SALZGITTER MANNESMANN INTERNATIONAL (CANADA) INC. ET VARSTEEL LTD.


SALZGITTER MANNESMANN INTERNATIONAL (CANADA) INC. ET VARSTEEL LTD.
c.
Président de l'Agence des services frontaliers du Canada
Appels nos AP-2012-047 et AP-2012-048

Décision et motifs rendus
le mercredi 25 septembre 2013


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À des appels entendus le 28 mai 2013 aux termes du paragraphe 61(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. 1985, ch. S-15;

ET EU ÉGARD À deux décisions rendues par le président de l'Agence des services frontaliers du Canada le 19 septembre 2012 concernant des demandes de révision aux termes de l'article 59 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.

ENTRE

SALZGITTER MANNESMANN INTERNATIONAL (CANADA) INC. ET VARSTEEL LTD. Appelantes

ET

LE PRÉSIDENT DE L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

Les appels sont admis.

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre présidant

Pasquale Michaele Saroli
Pasquale Michaele Saroli
Membre

Ann Penner
Ann Penner
Membre

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)
Date de l'audience : le 28 mai 2013

Membres du Tribunal : Serge Fréchette, membre présidant
Pasquale Michaele Saroli, membre
Ann Penner, membre

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Eric Wildhaber
Elizabeth Giroux

Gestionnaire, Programmes et services du greffe : Michel Parent

Agent de soutien du greffe : Rosemary Hong

PARTICIPANTS :

Appelantes Conseillers/représentants
Salzgitter Mannesmann International (Canada) Inc. et Varsteel Ltd. Vincent Routhier
Jessica Di Maria
Intimé Conseiller/représentant
Président de l'Agence des services frontaliers du Canada Peter Nostbakken

TÉMOINS :

Christopher Poulter
Président
Salzgitter Mannesmann International (Canada) Inc.

Richard Cable
Directeur de succursale
Dominion Pipe and Piling

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
15e étage
333, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

SOMMAIRE

1. Les présents appels ont été interjetés par Salzgitter Mannesmann International (Canada) Inc. (Salzgitter) et Varsteel Ltd. (Varsteel) (ensemble, les appelantes) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 61(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation1. Ils concernent des décisions rendues par le président de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 19 septembre 2012 aux termes de l'article 59 de la LMSI.

2. Dans Tubes soudés en acier au carbone2, le Tribunal a exclu trois catégories de produits de ses conclusions de dommage à la branche de production nationale. L'exclusion qui est pertinente en l'espèce a été demandée par Pipe & Piling Supplies Ltd. et a été accordée comme suit :

les tubes soudés en acier au carbone d'un diamètre nominal de 1/2 po à 6 po inclusivement, marqués de deux inscriptions pour répondre aux exigences à la fois de la norme ASTM A252, de nuance 1 à 3, et de la norme API 5L [collectivement, les normes], aux extrémités chanfreinées et de longueurs irrégulières, devant servir de pilotis dans les fondations3.

[Nos italiques]

3. La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si les marchandises importées par les appelantes (les marchandises en cause)4 sont visées par l'exclusion. L'ASFC est d'avis que les marchandises en cause ne sont pas visées par l'exclusion puisqu'elles n'étaient pas « de longueurs irrégulières » au moment de leur importation. Les appelantes estiment que les marchandises en cause respectent cette condition. Les parties conviennent, et le Tribunal accepte, que les marchandises en cause respectent les autres exigences de l'exclusion et entrent dans la définition du produit des marchandises qui ont fait l'objet de TSAC5. Par conséquent, la seule question en litige dans les présents appels est le sens de l'expression « in random lengths » (de longueurs irrégulières) utilisée dans la version anglaise de l'exclusion.

4. L'ASFC a rejeté la demande des appelantes, qui désiraient que leurs importations des marchandises en cause puissent bénéficier de l'exclusion, aux motifs que, « [p]uisqu'[elles] ont commandé les marchandises en longueurs précises de 40 pieds et de 60 pieds, selon une tolérance de -0/+2 pouces, les marchandises ont été commandées en tant que longueurs uniformes »6 [traduction, nos italiques]. Selon l'ASFC, l'exclusion ne peut s'appliquer si les marchandises sont importées en « longueurs précises » [traduction]. La position de l'ASFC est celle selon laquelle le mot « random » utilisé dans la version anglaise de l'exclusion signifie « haphazard » (aléatoire) et que toute expédition autre que de tubes de longueurs « aléatoires » ne doit pas bénéficier de l'exclusion.

