WALBERN AGRI-SYSTEMS LTD.

Décisions


WALBERN AGRI-SYSTEMS LTD.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no 3000

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 21 décembre 1989

Appel no 3000

EU ÉGARD À une demande entendue le 18 mai 1989 en vertu de l'article 51.19 de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, dans sa forme modifiée;

ET EU ÉGARD À un avis de décision du ministre du Revenu national en date du 30 septembre 1987 concernant un avis d'objection présenté en conformité avec l'article 51.17 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

WALBERN AGRI-SYSTEMS LTD.Appelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONALIntimé

L'appel est rejeté. Le Tribunal est lié par la loi et ne peut pas refuser de l'appliquer, même pour des motifs d'équité. Le Tribunal ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur la taxe d'accise.


Robert J. Bertrand, c.r. ______ Robert J. Bertrand, c.r. Membre présidant

Sidney A. Fraleigh ______ Sidney A. Fraleigh Membre

Kathleen Macmillan ______ Kathleen Macmillan Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Loi sur la taxe d'accise - Taxe de vente - Il s'agit de déterminer si l'appelante peut invoquer l'erreur du ministère du Revenu national qui ne l'aurait pas avisée des changements apportés aux dispositions législatives et modifiant son assujettissement à la taxe de vente.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le Tribunal est lié par la loi et ne peut pas refuser de l'appliquer, même pour des motifs d'équité. Le Tribunal ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur la taxe d'accise.

Lieu de l'audience : Calgary (Alberta) Date de l'audience : Le 18 mai 1989 Date de la décision : Le 21 décembre 1989
Jury : Robert J. Bertrand, c.r., membre présidant Sidney A. Fraleigh, membre Kathleen Macmillan, membre
Avocat du Tribunal : Danielle Bouvet Greffier du Tribunal : Lillian Pharand
Ont comparu : Walter Regehr, pour l'appelante Jean Fitzgerald, pour l'intimé
Jurisprudence : Joseph Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration (1986), 3 C.F. 70; William A. Gibbon c. La Reine (1978), 1 C.F. 247; Ernest G. Stickel c. Le ministre du Revenu national (1972), 1 C.F. 672.
Lois citées : Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, chap. E-15; Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise et la Loi sur l'accise et d'autres lois en conséquence, L.C. 1986, chap. 9, art. 15.





RÉSUMÉ

L'appelante conteste une cotisation de 80 129,11 $, montant qui représente la taxe de vente fédérale exigible sur les fermes et montants en acier de construction qu'elle a vendus à ses clients entre le 1er juin 1983 et le 30 novembre 1986.

Le paragraphe 26(4) de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi), qui exemptait les marchandises fabriquées et vendues par l'appelante de l'application de la taxe de vente, a été abrogé. Par l'abrogation, prenant effet le 1er juillet 1985, l'exemption était annulée, et les marchandises devenaient assujetties à la taxe.

L'appelante soutient que la compagnie devrait être exonérée du montant de taxe exigé parce que les fonctionnaires du ministère du Revenu national (le Ministère) l'ont mal informée concernant l'assujettissement à la taxe, et parce qu'elle n'a pas reçu le numéro de Nouvelles de l'Accise annonçant les changements apportés à l'application de la taxe de vente par suite de la modification de la Loi.

L'appel n'est pas admis. La Loi impose aux vendeurs de marchandises désignées de payer la taxe sur le prix de vente au moment de la transaction. Cette obligation est énoncée en termes non équivoques en ce qui concerne les activités de l'appelante. Dans la présente cause, l'appelante admet qu'elle est responsable du paiement de la taxe. Le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) prend note de ce fait, mais il serait arrivé à la même conclusion au sujet de l'assujettissement à la taxe.

