CORPORATION DES TECHNOLOGIES ICAM

Décisions


CORPORATION DES TECHNOLOGIES ICAM
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no 2669

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 27 juin 1991

Appel no 2669

EU ÉGARD À une demande entendue le 25 février 1991 aux termes de l'article 59 de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. (1970), ch. E-13.

ENTRE

CORPORATION DES TECHNOLOGIES ICAMRequérante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL Intimé

L'appel est admis. Les activités de la requérante consistent en la fabrication ou en la production de marchandises. En outre, le Tribunal considère que les machines et les appareils achetés par la requérante ont été utilisés principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises et dans la mise au point de marchandises en vue de leur fabrication ou de leur production par la requérante.


Kathleen E. Macmillan ______ Kathleen E. Macmillan Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Sidney A. Fraleigh ______ Sidney A. Fraleigh Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Aux termes de la présente demande, déposée en vertu de l'article59 de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi), le Tribunal se voit demander de déclarer que la requérante a droit à une exonération de taxe de vente en application de l'article29 de la Loi.

DÉCISION : L'appel est admis. Les activités de la requérante consistent en la fabrication ou en la production de marchandises. En outre, le Tribunal considère que les machines et les appareils achetés par la requérante ont été utilisés principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises et dans la mise au point de marchandises en vue de leur fabrication ou de leur production par la requérante.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 25 février 1991 Date de la décision : Le 27 juin 1991
Membres du Tribunal : Kathleen E. Macmillan, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Sidney A. Fraleigh, membre
Greffier : Nicole Pelletier
Avocat du Tribunal : Gilles B. Legault
Ont comparu : Patrice Marceau, pour la requérante Hughes G. Richard, pour l'intimé
Jurisprudence : The Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Ltd. 68 D.T.C. 5001; Canadian Wirevision Limited c. La Reine, [1978] 2 C.F. 577; In re Heinrich Kleifges et in re la Loi sur la citoyenneté, [1978] 1 C.F. 734; Re owners, Strata plan VR 29 and Registrar Vancouver Land Registration et al., (B.C. S.C.) 91 D.L.R. (3d) 528; Re Rai (Ontario Court of Appeal) 106 D.L.R. (3d) 718; La ville de Jacques-Cartier v. Joseph Napoléon B. Lamarre, [1958] S.C.R. 108; Gruen Watch Co. of Canada v. Attorney General of Canada, (1950) C.T.C. 440; The Royal Bank of Canada v. Deputy Minister of National Revenue, 81 D.T.C. 5301.





Aux termes de la présente demande, déposée en vertu de l'article 59 de la Loi sur la taxe d'accise [1] (la Loi), le Tribunal se voit demander de déclarer que la requérante a droit à une exonération de la taxe de vente selon l'article 29 de la Loi.

LA QUESTION EN LITIGE ET LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

La présente demande soulève deux questions. Premièrement, compte tenu de l'abrogation de l'article 59 avant le dépôt de cette demande, celle-ci relevait-elle du Tribunal, ou avant celui-ci, de la Commission du tarif? Deuxièmement, les ordinateurs et l'équipement connexes achetés par la requérante sont-ils admissibles à une exonération en vertu de l'un ou l'autre des sous-alinéas d'exonération 1a(i), (ii) et (iii) de la partie XIII de l'annexe III?

Les dispositions législatives pertinentes à la présente cause se lisent comme suit :

27.(1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente de neuf pour cent sur le prix de vente de toutes marchandises,

a) produites ou fabriquées au Canada,

...

29.(1) La taxe imposée par l'article27 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des marchandises mentionnées à l'annexeIII excepté les marchandises mentionnées à la partieXIII de l'annexe III qui sont vendues ou importées par des personnes exemptées du paiement de la taxe de consommation ou de vente en application du paragraphe31 (2).

59.(1) Lorsqu'il se produit un différend ou qu'un doute existe sur la question de savoir si, aux termes de la présente loi, un article, un transport aérien ou le montant exigé en contrepartie d'un service taxable sont assujettis à la taxe, ou sur le taux qui leur est applicable, la Commission du tarif, instituée par la Loi sur la Commission du tarif, peut déclarer quel taux de taxe est exigible sur l'article, le transport aérien ou le montant exigé en contrepartie du service taxable ou déclarer que l'article, le transport aérien ou le montant exigé en contrepartie d'un service taxable sont exempts de la taxe en vertu de la présente loi.

