SHAKLEE CANADA INC.

Décisions


SHAKLEE CANADA INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no 2940

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 6 septembre 1990

Appel no 2940

EU ÉGARD À un appel entendu le 5 février 1990 en conformité avec l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision du ministre du Revenu national en date du 5 novembre 1987 concernant un avis d'opposition présenté en conformité avec l'article 81.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

SHAKLEE CANADA INC.Appelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONALIntimé

L'appel est rejeté. Le Tribunal déclare que les suppléments alimentaires -- vitamines, minéraux et fibres -- vendus par l'appelante ne sont pas des «aliments» au sens ordinaire du terme et ne peuvent pas être considérés comme des «Aliments... destinés à la consommation humaine... » au sens de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise. En conséquence, ils ne sont pas admissibles à l'exemption de la taxe de vente fédérale en vertu de la Loi sur la taxe d'accise.


Robert J. Bertrand, c.r. ______ Robert J. Bertrand, c.r. Membre présidant

Sidney A. Fraleigh ______ Sidney A. Fraleigh Membre

W. Roy Hines ______ W. Roy Hines Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Loi sur la taxe d'accise -- Annexe III -- Sens du mot «aliments» -- Suppléments alimentaires (vitamines, minéraux et fibres) -- Il s'agit de savoir si ces produits sont exemptés de la taxe de vente fédérale en tant qu'«Aliments... destinés à la consommation humaine... » en vertu de l'article 1 de la PartieV de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise.

JUGEMENT: L'appel est rejeté. Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) conclut que les suppléments alimentaires -- vitamines, minéraux et fibres -- vendus par l'appelante ne sont pas des «aliments» au sens ordinaire du terme et ne peuvent pas être considérés comme des «Aliments... destinés à la consommation humaine... » au sens de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise. En conséquence, ils ne sont pas admissibles à l'exemption de la taxe de vente fédérale en vertu de la Loi sur la taxe d'accise.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 5 février 1990 Date de la décision : Le 6 septembre 1990
Membres du Tribunal : Robert J. Bertrand, c.r., membre présidant Sidney A. Fraleigh, membre W. Roy Hines, membre
Greffier du Tribunal : Molly C. Hay
Ont comparu : Andrew J. Roman et Susan M. Manwaring, pour l'appelante Geoffrey Lester, pour l'intimé
Jurisprudence : The King v. Planters Nut and Chocolate Co., Ltd., (1951) R.C. de l'É. 122; Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, (1983) 2 C.F. 11 et (1986) 1 C.F. 346; Canterra Energy Ltd. c. Sa Majesté la Reine, (1985) 1 C.T.C. 329; Abbott Laboratories Limited c. Sa Majesté la Reine, (1971) C.T.C. 26; Thompson c. le Canada, (1988) 3 C.F. 108; Le Procureur général du Canada c. Royden Young et al., non publié, C.F.A., le 31 juillet 1989, Cour n o A–978–88.
Lois et règlements cités : Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, paragraphes 2(1), 50(1), 51(1); articles 1 et 2 de la Partie V et article 1 de la Partie VIII de l'annexe III; Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27; Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.C. 1988, ch. 56, art. 60.
Dictionnaires cités : The Oxford English Dictionary (2 e édition, Clarendon Press, Oxford, 1989); New Lexicon Webster's Dictionary of English Language, (Lexicon Publications, Inc., New York, 1987); Le Grand Robert de la langue française (2 e édition, Le Robert, Paris, 1987); Encyclopædia Universalis, Corpus (Encyclopædia Universalis, France, 1989).
Mémorandums cités : Communiqués de l'Accise, 112/TI et 113/TI.





RÉSUMÉ

Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi). Shaklee Canada Inc. (Shaklee) est un fabricant et distributeur d'une gamme de produits alimentaires. Les marchandises en cause sont des suppléments alimentaires -- vitamines, minéraux et fibres -- vendus par l'appelante. Cette dernière soutient que ces produits sont des «aliments» au sens de la Loi et, à ce titre, devraient être exemptés de la taxe en vertu de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III de la Loi.

Dans le présent appel, il s'agit d'établir si les marchandises en cause sont des «aliments» au sens où ce mot doit être entendu aux fins de l'annexe.

La Loi ne définit ni le mot «aliments» ni les autres termes mentionnés dans l'annexe III. Par ailleurs, aucune autre loi fiscale ne définit le mot «aliments». De plus, les témoins experts ne s'entendent pas sur le sens du mot «aliments». Leur opinion au sujet de ce qui constitue un aliment est utile, mais ne permet pas d'en arriver à une conclusion, d'autant plus que les définitions sont contradictoires. Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) est d'avis que les mots utilisés dans l'annexe et dans la Loi doivent être interprétés selon leur acception courante.

Après examen des éléments de preuve, des définitions des dictionnaires, des étiquettes des produits et des documents publicitaires de l'appelante, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne sont pas des aliments, mais des suppléments alimentaires conçus pour prévenir ou corriger certaines carences alimentaires chez les humains. De plus, si, du point de vue d'un nutritionniste, les vitamines, minéraux et fibres vendus par l'appelante peuvent être visés par le mot «aliments», ils ne sont pas compris dans le sens ordinaire de ce mot. De l'avis du Tribunal, il est clair lorsque l'on utilise le mot «aliments», son sens courant n'englobe pas les marchandises en cause.

De même, à la lumière des éléments de preuve et de l'histoire des dispositions législatives, le Tribunal en arrive aux conclusions suivantes. D'abord, le Parlement n'a jamais eu l'intention d'inclure les marchandises en cause dans la disposition d'exemption visant les «denrées alimentaires». Ensuite, les marchandises en cause étaient englobées dans le libellé de l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe III en vigueur avant le 23 mai 1985, qui se retrouve maintenant dans la définition des «marchandises relatives à la santé» du paragraphe 2(1) de la Loi. Enfin, l'abrogation de l'exemption explicite des «marchandises relatives à la santé» a supprimé cette catégorie de marchandises de la portée de l'annexe III.

En conséquence, l'appel n'est pas admis.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions législatives qui s'appliquaient au moment de l'appel sont les suivantes :

Loi sur la taxe d'accise [1]

2(1)...

«marchandises relatives à la santé» Toutes les matières ou substances, ou tous les mélanges, composés ou préparations, quelle que soit leur composition ou leur forme, qui sont vendus pour servir au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un trouble physique, d'un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l'homme ou les animaux, ou devant servir à la restauration, à la correction ou à la modification des fonctions organiques de l'homme ou des animaux [2] .

...

«fabricant ou producteur» comprend:

...

i) toute personne qui vend des marchandises relatives à la santé, sauf une personne qui vend de telles marchandises exclusivement et directement aux consommateurs [3] ;

...

50(1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente au taux spécifié au paragraphe (1.1) sur le prix de vente de toutes marchandises:

a) produites ou fabriquées au Canada:

(i) payable, dans tout cas autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas (ii) ou (iii), par le producteur ou fabricant au moment où les marchandises sont livrées à l'acheteur ou au moment où la propriété des marchandises est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre,

...

51(1) La taxe imposée par l'article 50 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des marchandises mentionnées à l'annexeIII, excepté les marchandises mentionnées à la Partie XIII de cette annexe qui sont vendues ou importées par des personnes exemptées du paiement de la taxe de consommation ou de vente en application du paragraphe 54(2).

