LA SAGESSE DE L'EAU


LA SAGESSE DE L’EAU
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appels nos AP-2011-040 et AP-2011-041

Décision et motifs rendus
le mardi 13 novembre 2012


TABLE DES MATIÈRES


EU ÉGARD À des appels entendus le 17 juillet 2012 en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À deux décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, le 28 octobre 2011, concernant des demandes de révision de décisions anticipées en matière de classement tarifaire, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

LA SAGESSE DE L’EAU Appelante

ET

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA Intimé

DÉCISION

Les appels sont rejetés.

Diane Vincent
Diane Vincent
Membre présidant

Dominique Laporte
Dominique Laporte
Secrétaire

Lieu de l’audience : Ottawa (Ontario)

Date de l’audience : le 17 juillet 2012

Membre du Tribunal : Diane Vincent, membre présidant

Conseillers juridiques pour le Tribunal : Alain Xatruch
Anja Grabundzija

Gestionnaire, Programmes et services du greffe : Michel Parent

Agent du greffe : Rosemary Hong

PARTICIPANTS :

Appelante Conseiller/représentant
La Sagesse de l’Eau Wendy J. Wagner
Intimé Conseiller/représentant
Président de l’Agence des services frontaliers du Canada Lune Arpin

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Les présents appels sont interjetés par La Sagesse de l’Eau (SDL) auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes1 à l’égard de deux décisions rendues le 28 octobre 2011 par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux termes du paragraphe 60(4).

2. La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si l’ASFC a correctement classé deux couteaux Smith & Wesson (les couteaux en cause) à titre d’armes prohibées dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes2 et, par conséquent, à titre de marchandises dont l’importation est interdite au Canada en vertu du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

3. Le couteau en cause dans l’appel no AP-2011-040 est le couteau Smith & Wesson Military & Police – un couteau pliant à ouverture latérale (le couteau à ouverture latérale). Le couteau en cause dans l’appel no AP-2011-041 est le couteau Smith & Wesson Out-the-Front, Drop Point, Hostage Rescue Team – un couteau à ouverture frontale (le couteau à ouverture frontale).

HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

4. Le 16 février 2011, SDL a déposé des demandes de décisions anticipées relativement au classement tarifaire des couteaux en cause. Le 4 octobre 2011, l’ASFC a rendu des décisions anticipées, aux termes de l’alinéa 43.1(1)c) de la Loi, dans lesquelles les couteaux étaient classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées.

5. Le 7 octobre 2011, SDL a fait des demandes de révision des décisions anticipées, aux termes du paragraphe 60(2) de la Loi. Le 28 octobre 2011, l’ASFC a rendu des décisions aux termes du paragraphe 60(4) dans lesquelles elle confirmait ses décisions anticipées.

6. Le 18 novembre 2011, SDL a déposé les présents appels auprès du Tribunal aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi. Le 7 décembre 2011, à la demande de SDL, les deux procédures d’appel ont été jointes.

7. Le 17 janvier 2012, SDL a déposé son mémoire. Le 10 avril 2012, l’ASFC a déposé son mémoire et le rapport d’expert de l’agent de police Rick McIntosh du Service de police d’Ottawa. Le rapport d’expert décrit l’historique, la conception et le fonctionnement d’un des couteaux en cause.

8. Le 18 avril 2012, SDL a demandé au Tribunal la permission de soumettre l’expert à un interrogatoire écrit quant à l’autre couteau en cause, ce à quoi l’ASFC s’est opposée le 23 avril 2012. Le 26 avril 2012, le Tribunal a demandé à l’ASFC de soumettre deux questions à l’expert relativement à l’autre couteau en cause.

9. Le 30 mai 2012, l’ASFC a déposé le rapport d’expert de l’agent de police McIntosh relativement à l’autre couteau ainsi qu’un mémoire en réponse. Le 12 juin 2012, SDL a déposé sa réponse au deuxième rapport d’expert dans laquelle elle demandait qu’une portion de ce rapport et la totalité du mémoire en réponse soient rayées du dossier. SDL demandait également au Tribunal d’ordonner la production du dossier de travail de l’expert en soutenant qu’il était nécessaire dans les circonstances d’évaluer la crédibilité, l’objectivité et l’indépendance de l’expert.

