J.V. MARKETING INC.

Décisions


J.V. MARKETING INC.
v.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
v.
AVRECAN INTERNATIONAL INC. ET L'ASSOCIATION DES MANUFACTURIERS DE CHAUSSURES DU CANADA
Appel no AP-91-188 (R)

TABLE DES MATIERES

Ottawa, le vendredi 8 septembre 1995

Appel no AP-91-188 (R)

EU ÉGARD À un appel entendu les 21 juin et 17 juillet 1995 aux termes de l'article 61 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. (1985), ch. S-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le sous-ministre du Revenu national le 7 novembre 1991 concernant une demande de réexamen aux termes de l'article 58 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation.

ENTRE

J.V. MARKETING INC.Appelant

ET

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONALIntimé

ET

AVRECAN INTERNATIONAL INC. ET

L'ASSOCIATION DES MANUFACTURIERS

DE CHAUSSURES DU CANADAIntervenants

L'appel est admis.


Raynald Guay ______ Raynald Guay Membre présidant

Arthur B. Trudeau ______ Arthur B. Trudeau Membre

Lise Bergeron ______ Lise Bergeron Membre

Nicole Pelletier ______ Nicole Pelletier Secrétaire intérimaire





La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les chaussures de marche de santé Saucony InStep 6220 sont des chaussures de sport et, par conséquent, exclues des conclusions de préjudice sensible rendues par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) en 1990. En tranchant cette question lors d'une nouvelle audience, la Cour d'appel fédérale a ordonné au Tribunal d'examiner deux questions. Le Tribunal doit déterminer si les chaussures de marche ont été conçues pour une activité sportive et si la marche de santé est une telle activité.

DÉCISION : L'appel est admis. Le Tribunal considère la marche de santé comme un sport, en ce sens qu'elle est une activité athlétique exigeant un effort physique plus ou moins vigoureux pour fins d'exercice. Les nombreuses caractéristiques des chaussures de marche, qui les rendent convenables à la pratique de la marche de santé, en font des chaussures conçues pour la marche de santé. Comme les chaussures de marche sont conçues pour la marche de santé et que la marche de santé est un sport, le Tribunal conclut que les chaussures de marche sont des chaussures de sport et exclues des conclusions de 1990.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario) Dates de l'audience : Les 21 juin et 17 juillet 1995 Date de la décision : Le 8 septembre 1995
Membres du Tribunal : Raynald Guay, membre présidant Arthur B. Trudeau, membre Lise Bergeron, membre
Avocat pour le Tribunal : David M. Attwater
Greffier : Anne Jamieson
Ont comparu : Richard A. Wagner, pour l'appelant Brian Saunders, pour l'intimé Donald A. Kubesh, pour l'intervenant, Avrecan International Inc.





Dans des conclusions rendues le 3 mai 1990 [1] , le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) a conclu que le dumping des bottes et des souliers pour dames en provenance de Taiwan avait causé, causait et était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires (les conclusions de 1990). Les conclusions de 1990 excluaient diverses chaussures, y compris les «chaussures de sport».

Le 7 novembre 1991, l'intimé a rendu une décision selon laquelle les marchandises en cause, à savoir les chaussures de marche de santé Saucony InStep 6220 (les chaussures de marche), qui étaient produites à Taiwan, étaient visées par les conclusions de 1990 et assujetties à des droits antidumping. Dans un appel de la décision de l'intimé [2] , le Tribunal a conclu que les chaussures de marche ne satisfaisaient pas à la définition de «chaussures de sport» énoncée dans les conclusions de 1990. Ainsi, elles n'ont pas été exclues des conclusions de 1990 et ont été assujetties à des droits antidumping.

Dans son analyse, le Tribunal s'est reporté à la «définition étoffée» de chaussures de sport qui se trouve dans l'exposé des motifs qui accompagne les conclusions de 1990. Le Tribunal a conclu que cette définition était exhaustive, de sorte que les chaussures ne seraient exclues des conclusions de 1990 à titre de chaussures de sport que si elles satisfaisaient à l'un des deux volets de la définition étoffée. Le Tribunal a conclu que les chaussures de marche ne répondaient à ni l'un ni l'autre des volets de la définition.