ANNEXE III

PARTIE V

DENRÉES ALIMENTAIRES

1. Aliments et boissons destinés à la consommation humaine (y compris les édulcorants, assaisonnements et autres ingrédients devant être mélangés à ces aliments et boissons ou être utilisés dans leur préparation), sauf:

a) les vins, spiritueux, bières, liqueurs de malt et autres boissons alcoolisées;

b) les boissons de malt non alcoolisées;

c) les boissons gazeuses et les marchandises devant servir à leur préparation;

d) les boissons de jus de fruits et les boissons à saveur de fruits non gazeuses, autres que les boissons à base de lait, contenant moins de vingt-cinq pour cent par volume:

(i) de jus de fruits naturel ou d'une combinaison de jus de fruits naturels,

(ii) de jus de fruits naturel ou d'une combinaison de jus de fruits naturels qui ont été reconstitués à l'état initial,

et les marchandises qui, lorsqu'elles sont ajoutées à de l'eau, produisent une boisson visée dans le présent alinéa;

e) les bonbons, les confiseries qui peuvent être classées comme bonbons, et toutes les marchandises qui sont vendues au titre de bonbons, telles la barbe à papa, le chewing gum et le chocolat, qu'elles soient naturellement ou artificiellement sucrées, y compris les fruits, les graines, les noix et les maïs soufflés lorsqu'ils sont enduits ou traités avec du sucre candi, du chocolat, du miel, de la mélasse, du sucre, du sirop ou des édulcorants artificiels [4] .

LES FAITS

Il s'agit d'un appel interjeté en conformité avec l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi) par Shaklee en vue de l'annulation de la décision no 70054RE du ministre du Revenu national, datée le 5 novembre 1987. L'appelante demande que le Tribunal déclare que les marchandises en cause, vendues entre le 1er juillet 1985 et le 30 septembre 1986, étaient exemptées de la taxe de vente fédérale en tant qu'«Aliments... destinés à la consommation humaine... », en vertu de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III de la Loi.

Shaklee est une société qui s'occupe de la fabrication, la distribution et la vente d'une variété de produits, y compris les produits alimentaires.

Les marchandises faisant l'objet de l'appel sont huit suppléments alimentaires différents (vitamines, minéraux et fibres) vendus sous diverses formes et sous vingt numéros de produits différents. Les huit produits, de même que les vingt numéros de produits, le nom des produits et les ingrédients qui les composent ont été classés à l'annexe A du mémoire de l'appelante dans les huit catégories suivantes : produits VITA-C, VITA-LEA, VITA-E, comprimés B-COMPLEX, VITA-CAL, comprimés de FER, comprimés de ZINC et FIBRES.

Entre le 1er juillet 1985 et le 30 septembre 1986, Shaklee a vendu pour 16 948 970,65 $ de ces produits, somme sur laquelle elle a déclaré et payé des taxes de vente fédérales de 1 180 402,82 $.

Le 8 décembre 1986, Shaklee a présenté une demande de remboursement visant le total des taxes de vente fédérales qu'elle avait payé. Par l'Avis de détermination no SWO 10865 du 20 février 1987, l'intimé a rejeté la demande de l'appelante. Le 14 avril 1987, Shaklee a présenté un avis d'opposition visant la détermination de l'intimé, en se fondant sur le principe que les marchandises en cause étaient exemptées de la taxe de vente fédérale en tant que «denrées alimentaires» en vertu de la Partie V de l'annexe III de la Loi.

Par l'Avis de décision no 70054RE daté le 5 novembre 1987, l'intimé refusait l'avis d'opposition, en se fondant sur le principe que les marchandises en cause étaient des «marchandises relatives à la santé» au sens du paragraphe 2(1) de la Loi. Dans les motifs de décision, l'intimé a ajouté que les marchandises en cause étaient vendues et présentées pour servir au traitement ou à la prévention d'une maladie, d'un trouble physique ou d'un état physique anormal ou pour restaurer des fonctions organiques de l'homme.

Dans une lettre, en date du 21 janvier 1988, l'appelante a manifesté son intention d'en appeler de la décision de l'intimé au secrétaire de la Commission du tarif, en conformité avec l'article 81.19 de la Loi.

L'appel, initialement interjeté auprès de la Commission du tarif, a été confié au Tribunal, en vertu de l'article 60 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [5] , qui l'a mené à terme.

LA QUESTION EN LITIGE

Au début de l'audience, les avocats de l'appelante ont insisté sur le fait que le Tribunal statue qu'il n'y a qu'un point en litige dans l'appel, à savoir si les produits en question sont des aliments. Ils ont précisé de plus qu'il n'est pas pertinent d'établir s'il s'agit de marchandises relatives à la santé. Selon eux, l'appelante n'a pas à prouver que les produits ne sont pas des marchandises relatives à la santé.

Par contre, selon l'avocat de l'intimé, il est impossible de déterminer si les produits en cause sont des aliments sans se demander aussi s'il s'agit de marchandises relatives à la santé. L'avocat a précisé que ses remarques se fondent tout simplement sur l'historique des dispositions législatives. L'avocat a expliqué que, jusqu'en 1985, les «marchandises relatives à la santé» étaient visées par l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe III de la Loi, et que l'article en cause a été supprimé de l'annexe d'exemption pour être intégré à l'article 2, en conséquence de quoi les marchandises sont devenues imposables. La portée de l'expression «Aliments... destinés à la consommation humaine... » de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III dépend donc des autres dispositions d'exemption ou des autres parties de la loi fiscale, et la Loi doit être interprétée dans son ensemble. L'avocat a ajouté que la structure complexe de la Loi est telle que des marchandises relatives à la santé peuvent être imposées au niveau du grossiste, considéré comme distinct du niveau du fabricant, s'il s'agit effectivement de marchandises relatives à la santé. En raison des circonstances de la présente cause, l'avocat a donc conclu que l'appelante doit aussi démontrer pourquoi les produits visés ne sont pas des marchandises relatives à la santé.

Concernant les remarques préliminaires de l'appelante, le Tribunal a statué à l'audience que, dans la présente cause, la première question à trancher est sans aucun doute celle de savoir si les produits en question sont des «Aliments... destinés à la consommation humaine... » au sens de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III. Cependant, parce que le Tribunal doit interpréter l'expression «Aliments... destinés à la consommation humaine... », il se pourrait qu'il faille se reporter à l'histoire de la disposition d'exemption. À cette fin, le Tribunal était d'avis que la question de savoir si les produits en cause sont des marchandises relatives à la santé ou non deviendrait une question secondaire et que, pour l'interprétation de la loi, les éléments de preuve et les arguments concernant les marchandises relatives à la santé seraient pertinents.

Avant de présenter la preuve, les avocats de l'appelante ont fait l'historique des dispositions législatives pertinentes à cet appel. Ils ont expliqué que l'annexe III de la Loi spéciale des Revenus de guerre, 1915, remplacée par la suite par la Loi sur la taxe d'accise, comportait une liste des denrées alimentaires qui étaient exemptées de la taxe. Cette liste a été allongée au fil des ans, jusqu'à ce qu'elle soit abrogée en 1973-1974 et remplacée par l'exemption générale des denrées alimentaires en vigueur maintenant. Des modifications subséquentes, qui ont allongé la liste des articles exclus, ont été apportées à l'exemption générale des denrées alimentaires de la Partie V de l'annexe III. Les avocats ont précisé que cette liste des articles exclus constitue une indication du fait que le Parlement a porté son attention sur les articles qui doivent être exclus de l'exemption générale visant les denrées alimentaires et qu'aucune des marchandises en cause de l'appelante ne se trouve dans la liste des produits exclus.

Les avocats de l'appelante ont de plus expliqué que, avant le 23 mai 1985, la Partie VIII de l'annexe III contenait une disposition d'exemption générale des «produits relatifs à la santé». Les modifications de 1985 supprimaient cette exemption générale des marchandises relatives à la santé et la remplaçaient par une liste précise des produits relatifs à la santé qui étaient exemptés. Ces modifications ont de plus déplacé le paiement des taxes sur les marchandises relatives à la santé au niveau du grossiste. Les avocats ont déclaré que les modifications de 1985 n'avaient pas pour effet de rendre imposables les marchandises relatives à la santé, mais de restreindre la liste des produits relatifs à la santé qui pouvaient être exemptés.