10. Le 14 juin 2012, en réponse aux demandes de SDL, l’ASFC a demandé la tenue d’une audience orale. Le 15 juin 2012, SDL a fait part de son opposition à la demande de l’ASFC.

11. Le 21 juin 2012, le Tribunal a informé les parties qu’il n’accéderait pas à la demande de SDL de rayer une portion du deuxième rapport d’expert et la totalité du mémoire en réponse de l’ASFC ou d’ordonner la production du dossier de travail de l’expert. Le Tribunal a estimé que même si ces observations outrepassaient ses demandes, elles pouvaient être utiles pour résoudre les appels. En outre, le Tribunal était d’avis que les circonstances relatives à la présentation du témoignage d’expert dans le cadre des présents appels ne mettaient pas en doute la crédibilité et l’objectivité du témoin expert de l’ASFC et que ce témoignage se verrait donner, quoi qu’il en soit, le poids qu’il mérite compte tenu des circonstances. Le Tribunal a également rejeté la demande de l’ASFC de tenir une audience orale.

12. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces conformément aux règles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur3, selon la préférence de SDL. L’audience a eu lieu à Ottawa (Ontario) le 17 juillet 2012. Les couteaux en cause ont été mis à la disposition du Tribunal pour l’audience. Les parties ont aussi déposé, dans le cadre de leurs observations, quatre vidéos montrant le fonctionnement des couteaux4.

COUTEAUX EN CAUSE

13. Les couteaux en cause sont deux couteaux Smith & Wesson manufacturés aux États-Unis par Taylor Brands. Les couteaux en cause appartiennent à la catégorie des couteaux à ouverture assistée, comme ils sont habituellement désignés.

14. Un couteau à ouverture assistée dépend d’un mécanisme interne composé d’une barre de torsion, d’une tige élastique ou d’un ressort visant à « assister » l’ouverture de la lame. Pour ouvrir un couteau à ouverture assistée, l’utilisateur doit d’abord exercer une pression suffisante sur le couteau pour contrer sa tendance initiale à demeurer fermé. À ce point, le mécanisme interne prend le relais et éjecte la lame en position complètement ouverte5.

15. En l’espèce, les deux couteaux en cause peuvent être maniés d’une seule main.

Couteau à ouverture latérale

16. Le couteau à ouverture latérale est un couteau pliant pour lequel il y a deux façons d’appliquer la force initiale nécessaire pour contrer le fait que la lame tend à demeurer fermée.

17. Premièrement, l’utilisateur peut appuyer avec le pouce sur une protubérance ronde, un « ergot », fixée sur la lame. Deuxièmement, il peut appuyer sur un « actionneur digital », consistant en l’extrémité externe d’un mécanisme à levier incorporé dans le manche. Le levier pousse sur la lame. Dans les deux cas, la pression fait en sorte que la lame commence à sortir du manche. Lorsque la lame dépasse le point où elle tend à demeurer fermée, la barre de torsion à l’intérieur du couteau crée une force qui éjecte la lame en position complètement ouverte6.

Couteau à ouverture frontale

18. Le couteau à ouverture frontale est un couteau dont la lame s’ouvre vers l’avant. Le manche du couteau à ouverture frontale contient un dispositif d’extension composé d’un cadre de positionnement, d’un « poussoir » attaché à la lame et d’un ressort attaché au « poussoir » et au cadre de positionnement. Pour libérer la lame, l’utilisateur doit appuyer sur le « poussoir », puis, lorsque la lame a suffisamment avancé pour dépasser le point où elle tend à demeurer fermée, le ressort éjecte la lame en position complètement ouverte7.

CADRE LÉGISLATIF

19. Les extraits suivants sont les dispositions législatives et réglementaires pertinentes dans les présents appels.

20. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

[Nos italiques]

21. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit ce qui suit :

Firearms, prohibited weapons, restricted weapons, prohibited devices, prohibited ammunition and components or parts designed exclusively for use in the manufacture of or assembly into automatic firearms, in this tariff item referred to as prohibited goods . . . .

. . .

For the purposes of this tariff item:

. . .

(b) “automatic firearm”, “licence”, “prohibited ammunition”, “prohibited device”, “prohibited firearm”, prohibited weapon, restricted firearm and “restricted weapon” have the same meanings as in subsection 84(1) of the Criminal Code . . . .

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire [...].