Lorsque l'affaire a étE9‚ portée en appel devant la Cour d'appel fédérale [3] , la Cour a articulé plusieurs questions, dont l'une était de déterminer si le Tribunal avait bien interprété la définition étoffée de chaussures de sport et l'avait correctement traitée comme exhaustive. La Cour a conclu que la définition étoffée de chaussures de sport servait simplement d'illustration et n'était pas exhaustive. La Cour a fait remarquer que la question de savoir si les chaussures de marche sont des chaussures de sport est une question de fait qui serait mieux tranchée par le Tribunal. À ce titre, la Cour a refusé de déclarer que les chaussures de marche sont des chaussures de sport et exclues des conclusions de 1990. L'appel a donc ét 9‚ accueilli, la décision du Tribunal annulée, et l'affaire renvoyée au Tribunal pour réexamen conformément aux motifs de la Cour.

La question en litige dans la nouvelle audience consiste à déterminer si les chaussures de marche sont exclues des conclusions de 1990 à titre de chaussures de sport. Pour trancher cette question, le Tribunal doit déterminer si les chaussures de marche ont été conçues pour une activité sportive et si la marche de santé est une telle activité.

Dans le cadre des délibérations, les parties sont convenues d'adopter les éléments de preuve et les plaidoiries de la première audience et de les verser au dossier de la nouvelle audience. Ainsi, la nouvelle audience s'est limitée à l'examen d'une vidéo, la pièce A-10, à l'examen de parties des éléments de preuve de la première audience et à des plaidoiries que les avocats ont jugées nécessaires.

L'avocat de l'appelant s'est reporté à la transcription de la première audience pour une description des chaussures de marche. La tige des chaussures de marche est faite de cuir avec renfort pour le soutien latéral. La semelle intercalaire est faite d'éthylène-acétate de vinyle, qui sert de coussinage et d'amortisseur de chocs. La semelle d'usure est faite de caoutchouc au carbone résistant à l'usure. En outre, la semelle est munie de rainures de pliage pour une plus grande souplesse, d'un contrefort thermoplastique moulé pour le soutien du talon et d'un dispositif en plastique de contrôle du mouvement pour améliorer le contrefort. La semelle intérieure ou première, désignée le dispositif de soutien InStep, est un dispositif breveté et sous marque de commerce qui sert de soutien plantaire et de coussinage pour le talon.

On s'est référé aux pièces A-10 et A-11 pour illustrer la biomécanique de la marche de santé, les besoins de l'athlète et les caractéristiques des chaussures de marche qui répondent à ces besoins, qui comprennent le coussinage, la stabilité, le contrôle du mouvement, le soutien, la protection contre l'irritation, la dispersion des pressions, la flexibilité et la durabilité. À l'appui de la proposition selon laquelle les chaussures de marche ont été conçues et commercialisées pour la marche de santé, on s'est reporté aux témoignages qu'ont rendu plusieurs témoins lors de la première audience. M. Neil Slepian, directeur de la Recherche et du Développement de la société Hyde Athletic Industries, Inc., le fabricant des chaussures de marche, a témoigné que les chaussures de marche ont été mises au point pour le sport de la marche de santé. M. E. Bruce Trigg, acheteur de chaussures d'athlétisme chez Le Monde des Athlètes, division de Bata Industries Limited, une chaîne de magasins de détail de sport, a mentionné au Tribunal que les chaussures de sport peuvent se distinguer des chaussures tout aller ou des chaussures de ville vu qu'elles sont conçues pour répondre aux exigences de l'athlétisme ou du sport. Il a fait référence aux aspects précis de la conception et de la fabrication des chaussures de marche, y compris les caractéristiques de soutien du talon, pour justifier le fait que, selon lui, les chaussures de marche sont des chaussures de sport. M. John Vicario, président de J.V. Marketing Inc., a témoigné qu'un minimum de 95 p. 100 des chaussures de marche sont vendues aux magasins d'articles de sport, et que le reste est vendu à des spécialistes de chaussures orthopédiques. Il a mentionné au Tribunal que les chaussures de sport sont conçues, mises au point et fabriquées en fonction des besoins particuliers du sport auquel elles sont destinées. M. Vicario a exprimé l'avis que la marche de santé est un sport et que les chaussures de marche sont des chaussures de sport.

En plus de M. Vicario, de M. Trigg et de M. Slepian, M. Mark Fenton et Mme Susan A. Fawcett, tous deux adeptes de la marche de santé, et M. John Eberle, gestionnaire associé des produits, The Rockport Company, ont témoigné que la marche de santé est un sport. Mme Fawcett, par exemple, a distingué la marche comme moyen de locomotion de la marche de santé comme moyen d'exercice. Elle a indiqué au Tribunal que la marche de santé implique une cadence active et rapide et des pas allongés qui accélèrent le rythme cardiaque et augmentent la température du corps.

