GRAND SPECIALTIES LTD. ET THE PERRIER GROUP OF CANADA INC.

Décisions


GRAND SPECIALTIES LTD. ET THE PERRIER GROUP OF CANADA INC.
v.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel n° 3030

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le vendredi 9 novembre 1990

Appel n°3030

EU ÉGARD À un appel entendu les 27 et 28 juin 1990, en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 3 mai 1988 relativement à un avis d'opposition produit en vertu de l'article 81.15 de la Loi sur la taxe d'accise.

ENTRE

GRAND SPECIALTIES LTD. ET

THE PERRIER GROUP OF CANADA INC.Appelante

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONALIntimé

ET

L'OFFICE GÉNÉRAL DES EAUX MINÉRALES LIMITÉEIntervenant

L'appel est rejeté. Le Tribunal déclare que l'eau Perrier, une eau minérale gazéifiée, est une boisson gazeuse au sens de l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise et est, par conséquent, assujettie à la taxe de vente fédérale exigible en vertu de l'article 50 de la Loi sur la taxe d'accise.


Robert J. Bertrand, c.r. ______ Robert J. Bertrand, c.r. Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Charles A. Gracey ______ Charles A. Gracey Membre

Robert J. Martin ______ Robert J. Martin Secrétaire





Loi sur la taxe d'accise - Taxe de vente - Signification de «boisson gazeuse» - Eau minérale gazéifiée - Alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi) - Interprétation des dispositions législatives pertinentes - Versions française et anglaise.

Le présent appel est interjeté en vertu de l'article 81.19 de la Loi par Grand Specialties Ltd. et The Perrier Group of Canada Inc. dans le but de faire annuler la décision du ministre du Revenu national (le Ministre) selon laquelle l'eau Perrier, une eau minérale gazéifiée, fait partie des boissons expressément exclues aux fins de l'exemption prévue à l'article 1 de la partie V de l'annexe III de la Loi en ce qui a trait aux «Aliments et boissons destinés à la consommation humaine...» et, par conséquent, est assujettie à la taxe de vente fédérale.

L'appelante importe, distribue et vend l'eau Perrier au Canada. Il s'agit de déterminer si l'eau Perrier est une «boisson gazeuse» au sens de l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi et si, par conséquent, elle est assujettie à la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 50 de la Loi. L'appelante a allégué que l'eau Perrier n'est pas une boisson étant donné que la définition habituelle de ce terme comprend les liquides préparés, mais exclut expressément l'eau. Par ailleurs, l'appelante a prétendu que le Parlement entend par «boisson» tout liquide fabriqué ou préparé, mais non un produit naturel tel l'eau Perrier.

L'intimé a allégué que les définitions du terme anglais «beverage» ne sont pas uniformes, et que l'équivalent français, «boisson», comprend tout liquide destiné à la consommation humaine. Par conséquent, il estime que le Tribunal devrait tenir compte des deux versions de la Loi et accorder au terme «beverage» un sens aussi général que possible. Par ailleurs, l'intimé a déclaré que l'eau Perrier n'est pas naturelle puisqu'elle est assujettie à un processus de fabrication.

Jugement  : L'appel est rejeté. En examinant l'article 1 de la partie V de l'annexe III de la Loi, le Tribunal en arrive à la conclusion que les boissons énumérées aux alinéas 1a), b) et d) nécessitent une certaine préparation et que les boissons énumérées à l'alinéa 1c) sont également des boissons préparées. Ce point de vue est renforcé par l'association du terme «gazeuse» avec le terme «boisson». Le terme «gazeuse» sous-entend une action ou un processus au cours duquel du dioxyde de carbone est ajouté. Si l'eau est soumise à un processus permettant d'y ajouter du dioxyde de carbone de façon à augmenter le volume de ce gaz dissous dans l'eau au-delà du niveau de concentration qu'on retrouve dans la nature, l'eau devient une «boisson gazeuse» ou un «carbonated beverage». Dans le cas présent, il a été démontré que le produit fini, qu'on retrouve dans les bouteilles d'eau Perrier, est le résultat de l'extraction et du traitement distincts de dioxyde de carbone, et de l'ajout de ce gaz à l'eau de source non filtrée au cours de la mise en bouteilles. Le volume de dioxyde de carbone contenu dans une bouteille d'eau Perrier est plus élevé qu'il n'aurait jamais été à la surface de la source dans des conditions naturelles. L'eau a été intentionnellement gazéifiée, et l'ajout de dioxyde de carbone fait du produit final une boisson gazeuse, c'est pourquoi elle est taxable.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Dates de l'audience : Les 27 et 28 juin 1990 Date de la décision : Le 9 novembre 1990
Membres du Tribunal : Robert J. Bertrand, c.r., membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Charles A. Gracey, membre
Greffier : Janet Rumball
Ont comparu : T.A. Sweeney et Ian V. MacInnis, pour l'appelante Alain Préfontaine, pour l'intimé Paul Dagenais-Pérusse, pour l'intervenant
Jurisprudence : Rex v. Rouse [1936] 4 D.L.R. 797 (Ont. C.A.); Slaight Communications Inc. v. Davidson, (1989) 1 S.C.R. 1038.
Loi citée : Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, articles 50, 51 et 1, partie V, annexe III.
Dictionnaires cités : Le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse, Librairie Larousse, Paris, 1989; Le Grand Robert de la langue française, 2 e édition, Le Robert, Paris, 1989; Webster's Third New International Dictionary, Merriam-Webster Inc., Springfield, 1966; Collins Dictionary of the English Language, Collins, London & Glasgow; Funk and Wagnalls New Standard Dictionary of the English Language, New York, 1963; The Oxford English Dictionary, 2 e Édition, 1989.
Mémorandums cités : Nouvelles de l'accise, le 23 mai 1985; Communiqué de l'accise 116/T2, janvier 1987.





