CHAUSSURE BROWNS INC.

Décisions


CHAUSSURE BROWNS INC.
v.
LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA
Appel no AP-2002-096


TABLE DES MATIÈRES

Ottawa, le mercredi 11 février 2004

Appel no AP-2002-096

EU ÉGARD À un appel entendu le 29 avril 2003 aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada le 2 août 2002 concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

CHAUSSURE BROWNS INC. Appelante

ET

LE COMMISSAIRE DE L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

L'appel est admis.

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre présidant

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre

Michel P. Granger
Michel P. Granger
Secrétaire

RÉSUMÉ OFFICIEUX

Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes (la Loi) à l'égard d'une décision rendue par le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (le commissaire) le 2 août 2002, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes au sujet du réexamen de la valeur en douane de diverses chaussures Aquatalia importées par Chaussure Browns Inc. (Browns) entre le 1er février 2000 et le 31 janvier 2001. La question en litige consiste à savoir si les honoraires versés par Browns à Krasnow Enterprises Ltd./621 South doivent être ajoutés au prix payé ou à payer pour les chaussures importées aux termes du paragraphe 45(1) et du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi. Browns soutient que ces honoraires sont des commissions d'achat exemptes de droits, tandis que le commissaire soutient que ces montants doivent être inclus dans la valeur en douane des marchandises importées.

DÉCISION : L'appel est admis. Browns achète des chaussures directement à divers fabricants italiens. Les détails se rapportant aux commandes de Browns, y compris le choix, les spécifications et le prix des marchandises, et les questions du contrôle de la qualité et de la logistique sont gérés par 621 South/M. Marvin Krasnow suivant les directives de Browns. Le Tribunal conclut à l'absence de preuve d'un conflit d'intérêts, et il n'a pas non plus lieu de croire que le lien entre Browns et 621 South/M. Krasnow est fictif. Plutôt, il conclut que les parties ont conclu une entente de commission d'achat légitime, qui prévoit le versement d'une commission. Le Tribunal conclut que ladite commission est un paiement légitime en contrepartie des services d'un mandataire d'achat à l'étranger et est donc visée par l'exception prévue au sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi.

Lieu de l'audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l'audience :

Le 29 avril 2003

Date de la décision :

Le 11 février 2004

   

Membres du Tribunal :

Pierre Gosselin, membre présidant

 

James A. Ogilvy, membre

 

Meriel V. M. Bradford, membre

   

Conseillers pour le Tribunal :

Michèle Hurteau

 

Eric Wildhaber

   

Greffier :

Anne Turcotte

   

Ont comparu :

Michael Kaylor, pour l'appelante

 

Jean-Robert Noiseux, pour l'intimé

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l'égard d'une décision rendue par le commissaire de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (le commissaire) le 2 août 2002, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi au sujet du réexamen de la valeur en douane de diverses chaussures Aquatalia importées par Chaussure Browns Inc. (Browns) entre le 1er février 2000 et le 31 janvier 2001. La question en litige consiste à savoir si les honoraires versés par Browns à Krasnow Enterprises Ltd./621 South doivent être ajoutés au prix payé ou à payer pour les chaussures importées aux termes du paragraphe 45(1) et du sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi. Browns soutient que ces honoraires sont des commissions d'achat exemptes de droits, tandis que le commissaire soutient que ces montants doivent être inclus dans la valeur en douane des marchandises importées.

PREUVE

M. Barry Klar, trésorier et directeur financier de Chaussure Browns Inc., a témoigné au nom de Browns. Il a fait savoir que Browns travaillait avec M. Marvin Krasnow pour le choix des chaussures qu'elle achète aux fabricants italiens, et qui portent l'étiquette Aquatalia. M. Krasnow traite les commandes et s'occupe de la livraison, du contrôle de la qualité, de l'inspection, des réclamations et de tout autre problème afférent aux marchandises expédiées à Browns, à Montréal (Québec), directement des divers fabricants italiens. Il a affirmé que la décision sur le choix des chaussures qui seront achetées revient à Browns, qui paie les fabricants directement. Il a ajouté que, avant d'arrêter une commande, Browns exige parfois que M. Krasnow obtienne des fabricants qu'ils apportent certaines modifications aux modèles de chaussures qu'on lui montre; ces modifications peuvent être liées au prix, à la qualité, à la conception ou à la mode. M. Klar a affirmé que Browns verse pour ce service une commission d'achat de 10 p. 100 du coût facturé à, selon la transaction, Krasnow Enterprises Ltd., Krasnow Enterprises Inc. ou 621 South, trois sociétés dans lesquelles M. Krasnow détient une participation. Une entente de commission d'achat standard dans le secteur du détail a été conclue entre Browns et 621 South relativement au lien d'affaires susmentionné, même si ladite entente a été signée par Marvin Krasnow au nom de 621 South uniquement et non par Browns.