Les avocats ont attiré l'attention du Tribunal sur les Communiqués de l'Accise 112/TI et 113/TI publiés par Revenu Canada, Douanes et Accise, le 23 mai 1985. D'après ces communiqués, les «marchandises relatives à la santé» devraient être, à partir du 1er juillet 1985, assujetties à la taxe de vente fédérale à moins d'être admissibles à une exemption en vertu des nouvelles dispositions ou d'une autre disposition d'exemption de la Loi. Les avocats ont ajouté que, à l'examen des diverses parties de l'annexe III, on peut trouver de nombreux exemples d'articles ou de marchandises qui peuvent être exemptés en vertu de plusieurs parties. Les avocats ont donc estimé qu'un produit peut être exempté de la taxe en vertu de plus d'une Partie de l'annexe III.

À l'appui de la position de l'appelante, selon laquelle les marchandises en cause sont des «aliments» au sens de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III, les avocats la représentant ont fait témoigner M. David W. Stanley. Titulaire d'un doctorat en science alimentaire, celui-ci a déjà enseigné à l'University of Toronto et enseigne actuellement à l'University of Guelph. Pour bien établir la compétence de M. Stanley, en science alimentaire, on a remis au Tribunal une longue liste de publications et d'articles dont il est l'auteur. Le témoin a expliqué au Tribunal que, à son avis, les marchandises en cause sont des aliments. Il a précisé que dans la langue courante les définitions du terme «aliments» sont nombreuses, mais elles ont toutes en commun le fait qu'un aliment est une substance qui est absorbée par l'organisme pour assurer la vie et la croissance. À son avis, les aliments existent afin de fournir les éléments nutritifs nécessaires à la vie et à la croissance. En conséquence, tout produit qui apporte les éléments nutritifs nécessaires à la vie et la croissance est un aliment. Selon son examen des ingrédients et des étiquettes des marchandises en cause, le témoin a déclaré que toutes ces marchandises contiennent des éléments nutritifs et sont donc des aliments.

Appelé à se prononcer sur certains exposés des faits du mémoire de l'intimé, le témoin a formulé les observations suivantes. Premièrement, il n'était pas d'accord avec l'idée que les aliments servent à soulager la faim; les aliments sont consommés, selon lui, afin de permettre l'ingestion des éléments nutritifs nécessaires. Deuxièmement, parce qu'ils ne sont pas toujours capables de prendre de bons repas, comme ils le devraient, et n'absorbent donc pas tous les éléments nutritifs nécessaires, les gens optent pour des suppléments du type des marchandises en cause. Il s'agit d'une excellente solution dans les cas de carence alimentaire et non d'une solution de second ordre comme il est mentionné dans le mémoire de l'intimé. Troisièmement, en ce qui a trait aux effets nocifs possibles des marchandises en cause, selon le témoin, rien n'indique, si la posologie recommandée est respectée, que les produits peuvent être dangereux de quelque façon que ce soit. Quatrièmement, le témoin n'était pas d'accord avec l'énoncé selon lequel une des fonctions principales des aliments est de fournir de l'énergie; à son avis, de nombreux autres éléments nutritifs sont nécessaires, par exemple les acides gras, les acides aminés, les vitamines, les minéraux, l'eau et les fibres. Cinquièmement, il s'est fermement opposé à l'énoncé que la seule utilisation légitime des marchandises en cause est le traitement ou la prévention de la maladie ou de troubles chez les humains. Contrairement à l'intimé, il croit que lesdites marchandises sont conçues pour assurer la vie et la croissance et font beaucoup plus que traiter ou prévenir la maladie et les troubles.

Au contre-interrogatoire, le témoin a admis que les marchandises en cause pouvaient être qualifiées de «suppléments alimentaires». Il a aussi admis que les besoins énergétiques comblés par les produits Shaklee sont minimes. Il a précisé qu'à titre d'apport calorique, ces produits fournissent très peu au montant d'énergie que nous consommons, mais ils sont très importants pour le fonctionnement métabolique. Quant aux vitamines et aux minéraux présents naturellement dans les aliments, le témoin a précisé qu'on les appelle en réalité des «micro-nutriments» parce qu'ils sont présents en très petites quantités. Selon le témoin, les vitamines remplissent des fonctions catalytiques nécessaires au métabolisme; elles ne sont donc pas assimilées dans la réaction chimique, et l'excédent est soit éliminé dans l'urine, soit emmagasiné dans les graisses.

Interrogé par le Tribunal au sujet de la définition de l'expression «élément nutritif», le témoin a répondu qu'il s'agit de toute substance, comme les acides aminés, les vitamines ou les minéraux, qui doit être ingérée et qui est essentielle à certaines fonctions organiques; à son avis, l'eau et les fibres sont comprises dans la définition de l'expression «élément nutritif», même si elles n'ont aucune valeur calorique. En ce qui a trait à la valeur nutritive du panier à provisions de la plupart des Canadiens, le témoin a admis que les gens ordinaires qui ont une alimentation normale n'ont probablement pas besoin de suppléments alimentaires et que le panier à provisions de la plupart des Canadiens contient suffisamment de vitamines et de minéraux pour assurer un bon fonctionnement métabolique.

M. John Patrick, docteur en médecine et en philosophie, professeur agrégé aux départements de biochimie et de pédiatrie à l'Université d'Ottawa, a témoigné au nom de l'intimé. Spécialiste en biochimie alimentaire (surtout en alimentation en laboratoire clinique), il est aussi conseiller à l'Hôpital pour enfants de l'Est ontarien, où il s'occupe des enfants souffrant de malnutrition sous toutes ses formes.

Son témoignage se résume de la façon suivante. Évidemment, il n'était pas d'accord avec M. Stanley pour ce qui est des principales raisons pour lesquelles on consomme des aliments. Selon lui, la plupart des gens mangent pour se rassasier. Il a témoigné que les aliments contiennent des éléments nutritifs, mais il a ajouté que ces éléments ne sont pas ce qu'il y a de plus important. Les aliments sont plus importants, et l'alimentation, encore plus. Pour lui, les aliments sont ce qu'on mange repas après repas, et l'alimentation, ce qu'on mange au cours d'une période donnée.

M. Patrick a précisé que tout le monde n'a pas le même appétit, mais que la plupart d'entre nous mangeons à satiété, c'est-à-dire suffisamment pour combler nos besoins énergétiques. Il a ajouté que, si des normes sont fixées en ce qui a trait à l'apport d'éléments nutritifs, c'est afin de répondre aux exigences gouvernementales. La fonction primordiale de ces normes est de faire en sorte que l'approvisionnement en nourriture est suffisant. En réponse à une question sur le sens de l'énoncé selon lequel, lorsqu'ils sont extraits d'un aliment, les éléments nutritifs comme les marchandises en cause sont sans grande valeur énergétique et n'ont plus rien à voir avec l'appétit, le témoin a souligné que c'est précisément là la raison pour laquelle ces produits doivent être gardés hors de la portée des enfants, car ceux-ci ne font pas la différence entre ces suppléments et des bonbons. Contrairement à ces suppléments, les aliments comportent un «mécanisme de sécurité» interne. M. Patrick était d'accord avec M. Stanley sur le point suivant : la personne moyenne normale n'a pas besoin de suppléments. Il a ajouté que, à son avis, les marchandises en cause n'ont pas d'utilité si aucun diagnostic n'est posé.

