STURDY TRUCK BODY (1972) LIMITED

Décisions


STURDY TRUCK BODY (1972) LIMITED
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no 2979

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 23 juin 1989

Appel no 2979

EU ÉGARD À un appel entendu le 2 mars 1989, en vertu de l'article 51.19 de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, ch. E-13 (la Loi) dans sa forme modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision du ministre du Revenu national rendue le 3 mars 1988 par rapport à un avis d'opposition signifié en vertu de l'article 51.15 de la Loi.

ENTRE

STURDY TRUCK BODY (1972) LIMITEDAppelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONALIntimé

L'appel est rejeté. Le Tribunal déclare que les caisses de camion fabriquées par l'appelante et installées sur des véhicules de moins de 7 250 kg ne sont pas exemptées de la taxe de vente en vertu de l'article 8, Partie XVII, Annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.


Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre présidant

John C. Coleman ______ John C. Coleman Membre

Robert J. Bertrand, c.r. ______ Robert J. Bertrand, c.r. Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Loi sur la taxe d'accise - Déterminer si certaines caisses de camion peuvent être exemptées de la taxe de vente en vertu de l'article8, PartieXIII, AnnexeIII de la Loi - Déterminer si les caisses de camion ont été conçues pour être installées en permanence sur des camions conçus pour faciliter le port et la manutention du fret et dont la masse en charge est d'au moins 7250kg - Sens de l'expression «conçus pour» - Déterminer si une fin de non-recevoir peut être opposée au Ministre quant aux décisions prises par Revenu Canada, Douanes et Accise.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Les caisses de camion étaient faites sur mesure et installées sur des camions ayant une masse en charge inférieure à 7250kg et n'étaient donc pas conçues pour l'installation en permanence sur des camions exemptés de la taxe.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 2 mars 1989 Date de la décision : Le 23 juin 1989
Membres du jury : Arthur B. Trudeau, membre présidant John C. Coleman, membre Robert J. Bertrand, c.r., membre
Avocat du Tribunal : Ginette Collin
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : Fred Cressman, pour l'appelante Jean Fitzgerald, pour l'intimé
Jurisprudence : Peerless Page Industries Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1983) 8 R.C.T. 457; Levy Russell Limited c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1983) 8 R.C.T. 622; GRS Tool and Die Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1981) 7 R.C.T. 313; Thomas Skinner & Son Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1984) 9 R.C.T. 396; Ocelot Industries Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1983) 8 R.C.T. 763; Stickel c. Le ministre du Revenu national (1972) 27 D.L.R. (3d) 721 (C.F, division de première instance); Northern Alberta Institute of Technology c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise (1984) 9 R.C.T. 367.
Lois et règlements cités : Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.C. 1988, ch. 56, art. 60; Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, ch. E-13 - par. 27(1) et 29(1), art. 51.1; art. 1 et 8, Partie XVII, Annexe III; Règlement sur la masse en charge d'un véhicule, DORS/84-15, Gazette du Canada Partie II, 1984, p. 146, art. 2.





RÉSUMÉ

L'appelante demande, par la présente, une décision voulant que certaines caisses de camion qu'elle fabrique soient exemptées de la taxe de vente en vertu de la Loi. L'intimé a déclaré que les caisses étaient taxables et il y a eu cotisation et interjection d'appel. L'appelante soutient que les caisses de camion en question sont conçues pour l'installation en permanence sur des camions exemptés d'une masse en charge d'au moins 7 250 kg (ci-après appelés «camions lourds») conçus principalement pour le port du fret. En concevant les caisses standard de camion, l'appelante a suivi les lignes directrices de l'intimé afin de bénéficier de l'exemption de la taxe de vente. L'intimé a d'abord avisé l'appelante qu'aucune taxe n'était exigible, puis a changé son interprétation. L'appelante s'est donc vu imposer une nouvelle cotisation visant les caisses de camion installées sur des camions non exemptés, c'est-à-dire d'une masse en charge inférieure à 7 250 kg (ci-après appelés «camions légers»).