Selon M. Klar, plutôt que d'indiquer le nom des diverses usines auxquelles les chaussures sont achetées, c'est le nom « Krasnow Enterprises Ltd. » et le symbole « KRA » qui figurent sur les diverses commandes d'achat à la rubrique « FOURNISSEUR/VENDOR » de ce style particulier de marchandises. M. Klar a affirmé que, en dépit des indications consignées, le vendeur est toujours le fabricant italien qui fournit les chaussures.

M. Klar a affirmé que Browns sait que Krasnow Enterprises Ltd. achète et importe aussi, en son propre nom, des chaussures Aquatalia. Il a confirmé que Browns achète toutes ses chaussures Aquatalia par l'intermédiaire de M. Krasnow, le créateur et propriétaire de cette marque de commerce. Il s'agit là de la seule entente de commission d'achat que Browns ait conclue; cette dernière achète ses autres chaussures directement aux fabricants, par l'intermédiaire de ses propres représentants.

M. Klar a témoigné que Browns ne paie pas de redevances relativement à la marque de commerce Aquatalia.

M. Krasnow, mandant de Krasnow Enterprises Ltd., une société canadienne, et de Krasnow Enterprises Inc., une société des États-Unis, et propriétaire de 621 South, également une société des États-Unis, a témoigné au nom de Browns. Krasnow Enterprises Ltd. est propriétaire de la marque de commerce « Aquatalia by Marvin K. » M. Krasnow a dit avoir toujours personnellement intercédé aux fins de l'exécution des obligations incombant à 621 South en vertu de l'entente de commission d'achat conclue entre cette société et Browns. Il a affirmé ne détenir aucun intérêt financier dans l'une quelconque des usines qui fabriquent les chaussures Aquatalia et n'avoir jamais reçu de commissions, sous quelque forme que ce soit, de tels fabricants. M. Krasnow s'occupe de développement de produits, mais ne fournit aucune matière brute à ces fabricants. Il a aussi témoigné que tous les travaux liés à la conception et aux patrons de chaussures sont exécutés aux usines des fabricants.

M. Krasnow a confirmé que Browns achète directement aux fabricants sur la base des coûts de revient de base et lui verse, au titre de mandataire d'achat, une commission de 10 p. 100 des montants facturés par le fabricant. Il a témoigné que, à des fins de pertes fiscales, ces montants sont versés à 621 South, dont l'unique secteur d'activité consiste maintenant à agir au titre de mandataire d'achat. M. Krasnow a accepté cet arrangement, qui s'écarte de sa structure commerciale normale, c.-à-d. celle d'un importateur qui distribue et vend des produits selon le prix rendu, étant donné l'avantage réciproque issu de ce lien en termes d'augmentation de volume et, par conséquent, de diminution des coûts de revient de base. M. Krasnow a précisé que ce lien donnait aussi aux chaussures Aquatalia une plus grande visibilité en raison de leur présence dans les magasins Browns. Il a aussi confirmé que Browns n'est pas tenue d'acheter tout produit qu'il propose et qu'il négocie les changements de prix et de style avec Browns puis avec les fabricants, mais ne consulte pas Browns sur le choix d'un fabricant. M. Krasnow a affirmé que ce lien avec Browns n'a jamais été assorti de versements de redevance.