5. Les appelantes soutiennent que l'exclusion vise à englober toutes les longueurs de tubes7. Elles affirment que les marchandises sont toujours commandées en fonction de certaines longueurs et tolérances précises et que la commande, et surtout l'expédition, de tubes de longueurs « aléatoires » est inconcevable dans les pratiques de la branche de production et n'aurait aucune logique commerciale. Les appelantes font également valoir que, quoi qu'il en soit, les marchandises en cause entrent dans les catégories de « random lengths » applicables qui se trouvent dans chacune des normes. L'ASFC adopte la position contraire.

6. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont visées par l'exclusion : elles sont de « longueurs irrégulières doubles » [traduction], selon la norme ASTM A252, et de « longueurs irrégulières », selon des tolérances « convenues autrement » [traduction], conformément à la norme API 5L.

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

7. Le 20 décembre 2012, à la demande des appelantes et avec le consentement de l'ASFC, le Tribunal a décidé, aux termes de l'article 6.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur8, de joindre les présents appels.

8. Ces affaires ont été entendues conjointement lors d'une audience publique tenue à Ottawa (Ontario) le 28 mai 2013. M. Christopher Poulter, président de Salzgitter, et M. Richard Cable, directeur de succursale de Dominion Pipe and Piling, une division de Varsteel, ont comparu en tant que témoins des appelantes. L'ASFC n'a fait entendre aucun témoin.

LES NORMES9

9. Les articles 4 et 13 de la norme ASTM A252 prévoient ce qui suit :

4. Renseignements sur les commandes

4.1 Les commandes de matériel visées par la présente norme doivent contenir des renseignements concernant les éléments ci-dessous qui sont nécessaires pour décrire adéquatement le matériel voulu :

4.1.1 Quantité (en pieds ou nombre de longueurs)

4.1.2 Désignation du matériel (tubes en acier pour pilotis)

4.1.3 Méthode de fabrication (sans soudure ou soudé)

4.1.4 Nuance (tableaux 1 et 2)

4.1.5 Dimensions (diamètre extérieur et épaisseur nominale de paroi)

4.1.6 Longueurs (irrégulières simples, irrégulières doubles ou uniformes) (voir l'article 13)

4.1.7 Finition des extrémités (article 15)

4.1.8 Désignation de la norme ASTM et année de publication

4.1.9 Lieu d'inspection de l'acheteur (voir 19.1)

4.1.10 Code à barres (voir 22.2)

13. Longueurs

13.1 Les tubes pour pilotis doivent être fournis selon les longueurs irrégulières simples, les longueurs irrégulières doubles ou les longueurs uniformes indiquées sur le bon de commande, conformément aux limites suivantes :

Longueurs irrégulières simples 16 à 25 pi (4,88 à 7,62 m), inclusivement

Longueurs irrégulières doubles plus de 25 pi (7,62 m) avec une longueur moyenne minimale de 35 pi (10,67 m)

Longueurs uniformes longueurs précisées avec une variation acceptable de ±1 po

[Traduction, nos italiques]

10. L'article 9.11 de la norme API 5L prévoit ce qui suit :

9.11 Dimensions, masse et tolérances

9.11.1 Dimensions

9.11.1.1 Les tubes doivent être livrés selon les dimensions indiquées sur le bon de commande, compte tenu des tolérances applicables.

9.11.1.2 Le diamètre extérieur et l'épaisseur de paroi indiqués doivent respecter les limites applicables figurant dans le tableau 9.

9.11.1.3 Les tubes doivent être livrés selon les longueurs irrégulières ou approximatives indiquées sur le bon de commande.

9.11.3.3 Les tolérances relatives à la longueur doivent être les suivantes :

a) Les longueurs irrégulières doivent être livrées selon les tolérances figurant au tableau 12 [tableau non reproduit], sauf si celles-ci ont été convenues autrement.

b) Les longueurs approximatives doivent être livrées selon une tolérance de ±500 mm (20 po).

