LA PROVINCE DE L'ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD

Décisions


LA PROVINCE DE L'ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel n° 2949

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 23 juin 1989

Appel n° 2949

EU ÉGARD À un appel entendu le 16 février 1989 en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la Loi) dans sa forme modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision du ministre du Revenu national rendue le 8 janvier 1988 au sujet d'un avis d'opposition déposé en vertu de l'article 81.15 de la Loi.

ENTRE

LA PROVINCE DE L'ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARDAppelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONALIntimé

L'appel est rejeté et le Tribunal déclare que l'appelante n'est pas admissible à un remboursement de la taxe de vente fédérale payée sur les ponceaux en vertu de l'article 68 ou 68.19 de la Loi.


Robert J. Bertrand, c.r. ______ Robert J. Bertrand, c.r. Membre présidant

John C. Coleman ______ John C. Coleman Membre

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Loi sur la taxe d'accise - Taxe de vente - Déterminer si la province peut réclamer, en vertu de l'article 68.19, un remboursement de la taxe de vente fédérale payée sur les ponceaux installés sur les routes provinciales sur le territoire des municipalités -Alternativement, déterminer si la taxe payée sur les ponceaux, qui sont des marchandises exclues en vertu de l'article 1, PartieXII, Annexe III de la Loi, peut être remboursée à titre de taxe payée par erreur conformément à l'article68 de la Loi - Déterminer si la province peut être considérée comme une municipalité en vertu de l'alinéa 1e), Partie XII, AnnexeIII de la Loi de manière à pouvoir réclamer l'exemption.

DÉCISION  : L'appel est rejeté. La province étant partie à un accord de réciprocité fiscale signé avec le Gouvernement du Canada visé à l'article 68.19, elle a expressément renoncé à son droit de réclamer un remboursement en vertu de cet article. En outre, la province ne peut demander un remboursement de la taxe de vente en vertu de l'article 68 parce que les ponceaux n'ont pas été achetés conformément aux dispositions de l'article 1, Partie XII, Annexe III de la Loi. Pour ce qui est du second volet de l'appel, le Tribunal n'a pas compétence pour examiner l'exercice, par le Ministre, de son pouvoir discrétionnaire de refuser de considérer la province comme une municipalité en vertu de l'alinéa 1e) de ladite Partie.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Date de l'audience : Le 16 février 1989 Date de la décision : Le 23 juin 1989
Membres du jury : Robert J. Bertrand, c.r., membre présidant John C. Coleman, membre Arthur B. Trudeau, membre
Avocat du Tribunal : Donna J. Mousley
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : David F. Lunnen, pour l'appelante Brian J. Saunders, pour l'intimé
Jurisprudence : Pullman c. la Reine, [1983] 2 C.F. 452
Lois et règlements cités : Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, articles 1, 2, 68 et 68.19, Partie XII, Annexe III; Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d'enseignement postsecondaire et de santé, 1976-1977, ch. 10; 1984, ch. 13, article 32; Municipalities Act, R.S.P.E.I. 1983, ch. 33, article 32; Roads Act, R.S.P.E.I. 1974, ch. R-15, article 4.
Autres sources citées : Accord de réciprocité fiscale entre le Gouvernement du Canada et la province de l'Île-du-Prince-Édouard, 1981; The Concise Oxford Dictionary, 7 e édition, Clarendon Press.





RÉSUMÉ

L'appel susmentionné est interjeté conformément à l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la Loi) dans sa forme modifiée, à l'égard d'une décision rendue par le Ministre le 8 janvier 1988 refusant le remboursement de la taxe de vente fédérale sur les ponceaux achetés par l'appelante et installés sur les routes et les chemins provinciaux sur le territoire des municipalités.

La province demande d'être admissible à un remboursement en vertu de l'article 68.19 de la Loi à l'égard de la taxe payée sur les marchandises achetées par une province à des fins non exclues aux termes dudit article. Alternativement, l'appelante soutient que la taxe payée sur les ponceaux ou les marchandises devant servir directement dans un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage, qui sont exclus en application de l'article 1, Partie XII, Annexe III de la Loi, est remboursable à titre de taxe payée par erreur conformément à l'article 68 de la Loi. En ce qui touche cette alternative, l'appelante demande à être considérée comme une municipalité en application de l'alinéa (1)e), Partie XII, de manière à pouvoir réclamer l'exemption.

