GRODAN INC.


GRODAN INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2011-031

Décision et motifs rendus
le vendredi 1er juin 2012


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À un appel entendu le 21 février 2012, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 6 juin 2011 concernant une demande de réexamens aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

GRODAN INC. Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Jason W. Downey
Jason W. Downey
Membre présidant

Gillian Burnett
Gillian Burnett
Secrétaire intérimaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)

Date de l’audience : Le 21 février 2012

Membre du Tribunal : Jason W. Downey, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Georges Bujold
Nick Covelli

Gestionnaire, Programmes et services du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Haley Raynor

PARTICIPANTS :

Appelante Conseiller/représentant
Grodan Inc. Martha Kirby
Intimé Conseiller/représentant
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Abigail Martinez

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté par Grodan Inc. (Grodan) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes1 à l’égard d’une décision rendue le 6 juin 2011 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4) concernant le classement tarifaire d’attaches et d’anneaux en plastique conçus pour soutenir les tiges des plantes (les marchandises en cause) importés par Grodan.

2. Grodan conteste la décision de l’ASFC au motif que celle-ci n’avait pas la compétence de réexaminer le classement tarifaire des marchandises en cause. Grodan demande au Tribunal d’accueillir l’appel, ce qui donnerait droit à Grodan de recevoir des remboursements accordés antérieurement aux termes de l’article 74 de la Loi.

3. Une question préliminaire de compétence soulevée dans le cadre du présent appel est celle de savoir si le Tribunal a le pouvoir d’examiner la question soulevée par Grodan.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

4. Entre le 16 novembre 2004 et le 8 décembre 2004, Grodan a importé les marchandises en cause et payé des droits à l’égard de celles-ci, conformément au classement tarifaire déclaré par Grodan au moment de l’importation. Cette déclaration constitue une détermination présumée de classement tarifaire aux termes du paragraphe 58(2) de la Loi.

5. En 2008, Grodan a demandé des remboursements de droits payés au motif que les marchandises en cause étaient admissibles au traitement en franchise de droits prévu au numéro tarifaire 9903.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes2.

6. Entre le 10 décembre 2008 et le 14 janvier 2009, l’ASFC a rendu plusieurs décisions aux termes de l’alinéa 74(1)e) de la Loi, entraînant des remboursements de droits. Aux termes du paragraphe 74(1.1), ces remboursements accordés sont assimilés à la révision prévue à l’alinéa 59(1)a).

7. Toutefois, le 29 octobre 2009, l’ASFC a procédé à des révisions aux termes de l’alinéa 59(1)b) de la Loi. Les relevés détaillés de rajustement (RDR) par lesquels ces décisions ont été communiquées à Grodan indiquaient que l’ASFC avait déterminé que les marchandises en cause, tout bien considéré, ne pouvaient être classées dans le numéro tarifaire 9903.00.00. Par conséquent, les remboursements ont été annulés et Grodan était de nouveau assujettie au paiement des droits.

8. Le Tribunal remarque que ces RDR ont été émis plus de 48 mois après la date à laquelle la détermination est réputée avoir été faite, aux termes du paragraphe 58(2) de la Loi.

9. Le 26 novembre 20093, Grodan déposait à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire des décisions rendues aux termes de l’alinéa 59(1)b) de la Loi, au motif que ces décisions étaient prescrites4. Le 21 janvier 2010, Grodan demandait également à l’ASFC un réexamen aux termes du paragraphe 60(4). Initialement, Grodan soutenait que les décisions rendues aux termes du paragraphe 59(1) étaient prescrites et que des droits ne pouvaient ainsi être imposés5. Grodan a également demandé à l’ASFC de suspendre sa procédure dans l’attente du contrôle judiciaire.