ANNEXE III

PARTIE XIII

1. Tous les articles suivants :

a) les machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux pour être utilisés par eux [principalement et] directement :

(i) soit dans la fabrication ou la production de marchandises,

(ii) soit dans la mise au point de procédés de fabrication ou de production devant être utilisés par eux,

(iii) soit dans la mise au point de marchandises devant être fabriquées ou produites par eux;

...

[entrée en vigueur le 16 février 1984, S.C. (1985), ch. 3, par. 36 (1) et art. 48]

LES FAITS ET LA PREUVE

Pendant la période touchée par la cotisation, la requérante, Corporation des Technologies ICAM (ICAM), a mis au point et commercialisé des logiciels faits sur commande ainsi que des logiciels courants ou génériques destinés à être utilisés dans des activités de conception assistée par ordinateur (CAO) et de fabrication assistée par ordinateur (FAO).

Le 9 septembre 1985, le ministère du Revenu national (le Ministère) a établi à l'égard de la requérante une cotisation d'un montant de 65 605,64 $ (arriérés, amende et intérêts) relativement à l'achat d'ordinateurs et d'équipement connexe. La période de cotisation s'étendait du 1er juin 1982 au 31 juillet 1985.

Dans une lettre du 27 septembre 1985, la requérante a exprimé son désaccord et a demandé que la cotisation soit reconsidérée. Le Ministère a néanmoins confirmé la cotisation le 7 mars 1986.

La requérante a alors contesté la cotisation auprès de la Direction de l'appel. Le Ministère a accusé réception de la lettre de la requérante le 8 mai 1986. Le 9 mai 1986, la requérante a modifié son mémoire. Le 16 octobre 1986, un agent de l'Interprétation fiscale du Ministère a confirmé la cotisation. Enfin, le 29 octobre 1986, la requérante a déposé une demande à la Commission du tarif en vertu de l'article 59 de la Loi.

Ces dates sont importantes eu égard à la question de savoir si le Tribunal, qui remplace la Commission du tarif, a compétence pour entendre cette cause.

La requérante a appelé trois témoins à l'audience. Le premier d'entre eux était M. Sandox-Cox, directeur exécutif de l'Échange de techniques de pointe entre manufacturiers canadiens, qui a décrit les progrès apportés aux processus de fabrication traditionnels grâce aux systèmes CAO-FAO, tels que ceux qui sont vendus par ICAM. La requérante a également appelé le Professeur David Bonham, du Département de Génie mécanique de l'Université du Nouveau-Brunswick, qui a expliqué l'interaction entre les programmes de logiciels et les machines-outils utilisées dans les usines. Selon le Professeur Bonham, les programmes de logiciels deviennent une composante essentielle des machines-outils auxquelles ils sont intégrés, qu'il s'agisse de machines à commande numérique ou informatique. De l'avis de ces deux experts, la requérante était un fabricant.

M. John Nassr, président de la société requérante, a également témoigné. M. Nassr a déclaré que pendant la période touchée par la cotisation, la société, qui jusqu'alors s'était spécialisée dans le logiciel sur commande destiné à des clients précis, était en train de se reconvertir dans le logiciel générique ou «standard» destiné à plusieurs utilisateurs. Le témoin s'est référé à la pièce A-12, un bilan indiquant que, de 1982 à 1987, la part des ventes de la société représentée par les logiciels conçus sur commande n'avait cessé de décroître.

