LES ENTREPRISES O. DUBÉ ENR. ET 3669602 CANADA INC.

Décisions


LES ENTREPRISES O. DUBÉ ENR. ET 3669602 CANADA INC.
c.
MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appels nos AP-2005-022 et AP-2005-023

Décision et motifs rendus
le mercredi 21 mars 2007


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À des appels entendus le 24 octobre 2006, en vertu de l’article 81.19 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le ministre du Revenu national les 15 et 16 juin 2005 concernant des avis d’opposition signifiés en vertu de l’article 81.17 de la Loi sur la taxe d’accise.

ENTRE

 

LES ENTREPRISES O. DUBÉ ENR. ET 3669602 CANADA INC.

Appelantes

ET

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

DÉCISION

Les appels sont rejetés.

Elaine Feldman
Elaine Feldman
Membre présidant

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 24 octobre 2006

   

Membres du Tribunal :

Elaine Feldman, membre présidant

 

Pierre Gosselin, membre

 

Meriel V. M. Bradford, membre

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Eric Wildhaber

   

Agent du greffe :

Valérie Cannavino

   

Parties :

Virginie Massé, pour les appelantes

 

Pierre-Paul Trottier et Philippe Lacasse, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Les présents appels sont interjetés aux termes de l’article 81.19 de la Loi sur la taxe d’accise 1 à l’égard de décisions rendues par le ministre du Revenu national (le ministre) les 15 et 16 juin 2005 concernant des oppositions à des décisions rendues par le ministre aux termes de l’article 81.17 de la Loi.

2. La question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si Les Entreprises O. Dubé Enr. (Dubé) et 3669602 Canada Inc. (3669602 Canada) ont droit au remboursement de la taxe d’accise payée sur la partie du combustible diesel acheté au Canada et transporté à l’extérieur du Canada dans le réservoir à combustible d’un véhicule, mais consommé aux États-Unis. La demande de Dubé visait la période du 1er janvier 2001 au 1er janvier 2003. La demande de 3699602 Canada visait la période du 1er octobre 2001 au 1er janvier 2003.

3. Les présents appels font partie d’une série d’appels interjetés aux termes de la Loi à la suite de la décision du gouvernement de réagir par une mesure législative à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Penner International Inc. c. Canada 2 .

4. À la suite de la décision rendue dans Penner, le gouvernement a annoncé, dans le budget fédéral du 18 février 2003, son intention de modifier la partie VII de la Loi pour préciser que le combustible diesel transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible d’un véhicule ne constitue pas une exportation et ne donne pas droit à un remboursement de la taxe à payer sur ce combustible. Il a également annoncé que la modification s’appliquerait à toute demande de paiement reçue par l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) (maintenant l’Agence du revenu du Canada) après le 17 février 2003.

5. Le projet de loi C-28, la Loi d’exécution du budget de 2003 3 , a été sanctionné le 19 juin 2003.

6. L’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003 prévoit ce qui suit :

63.(1) Section 68.1 of the Act is amended by adding the following after subsection (2):

63.(1) L’article 68.1 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (2), de ce qui suit :

(3) For greater certainty, no amount is payable to a person under subsection (1) in respect of tax paid on gasoline or diesel fuel transported out of Canada in the fuel tank of the vehicle that is used for that transportation.

(3) Il est entendu qu’aucun montant n’est à payer à une personne aux termes du paragraphe (1) au titre de la taxe payée sur l’essence ou le combustible diesel qui est transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible du véhicule qui sert à ce transport.

(2) Subsection (1) applies in respect of any application for a payment under section 68.1 of the Act received by the Minister of National Revenue after February 17, 2003.

(2) Le paragraphe (1) s’applique à toute demande de paiement, prévue à l’article 68.1 de la même loi, reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003.

7. Dubé et 3669602 Canada ont présenté au ministre leur demande de remboursement respective par courrier recommandé, le 17 février 2003. Le ministre a reçu la demande de remboursement de Dubé au Centre fiscal de l’ADRC, à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), le 26 février 2003. Le ministre a reçu la demande de 3669602 Canada au même centre le 27 février 2003. Aucune des parties n’a contesté ces faits.

8. Sur consentement des parties, le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces en vertu des articles 25, 25.1 et 36.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 4 . Un avis à cet effet a été publié dans la Gazette du Canada du 16 septembre 20065 . Le Tribunal a invité Dubé et 3669602 Canada à déposer un mémoire en réponse au plus tard le 24 septembre 2006; le Tribunal n’a pas reçu de tel mémoire.

ANALYSE

9. Le ministre a soutenu que les demandes de remboursement n’ont pas été déposées dans le délai prescrit parce qu’il les a reçues après le 17 février 2003. Dubé et 3669602 Canada ont présenté plusieurs arguments en faveur de l’acceptation de leur demande de remboursement. Aucun de leurs arguments n’a convaincu le Tribunal.