Mme Ginette Berthelet, agent de vérification de la conformité, Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), a témoigné au nom du commissaire. Mme Berthelet a dit avoir procédé à une vérification douanière multiprogrammes du commerce de chaussures de Browns (à l'exclusion des sacs à main) avec un autre agent de vérification de la conformité de l'ADRC, M. Sébastien Perras. Ils ont préparé un questionnaire destiné à évaluer le lien d'affaires entre Browns et 621 South. M. Klar a rempli ce questionnaire. Mme Berthelet a témoigné que la vérification a donné lieu à la conclusion que le lien entre 621 South et Browns dépassait celui d'une véritable entente de commission d'achat, puisque Browns, le présumé mandant, ne contrôlait pas toutes les activités de 621 South, son présumé mandataire.

Mme Berthelet a affirmé que la conclusion ci-dessus s'appuyait sur les motifs suivants : 1) 621 South choisissait les usines qui allaient fabriquer les chaussures Aquatalia; 2) Browns ne pouvait s'approvisionner en chaussures Aquatalia sans l'intervention de M. Krasnow; 3) les chaussures Aquatalia doivent leur existence à M. Krasnow; 4) la vérification a révélé que 621 South n'agissait pas toujours dans l'intérêt de Browns parce qu'un véritable mandataire d'achat se bornerait à inspecter les marchandises, tandis que M. Krasnow allait au-delà et décidait si les marchandises satisfaisaient à ses propres critères avant d'y apposer sa marque de commerce Aquatalia et détenait donc un droit sur la fabrication des marchandises. À cet égard, Mme Berthelet a témoigné avoir conclu que M. Krasnow agissait davantage en qualité de vendeur.

D'après Mme Berthelet, Browns n'achetait pas les chaussures Aquatalia aux fabricants, mais plutôt à M. Krasnow.

PLAIDOIRIE

Browns a soutenu que les modalités de l'entente de commission d'achat qu'elle a conclue avec 621 South ont été respectées et que les éléments de preuve confirment que, après avoir commandé diverses chaussures Aquatalia par l'intermédiaire des « bons offices » de 621 South, elle achetait les marchandises importées directement aux divers fabricants et payait à 621 South une commission pour ses services.

Browns a soutenu avoir toujours su que Krasnow Enterprises Ltd. agissait aussi à un autre titre, celui d'importateur/acheteur et distributeur de chaussures Aquatalia en son propre nom. Les deux parties ont pu bénéficier d'un meilleur prix à cause de l'augmentation du volume total découlant de la combinaison de leurs achats. De l'avis de Browns, il ressort du dossier que, pour lesdites transactions, 621 South a donc toujours agi au mieux des intérêts de Browns et, citant la Cour suprême du Canada dans Shell Canada Ltée c. Canada 2 , dans la mesure où rien n'indique que le lien est fictif, et Browns fait valoir l'absence de toute imposture en l'espèce, les contribuables ont le droit de structurer leurs transactions de façon à réduire leurs obligations fiscales.

Browns a soutenu que, à l'exception du choix des usines devant produire les marchandises importées, son entente de commission d'achat conclue avec 621 South est conforme au droit en matière de mandat, reformulé par la Cour suprême du Canada dans R. c. Kelly 3 . Plus particulièrement, Browns a soutenu ce qui suit : le lien est sous son contrôle; elle n'est pas tenue de choisir l'un quelconque des produits offerts dans la gamme de chaussures Aquatalia; elle négocie des concessions de prix et des modifications de style; elle décide de la quantité qu'elle achète et des modalités de livraison. En outre, Browns donne ses directives à 621 South pour régler tout problème, comme les livraisons tardives et les défauts de la qualité, ce qu'elle fait au mieux des intérêts de Browns. Browns a aussi souligné que 621 South ne possède aucune des usines qui fabriquent les marchandises commandées par Browns et ne reçoit aucun paiement de ces dernières.

Browns a soutenu qu'il existe une séparation juridique claire entre elle et son mandataire, 621 South, ainsi qu'entre son mandataire et Krasnow Enterprises Ltd., propriétaire de la marque de commerce Aquatalia. Browns a assimilé les faits de l'espèce aux faits dont le Tribunal a été saisi dans Chaps-Ralph Lauren c. Sous-M.R.N. 4 et Sherson Marketing Corporation c. Sous-M.R.N. 5 où il a été conclu que les ententes de commission d'achat étaient exemptes de droits. Browns a aussi soutenu qu'une déclaration de la Cour d'appel fédérale dans Corporation Utex c. Sous-M.R.N., Commissaire des douanes et du revenu 6 devait être un fait juridique aux fins du présent appel.