[Traduction, nos italiques]

ANALYSE

Cadre législatif

11. Il est bien établi que la question qui consiste à déterminer si les marchandises sont de même description que les marchandises auxquelles s'appliquent des conclusions doit être fondée sur un examen des caractéristiques des marchandises, y compris la description physique, les utilisations finales, l'interchangeabilité, la concurrence sur le marché, le prix et la commercialisation10. Dans certains cas, certains de ces facteurs ne sont pas pertinents. Par exemple, les marchandises peuvent parfois être décrites en fonction de spécifications techniques ou de normes industrielles plus limitées11. Il s'agit clairement d'une telle situation en l'espèce.

12. Le point de référence pertinent est l'état des marchandises au moment de l'importation12.

13. Il est également bien établi que, si et seulement s'il existe des ambiguïtés dans la formulation d'une exclusion, la rendant peu claire, l'exposé des motifs des conclusions peut être consulté. La Cour d'appel fédérale, dans Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. Trane Company of Canada, Ltd., a affirmé ce qui suit :

[...] il n'y a pas à mon avis de principe clairement établi qu'on ne doit pas faire référence aux motifs d'une décision afin de clarifier les termes d'une décision formelle dont l'application précise, dans les faits, n'est pas claire de prime abord. [...] Dans ces circonstances il est acceptable de faire référence aux motifs du Tribunal afin de déterminer, si possible, l'application prévue par le Tribunal13.

14. L'exposé des motifs suffira généralement à préciser le sens voulu de conclusions ambiguës14. Cependant, si un aspect particulier des conclusions du Tribunal n'est pas réglé par la consultation de l'exposé des motifs, il peut être utile de renvoyer à des parties du dossier administratif, au moment du prononcé des conclusions du Tribunal, qui concernent directement l'ambiguïté15.

15. Les mêmes principes s'appliquent pour déterminer si les marchandises sont de même description que les marchandises visées par une exclusion16. Toutefois, le point de départ d'un tel exercice demeure de déterminer s'il existe des ambiguïtés quelle qu'elles soient dans la formulation d'une exclusion donnée.

L'exclusion n'est pas ambiguë

16. En l'espèce, le Tribunal ne voit aucune ambiguïté dans le libellé de l'exclusion. Le Tribunal est d'avis qu'il commettrait une erreur de droit s'il limitait son interprétation de l'expression « random lengths » utilisée dans la version anglaise de l'exclusion au sens ordinaire des dictionnaires, comme le soutient l'ASFC. L'exclusion incorpore les normes par renvoi. Les versions anglaises de l'exclusion et des normes contiennent l'expression « random lengths » (« single random lengths » et « double random lengths » dans le cas de la norme ASTM A252 et « random lengths » dans le cas de la norme API 5L). L'expression « random lengths » doit donc être comprise dans le contexte technique et spécialisé dans lequel elle se trouve. En outre, l'exclusion et les normes qu'elle incorpore par renvoi doivent être lues ensemble.

17. Accepter la position de l'ASFC reviendrait à donner à cette expression, d'une part, son sens ordinaire lorsque lue dans l'exclusion elle-même, comme si cette expression était inutile, et, d'autre part, son sens technique et spécialisé lorsque lue dans les normes, alors que celles-ci se trouvent (sont incorporées par renvoi) dans l'exclusion elle-même. Le Tribunal n'accepte pas l'approche interprétative dichotomique de l'ASFC. Le Tribunal ne voit aucune logique de lire l'exclusion comme si elle ne contenait pas les normes afin de donner des sens différents à des mots identiques utilisés dans les deux. Puisque l'exclusion contient les normes, elle ne peut être lue isolément de celles-ci.

18. En fait, l'exclusion contient d'autres mots qui exigent de consulter les normes pour bien comprendre leur sens. Par exemple, il ne serait pas suffisant de s'appuyer sur le sens ordinaire du mot « bevelled » — « tailler (un bord droit d'un objet) en pente »17 [traduction] — utilisé dans la version anglaise de l'exclusion pour comprendre le sens de l'expression « bevelled ends » (extrémités chanfreinées) dans l'exclusion. D'ailleurs, le fait de s'appuyer sur les normes est de la plus haute importance pour comprendre le sens de l'expression « bevelled ends » utilisée dans le contexte technique et spécialisé dans lequel elle se trouve, afin de vérifier les valeurs précises décrites dans les normes relativement à des spécifications comme, notamment, des angles et des tolérances.