10. Premièrement, le Tribunal a examiné l’affirmation de Dubé et 3669602 Canada selon laquelle ces dernières avaient acquis un droit au remboursement de la taxe d’accise avant le 18 février 2003. Le Tribunal conclut que tel n’était pas le cas. En vérité, comme il l’a déclaré dans plusieurs affaires6 concernant de telles demandes de remboursement présentées le ou vers le 18 février 2003, au moment du dépôt au Parlement du projet de loi C-28, le Tribunal rappelle que le gouvernement avait déclaré, à ce moment, son intention d’appliquer la modification de la Loi rétroactivement comme l’énonçait Le plan budgétaire de 2003 7  :

Le budget propose de modifier la partie VII de la Loi sur la taxe d’accise pour préciser que le carburant contenu dans le réservoir d’un véhicule dont l’automobile franchit la frontière n’est pas exporté et qu’aucun remboursement de la taxe d’accise n’est payable relativement à ce carburant. Il est proposé que cette modification s’applique aux demandes de remboursement reçues par l’Agence des douanes et du revenu du Canada le 18 février 2003 ou postérieurement8 .

11. La Loi d’exécution du budget de 2003, entrée en vigueur le 19 juin 2003, a modifié l’article 68.1 de la Loi et explicitement énoncé que la modification s’appliquait « [...] à toute demande de paiement, prévue à l’article 68.1 de la même loi, reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003 » [soulignement ajouté]. La loi n’est pas ambiguë. L’intention du législateur était qu’elle ait un effet rétroactif à la date de l’annonce du budget et modifie les attentes visant l’obtention d’un remboursement si la demande était reçue par le ministre après le 17 février 2003. Le Tribunal souligne que l’application d’une loi fiscale avec effet rétroactif à la date de son annonce n’est pas inhabituelle.

12. Deuxièmement, le Tribunal a examiné les arguments avancés par Dubé et 3669602 Canada concernant l’importance du moment de leur dépôt à la poste de leur demande de remboursement. Dubé et 3669602 Canada ont soutenu que leur demande de remboursement avait été présentée dans les délais prescrits parce qu’elle avait été envoyée au ministre par le service de courrier recommandé de Postes Canada, le 17 février 2003, et parce que, à leur avis, la Société canadienne des postes doit valablement être considérée comme mandataire du ministre.

13. De l’avis du Tribunal, l’expression « [...] reçue par le ministre du Revenu national [...] » au paragraphe 63(2) de la Loi d’exécution du budget de 2003 est claire et doit être interprétée d’après le sens ordinaire des termes utilisés. Le Tribunal est d’avis que cette expression ne peut être interprétée comme incluant le moment où la demande de remboursement est postée au ministre. En vérité, le mot « reçue » est clair et non ambigu et doit être interprété selon son sens courant9 , qui ne correspond pas au moment où quelque chose est posté. La Loi d’exécution du budget de 2003 est également claire dans son libellé en anglais et dans son libellé en français. De l’avis du Tribunal, en français, « reçu » ne peut être considéré comme un synonyme de « posté ». D’une façon similaire, en anglais, le mot « received » (« reçu ») ne peut être considéré comme synonyme de « mailing » (« posté »). En vérité, lorsque le Parlement veut accepter la date où quelque chose est « posté » et « [...] la date [d’un] cachet en faisant foi [...] » comme preuve du moment où quelque chose se produit (comme la réception d’une « déclaration »), il l’énonce expressément, comme il l’a fait en particulier dans la Loi d’exécution du budget de 2003, au moment de l’adoption d’une autre modification de la Loi. Plus précisément, l’article 102 de la Loi d’exécution du budget de 2003 prévoit ce qui suit :

102.(1) Section 79.2 of the [Excise Tax] Act is replaced by the following:

102.(1) L’article 79.2 de la même loi [la Loi sur la taxe d’accise] est remplacé par ce qui suit :

79.2(1) If a person who is required under this Act to file a return with the Minister does so by mailing the return, the return is deemed to have been filed with the Minister on the day on which the return was mailed and the date of the postmark is evidence of that day.

79.2(1) Pour l’application de la présente loi, lors de la production par la poste d’une déclaration, cette dernière est réputée produite le jour où elle a été postée, la date du cachet en faisant foi.

(2) A person who is required under this Act to pay or remit an amount to the Receiver General shall not be considered as having paid or remitted the amount until it is received by the Receiver General.

(2) Pour l’application de la présente loi, une somme n’est considérée payée ou remise que lors de sa réception par le receveur général.

(2) Subsection (1) comes into force or is deemed to have come into force on July 1, 2003.

(2) Le paragraphe (1) entre en vigueur ou est réputé être entré en vigueur le 1er juillet 2003.