10. En janvier 2011, Grodan retirait sa demande auprès de la Cour fédérale6.

11. Le 6 juin 2011, l’ASFC rendait quatre décisions à la suite de réexamens conformément au paragraphe 60(4) de la Loi, soutenant que les marchandises en cause n’étaient pas admissibles au traitement en franchise de droits prévu au numéro tarifaire 9903.00.00. Ces décisions ne faisaient aucune mention de la validité des décisions sous-jacentes rendues aux termes de l’alinéa 59(1)b).

12. Le 4 septembre 2011, Grodan interjetait le présent appel.

13. À la suite d’une demande de Grodan, le Tribunal a décidé de réunir le présent appel à un autre appel interjeté par Grodan au début du mois de septembre 2011, à l’égard de décisions contemporaines rendues par l’ASFC les 3 et 7 juin 2011, relativement au classement tarifaire d’autres produits de serre (appel no AP-2011-030)7.

14. Le 21 février 2012, le Tribunal tenait une audience publique à Ottawa (Ontario) pour les deux appels.

15. Grodan n’a fait entendre aucun témoin. L’ASFC a pour sa part fait entendre un témoin, mais celui-ci n’a rien déclaré à l’égard des questions à l’étude.

Cadre législatif

16. Le paragraphe 58(2) de la Loi prévoit que, si le classement tarifaire n’est pas déterminé par l’ASFC conformément au paragraphe 58(1) (par l’agent chargé par l’ASFC, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents — ce qui n’était pas le cas en l’espèce), il est considéré comme ayant été déterminé selon les énonciations portées par l’auteur de la déclaration en détail (ce qui est le cas en l’espèce).

17. Nonobstant la question de savoir s’il y a eu une détermination faite par un agent chargé par l’ASFC, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie d’agents, ou une détermination réputée avoir été faite par l’auteur de la déclaration en détail, comme cela est le cas en l’espèce, le paragraphe 58(3) de la Loi, qui est une clause privative prévue par la Loi, prévoit qu’une détermination faite en vertu de l’article 58 n’est susceptible de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues aux articles 59 à 61.

18. Toutefois, l’alinéa 74(1)e) de la Loi prévoit le remboursement de droits lorsque les marchandises ont fait l’objet d’un paiement de droits excédentaire ou erroné résultant d’une erreur de détermination, en application du paragraphe 58(2), de leur classement tarifaire et qu’elles n’ont pas fait l’objet de la décision prévue à l’un ou l’autre des articles 59 à 61.

19. Comme il a été mentionné ci-dessus, le remboursement accordé aux termes du paragraphe 74(1)e) de la Loi est, conformément au paragraphe 74(1.1), assimilé à la révision prévue à l’alinéa 59(1)a). Cet alinéa prévoit que l’ASFC peut réviser le classement tarifaire dans les quatre années suivant la date de la détermination faite conformément à l’article 58.

20. L’alinéa 59(1)b) de la Loi prévoit que l’ASFC peut réexaminer le classement tarifaire dans les quatre années suivant la date de détermination faite conformément à l’article 58, d’après les résultats d’une vérification ou d’un examen effectué à la suite d’un remboursement accordé en application de l’alinéa 74(1)e) qui est assimilé, conformément au paragraphe 74(1.1), à une révision au titre de l’alinéa 59(1)a).

21. De plus, l’alinéa 59(1)b) de la Loi prévoit qu’un agent chargé par l’ASFC peut réexaminer l’origine, le classement tarifaire ou la valeur en douane dans les quatre années suivant la date de la détermination faite conformément à l’article 58 ou, si le ministre l’estime indiqué, dans le délai réglementaire.

22. De l’avis du Tribunal, l’alinéa 59(1)b) de la Loi doit être interprété conjointement avec l’article 2 du Règlement sur la détermination, la révision et le réexamen de l’origine, du classement tarifaire et de la valeur en douane8, qui dicte que, dans le cas où le remboursement accordé s’effectue entre le premier jour du 37e mois et le dernier jour du 48e mois après la date de la détermination effectuée en vertu de l’article 58 de la Loi, l’ASFC peut effectuer le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane au titre de l’alinéa 59(1)b) dans une période de cinq ans suivant la date de la détermination effectuée en vertu de l’article 58.

