l’ASFC que le couteau en cause est un « [...] couteau dont la lame s’ouvre par gravité [...] »7 [traduction], bien qu’il ait par la suite soutenu que le couteau était mieux décrit comme « [...] un outil de survie [pour les parachutistes] qui fonctionne par gravité »8 [traduction].

15. Il a aussi implicitement reconnu que le couteau en cause, en tant que couteau dont la lame s’ouvre par gravité, était une arme prohibée lorsqu’il a affirmé ce qui suit : « Ce couteau est un couteau dont la lame s’ouvre par gravité et je crois comprendre l’intention de la prohibition9 » [traduction].

16. Toutefois, M. Joschko a demandé au Tribunal de se donner une certaine discrétion en interprétant la législation pertinente de façon à permettre l’importation du couteau en cause pour les raisons suivantes10 :

il a une valeur historique et sentimentale;

il serait mis en lieu sûr avec d’autres souvenirs de guerre faisant partie d’une petite collection personnelle;

il ne s’agit pas d’une arme furtive comparable aux couteaux modernes à cran d’arrêt ou à ceux dont la lame s’ouvre par gravité;

il est moins dangereux que certains couteaux conventionnels non prohibés et couramment utilisés (p. ex. les couteaux à steak);

des couteaux identiques sont couramment en vente au Canada.

ASFC

17. L’ASFC soutient que le fait que le couteau en cause soit un « couteau dont la lame s’ouvre par gravité » n’est pas contesté et est corroboré dans le rapport d’expert de l’agent McIntosh11, qui a personnellement examiné le couteau en cause et conclu que « [...] les critères [de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel] sont satisfaient » [traduction]. À cet égard, il explique que le couteau en cause est conçu pour être utilisé d’une seule main et que la lame s’ouvre par inertie ou par gravité. En faisant expressément référence à la façon dont le couteau en cause est utilisé, il fait remarquer ce qui suit : « J’ai déployé la lame par action de la gravité et de l’inertie. [...] Simplement en pointant le couteau vers le sol et en appuyant sur le levier, la lame s’ouvre »12 [traduction].

18. L’ASFC soutient également que sa position correspond à la définition d’un tel couteau approuvée par l’American Knife & Tool Institute (AKTI)13 et à sa propre définition qui figure dans un mémorandum des douanes14 sur le sujet15.

19. L’ASFC affirme que, en tant que couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité figurant dans la définition d’« arme prohibée » à l’alinéa 84(1)a) du Code criminel, le couteau en cause est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

20. Enfin, l’ASFC soutient qu’il n’est pas loisible au Tribunal de permettre l’importation du couteau en cause, comme le demande M. Joschko, car « [l]e [Tribunal] n’est pas un tribunal d’équité et doit veiller à l’application de la loi et de la procédure [douanière] en vigueur [...], [l]es facteurs tels que l’utilisation prévue d’une marchandise [n’étant] pas pertinents pour le classement d’une marchandise par le [Tribunal] »16 [traduction].

ANALYSE

21. Afin de déterminer si le couteau en cause est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et, par conséquent, à titre de marchandise dont l’importation est interdite au Canada en vertu du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes, le Tribunal doit déterminer si la définition d’« arme prohibée » du paragraphe 84(1) du Code criminel, qui prévoit ce qui suit, s’applique :

84. (1) In this Part,

. . . 

“prohibited weapon” means

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or . . . .

84. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

[...]

« arme prohibée »

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche; [...].

22. Comme il a déjà été mentionné, les parties s’entendent que le couteau en cause est un « couteau dont la lame s’ouvre par gravité », bien que M. Joschko ait par la suite soutenu que le couteau était mieux décrit comme « [...] un outil de survie [pour les parachutistes] qui fonctionne par gravité ».

23. Les observations du Tribunal, d’après sa propre inspection du couteau en cause17 au cours de l’audience, sont en accord avec les caractéristiques physiques et fonctionnelles décrites plus haut par les parties.

