REBECCA WIGOD

Décisions


REBECCA WIGOD
v.
LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA
Appel no AP-2000-013

TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le jeudi 10 janvier 2002

Appel no AP-2000-013

EU ÉGARD À un appel entendu le 5 novembre 2001 aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada le 17 mars 2000 concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

REBECCA WIGOD Appelante

ET

LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

L'appel est rejeté.



Ellen Fry

Ellen Fry
Membre présidant


Michel P. Granger

Michel P. Granger
Secrétaire
 
 

RÉSUMÉ OFFICIEUX

Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes à l'égard d'une décision rendue le 17 mars 2000 par le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si une sarbacane en bois qui a été retenue par l'intimé le 9 janvier 2000 est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d'arme prohibée.

DÉCISION : L'appel est rejeté. Le produit en cause répond à la définition que donne la loi d'une arme prohibée. Le Tribunal conclut qu'il s'agit d'un instrument semblable à un Yaqua Blowgun, tel qu'il est décrit dans le Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d'armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés ou à autorisation restreinte, étant donné qu'il s'agit d'un tube ou d'un tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle. Par conséquent, le produit en cause est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

Lieux de l'audience

 

par voie de vidéoconférence :

Hull (Québec) et Vancouver (Colombie-Britannique)

Date de l'audience :

Le 5 novembre 2001

Date de la décision :

Le 10 janvier 2002

   

Membre du Tribunal :

Ellen Fry, membre présidant

   

Conseiller pour le Tribunal :

Eric Wildhaber

   

Greffiers :

Anne Turcotte

 

Margaret Fisher

   

Ont comparu :

Douglas Harrison and Steve Berry, pour l'appelante

 

Michael Roach, pour l'intimé

 
 

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l'égard d'une décision rendue le 17 mars 2000 par le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si une sarbacane en bois qui a été retenue par l'intimé le 9 janvier 2000 est correctement classée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l'annexe du Tarif des douanes 2 à titre d'arme prohibée.

Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit, notamment, ce qui suit :

9898.00.00 Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l'assemblage d'armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire, sauf :

Pour l'application du présent numéro tarifaire :
b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s'entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel[3].

Le paragraphe 84(1) du Code criminel 4 définit « arme prohibée » comme il suit :

« arme prohibée »
b) toute arme-qui n'est pas une arme à feu-désignée comme telle par règlement.

L'article 117.15 du Code criminel confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre un règlement qui établit quelles armes seront des armes prohibées5 . Ce pouvoir a été exercé pour l'adoption de l'article 4 du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d'armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés ou à autorisation restreinte 6 , qui prévoit ce qui suit :

4. Les armes énumérées à la partie 3 de l'annexe sont désignées des armes prohibées pour l'application de l'alinéa b) de la définition de « arme prohibée » au paragraphe 84(1) du Code criminel.

La partie 3 de l'annexe du Règlement comprend l'article 12, qui se lit ainsi :

12. L'instrument communément appelé « Yaqua Blowgun », soit un tube ou tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle, et tout instrument semblable.

Le produit en cause a été déposé au titre de pièce B-1. Il était composé de deux pièces de bois creuses assemblées pour former un tube d'une longueur d'environ 150 cm. Un fléchette en métal d'une longueur d'environ 19 cm était attachée à une extrémité du tube au moyen de rotin tissé. Le tube présentait des ouvertures à chaque extrémité, l'une conçue pour recevoir une fléchette et être portée à la bouche afin d'y souffler, l'autre permettant la sortie de la fléchette. Deux objets pointus avaient été insérés dans une des extrémités du tube. L'appelante7 a témoigné que les deux objets pointus ne faisaient pas partie de la sarbacane importée. L'intimé n'a déposé aucun élément de preuve quant à la nature desdits objets pointus ni quant à la façon dont ils ont pu être déposés au titre de pièces en même temps que la sarbacane. Ce fait n'a été d'aucune aide pour le Tribunal. L'appelante et l'intimé se sont entendus sur le fait que la pièce B-1, à l'exclusion des objets pointus d'origine inconnue, était le produit que l'appelante a tenté d'importer au Canada le 9 janvier 2000.