23. Comme mentionné ci-dessus, le paragraphe 59(6) de la Loi prévoit que les décisions rendues en vertu de l’article 59 « [...] ne sont susceptibles de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 59(1) ou aux articles 60 ou 61 ».

24. Une décision rendue aux termes de l’alinéa 59(1)a) ou 59(1)b) de la Loi peut être réexaminée par l’ASFC conformément aux articles 60 ou 61.

25. Le paragraphe 67(1) de la Loi prévoit que toute personne qui s’estime lésée par une décision rendue conformément aux articles 60 ou 61 peut en interjeter appel devant le Tribunal, et le paragraphe 67(3) prévoit que le Tribunal peut « [...] statuer sur l’appel [...] selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration [...] ».

26. Enfin, conformément au paragraphe 68(1) de la Loi, les décisions du Tribunal rendues aux termes de l’article 67 sont susceptibles de recours devant la Cour d’appel fédérale sur tout point de droit.

Question préliminaire — Compétence

27. Grodan soutient que le Tribunal a compétence pour examiner la question qu’elle soulève dans le cadre du présent appel et pour accorder le redressement demandé aux termes de l’article 67 de la Loi, au motif que la décision rendue en vertu de l’article 60, qui fait l’objet de l’appel, est invalide, car les décisions sous-jacentes rendues en vertu de l’article 59 sont invalides (c.-à-d. parce que les décisions rendues par l’ASFC étaient prescrites)9.

28. L’ASFC prétend que, bien que le Tribunal puisse avoir compétence pour examiner la question du classement tarifaire, il n’a pas compétence pour trancher la question du délai dans lequel des décisions sont rendues aux termes de l’alinéa 59(1)b) de la Loi car, en vertu de l’article 67, il n’aurait compétence qu’à l’égard d’appels de décisions rendues aux termes de l’article 60.

29. La compétence du Tribunal est limitée, explicitement ou implicitement, par la loi10. Comme le Tribunal l’a déjà statué, il appert clairement que le législateur visait à accorder au Tribunal de larges pouvoirs en matière d’appel11. De l’avis du Tribunal, sa compétence en vertu de la Loi ne se limite pas simplement aux étroites questions de fond du classement tarifaire, de l’origine ou de la valeur en douane des marchandises importées.

30. Le paragraphe 67(3) de la Loi prévoit que, dans le cas d’appels aux termes du paragraphe 67(1), le Tribunal « [...] peut statuer sur l’appel [...] selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration [...] »12. Ce libellé est à l’opposé du paragraphe 60(4), qui n’accorde à l’ASFC que le pouvoir de « [...] révision ou [de] réexamen [...] » ou, dans le cas d’une décision anticipée, de « [...] confirmation, [de] modification ou [d’]annulation [...] ». Ce contraste implique que le pouvoir du Tribunal est plus large que la simple détermination du classement tarifaire, de l’origine ou de la valeur en douane au sens strict.

31. Cette opinion est appuyée par l’article 16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur13, qui prévoit que la mission du Tribunal est, notamment, « [...] de connaître de tout appel pouvant y être interjeté en vertu de toute autre loi fédérale [p. ex. la Loi sur les douanes] ou de ses règlements et des questions connexes [...] » [nos italiques].

32. Cela ne signifie pas que la compétence du Tribunal lui permet de statuer sur toutes les questions de droit soulevées dans le cadre de tout appel dont il est saisi. Le Tribunal a déjà conclu antérieurement que sa compétence ne s’étend pas, par exemple, au caractère équitable de l’application avec effet rétroactif de modifications14, qui relève du législateur lui-même, au calcul approprié des intérêts sur des droits impayés15 ni au caractère adéquat d’une garantie donnée au ministre du Revenu national comme condition préalable à une révision aux termes de l’article 60 de la Loi16, qui sont clairement des questions d’administration et d’application de la loi.