[...]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...].

[Nos italiques]

22. À cet égard, la définition d’« arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel8 comprend ce qui suit :

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife . . . .

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche [...].

23. En résumé, afin de déterminer si les couteaux en cause sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées et, par conséquent, à titre de marchandises dont l’importation est interdite au Canada, le Tribunal doit déterminer s’ils sont visés par la définition d’« arme prohibée » en vertu du paragraphe 84(1) du Code criminel. Pour être considéré comme une arme prohibée, un couteau doit comporter une lame qui s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou un autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau.

POSITION DES PARTIES

SDL

24. SDL allègue que les couteaux en cause ne sont pas du genre qui « s’ouvre automatiquement ». Elle soutient qu’étant donné que les couteaux à ouverture assistée nécessitent que l’utilisateur applique une « pression manuelle ferme » [traduction] sur la lame pour dépasser le point où elle tend à demeurer fermée, les couteaux en cause fonctionnent d’une manière tout à fait contraire à celle des couteaux automatiques (comme les « couteaux à cran d’arrêt »)9 [traduction].

25. Premièrement, SDL soutient que les couteaux en cause ne peuvent être ouverts automatiquement « par gravité ou force centrifuge » (créée, par exemple, par un « mouvement du poignet » [traduction])10.

26. Deuxièmement, SDL soutient que les couteaux en cause ne sont pas des couteaux qui s’ouvrent automatiquement « par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche ».

27. En ce qui concerne le couteau à ouverture latérale, SDL affirme que l’« ergot » n’est pas « un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche », mais plutôt une protubérance sur la lame elle-même. Pour ce qui est de l’« actionneur digital », SDL soutient qu’il ne peut être comparé à un « ressort », à un « bouton » ou à un « autre dispositif », puisqu’il agit plutôt d’une manière identique à celle de l’ergot en fournissant une surface d’appui pour déplacer manuellement la lame de façon à dépasser le point où elle tend à demeurer fermée. SDL soutient donc que même si l’actionneur digital se trouve sur le manche du couteau, cela n’a pas pour effet de faire en sorte que la lame « s’ouvre automatiquement »11.

28. De même, eu égard au couteau à ouverture frontale, SDL allègue que le « poussoir » n’est pas « un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche », mais qu’il est plutôt attaché à la lame du couteau elle-même. SDL ajoute que l’ouverture de la lame n’est pas « automatique », puisqu’une pression manuelle doit être exercée sur la lame pour qu’elle dépasse le point où elle tend à demeurer fermée12.

29. SDL se fonde sur le Mémorandum D19-13-213 de l’ASFC pour proposer que les couteaux à ouverture assistée ne constituent pas des armes prohibées au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel, sauf s’ils peuvent être ouverts par gravité ou force centrifuge14.

30. Pour appuyer ses arguments, SDL fait également référence à un récent projet de loi de la Chambre des représentants de l’Alaska censé préciser que les couteaux à ouverture assistée ne sont pas compris dans la définition fédérale américaine de « switchblade » (couteau à cran d’arrêt), qui, selon SDL, est identique à celle d’« arme prohibée » prévue au paragraphe 84(1) du Code criminel.

ASFC

31. L’ASFC soutient que les couteaux en cause sont pourvus d’une « lame [qui] s’ouvre automatiquement [...] par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche » et que, par conséquent, ils sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées.

32. L’ASFC soutient que l’évaluation visant à savoir si un couteau est une « arme prohibée » doit tenir compte de l’objectif de la législation, à savoir interdire les couteaux qui peuvent devenir rapidement des armes du seul fait qu’ils peuvent s’ouvrir automatiquement15.

33. Selon l’ASFC, le mot « automatiquement » signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire » [traduction]. En l’espèce, puisque la lame des couteaux en cause, une fois mise en mouvement, est éjectée par un ressort ou une barre de torsion et n’est pas conçue pour s’arrêter avant l’ouverture complète, l’ASFC soutient que la lame s’ouvre automatiquement16.

34. L’ASFC soutient également que les couteaux en cause s’ouvrent « par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche ». En ce qui concerne le couteau à ouverture frontale, l’ASFC affirme que le « poussoir » se trouve à l’intérieur du manche du couteau17. Pour ce qui est du couteau à ouverture latérale, l’ASFC soutient que l’« actionneur digital » est un bouton ou dispositif fixé sur le manche; il n’est pas attaché à la lame et ne suit pas ses mouvements18.