L'appelante a déclaré avoir acheté le produit en cause pendant des vacances à Bornéo, à titre d'ornement décoratif, aux fins d'exposition, et non à titre d'arme assujettie au Règlement. L'appelante a soutenu que le produit en cause est vendu en tant que souvenir aux touristes et non en tant qu'arme aux chasseurs et ne répond pas à la définition ordinaire, courante, du mot « arme ». L'appelante a prétendu que, étant donné qu'il s'agit d'un ornement, le produit en cause ne sert pas pour lancer un projectile ou, tout au plus, qu'on pourrait s'en servir pour y souffler de l'air et un projectile comme on pourrait le faire en se servant d'un bout de tuyau de cuivre.

L'appelante a fait état d'une lettre provenant du consulat de la Malaisie situé à Vancouver (Colombie-Britannique) où il est écrit que le produit en cause est un souvenir et non une arme. L'appelante a avancé l'argument que le produit en cause est un objet d'art et non un véritable Yaqua Blowgun. Plutôt, l'appelante a soutenu que les véritables Yaqua Blowgun qui ont donné lieu à la prohibition en 1978 étaient faits d'aluminium usiné avec précision et hautement poli et étaient assortis de fléchettes d'acier à ressort et de poison sous forme de sulfate de nicotine. La publicité à leur endroit précisait qu'ils pouvaient tuer de petits animaux; les tubes de ces instruments étaient munis de poignées, d'une embouchure, d'une courroie et d'un étui pour les transporter; certains étaient télescopiques, afin de pouvoir facilement se replier et devenir une arme dissimulée. À l'appui de cette position, l'appelante a invoqué divers documents au dossier qui ont été obtenus au moyen d'une demande d'accès à de l'information. En outre, l'appelante a soutenu que le produit en cause ne peut pas projeter une fléchette à une haute vitesse, comme le peut un véritable Yaqua Blowgun qui, selon des essais effectués à l'appui de la prohibition en 1978, peut propulser un fléchette de 3 po à travers du contre-plaqué de 1/4 de po. À l'inverse, le produit en cause n'est pas une arme perfectionnée et les fléchettes pour lesquelles il a été conçu ne sont rien de plus que des brochettes à viande en bois.

L'appelante a soutenu que de ne pas lui retourner le produit en cause donnerait lieu à une injustice puisqu'il a été permis à M. Tom Matthews, de North Hatley (Québec), d'importer une sarbacane semblable, comme le démontre la déclaration sous serment de M. Matthews déposée au dossier de l'espèce8 . De plus, l'appelante a soutenu qu'un nombre indéterminé de tubes de toutes sortes couramment offerts sur le marché pourraient servir de sarbacane plus efficace que le produit en cause. En effet, selon l'exposé de l'appelante, divers tubes de cuivre, de matière plastique et de vinyle peuvent propulser des fléchettes. L'appelante a fait référence à plusieurs documents déposés auprès du Tribunal se rapportant à des débats qui ont eu lieu durant la période préparatoire à la prohibition des Yaqua Blowgun en 1978; l'appelante a prétendu que le Règlement n'avait pas pour objet d'interdire les sarbacanes souvenir du type représenté par le produit en cause. Enfin, l'appelante a fait valoir que le Code criminel prévoit qu'une arme dotée d'un canon n'est pas réputée être une arme à feu à moins de pouvoir propulser un projectile à une vitesse initiale de plus de 153 mètres la seconde, soit une vitesse bien au-dessus de celle qu'il serait possible d'atteindre avec le produit en cause.