33. Toutefois, le Tribunal a le pouvoir, en vertu de l’article 67 de la Loi, de statuer non seulement sur le bien-fondé d’une décision rendue aux termes de l’article 60, mais également sur la validité de celle-ci. De l’avis du Tribunal, le bien-fondé et la validité vont de pair.

34. Si une décision de classement tarifaire rendue aux termes de l’article 60 de la Loi est mal fondée sur le fond, elle ne peut être maintenue. De la même manière, si elle est invalide pour des motifs de compétence, elle ne doit pas être maintenue. Par conséquent, le Tribunal est d’avis que la validité d’une décision rendue aux termes de l’article 60 est une question « connexe » au bien-fondé d’une telle décision et que, par conséquent, le Tribunal peut « trancher » la question « [...] selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration [...] ».

35. En effet, dans Fritz Marketing Inc. c. Canada17, la Cour d’appel fédérale a expressément conclu que le Tribunal, et non la Cour fédérale, avait compétence aux termes de l’article 67 de la Loi pour déterminer la validité d’un RDR émis sur le fondement d’une décision invalide rendue aux termes du paragraphe 59(1) et pour l’annuler18. Selon le juge Sharlow, seul le Tribunal peut déterminer « [...] la validité et le bien-fondé [...] » d’un RDR et statuer sur la question de savoir si un RDR doit être annulé au motif que l’ASFC ne peut le fonder que sur des éléments de preuve obtenus illégalement19.

36. Le Tribunal est d’avis que Fritz Marketing étaye la position selon laquelle la compétence du Tribunal en vertu de l’article 67 de la Loi a pour effet de lui donner le pouvoir d’examiner et, si nécessaire, de réétudier la validité de décisions rendues aux termes de l’article 59, qui sous-tendent toute décision rendue aux termes de l’article 60 à l’égard de laquelle un appel est directement interjeté devant le Tribunal. Ainsi, le paragraphe 59(6) a pour effet que l’appelant doit d’abord demander à l’ASFC, aux termes de l’article 60, de reconsidérer la question, et l’article 67 a pour effet de permettre que la question soit étudiée à un échelon supérieur, soit le Tribunal.

37. Le Tribunal tient également compte de la déclaration du juge Stratas dans C.B. Powell I, décision de la Cour d’appel fédérale, selon laquelle la compétence du Tribunal en vertu de l’article 67 de la Loi n’est pas limitée aux décisions sur le fond, mais s’étend également aux décisions sur la compétence20.

38. Dans cette affaire, l’ASFC avait conclu qu’elle n’avait pas compétence pour rendre une décision aux termes de l’article 60 de la Loi. L’importateur avait demandé un contrôle judiciaire à la Cour fédérale, qui avait accueilli la demande. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a conclu que les parties doivent épuiser les droits et les recours en interjetant appel auprès du Tribunal en vertu du paragraphe 67(1) avant de pouvoir exercer quelque recours que ce soit devant les tribunaux judiciaires (et particulièrement devant la Cour d’appel fédérale en appel d’une décision du Tribunal aux termes du paragraphe 67[1]), même en ce qui concerne ce qu’il est convenu d’appeler des questions de « compétence »21.

39. Le juge Stratas a précisé qu’il est possible d’avoir recours aux tribunaux judiciaires dans des circonstances exceptionnelles, mais a expressément déclaré que « [...] l’existence de ce qu’il est convenu d’appeler des questions de compétence ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant un recours anticipé aux tribunaux »22. Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a conclu que, si l’importateur souhaitait contester la décision en matière de compétence rendue par l’ASFC, il aurait dû interjeter appel devant le Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi, plutôt que de présenter une demande à la Cour fédérale.

40. Dans la présente affaire, l’ASFC n’a pas conclu qu’elle n’avait pas compétence pour rendre une décision aux termes de l’article 60 de la Loi. Elle a plutôt rendu une décision implicite d’absence de compétence face à l’opposition formulée par Grodan à l’égard de la validité de la décision rendue par l’agent désigné aux termes du paragraphe 59(1).