M. Nassr a décrit la façon dont les logiciels courants ou faits sur commande étaient élaborés par la requérante. Dans le cas des logiciels sur commande, le client fournissait des renseignements tels que la forme et les dimensions de la partie ou de la pièce qu'il désirait fabriquer, ainsi que les caractéristiques des matériaux de fabrication, des procédés de production et des outils utilisés dans son usine. La requérante fabriquait alors une bande perforée pouvant donner aux outils et aux machines du client les instructions nécessaires sur les étapes à suivre pour fabriquer le produit désiré. La bande perforée fournie par la requérante était mise au point en manipulant et en itérant des données diverses, et, souvent, en procédant à des expériences sur places, sur les machines et outils du client. Lors de l'étape de l'élaboration, la requérante utilisait des cartes perforées pour traiter et manipuler l'information. Lors de l'étape de la mise au point finale, le programme contenu dans les cartes perforées était transposé sur une bande métallique enduite de mylar. Ce que le client recevait, c'était une bande perforée et quelques instructions élémentaires.

Selon M. Nassr, la société a compris, il y a une dizaine d'années, qu'il existait un marché grandissant pour les logiciels de petits ordinateurs et a commencé à se concentrer sur les programmes génériques. M. Nassr a expliqué que le logiciel générique d'ICAM permet au fabricant de décider lui-même de l'information qui auparavant était contenue dans une bande perforée.

M. Nassr a renvoyé le Tribunal à des brochures publiées par la société requérante et faisant état des différents types de logiciels «standard» produits par celle-ci ainsi que de leurs possibilités. De 1982 à 1985, ICAM a vendu de 200 à 300 exemplaires environ de ces programmes de logiciels génériques. Les logiciels sont vendus sous forme de rubans, de disques ou de disquettes, au choix du client.

En réponse aux questions de l'avocat de l'intimé, M. Nassr a déclaré que les employés de la requérante passent le plus gros de leur temps à élaborer des programmes de logiciels. De même, l'équipement pour lequel l'exonération est demandée, c'est-à-dire les ordinateurs, terminaux, tablettes et modems, est utilisé essentiellement pour l'élaboration de logiciels et pour leur reproduction sur des bandes ou des disques. Dans le cas des logiciels génériques, il se peut qu'il faille plusieurs années pour élaborer un programme. M. Nassr a reconnu qu'il ne faut parfois que quelques secondes pour transférer un programme sur un disque ou sur une bande.

L'avocat de l'intimé a attiré l'attention de M. Nassr sur des factures adressées par la requérante à un certain nombre de clients. Le témoin a expliqué que, quoique dans le cas d'un marché, celui de Pratt et Whitney Aircraft (pièce A-7), la requérante ait été payée à l'heure, la facture précisait que les bandes étaient destinées à des parties d'équipement portant des numéros précis. M. Nassr a également expliqué que ICAM a utilisé le mot «licence» sur ses factures sur la recommandation de ses avocats. La société a pris un certain nombre de mesures, parmi lesquelles la conclusion d'accords de non publication et de non reproduction, pour prévenir la duplication de ses logiciels génériques. L'éventuelle duplication non autorisée d'un logiciel conçu sur commande n'était pas pour elle un grand sujet de préoccupation.

L'intimé a également appelé un témoin, M. Jim Pyeon, qui est l'un de ses employés. De décembre 1984 à juillet 1985, M. Pyeon a effectué une vérification de la société demanderesse relativement à la période de cotisation allant du 1er juin 1982 au 1er juillet 1985. Le témoin a expliqué qu'il avait établi une cotisation à l'égard de la requérante parce que, à son avis, ICAM fournissait un service d'ingénierie.

Il a déclaré également que le logiciel n'était pas considéré par l'intimé comme une marchandise taxable en vertu de la Loi.

Lors du contre-interrogatoire, le témoin a renvoyé à une politique administrative intitulée Programme de logiciel informatique (pièce B-3) publiée dans les Nouvelles de l'Accise de janvier 1979 (no 28), et sur laquelle il s'était fondé pour conclure que la requérante fournissait un service d'ingénierie. Lorsque l'avocat de la requérante lui a demandé de faire la distinction entre les types de logiciels dont il est question dans la directive et ceux qui sont produits par la requérante, le témoin n'a pu répondre. Il n'a pu dire non plus si, en vertu de la directive, d'autres types de logiciels pouvaient être considérés comme fabriqués et transformés.

L'ARGUMENTATION

L'avocat de la requérante a soutenu que les deux éléments sur lesquels doit statuer le Tribunal sont la question de savoir si la requérante se livre à des activités de fabrication ou de production, et si les programmes faisant partie du logiciel sont des marchandises.