ANALYSE

Témoin expert de l’ASFC

35. Le Tribunal a reconnu à l’agent de police McIntosh le titre d’expert en fonctionnement des armes19. Cependant, il appartient au Tribunal de déterminer le classement légal des couteaux en cause20. Par conséquent, toute affirmation contenue dans les rapports de l’agent de police McIntosh sur la question de savoir si les couteaux en cause sont compris ou non dans la définition d’« arme prohibée » du paragraphe 84(1) du Code criminel ne peut être considérée comme un avis d’expert. Les rapports d’expert de l’agent de police McIntosh seront considérés en tenant compte de cette réserve.

Les couteaux en cause sont-ils des armes prohibées?

36. Afin de déterminer si les couteaux en cause sont correctement classés dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’armes prohibées et, par conséquent, à titre de marchandises dont l’importation est interdite au Canada en vertu du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes, le Tribunal doit déterminer si la définition d’« arme prohibée » du paragraphe 84(1) du Code criminel, qui prévoit ce qui suit, s’applique :

84. (1) In this Part,

. . . 

“prohibited weapon” means

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife . . . .

84. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

[...]

« arme prohibée »

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche [...].

37. Par conséquent, le critère de classement d’un couteau à titre d’arme prohibée exige que la lame s’ouvre automatiquement de l’une de deux manières. L’ouverture automatique de la lame peut se produire soit 1) par gravité ou force centrifuge, soit 2) par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche du couteau.

38. Après avoir attentivement examiné les couteaux en cause, le Tribunal accepte l’affirmation de SDL, que l’ASFC ne conteste pas, selon laquelle ils ne s’ouvrent pas par gravité ou force centrifuge.

39. Il reste donc à déterminer si la lame des couteaux en cause s’ouvre automatiquement par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche.

Pression manuelle sur « un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche »

40. Le Tribunal conclut que la lame des deux couteaux en cause s’ouvre par pression manuelle sur « un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche ».

41. Le Canadian Oxford Dictionary21 définit le mot « button » (bouton) comme une « protubérance sur une pièce mécanique ou électronique sur laquelle on appuie pour qu’elle exécute une fonction particulière » [traduction]. Il définit également le mot « spring » (ressort) comme un « dispositif élastique généralement en métal plié ou spiralé ayant la capacité de reprendre sa forme initiale lors du retrait de la force ou de la pression [...] » [traduction] et le mot « device » (dispositif) comme un « objet destiné ou adapté à une fin particulière, surtout un appareil mécanique » [traduction].

42. En ce qui a trait au couteau à ouverture frontale, le Tribunal est convaincu que le « poussoir » constitue un « autre dispositif » au sens de la disposition. La définition de « dispositif » est large et peut comprendre, de l’avis du Tribunal, un mécanisme comme le « poussoir » du couteau à ouverture frontale destiné à la fin particulière d’activer le système d’ouverture assistée du couteau.

43. Le « poussoir » du couteau à ouverture frontale est une protubérance sur la lame située à l’intérieur du manche. Par conséquent, le Tribunal accepte que le « poussoir » est « incorporé » au manche du couteau. Puisqu’une pression manuelle est exercée sur le « poussoir », le Tribunal accepte qu’une pression manuelle est appliquée sur un « dispositif » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel. Le Tribunal observe que la question de savoir si la pression manuelle doit être « ferme » ou non pour ouvrir la lame n’est pas pertinente, puisque le paragraphe 84(1) exige simplement qu’une « pression manuelle » soit exercée.

44. Le Tribunal observe aussi qu’étant donné que le couteau à ouverture frontale contient un ressort attaché au « poussoir », il peut également être considéré qu’une pression manuelle est appliquée indirectement sur un « ressort » au sens de la disposition. Cette dernière n’exige en rien que la pression manuelle soit appliquée directement sur un ressort.