19. L'analyse qui précède s'applique également pour comprendre le sens de l'expression « random lengths » utilisée dans la version anglaise de l'exclusion. Fondamentalement, une relation symbiotique existe entre les normes et l'exclusion, et il ne convient pas de séparer les deux lors de l'interprétation des mots qui sont utilisés dans l'exclusion.

20. De plus, le Tribunal a entendu de nombreux éléments de preuve crédibles selon lesquels les pratiques de la branche de production sont conformes à l'usage de l'expression « random lengths » qui se trouve dans les versions anglaises des normes et de l'exclusion18. Le Tribunal abordera plus en détail ci-dessous l'importance d'une interprétation contextuelle des mots utilisés dans une ordonnance d'exclusion.

Les marchandises en cause sont de « longueurs irrégulières », et non de « longueurs uniformes » ou de « longueurs approximatives »

21. L'ASFC soutient que les marchandises en cause sont de « longueurs uniformes » aux termes de la norme ASTM A252 et de « longueurs approximatives » conformément à la norme API 5L. Le Tribunal est en désaccord.

22. Selon la norme ASTM A252, l'expression « longueurs uniformes » s'entend de « longueurs précisées avec une variation acceptable de ± 1 [pouce] » [nos italiques]. Il n'est pas contesté que les marchandises en cause sont commandées et importées avec une variation acceptable de -0/+2 pouces soit, en d'autres termes, d'une longueur allant jusqu'à 2 pouces de plus mais pas de moins que leur longueur acceptable minimale exacte de 40 pieds ou de 60 pieds, suivant le cas. Cette variation ne permet donc pas la variation de -1 pouce qui est prévue dans la catégorie « longueurs uniformes ». Par conséquent, les marchandises en cause ne sont pas correctement décrites par cette catégorie.

23. Selon la norme API 5L, « [l]es longueurs approximatives doivent être livrées selon une tolérance de ±500 mm (20 [pouces]) ». En revanche, les « longueurs irrégulières » doivent être livrées « selon les tolérances figurant au tableau 12 ». Ce tableau prévoit une certaine fourchette de tolérances pour chacune des « désignations de longueurs irrégulières » [traduction]. Toutefois, la norme API 5L indique que les tolérances données pour ces désignations de longueurs irrégulières peuvent être « convenues autrement ». C'est le cas en l'espèce : les marchandises en cause sont visées par la désignation de longueurs irrégulières de 12 mètres (40 pieds) et par celle de 18 mètres (60 pieds), selon une tolérance convenue de -0/+2 pouces (c'est-à-dire une tolérance convenue autre que les tolérances indiquées dans le tableau 12). Par conséquent, les marchandises en cause ne sont pas de « longueurs uniformes » au sens de la norme API 5L.

24. À cet égard, si les fournisseurs des appelantes livraient des tubes de « longueurs uniformes » ou de « longueurs approximatives », les appelantes auraient raison de refuser ces produits parce qu'ils ne seraient pas conformes aux spécifications indiquées dans leur commande.

25. Au cours des déclarations des témoins et de la plaidoirie, le conseiller juridique de l'ASFC a soulevé la question du classement, dans les normes, d'une expédition hypothétique ne contenant que des tubes de 34 pieds, selon une tolérance de -0/+2 pouces19. L'ASFC s'est servie de cet exemple pour affirmer que ces tubes ne seraient conformes ni à la désignation de « longueurs irrégulières simples » (puisqu'ils sont plus longs que 25 pieds) ni à l'exigence relative à une longueur moyenne minimale de 35 pieds de la désignation de « longueurs irrégulières doubles ». Comme expliqué ci-dessous, et bien que ne démontrant pas ce que l'ASFC tentait de faire valoir, cet exemple est néanmoins utile pour comprendre l'application des normes afin de déterminer si ces tubes pourraient être conformes à l'une ou l'autre de celles-ci.