L'avocat de l'intervenant, Avrecan International Inc. [4] , a fait valoir que le critère juridique déterminant si la marche de santé est un sport doit être conforme à la vaste approche du sens commun utilisée par le Tribunal dans l'affaire Les importations APR Ltée c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise [5] . Dans cette affaire, le Tribunal a renvoyé à plusieurs définitions de dictionnaires du mot «sport» pour en analyser le sens grammatical et courant. En résumé, l'avocat a fait valoir qu'un sport est une activité athlétique, comportant de l'exercice et une certaine habileté, qui peut être portée au niveau de la compétition. L'avocat a cité plusieurs publications figurant au dossier de la première audience et décrivant la marche de santé comme un sport.

L'avocat de l'intimé a fait valoir que les chaussures de marche sont des chaussures tout aller et sont visées par les conclusions de 1990. En outre, la marche pour le plaisir ou l'exercice, les activités pour lesquelles les chaussures de marche ont été conçues, ne sont pas des activités sportives.

Citant les témoignages de la première audience, l'avocat de l'intimé a soutenu qu'il n'y a pas de démarcation claire entre les chaussures tout aller et les chaussures de sport, et que l'industrie n'a pas non plus de normes pour faire la distinction entre les deux catégories de chaussures. S'appuyant sur le témoignage de M. Vicario, l'avocat a fait valoir que la chaussure qui se vendrait comme chaussure de marche tout aller ne serait pas une chaussure de sport. En outre, comme les magasins d'articles de sport vendent à la fois des chaussures tout aller et des chaussures de sport, une chaussure ne peut être classée comme chaussure de sport du simple fait qu'elle se vend dans un tel magasin.

Renvoyant aux brochures de Saucony, l'avocat de l'intimé a fait valoir que les chaussures de marche, qu'elles soient désignées chaussures de marche de santé ou simplement chaussures de marche, sont conçues et commercialisées pour le grand nombre de personnes qui marchent pour le plaisir et l'exercice, et non pour le sport. S'appuyant sur le témoignage de M. Eberle, l'avocat a soutenu qu'elles font suite aux chaussures tout aller qui étaient portées pour faire de la marche pour l'exercice avant le lancement des chaussures dites «chaussures de marche». À ce titre, les chaussures de marche doivent être qualifiées de chaussures tout aller et assujetties aux conclusions de 1990.

Bien que disposé à reconnaître que la marche athlétique est un sport, l'avocat de l'intimé a fait valoir que la marche de santé ou la marche pour l'exercice n'est pas un sport.

La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les chaussures de marche de santé sont des chaussures de sport et, par conséquent, exclues des conclusions de 1990. En tranchant cette question lors de la nouvelle audience, la Cour d'appel fédérale a ordonné au Tribunal d'examiner deux questions. Le Tribunal doit déterminer si les chaussures de marche ont été conçues pour une activité sportive et si la marche de santé est une telle activité.

Pour ce qui est de la question de savoir si la marche de santé est une activité sportive, le Tribunal est d'avis qu'il doit analyser le sens grammatical et courant du mot «sport». Dans l'affaire Les importations APR, le Tribunal a déclaré :

Le mot «sport» a été défini comme [...] un jeu, une compétition ou un autre passe-temps qui exige des aptitudes et certains mouvements d'exercice, [...] une activité athlétique qui exige des aptitudes ou de la force physique et qui est souvent de nature compétitive, comme les courses, le baseball, le tennis, le golf, les quilles, la lutte, la boxe, la chasse, la pêche, etc., et [...] une activité qui exige un effort physique plus ou moins vigoureux et qui se pratique selon une forme ou des règles traditionnelles, soit à l'extérieur, comme le football, la chasse, le golf, les courses, etc., soit à l'intérieur, comme le basketball, les quilles, le squash, etc. [6] .

Manifestement, le mot «sport» a été défini de plusieurs façons, qui reflètent la vaste gamme des activités humaines considérées comme étant des sports au sens grammatical et courant du mot. S'appuyant, en partie, sur le témoignage de Mme Fawcett, le Tribunal considère que la marche de santé est un sport, en ce qu'elle est une activité athlétique exigeant un effort physique plus ou moins vigoureux pour fins d'exercice. Cette conclusion rejoint celle que le Tribunal a rendue dans l”affaire Les importations APR et selon laquelle le jogging et la course sont des sports.