Le fait que l'appelante ait été ou non mal renseignée par les fonctionnaires du Ministère et qu'elle ait reçu ou non les Nouvelles de l'Accise ne peut être pris en considération lorsqu'il s'agit d'établir si elle doit payer la taxe. Le Tribunal n'est pas autorisé à faire valoir le principe d'équité ni à accepter des considérations humanitaires dans le règlement du présent appel.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

En ce qui concerne cet appel, les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

26(4) Lorsqu'une personne

...

b) fabrique ou produit, ailleurs qu'à l'endroit de la construction ou du montage d'un bâtiment ou d'une autre structure, des éléments porteurs destinés à être incorporés à un bâtiment ou une structure semblable, en concurrence avec des personnes qui construisent ou montent des bâtiments ou d'autres structures où sont incorporés des éléments de ce genre, non ainsi fabriqués ou produits,

...

d) fabrique ou produit, à partir de l'acier qu'elle a acheté, fabriqué ou produit et à l'égard duquel toute taxe prévue par la présente Partie est devenue payable, de l'acier de construction ouvré pour bâtiments,

elle est réputée, aux fins de la présente Partie, à l'exclusion du paragraphe 29(1), relativement à tous semblables bâtiments, structures, éléments, parpaings ou agglomérés ou acier de construction qu'elle a ainsi fabriqués ou produits, ne pas en être le fabricant ou le producteur.

27(1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente au taux spécifié au paragraphe (1.1) sur le prix de vente de toutes marchandises

a) produites ou fabriquées au Canada...

b) importées au Canada...

27(1.4) Nonobstant le paragraphe (1), est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente de cinq pour cent sur le prix de vente des marchandises énumérées à l'annexeV.

ANNEXE V

PARTIE I

MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION

21. Métal de construction et métal fabriqué pour bâtiments et autres structures.

31. Les bâtiments et autres structures fabriqués ou produits par une personne, ailleurs qu'à pied d'oeuvre, en concurrence avec des personnes qui construisent ou érigent des bâtiments ou structures analogues non ainsi fabriqués ou produits.

32. Les éléments porteurs destinés à être incorporés à des bâtiments ou autres structures, fabriqués ou produits par une personne, ailleurs qu'à pied d'oeuvre, en concurrence avec des personnes qui construisent ou érigent des bâtiments ou d'autres structures qui incorporent des éléments analogues non ainsi fabriqués ou produits.

LES FAITS

Le présent appel est interjeté en vertu de l'article 51.19 de la Loi à l'égard d'une décision du ministre du Revenu national (le Ministre), datée du 30 septembre 1987 et confirmant la cotisation numéro ALB2139. L'appelante, Walbern Agri-Systems Ltd. (Walbern), conteste une cotisation d'un montant de 80 129,11 $, représentant la taxe de vente fédérale exigible sur les fermes et montants en acier de construction vendus à ses clients entre le 1er juin 1983 et le 30 novembre 1986.

Au cours de la période en cause, l'appelante fabriquait et vendait des fermes et des montants classés selon leurs caractéristiques techniques et devant servir dans des bâtiments agricoles et commerciaux; fabriquait et vendait du matériel pour la claustration des porcs, comme les cages de mise-bas et les stalles de gestation et de stabulation; et enfin, achetait pour la revente, des feuilles de métal devant servir aux toits et aux parements des bâtiments vendus par Walbern comme des ensembles de bâtiments complets.

Le paragraphe 26(4) de la Loi a été abrogé par la Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise et la Loi sur l'accise et modifiant d'autres lois en conséquence [1] , l'abrogation prenant effet le 1er juillet 1985. Ce paragraphe exemptait le genre de marchandises fabriquées et vendues par l'appelante de l'application de la taxe de vente. Avec la révocation du paragraphe 26(4), l'exemption a E9‚té supprimée, et les marchandises sont devenues taxables.

La compagnie a été mise sur pied en 1954 par l'actuel président, M. Regehr, qui était le seul actionnaire jusqu'en 1972, année où M. Regehr s'adjoint un autre actionnaire. En 1975, M. Regehr a vendu la plupart de ses actions, ne gardant qu'une participation minoritaire.

M. Regehr a déclaré au Tribunal qu'en 1986, il a décidé de racheter toutes les actions de la compagnie. Il a cependant jugé bon auparavant de consulter les fonctionnaires du Ministère au sujet de l'application de la taxe de vente. Il a donc donné ordre à un employé, M. Loewen, de se renseigner.

M. Loewen a témoigné qu'au cours de deux entretiens téléphoniques avec un fonctionnaire du Ministère à Calgary, il s'est fait dire que la compagnie se conformait à la Loi. Depuis 1980, la compagnie achetait en payant la taxe sur le matériel nécessaire à la fabrication des fermes et des montants et sans payer la taxe sur le matériel nécessaire à la fabrication des enclos pour les porcs.