L'appel n'est pas admis. La province étant partie à un accord de réciprocité fiscale signé avec le Gouvernement du Canada visé à l'article 68.19, elle a expressément renoncé à son droit de réclamer un remboursement en vertu de cet article. En outre, la province ne peut demander un remboursement de la taxe de vente en application de l'article 68 parce que les ponceaux n'ont pas été achetés conformément aux dispositions de l'article 1, Partie XII, Annexe III de la Loi. Pour ce qui est du second volet de l'appel, le Tribunal n'a pas compétence pour examiner l'exercice, par le Ministre, de son pouvoir discrétionnaire de refuser de considérer une province comme une municipalité en vertu de l'alinéa (1)e), Partie XII, Annexe III de la Loi.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Aux fins du présent appel, les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :

a) Loi sur la taxe d'accise

2.(1) «municipalité» désigne

(a) une cité, une administration métropolitaine, une ville, un village, un canton ou township, un district ou une municipalité rurale constitués en corporations ou un autre corps municipal ainsi constitué quelle qu'en soit la désignation ou,

(b) telle autre administration locale à laquelle le gouverneur en conseil confère le statut de municipalité pour l'application de la présente loi;

...

68. Lorsqu'une personne, sauf à la suite d'une cotisation, a versé des sommes d'argent par erreur de fait ou de droit ou autrement, et qu'il a été tenu compte des sommes d'argent à titre de taxes, de pénalités, d'intérêts ou d'autres sommes en vertu de la présente loi, un montant égal à celui de ces sommes doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être payé à cette personne, si elle en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement de ces sommes.

...

68.19(1) Lorsque la taxe a été payée en vertu de la partie III, IV ou VI à l'égard de marchandises et que Sa Majesté du chef d'une province a acheté ou importé les marchandises à une fin autre que :

(a) la revente;

(b) l'utilisation par un conseil, une commission, un chemin de fer, un service public, une université, une usine, une compagnie ou un organisme que le gouvernement de la province possède, contrôle ou exploite, ou sous l'autorité de la législature ou du lieutenant-gouverneur en conseil de la province;

(c) l'utilisation par Sa Majesté de ce chef, ou par ses mandataires ou préposés, relativement à la fabrication ou la production de marchandises, ou pour d'autres fins commerciales ou mercantiles,

une somme égale au montant de cette taxe doit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être versée soit à Sa Majesté de ce chef soit à l'importateur, au cessionnaire, au fabricant, au producteur, au marchand en gros, à l'intermédiaire ou à un autre commerçant, selon le cas, si Sa Majesté ou le commerçant en fait la demande dans les deux ans suivant l'achat ou l'importation des marchandises par Sa Majesté.

(2) Aucune somme n'est versée en vertu du paragraphe (1) à l'importateur, au cessionnaire, au fabricant, au producteur, au marchand en gros, à l'intermédiaire ou à un autre commerçant qui fournit des marchandises à Sa Majesté du chef d'une province liée, à l'époque de la fourniture, par un accord de réciprocité fiscale prévu à l'article 32 de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d'enseignement postsecondaire et de santé.

ANNEXE III

PARTIE XII

MUNICIPALITÉS

1. Certains produits vendus aux municipalités ou importés par elles pour leur propre usage et non pour la revente, savoir:

a) ponceaux;

...

e) marchandises devant servir directement dans un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage; ... et, pour l'application de la présente exemption, le ministre peut désigner comme municipalité tout organisme exploitant un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage pour une municipalité, ou pour le compte de celle-ci,

...

b) Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d'enseignement postsecondaire et de santé, 1976-1977

Accords de réciprocité fiscale

32. Nonobstant toute autre loi, le ministre peut, pour l'application de la présente partie, conclure des accords de réciprocité fiscale avec le gouvernement d'une province; ces accords prévoient notamment:

(a) le paiement par Sa Majesté du chef du Canada des taxes et droits imposés ou perçus en vertu des lois de cette province et dont elle serait redevable si ces lois lui étaient applicables;

(b) le paiement par Sa Majesté du chef de cette province des taxes et droits imposés ou perçus en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et dont elle est redevable, ainsi que le renoncement au remboursement visé au paragraphe 68(3) de cette loi;

...