41. Cela découle de la décision rendue par l’ASFC, aux termes de l’article 60 de la Loi, selon laquelle les marchandises en cause ne sont pas admissibles au classement dans le numéro tarifaire 9903.00.00. Il est possible que l’ASFC ait été d’avis qu’elle n’avait pas le pouvoir d’annuler une détermination faite aux termes du paragraphe 59(1), jugeant alors que sa compétence, aux termes du paragraphe 60(4), est de réviser ou de réexaminer un classement tarifaire. Toutefois, la question de savoir si l’ASFC disposait de cette compétence est sans conséquence aux fins du présent appel, car la compétence du Tribunal n’est pas soumise à de telles limitations. Autrement dit, l’ASFC a rendu une décision implicite en matière de compétence, décision à l’égard de laquelle Grodan interjette appel aux termes du paragraphe 67(1) et, à la lumière de la décision de la Cour d’appel fédérale dans C.B. Powell I, cela signifie que le Tribunal est légalement saisi de l’appel et doit statuer sur celui-ci de la manière prescrite au paragraphe 67(3).

42. De l’avis du Tribunal, sa compétence pour statuer sur des appels de décisions implicites est maintenant bien reconnue.

43. Dans C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers)23, décision connexe subséquente de la Cour d’appel fédérale, le juge Stratas a reconnu que le fait qu’un importateur puisse soutenir qu’une « décision implicite » a été rendue par l’ASFC réduit considérablement l’injustice potentielle qui découlerait de l’obligation de surpayer des droits, et qu’une interprétation du paragraphe 67(1) de la Loi qui englobe la possibilité pour le Tribunal de réviser des « décisions implicites » est « [...] raisonnablement justifiée étant donné le cadre législatif adopté par le Parlement pour l’établissement de ce régime administratif »24.

44. En l’espèce, Grodan a abandonné sa demande de contrôle judiciaire de la validité des RDR après que la Cour d’appel fédérale eut conclu, dans C.B. Powell I, que les importateurs devaient plutôt entreprendre leur recours devant le Tribunal25.

45. Si le Tribunal refusait d’exercer sa compétence dans une cause comme celle-ci, où l’ASFC refuse ou est incapable d’annuler, aux termes de l’article 60 de la Loi, des décisions rendues par un agent désigné, qui de toute façon n’avait pas le pouvoir de les rendre en vertu du paragraphe 59(1), Grodan et les importateurs comme elle n’auraient aucun recours. Le Tribunal ne peut accepter l’injustice d’un tel résultat.

46. Le Tribunal reconnaît que, dans Richards Packaging Inc. c. Sous-M.R.N. c. Eastman Chemical Canada Inc.26 et dans Convoy Supply Ltd. c. Sous-M.R.N.27, confronté à l’argument selon lequel des révisions réalisées aux termes de l’actuel article 59 étaient invalides, il a refusé de les annuler. À cette époque, l’hypothèse sous-jacente sur laquelle s’appuyait le Tribunal était que ces questions de compétence relevaient de la Cour fédérale. Cette hypothèse a depuis été rejetée par le Cour d’appel fédérale dans Fritz Marketing, C.B. Powell I et C.B. Powell II. Par conséquent, ces décisions antérieures du Tribunal ne reflètent plus l’état actuel du droit28.

47. Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que Grodan est lésée par une décision de l’ASFC rendue aux termes de l’article 60 de la Loi et que, par conséquent, le Tribunal a le pouvoir de statuer sur l’appel selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration.

Analyse

48. Grodan soutient que, puisque les remboursements ont été accordés plus de 48 mois après la date à laquelle la détermination est réputée avoir été faite, aux termes de l’article 58 de la Loi, l’ASFC n’avait pas le pouvoir d’annuler les remboursements29.