En réponse au Tribunal, qui lui a demandé si tout ce qui est ingéré est un aliment, M. Patrick a répondu que cela dépend de la forme, de la dose et du but recherché. Selon lui, le commun des mortels ne considérerait pas une assiettée de vitamines comme un aliment, et surtout pas comme un aliment de remplacement. Il n'a pas nié que les aliments contiennent des vitamines et, d'une certaine façon, il serait prêt à accepter la position de l'appelante, selon laquelle les vitamines sont des aliments. Mais, il a ajouté que, en raison de la forme des produits en cause, de la posologie recommandée et de l'utilisation qui en est faite, il serait préférable de classer ces marchandises dans une autre catégorie. Selon lui, la personne qui n'a pas une bonne alimentation, par exemple l'enfant souffrant d'anorexie mentale, peut être forcée de prendre des vitamines. À son avis, il s'agirait d'une solution de deuxième ordre et, dans ces cas, a-t-il estimé, les vitamines constitueraient un aliment. Il a cependant ajouté qu'il serait plus facile et plus réaliste de considérer ces vitamines comme des éléments nutritifs.

Au contre-interrogatoire, M. Patrick a admis que la définition d'«aliment» proposée par M. Stanley n'est pas fausse. Cependant, il a précisé qu'il s'agit d'une définition incomplète qui appelle les précisions suivantes : un aliment est un produit qui peut être acheté dans un magasin d'alimentation, qui ne subit pas autant de transformation que les marchandises en cause et qui contient des composantes alimentaires de base. À son avis, la plupart des Canadiens ont une alimentation normale et équilibrée. L'ajout de vitamines à un aliment en fait un produit enrichi, qui peut être toxique. À cet égard, il a admis que, dans le cas de l'adulte qui respecte la posologie recommandée pour les produits Shaklee, il n'y a pas vraiment d'effets toxiques possibles.

Interrogé sur son affirmation selon laquelle les définitions d'«aliment» varient parce que la consommation de substances en tant qu'aliments varie d'un endroit à l'autre et d'une culture à l'autre, le témoin a admis que la consommation de vitamines fait maintenant Partie de la culture nord-américaine. Il a aussi admis que l'expression «marchandises relatives à la santé» n'est pas une expression médicale; il ferait quand même une distinction entre les substances prises comme drogues et qui ne doivent, sous aucune considération, être prises sans directives et les produits qui peuvent être achetés sans ordonnance et qu'il qualifierait de «marchandises relatives à la santé». Finalement, il était d'avis que personne ne devrait prendre quotidiennement des vitamines, sauf sur recommandation ou ordonnance du médecin.

Après le témoignage de M. Patrick, l'avocat de l'intimé a présenté des documents sur l'identification numérique des drogues (DIN) des marchandises en cause. Il a justifié la présentation de ces documents de la manière suivante : la description ou la définition de «drogue» que donne la Loi sur les aliments et drogues [6] ressemble beaucoup à la description de «marchandises relatives à la santé» que donne la Loi; même si les deux lois ne sont pas in pari materia (connexes), l'avocat a soutenu que les éléments de preuve sont pertinents en raison des requêtes présentées par l'appelante au ministère de la Santé et du Bien-être social en ce qui a trait au fait que les marchandises en cause sont vendues ou présentées pour servir au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie. L'avocat de l'intimé a de plus demandé aux avocats de l'appelante d'admettre que le fait que les marchandises en cause portent une DIN signifie justement qu'elles sont vendues ou présentées aux fins énoncées dans la Loi.

Les avocats de l'appelante ont refusé et se sont opposés à la présentation des éléments de preuve concernant les DIN en général. Selon eux, le fait que les deux lois ne sont pas connexes est concluant. Les avocats ont soutenu que puisque l'appelante importe les marchandises en cause et veut pouvoir les vendre au Canada, elle demande volontairement une DIN pour simplifier les choses. Cela ne veut pas dire que les renseignements indiqués sur l'étiquette des produits sont exacts, ni que le produit est une drogue. Toutefois, les avocats ont admis que l'appelante détient des certificats DIN.

Le Tribunal a pris note de l'opposition des avocats de l'appelante et a invité l'avocat de l'intimé à présenter des éléments de preuve en ce qui a trait à la raison d'être des DIN.

Mme Micheline Ho a témoigné pour l'intimé à ce sujet. Elle est le chef de la Division de la réglementation des produits du Bureau des médicaments en vente libre à Santé et Bien-être social depuis cinq ans. Mme Ho est titulaire d'un baccalauréat en chimie. Dans l'exercice de ses fonctions, elle reçoit les demandes de fabricants de médicaments qui veulent introduire sur le marché canadien des produits fabriqués ou importés au Canada, produits qu'ils désirent vendre au Canada en tant que médicaments en vente libre. Elle étudie chaque demande en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, établit si le produit est une drogue et est conforme à la loi et, le cas échéant, recommande l'attribution d'une DIN.

Le témoin a cit 9‚ la définition de «drogue» que donne la Loi sur les aliments et drogues. Il s'agit d'une substance ou d'un mélange de substances servant ou présenté comme pouvant servir à la prévention ou au traitement d'une maladie ou à la modification d'une fonction organique ou d'un état physique anormal. Elle a expliqué que le fabricant doit obtenir une DIN avant de mettre toute drogue sur le marché au Canada. À son avis, l'assujettissement à la Loi sur les aliments et drogues n'est pas volontaire. Afin d'établir si tel produit est une drogue au sens de la Loi sur les aliments et drogues, le ministère examine la formulation et la composition du produit, l'étiquette, l'usage prévu et la posologie recommandée. Selon le témoin, si une DIN est attribuée, c'est que le demandeur a convaincu le ministère non seulement que le produit est une drogue, mais qu'il est une drogue sécuritaire et efficace.

Après le témoignage de Mme Ho, les avocats de l'appelante ont tout d'abord convoqué M. Donald Morison Smith, titulaire d'un doctorat en chimie organique et d'une bourse de recherche post-doctorale à la Harvard University. Selon le témoin, l'attribution d'une DIN permet de s'assurer que l'étiquette du produit comporte les avertissements et les mises en garde appropriés. Il s'agit d'avertir les usagers que les produits peuvent présenter certains dangers lorsqu'ils sont consommés en grande quantité. La présence d'une DIN ne signifie pas qu'il s'agit nécessairement d'une drogue.

LES ARGUMENTS

Lors de la période d'argumentation, les avocats de l'appelante ont tout d'abord attiré l'attention du Tribunal sur les étiquettes des produits Shaklee et la publication de Shaklee, intitulée Signal. D'après ces documents, les marchandises en cause sont essentiellement des denrées alimentaires. Elles sont annoncées et décrites comme telles.

En deuxième lieu, les avocats ont souligné qu'avant la modification de la Loi, entrée en vigueur le 1er juillet 1985, les marchandises en cause étaient vendues tout en étant exemptées de la taxe vente, mais la jurisprudence ne permet pas d'établir s'il en était ainsi parce qu'il s'agissait de marchandises relatives à la santé. Selon les avocats, les Communiqués de l'Accise 112/TI et 113/TI annoncent simplement que, à moins d'être admissibles à une exemption, les marchandises relatives à la santé sont des marchandises taxables, à un taux de 10 p. 100.

Les avocats ont aussi indiqué que la liste des marchandises contenue dans les communiqués ne fait qu'illustrer ce qui, de l'avis du ministère, figurait sur la liste antérieure et ils ont conclu que ces déclarations sont sans objet et qu'il n'est pas nécessaire de les examiner parce que l'expression «Aliments... destinés à la consommation humaine... » est claire.

En troisième lieu, les avocats ont soutenu que la seule question de droit qui se pose est celle de savoir si les marchandises en cause sont exemptées. Si elles sont mentionnées à l'annexe III (même à plus d'un endroit), les marchandises sont exemptées, à moins d'être visées par une exclusion dans la disposition d'exemption. Or, selon eux et d'après la liste des exclusions contenue à l'article 1 de la Partie V de l'annexe III, les marchandises en cause ne sont pas exclues.