LES FAITS

Les parties au présent appel ont soumis un exposé commun des faits. Les marchandises en question sont des ponceaux en acier ondulé de dimensions variables achetés par la province de l'Île-du-Prince-Édouard et installés dans les réseaux de drainage des routes et des chemins provinciaux, lesquels routes et chemins pouvant se prolonger au-delà du territoire des municipalités.

Les faits complémentaires suivants ont été fournis à titre d'éléments de preuve. En réponse à une demande portant sur l'assujettissement des ponceaux achetés par la province aux fins d'installation sur le territoire des municipalités à la taxe de vente fédérale, l'appelante a reçu du ministère du Revenu national (Douanes et Accise) une lettre datée du 24 février 1984. En vertu de cette missive, l'appelante pouvait s'adresser au ministère pour recouvrer la taxe de vente fédérale. Une requête en ce sens a été déposée et la province a reçu un chèque en remboursement de la taxe payée et correspondant à un pourcentage du total de la taxe payée à l'égard des ponceaux achetés par elle. Il semble que deux autres réclamations ont été présentées par la suite pour les mêmes raisons; leur rejet a été confirmé dans une lettre datée du 22 août 1985. En outre, la décision exposée dans la lettre du 24 février 1984 a été annulée parce que l'exemption visée à l'article 1, Partie XII, Annexe III de la Loi s'applique à «certains produits vendus aux municipalités ou importés par elles pour leur propre usage et non pour la revente». De l'avis du ministère du Revenu national, l'exemption ne s'appliquait pas parce que, la propriété des ponceaux n'ayant pas été cédée aux autorités municipales, les marchandises n'avaient pas été vendues à des municipalités.

Le 7 avril 1987, la société D.F. Lunnen Tax Refunds (Canada) Limited (D.F. Lunnen) a présenté une nouvelle demande de remboursement au nom de l'appelante à l'égard des ponceaux installés sur les routes et les chemins provinciaux sur le territoire des municipalités. Par le biais d'un Avis de détermination daté du 22 mai 1987, l'intimé a rejeté la demande en invoquant les raisons formulées dans la lettre du 22 août 1985. Le 29 mai 1987, D.F. Lunnen a déposé, au nom de l'appelante, un Avis d'opposition renfermant une demande visant à considérer la province comme une municipalité de manière à pouvoir réclamer l'exemption. Au moyen d'un Avis de décision daté du 8 janvier 1988, le ministre du Revenu national a rejeté les objections de l'appelante et a déclaré que selon les renseignements fournis par le ministère des Transports et des Travaux publics de la province, les ponceaux sont habituellement installés sur les routes provinciales. Les exceptions prévues aux alinéas (1)a) et e) de la Partie XII, Annexe III de la Loi ne s'appliquent pas au cas présent. Il était également précisé dans cet avis que la demande de l'appelante pour ce qui est d'être considérée comme une municipalité était distincte et discrétionnaire et ne serait pas considérée accessoirement dans le cadre d'un réexamen. Par la suite, une nouvelle requête a été adressée au Ministre, le priant de considérer la province comme une municipalité afin qu'elle puisse réclamer l'exemption. Dans une lettre datée du 12 mars 1988, le Ministre a refusé de déclarer que la province était une municipalité parce qu'elle n'exploite pas un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage pour le compte ou au nom d'une municipalité.

Pendant toute la période visée par le litige, la province de l'Île-du-Prince-Édouard était partie à une entente de réciprocité fiscale avec le Gouvernement du Canada conclue sous le régime de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d'enseignement postsecondaire et de santé, 1976-1977, ch. 10, article 1; 1984, ch. 13, article 1 (ci-après appelée Loi de 1977 sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces). La province a signé un premier accord de ce type d'une durée de trois ans et demi en octobre 1977. L'entente a été prorogée en 1981 et en 1987.