Browns a ajouté que les faits du présent appel se distinguent des faits dont la Cour d'appel fédérale a été saisie dans Signature Plaza Sport Inc. c. M.R.N. 7 parce que la présumée mandataire, Manhattan Industries Inc. (Manhattan), était non seulement propriétaire de certains droits afférents à la marque de commerce, mais fournissait aussi à son fabricant des patrons et du tissu servant dans la confection de vêtements. Dans cette affaire, les usines n'étaient pas les vendeurs des marchandises, mais simplement des sous-traitants. La Cour d'appel fédérale a conclu que Manhattan était le vendeur. Par opposition, Browns a soutenu que 621 South ne fournit aucune telle matière aux fabricants qu'elle choisit et ne détient jamais les titres de propriété des marchandises achetées par Browns.

Le commissaire a soutenu que le montant de la prétendue commission ou des prétendus honoraires versés à 621 South (ou ce qu'il désigne comme étant le Groupe Krasnow) devrait être ajouté à la valeur en douane des chaussures Aquatalia importées parce que Browns était tenue de recourir aux services de 621 South pour de tels achats. Une telle présumée commission ou de tels présumés honoraires ne sont pas une commission d'achat authentique, au sens de la Loi, pour les raisons suivantes : 1) le prétendu mandataire est en fait le vendeur des marchandises en cause puisqu'il est propriétaire de la marque de commerce Aquatalia; 2) il est à l'origine de l'existence des marchandises portant cette marque de commerce; 3) il s'approvisionne auprès de diverses usines en appliquant ses propres critères; 4) il n'agit pas en qualité de mandataire d'achat de Browns.

Invoquant la décision du Tribunal dans Mexx Canada Inc. c. Sous-M.R.N. 8 , le commissaire a affirmé que la prétendue commission ou les prétendus honoraires versés à 621 South ne peuvent être considérés comme exempts de droits parce que le travail qu'elle accomplit va bien au-delà de celui d'un mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente. Le commissaire a soutenu que son affirmation peut être corroborée par une analyse détaillée des liens contractuels et du véritable lien d'affaires qui existent entre Browns et 621 South/le Groupe Krasnow; en réalité, selon le commissaire, la décision de la Cour d'appel fédérale dans Signature Plaza oblige le Tribunal à entreprendre une telle analyse.

Le commissaire a ajouté que les faits de l'espèce ne peuvent être assimilés à ceux des affaires invoquées par Browns, dans lesquelles le Tribunal a conclu que le propriétaire d'une marque de commerce peut aussi être reconnu comme mandataire, à cause du degré du contrôle exercé par M. Krasnow sur la gamme de chaussures Aquatalia; en réalité, ce dernier établit sa propre collection, fait la promotion de la marque de commerce Aquatalia sur son site Web, décide du choix des produits qui seront fabriqués sous cette étiquette et a déclaré qu'il « vend des chaussures » [traduction]. À cet égard, le commissaire renvoie aux réponses de M. Klar au questionnaire administré dans le cadre de la vérification de l'ADRC et selon lesquelles M. Krasnow fait fabriquer les chaussures devant porter sa marque de commerce si les chaussures répondent à ses critères9 . Le commissaire soutient également que les achats effectués par Browns par l'intermédiaire de M. Krasnow ne représentent qu'une faible proportion du chiffre d'affaires de Browns.

Par conséquent, selon le commissaire, le fait que Browns était tenue de recourir aux services de 621 South/le Groupe Krasnow empêche tout lien de mandataire authentique; plutôt, le lien en question, de par toutes ses caractéristiques essentielles, est celui de vendeur-acheteur. Il est possible de le définir à nouveau en l'espèce, conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans Shell Canada, qui a repris la décision rendue dans Continental Bank Leasing c. Canada 10 , parce que le nom attribué par le contribuable à la transaction particulière, en l'espèce le nom d'entente de commission d'achat, ne reflète pas convenablement son effet juridique qui est de créer en l'espèce un lien vendeur-acheteur. À défaut de définir à nouveau ainsi le lien en question, le commissaire a proposé, à titre de solution de rechange, que le Tribunal décide simplement que les honoraires versés par Browns à 621 South/le Groupe Krasnow ne sont pas visés par l'exception prévue au sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi.