Les avocats ont aussi allégué qu'il incombe à l'appelante de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les marchandises en cause sont exemptées de la taxe en tant qu'«aliments» au sens de la Loi. Il n'est pas nécessaire de prouver que les marchandises sont appétissantes ou nécessaires. La Loi ne mentionne que le mot «aliments»; il n'y est question ni d'aliment nécessaire ni d'aliment souhaitable. Les avocats ont soutenu que la définition du mot «aliment» donnée par M. Stanley est la bonne parce qu'elle est basée sur le sens ordinaire du mot, par opposition à la définition de M. Patrick, qui est une définition médicale.

En quatrième lieu, ils ont ajouté que, dans le contexte d'une loi fiscale, il est préférable de recourir au sens ordinaire plutôt qu'au sens spécialisé. À ce sujet, les avocats de l'appelante se sont fondés sur la cause The King v. Planters Nut and Chocolate Co., Ltd [7] .

En ce qui concerne les éléments de preuve relatifs aux DIN, les avocats ont soutenu que ces DIN sont conçus pour protéger les consommateurs contre la publicité trompeuse. Selon eux, ces éléments de preuve ne sont pas pertinents parce que la Loi sur les aliments et drogues ne vise pas les mêmes fins que la loi fiscale en cause. Ils ont ajouté que les définitions tirées d'autres lois qui ne sont pas connexes ne peuvent pas être prises en considération parce qu'elles peuvent entraîner une mauvaise conclusion. À l'appui de cette affirmation, ils ont cité la cause Miln-Bingham Printing Company Limited v. His Majesty The King [8] .

De plus, les avocats se sont reportés à la décision Cooper Laboratories Limited c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [9] , dans laquelle la Commission du tarif avait conclu que le fait qu'un produit soit enregistré et visé par une DIN en vertu de la Loi sur les aliments et drogues n'a aucune importance, puisque cette dernière n'est pas connexe à la Loi. Ils ont souligné que les produits Shaklee ne sont ni commercialisés ni annoncés dans des revues spécialisées, et ne sont pas vendus dans les pharmacies. En conséquence, rien ne permet d'arguer que les marchandises sont vendues ou annoncées en tant que marchandises relatives à la santé.

Les avocats ont invoqué une cause jugée aux États-Unis, Board of Pharmacy v. Quackenbush& Co [10] . Dans cette affaire, il a été statué que les vitamins plus, qu'elles soient appelées supplément nutritif ou diététique, n'en demeurent pas moins essentiellement un produit alimentaire. Selon les avocats, la seule cause où l'exemption générale de la présente loi pour les aliments et les boissons a été prise en considération est l'affaire Weetabix of Canada Ltd. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [11] , portant sur un nécessaire de brassage à la maison. Bien que la décision prise par la Commission du tarif à l'égard de ce produit ne puisse s'appliquer directement à la présente cause, les avocats estimaient que, en soutenant qu'un nécessaire de brassage à la maison était exempté, la Commission a rendu une conclusion pertinente :

La Commission conclut que le législateur avait clairement l'intention d'exempter les denrées alimentaires et tous les ingrédients possibles qui peuvent être mélangés ou utilisés dans leur préparation pour n'exclure que les boissons alcooliques ainsi que, en raison de son contenu alcoolique, la liqueur de malt non encore potable ou prête à la consommation.

Finalement, les avocats ont prétendu que le produit qui peut être légalement vendu pour la consommation humaine et qui correspond à la définition que donnent les dictionnaires du mot «aliment» est bel et bien un aliment. Même sous forme de comprimé, le produit demeure un aliment. Dans les années 90, dans une société où les aliments transformés font Partie du quotidien et où 40 p. 100 de la population consomme des produits du genre de ceux en cause, il ne fait aucun doute qu'ils font Partie de notre culture. Les avocats ont donc conclu qu'il n'existe aucun doute réel quant à la signification du mot «aliment». On peut certes se demander si les marchandises en cause sont des aliments, mais il s'agit d'une question de fait et non de droit.

Par ailleurs, l'avocat de l'intimé a présenté les arguments suivants. Premièrement, il s'est dit d'avis que les marchandises en cause peuvent, d'une certaine manière, être considérées comme des aliments. Toutefois, là n'est pas le problème. En fait, ce qu'il faut établir, c'est s'il s'agit d'«aliments» au sens de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III. Il est primordial de savoir si les marchandises en question correspondent davantage à la description d'«aliments» ou à celle de «marchandises relatives à la santé».

Deuxièmement, l'avocat a souligné que la Loi doit être interprétée dans son ensemble. Avant les modifications de 1985, la Loi exemptait les «aliments» et les «marchandises relatives à la santé». En 1985, le législateur retirait l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe III pour le transposer mot à mot au paragraphe 2(1) de la Loi sous la définition de «marchandises relatives à la santé». L'avocat a insisté sur le fait que, dans toutes les causes relatives à la définition des mots «aliments» et «produits pharmaceutiques», il a été établi que toute exemption doit être interprétée de façon restrictive. Selon l'avocat, en droit, il est toujours incontestable que l'imposition est la règle, et que l'exemption est l'exception. Ce principe s'applique en dépit de l'interprétation plus libérale selon laquelle le libellé d'une loi fiscale doit être interprété d'après le sens ordinaire des mots. En cas de doute, les marchandises sont taxables à moins d'être visées par une exception.

Selon l'avocat, la seule façon pour l'appelante d'avoir gain de cause dans le présent appel c'est d'amener le Tribunal à conclure sans équivoque que les marchandises en cause sont, d'après la prépondérance de la preuve, visées par la définition de l'expression «Aliments... destinés à la consommation humaine... ». Si les éléments de preuve présentés sont insuffisants, le Tribunal doit conclure que l'appelante ne s'est pas acquittée du fardeau de la preuve, qui lui incombait.

Troisièmement, l'avocat de l'intimé a allégué que, selon l'état actuel du droit, la question de savoir si les marchandises en cause sont uniquement des aliments ou uniquement des marchandises relatives à la santé, ou à la fois des aliments et des marchandises relatives à la santé se pose toujours, et ce, en raison des décisions contradictoires rendues par la Cour de l'Échiquier en 1965 concernant des biscuits de régime. Dans les deux affaires mentionnées par l'avocat, les marchandises en cause, vendues en tant que supplément alimentaire pour régime amaigrissant, étaient pratiquement les mêmes. D'une part, dans la décision Her Majesty The Queen v. Mead Johnson of Canada Ltd. [12] , la Cour de l'Échiquier a jugé que les produits «Metrecal» sous toutes leurs formes étaient une «denrée alimentaire» au sens de l'annexe III et non un «produit pharmaceutique» au sens du sous-alinéa 2(1)cc), comme le prétendait la Couronne. La définition de «produits pharmaceutiques» était alors similaire à celle qui s'applique aujourd'hui aux «marchandises relatives à la santé».

D'autre part, dans la décision Pfizer Corporation etal. v. Her Majesty The Queen [13] , la Cour de l'Échiquier a jugé que les biscuits Limmits étaient un produit pharmaceutique et non une denrée alimentaire. Selon la Cour, il n'était pas nécessaire que les «produits pharmaceutiques» fussent exclus de la catégorie des «denrées alimentaires» de l'annexe III pour être taxables. Au contraire, pour exempter les produits pharmaceutiques qui étaient aussi des denrées alimentaires il aurait fallu parler de denrées alimentaires «même s'il s'agissait de produits pharmaceutiques».

Dans les deux cas, on a appelé des jugements devant la Cour suprême du Canada [14] . Dans la cause Mead Johnson, la Cour a statué que les produits Metrecal n'étaient pas exemptés parce qu'il était impossible de les inclure dans une rubrique précise des denrées alimentaires exemptées; il ne s'agissait donc pas de denrées alimentaires. La Cour a confirmé la décision rendue dans la cause Pfizer. Cependant, la Cour n'a pas examiné les contradictions fondamentales liées à l'interprétation de la Loi. En conséquence, l'avocat a conclu que, lorsque les deux interprétations sont possibles, il y a lieu d'opter pour l'imposition de la taxe.