LES QUESTIONS EN LITIGE

L'argument de l'appelante comporte deux volets. Le Tribunal est d'abord prié de statuer que la province de l'Île-du-Prince-Édouard est admissible, en vertu des dispositions de l'article 68.19 de la Loi, au remboursement de la taxe de vente payée à l'égard de marchandises achetées par une province à des fins non exclues conformément aux alinéas a) à c) dudit article. Alternativement, l'appelante soutient que la taxe payée sur les ponceaux, qui sont des marchandises exclues en application de l'article 1, Partie XII, Annexe III de la Loi, est remboursable à titre de taxe payée par erreur conformément à l'article 68 de la Loi. En ce qui touche le dernier volet, l'appelante estime pouvoir être considérée comme une municipalité aux termes de l'alinéa 1e) de la Partie XII de manière à être en mesure de réclamer l'exemption.

En application de l'article 68.19, le remboursement de la taxe payée conformément à la Partie III, IV ou VI de la Loi peut être autorisé dans certains cas lorsque les marchandises ont été achetées ou importées par un gouvernement provincial. Conformément au paragraphe 68.19(1), le remboursement est accordé si les marchandises sont utilisées à des fins autres que celles décrites aux alinéas a) à c). L'appelante soutient qu'aucune de ces exclusions ne s'applique à l'achat des marchandises en question, ce que l'intimé ne conteste pas.

L'avocat de l'appelante allègue en outre que les dispositions du paragraphe 68.19(2) n'empêchent pas la province de solliciter un remboursement. Aux termes dudit paragraphe, le remboursement prévu au paragraphe 68.19(1) ne peut être accordé à un «importateur, cessionnaire, fabricant, producteur, marchand en gros, intermédiaire ou autre commerçant» fournissant des marchandises à une province qui est partie à un accord de réciprocité fiscale visé à l'article 32 de la Loi de 1977 sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces. L'appelante estime que le paragraphe 68.19(2) n'interdit que les remboursements destinés aux parties qui y sont expressément mentionnées, et non les réclamations soumises directement par une province. Vu que la partie soumettant la réclamation est la province et que les marchandises ont été achetées à des fins non exclues en vertu du paragraphe 68.19(1), l'appelante considère qu'elle a satisfait aux deux conditions précisées à l'article 68.19, ce qui rend la province admissible à un remboursement.

À titre de second motif d'appel, la province soutient qu'elle a droit à un remboursement en vertu de l'article 68 pour la taxe payée par erreur. Comme les marchandises en question sont des ponceaux installés sur le territoire des municipalités pour faire partie de réseaux de drainage, l'appelante affirme qu'il s'agit de marchandises exclues en vertu des alinéas (1)a) et e), Partie XII, Annexe III de la Loi. L'exemption prévue à ces alinéas s'applique à certaines marchandises vendues aux municipalités ou importées par elles, et l'appelante reconnaît que la province n'a pas vendu les marchandises à une municipalité. Toutefois, l'avocat de l'appelante déclare que le Tribunal peut considérer que les ponceaux ont été «réputés vendus» lorsqu'ils ont été installés pour que la municipalité en fasse usage. Par ailleurs, l'appelante soutient que lorsque la province agit en qualité de municipalité, c'est-à-dire, lorsqu'elle exécute certains travaux comme le drainage qui incombent normalement à une municipalité, elle peut être considérée comme une municipalité afin de réclamer l'exemption.

Pour soutenir cette affirmation, l'avocat de l'appelante s'appuie sur les dispositions de la Roads Act et de la Municipalities Act de la province. En application de l'article 4 de la Roads Act, le ministre des Transports et des Travaux publics assure la supervision et le contrôle général de l'aménagement, de l'inauguration, de la modification, de la construction, de l'amélioration, de l'entretien et de la réfection des routes, des chemins et des ponts de la province. L'avocat se reporte ensuite aux dispositions de la Municipalities Act qui énoncent les pouvoirs des corps municipaux. Il souligne que même si les villes et les villages visés à l'article 31 disposent de pouvoirs concernant les travaux de drainage, ce n'est pas le cas des comités d'aménagement communautaire visés à l'article 32. Si les deux lois sont lues en parallèle, déclare-t-il, il est évident que la province est tenue par la loi de construire, d'entretenir et de fournir les installations de drainage des routes sur le territoire des municipalités qui n'ont ni le droit, ni les ressources nécessaires pour procéder elles-mêmes aux travaux. Lorsque la province de l'Île-du-Prince-Édouard est tenue par la loi d'exercer les fonctions d'une municipalité, elle peut se prévaloir de toute exemption normalement offerte à une municipalité.