26. Selon la norme ASTM A252, ces tubes sont trop longs pour être qualifiés de « longueurs irrégulières simples » (jusqu'à 25 pieds). À première vue, les tubes de 34 pieds ayant une tolérance de -0/+2 pouces seraient trop courts pour respecter la moyenne minimale de 35 pieds afin d'être qualifiés de « longueurs irrégulières doubles », à moins, bien entendu, qu'on ait pris soin de s'assurer que la tolérance de +2 pouces s'applique de façon à accroître la longueur moyenne minimale de l'expédition à 35 pieds minimum. Il est entendu que de tels tubes ne seraient pas qualifiés de « longueurs uniformes » puisqu'ils sont assujettis à une variation acceptable d'au plus ±1 pouce et, comme indiqué précédemment, que cette variation est étrangère à la spécification de -0/+2 pouces.

27. Par conséquent, à moins que la condition relative à la longueur moyenne minimale de 35 pieds soit respectée dans le scénario dont il est question ici, ce qui garantirait une description en tant que « longueurs irrégulières doubles » (il en serait de même pour toute expédition qui comprendrait des tubes de diverses longueurs supérieures à 25 pieds), les tubes de 34 pieds ayant une tolérance de -0/+2 pouces ne pourraient être classés dans les catégories de longueurs de la norme ASTM A252. Ces tubes ne seraient donc pas conformes aux exigences de cette norme puisqu'elle limite la certification aux tubes qui entrent dans ces catégories de longueurs, qui imposent certaines « limites » particulières. Ils ne pourraient donc pas être marqués de deux inscriptions conformément aux exigences de l'exclusion puisqu'ils ne respecteraient pas une exigence de la norme ASTM A252. Par conséquent, ils ne pourraient bénéficier de l'exclusion.

28. Conformément à la norme API 5L, et selon les témoignages non contestés que le Tribunal a entendus, les tubes de 34 pieds ayant une tolérance de -0/+2 pouces ne sont pas de « longueurs approximatives »20. Aucun élément de preuve contredisant cette position n'a été soumis au Tribunal, et son examen des exigences de la norme confirme cette position, comme il est expliqué ci-dessous.

29. L'impossibilité de la position générale de l'ASFC est aussi étayée par ce qui suit.

30. Le sens courant de la norme ASTM A252 n'empêche aucunement les tubes de « longueurs uniformes » d'être à la fois dans les fourchettes de longueurs des catégories « longueurs irrégulières simples » et « longueurs irrégulières doubles », tant que ceux-ci ont une tolérance de ± 1 pouce. En d'autres termes, les tubes de longueurs « irrégulières » (« simples » ou « doubles ») deviennent de longueurs « uniformes » s'ils sont fabriqués selon la tolérance stricte de ± 1 pouce. Une telle tolérance stricte reflète la nomenclature utilisée : d'ailleurs, les tubes de « longueurs uniformes » ne sont que cela : très uniformes (un pouce de plus ou de moins que la mesure exacte).

31. En revanche, les « longueurs approximatives » de la norme API 5L évoquent la notion exactement inverse : elles sont supérieures ou inférieures de 20 pouces à une mesure donnée (soit dans une fourchette de 40 pouces) — ce qui pourrait difficilement être considéré comme des longueurs exactes.

32. Par conséquent, la longueur des marchandises ne peut être à la fois « uniforme » et « approximative » comme le prévoit respectivement les normes ASTM A252 et API 5L. La position de l'ASFC ne tient aucun compte de ces considérations.

33. Le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont de « longueurs irrégulières » au sens des normes, pour les motifs qui suivent.

34. Le Tribunal conclut que les marchandises en cause sont de « longueurs irrégulières doubles » aux termes de la norme ASTM A252 puisque :

  • les longueurs précises des marchandises en cause, c'est-à-dire 40 pieds et 60 pieds, sont supérieures à celles qui s'appliquent à la catégorie « longueurs irrégulières simples », à savoir entre 16 pieds et 25 pieds, inclusivement;
  • les longueurs précises des marchandises en cause, c'est-à-dire 40 pieds et 60 pieds, correspondent aux longueurs qui s'appliquent à la catégorie « longueurs irrégulières doubles », à savoir plus de 25 pieds, et que la longueur moyenne des marchandises en cause est supérieure à la longueur moyenne minimale exigée pour cette catégorie, soit 35 pieds;
  • les marchandises en cause ont des tolérances « convenues autrement » de -0/+2 pouces, des tolérances qui diffèrent de celles précisées pour la catégorie « longueurs uniformes », c'est-à-dire une variation acceptable de ±1 pouce.