Le présent appel est interjeté en vertu de l'article 81.19 de la Loi sur la taxe d'accise (la Loi), par Grand Specialties Ltd. et The Perrier Group of Canada Inc. (l'appelante), dans le but de faire annuler une décision rendue par le ministre du Revenu national (le Ministre) le 3 mai 1988, en vertu de laquelle il a été établi que l'eau Perrier, une eau minérale gazéifiée, fait partie des aliments et boissons expressément exclus aux fins de l'exemption prévue à l'article 1 de la partie V de l'annexe III de la Loi en ce qui a trait aux «Aliments et boissons destinés à la consommation humaine...» et, par conséquent, est assujettie à la taxe de vente fédérale.

L'appelante demande que l'eau Perrier soit exemptée de la taxe de vente fédérale exigible en vertu de l'article 50 de la Loi, et réclame un remboursement de la taxe payée. L'intervenant appuie la position de l'appelante.

LES FAITS

L'appelante importe, distribue et vend l'eau Perrier au Canada. En vertu de l'avis de détermination TORC-57342, en date du 4 novembre 1987, le Ministre a établi une cotisation de 1 077 209,43 $ à l'égard de la taxe de vente à payer sur l'importation d'eau Perrier par l'appelante. Cette dernière a produit un avis d'opposition auprès du Ministre. En vertu de la décision rendue le 3 mai 1988, le Ministre a rejeté l'opposition de l'appelante et a confirmé la détermination, en invoquant les motifs suivants :

L'article 1 de la partie V de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise prévoit une exemption au titre de tous les aliments et boissons destinés à la consommation humaine autres que «... c) les boissons gazeuses et les marchandises devant servir à leur préparation... ».

L'expression «boisson gazeuse» est interprétée de façon à inclure toute boisson renfermant du dioxyde de carbone, que celui-ci ait été ajouté de façon naturelle ou artificielle.

Étant donné que l'eau Perrier est une eau minérale gazéifiée vendue comme une boisson gazeuse, elle fait partie des aliments et boissons spécifiquement exclus aux fins de l'exemption de la taxe de vente fédérale. (traduction)

Le 21 juillet 1988, l'appelante en a appelé de la décision du Ministre auprès de la Commission du tarif. L'appel a été produit au nom de Grand Specialties Ltd. et The Perrier Group of Canada Inc. Les deux compagnies sont des filiales en propriété exclusive de la compagnie Source Perrier SA de France. Il semble que l'importation de l'eau Perrier était assurée en alternance par Grand Specialties Ltd. et par The Perrier Group of Canada Inc. Grand Specialties Ltd. réclame un remboursement de 486 811, 26 $, alors que The Perrier Group of Canada Inc. réclame un remboursement de 590 398,17 $ au titre de la taxe de vente fédérale payée soit un total de 1 077 209,43 $.

Le Ministre a choisi de rendre l'avis de détermination susmentionné au nom de Grand Specialties Ltd. seulement, sans tenir compte du The Perrier Group of Canada Inc. Un avis d'opposition a été produit par chaque compagnie. L'avis de décision du Ministre cite les deux compagnies. Par conséquent, il semble que le Tribunal doive disposer de l'appel de la même façon que le Ministre, c'est-à-dire au nom des deux compagnies, en tenant compte du fait que le remboursement total réclamé par les deux compagnies atteint 1 077 209,43 $.

Bien que l'appel ait été présenté initialement devant la Commission du tarif, il a été confié au Tribunal, conformément à l'article 60 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur [1] .

Les éléments de preuve de l'appelante ont été présentés par M. Duncan Finlayson, un ingénieur civil spécialisé dans les eaux souterraines, les ressources en eau, le traitement de l'eau et la géotechnologie. Il s'est familiarisé avec l'hydrologie et la composition chimique de l'eau provenant de la «Source Perrier» alors qu'il travaillait pour le compte de la compagnie Perrier au Royaume-Uni. Il a décrit l'historique et l'hydrologie de la «Source Perrier».

La «source», située à Vergèze dans le sud de la France, est une importante formation géologique présentant deux grandes caractéristiques. Premièrement, la région de la source est entourée de montagnes de roche calcaire qui tendent vers une plaine où l'on retrouve la «Source Perrier». La pluie coule dans ces montagnes et s'accumule dans la plaine. Celle-ci est formée d'une nappe de sable silicieux de quelque 40 m de profondeur et elle est couverte d'environ 5 m d'argile. Le poids de cette couverture d'argile sur le lit de sable chargé d'eau ainsi que la pente du terrain expliquent la nature artésienne de la source.