Comme dernier point à l'appui des éléments de preuve susmentionnés, l'appelante soutient qu'elle est un «organisme exploitant un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage pour une municipalité, ou pour le compte de celle-ci», et que par conséquent, elle peut faire l'objet d'une déclaration du Tribunal en vertu de l'alinéa (1)e) de la Partie XII, à l'effet qu'elle est une municipalité aux fins du dépôt d'une demande d'exemption. L'appelante affirme qu'en ne faisant pas une telle déclaration, le Ministre a agi de façon arbitraire et aléatoire, omettant de tenir dûment compte des faits pertinents et de justifier suffisamment son refus. L'appelante déclare en outre que la décision du Ministre est aléatoire dans la mesure où le ministère du Revenu national a accepté une réclamation initiale, pour ensuite rejeter les demandes de remboursement ultérieures portant sur les mêmes marchandises.

En réponse au premier motif d'appel, l'intimé précise que l'appelante étant partie à un accord de réciprocité fiscale conclu avec le Gouvernement du Canada, elle a renoncé à son droit à un remboursement en vertu de l'article 68.19. Il ajoute que si cette disposition est examinée conjointement avec l'article 32 de la Loi de 1977 sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, auquel elle fait allusion, il devient évident que seules les provinces qui n'ont pas signé d'accord de réciprocité fiscale avec le gouvernement fédéral peuvent solliciter un remboursement en vertu de l'article 68.19.

Pour ce qui est du deuxième motif d'appel, l'intimé déclare que la province n'est pas admissible à un remboursement pour la taxe payée par erreur en application de l'article 68 parce qu'elle ne satisfait pas aux modalités de l'article 1 de la Partie XII sur les exemptions. Premièrement, les marchandises doivent être «vendues à des municipalités ou importées par elles». Or, l'appelante reconnaît que les marchandises n'ont pas été vendues à des municipalités. Deuxièmement, les marchandises doivent être destinées aux municipalités «pour leur propre usage». Comme la province est responsable de la construction et de l'entretien des routes en cause, les marchandises sont destinées à cette dernière, et non à la municipalité. En outre, l'appelante ne peut soutenir que la province est une municipalité aux yeux de la loi sous prétexte qu'elle se livre à certaines activités en raison d'objections manifestes d'ordre constitutionnel et de la définition de «municipalitéBB¯ figurant à l'article 2 de la Loi.

Pour ce qui est du dernier volet de l'appel, l'intimé soutient que le Tribunal n'a pas compétence pour examiner la décision du Ministre ou pour déclarer qu'une province est une municipalité lorsqu'il s'agit de réclamer l'exemption parce que, d'une part, la province a soumis sa demande de remboursement au Ministre une fois échue la prescription à cet effet et que, d'autre part, même si le Tribunal peut, en vertu de l'article 81.27, rendre les conclusions et les décisions appropriées en l'instance, la déclaration sollicitée n'en fait pas partie. Par ailleurs, l'intimé soutient que si le Tribunal a compétence pour examiner la décision du Ministre, celle-ci n'est pas arbitraire ou aléatoire dans les circonstances. Pour qu'un organisme soit déclaré une municipalité, il doit être démontré que celui-ci exploite un réseau de drainage pour le compte ou au nom d'une municipalité. Bien que l'appelante soutienne que 30 p. 100 des ponceaux achetés par la province sont installés sur le territoire de municipalités, la seule preuve fournie concernant l'exploitation d'un réseau de drainage est un instrument législatif provincial en vertu duquel la province est tenue d'assurer l'entretien des routes. L'avocat de l'intimé soutient que le gouvernement n'est pas un agent d'une municipalité lorsqu'il s'acquitte d'un mandat établi sous le régime de ses propres lois. La décision du Ministre de refuser la déclaration demandée est donc justifiée. L'appelante n'ayant pas satisfait aux modalités régissant les exemptions accordées aux municipalités, la province n'est pas admissible à un remboursement en vertu de l'article 68 au titre de la taxe payée par erreur.