Pour ce qui est de la fabrication, l'avocat a noté qu'il ne s'en trouve aucune définition dans la Loi ni dans la Loi de l'impôt sur le revenu. L'avocat s'est reporté à l'affaire York Marble [2] jugée par la Cour Suprême du Canada, laquelle avait statué que «la fabrication consiste en la production d'articles destinés à certains usages, à partir de matières premières ou préparées, en donnant à ces matières de nouvelles formes, de nouvelles qualités et de nouvelles propriétés... » [traduction].

Invoquant cette définition, l'avocat a soutenu que, dans le cas de logiciels génériques, de nouvelles qualités et de nouvelles propriétés sont données à une disquette ou à une bande. Des centaines d'exemplaires du logiciel ont été commercialisés en fonction des qualités et des possibilités. À cet égard, a soutenu l'avocat, la situation est la même que dans le cas d'une automobile qui fait l'objet d'une publicité fondée sur ses qualités et ses caractéristiques. Comme une automobile, un logiciel est vendu à prix unitaire, et non en fonction d'un taux de service rendu.

Pour ce qui est de la conception de logiciels sur commande, l'avocat a soutenu qu'elle consistait à donner de nouvelles propriétés à des bandes auparavant inutiles. La bande devenait ainsi une partie intégrante et nécessaire de la machine.

Selon l'avocat, la requérante doit être considérée comme un fabricant aux termes de la Loi, si les termes de cette dernière sont pris dans leur sens courant et naturel. L'avocat a ajouté que le sens que les gens du métier donnent à la «fabrication» ou à la «production» devrait être pris en considération par le Tribunal. En conséquence, l'avocat a pressé le Tribunal de recevoir l'opinion de deux experts appelés par la requérante, et selon lesquels cette dernière est un fabricant.

L'avocat de la requérante a souligné que le Ministère considérait celle-ci comme un fabricant ou un transformateur aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu et lui avait accordé une déduction relative aux profits de fabrication et de transformation. En outre, la requérante a reçu une subvention du ministère de l'Expansion économique régionale pour la raison qu'elle constituait une installation de fabrication de CAO-FAO.

Pour ce qui est de la question de savoir quelle partie des activités de la requérante consiste en la fabrication de marchandises, l'avocat de la requérante a soutenu que toutes les opérations de cette dernière sont intégrées et ne peuvent être considérées séparément. Le processus commence avec une idée ou un besoin industriel et finit par un programme. Selon l'avocat, c'est là le point de vue adopté par le Ministère lorsqu'il applique la Loi de l'impôt sur le revenu aux programmeurs d'ordinateur.

Quant à déterminer si les logiciels sont des «marchandises», l'avocat a soutenu qu'on ne peut douter que les bandes et les disques en soient. De toute façon, il n'est pas nécessaire que la marchandise soit matérielle pour donner droit à une exonération. L'avocat a cité à ce propos l'affaire The Royal Bank of Canada [3] qui, à son avis, avait conclu que l'électricité était une marchandise pour les besoins de la loi.

En terminant, l'avocat de la requérante a rejeté la question des droits intellectuels comme non pertinente au présent appel. Le fait qu'un livre, un disque ou un disque d'ordinateur contiennent des informations pouvant faire l'objet d'une protection de droits d'auteur ne les empêche pas d'être considérés comme des marchandises.

L'avocat de l'intimé, pour sa part, a commencé par expliquer que, pour être admissible à l'exonération, la requérante doit être considérée comme un fabricant ou un producteur. Sur cette question, l'intimé, comme la requérante, se fonde sur la définition que ces termes ont reçue dans l'affaire York Marble. De l'avis de l'avocat, la requérante a créé plutôt qu'elle a fabriqué les programmes de logiciels, puis a accordé le permis de les utiliser. Par conséquent, les programmes ne sont pas des articles de commerce au sens habituel du terme. Les activités de la requérante se rapprochent davantage du processus de création d'une oeuvre littéraire ou musicale que de la production ou de la fabrication de marchandises.