Deuxièmement, on trouve, sous le lit de sable chargé d'eau, une importante formation de roc charbonneux chauffé par le biais d'une convection ascensionnelle, gr 2ƒce à des failles et des fractures, à partir du manteau terrestre. Cette chaleur est suffisamment élevée pour permettre l'émission de dioxyde de carbone gazeux (CO2) à partir du roc. Le CO2 est poussé vers le haut, dans le lit de sable de la nappe phréatique, à travers des failles et des fractures dans le roc. Le témoin a déclaré que, à une profondeur de 40 m environ, la pression est telle qu'elle permet la dissolution de 3,5 volumes de CO2 pour 1 volume d'eau. À mesure que cette eau gazéifiée remonte vers la surface, la pression de la couverture est réduite et le volume du gaz absorbé baisse par rapport au volume d'eau. À la surface, le volume de CO2 dissous dans l'eau est considérablement réduit et, d'après le témoin, si on laissait l'eau à l'air libre, la quasi-totalité du CO2 s'échapperait dans l'atmosphère.

Au début de l'exploitation de la «Source Perrier», on enterrait de gros cylindres dans le sable, afin d'empêcher la volatilisation du CO2, puis on combinait ce gaz avec l'eau, selon le niveau de concentration désiré. À mesure que la région s'est développée, des trous ont été creusés dans le roc, et le CO2 a été extrait directement, puis ajouté sous pression à l'eau provenant du lit de sable. De nos jours, le CO2 n'est plus ajouté à l'eau directement; il est plutôt extrait du roc sous la nappe phréatique, puis ajouté à l'eau au moment de la mise en bouteilles. Le gaz qui provient des trous alésés renferme un peu d'eau, mais cette eau est rejetée. La quasi-totalité de l'eau embouteillée provient du lit de sable. Le gaz renferme des traces d'hydrocarbures qui sont filtrés avant la combinaison du CO2 et de l'eau de source. L'eau embouteillée reproduit la condition de l'eau à l'état naturel. Autrement dit, l'eau embouteillée renferme le volume de CO2 qu'on retrouve dans la source, à l'état naturel, à une profondeur d'environ 40 m. Étant donné que le CO2 est maintenant extrait directement à partir du roc, il est peu probable que l'eau renferme un volume aussi élevé de CO2 à une profondeur de 40 m.

Lorsque le Tribunal l'a interrogé au sujet du volume de gaz contenu dans une bouteille d'eau Perrier, le témoin a répondu que le coefficient de 3,5 volumes de dioxyde de carbone pour 1 volume d'eau correspond au niveau de saturation de la «Source Perrier» à une profondeur de 40 m. Or, ce n'est pas le niveau qu'on retrouve actuellement dans la source, en raison de l'extraction distincte du CO2. La mise en bouteilles permet de combiner l'eau et le CO2, en vue d'obtenir le niveau de saturation que le dioxyde de carbone aurait à l'état naturel.

Le Tribunal a ensuite demandé au témoin si la teneur en CO2 varie entre la couche supérieure et la couche inférieure du lit de sable d'où provient l'eau, ce à quoi il a répondu que la situation actuelle est bien différente de la situation initiale. En effet, étant donné que le dioxyde de carbone est extrait à l'aide d'un système de perforation de trous alésés avant même d'atteindre l'eau, la quantité de CO2 qui s'infiltre dans le lit de sable est relativement peu élevée, et le CO2 n'atteint plus le niveau de saturation. À l'état naturel, l'eau artésienne qu'on retrouve à la surface de la source contiendrait environ 1,4 volume de CO2 pour 1 volume d'eau. Le témoin a déclaré que le niveau de CO2 près de la surface correspond à environ 15 mg/L, comparativement à 6500 mg dans une bouteille d'eau Perrier. Par conséquent, si l'eau était embouteillée dès sa sortie du puits artésien, elle renfermerait un niveau peu élevé de CO2. Le témoin a ajouté que la plupart des eaux de source renferment l'équivalent de 15 mg/L de CO2 environ.

Le témoin a signalé que 99,7 p. 100 du gaz ajouté à l'eau Perrier est du CO2, et que la fraction totale des impuretés retirées du gaz par un processus de filtration représente 0,001 p. 100. Il a ajouté que les bouteilles d'eau Perrier ont été conçues de façon à respecter les normes de sécurité établies, c'est-à-dire 3,5 volumes de CO2 pour 1 volume d'eau.

M. Duncan K. Smith, un biochimiste à l'emploi de Ortech International (anciennement la Fondation de recherches de l'Ontario), a aussi témoigné pour l'appelante. Il fait partie de Ortech depuis environ 34 ans. Il a présenté un lexique ayant pour titre Technical Glossary, ainsi qu'un rapport intitulé Perrier Naturally Sparkling Mineral Water. On lui avait demandé de déterminer le volume de dioxyde de carbone contenu dans l'eau du robinet et dans diverses eaux embouteillées. Les eaux qui ont fait l'objet de son étude sont l'eau Perrier, l'eau Apollinaris, le Club Soda de Canada Dry, l'eau de source Crystal Springs, l'eau de source Vittel, l'eau de source Evian, l'eau de source Volvic, et l'eau du robinet de Mississauga.