DÉCISION

En ce qui a trait au premier motif d'appel, le Tribunal conclut que l'appelante n'a pas droit à un remboursement en vertu de l'article 68.19 de la Loi. Un tel remboursement ne peut être accordé que si deux conditions sont satisfaites. Tout d'abord, les marchandises achetées par une province doivent servir à une fin qui n'est pas exclue en application des alinéas (1)a) à c) de cet article. De plus, la province ne doit pas être partie à un accord de réciprocité fiscale dont il est question à l'article 32 de la Loi de 1977 sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces au moment où les marchandises sont fournies. Ni l'une ni l'autre des parties au présent appel ne conteste le fait que les marchandises aient été achetées à une fin non exclue en application du paragraphe 68.19(1). Le Tribunal convient que l'appelant répond à la condition stipulée audit paragraphe.

Quant à la deuxième condition, l'avocat de l'appelante soutient que la province peut présenter une demande directe de remboursement même si elle est partie à un accord de réciprocité fiscale, parce qu'elle n'est pas identifiée aux termes du paragraphe 68.19(2) comme l'une des parties qui n'ont pas le droit de demander un remboursement. À cet égard, le Tribunal convient avec l'intimé que lorsque l'on lit l'article 68.19 en parallèle avec la Loi de 1977 sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, à laquelle cet article fait référence, cette interprétation ne peut être retenue. La raison pour laquelle une province n'est pas du nombre des parties qui n'ont pas le droit de demander un remboursement s'explique du fait que si elle est partie à un tel accord, elle doit expressément renoncer à ses droits de demander un remboursement en vertu du paragraphe 68.19(1).

Les ponceaux ont été achetés pendant la durée d'un accord de réciprocité fiscale conclu entre la province de l'Île-du-Prince-Édouard et le Gouvernement du Canada dont il est question au paragraphe 68.19(2) de la Loi et à l'article 32 de la Loi de 1977 sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces. Cet article prévoit, dans le cas d'un accord de réciprocité fiscale conclu entre une province et le gouvernement du Canada, «le paiement par Sa Majesté du chef de cette province des taxes et droits imposés ou perçus en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et dont elle est redevable, ainsi que le renoncement au remboursement visé au paragraphe 68(3) de cette Loi». Le paragraphe 68(3) est devenu le paragraphe 68.19(1) de la Loi modifiée. Le principe est repris en ces termes à la clause 2 du protocole d'accord de réciprocité fiscale signé par le ministre des Finances du Canada et son homologue de la province de l'Île-du-Prince-Édouard :

2.(1) The Province covenants to satisfy any tax exigible under the Excise Tax Act R.S.C. 1970 c. E-13, herein referred to as the Federal Act.

...

(3) The Province covenants that it shall neither apply for, nor claim the benefit of, any refund of tax paid under Parts III, IV or V of the Federal Act for which provision is made in subsection 44(2) of the aforesaid Act, and further, that the Province agrees that no refund of tax paid under the aforesaid parts shall be granted under subsection 44(2) to a manufacturer, producer, wholesaler, jobber or other dealer as the case may require.

De toute évidence, l'appelante ne peut demander de remboursement en vertu de l'article 68.19 (autrefois le paragraphe 44(2) de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C., 1970) parce qu'elle est partie à un accord en vertu duquel elle a expressément renoncé à son droit de demander un remboursement de la taxe de vente en vertu de cet article. Cela ne veut pas dire qu'une province qui a signé un accord de réciprocité fiscale ne peut faire l'objet d'une exception prévue en vertu d'autres articles de la Loi. Toutefois, elle ne peut demander de remboursement de la taxe en vertu de l'article 68.19.