L'appel n'est pas admis. Les caisses de camion en question étaient faites sur mesure et installées sur des camions d'une masse en charge inférieure à 7 250 kg et n'étaient donc pas conçues pour être installées en permanence sur des camions exemptés. En conséquence, elle ne peuvent pas être exemptées de la taxe de vente puisqu'elles ont été installées sur des camions non exemptés.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions législatives pertinentes, selon le libellé en vigueur pour la période en question, sont les suivantes :

a) Loi sur la taxe d'accise

27.(1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente au taux spécifié au paragraphe (1.1) sur le prix de vente de toutes marchandises

(a) produites ou fabriquées au Canada ...

...

29.(1) La taxe imposée par l'article 27 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des marchandises mentionnées à l'annexe III excepté les marchandises mentionnées à la partie XIII de l'annexe III qui sont vendues ou importées par des personnes exemptées du paiement de la taxe de consommation ou de vente en application du paragraphe 31(2).

...

51.1 (1) Le Ministre peut, à l'égard de toute matière, établir une cotisation pour une personne au titre de la taxe, de l'amende, des intérêts ou d'une autre somme payable par cette personne sous le régime de la présente loi et peut, malgré toute cotisation antérieure portant, en totalité ou en partie, sur la même matière, établir des cotisations supplémentaires, selon les circonstances.

(2) Le Ministre peut modifier une cotisation ou en établir une nouvelle pour une personne à l'égard de toute matière faisant l'objet d'une cotisation pour cette personne.

ANNEXE III

PARTIE XVII

MATÉRIEL DE TRANSPORT

1. Tracteurs routiers; camions destinés principalement au transport de marchandises dont la masse en charge est, au sens donné à cette expression par un règlement du gouverneur en conseil, d'au moins sept mille deux cent cinquante kilogrammes (7 250 kg).

...

8. Pièces et matériel conçus pour être installés en permanence sur les marchandises exemptes de taxe mentionnées aux articles 1, 2, 3, 4, 5, 5.1, 5.2 et 7 de la présente Partie lorsque, de l'avis du Ministre, le juste prix de vente demandé par le fabricant canadien ou la valeur à l'acquitté de l'article importé dépasse deux mille dollars l'unité, ou installés sur de telles marchandises avant la première utilisation de celles-ci; toutefois, les pièces et le matériel conçus pour le montage permanent ou montés sur les marchandises exemptes de taxe visées à l'article 1 de la présente Partie ne sont exempts de taxe que s'ils sont conçus pour faciliter le port ou la manutention du fret.

b) Règlement sur la masse en charge d'un véhicule

Disposition générale

2. Aux fins des articles l et 2 de la partie XVII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise, «masse en charge» désigne la valeur spécifiée par le fabricant du véhicule comme étant la masse du véhicule chargé.

LES FAITS

Le présent appel est interjeté en vertu de l'article 51.19 de la Loi sur la taxe d'accise [1] dans sa forme modifiée (la Loi) à l'égard de l'avis de décision de l'intimé, numéro 70141AE, du 3 mars 1988, qui indique le refus de rembourser à l'appelante la taxe de vente payée sur certaines caisses de camion qu'elle fabrique. La période de cotisation va du 1er mai 1983 au 31 octobre 1986 et le montant s'élève à 60 243,58 $.

L'appelante demande une déclaration que ces caisses de camion sont exemptées de la taxe de vente en conformité avec l'article 8, Partie XVII, Annexe III de la Loi.

L'appel a initialement été interjeté auprès de la Commission du tarif. Toutefois, en application de l'article 60 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [2] , il a été confié au Tribunal canadien du commerce extérieur, qui l'a mené à terme.

L'appelante, Sturdy Truck Body (1972) Limited (Sturdy Truck), est une petite entreprise familiale de fabrication de caisses de camion. Les caisses sont connues sous le nom de «camions de service» parce que ce type de camion sert principalement à offrir des services. Sturdy Truck a été créée en 1972. À cette époque-là, M. Lucien Roussy, témoin principal dans cet appel, a pris la société en main. Avec le temps, Sturdy Truck est devenue un fabricant de caisses de camion sur demande. En 1982 ou 1983, la société a commencé à fabriquer des caisses de camion de service, soit les marchandises en litige dans le présent appel.