49. L’ASFC reconnaît qu’un réexamen aux termes du paragraphe 59(1) de la Loi doit généralement être fait dans les quatre années suivant la date de la détermination faite conformément à l’article 58 et que l’article 2 du Règlement prolonge ce délai à cinq ans lorsque le remboursement accordé aux termes de l’article 74 de la Loi a eu lieu au cours de la période de 37 à 48 mois après la date de la détermination faite conformément à l’article 5830. L’ASFC reconnaît également que les remboursements en cause ont été accordés plus de 48 mois après la date de détermination faite aux termes de l’article 5831. L’ASFC soutient néanmoins qu’elle avait le pouvoir d’annuler les remboursements et d’émettre les RDR.

50. L’argument de l’ASFC est « alambiqué »32 [traduction], pour reprendre sa propre expression. En fait, selon ce que comprend le Tribunal, il s’agit d’un argument double.

51. Premièrement, puisque le paragraphe 74(1.1) de la Loi prévoit qu’un remboursement est assimilé à la révision prévue à l’alinéa 59(1)a) et qu’une telle révision doit être faite dans un délai de quatre ans, le Tribunal doit présumer que la révision aux termes du paragraphe 59(1) a été faite dans un délai de quatre ans, que cela soit vrai ou non33.

52. Deuxièmement, l’article 2 du Règlement doit être interprété, pour des raisons de principe, comme prolongeant le délai à cinq ans, car dans le cas contraire l’ASFC n’aurait pas la faculté de réviser les remboursements qu’elle a accordés dans les cas où l’importateur aurait demandé un remboursement immédiatement avant la fin du 48e mois34.

53. Le Tribunal n’accepte pas les arguments de l’ASFC.

54. Le paragraphe 74(1.1) de la Loi prévoit simplement que le remboursement accordé est assimilé à la révision prévue à l’alinéa 59(1)a). Aucun délai n’y est prévu. L’alinéa 74(3)b) prévoit plutôt qu’un remboursement aux termes de l’alinéa 74(1)e) doit être demandé dans les quatre années suivant la déclaration en détail des marchandises. Il y a un délai pour demander un remboursement, mais aucun pour l’accorder.

55. L’article 2 du Règlement prévoit, de manière non équivoque, la situation précise où l’ASFC accorde un remboursement entre le 37e et le 48e mois suivant la déclaration en détail des marchandises. Dans un tel cas, l’ASFC dispose d’un délai supplémentaire d’un an pour procéder à un réexamen aux termes de l’alinéa 59(1)b) de la Loi.

56. Dans la présente affaire, les remboursements ont été accordés après le 48e mois. Par conséquent, l’ASFC n’avait pas le pouvoir de procéder à un réexamen aux termes de l’alinéa 59(1)b) de la Loi. Autrement dit, l’ASFC n’avait pas le pouvoir d’annuler les remboursements.

57. Ce résultat est peut-être indicatif d’une lacune involontaire du mécanisme législatif, qui pourrait obliger l’ASFC à être plus vigilante lorsqu’elle accorde des remboursements aux termes de l’article 74 de la Loi. Toutefois, la responsabilité du Tribunal est d’interpréter la loi telle qu’elle est rédigée.

DÉCISION

58. L’appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . Le 21 mai 2009, dans C.B. Powell Ltd. c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CF 528 (CanLII), la Cour fédérale a conclu qu’elle avait le pouvoir de trancher les questions de compétence découlant des dispositions législatives en cause dans le présent appel. Dans cette affaire, la requérante avait contourné l’appel au Tribunal. C’est dans ce contexte que Grodan a demandé à la Cour fédérale de trancher la question de savoir si les révisions de l’ASFC, aux termes de l’alinéa 59(1)b) de la Loi, étaient prescrites. Par la suite, toutefois, le 23 février 2010, dans Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 (CanLII) [C.B. Powell I], la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision de la Cour fédérale, indiquant que le Tribunal avait compétence exclusive pour trancher des questions de compétence avant que les parties ne puissent entreprendre d’autres recours devant les tribunaux judiciaires.