DÉCISION

L'article 44 de la Loi prévoit que « [l]es droits, autres que les droits ou taxes prévus par la Loi sur la taxe d'accise ou la Loi sur l'accise, qui sont imposés sur des marchandises selon un certain pourcentage se calculent par l'application du taux à une valeur déterminée conformément aux articles 45 à 55. »

Le paragraphe 48(5) de la Loi prévoit en partie ce qui suit :

(5) Dans le cas d'une vente de marchandises pour exportation au Canada, le prix payé ou à payer est ajusté :

a) par addition, dans la mesure où ils n'y ont pas déjà été inclus, des montants représentant :

(i) les commissions et les frais de courtage relatifs aux marchandises et supportés par l'acheteur, à l'exclusion des honoraires versés ou à verser par celui-ci à son mandataire à l'étranger à l'occasion de la vente.

L'article 45 de la Loi définit l'expression « prix payé ou à payer » en cas de vente de marchandises pour exportation au Canada, comme signifiant « la somme de tous les versements effectués ou à effectuer par l'acheteur directement ou indirectement au vendeur ou à son profit, en paiement des marchandises. »

Le Tribunal est d'avis que, aux fins de l'entente de commission d'achat en cause, 621 South ne peut être distinguée de la personne, M. Krasnow, puisque c'est ce dernier qui agit en qualité de fournisseur des services pour lesquels 621 South est payée. Le Tribunal remarque également les éléments de preuve non contestés qui ont été produits à l'audience et qui indiquent que M. Krasnow est copropriétaire de Krasnow Enterprises Ltd. et propriétaire en exclusivité de 621 South mais que, ce lien mis à part, il s'agit de deux sociétés non liées.

Bien qu'un document au dossier, daté du 29 mai 2000, donne à Browns la directive de verser la commission prévue dans l'entente conclue entre Browns et 621 South à « Krasnow Enterprises »11 , le Tribunal accueille le témoignage produit à l'audience12 selon lequel ladite commission est versée à 621 South. D'une façon similaire, même si les commandes d'achat au dossier portent l'indication « KRASNOW ENTREPRISES LTD. » à la rubrique « FOURNISSEUR/VENDOR »13 , le Tribunal accueille les éléments de preuve produits à l'audience selon lesquels Browns achète les chaussures Aquatalia directement aux diverses usines italiennes qui, de temps à autre, fabriquent ces produits14 . MM. Klar et Krasnow ont expliqué, à la satisfaction du Tribunal, que ce qui précède a découlé du caractère singulier du lien établi entre Browns et 621 South par M. Krasnow. En réalité, le Tribunal accueille l'affirmation selon laquelle Browns n'a pas conclu d'autres ententes de commission d'achat que l'entente en cause, et que M. Krasnow, par l'intermédiaire de 621 South, a dévié de sa structure commerciale habituelle pour satisfaire aux exigences de marges de Browns.

Le Tribunal admet aussi qu'un tel arrangement est avantageux à la fois pour Browns, pour 621 South et, au bout du compte, pour M. Krasnow; d'une part, Browns peut avoir accès aux chaussures qu'elle veut obtenir, à bon prix, et gérer cette partie de ses activités d'approvisionnement à l'étranger; d'autre part, les produits portant la marque de commerce « Aquatalia by Marvin K. » profitent du cachet haut de gamme que lui confère l'accès aux boutiques de détail Browns et d'une compensation sous forme de commission d'achat. Le Tribunal n'est donc pas convaincu que 621 South/M. Krasnow exerce quelque « contrôle » que ce soit sur son lien avec Browns.

Plutôt, c'est Browns qui exerce le contrôle sur ce lien. En réalité, c'est Browns, et non 621 South/M. Krasnow, qui choisit les articles spécifiques de chaussures qu'elle veut (et seulement ces articles), qui peuvent être précisément produits selon ses exigences, y compris des points de vue de la mode et du prix; M. Krasnow reçoit les directives de Browns relativement au traitement des questions de contrôle de la qualité et de la logistique; en dernière analyse, Browns a obtenu l'accès contrôlé sur ce qui équivaut à ses propres chaussures Aquatalia faites sur mesure, sans verser de redevances.