M. Roussy a précisé qu'avant cela, il y avait eu beaucoup d'incertitudes dans l'industrie du camion quant aux critères pour l'exemption des caisses de camion de la taxe de vente en vertu de l'article 8, Partie XVII, Annexe III de la Loi. Le 25 novembre 1981, le fiscaliste-conseil de l'appelante, M. L.H. Cressman, a été informé dans une lettre de Revenu Canada signée par M. William Rompkey, ministre du Revenu national à l'époque, que les caisses de camion, conçues pour faciliter le port ou la manutention du fret, d'une masse en charge d'au moins 7 250 kg et dont les prix sont conformes aux critères de l'article 8, Partie XVII, Annexe III de la Loi, étaient exemptées de la taxe de vente même si certaines d'entre elles peuvent être installées sur des camions légers, c'est-à-dire, des camions d'une masse en charge inférieure à 7 250 kg. Ceci a été confirmé par M. J.C. Kent de l'Unité d'Interprétation fiscale du ministère du Revenu national, Douanes et Accise, dans une lettre du 28 janvier 1985, adressée à l'appelante. Dans sa lettre, M. Kent a précisé que si les caisses de camion répondaient aux critères figurant dans la lettre de M. Rompkey, elles seraient exemptées de la taxe de vente même si certaines d'entre elles peuvent être installées sur des camions légers (c'est-à-dire, châssis taxables). M. Roussy s'est souvent renseigné, par la suite, afin de savoir si cette interprétation était correcte. Chaque fois, la réponse de Revenu Canada était la même. On ne lui a jamais donné une interprétation contraire tout au long de la période de cotisation, c'est-à-dire, du 1er mai 1983 au 31 octobre 1986.

En concevant la caisse standard de camion de service, l'appelante a suivi les lignes directrices énoncées dans une lettre adressée à Canadian Truck Body & Equipment Association le 22 octobre 1981 et rédigée par M. J.A. Virtue de Revenu Canada, Douanes et Accise. Dans sa lettre, ce dernier indiquait que pour avoir droit à l'exemption, il fallait se conformer aux cinq critères suivants :

1) la caisse du camion doit être conçue pour transporter au moins 10 000 lb;

2) elle doit être conçue pour être installée en permanence sur un camion d'une masse en charge d'au moins 7 250 kg (16 000 lb);

3) elle doit être conçue pour faciliter le port et la manutention du fret;

4) le juste prix de vente demandé par le fabricant canadien ou la valeur à l'acquitté doit dépasser 2 000 $ l'unité;

5) la caisse doit pouvoir être installée en permanence sur un camion d'une masse en charge d'au moins 7 250 kg.

Revenu Canada a avisé Sturdy Truck, par l'Avis de cotisation no SWO 0800 du 19 décembre 1986, que pour la période de cotisation, la société ne devait aucune taxe, pénalité, intérêt ou autre somme exigible en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et qu'aucun montant ne lui était dû sous forme de crédit ou de paiement. Par la suite, dans une lettre de M. Kent du 12 février 1987, l'appelante est avisée d'un changement radical de l'interprétation du ministère. M. Kent y déclare que pour qu'une caisse de camion soit réputée conçue pour l'installation en permanence sur un châssis de camion d'une masse en charge (MC) d'au moins 7 250 kg (16 000 lb) et puisse y être installée, l'Administration centrale demande que le fabricant démontre qu'une grande partie des caisses du modèle en question sont effectivement installées sur des châssis de camion dont le poid nominal brut du véhicule (PNBV) est d'au moins 16 000 livres. Ce renseignement est contraire à la lettre de M. Kent du 28 janvier 1985 et à celle de M. Rompkey du 25 novembre 1981, car aucun de ces documents ne précisait que l'installation réelle sur des camions d'une masse en charge d'au moins 7 250 kg était obligatoire. En conséquence, Sturdy Truck s'est vu imposer, par voie d'une nouvelle cotisation (Avis no SWO 1699 du 27 mars 1987) des taxes, des pénalités et des intérêts totalisant 60 243,58 $ pour la période du 1er mai 1983 au 31 octobre 1986. Dans l'Avis de décision mentionné au début des présents motifs, l'intimé rejette l'objection de l'appelante et confirme la cotisation, d'où le présent appel.