De plus, l'intimé a soutenu que la requérante peut être plus adéquatement définie comme un fournisseur de services, et cela pour la raison que les gouvernements provinciaux rangent les logiciels dans la catégorie des services aux fins de leurs régimes fiscaux.

L'intimé a également soutenu que, pour les besoins de la Loi, le concept de fabrication ou de production comporte la notion de bien matériel, et a évoqué plusieurs causes à l'appui de son opinion. Selon lui, un logiciel n'est pas un bien matériel, mais un droit intellectuel. Pour étayer cet argument, l'intimé a soutenu que le support d'information utilisé par la requérante ne fait que transmettre un logiciel et n'a pas reçu de nouvelles propriétés ni de nouvelles formes; qu'un ordinateur doit relire un logiciel dans sa propre mémoire avant de pouvoir l'utiliser; et qu'un logiciel peut être reproduit sur une autre bande ou un autre disque, le premier support devenant alors libre pour un autre logiciel. Enfin, l'intimé a ajouté que les impulsions magnétiques ou électroniques, qu'enregistrent les logiciels informatiques, peuvent être comparés aux signaux télévisés, lesquels n'ont pas été considérés comme des marchandises, c'est-à-dire comme des biens matériels transportables, dans l'affaire Canadian Wirevision [4] , laquelle avait trait à la Loi de l'impôt sur le revenu.

Pour ce qui est de l'exonération prévue au sous-alinéa 1a)(ii), l'intimé a soutenu qu'elle n'a trait qu'à l'élaboration d'un équipement d'usine pouvant être utilisé dans la production de marchandises précises et non de logiciels d'ordinateurs utilisés en corrélation avec des équipements de production. L'intimé est également d'avis que ce n'est pas la requérante, mais son client, qui, en utilisant le logiciel qu'il a acheté, adopte «le procédé de fabrication ou de production» visé par la disposition d'exonération.

D'un point de vue général, l'intimé a déclaré que la requérante est un créateur plutôt qu'un producteur ou un fabricant. ICAM, a-t-il soutenu, travaille dans le domaine de la programmation. La plupart de ses employés consacrent la plus grande partie de leur temps à la programmation. De plus, l'intimé soutient que la requérante ne fabrique pas des disquettes mais élabore des programmes. En elles-mêmes, les disquettes ne valent rien. C'est l'information qu'elles contiennent qui a une grande valeur. À cet égard, l'avocat de l'intimé a souligné que la perforation des bandes ne prend que quelques minutes, et la reproduction des disquettes quelques secondes. L'avocat a donc pressé le Tribunal de reconnaître que moins de un pour cent du temps d'utilisation de l'équipement en cause était consacré à cette fin.

Après que l'audience eut pris fin, le Tribunal a reçu de nouveaux éléments de preuve de l'avocat de l'intimé. Il s'agissait de documents d'information publique touchant des déclarations faites par la requérante aux termes des lois provinciale et fédérale régissant les sociétés, selon lesquelles elle mène des activités de services. L'avocat de la requérante ne s'est pas vraiment objecté aux nouveaux éléments de preuve, laissant au Tribunal le soin de les accepter ou non. Toutefois, il y a apporté quelques arguments. À la lumière des éléments de preuve soumis lors de l'audience, le Tribunal est d'avis que les nouveaux éléments de preuve et les renseignements n'ajoutaient rien à la présente cause.

LES CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

Dès le début de l'audience se posait la question de savoir si cette demande relevait du Tribunal. La question avait été soulevée par l'intimé dans un précédent mémoire. Bien que l'avocat de l'intimé ait fait savoir à l'audience qu'il acceptait de reconnaître la compétence du Tribunal en cette affaire, le Tribunal était d'avis qu'il se devait d'étudier lui-même ce point.