En novembre 1986, le Ministère a procédé à la vérification des livres de la compagnie. Le 12 mai 1987, après la vérification, le Ministère a émis un avis de cotisation à l'appelante, lui demandant de payer la taxe de vente exigible pour la période du 1er juin 1983 au 30 novembre 1986.

L'appelante a présenté un avis d'opposition le 16 juin 1987, déclarant qu'elle ne devrait pas avoir à payer le montant parce qu'elle avait été mal renseignée par un employé du Ministère au sujet de l'assujettissement à la taxe de vente applicable aux transactions qui avaient eu lieu au cours de la période en question.

Le Ministre a refusé l'objection de l'appelante, affirmant qu'il n'est autorisé ni à reporter la date d'entrée en vigueur de modifications touchant l'application de la taxe, dont la Loi doit faire l'objet et qui ont été annoncées, ni à prendre en considération les circonstances spéciales d'une compagnie donnée. L'avis de décision indiquait aussi que le Ministère fait l'impossible pour aviser les contribuables des modifications législatives et administratives par le biais des Nouvelles de l'Accise, comme ce fut le cas lors de l'abrogation du paragraphe 26(4) de la Loi.

L'appelante s'est adressée à la Commission du tarif le 6 mai 1988 en conformité avec l'article 51.19 de la Loi. L'appel a été confiée au Tribunal en application du paragraphe 54(2) et de l'article 60 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [2] , et celui-ci l'a mené à terme.

LA QUESTION EN LITIGE

L'appelante admet qu'elle est responsable du paiement de la taxe calculée par le Ministère, et ledit montant n'est pas en cause dans le présent appel.

Par contre, l'appelante soutient que la compagnie devrait être exemptée du paiement de la taxe imposée, parce qu'elle a été mal renseignée par des fonctionnaires du Ministère et parce qu'elle n'a pas reçu le numéro de Nouvelles de l'Accise contenant les renseignements annonçant les changements apportés à l'application de la taxe de vente par suite de la modification de la Loi. L'appelante déclare aussi que le paiement d'un montant de taxe aussi élevé pourrait avoir de graves conséquences financières pour la compagnie.

En réponse, l'intimé déclare que la législation régissant la taxe en cause est d'ordre public. L'appelante se devait de respecter la législation, et elle ne peut pas alléguer, pour s'y soustraire, l'ignorance de la loi ou le fait qu'elle a obtenu un faux renseignement d'un fonctionnaire. Même si l'appelante avait été mal renseignée par un fonctionnaire de l'État, l'intimé soutient que cela ne modifie en rien l'application de la loi adoptée par le Parlement, et le renseignement donné est nul.

L'intimé soutient aussi que, même si l'appelante avait reçu un faux renseignement en février 1986, renseignement qui lui aurait donné droit à un dégrèvement de la taxe, les transactions qui se sont produites entre le 1er juillet 1985 et le moment où les renseignements ont été donnés, en février 1986, n'auraient pas été touchées.

DÉCISION

La Loi impose aux vendeurs de marchandises désignées de payer la taxe sur le prix de vente au moment de la transaction. Cette obligation est énoncée en termes non équivoques en ce qui concerne les activités de l'appelante. Dans le présent appel, l'appelante admet qu'elle est responsable du paiement de la taxe. Le Tribunal prend note de ce fait, mais il serait arrivé à la même conclusion en ce qui a trait à l'assujettissement à la taxe.

Le fait que l'appelante ait été ou non mal renseigné par les fonctionnaires du Ministère et qu'elle ait reçu ou non les Nouvelles de l'Accise ne peut être pris en considération lorsqu'il s'agit d'établir si elle doit payer la taxe. Le fait d'être mal renseigné par un fonctionnaire du Ministère n'est pas une excuse et ne justifie pas le non-paiement de la taxe; c'est là un principe de droit bien établi.