LA QUESTION EN LITIGE

Le litige dans le présent appel est de savoir si les caisses de camion sont conçues pour être installées en permanence sur un châssis de camion conçu principalement pour le port du fret, ayant une masse en charge d'au moins 7 250 kg et donc exemptées du paiement de la taxe de vente.

M. Roussy déclare que Sturdy Truck avait l'intention de fabriquer des caisses pour camions lourds, c'est-à-dire, d'une masse en charge d'au moins 7 250 kg. Elle a décidé d'orienter ainsi sa production parce qu'elle était d'avis que le marché pour ce produit était meilleur que celui des camions légers, où la concurrence des fabricants américains était féroce. Les caisses de camion fabriquées par Sturdy Truck sont, selon M. Roussy, une fois et demi à deux fois plus lourdes que celles pour camions légers. M. Roussy ajoute que, pour cette raison, même si les caisses peuvent être installées sur les camions légers, elles ne conviennent pas tout à fait à ces derniers. Le poids additionnel est lourd pour les camions légers et réduit leur capacité utile.

En contre-interrogatoire, M. Roussy admet qu'en tant que fabricant sur demande, Sturdy Truck produit des caisses de camion adaptées aux besoins particuliers des clients. La société sait donc, avant la fabrication, si le client a l'intention d'installer la caisse sur une camion léger ou un camion lourd. M. Roussy explique que la fabrication des caisses à installer sur des camions légers entraîne certaines modifications mais ne requiert pas de matériaux différents ou la modification de la construction de base de la caisse destinée à servir sur un camion lourd. M. Roussy déclare qu'il faut parfois apporter des modifications pour l'installation sur des camions lourds, pour permettre l'installation, par exemple, du réservoir d'essence ou encore de l'accumulateur, mais comme le mentionne son associé, M. Parker, les coûts sont minimes. Par exemple, le coût d'une modification pour l'installation du réservoir d'essence est d'environ 50 $, alors que le coût de la caisse de camion varie entre 5 000 et 25 000 $. En général, il est plus difficile et plus coûteux d'installer la caisse sur un camion léger que sur un camion lourd. M. Roussy admet que la plupart des caisses vendues par l'appelante ont été installées sur des châssis de camion léger, mais il déclare que des caisses identiques ont été installées sur des camions lourds. Selon un résumé des ventes pour l'année 1985-1986 («Sales Summary for the Report Year 1985-86» pièce B-2, document confidentiel), présenté comme élément de preuve par l'intimé, 33 des 36 caisses de camion vendues au cours de la période ont été installées sur des camions légers. M. Roussy précise, toutefois, que des caisses de camion identiques à celles installées sur les camions légers ont aussi été installées sur des camions lourds.

Le seul témoin pour l'intimé est M. James Patry, témoin expert. Il est ingénieur en mécanique et vice-président et ingénieur principal de T.E.S. Limited, société qui se spécialise dans la conception de véhicules, de composantes et d'accessoires de véhicules. Il possède environ 22 ans d'expérience dans la conception de véhicules et de leurs pièces.

M. Patry déclare que les dimensions de la caisse de camion standard fabriquée par l'appelante compliquent son installation sur des camions d'une masse en charge de 7 250 kg ou plus. À son avis, les caisses sont trop étroites pour ces camions et les modifications nécessaires sont relativement coûteuses. Il précise que d'après son expérience, le modèle en question, qui est considéré comme le modèle standard, le PSM 96 SW, pour camions à roues simples, est une caisse qui ne peut être installée adéquatement que sur un camion léger, c'est-à-dire, dont la capacité est inférieure à 16 000 lb. Il ajoute qu'il ne pourrait conclure, après examen du devis de l'appelante, que le produit ainsi décrit est conçu pour l'installation sur des camions lourds. À son avis, le facteur important est que la caisse de camion ne nécessite pas de modifications importantes pour le montage sur un camion léger, alors que dans presque tous les cas, il faut apporter des modifications pour l'installation sur un camion lourd. Il avoue, cependant, que la conception de base convient de façon assez satisfaisante aux camions lourds. Il explique que les clients ont tendance à acheter des caisses trop grosses, c'est-à-dire, plus lourdes que nécessaire, parce qu'elles sont plus durables. Il est d'avis que chaque modèle est unique parce que chaque caisse de camion est fabriquée pour répondre spécifiquement aux besoins d'un client en particulier. Il ajoute qu'on peut fabriquer une caisse pouvant supporter un poids énorme, mais que la conception réelle est l'adaptation du produit à un véhicule en particulier.