Quatrièmement, l'avocat a soutenu que les DIN sont nécessaires lorsque le produit est une drogue. Il a ajouté que l'appelante en a demandé une parce qu'elle vendait ou présentait les marchandises en cause pour le traitement, la prévention ou l'atténuation d'une maladie. Voilà précisément pourquoi, selon l'avocat, les marchandises en cause répondent à la description de «marchandises relatives à la santé». Pour justifier cette position, l'avocat s'est également reporté à la documentation et au matériel publicitaire présenté par l'appelante. Il a précisé qu'on y retrouve simplement des mentions relatives aux bienfaits pour la santé.

L'avocat a ajouté que, d'après le Communiqué de l'Accise no 112/TI daté le 23 mai 1985 (publié par Revenu Canada, Douanes et Accise), le ministère considère que les suppléments alimentaires et les succédanés, les vitamines et les minéraux font Partie des marchandises relatives à la santé taxables. À cet égard, l'avocat a invoqué la décision Nowegijick c. La Reine [15] et a soutenu que, si la politique et l'interprétation administratives ne sont pas déterminantes, elles doivent néanmoins être prises en considération et peuvent constituer un facteur important en cas de doute quant au sens des dispositions législatives.

Finalement, l'avocat a soutenu que, d'après les éléments de preuve, les marchandises en cause ne sont pas des «aliments» au sens de la Loi. À son avis, il ressort de l'examen de la liste des exceptions mentionnées à l'article 1 de la Partie V de l'annexe III que, même s'il s'agit de marchandises sans valeur nutritive, il s'agit d'aliments taxés; les exceptions constituent la preuve qu'un aliment n'a pas besoin de contenir des éléments nutritifs. Il a ajouté que cette conclusion contredit largement le témoignage de M. Stanley. L'avocat a aussi expliqué que la documentation de Shaklee au sujet des produits en cause parle de suppléments alimentaires. Du fait qu'il y ait ainsi distinction entre aliments et suppléments alimentaires, il faut peut-être conclure que les deux types de produits ont des caractéristiques distinctes et qu'il convient d'utiliser des mots différents pour les désigner. De l'avis de l'avocat, le Parlement s'est intéressé au problème des suppléments : à l'article 2 de la Partie V de l'annexe III, les suppléments devant être ajoutés aux aliments pour animaux (...) élevés pour produire des aliments destinés à la consommation humaine (...) sont exemptés.

L'avocat de l'intimé a admis que le mot «aliments» doit être pris dans un sens très large, mais ne voit aucune raison de supposer que le Parlement ait nécessairement eu l'intention d'inclure les suppléments alimentaires dans l'article 1 de la Partie V. En conséquence, les produits qui ont été considérés comme des marchandises relatives à la santé, y compris les vitamines et les suppléments minéraux, sont maintenant taxables au niveau du grossiste. Pour conclure, l'avocat était d'avis qu'il existe un doute quant à la signification du mot «aliments» et que, dans l'ensemble, les marchandises en cause correspondent davantage à la description des «marchandises relatives à la santé» parce qu'elles sont essentiellement vendues ou présentées pour prévenir une carence alimentaire.

CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

L'article 51 de la Loi prévoit que la taxe imposée par l'article 50 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des marchandises mentionnées à l'annexe III de la Loi. À l'article 1 de la Partie V de l'annexe, sous la rubrique «Denrées alimentaires», les articles suivants sont exemptés :

1. Aliments et boissons destinés à la consommation humaine (y compris les édulcorants, assaisonnements et autres ingrédients devant être mélangés à ces aliments et boissons ou être utilisés dans leur préparation), sauf :

...

Dans le présent appel, il s'agit de savoir si les suppléments alimentaires -- vitamines, minéraux et fibres -- ainsi vendus par l'appelante sont des «aliments» au sens de l'annexe. Si tel est le cas, les produits en cause sont exemptés de la taxe. En conséquence, le Tribunal doit d'abord déterminer le sens du mot «aliments» aux fins de l'annexe et ensuite établir si les marchandises en cause sont visées par cette définition.

La Loi ne comporte aucune définition du mot «aliments» ou des autres marchandises mentionnées à l'annexe III. De plus, le mot «aliments» n'est défini dans aucune des autres lois connexes. Le Tribunal est d'avis que les termes utilisés dans l'annexe et dans la Loi doivent être interprétés selon leur acception courante. Ce principe a été exprimé par le juge Cameron dans la décision susmentionnée The King v. Planters Nut and Chocolate Co., Ltd. [16] comme suit :

Les termes de la Loi et de l'annexe ne s'appliquent pas à une science ou à un art en particulier et, à mon avis, doivent être interprétés selon leur sens ordinaire. (traduction)

Les témoins experts ne s'entendaient pas sur le sens du mot «aliment». D'une part, M. Stanley a soutenu que les définitions du mot «aliment» ont en commun le fait qu'on considère comme aliment toute substance qui est absorbée par l'organisme pour assurer la vie et la croissance. D'après son expérience, les produits en cause sont des aliments. D'autre part, M. Patrick a allégué que les aliments sont des produits consommés pour satisfaire l'appétit et, à son avis, les marchandises en cause ne sont pas visées par cette définition d'«aliment». Il a admis que la définition donnée par M. Stanley n'est pas fausse, mais, selon lui, elle est incomplète et appelle les précisions suivantes : un aliment est un produit qui peut être acheté dans un magasin d'alimentation, qui n'est pas traité autant que les marchandises en cause et qui contient des composantes alimentaires de base.

Le Tribunal est d'avis que l'opinion des experts au sujet de ce qui constitue un aliment est utile, mais ne permet pas d'arriver à une conclusion, d'autant plus que les définitions sont contradictoires. Afin de déterminer le sens ordinaire, il est permis et utile de se référer aux dictionnaires. En fait, les mémoires des parties renfermaient de nombreuses définitions de dictionnaire du mot «aliment» («food» en anglais). Certaines d'entre elles suggéraient que toute substance qui peut servir d'aliment est considérée comme un aliment. Le Tribunal a examiné les définitions suivantes du mot «aliment» et du mot anglais «food», son équivalent utilisé dans la version anglaise de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III.

La définition suivante du mot «food» paraît dans l'Oxford English Dictionary [17] :

What is taken into the system to maintain life and growth, and to supply the waste of tissue; aliment, nourishment, provisions, victuals.

(Toute substance qui est absorbée par l'organisme pour assurer la vie et la croissance, et pour suppléer à la perte des tissus; aliment, nourriture, provisions, victuailles.) (traduction)

Dans le New Lexicon Webster's Dictionary of the English Language [18] , «food» est défini comme suit :

Any substance which, by a process of metabolism, a living organism can convert into fresh tissue, energy, etc.; a solid substance eaten for nourishment (opp. DRINK), esp. this as served at a meal ...

(Toute substance qu'un organisme vivant peut, par procédé métabolique, transformer en tissu frais, énergie, etc.; une substance solide ingérée à titre de nourriture [par opp. à boisson] plus spécialement ce qui peut être servi à un repas;) (traduction)

Dans Le Grand Robert de la langue française [19] , le mot «aliment» est défini comme suit :

1. Substance qui nourrit, sert ou peut servir à la nutrition d'un être vivant.

L'Encyclopædia Universalis [20] propose la définition suivante du mot «aliment» :

... une denrée comportant des nutriments, donc nourrissante, susceptible de satisfaire l'appétit, donc appétente et habituellement consommée dans la société considérée, donc coutumière.

Le Tribunal est d'avis que ces définitions sont larges et appuient les deux points de vue. Toutefois, elles établissent les caractéristiques fondamentales de tout «aliment» : un aliment est une substance qui contient des éléments nutritifs, qui est nourrissante, qui assure la vie et la croissance, qui fournit de l'énergie et répare les pertes de tissus, qui rassasie et qui est normalement consommée par la population considérée. Il reste à déterminer si les marchandises en cause sont conformes à cette description.