Dans une décision rendue par la Cour fédérale d'appel en 1986 [3] , le juge Pratte a conclu que, dans de telles circonstances, le juge est lié par la loi et ne peut pas en refuser l'application, même pour des motifs d'équité. À la page 77 de la décision, il déclare ce qui suit :

Le véritable reproche que le requérant fait au juge-arbitre, ce n'est pas d'avoir violé les principes de justice naturelle, c'est tout simplement de n'avoir pas appliqué l'équité plutôt que la loi. Il est certain en effet que la Commission et ses représentants n'ont pas le pouvoir de modifier la loi et que, en conséquence, les interprétations qu'ils peuvent faire de la loi n'ont pas elles-mêmes force de loi. Il est également certain que l'engagement que prendrait la Commission ou ses représentants, qu'ils soient de bonne ou de mauvaise foi, d'agir autrement que ne le prescrit la loi, serait absolument nul et contraire à l'ordre public. En conséquence, la prétention du requérant ne peut EAˆtre autre chose que celle-ci: le juge-arbitre s'est trompé parce qu'il aurait dû, pour éviter de causer préjudice au requérant, refuser d'appliquer la loi.

Il suffit de voir la prétention du requérant sous son vrai jour pour constater qu'elle doit être rejetée. Le juge est lié par la loi. Il ne peut, même pour des considérations d'équité, refuser de l'appliquer.

Dans une décision de la Cour fédérale [4] , le juge Walsh a conclu que la validité d'une nouvelle cotisation ne peut pas être contestée sous prétexte qu'une cotisation erronée a incité un contribuable à adopter une ligne de conduite entraînant des pertes financières. Le juge s'est exprimé comme suit :

Le seul point litigieux porté devant la Cour est le suivant: les nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1972 et 1973 sont-elles correctes? Or, il est incontestable qu'elles sont conformes à la loi. Le fait que le demandeur aurait pu agir autrement et réclamer certaines autres déductions (ce qu'il ne peut plus faire maintenant) qui auraient réduit ses obligations fiscales pour les années en cause est regrettable en soi, mais ne saurait avoir d'effet sur la validité des nouvelles cotisations. Le seul recours du demandeur, en l'occurrence, pourrait consister en une action délictuelle contre la Couronne, s'il pouvait établir qu'il a subi des dommages du fait de la négligence de fonctionnaires de celle-ci. Je n'insinue pas d'ailleurs qu'il dispose d'une telle action; je veux simplement dire qu'il ne peut pas contester devant la Cour la validité des nouvelles cotisations pour le seul motif qu'il prétend avoir été incité par les premières cotisations à adopter une ligne de conduite qui lui a causé des pertes financières.

Finalement, dans la cause Ernest G. Stickel c. Le ministre du Revenu national [5] , la Cour fédérale du Canada a conclu qu'on ne peut pas invoquer une fin de non-recevoir contre le Ministre en se fondant sur les renseignements tirés d'un bulletin d'information. Même si le Tribunal est d'avis que l'appelante a agi de bonne foi, il n'est pas en mesure de lui accorder le dégrèvement demandé.

Le Tribunal doit toutefois décider si le fardeau fiscal normal imposé par la loi pourrait être atténué, allégé ou diminué en raison de la diffusion de renseignements erronés, du manque d'information ou de difficultés financières injustes. À ce sujet, le Tribunal conclut que le Ministre et les fonctionnaires du Ministère sont tenus d'appliquer la loi aux faits particuliers d'une cause et que la Loi ne leur accorde aucun pouvoir discrétionnaire afin de changer le fardeau fiscal pour des motifs humanitaires.

D'après l'article 81.27 de la Loi, le Tribunal est autorisé à rejeter un appel ou à l'accepter, en totalité ou en partie, et à annuler ou à modifier la cotisation qui fait l'objet d'un appel. Cela ne signifie pas que le Tribunal soit autorisé à introduire des concepts d'équité ou à accepter des considérations humanitaires dans le règlement d'un appel.

Si le paiement de la taxe de vente doit causer des difficultés injustes, l'appelante peut prendre des arrangements avec le Ministère pour effectuer le paiement par versements. Il lui est en effet loisible de recourir à des arrangements particuliers, de façon à atténuer les effets néfastes de l'application de la Loi, laquelle ne peut être modifiée.

CONCLUSION

Le Tribunal confirme la cotisation initiale et la décision du Ministre. L'appel n'est donc pas admis.


[ Table des matières]

1. L.C. 1986, chap. 9, art. 15.

2. L.C. 1988, chap. 56.

3. Joseph Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration (1986), 3 C.F. 70.

4. William A. Gibbon c. la Reine (1978), 1 C.F. 247.

5. (1972), 1 C.F. 672.


Publication initiale : le 15 août 1997