45. Pour ce qui est du couteau à ouverture latérale, le Tribunal conclut que l’« actionneur digital » est un « dispositif » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel. L’actionneur digital sur le couteau à ouverture latérale dépasse du manche. Il permet de pousser contre la lame et ainsi d’activer le mécanisme d’ouverture assistée du couteau. Par conséquent, il est compris dans la définition de « dispositif » retenue ci-dessus. Le Tribunal est également convaincu que l’actionneur digital est « incorporé ou attaché au manche ». Puisqu’une pression manuelle est exercée sur l’actionneur digital, le Tribunal est convaincu que la lame du couteau à ouverture latérale s’ouvre par « pression manuelle sur un [...] autre dispositif incorporé ou attaché au manche ».

« S’ouvre automatiquement »

46. Le Tribunal accepte que dans le contexte du paragraphe 84(1) du Code criminel, le mot « automatiquement » signifie « de manière essentiellement ou entièrement involontaire », comme le suggère l’ASFC22. Par conséquent, le Tribunal conclut que la nécessité d’un minimum de manipulations n’enlève pas forcément le caractère automatique de l’ouverture de la lame.

47. D’ailleurs il est évident à la lecture de la disposition que le mot « automatiquement » ne peut signifier sans aucune intervention humaine. La disposition vise un couteau dont la lame s’ouvre « automatiquement » à la suite d’une pression manuelle. Cela nécessite forcément un degré d’intervention humaine.

48. Cette conclusion est cohérente avec la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Vaughan23, qui étaye la position selon laquelle des manipulations supplémentaires n’empêcheront pas un couteau d’être une « arme prohibée ». Dans cette affaire, le Cour suprême a accepté qu’un couteau qui s’ouvrait par force centrifuge, mais qui nécessitait aussi que l’utilisateur enlève le cran de sécurité et modifie sa tenue du couteau avec une certaine dextérité, constituait une « arme prohibée » au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel.

49. Par conséquent, les couteaux en cause dans les présents appels seront considérés comme « s’ouvr[ant] automatiquement » s’il est conclu que leur lame s’ouvre à la suite d’une pression manuelle sur un « dispositif » qui nécessite une manipulation minimale.

50. Le Tribunal est convaincu que le fonctionnement des couteaux en cause respecte l’exigence relative au caractère automatique prévue au paragraphe 84(1) du Code criminel.

51. À la lumière des éléments de preuve vidéo déposés par les parties et de l’examen par le Tribunal des couteaux en cause, le Tribunal est convaincu que la pression sur les dispositifs incorporés au manche des couteaux libère rapidement la lame. Les manipulations que doit effectuer l’utilisateur pour activer le mécanisme d’ouverture assistée des couteaux en cause semblent minimales dans l’ensemble. Le Tribunal constate que lorsque l’utilisateur appuie sur le dispositif, la quasi-totalité du déplacement de la lame est effectuée par le mécanisme interne et non par pression manuelle. En outre, dans le cas des deux couteaux, une fois que la lame est mise en mouvement par la pression initiale, elle ne s’arrête pas avant d’être complètement ouverte; aucune autre manipulation n’est nécessaire de la part de l’utilisateur.

52. En ce qui a trait à l’argument technique de SDL selon lequel l’ouverture de la lame des couteaux en cause ne peut être considérée comme « automatique » étant donné que la lame doit d’abord être dépliée manuellement jusqu’au point où elle dépasse sa tendance à demeurer fermée, le Tribunal constate que la législation ne prévoit rien au sujet de la mécanique interne du couteau. Comme indiqué précédemment, l’exigence relative au caractère automatique semble signifier que la lame du couteau s’ouvre au moyen d’une manipulation minimale qui résulte, en l’espèce, d’une pression manuelle sur un « dispositif ». Le sens du mot « dispositif » est large et, en autant que les manipulations requises demeurent minimales, la mécanique interne du couteau n’importe pas. Pour cette raison, le fait qu’une petite portion du parcours de la lame soit effectuée manuellement et le fait que les couteaux en cause aient initialement « tendance à demeurer fermés » ne sont pas pertinents.

53. Le Tribunal a examiné les éléments de preuve vidéo de l’agent de police McIntosh24, dans lesquels il compare le fonctionnement du couteau à ouverture frontale à celui d’autres couteaux non en cause dans les présents appels, mais reconnus comme des armes prohibées aux termes du paragraphe 84(1), comme les « couteaux à cran d’arrêt ». Le Tribunal est d’avis, compte tenu de tous les éléments de preuve, que ni la pression manuelle nécessaire pour ouvrir la lame du couteau ni la réaction subséquente du couteau ne peuvent être distinguées de manière significative de la manipulation et du fonctionnement d’un couteau à cran d’arrêt.