D'après son rapport, il semble que l'eau du robinet de Mississauga ainsi que certaines eaux de source embouteillées qu'elles soient «gazéifiées ou non», renferment différents niveaux de gaz, y compris du dioxyde de carbone. Le volume de dioxyde de carbone libre contenu dans l'eau à la température de la pièce varie selon le degré d'acidité (pH) de l'eau, et selon le volume de gaz contenu dans la source. Le volume de dioxyde de carbone passe de 8 mg/L dans le cas de l'eau du robinet de Mississauga, à environ 45 mg/L dans le cas de l'eau de source non gazéifiée, à plus de 2500 mg/L dans le cas des eaux minérales gazéifiées.

Le témoin a expliqué que le terme «gazéifier» signifie faire dissoudre du gaz carbonique. Il a précisé que le volume de dioxyde de carbone contenu dans l'eau Perrier et dans les autres eaux gazéifiées, y compris le Club Soda, sont des volumes minimaux puisque le CO2 s'échappe dès qu'on ouvre une bouteille à la température de la pièce. Lors du contre-interrogatoire, le témoin a admis que puisque les tests ont été effectués sur une bouteille ouverte à la température de la pièce et que le CO2 s'échappait des bouteilles pendant les tests, les résultats n'indiquent pas le volume de dioxyde de carbone contenu dans une bouteille fermée. Lorsque le Tribunal lui a demandé si l'eau Perrier est gazéifiée selon le sens qu'il donne à ce terme, M. Smith a répondu que l'eau Perrier a été gazéifiée avec du dioxyde de carbone. Il a également déclaré que 3,5 volumes de dioxyde de carbone pour 1 volume d'eau n'est pas le volume maximal de dioxyde de carbone qu'on peut ajouter à de l'eau.

M. Paul Dagenais-Pérusse, un médecin, est le président de l'intervenant, c'est-à-dire l'Office général des eaux minérales Limitée, une compagnie qui embouteille et commercialise l'eau minérale sous la marque de commerce «Saint-Justin». D'après lui, il est impossible d'ajouter plus de 3,5 volumes de dioxyde de carbone à 1 volume d'eau dans une bouteille de verre, étant donné que celle-ci pourrait exploser. Il a également déclaré qu'au moment de l'abolition en 1985 de l'exemption au titre de la taxe de vente sur les boissons gazeuses et les marchandises devant servir à leur préparation, Revenu Canada avait émis, le 23 mai 1985, un bulletin intitulé Nouvelles de l'accise, dans lequel on retrouvait, à l'Annexe A, des exemples d'articles taxables dans l'industrie des boissons gazeuses. Parmi ces articles, mentionnons les «boissons gazeuses» et les «eaux gazeuses». Le témoin a présenté des extraits du «Lexique des boissons gazeuses» publié par l'Office de la langue française en 1980, dans le but de démontrer que l'expression «eaux gazeuses» est inexacte, et que l'expression «boissons gazeuses» ne se rapporte pas à de l'eau, un produit naturel, gazéifiée par un processus naturel ou artificiel, mais plutôt à une boisson préparée.

Le témoin s'est également référé au Communiqué 116-2/TI publié par Revenu Canada en janvier 1987 afin de mettre à jour et de clarifier les lignes directrices relatives aux boissons gazeuses. Il a déclaré que l'eau Perrier ne fait partie d'aucune catégorie mentionnée dans ce communiqué.

M. K. Anwer Mehkeri, détenteur d'une maîtrise en chimie organique, a témoigné pour l'intimé. De 1971 à 1987, M. Mehkeri a rempli les fonctions de chef de la Division du service de laboratoire et d'expertise scientifique au sein de la Direction de la sécurité des produits, au ministère de la Consommation et des Corporations. Il est devenu par la suite conseiller spécial dans le domaine des normes et des règlements au sein du même ministère et, depuis 1988, il occupe le poste de consultant auprès de la compagnie Coca-Cola Canada Limited et de l'Association des consommateurs du Canada. Il a déclaré que la Division du service de laboratoire et d'expertise scientifique de Revenu Canada, Douanes et Accise, lui a demandé de tester trois produits (Coca-cola, soda au gingembre Canada Dry et eau minérale Perrier), dans le but de déterminer le volume de dioxyde de carbone contenu dans les bouteilles. Il a testé cinq échantillons de 750 mL de chaque produit, à l'aide de la méthode dite «Zahm Piercing Device Method». Cette méthode est couramment utilisée en Amérique du Nord dans l'industrie des boissons gazeuses. L'instrument utilisé pour effectuer les tests renferme deux jauges, une pour la pression et une pour la température.

Le témoin a présenté un «certificat d'analyse» indiquant les résultats de ses tests. Ainsi, le volume de dioxyde de carbone est d'environ 3,7 dans le cas du Coca-cola, 3,9 dans le cas du soda au gingembre de Canada Dry et 3,8 dans le cas de l'eau Perrier.