Le fiscaliste-conseil qui représente l'appelante avance deux arguments principaux en faveur d'une exemption.

Son premier argument se résume au fait que l'intimé ne devrait pas avoir le droit d'exiger une nouvelle cotisation. Il note que Sturdy Truck a délibérément conçu ses caisses de camion en fonction des critères établis par l'intimé. Non seulement l'appelante s'est fiée aux lignes directrices et aux interprétations émises avant et pendant la période en question, mais elle l'a fait à son détriment, car il ne lui est plus possible de récupérer la taxe dite impayée.

Dans son deuxième argument, il affirme que lorsque l'appelante a conçu la caisse pour camions de service, elle avait clairement l'intention de les faire installer sur des camions dont la masse en charge est d'au moins 7 250 kg (16 000 lb). Il soutient qu'une personne peut supposer que les caisses étaient conçues pour des camions lourds parce que certaines d'entre elles ont effectivement été installées sur des camions lourds et ajoute que la période de cotisation n'est pas représentative du profil courant des ventes parce que Sturdy Truck venait tout juste de commencer la fabrication des caisses de camion. M. Roussy ajoute que si sa société avait eu l'intention de fabriquer des caisses pour l'installation sur des camions légers, elle n'aurait pas investi autant d'argent, ni fabriqué des caisses aussi lourdes par rapport à celles que fabriquent les producteurs de caisses pour camions légers.

Dans son plaidoyer, l'avocate de l'intimé attire l'attention sur le fait qu'au cours de l'année 1985-1986, 33 des 36 caisses vendues par l'appelante ont été installées sur des camions légers. D'après elle, puisque l'appelante fabrique les caisses sur commande, elle se sert d'une caisse de camion de conception générale qu'elle adapte selon les spécifications du client. En conséquence, lorsqu'un client commande une caisse devant être installée sur un camion léger, la caisse de camion ainsi fabriquée est conçue pour l'installation sur un camion léger. L'avocate se fonde sur le témoignage de son témoin expert selon lequel la caisse de base fabriquée par l'appelante convient davantage à l'installation sur les camions légers en raison de son étroitesse. Elle déclare que la capacité, facteur sur lequel l'appelante s'est beaucoup attardée, n'est qu'un des éléments à prendre en considération lorsqu'il faut déterminer si une caisse de camion a été conçue pour un camion lourd. De même, le fait que l'appelante utilise les mêmes matériaux et les mêmes méthodes de construction que pour les caisses de camion lourd n'est pas concluant. L'avocate soutient que pour déterminer à quelle fin la caisse de camion a été conçue, il faut confirmer la fonction ou le but envisagé par le fabricant. Comme justification, elle cite le précédent établi dans la cause Peerless Page IndustriesLtd. c.Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [3] . Dans cette cause, la Commission du tarif devait déterminer si les remorques auxiliaires et les remorques Jeep fabriquées par l'appelante étaient exemptées de la taxe de vente parce qu'elles étaient des semi-remorques. Après avoir conclu que les remorques Jeep étaient des semi-remorques, la Commission a décidé que les remorques auxiliaires étaient aussi exemptées parce qu'elles fonctionnaient de la même façon et selon les mêmes principes que les remorques Jeep. S'appuyant sur cette cause, l'avocate soutient que les caisses de camion en question sont fabriquées pour servir sur des camions légers; on peut donc conclure qu'elles sont conçues pour les camions légers.