35. Conformément à la norme API 5L, le Tribunal conclut également que les marchandises en cause sont de « longueurs irrégulières » et ont des tolérances « convenues autrement » (c'est-à-dire des tolérances autres que celles figurant dans le tableau 12 de cette norme) puisque :

  • les marchandises en cause ont des tolérances « convenues autrement » de -0/+2 pouces;
  • les marchandises en cause sont de longueurs, c'est-à-dire 40 pieds et 60 pieds, qui sont énumérées dans les « désignations de longueurs irrégulières » du tableau 12, à l'article 9.11.3.3 de cette norme.

Remarques additionnelles

36. L'ASFC affirme que l'inclusion de longueurs moyennes minimales dans les normes sous-entend une variété de longueurs, ce qui empêche, de ce fait, la commande de longueurs précises. Le Tribunal est en désaccord.

37. Premièrement, il est impossible pour le Tribunal d'être aveuglément soumis à la définition courante du mot « random » tirée des dictionnaires lorsque le contexte particulier de l'usage du mot indique un autre sens. Une commande de tubes de longueurs conformes aux définitions ordinaires du mot « random »21 tirées des dictionnaires irait non seulement à l'encontre des besoins et des pratiques de la branche de production, mais également des normes elles-mêmes, qui font partie du contexte d'interprétation pertinent.

38. D'ailleurs, le libellé des normes ASTM A252 et API 5L indique clairement que les « longueurs irrégulières » doivent être précisées au moment de la commande, l'article 13.1 de la norme ASTM A252 prévoyant que [l]es tubes pour pilotis doivent être fournis selon les longueurs irrégulières simples, les longueurs irrégulières doubles ou les longueurs uniformes indiquées sur le bon de commande » et l'article 9.11.1.3 de la norme API 5L prévoyant que « [l]es tubes doivent être livrés selon les longueurs irrégulières ou approximatives indiquées sur le bon de commande » [nos italiques dans les deux cas].

39. Deuxièmement, il est incontestable qu'un élément de hasard tire son origine du fait même que les normes prévoient les réalités que les tolérances précises visent à aborder : cela fait partie intégrante des impératifs de production de la branche de production et des besoins des utilisateurs finals en matière de conception. Le degré de tolérance est, en fait, une rencontre entre la branche de production et les acheteurs (qui finissent par répondre aux besoins des utilisateurs finals), par laquelle un niveau donné de variation ou de hasard devient acceptable pour le fabricant et l'utilisateur final pour les fins de chacun22. En ce sens, un degré de hasard quant aux tolérances est prévu dans les normes afin de refléter des réalités techniques et commerciales très concrètes. Ce degré de hasard n'a cependant rien à voir avec la définition courante du mot « random » tirée des dictionnaires qui est adoptée par l'ASFC.

40. Troisièmement, l'interprétation littérale du mot « random » ne peut que témoigner d'une volonté d'interpréter l'exclusion isolément de la réalité commerciale et de la raison d'être même de telles conclusions aux termes de la LMSI. Le Tribunal ne peut accepter cette position puisqu'elle est non seulement déraisonnable, mais également erronée. D'après les déclarations des témoins, l'interprétation de l'exclusion fournie par l'ASFC exclurait, en fait, toute possibilité, quelle qu'elle soit, que des importateurs puissent profiter de ses avantages23 : les expéditions de tubes vraiment aléatoires, comme l'ASFC voudrait que le Tribunal comprenne ce terme, n'ont simplement pas lieu dans le monde réel courant du commerce auquel la branche de production prend part24.

DÉCISION

41. Les appels sont admis.


1 . L.R.C. 1985, ch. S-15 [LMSI].

2 . (20 août 2008), NQ-2008-001 (TCCE) [TSAC].

3 . TSAC à la p. ii.