Dans ce cas précis, le Tribunal remarque que l'abrogation de l'article 59 est entrée en vigueur le 1er mai 1986 [5] , c'est-à-dire avant la date du dépôt de la demande, soit le 29 octobre 1986, mais après que la requérante ait entrepris un certain nombre de démarches devant conduire normalement au dépôt de cette dernière. De l'avis du Tribunal, la demande prévue par l'article 59 peut être assimilée à un appel, une révision ou un recours, et, pour cette raison, constituer un «droit acquis» aux termes de l'article 43 de la Loi d'interprétation [6] , comme le veut la jurisprudence [7] . Le Tribunal estime également que le recours prévu par l'article 59 est plus qu'une question de procédure et que, par conséquent, en l'absence d'indication contraire du législateur, l'abrogation de cet article n'a pas pour effet de priver la requérante de son droit à déposer une demande (voir la décision de la Cour Suprême du Canada dans l'affaire La ville de Jacques-Cartier [8] ). Enfin, le Tribunal note que la loi d'abrogation n'a eu aucun effet sur la constitution de la Commission du tarif et que, par conséquent, la Commission, aujourd'hui remplacée par le Tribunal [9] , existait encore au moment du dépôt de la demande. En conséquence, compte tenu de l'article 43 de la Loi d'interprétation et de la jurisprudence pertinente, le Tribunal conclut qu'il a compétence pour entendre cette cause.

La principale question qui se pose alors au Tribunal est de savoir si les machines et les appareils achetés par la requérante devraient être exonérés de taxe en vertu de la Loi pour la raison qu'ils ont été utilisés dans la fabrication ou la production de marchandises, dans la mise au point de procédés de fabrication ou de production devant être utilisés par la requérante, ou dans la mise au point de marchandises devant être fabriquées ou produites par la requérante. Pour rendre une décision favorable à la requérante, le Tribunal devrait conclure, premièrement, que la requérante est un fabricant ou un producteur de marchandises, et, deuxièmement, que l'équipement acheté par la requérante a été utilisé en rapport avec au moins l'une des trois activités mentionnées ci-dessus, tel que prévu par les sous-alinéas d'exonération du paragraphe 1a) de la partie XIII de l'annexe III.

Il apparaît au Tribunal que les textes législatifs n'offrent aucune indication précise quant aux logiciels d'ordinateur. De plus, aucun élément de jurisprudence permettant de déterminer si les programmes de logiciels sont des marchandises fabriquées ou produites au sens de la Loi n'a été présenté au Tribunal. Cependant, le Tribunal note que Revenu Canada ne considère pas les logiciels comme des marchandises pour les besoins de la Loi, et ne les assujettit pas à la taxe prévue par l'article 27. Le Tribunal connaissant l'interprétation que fait le Ministère de l'article 27 de la Loi, il doit examiner les faits et les circonstances particulières à la présente cause pour déterminer si les dispositions de la partie XIII de l'annexe III s'appliquent aux activités menées par la requérante.

Le Tribunal n'accepte pas l'argument de l'avocat de la requérante selon lequel il devrait accorder une importance particulière à l'opinion des experts qui ont témoigné quant au statut de fabricant de la requérante. La présente cause porte sur l'interprétation de mots tels que «marchandises» et «fabrication», termes qui n'ont pas de sens technique. Or, il est bien établi dans la jurisprudence que lorsque les termes d'un texte législatif n'ont pas de signification industrielle ou technique particulière, ils doivent être pris dans leur sens courant et ordinaire, tel qu'établi par les définitions de dictionnaire. Aucune importance particulière n'est accordée aux témoignages d'opinion des experts en pareil cas.

En résumé, le Tribunal a pris note des différentes interprétations qui lui ont été soumises par les deux parties en cause. Ni l'avis des experts en logiciels témoignant à l'audience ni celui de Revenu Canada sur l'application de la Loi n'ont pu dissuader le Tribunal de prendre les termes pertinents de l'annexe dans leur sens courant et ordinaire.

Pour établir si les activités de la requérante consistaient en la fabrication ou la production de marchandises, le Tribunal s'est fondé sur des éléments de preuve touchant la commercialisation, l'élaboration et la transformation de logiciels par la requérante, et sur la jurisprudence relative à la signification des termes «fabrication ou production» et «marchandises».