Lors de l'audience, les divers témoins ont désigné les marchandises en cause de beaucoup de façons : aliments, éléments nutritifs, suppléments alimentaires et suppléments diététiques. De façon générale, les mots vitamines, minéraux et fibres ont aussi servi à les désigner. L'examen des étiquettes de chacun des produits révèle qu'ils sont tous décrits en tant que suppléments diététiques. Le mot anglais «supplement» (en français «supplément») est défini ainsi qu'il suit dans l'Oxford English Dictionary [21] :

1. Something added to supply a deficiency; an addition to anything by which its defects are supplied; an auxiliary means, an aid ...

(Ce qui est ajouté pour suppléer une carence; ce qui est ajouté à quelque chose pour compléter ce qui manquait; un moyen auxiliaire, un complément... ) (traduction)

De plus, le Tribunal remarque que toutes les étiquettes des marchandises en cause portent une DIN, et précisent la dose quotidienne recommandée, ou alors la mention selon les indications du médecin. Il constate aussi que certains produits doivent servir pour usage thérapeutique seulement, que plusieurs libèrent leurs ingrédients dans le corps humain au cours d'une certaine période de temps et que plusieurs doivent être gardés hors de la portée des enfants.

Le Tribunal a aussi étudié la publicité de Shaklee (que cette dernière fait paraître dans sa revue Signal). Les marchandises en cause sont généralement annoncées comme des éléments nutritifs ou des suppléments qui, combinés à une alimentation normale, sont un gage de bonne santé et de bonne nutrition. Selon la documentation, l'alimentation des Canadiens comporterait certaines carences, et la solution pour corriger cette situation serait de consommer les marchandises en cause.

Après avoir examiné les éléments de preuve, les définitions des dictionnaires, les étiquettes des produits et la documentation de l'appelante, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ne sont pas des aliments, mais plutôt des suppléments conçus pour prévenir ou corriger certaines carences alimentaires chez les humains. Les éléments de preuve ont révélé que la personne qui a une alimentation normale n'a probablement pas besoin de suppléments alimentaires, et que le panier à provisions de la plupart des Canadiens contient suffisamment de vitamines, de minéraux et de fibres pour assurer un bon fonctionnement métabolique. Il a également été démontré que les marchandises en cause sont sans grande valeur énergétique, qu'elles n'ont rien à voir avec l'appétit et qu'elles constituent une solution lorsque l'alimentation est déficiente.

Par ailleurs, le Tribunal est d'avis que, même si du point de vue d'un nutritionniste, les vitamines, minéraux et fibres vendus par l'appelante peuvent être inclus parmi les «aliments», ils ne sont pas compris dans le sens ordinaire de ce mot. Selon le Tribunal, il est incontestable que, dans la langue courante, les marchandises en cause ne sont pas des «aliments». Le Tribunal est d'accord avec M. Patrick : le commun des mortels ne considérerait pas une assiettée de vitamines comme un aliment. On ne sert habituellement pas ces produits aux repas et on ne les utilise pas dans la préparation courante des aliments de base.

L'histoire législative de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III confirme la conclusion que les marchandises en cause ne sont pas des «aliments» au sens ordinaire du terme. Le Tribunal est d'avis que, comme il a été précisé dans la cause Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine [22] , bien que la règle n'ait pas changé et qu'il soit toujours impossible d'avoir recours à l'histoire législative pour établir directement l'intention de la législation, la Cour suprême du Canada s'y réfère néanmoins de plus en plus pour des fins connexes, non seulement dans les arrêts constitutionnels, mais également de façon générale en matière d'interprétation des lois.

Dans la présente cause, un examen de l'histoire des dispositions législatives pertinentes montre que l'annexe III de la Loi spéciale des Revenus de guerre, 1915 [23] , remplacée par la suite par la Loi sur la taxe d'accise, contenait, à la rubrique «Denrées alimentaires», une liste d'articles qui étaient exemptés de la taxe. La liste a été élargie au cours des années et, dans les Statuts révisés du Canada (1970), elle contenait 30 denrées alimentaires différentes. Cependant, le Tribunal constate que les marchandises en cause n'ont jamais ni figuré dans la liste des produits exemptés ni été incluses dans l'un de ces produits. Pour être exempté, le produit devait être compris dans un article précis de la liste des denrées alimentaires exemptées. En 1973 [24] , la Loi a été modifiée, et la liste a été remplacée par l'exemption générale des denrées alimentaires en vigueur aujourd'hui.

L'exposé budgétaire présenté le 19 février 1973 par le ministre des Finances de l'époque décrivait le besoin auquel répondait cette modification législative :

Impôt sur les denrées

...

Je propose, en premier lieu, de supprimer la taxe de vente frappant les confiseries, les tablettes de chocolat, les boissons gazeuses, les boissons aux fruits et les autres produits para-alimentaires de semblable nature. Cette mesure a pour but d'exempter de la taxe de vente tous les aliments et boissons sauf les boissons alcooliques.

Les renseignements supplémentaires sur le budget, publiés en même temps, justifiaient ainsi la proposition budgétaire :

Aliments et boissons

La plupart des aliments sont déjà exemptés de la taxe de vente fédérale. Les propositions budgétaires étendent l'exemption à tous les aliments et boissons non alcooliques...

Les mesures éliminent plusieurs contradictions découlant des distinctions subtiles entre les aliments et les «quasi-aliments...»

Les renseignements supplémentaires sur le budget énuméraient aussi les principaux articles exemptés : eaux gazeuses, confiseries et tablettes de chocolat, jus de fruits, noix y compris les arachides, aliments diététiques, succédanés de sucre et de la crème, garnitures à dessert.

La Cour fédérale d'appel a fait un renvoi semblable aux exposés budgétaires dans la cause Lor-Wes [25] susmentionnée. La Cour se reportait, à titre de guide d'interprétation, à l'énoncé budgétaire du 23 juin 1975 du ministre des Finances de l'époque. Il s'agissait d'expliquer pourquoi une modification donnée était apportée à la Loi de l'impôt sur le revenu. Quant à l'admissibilité des documents budgétaires, dans la cause Canterra Energy Ltd. c. Sa Majesté la Reine [26] , la Cour fédérale a admis la production en preuve de documents budgétaires et a déclaré ce qui suit :

Il est également clair que les opinions du ministère du Revenu national, sous forme de Bulletins d'interprétation, sont recevables... S'il en est ainsi, pourquoi les tribunaux devraient-ils rejeter les documents budgétaires du genre en question en l'espèce? Bien entendu, les bulletins d'interprétation sont établis après la promulgation de la loi (ou après la promulgation des règlements), et c'est pour cette raison qu'ils ont peut-être plus de poids; mais à la lumière de la pratique relative à ces documents qui constituent des «opinions» et qui proviennent du ministère du Revenu, je constate qu'il est difficile de conclure que les documents budgétaires sont en soi irrecevables.

Selon le Tribunal, rien ne permet de supposer que, lorsqu'il a modifié la Partie V de l'annexe, le Parlement avait l'intention de changer radicalement la portée de cette Partie. L'objet de la modification visait à ajouter aux articles compris dans l'ancienne liste détaillée les produits «para-alimentaires», c'est-à-dire les boissons gazeuses, les boissons à base de fruits, les bonbons et les tablettes de chocolat. Selon le Tribunal, aucun des articles mentionnés sur l'ancienne liste détaillée ne correspond aux marchandises en cause.