L'intimé n'a pas convoqué de témoin. Il a soutenu que la question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si le produit en cause entre dans la portée de la définition d'un Yaqua Blowgun, ou d'un instrument semblable à un Yaqua Blowgun, au sens du Règlement. L'intimé a soutenu que l'appelante ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombe de prouver que l'intimé a erré dans la décision de classement et que l'intention au moment de l'achat du produit en cause n'est pas un facteur pertinent en l'espèce. L'intimé a soutenu que l'appelante a admis certains faits : que le produit en cause est un tube ou un tuyau; qu'il est une sarbacane qui peut lancer des fléchettes susceptibles de causer une blessure. L'intimé a soutenu que l'expression « tout instrument semblable » qui se trouve à l'article 12 de la partie 3 du Règlement doit être interprétée au sens large et que le produit en cause entre dans la portée de la définition au sens dudit article parce qu'il s'agit d'un tube ou d'un tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle. L'autre tube ou tuyau déposé par l'appelante auprès du Tribunal ne répond pas à ladite définition. En effet, de l'avis de l'intimé, les pièces A-2 et A-3 (un tube de revêtement de câble de frein et un article de robinetterie de lavabo chromé respectivement) n'ont pas été conçues pour lancer des flèches ou fléchettes, mais à d'autres fins. L'intimé a aussi soutenu que la vitesse initiale n'était pas pertinente en l'espèce, tout comme ne l'était pas la cause concernant la sarbacane de M. Matthew puisque cette affaire ne peut être considérée comme ayant établi un précédent. Enfin, l'intimé a soutenu que l'entrée au Canada d'un produit semblable au produit en cause serait autorisée si ce produit était mis hors d'état de fonctionner de façon permanente et ne pouvait plus accomplir la fonction d'une sarbacane.

Le Tribunal accueille la position de l'appelante selon laquelle le produit en cause était destiné à servir d'ornement décoratif plutôt que d'arme. Néanmoins, le Tribunal conclut que le produit en cause est une arme prohibée parce qu'il entre dans la portée de la définition que donne la loi d'un instrument semblable à un Yaqua Blowgun conformément à l'article 12 de la partie 3 du Règlement. L'appelante a admis que le produit en cause est un tube ou un tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle. De ce fait, il s'agit d'un instrument semblable à un Yaqua Blowgun. Le Tribunal fait observer que M. Harrison a témoigné qu'il était lui-même capable de lancer des fléchettes par la force du souffle au moyen du produit en cause. Cependant, contrairement à l'affirmation de l'appelante, la vitesse initiale n'est pas pertinente relativement au produit en cause étant donné qu'elle ne figure pas dans la définition d'un « Yaqua Blowgun » prévue dans le Règlement. En outre, l'argument de l'appelante selon lequel une sarbacane semblable pourrait être fabriquée à partir de nombreux produits tubulaires disponibles au Canada n'est pas pertinent parce que la compétence du Tribunal en l'espèce se limite à l'examen du classement du produit en cause. Le Tribunal est d'accord avec l'intimé que le produit en cause ne serait plus conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle s'il était mis hors d'état de fonctionner de façon permanente.

Par conséquent, le Tribunal conclut que le produit en cause est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00.

Pour les motifs qui précèdent, l'appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [ci-après Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . Au paragraphe b) de la version anglaise, les expressions prohibited weapon (arme prohibée) et restricted firearm (arme à feu à autorisation restreinte), contrairement à toutes les autres expressions y comprises, ont délibérément été présentées sans parenthèses; c'est de cette manière que ces expressions sont présentées dans l'annexe du Tarif des douanes et qu'elles ont été adoptées par le Parlement.

4 . L.R.C. 1985, c. C-46.

5 . L'article 117.15 prévoit, notamment, ce qui suit :

117.15 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre toute mesure d'ordre réglementaire prévue ou pouvant être prévue par la présente partie [partie III du Code criminel].

6 . D.O.R.S./98-462 [ci-après Règlement].

7 . Le conseiller de l'appelante, M. Harrison, a aussi témoigné pour l'appelante. Toute référence à l'« appelante » est une référence à M. Harrison en sa qualité de conseiller de l'appelante ou de témoin de l'appelante, selon le contexte.

8 . Mémoire de l'appelante, document no AP-2000-013-6.1 à la p. 3.


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Publication initiale : le 22 janvier 2002