LA QUESTION EN LITIGE

Il s'agit de déterminer si l'eau Perrier, une eau minérale gazéifiée, est une «boisson gazeuse» au sens de l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi et si, par conséquent, elle est assujettie à la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 50 de la Loi.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions législatives applicables au présent appel sont les suivantes :

Loi sur la taxe d'accise [2]

ANNEXE III

PARTIE V

ALIMENTS ET BOISSONS

1. Aliments et boissons destinés à la consommation humaine (y compris les édulcorants, assaisonnements et autres ingrédients devant être mélangés à ces aliments et boissons ou être utilisés dans leur préparation), sauf :

a)les vins, spiritueux, bières, liqueurs de malt et autres boissons alcoolisées;

b)les boissons de malt non alcoolisées;

c)les boissons gazeuses et les marchandises devant servir à leur préparation;

d)les boissons de jus de fruits et les boissons à saveur de fruits non gazeuses, autres que les boissons à base de lait, contenant moins de vingt-cinq pour cent par volume :

(i) de jus de fruits naturel ou d'une combinaison de jus de fruits naturels,

(ii) de jus de fruits naturel ou d'une combinaison de jus de fruits naturel qui ont été reconstitués à l'état initial,

et les marchandises qui, lorsqu'elles sont ajoutées à de l'eau, produisent une boisson visée dans le présent alinéa;

...

L'ARGUMENTATION

En bref, l'appelante a prétendu que l'eau Perrier n'est pas une «boisson» au sens habituel du terme puisque, d'après les dictionnaires, le terme s'entend d'un liquide préparé mais exclut expressément l'eau.

D'après l'appelante, les termes qu'on retrouve dans un texte de loi ne doivent pas être examinés séparément, mais plutôt dans le contexte global de la loi, dans le but de déterminer leur signification précise. Par conséquent, il faut tenir compte des mots qu'on retrouve à la fin de l'alinéa 1d) de la partie V de l'annexe III de la Loi, qui se lisent comme suit : «... et les marchandises qui, lorsqu'elles sont ajoutées à de l'eau, produisent une boisson... ». Le terme «eau» par opposition au terme «boisson» signifie que l'eau proprement dite n'est pas une «boisson». Par conséquent, le terme «boisson», tel qu'utilisé à l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi devrait être interprété de la même façon et exclure l'eau comme l'eau Perrier.

L'appelante a ensuite discuté de l'intention du législateur en adoptant l'article 1 de la partie V de l'annexe III de la Loi, et a prétendu que l'examen de cet article démontre clairement que le Parlement entend par «boisson» tout liquide fabriqué ou préparé, mais non un produit tel que l'eau Perrier, puisque celle-ci est naturelle. D'après l'appelante, le dénominateur commun de toutes les boissons énumérées aux alinéas 1a), b) et d) de la partie V de l'annexe III de la Loi réside dans le fait que les boissons sont des liquides fabriqués ou préparés artificiellement. Par conséquent, la même signification du terme «boisson» devrait s'appliquer au terme visé à l'alinéa 1c).

De plus, l'appelante a déclaré que la signification d'un terme est influencée par les mots auxquels il est associé. L'appelante a fait remarqué que l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III mentionne «les boissons gazeuses et les marchandises devant servir à leur préparation». Ces mots indiquent clairement qu'une «boisson» s'entend d'un produit fabriqué. Par conséquent, le premier renvoi à «boissons gazeuses» dans cet alinéa devrait aussi se limiter aux boissons gazeuses préparées. Étant donné que l'eau Perrier est composée d'éléments naturels, elle ne constitue pas un produit préparé, et elle ne devrait pas être considérée comme une «boisson» au sens de l'alinéa 1c).

L'appelante a cité des décisions où l'expression «boisson» a été interprétée. Ainsi, dans la cause Rex v. Rouse [3] , la Cour d'appel de l'Ontario a statué qu'une «boisson» s'entend d'un liquide fabriqué ou préparé, mais non pas d'un produit naturel comme le lait. Par conséquent, étant donné que l'eau Perrier est un produit naturel extrait d'une nappe phréatique, puis embouteillée, elle ne constitue pas une «boisson».

D'après l'appelante, le Parlement aurait facilement pu être plus précis, et inclure dans la Loi l'«eau gazéifiée» à titre de produit taxable. Une telle omission laisse croire que l'«eau gazéifiée» n'est pas taxable en vertu de la Loi. Citant l'affaire Johns-Manville Canada Inc. c. Sa Majesté La Reine [4] , l'appelante a prétendu que l'ambiguïté résultant de l'absence de précision devrait être résolue en faveur du contribuable.

Au cas où le Tribunal statuerait que l'eau Perrier est une boisson, l'appelante a allégué, de façon subsidiaire, que l'eau Perrier n'est pas gazéifiée au sens de l'expression «boisson gazeuse». Cette expression s'entend uniquement d'une boisson gazéifiée artificiellement et ne comprend pas, par conséquent, l'eau gazéifiée naturellement, comme l'eau Perrier. D'après l'appelante, les «boissons gazeuses» sont devenues taxables au même moment où l'alinéa 1d) de la partie V de l'annexe III a été adopté. Cet alinéa vise à taxer les boissons de jus de fruits et les boissons à saveur de fruits contenant moins de 25 p. 100 par volume de jus de fruits naturel. Le seuil de 25 p. 100 indique, d'après l'appelante, d'une part, une boisson qui est préparée et, d'autre part, qu'une boisson qui renferme principalement des fruits naturels n'est pas assujettie à la taxe de vente fédérale en vertu de la Loi. Étant donné que les alinéas 1c) et 1d) de la Loi ont été adoptés simultanément, et que l'objet de l'alinéa 1d) consiste à prélever la taxe de vente uniquement sur les jus de fruits qui ne sont pas préparés principalement à partir de fruits naturels, la même intention peut être attribuée à l'alinéa 1c), c'est-à-dire que l'eau gazéifiée naturellement, comme l'eau Perrier, n'est pas assujettie à la taxe de vente en application de la Loi.