De plus, aucun élément de preuve n'indique que Browns soit mécontente de l'un quelconque des fabricants choisis par M. Krasnow ou que Browns ait cédé quelque contrôle que ce soit dans ce domaine. Au contraire, la question du caractère satisfaisant des fabricants ne semble pas avoir suscité de litige et le Tribunal, à la lumière des éléments de preuve, incline à croire que la participation de Browns à un lien d'achat direct avec les divers fabricants15 dont les services sont retenus de temps à autre, équivaut à donner son consentement à de telles décisions de fabrication, sinon son approbation tacite. À cet égard, le Tribunal remarque qu'il a reçu amplement d'éléments de preuve que des problèmes associés à certains fabricants particuliers, y compris relativement aux questions de contrôle de la qualité ou de logistique, sont réglés par M. Krasnow, selon les directives de Browns. De ce fait, le Tribunal est d'avis que, si un fabricant particulier devait se révéler insatisfaisant, Browns demanderait à M. Krasnow de trouver une solution durable ou de déplacer la production touchée vers un fabricant qui répond à ses besoins.

Le Tribunal remarque l'absence d'éléments de preuve de l'existence d'un lien de propriété entre l'une quelconque des usines qui fabriquent les chaussures Aquatalia et 621 South ou une autre entité parmi Krasnow Enterprises Ltd., Krasnow Enterprises Inc. et M. Krasnow lui-même, et l'absence d'éléments de preuve de quelque paiement versé par de tels fabricants à l'une ou l'autre des entités susmentionnées. Le Tribunal accueille aussi l'affirmation selon laquelle Browns savait que les activités de M. Krasnow incluaient l'achat, l'importation, la distribution et la vente de chaussures Aquatalia à d'autres fins qu'aux fins prévues dans le lien entre ce dernier et Browns.

Par conséquent, le Tribunal conclut à l'absence de preuve d'un conflit d'intérêts, et il n'a pas lieu de croire que le lien entre Browns et 621 South/M. Krasnow est fictif. En réalité, le Tribunal conclut que rien n'indique que l'une ou l'autre des parties se soit écartée des exigences du droit en matière de mandat, reformulé par la Cour suprême du Canada dans Kelly.

Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal est d'avis que la commission du mandataire d'achat est un paiement légitime en contrepartie des services d'un mandataire d'achat à l'étranger et est donc visée par l'exception prévue au sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi. Par conséquent, l'appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . [1999] 3 R.C.S. 622 (C.S.C.) aux pp. 644-645 [Shell Canada].

3 . [1992] 2 R.C.S. 170 aux pp. 183-184 [Kelly].

4 . (1er novembre 1995), AP-94-190 et AP-94-191 (TCCE).

5 . (27 juillet 2000), AP-98-002 (TCCE).

6 . (7 mars 2001), A-28-00 (C.A.F.) au para. 8 : « Le dossier ne contient aucun élément de preuve établissant que Fabco, à certains égards, aurait négligé d'agir dans l'intérêt de Corporation Utex en lui fournissant des services, mais, même si c'était le cas, ce fait ne suffirait pas en soi à prouver que les honoraires versés à Fabco ne sont pas visés par l'exception prévue au sous-alinéa 48(5)a)(i) de la Loi à titre d'honoraires versés au mandataire de l'acheteur à l'étranger à l'occasion de la vente. »

7 . (1994), 169 N.R. 321 (C.A.F.) [Signature Plaza].

8 . (16 février 1995), AP-94-035, AP-94-042 et AP-94-165 (TCCE).

9 . Mémoire de l'intimé, onglet 10.

10 . [1998] 2 R.C.S. 298 (C.S.C.) à la p. 304.

11 . Mémoire de l'intimé, onglet 7 à la p. 2.

12 . Transcription de l'audience publique, 29 avril 2003 à la p. 13.

13 . Mémoire de l'intimé, onglets 14, 15.

14 . Ibid., onglets 7, 15.

15 . Ibid.