Par ailleurs, d'après l'examen de l'histoire des dispositions législatives concernant l'exemption des «marchandises relatives à la santé», la définition de «produits pharmaceutiques» - qui est similaire à la définition de «marchandises relatives à la santé» du paragraphe 2(1) de la Loi actuellement en vigueur - a d'abord été incorporée au paragraphe 2(1) de la Loi en 1959 [27] . Les modifications de 1959 élargissaient la définition de «producteur ou fabricant» de façon à y inclure toute personne qui emballait les produits pharmaceutiques. En 1968, la Loi a été modifiée : la définition de «produits pharmaceutiques» a été abrogée, et le contenu de la définition a été ajouté à l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe III [28] , à la rubrique «Santé». Cette modification a été apportée à la suite des recommandations du Comité spécial de la Chambre sur le coût et les prix des produits pharmaceutiques, lesquelles visaient la suppression de la taxe de vente sur les médicaments dans le cadre d'une vaste offensive du gouvernement contre les prix élevés des drogues [29] .

Puis, en 1985 [30] , le projet de loi C-80 a modifié la Loi : l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe III et a été abrogé, et la définition de «marchandises relatives à la santé» - reprenant le même contenu -, ajoutée au paragraphe 2(1) de la Loi. Par cette dernière modification, les marchandises relatives à la santé sont devenues taxables au niveau du grossiste à compter du 1er juillet 1985, à moins, comme l'indique le Communiqué de l'Accise 112/TI, daté le 23 mai 1985, que les marchandises ne soient exemptées de la taxe de vente fédérale en tant que drogues contrôlées prévues aux annexes... ou en vertu d'une autre disposition d'exemption de la Loi.

Le Communiqué 112/TI établit de plus que la définition de «marchandises relatives à la santé», équivalente à l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe III de la Loi, a un sens très large et englobe la plupart des matières, mélanges, composés ou préparations vendus ou présentés en tant que marchandises relatives à la santé. Le communiqué contient une liste partielle des marchandises, et donne ainsi une indication sur les genres de marchandises qui, selon Revenu Canada, Douanes et Accise, sont taxables en tant que marchandises relatives à la santé. Le Tribunal constate que les suppléments alimentaires et succédanés, les vitamines et les minéraux se retrouvent dans la liste.

D'après la jurisprudence récente, il est incontestable que les tribunaux peuvent se reporter aux Débats de la Chambre des communes, à titre de guide d'interprétation, afin de préciser le désordre ou le malaise qu'une modification législative donnée était censée corriger [31] . Dans la présente cause, le Tribunal est d'avis que l'extrait suivant des procès-verbaux de la Chambre des communes et des témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-80 [32] permet de mieux saisir le but visé par le Parlement au moment de l'abrogation de l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe III en 1985 :

M. de Jong:...Quel genre de produits de santé seront désormais taxés, alors qu'ils ne l'étaient pas?

Mme McDougall: ... Outre les shampoings médicamenteux, figurent au nombre des articles qui seront touchés par ce changement les laxatifs, les vitamines, les pastilles et les pansements antiseptiques. Il est question ici d'un assez vaste éventail d'articles.

M. de Jong: Qui vont maintenant être assujettis à la taxe de vente.

Mme McDougall: C'est exact.

M. de Jong: Dont les vitamines.

Mme McDougall: Dont les vitamines.

...

Mme McDougall:Je soulignerais que ce sont les aliments que nous consommons qui sont la première source de vitamines, et ceux-ci continueront d'être exemptés de la taxe.

Il est évident, d'après ce texte, que l'exemption des «marchandises relatives à la santé» abrogée en 1985 englobait les marchandises vendues par l'appelante, et que le gouvernment avait l'intention d'imposer la taxe de vente sur les vitamines et les minéraux de même que sur les suppléments alimentaires et succédanés.

À la lumière des éléments de preuve et de l'histoire des dispositions législatives, le Tribunal en arrive aux conclusions suivantes. Premièrement, le Parlement n'a jamais eu l'intention d'englober les marchandises en question dans les dispositions d'exemption visant les «denrées alimentaires». Deuxièmement, les marchandises en cause étaient visées par le libellé de l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe III avant le 23 mai 1985, maintenant englobé dans la définition de «marchandises relatives à la santé» du paragraphe 2(1) de la Loi. Troisièmement, l'abrogation de l'exemption explicite des «marchandises relatives à la santé» a éliminé cette catégorie de marchandises de la portée de l'annexe III.

Compte tenu de l'ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que l'appelante n'a pas établi que les vitamines, minéraux et fibres en cause étaient des «aliments» au sens de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III.

CONCLUSION

En conséquence, le Tribunal déclare que les suppléments alimentaires -- vitamines, minéraux et fibres -- vendus par l'appelante ne sont pas des «aliments» au sens ordinaire du terme et ne peuvent pas être considérés comme des «Aliments... destinés à la consommation humaine... » au sens de l'article 1 de la Partie V de l'annexe III de la Loi. En conséquence, ils ne sont pas admissibles à l'exemption de la taxe de vente fédérale en vertu de l'annexe III de la Loi. L'appel est rejeté.


[ Table des matières]

1. L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée.

2. Définition ajoutée par la L.R.C. (1985), ch. 7 (2e suppl.) paragraphe 1(4), entré en vigueur le 1er juillet 1985.

3. Définition ajoutée par la L.R.C. (1985), ch. 7 (2e suppl.) paragraphe 1(1), entré en vigueur le 1er juillet 1985.

4. L'article 1 de la Partie V de l'annexe III a été modifié par la L.R.C. (1985), ch. 7 (2e suppl.), paragraphe 55(2), entré en vigueur le 1er juillet 1985.

5. L.C. 1988, ch. 56.

6. L.R.C. (1985), ch. F-27.

7. (1951) R.C. de l'É. 122.

8. [1930] R.C.S. 282.

9. 1 C.E.R. 300.

10. 39 Atlantic Reporter, 2e série, 28, à la page 30.

11. (1984) 9 R.C.T. 151.

12. (1966) C.R. de l'É. 325.

13. (1966) C.R. de l'É. 125.

14. Her Majesty The Queen v. Mead Johnson of Canada Ltd., [1966] R.C.S. 457; Pfizer Corporation et al. v. Her Majesty The Queen, [1966] R.C.S. 449.

15. (1983) 1 R.C.S. pages 29 à 37.

16. Supra, note en bas de page no 7, page 127.

17. 2e édition, Clarendon Press, Oxford, 1989.

18. Lexicon Publications, Inc., New York, 1987.

19. 2e édition, Le Robert, Paris, 1987.

20. Corpus, Encyclopædia Universalis, France, 1989, vol. I, p. 825.

21. Supra, note en bas de page no 17.

22. (1986) 1 C.F. 346, page 355.

23. S.C. 1915, ch. 8; la rubrique «Denrées alimentaires» a été ajoutée en 1945 par le S.C. 1945, ch. 30, article 8, alors que les articles exemptés en vertu de l'annexe III ont été classés sous des rubriques différentes.

24. S.C. 1973-1974, ch. 24, paragraphe 5(5), annexe III.

25. Supra, voir la note en pas de page no 22.

26. (1985) 1 C.T.C. 329, à la page 331. (C.F. division de première instance).

27. S.C. 1959, ch. 23, art. 1.

28. S.C. 1967-1968, ch. 29, art. 1 et 11.

29. Débats de la Chambre des communes, le 1er juin 1967, page 869; voir aussi Abbott Laboratories, Limited c. Sa Majesté la Reine, (1971) C.T.C. 26, page 36.

30. Projet de loi C-80,; L.C. 1986, ch. 9, art. 1 et 55.

31. Voir Thompson c. Canada (1988) 3 C.F. 108 à la page 133; Le Solliciteur général du Canada c. Royden Young et al., non publié, C.F.A., le 31 juillet 1989, Cour no A-978-88, page 9.

32. Chambre de communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-80, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise et la Loi sur l'accise et modifiant d'autres lois en conséquence, première session de la trente - troisième législature, 1984-1985, pages 1:23 - 24.


Publication initiale : le 6 août 1997