14. En fait, le Tribunal fait observer que les paragraphes 79.2 (1) et 79.2(2) de la Loi d’exécution du budget de 2003 donne des exemples différents de cas où la date à laquelle une chose est postée est réputé être la date de sa réception et de cas où elle ne l’est pas. En fait, aux termes du paragraphe 79.2(1), une « déclaration » est réputée produite le jour où elle a été postée (la date à laquelle « une déclaration » est réputée avoir été reçue par le ministre), tandis que le paragraphe 79.2(2) prévoit qu’une somme n’est considérée payée ou remise que lors de sa « [...] réception par le receveur général [...] » (c.-à-d. lorsque quelqu’un doit payer une somme au receveur général, la production par la poste n’est pas anticipée mais, plutôt, la somme n’est considérée payée ou remise qu’au moment même de sa réception réelle). De ce fait, la Loi prévoit expressément que la date de la mise à la poste est considérée comme une circonstance où une déclaration est réputée « produite » (d’autres circonstances étant lorsque la déclaration est réellement remise à un représentant du ministère ou au ministre lui-même). Toutefois, l’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003 ne fait aucunement mention du jour où une demande est postée ou de la date du cachet en faisant foi. Par conséquent, le Tribunal conclut que la seule circonstance considérée par le Parlement quant aux demandes de remboursement en question est leur date de réception réelle par le Ministre soit au plus tard le 17 février 2003. Le Tribunal fait de surcroît observer que, pour les raisons susmentionnées concernant la différence entre « reçue » et « produite », le législateur ne considère manifestement pas Postes Canada comme mandataire du ministre. Si tel avait été le cas, le Parlement n’aurait pas eu besoin de préciser la différence entre la date de réception par le ministre et la date de production par la poste d’une déclaration.

15. De plus, Dubé et 3669602 Canada ont soutenu que l’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003 donne lieu à certaines injustices. Le Tribunal a déclaré, à plusieurs reprises, qu’il n’a pas compétence pour accorder un redressement fondé sur l’équité10 . Il est tenu de respecter les délais réglementaires même, par exemple, dans les cas où la modification fiscale n’a pas fait l’objet d’un avis préalable11 . Le Tribunal ne peut statuer que dans le cadre du mandat que lui confère expressément sa loi habilitante.

16. Enfin, le Tribunal a pris connaissance d’office de la décision rendue par la Cour fédérale dans Transport Ronado Inc. c. Sa Majesté la Reine 12 , où ont été soulevées des questions similaires, sinon identiques, aux questions soulevées dans le cadre des présents appels.

17. Par conséquent, le Tribunal conclut que les demandes de remboursement en cause ont été reçues les 26 et 27 février 2003, conformément aux politiques habituelles de réception du courrier en vigueur à l’ADRC, et ont donc été reçues par le ministre après le 17 février 2003.

DÉCISION

18. Pour les motifs qui précèdent, les appels sont rejetés.


1 . L.R.C. 1985, c. E-15 [Loi].

2 . [2003] 2 C.F. 581 (C.A.) [Penner].

3 . L.C. 2003, c. 15.

4 . D.O.R.S./91-499.

5 . Gaz. C. 2006.I.2720.

6 . Voir, notamment, Holste Transport Limited c. M.R.N. (14 juillet 2006), AP-2004-001 (TCCE); 2544-7343 Québec Inc. c. M.R.N. (10 mai 2006), AP-2005-001(TCCE); 2758-4747 Québec Inc. c. M.R.N. (10 mai 2006), AP-2005-002 (TCCE); Les Opérations JTC (Richelieu) Inc. c. M.R.N. (10 mai 2006) AP-2005-003 et AP-2005-004 (TCCE); Transport Gilles Perreault Inc. c. M.R.N. (28 mars 2006) AP-2004-051 (TCCE).

7 . Ministère des Finances, Le plan budgétaire de 2003 (Ottawa, Canada, 2003).

8 . Ibid. à la p. 385.

9 . Voir, par exemple, Le nouveau Petit Robert, 2007, s.v. « recevoir » : « Être mis en possession de (qqch.) par un envoi, un don, un paiement, etc. ». Voir aussi Oxford Concise Dictionary, 9e éd., s.v. « receive »: « take or accept (something offered or given) into one’s hands or possession ». Voir aussi Dictionnaire de droit québécois et canadien, 2e éd., s.v. « réception » : « Action ou fait de recevoir un objet, un document, une communication ».

10 . Voir, par exemple, Walbern Agri-Systems Ltd. c. M.R.N. (21 décembre 1989), AP 3000 (TCCE); Peniston Interiors (1980) Inc. c. M.R.N. (22 juillet 1991), AP-89-225 (TCCE); Sturdy Truck Body (1972) Limited c. M.R.N. (23 juin 1989), 2979 (TCCE); A.G. Green Co. Limited c. M.R.N. (9 août 1990), AP-89-134 (TCCE).

11 . Aerotec Sales and Leasing Ltd. c. M.R.N. (25 janvier 1996), AP-94-114 (TCCE); Power’s Produce Ltd. c. M.R.N. (1er février 1993), AP-90-011 (TCCE).

12 . 2007 CF 166.