24. L’inspection et l’essai du couteau en cause par le Tribunal a aussi confirmé les observations de l’agent McIntosh en ce qui concerne l’aspect physique et le fonctionnement du mécanisme d’ouverture et de fermeture et, en particulier, le fait que la lame, qui se replie dans le manche, s’ouvre automatiquement par gravité en pointant le couteau vers le sol et en appuyant sur le levier à pivot fixe au haut du manche.

25. Le Tribunal conclut par conséquent que le couteau en cause relève sans conteste du champ d’application de l’alinéa 84(1)a) du Code criminel.

26. À la lumière de l’analyse qui précède, le Tribunal conclut que le couteau en cause est correctement classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 et que, par conséquent, son importation au Canada est interdite en vertu du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

27. En ce qui concerne l’argument selon lequel des couteaux identiques sont couramment en vente au Canada, le Tribunal fait référence aux décisions qu’il a rendues dans Wayne Ericksen c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada18 et Romain L. Klaasen c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada19, où le Tribunal a déclaré qu’il « [...] n’est pas un tribunal d’équité et doit veiller à l’application de la loi telle qu’elle est rédigée »20, qu’il « [...] n’est pas pertinent que toute expédition antérieure [...] n’ait pas été interceptée par l’ASFC ou par ses prédécesseurs »21 et « [q]ue l’ASFC prenne ou non une mesure administrative ne peut pas changer la loi »22.

28. De même, bien que le couteau en cause puisse avoir une valeur historique et sentimentale et qu’il n’y ait aucune raison de mettre en doute l’affirmation de M. Joschko selon laquelle il est une personne responsable et que le couteau en cause ferait strictement partie de sa collection de souvenirs de guerre, ces considérations ne peuvent aucunement influencer la décision du Tribunal quant à la désignation du couteau en cause comme « arme prohibée » au sens du Code criminel, puisque sa décision ne peut reposer que sur la description physique du couteau en cause.

DÉCISION

29. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-03 au para. 18.

5 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-05A au para. 3; pièce du Tribunal AP-2011-012-03 au para. 7.

6 . L.R.C. 1985, c. C-46.

7 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-03 au para. 8.

8 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-07 au para. 2.

9 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-03 au para. 8.

10 . Ibid. aux para. 8, 9.

11 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-05C.

12 . Ibid.

13 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-05A au para. 16. L’AKTI définit le couteau en cause de la façon suivante :

1. Un couteau particulier dont les unités de parachutistes allemands de la Deuxième Guerre mondiale (Fallschirmjagers) étaient équipées.

2. Un couteau pliant dont la lame est maintenue en position fermée au moyen d’un dispositif dont l’ouverture est commandée par un bouton sur le manche et qui ne possède pas certaines caractéristiques telles qu’une détente, un mécanisme à ressort ou tout autre mécanisme qui fait en sorte que la lame tend à demeurer fermer.

[Traduction]

14 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-05B, onglet 14. Le Mémorandum D19-13-2, « Importation et exportation d’armes à feu, d’armes et de dispositifs » (23 juin 2009), prévoit ce qui suit :

22. Les armes visées par le paragraphe a) incluent les armes suivantes :

[...]

c) Couteau à lame sortant par gravité – Un couteau à lame sortant par gravité est un couteau pliant qui peut être ouvert automatiquement par la force de la gravité. Le couteau peut être aussi contrôlé à l’aide d’un levier ou d’un bouton mais, généralement, le fait d’appliquer une pression sur un tel dispositif et de pointer le couteau vers le bas libère la lame du couteau et la maintient en place.

15 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-05A aux para. 15-17.

16 . Ibid. au para. 24.

17 . Pièce du Tribunal AP-2011-012-B-01.

18 . (3 janvier 2002), AP-2000-059 (TCCE) [Ericksen].

19 . (18 octobre 2005), AP-2004-007 (TCCE) [Klaasen].

20 . Ericksen à la p. 3.

21 . Klaasen à la p. 2.

22 . Ibid. à la p. 2.