La Cour suprême du Canada, se référant à une cause entendue antérieurement par la Cour supérieure du Québec, a fourni dans la cause York Marble la définition suivante du terme «fabrication» :

... la fabrication consiste en la production d'articles destinés à certains usages, à partir de matières premières ou préparées, en donnant à ces matières de nouvelles formes, de nouvelles qualités et de nouvelles propriétés, ou l'un et l'autre à la fois, manuellement ou par machine. (p. 5003) [traduction]

Appliquant la définition de la Cour suprême à la présente cause, le Tribunal constate que les activités menées par la requérante ont effectivement pour conséquence de donner de nouvelles formes, de nouvelles qualités et de nouvelles propriétés à des matières, et que la requérante est donc un fabricant. Il ressort des témoignages entendus que, dans le cas des logiciels faits sur commande, la requérante perforait des bandes magnétiques, leur donnant par le fait même une nouvelle forme matérielle. Dans le cas des logiciels génériques, les procédés mis en oeuvre par la requérante avaient pour effet de donner aux disques et aux bandes de nouvelles propriétés magnétiques. Dans les deux cas, le support d'information recevait de nouvelles qualités et de nouvelles propriétés lui permettant de servir certaines fonctions pour lesquelles il aurait été impropre auparavant. Ses possibilités intrinsèques ont donc été modifiées en raison des activités menées par la requérante. Les disquettes et les bandes, inutiles à l'acheteur sans logiciel, acquièrent une utilité du fait des nouvelles propriétés qu'elles reçoivent.

Le Tribunal reconnaît que les faits inhérents à cette cause sont différents de ceux sur lesquels devait se pencher la Cour suprême dans l'affaire York Marble. Dans cette dernière affaire, il était question de matière première, en l'occurrence de plaques de marbre, qui subissaient différentes formes de traitement, parmi lesquelles l'appareillage, la cimentation, le pilonnage, le collage et le polissage. Dans la présente cause, la requérante ne travaille pas sur de la matière première, mais sur des matériaux préparés. Reconnaissant que les activités de la requérante peuvent ne pas constituer des activités de fabrication au sens courant du mot fabrication, le Tribunal est enclin à paraphraser la Cour suprême du Canada dans la cause York Marble et est convaincu que le processus dans lequel la requérante est engagé peut tout aussi bien constituer une activité de «production» au sens établi dans la cause Gruen Watch [10] , dans laquelle la seule introduction d'un mouvement dans un boîtier de montre a été considérée comme constituant la production d'une montre.

Le Tribunal accorde également une importance particulière au fait que la requérante fournissait un article matériel à ses clients aux termes des contrats la liant à ceux-ci. Chaque opération portait sur un «article livrable» un produit laissé à l'acheteur qui pouvait l'utiliser comme il l'entendait. Dans presque tous les cas, les logiciels avaient un prix unitaire; les clients ne se voyaient pas imposer de taux horaire fondé sur le temps ou l'effort consacré à l'élaboration du programme.

Le Tribunal considère comme sans objet le fait qu'il ne faut que quelques secondes pour transposer l'information élaborée par la requérante sur un support d'information alors qu'il faut plusieurs années pour mettre au point l'information elle-même. Pour le Tribunal, le processus de fabrication et de production par la requérante n'en n'est pas moins réel. La valeur des produits bonifiés et intégrant des connaissances provient surtout de l'intelligence qui les sous-tend. Il semble arbitraire d'exclure ces produits de la catégorie des marchandises fabriquées pour la seule raison que les frais de matières premières ou de production ne constituent qu'une petite partie de leur valeur.

L'intimé a soutenu que les activités menées par la requérante tenaient plus du service que de la fabrication ou de la production; que la livraison d'une bande ou d'un disque matériel n'était qu'un accident négligeable du contrat le liant à ses clients; et que c'est l'élément non matériel, en l'occurrence l'information contenue dans la bande ou le disque, qui intéressait le client. Ceci, a soutenu l'intimé, est montré par le fait que la valeur d'un disque d'ordinateur ne représentait que quatre dollars sur des marchés de plusieurs centaines de dollars.

Le Tribunal n'ignore pas que la requérante vend également un service lorsqu'elle vend un programme d'ordinateur. Cela est particulièrement vrai dans le cas des logiciels faits sur commande, dans la conception desquels il doit être tenu compte des besoins particuliers du client. De l'avis du Tribunal, cela n'est pas très différent du cas de nombreuses marchandises fabriquées ou produites qui sont conçues spécifiquement en fonction des besoins des consommateurs ou assorties d'un service après vente important. Il semble impossible de pouvoir nier qu'une marchandise a été fabriquée ou produite pour la seule raison que sa livraison a été précédée, suivie ou accompagnée d'activités de service.