Dans son autre motif d'appel, l'appelante soutient qu'elle a droit, en vertu de l'article 68, à un remboursement de la taxe payée par erreur, en application des exceptions prévues à la Partie XII, Annexe III de la Loi, relativement à certains produits vendus aux municipalités. L'appelante déclare qu'elle est admissible aux exceptions prévues à l'alinéa (1)a) qui s'applique aux ponceaux et (1)e) pour les marchandises devant servir directement dans un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage. Afin que ces exceptions s'appliquent, les conditions imposées à l'article 1 doivent être satisfaites. Cet article précise que les exceptions s'appliquent à «certains produits vendus aux municipalités ou importés par elles pour leur propre usage et non pour la revente». Tout d'abord, les produits doivent être au nombre de ceux qui apparaissent aux alinéas a) à k) de cet article. De plus, ils doivent être «vendus aux municipalités ou importés par elles» et enfin, ils doivent servir à «leur propre usage et non pour la revente».

Comme les produits visés sont des «ponceaux», tel que mentionné à l'alinéa a), qui peuvent également être des «marchandises devant servir directement dans un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage», tel que mentionné à l'alinéa e), la première condition se trouve ainsi satisfaite. Quant à la deuxième, les parties conviennent que les ponceaux n'ont jamais été achetés par une municipalité. L'avocat de l'appelante demande au Tribunal de considérer qu'ils ont été «réputés vendus». Comme la Loi ne renferme aucune disposition habilitante qui permette une telle interprétation, on ne pourrait, en aucun cas, la retenir puisque les produits n'ont pas été cédés à une municipalité. Par conséquent, la deuxième condition n'a pas été remplie.

Une grande partie de l'argumentation de l'appelante repose sur la troisième condition, à savoir que les produits visés sont destinés à l'usage propre des municipalités. D'après l'appelante, lorsqu'une municipalité n'a pas les pouvoirs législatifs d'exécuter les travaux de drainage, la province est tenue, de par la Roads Act, de le faire. À l'appui de cet argument, l'avocat de l'appelante cite divers articles de la Roads Act et de la Municipalities Act de la province de l'Île-du-Prince-Édouard et fait les commentaires suivants.

L'appelante reconnaît que les ponceaux en question sont la propriété de la province, puisque ces biens n'ont pas été vendus ni autrement cédés à une municipalité. Le Tribunal n'est donc pas tenu d'examiner les définitions et les questions de titres de propriété des routes et des chemins provinciaux. Même si l'avocat de l'appelante allègue que la province est propriétaire des routes en question, il n'en a avancé aucune preuve et, de toute façon, il est difficile de voir comment cette allégation viendrait étayer l'argument de l'appelante.

À l'article 4 de la Roads Act, le ministre des Transports et des Travaux publics assure la supervision et le contrôle général de tous les travaux de voirie de la province. L'avocat de l'appelante allègue que cet article peut être interprété comme une obligation de la province d'exécuter des travaux de drainage pour les municipalités qui n'ont pas de pouvoirs dans ce domaine. Dans la mesure où il s'agit là du fondement de l'argument de l'appelante, cette disposition ne peut s'appliquer qu'aux municipalités faisant partie de projets d'amélioration communautaire, puisque toutes les autres autorités municipales disposent des pouvoirs en la matière. Toutefois, aux fins du remboursement, l'appelante n'a pas établi la distinction entre ces deux catégories de municipalités. Il est évident que l'appelante considère que tous les ponceaux installés dans la plate-forme des routes de quelque municipalité que ce soit servent à aider la municipalité à offrir des ouvrages de drainage et que l'allusion aux pouvoirs conférés aux municipalités ne doit être considérée qu'accessoire à l'argument principal.

Quant au fait que la troisième condition modifie les dispositions d'exception prévues à l'article 1 de la Partie XII, le Tribunal convient avec l'intimé que lorsqu'une loi provinciale prescrit que la province doit remplir certaines fonctions nécessitant l'achat de ponceaux et leur installation dans les plates-formes des routes, ces ponceaux sont achetés à l'usage propre de la province. Même si le Tribunal accepte que les ponceaux correspondent à la définition de l'alinéa (1)e) comme étant des «marchandises devant servir directement dans un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage», il estime que ces marchandises n'ont pas été achetées pour l'usage d'une municipalité. Les ponceaux en question ont plutôt été achetés pour l'usage de la province, dans le cadre du mandat qui lui est confié en vertu de la Roads Act. Le Tribunal constate que l'installation de ponceaux dans les plates-formes des routes a surtout trait à la construction et à l'entretien des routes de la province et, par conséquent, assure le drainage adéquat de ces routes. Si, par hasard, le drainage était assuré sur le territoire des municipalités, les fins pour lesquelles les ponceaux ont été achetés et installés ne s'en trouveraient aucunement modifiées.