Enfin, l'appelante a déclaré que le Parlement est présumé agir de façon raisonnable, et qu'un tribunal devrait éviter d'accorder à une expression un sens qui donnerait lieu à un résultat absurde. L'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi s'applique exclusivement aux boissons gazeuses qui sont préparées, et non pas à l'eau gazéifiée par un processus naturel. Si tel était le cas, l'eau du robinet et l'eau de source, qui renferment un peu de dioxyde de carbone, seraient assujetties à la taxe de vente en vertu de la Loi. Une telle situation serait absurde et sûrement non intentionnelle.

L'intimé a déclaré que le Tribunal se doit d'examiner les deux versions de la Loi pour déterminer quelle était l'intention du Parlement au moment de l'adoption de l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi. Lorsqu'on examine la version anglaise, on constate que les définitions du terme «beverage» ne sont pas uniformes, et qu'elles ne permettent pas de résoudre le problème. En fait, contrairement aux allégations de l'appelante, le dictionnaire The Shorter Oxford English Dictionary n'exclut pas l'eau dans sa définition de «beverage». En fait, il définit ce terme comme étant une «boisson». Il ne fait aucun doute que cette définition comprend l'eau Perrier.

L'intimé a également déclaré que les éléments de preuve fournis n'appuient pas la position de l'appelante à l'effet que l'eau Perrier n'est pas une boisson parce qu'elle provient de sources naturelles. D'après l'intimé, les éléments de preuve démontrent au contraire que l'eau Perrier est obtenue par le biais de l'extraction de deux produits sous-terrains différents à savoir l'eau et le dioxyde de carbone. Le gaz est filtré et le processus de filtration permet d'en retirer les traces d'hydrocarbures qui représentent environ 0,001 p. 100 du volume total. Par conséquent, le contenu d'une bouteille d'eau Perrier ne correspond pas à ce qui est extrait du sol. Le produit fait l'objet d'une manipulation considérable : le gaz est extrait séparément, puis ajouté à l'eau selon un volume constant de 3,5, qui n'existe pas à l'état naturel. Ces preuves sont suffisantes pour dire que l'eau Perrier est assujettie à un processus de fabrication et que, par conséquent, elle n'est pas naturelle.

L'intimé s'est ensuite reporté à la version française de la Loi et a fait remarquer que le terme «boisson» est utilisé de façon constante à l'article 1 de la partie V, contrairement à la version anglaise, qui utilise les termes «drink» et «beverage». D'après les définitions qu'on retrouve dans les dictionnaires pour le terme «boisson», l'intimé a déclaré que ce terme est un générique comprenant tout ce qui peut être bu. Le sens ordinaire de «boisson» comprend donc l'eau Perrier.

Par conséquent, l'intimé a déclaré que le Tribunal devrait tenir compte des deux versions de la Loi, et accorder au terme «boisson» son sens général, plutôt que d'opter pour le sens plus restrictif que la version anglaise peut suggérer. À cet égard, l'intimé s'est fondé sur la décision rendue dans la cause Nitrochem Inc. v. Minister of National Revenue for Customs and Excise [5] , où la Cour d'appel fédérale a statué que la responsabilité d'un juge ne consiste pas à trouver un exemple d'usage courant dans une langue, puis à l'appliquer à l'autre langue, mais plutôt à utiliser un sens aussi large que possible dans les deux langues.

L'intimé a invité le Tribunal à examiner le terme «boisson» dans son sens ordinaire et a conclu, après avoir examiné plusieurs dictionnaires, que la version anglaise peut être plus restrictive que la version française, mais peut être aussi générale que la version française qui devrait avoir préséance.

LES CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

Les produits importés ou vendus au Canada sont assujettis à la taxe de vente fédérale en vertu de l'article 50 de la Loi. Le paragraphe 51(1) de la Loi prévoit une exemption à l'égard des produits mentionnés à l'annexe III de la Loi. L'article 1 de la partie V de l'annexe III de la Loi prévoit une exemption à l'égard des «Aliments et boissons destinés à la consommation humaine». Le 1er juillet 1985, l'article 1 de la partie V de l'annexe III était modifié par l'ajout de l'alinéa 1c), qui avait pour but de supprimer l'exemption en ce qui concerne «les boissons gazeuses et les marchandises devant servir à leur préparation».

Les deux parties conviennent que l'eau Perrier renferme du dioxyde de carbone. La question est de savoir si l'eau Perrier est une boisson au sens de l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi.

Le Tribunal est d'avis que la position de l'appelante ne peut être adoptée et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, le terme «boisson» utilisé dans la version française à l'alinéa 1c) de la partie V comme équivalent du terme anglais «beverage» semble signifier tout liquide pouvant être bu, y compris de l'eau. Par ailleurs, on allègue que le terme «beverage» ne s'applique qu'aux boissons ou liquides préparés, mais pas à l'eau. Par conséquent, il y a lieu de concilier les deux versions, qui ont également force de loi, de l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III.