L'avocate se réfère ensuite à la cause Levy Russell Limited c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [4] . Dans cette cause, la Commission du tarif devait déterminer si certains tracteurs pouvaient être exemptés de la taxe de vente parce qu'il s'agissait de «tracteurs routiers». L'avocate note que, dans sa décision, la Commission du tarif s'est attardée à la conception et à la commercialisation. Elle déclare que même si l'appelante se dit fabricant de caisses de camion lourd, les registres de vente ne confirment pas cette affirmation. Elle ajoute que dans la cause Levy Russell susmentionnée, l'utilisation réelle ou première des marchandises en question a été prise en considération comme un facteur important. Dans le même ordre d'idée, elle mentionne aussi la cause GRS Tool and Die Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [5] . Dans cette cause, il fallait déterminer si les chaufferettes fabriquées par l'appelante étaient exemptes en partie de la taxe de vente parce qu'elles étaient conçues pour servir dans des systèmes de chauffage installés en permanence pour bâtiments, au sens de l'article 1, Partie II, Annexe V de la Loi. Dans sa décision, la Commission du tarif a noté que la requérante fabriquait, annonçait et vendait ses systèmes de chauffage comme des chaufferettes pouvant servir en tant qu'appareils autonomes, sans conduites ou autres appareils, et a conclu que, pour cette raison, les marchandises en question n'étaient pas exemptées en partie. L'avocate de l'intimé affirme qu'en se fondant sur cette décision, il faut tenir compte de la façon dont les caisses de camion de l'appelante sont installées et que cette question ne peut pas être analysée de façon indépendante.

Pour ce qui est de la conception spéciale des caisses de camion fabriquées par l'appelante, l'avocate de l'intimé se reporte à la cause Thomas Skinner & SonLtd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [6] . Dans ladite cause, certains tours d'établis et certaines fraiseuses étaient jugés être conçus pour servir en classe parce qu'ils comportaient des caractéristiques spéciales qu'on ne trouve habituellement pas sur ces produits. L'avocate soutient que, pour cette raison, la conception spéciale des caisses de camion de l'appelante reflète leur usage prévu.

Elle déclare, en se fondant sur la cause Ocelot Industries Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [7] , que le profil de vente de l'appelante après la période de cotisation est sans importance. Elle ajoute que le Tribunal n'a reçu aucune preuve sur la nature des caisses vendues par l'appelante depuis la période en question.

Quant aux points soulevés par l'appelante concernant les décisions du ministère du Revenu national, elle répond qu'il est bien connu qu'on ne peut pas recourir à l'estoppel contre l'État. La cause de Stickel c. Le ministre du Revenu national [8] est mentionnée en ce sens. Il y est précisé qu'on ne peut pas recourir à l'estoppel contre le ministre du Revenu national en se fondant sur des renseignements tirés d'un bulletin d'information. Elle appuie son argument sur l'article 51.1 de la Loi [9] qui permet, en tout temps, au Ministre d'établir pour un contribuable une nouvelle cotisation au titre de la taxe, de la pénalité ou des intérêts, malgré toute cotisation antérieure visant la même période ou la même matière. Elle soutient que le ministère n'est pas lié par des interprétations ou des décisions antérieures concernant la cotisation. Elle ajoute que le ministère prend des décisions en se fondant uniquement sur les faits dont il dispose et si d'autres points sont portés à son attention, le ministère peut prendre une nouvelle décision et établir un nouvel avis de cotisation.

Elle termine son plaidoyer en indiquant qu'aucun élément de preuve n'a été présenté au nom de l'appelante pour confirmer que les caisses sont conçues pour l'installation sur des camions lourds; le fait qu'elles peuvent y être installées, après modifications, est insuffisant pour justifier l'exemption.

DÉCISION

La seule question en litige est d'établir si les caisses de camion visées par l'appel peuvent être exemptées de la taxe de vente parce qu'elles sont conçues pour être installées en permanence sur des marchandises exemptes de taxe au sens de l'article 8, Partie XVII, Annexe III de la Loi.

Le Tribunal conclut que les caisses de camion de l'appelante conçues pour être installées sur les camions légers ne peuvent être exemptées de la taxe de vente. Le Tribunal est d'avis que les facteurs comme le poids et la capacité de charge des caisses de camion de l'appelante, l'utilisation de mêmes matériaux et des mêmes méthodes de production que les caisses de camion lourd et le fait que certaines caisses de camion vendues par l'appelante au cours de la période ont effectivement été installées sur des camions lourds d'une masse en charge d'au moins 7 250 kg ne sont pas concluants en soi.