En ce qui a trait à la question de savoir si les chaussures de marche ont été conçues pour une activité sportive, en l'occurrence la marche de santé, le Tribunal a été persuadé, essentiellement par les pièces A-10 et A-11 et le témoignage de M. Slepian, qu'elles ont été conçues à cette fin. Le Tribunal est d'avis que, si une chaussure est conçue ou fabriquée pour une activité sportive particulière ou plusieurs activités, les besoins particuliers des utilisateurs pour cette activité ou ces activités sportives se refléteront dans les caractéristiques de la chaussure. À ce titre, le Tribunal a centré son attention sur les caractéristiques des chaussures de marche afin de déterminer si elles étaient, de fait, conçues pour la marche de santé.

Lors du témoignage rendu à la première audience, M. Slepian a examiné la pièce A-11, qui résumait les caractéristiques de conception des chaussures de marche. Après avoir expliqué brièvement la biomécanique de la marche de santé, M. Slepian a défini les besoins d'un athlète tout au long du cycle de la marche. Ces besoins comprennent le coussinage, la stabilité, le contrôle du mouvement, le soutien, la protection contre l'irritation, la dispersion des pressions, la flexibilité et la durabilité.

Il ressort clairement des éléments de preuve que les chaussures de marche présentent des caractéristiques particulières qui répondent aux besoins biomécaniques de l'adepte de la marche de santé. Ainsi, pour ce qui est du coussinage, les chaussures de marche sont munies du dispositif de soutien breveté InStep composé de polyuréthanne et d'une semelle intercalaire faite d'éthylène-acétate de vinyle. Pour la stabilité, le dispositif de soutien InStep est conçu d'une coque talonnière, et les chaussures ont un contrefort fait d'un plastique rigide intégré dans la section du talon. Les chaussures sont montées sur «formes de carton», ce qui signifie qu'elles sont faites d'un carton semi-ferme qui empêche le pied de rouler. En outre, les chaussures sont munies d'un dispositif de contrôle du mouvement qui est conçu pour maintenir en place les talons de l'adepte de la marche de santé. Pour le soutien, le dispositif InStep comprend une pièce de plastique ferme, et une deuxième pièce de plastique ferme est intégrée dans la semelle des chaussures pour aider les muscles du bas du pied. En outre, la tige est faite d'un matériau de cuir ferme conçu avec «lanières de stabilité latérale interne» qui entourent le devant du pied où elles se rattachent au système de laçage. En outre, un grand nombre de ces caractE9‚ristiques et d'autres répondent aux autres besoins de l'adepte de la marche de santé.

Le Tribunal est persuadé que les chaussures de marche sont conçues pour la marche de santé. La mesure dans laquelle les caractéristiques susmentionnées ont été intégrées dans les chaussures de marche, ce qui les rend convenables à la marche de santé, établit qu'elles sont beaucoup plus qu'une chaussure tout aller. Comme les chaussures de marche sont conçues pour la marche de santé et que la marche de santé est un sport, le Tribunal conclut que les chaussures de marche sont des chaussures de sport et exclues des conclusions de 1990.

Par conséquent, l'appel est admis.


[ Table des matières]

1. Bottes et souliers en cuir pour dames, originaires ou exportés du Brésil, de la République populaire de Chine et de Taiwan; bottes en cuir pour dames, originaires ou exportées de la Pologne, de la Roumanie et de la Yougoslavie; et bottes et souliers autres qu'en cuir pour dames, originaires ou exportés de la République populaire de Chine et de Taiwan, Tribunal canadien du commerce extérieur, enquête no NQ - 89 - 003, Conclusions, le 3 mai 1990, Exposé des motifs, le 18 mai 1990.

2. J.V. Marketing Inc. c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, Tribunal canadien du commerce extérieur, appel no AP - 91 - 188, le 1er septembre 1992.

3. J.V. Marketing Inc. c. Le Tribunal canadien du commerce extérieur, non reporté, no du greffe A - 1349 - 92, le 29 novembre 1994.

4. Maintenant appelée Reebok Canada Inc.

5. Appel no AP - 93 - 141, le 28 février 1994.

6. Ibid. aux pp. 4-5.


Publication initiale : le 28 août 1996