Le principe applicable pour concilier deux versions qui semblent contradictoires a été établi par le juge Lamer dans le cadre de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Slaight Communications Inc. c. Davidson [6] .

Il faut donc, dans un premier temps, tenter de concilier ces deux versions. Pour ce faire il faut tenter de dégager des textes le sens qui est commun aux deux versions et vérifier si celui-ci semble conciliable avec l'objet et l'économie générale du Code. (Le texte de loi visé dans cette affaire était le Code canadien du travail).

Il est essentiel de respecter le sens ordinaire et grammatical d'un terme. Dans Le Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse [7] , le terme «boisson» est défini dans son sens principal, comme suit :

1. Tout liquide que l'on boit pour se désaltérer ou se rafraîchir : boisson glacée. Boisson gazeuse, alcoolisée.

La même définition énumère les différentes «boissons» qui existent, y compris toute une gamme d'eaux naturelles, artificielles et gazéifiées. La définition de «boisson» contenue dans Le Grand Robert de la langue française [8] abonde dans le même sens, c'est-à-dire :

1. Liquide propre à être bu ou destiné à être bu... Principales boissons naturelles Þ Eau (eau naturelle, gazeuse, minérale), lait.

Il semble donc évident que le terme «boisson» tel qu'employé dans la version française est un générique comprenant les eaux gazéifiées comme l'eau Perrier. Il convient de signaler que ce terme est utilisé au début de l'article 1 de la partie V de l'annexe III de la Loi pour décrire l'exemption générale prévue : «1. Aliments et boissons destinés à la consommation humaine». Le terme «boisson» est employé comme équivalent du terme anglais «drink». Il est également utilisé aux alinéas 1a) à d) comme équivalent du terme anglais «beverage». Si on examine le terme «beverage» utilisé dans la version anglaise de l'alinéa 1c), on remarque que les différents dictionnaires anglais donnent des définitions contradictoires :

beverage 1: liquid for drinking, esp: such liquid other than water (as tea, milk, fruit juice, beer) usu. prepared (as by flavoring, heating, admixing) before being consumed [9]

boisson 1 : liquide destiné à être bu, spécialement : liquide autre que l'eau (tel thé, lait, jus de fruit, bière) habituellement préparé (en aromatisant, en chauffant, en mélangeant) avant d'être consommé (traduction)

beverage : any drink, usually other than water. [10]

boisson : tout liquide, habituellement autre que l'eau. (traduction)

beverage 1. Drink, liquor for drinking; esp. a liquor which constitutes a common article of consumption [11]

boisson : liqueur à boire; spécialement une liqueur qui constitue un produit commun de consommation. (traduction)

beverage : 1. Drink; that which is drunk; especially, a pleasant or refreshing drink or a habitual one [12]

boisson : 1. liquide; qui est bu; spécialement un liquide plaisant et rafraîchissant ou habituel. (traduction)

Comme on peut le constater d'après ces définitions et d'après les nombreuses définitions fournies comme éléments de preuve, la définition du terme «beverage» n'est pas uniforme. Certaines définitions excluent expressément l'«eau», alors que d'autres indiquent que le terme «beverage» comprend généralement les «boissons autres que l'eau». Certains dictionnaires ajoutent qu'il s'agit d'un liquide préparé en vue de la consommation, alors que d'autres définissent ce terme comme une «boisson» ou comme «un liquide propre à être bu».

D'après le Tribunal, bien que les nombreux dictionnaires anglais consultés ne soient pas unanimes, ils donnent l'impression que l'eau n'est généralement pas considérée comme une boisson. Le terme français «boisson» n'établit pas une telle distinction. Par conséquent, le Tribunal doit concilier le sens général du terme français «boisson» et le sens restreint du terme anglais «beverage».

Tel qu'indiqué par l'appelante, pour déterminer le sens du terme «boisson», il faut tenir compte du contexte de la loi. L'alinéa 1c) de la partie V exclut, aux fins de l'exemption générale, les boissons destinées à la consommation humaine, c'est-à-dire non seulement les «boissons gazeuses», mais également les «marchandises devant servir à leur préparation». Par ailleurs, l'alinéa 1d) de la partie V se rapporte aux «... marchandises qui, lorsqu'elles sont ajoutées à de l'eau, produisent une boisson visée dans le présent alinéa».

En examinant l'article 1 de la partie V de l'annexe III, le Tribunal en arrive à la conclusion que les boissons énumérées aux alinéas 1a), b) et d) sont toutes des boissons nécessitant un certain niveau de préparation et que, par conséquent, le contexte de la Loi indique que les boissons énumérées à l'alinéa 1c) sont également des boissons préparées. Cette conclusion est renforcée par l'association du terme «boisson» au terme «gazeuse». Les termes contenus dans la Loi ne doivent pas être examinés séparément; en effet, leur signification est influencée par les autres termes auxquels ils sont associés. Le terme «gazeuse» sous-entend une action ou un processus au cours duquel du CO2 est ajouté. Le Tribunal estime que si l'eau est soumise à un processus permettant d'y ajouter du CO2, de façon à augmenter le volume de ce gaz dissous dans l'eau au-delà du niveau de concentration qu'on retrouve dans l'eau à la surface, l'eau devient une «boisson gazeuse» ou un «carbonated beverage».