L'appelante fabrique des articles sur commande selon les spécifications du client, et non pour les garder en stock. Les éléments de preuve présentés pendant l'audience indiquent que Sturdy Truck a élaboré, pour ces caisses de camion, une conception générique qui est modifiée pour répondre aux besoins d'un client. Il faut différencier la conception spécifique de la conception générique des caisses de camion : il est possible de concevoir une caisse capable de supporter un poids énorme, mais la conception finale de la caisse d'un camion en particulier vise l'installation appropriée de ladite caisse sur un véhicule en particulier.

Le Tribunal considère que le facteur prépondérant dans la présente cause est que le fabricant doit concevoir chaque caisse de camion en fonction de l'utilisation ultime. Dans la cause Northern Alberta Institute of Technology c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [10] , la Commission du tarif a déclaré ce qui suit :

... l'expression «conçus pour servir» fait plutôt référence à une intention délibérée du fabricant quant à l'utilisation ultime du matériel et non à une conception de l'importateur ou de l'utilisateur.

Le Tribunal est d'avis que, lorsqu'un client commande une caisse pour l'installation sur un camion léger, l'appelante a sûrement l'intention, lorsqu'elle fabrique la caisse en question, de produire une caisse conçue pour ce camion en particulier. Les éléments de preuve de l'appelante indiquent que la majorité des caisses fabriquées ont été conçues pour être installées sur des camions légers : 33 des 36 caisses vendues au cours de la période visée par la cotisation ont été installées sur des camions légers. Au moment de la construction, l'appelante savait que les caisses de camion étaient destinées à des camions légers. En outre, dans plusieurs cas, les caisses étaient trop étroites pour être installées sur des camions lourds. D'ailleurs, la preuve présentée démontre que lorsqu'une caisse était commandée pour un camion léger, il y avait moins de modifications à apporter à la conception générique que dans le cas d'une caisse commandée pour une camion lourd. En conséquence, le Tribunal conclut que les caisses de camion en question n'ont pas été conçues pour être installées en permanence sur des camions dont la masse en charge est d'au moins 7 250 kg.

Quant à l'application de la doctrine de l'estoppel, le Tribunal conclut à l'irrecevabilité de cet argument en raison du précédent établi par la cause Stickel susmentionnée et du fait qu'en vertu de l'article 51.1 de la Loi, le Ministre peut établir une nouvelle cotisation pour le contribuable en tout temps.

Le Tribunal est convaincu que l'appelante a, de bonne foi, établi sa conception générique en fonction des interprétations et des lignes directrices de Revenu Canada et exploité son entreprise en conséquence pendant un certain nombre d'années avant de recevoir un nouvel avis de cotisation. Le Tribunal considère cependant qu'il est très regrettable que Revenu Canada ait laissé sous-entendre à l'appelante que ses caisses de camion de service, lesquelles sont de conception générique, adaptables à des châssis de camions de diverses tailles, pouvaient être exemptées. Le Tribunal est au regret de ne pouvoir aider l'appelante davantage.

CONCLUSION

Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que les caisses de camion fabriquées par l'appelante et installées sur des camions légers ne sont pas exemptées de la taxe de vente. L'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. S.R.C. 1970, ch. E-13; maintenant L.R.C. 1985, ch. E-15, art. 81.19.

2. L.C. 1988, ch. 56.

3. (1983) 8 R.C.T. 457.

4. (1983) 8 R.C.T. 622.

5. (1981) 7 R.C.T. 313.

6. (1984) 9 R.C.T. 396.

7. (1983) 8 R.C.T. 763.

8. (1972) 27 D.L.R. (3d) 721 (C.F., division de première instance), révisé pour d'autres motifs, 73 D.T.C. 5178 (C.A.), confirmé 74 D.T.C. 6268 (C.S.C.).

9. Maintenant l'article 81.1.

10. (1984) 9 R.C.T. 367, 370.


Publication initiale : le 8 août 1997