4 . Grodan Inc. v. The President of Canada Border Services Agency, dossier no T-1976-09.

5 . Pièce du Tribunal AP-2011-031-12, annexe à la p. 23.

6 . Les inscriptions enregistrées pour le dossier no T-1976-09 se trouvent sur le site www.caf-fca.gc.ca.

7 . L’article 6.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, D.O.R.S./91-499, autorise le Tribunal de joindre des procédures si, en vue du règlement plus expéditif ou moins formel d’une question, les circonstances et l’équité le permettent.

8 . D.O.R.S./98-44 [Règlement].

9 . Pièce du Tribunal AP-2011-031-12 aux pp. 1, 4.

10 . Sous-M.R.N.D.A. c. Unicare Medical Products Inc. (30 avril 1990), 2437, 2438, 2485, 2591 et 2592 (TCCE).

11 . Walker Exhausts Division of Tenneco Canada Inc. c. Sous-M.R.N.D.A. (6 juillet 1994), AP-93-063 (TCCE).

12 . Ce libellé a un sens clairement plus large que le libellé du paragraphe 60(4), qui prévoit que, lorsque l’ASFC reçoit une demande de révision ou de réexamen aux termes du paragraphe 60(1), elle « [...] procède [...] à [...] a) la révision ou le réexamen de l’origine, du classement tarifaire ou de la valeur en douane [...] ».

13 . L.R.C. 1985 (4e supp.), c. 47.

14 . Voir l’ordonnance de procédure dans Gammon Trading Co. Ltd. c. Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (21 avril 2004), AP-2003-012 (TCCE).

15 . Ibid.

16 . Volpak Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (8 novembre 2010), AP-2010-031 (TCCE).

17 . 2009 CAF 62 (CanLII) [Fritz Marketing].

18 . Dans cette affaire, l’ASFC s’était fondée sur des éléments de preuve obtenus en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Fritz Marketing Inc. avait présenté une demande de réexamen à l’ASFC, aux termes de l’article 60, qui a été rejetée. Fritz Marketing Inc. a ensuite interjeté appel devant le Tribunal aux termes de l’article 67. Le Tribunal a suspendu l’appel en attendant l’issue des procédures judiciaires connexes. La Cour fédérale a ordonné l’annulation des RDR. En appel, toutefois, la Cour d’appel fédérale a conclu, au para. 33, que le paragraphe 59(6) prive la Cour fédérale de la compétence d’annuler un RDR « [...] pour quelque motif que ce soit ».

19 . Fritz Marketing aux para. 36, 38.

20 . C.B. Powell I aux para. 33, 48-49.

21 . Ibid. aux para. 4-5.

22 . Ibid. au para. 33.

23 . 2011 CAF 137 (CanLII) [C.B. Powell II].

24 . C.B. Powell II au para. 34.

25 . Transcription de l’audience publique, 21 février 2012, à la p. 34.

26 . (10 février 1999), AP-98-007 et AP-98-010 (TCCE).

27 . (28 février 2000), AP-99-015 à AP-99-025 (TCCE).

28 . Dans d’autres causes, notamment dans Vilico Optical Inc. c. Sous-M.R.N. (7 mai 1996), AP-94-365 (TCCE), le Tribunal a conclu que le refus par l’ASFC (ou ses prédécesseurs) de faire droit à une demande de révision est susceptible de révision par la Cour fédérale, mais non par le Tribunal. Toutefois, dans C.B. Powell I, aux para. 38 à 46, la Cour d’appel fédérale a expressément rejeté cette approche.

29 . Transcription de l’audience publique, 21 février 2012, à la p. 27.

30 . Ibid. aux pp. 38-39.

31 . Ibid. aux pp. 7, 40.

32 . Ibid. à la p. 36.

33 . Ibid. aux pp. 41-45.

34 . Ibid. aux pp. 40-41.