Deuxièmement, les éléments de preuve ne permettent pas d'étayer l'allégation de l'appelante selon laquelle l'eau Perrier est un produit naturel non préparé. En fait, le produit fini, qu'on retrouve dans les bouteilles d'eau Perrier, est le résultat de l'extraction et du traitement distincts de CO2, qui est par la suite combiné avec l'eau de source non filtrée, au cours de la mise en bouteilles.

Comme l'a expliqué M. Finlayson, l'eau Perrier ne peut pas être embouteillée directement à partir de la source, parce que le niveau de dioxyde de carbone n'est pas assez élevé au moment où l'eau atteint la surface. La pratique actuelle consiste à extraire l'eau et le gaz séparément, puis à combiner les deux, sous pression, une fois que le gaz a été filtré. Il a été démontré que la pression en vertu de laquelle 3,5 volumes de gaz sont combinés à 1 volume d'eau reproduit les conditions dans la nappe phréatique à environ 40 m de profondeur, à l'état naturel. Cependant, dans l'état actuel de la source, étant donné que le CO2 est extrait avant d'atteindre l'eau, et étant donné le taux d'extraction de l'eau, cet état sursaturé n'existe plus. Par conséquent, le processus d'embouteillage recrée plus exactement le niveau de saturation de CO2 qui aurait existé à l'état naturel. Il est intéressant de noter que le volume de CO2 contenu dans l'eau Perrier correspond à peu près au volume de gaz qu'on retrouve dans certaines «boissons gazeuses» examinées en preuve, comme le Coca-Cola et le soda au gingembre.

En bref, les éléments de preuve ont démontré que le volume de dioxyde de carbone contenu dans les bouteilles d'eau Perrier est plus élevé qu'il n'aurait jamais été à la surface de la source dans des conditions naturelles. Ce volume plus élevé est atteint en combinant du CO2 sous pression avec de l'eau de source, et le produit fini ne ressemble pas du tout à l'eau de source naturelle. Il semble donc au Tribunal que l'eau Perrier entre précisément dans la catégorie de «boissons gazeuses» que la modification législative de 1985 visait, à savoir les liquides destinés à être bus qui sont assujettis à une action ou un processus au cours duquel une quantité donnée de dioxyde de carbone a été ajoutée. D'après le Tribunal, la quantité de dioxyde de carbone ajoutée à l'eau constitue l'élément qui distingue les boissons gazeuses mentionnées à l'alinéa 1c) de l'eau du robinet ou de l'eau de source embouteillée qui renferme un niveau naturel de dioxyde de carbone.

L'appelante a demandé au Tribunal d'établir une distinction entre les boissons gazeuses naturelles et artificielles, s'il en arrive à la conclusion que l'eau Perrier est une boisson. Le Tribunal estime que le terme «gazeuse» utilisé dans le contexte de la Loi est un participe,

c'est-à-dire «un adjectif qualifiant un nom». La signification que le Tribunal a choisi de donner au terme est donc que le CO2 est ajouté à l'eau dans le cadre d'un processus intentionnel. On ne peut pas nier le fait que certaines eaux de source et certaines eaux du robinet renferment des taux minimes de CO2, mais il serait absurde de décrire ces eaux comme des boissons gazeuses. Ainsi, on peut retrouver des traces de «fluor» dans certaines eaux à l'état naturel, mais l'eau fluorée est de l'eau dans laquelle on a ajouté du fluor intentionnellement. Si on déclarait une eau «fluorée naturellement» cela signifierait que l'eau renferme du fluor à son état naturel. D'après les éléments de preuve fournis, l'eau Perrier est gazéifiée naturellement et délibérément, dans le cadre d'un processus mécanique. Le fait que le CO2 utilisé pour gazéifier l'eau soit naturel ou fabriqué importe peu. L'eau a été intentionnellement gazéifiée, et l'ajout intentionnel de CO2 fait du produit fini une boisson taxable.

Pour toutes ces raisons, le Tribunal conclut que l'eau Perrier est une boisson gazeuse au sens de l'alinéa 1c) de la partie V de l'annexe III de la Loi et que, par conséquent, elle est assujettie à la taxe de vente fédérale exigible en vertu de l'article 50 de la Loi.

LA CONCLUSION

L'appel devrait être rejeté.


[ Table des matières]

1. L.C. 1988, ch. 56.

2. L.R.C. (1985), ch. E-15, modifié par L.R.C. (1985), ch. 7 (2e suppl.), qui a reçu la sanction royale le 4 mars 1986. La modification est entrée en vigueur le 1er juillet 1985.

3. [1936] 4 D.L.R. 797 (Cour d'appel de l'Ontario).

4. [1985] 2 R.C.S. 46.

5. 53 N.R. 394, à la page 398.

6. [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1071.

7. Librairie Larousse, Paris.

8. 2e édition, Le Robert, Paris, 1989.

9. Webster's Third New International Dictionary, Merriam-Webster Inc., Springfield.

10. Collins Dictionary of the English Language, Collins, London & Glasgow.

11. The Oxford English Dictionary, 2e édition, Clarendon Press, Oxford, 1989.

12. Funk and Wagnalls New Standard Dictionary of the English Language, New York, 1963.


Publication initiale : le 15 août 1997