54. Le Tribunal souligne que les conclusions auxquelles il est arrivé ci-dessus semblent être conformes à l’intention du Parlement lors de la promulgation du paragraphe 84(1) du Code criminel. Selon la règle moderne d’interprétation des lois, « [...] il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »25. Selon la jurisprudence, le paragraphe 84(1) a pour objet d’interdire les couteaux qui peuvent être dissimulés facilement et déployés rapidement26. Le Tribunal estime que les couteaux en cause présentent ces attributs. D’ailleurs, ils fonctionnement de façon semblable aux couteaux déjà reconnus comme des armes prohibées, tels que les couteaux à cran d’arrêt. Le fait d’appliquer aux couteaux en cause l’interdiction prévue au paragraphe 84(1) est donc conforme à l’objectif de la disposition.

55. En ce qui concerne la référence de SDL à l’évolution de la législation américaine concernant la définition juridique des couteaux à ouverture assistée, le Tribunal souligne qu’il n’est pas lié par ces lois ni par leur interprétation. Le fait que certains États puissent avoir adopté des lois autorisant expressément les couteaux à ouverture assistée n’aide pas à interpréter les lois canadiennes.

56. Enfin, eu égard au fait que SDL s’appuie sur le Mémorandum D19-13-2 de l’ASFC, le Tribunal souligne qu’il n’est pas lié par son contenu. L’interprétation des dispositions de la Loi et du paragraphe 84(1) du Code criminel en ce qui concerne les marchandises en cause dans une affaire donnée relève du Tribunal.

DÉCISION

57. Pour les motifs qui précèdent, les appels sont rejetés.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . L’une de ces vidéos a été faite par l’agent de police McIntosh.

5 . Pièce du Tribunal AP-2011-040-06B aux para. 4-5.

6 . Ibid. aux para. 11-13.

7 . Ibid. aux para. 17-19.

8 . L.R.C. 1985, c. C-46.

9 . Pièce du Tribunal AP-2011-040-06A aux para. 3-6.

10 . Ibid. aux para. 25-30, 41.

11 . Ibid. aux para. 32-34, 40.

12 . Ibid. aux para. 42-43.

13 . « Importation et exportation d’armes à feu, d’armes et de dispositifs » (23 juin 2009), aux para. 22-24; pièce du Tribunal AP-2011-040-06A, onglet 12.

14 . Pièce du Tribunal AP-2011-040-06A aux para. 34-35.

15 . Pièce du Tribunal AP-2011-040-10A aux para. 32-33.

16 . Ibid. aux para. 34-37, 39-51.

17 . Ibid. au para. 39.

18 . Ibid. aux para. 52-59.

19 . Pièce du Tribunal AP-2011-040-10B, onglet A à la p. 6.

20 . Le Tribunal souligne que l’agent de police McIntosh n’est pas un expert en matière d’interprétation des lois, ce qui est une prérogative du Tribunal.

21 . Deuxième éd., s.v. « button », « spring » et « device ».

22 . Pièce du Tribunal AP-2011-040-10A au para. 34.

23 . [1991] 3 R.C.S. 691, adoptant les motifs prononcés par le juge Beauregard de la Cour d’appel, 1990 CanLII 3059 (QC C.A.).

24 . Pièce du Tribunal AP-2011-040-10B, DVD.

25 . Voir par exemple Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.S.C. 27, citant Elmer Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, à la p. 87.

26 . Voir par exemple R. v. Richard and Walker, [1981] N.B.J. no 274 (N.B. C.A.) au para. 7 : « Les caractéristiques qui différencient un couteau considéré comme une “arme prohibée” des autres couteaux sont que le premier peut être transporté ou tenu dissimulé dans la main et ouvert automatiquement [...] » [traduction]. Voir aussi R. v. Archer, [1983] O.J. no 92 (Ont. C.A.) au para. 7 : « Nous sommes d’avis que la proscription de la possession de couteaux dont la lame peut s’ouvrir par force centrifuge a pour objet d’interdire la possession de couteaux dont la lame s’ouvre immédiatement en appuyant sur un bouton ou par un mouvement du poignet, ce qui en fait une arme potentielle » [traduction].