L'appelante soutient également que lorsque la province assume des fonctions qui incombent normalement à une municipalité, elle peut être considérée comme étant une municipalité aux fins de l'exemption. Si l'on accepte cette proposition, les deuxième et troisième conditions prévues à l'article 1 se trouveraient ainsi satisfaites, permettant à la province de se prévaloir des dispositions d'exception. Toutefois, le Tribunal rejette cet argument pour les raisons qui viennent d'être évoquées. Lorsque la province installe des ponceaux dans des routes provinciales, elle s'acquitte de son propre mandat législatif et elle n'agit pas en qualité de municipalité. De plus, la province n'est pas une municipalité au sens de l'article 2 de la Loi.

Quant au deuxième motif d'appel, l'appelante allègue qu'en vertu de l'alinéa (1)e) elle peut être déclarée par le Ministre comme étant une municipalité. L'exercice de ce pouvoir est tout à fait discrétionnaire, comme l'indique la formulation et le recours au verbe «peut». Le Tribunal soutient qu'il n'a pas la compétence de revoir l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par le Ministre. Même si le Tribunal l'avait, la décision du Ministre ne serait nullement modifiée, car la province n'exploite pas «un réseau de distribution d'eau, d'égouts ou de drainage pour une municipalité, ou pour le compte de celle-ci». Tout d'abord, cette disposition suppose qu'un tiers fournit activement un service à la municipalité. L'installation de ponceaux dans les plates-formes ne peut entrer dans cette catégorie de travaux. De plus, ce service est assuré par un «organisme (agency) (...) pour une municipalité, ou pour le compte de celle-ci» . Enfin, comme le déclarait le juge Dubé dans l'affaire Pullman c. la Reine [1983] 2 C.F. 452 à la page 458, «un mandataire (agent) est une personne qui agit au nom d'une autre». En outre, selon la 7e édition du Concise Oxford Dictionnary, [traduction] (agency) est défini comme étant la fonction d'un agent ou d'un représentant. Pour les motifs invoqués précédemment, la province n'agit pas au nom d'une municipalité lorsqu'elle est tenue de construire et d'entretenir les routes, même si le drainage des routes sur le territoire de la municipalité s'en trouve assuré accessoirement. En se reportant aux articles de la Roads Act et de la Municipalities Act pour appuyer son allégation, l'avocat de l'appelante n'a avancé aucun élément de preuve pour démontrer que la province exploitait un réseau de drainage au nom d'une municipalité. Somme toute, comme les ponceaux qui ont été achetés ne répondent pas aux conditions d'exemption énoncées à la Partie XII, Annexe III de la Loi, l'appelante n'a pas droit à un remboursement de la taxe de vente payée sur ces marchandises.

CONCLUSION

Le Tribunal statue que l'appelante n'a pas droit au remboursement prévu à l'article 68.19. Comme elle était partie à un accord de réciprocité fiscale avec le Gouvernement du Canada au moment de l'achat, la province de l'Île-du-Prince-Édouard a renoncé à ses droits à un remboursement en vertu de l'article 68.19 de la Loi. De plus, l'appelante n'a pas droit à un remboursement en vertu de l'article 68, car elle n'a pas satisfait aux conditions d'exception de l'article 1, Partie XII, Annexe III de la Loi. Les produits visés n'ont pas été achetés par une municipalité pour son propre usage, et la province n'est pas une municipalité aux fins du remboursement. Par conséquent, le Tribunal rejette l'appel et maintient la décision du Ministre de refuser la demande de remboursement présentée en vertu de l'article 68 ou de l'article 68.19.


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Publication initiale : le 6 août 1997