4 . Une description des marchandises en cause se trouve dans la pièce AP-2012-047-06A, pièce 1 (pour Salzgitter) et pièce 2 (pour Varsteel).

5 . Pièce AP-2012-047-08A au para. 12.

6 . Pièce AP-2012-047-06A au para. 20.

7 . Diverses expressions ont été utilisées : « longueurs diverses ou variées », « toutes les longueurs de tube », « longueurs variées ou multiples, signifiant une variété de longueurs » et « une variété de longueurs déterminées » [traductions]. Ibid. aux paras. 23, 35, 56, 59.

8 . D.O.R.S./91-499.

9 . Pièce AP-2012-047-06A, pièce 5.

10 . Voir par exemple Nikka Industries Ltd. c. Sous-M.R.N.D.A. (20 août 1991), AP-90-018 (TCCE); Macsteel International (Canada) Limited c. Commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (16 janvier 2003), AP-2001-012 (TCCE); Zellers Inc. c. Sous-M.R.N. (25 janvier 1996), AP-94-351 (TCCE); Cobra Fixations Cie Ltée c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada (8 mai 2009), AP-2008-006 (TCCE); Aluminart Products Limited c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada (19 avril 2012), AP-2011-027 (TCCE).

11 . Toyota Tsusho America, Inc. c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada (18 novembre 2011), AP-2010-063 (TCCE).

12 . Voir Deputy M.N.R.C.E. v. MacMillan & Bloedel (Alberni) Ltd., [1965] SCR 366. Voir aussi Tiffany Woodworth c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada (11 septembre 2007), AP-2006-035 (TCCE) au para. 21.

13 . [1982] 2 CF 194 (CAF) à la p. 206. Voir aussi Bande indienne de Blueberry River c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2001 CAF 67, [2001] 4 CF 455 [CAF] [Bande indienne] au para. 38.

14 . BMI Canada Inc. et BMI West Inc. c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada (2 août 2011), AP-2010-039 (TCCE) aux para. 105, 107.

15 . Bande indienne. Bien qu'elle ait été rendue dans un contexte différent, cette décision de la Cour d'appel fédérale appuie l'opinion du Tribunal selon laquelle, dans la mesure où l'exposé des motifs ne suffit pas pour établir le sens de conclusions ambiguës, des documents autres que l'exposé des motifs qui faisaient partie du dossier administratif au moment du prononcé des conclusions du Tribunal et qui visent directement l'ambiguïté en cause peuvent être consultés pour interpréter les conclusions. Par ailleurs, l'approche du Tribunal est conforme à celle des États-Unis à l'égard des procédures équivalant aux appels interjetés aux termes de la LMSI. Lorsqu'il est demandé au ministère du Commerce des États-Unis de déterminer si des produits sont assujettis à une ordonnance qui a pour effet d'imposer des droits antidumping ou compensateurs, il examine d'abord le libellé de l'ordonnance et la description des marchandises fournie dans la demande, compte tenu de la plainte, le dossier de l'enquête initiale et les décisions du ministère du Commerce et de la Commission du commerce international des États-Unis. Voir 19 CFR 351.225 d) et k); Walgreen Co. v. United States, 620 F.3d 1350, 1357 (Fed. Cir. 2010).

16 . Voir par exemple Powers Industries Limited c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada (22 avril 2013), AP-2012-010 (TCCE) au para. 25.

17 . Oxford Dictionaries, http://oxforddictionaries.com/definition/english/bevel, s.v. « bevel ».

18 . Transcription de l'audience publique aux pp. 9, 28-33, 55-60, 64-65.

19 . Ibid. à la p. 38 et suivantes.

20 . Ibid. à la p. 41.

21 . The Concise Oxford Dictionary, 10e éd., s.v. « random » : « 1 fait [...] sans méthodologie ou décision délibérée. [...] 3 [...] composants de taille et de forme irrégulières »; Collins English Dictionary, 5e éd., s.v. « random » : « 1 manque de planification définie ou d'ordre préparé [...] 2b choisi sans considération des caractéristiques [...]. Pièce AP-2012-047-08A, onglet 4.

22 . Transcription de l'audience publique aux pp. 23, 39.

23 . Ibid. à la p. 62.

24 . Ibid. aux pp. 22, 28.