Le Tribunal n'accepte pas l'argument de l'intimé selon lequel un logiciel ne peut être considéré comme une marchandise fabriquée ou produite parce qu'il fait l'objet d'une protection de droits d'auteur. Il serait possible de citer un très grand nombre de marchandises fabriquées ou produites qui sont protégées par quelque forme de brevet, de droit intellectuel ou de dispositions de protection commerciale. Les médicaments, les cassettes vidéo et les livres entrent dans cette catégorie. Le fait que la conception, la créativité et l'intelligence qu'ils intègrent soient protégées de toute reproduction ne signifie pas, selon le Tribunal, que ce ne sont pas des marchandises fabriquées ou produites.

Ayant déterminé que la requérante travaille à la fabrication ou à la production de marchandises, il reste au Tribunal à déterminer si les machines et les appareils vendus à la requérante ont été utilisés principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises ou dans la mise au point de marchandises en vue de leur fabrication ou de leur production par la requérante.

Selon le témoignage du président de la requérante, 90 p. 100 du temps de fonctionnement de l'équipement informatique en cause a été consacré à l'élaboration de programmes d'ordinateur. Le transfert proprement dit des programmes sur des disques ou des bandes ne prenait que quelques secondes, alors qu'il faut parfois des années pour élaborer et mettre au point un logiciel.

Compte tenu de ce témoignage, le Tribunal conclut que l'équipement acheté par la requérante a été utilisé principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises tel que prévu par le sous-alinéa d'exonération 1a)(i). De plus, le Tribunal conclut que, même si l'on donnait un sens étroit au terme «fabrication» ou «production» et qu'on en limitait la signification au transfert proprement dit du programme sur le support d'information (soit une opération qui ne prend que quelques secondes), l'équipement de la requérante serait toujours admissible à une exonération de taxe pour la raison qu'il aurait été «acquis pour être utilisé dans la mise au point de marchandises devant être fabriquées ou produites» par la requérante, aux termes du sous-alinéa d'exonération 1a)(iii), et qu'il a bel et bien été utilisé principalement et directement à cette fin.

LA CONCLUSION

De l'avis du Tribunal, les activités de la requérante consistent en la fabrication ou en la production de marchandises. De plus, le Tribunal considère que les machines et les appareils achetés par la requérante ont été utilisés principalement et directement dans la fabrication ou la production de marchandises et dans la mise au point de marchandises en vue de leur fabrication ou de leur production par la requérante. En conséquence, la demande est acceptée.


[ Table des matières]

1. S.R.C. (1970), ch. E-13, dans sa forme modifiée.

2. The Queen v. York Marble, Tile and Terrazzo Ltd. 68 D.T.C. 5001.

3. The Royal Bank Of Canada v. Deputy minister of National Revenue, 81 D.T.C. 5301.

4. Canadian Wirevision Limited c. La Reine, [1978] 2 C.F. 577.

5. Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise et la Loi sur l'accise et modifiant d'autres lois en conséquence, S.C. (1986), ch. 9, par. 46 (2).

6. Loi d'interprétation, L.R.C. (1985) ch. I-21.

7. In re Heinrich Kleifges et in re la Loi sur la citoyenneté, [1978] 1 C.F. 734; Re owners, Strata plan VR 29 and Registrar Vancouver Land Registration et al., (B.C. S.C.) 91 D.L.R. (3d) 528; Re Rai (Ontario Court of Appeal) 106 D.L.R. (3d) 718.

8. La ville de Jacques-Cartier v. Joseph Napoléon B. Lamarre, [1958] S.C.R. 108.

9. Loi constituant le Tribunal canadien du commerce extérieur et modifiant ou abrogeant d'autres lois en conséquence, L.R.C. (1985), (4e suppl.) ch. 47, art. 52.

10. Gruen Watch Co. of Canada v. Attorney General of Canada, (1950) C.T.C. 440.


Publication initiale : le 30 juillet 1997