FERRAGAMO U.S.A. INC.

Décisions


FERRAGAMO U.S.A. INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2005-053

Décision et motifs rendus
le vendredi 2 mars 2007


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 20 septembre 2006, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, le 28 décembre 2005, concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

FERRAGAMO U.S.A. INC.

Appelante

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre présidant

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre

Serge Fréchette
Serge Fréchette
Membre

Susanne Grimes
Susanne Grimes
Secrétaire intérimaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 20 septembre 2006

   

Membres du Tribunal :

Pierre Gosselin, membre présidant

 

James A. Ogilvy, membre

 

Serge Fréchette, membre

   

Gestionnaire de la recherche :

Paul R. Berlinguette

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Eric Wildhaber

   

Agent du greffe :

Valérie Cannavino

   

Ont comparu :

Michael Kaylor, pour l’appelante

 

Alexandre Kaufman, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), le 28 décembre 2005, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer la valeur en douane des marchandises importées par Ferragamo U.S.A. Inc. (FUSA), un importateur non résident. Plus particulièrement, la question en litige consiste à déterminer si l’ASFC a commis une erreur lorsqu’elle a décidé que FUSA ne répondait pas à la définition de « acheteur au Canada » au sens du sous-alinéa 2.1c)(ii) du Règlement sur la détermination de la valeur en douane 2 . L’ASFC a déterminé que la vente pertinente aux fins de l’évaluation était la vente entre FUSA et Ferragamo Canada (FC), plutôt que la vente entre FUSA et son fournisseur étranger. Les marchandises en cause sont des chaussures et des vêtements importés surtout en provenance de Salvatore Ferragamo Italy (SFI).

3. En vertu de la Loi, il faut attribuer une valeur aux marchandises importées au Canada pour déterminer les droits de douane. Le paragraphe 47(1) de la Loi prévoit que la valeur en douane des marchandises est déterminée d’après leur valeur transactionnelle. Le paragraphe 48(1) ajoute que la valeur en douane des marchandises est la valeur transactionnelle des marchandises si le prix payé ou à payer est déterminable et si elles sont vendues pour exportation au Canada à un « acheteur au Canada ». Le paragraphe 45(1) prévoit que l’expression « acheteur au Canada » s’entend au sens du Règlement. L’article 2.1 du Règlement prévoit ce qui suit :

2.1 For the purposes of subsection 45(1) of the Act, “purchaser in Canada” means

(a) a resident;

(b) a person who is not a resident but who has a permanent establishment in Canada; or

(c) a person who neither is a resident nor has a permanent establishment in Canada, and who imports the goods, for which the value for duty is being determined,

(i) for consumption, use or enjoyment by the person in Canada, but not for sale, or

(ii) for sale by the person in Canada, if, before the purchase of the goods, the person has not entered into an agreement to sell the goods to a resident.

2.1 Pour l’application du paragraphe 45(1) de la Loi, « acheteur au Canada » s’entend :

a) d’un résident;

b) d’une personne, autre qu’un résident, qui a un établissement stable au Canada;

c) d’une personne, autre qu’un résident, qui n’a pas d’établissement stable au Canada et qui importe les marchandises faisant l’objet de la détermination de la valeur en douane :

(i) pour sa consommation ou son utilisation personnelles et qui ne les destinent pas à la vente,

(ii) pour les vendre au Canada pourvu que, avant leur achat, elle n’ait pas passé un accord visant leur vente à un résident.

4. L’article 2 du Règlement définit « résident » aux fins de la définition ci-dessus comme il suit :

“resident” means

(a) an individual who ordinarily resides in Canada;

(b) a corporation that carries on business in Canada and of which the management and control is in Canada; and

(c) a partnership or other unincorporated organization that carries on business in Canada, if the member that has the management and control of the partnership or organization, or a majority of such members, resides in Canada.

« résident »

a) une personne physique qui réside habituellement au Canada;

b) une personne morale qui exerce son activité au Canada et dont la gestion et le contrôle s’exercent au Canada;

c) une société de personnes ou autre organisme non constitué en personne morale qui exerce son activité au Canada, si le membre ou la majorité des membres qui en exercent la gestion et le contrôle résident au Canada.

5. Le 28 décembre 2005, l’ASFC a déterminé que FUSA ne répondait pas à la définition d’« acheteur au Canada » au sens du sous-alinéa 2.1c)(ii) du Règlement car FUSA avait passé un accord visant la vente des marchandises en cause à un résident du Canada — à savoir FC — avant leur achat auprès de ses fournisseurs à l’étranger. D’après l’ASFC, les marchandises en cause ont donc été vendues pour exportation au Canada à un acheteur au Canada, et la valeur en douane doit être fondée sur le prix des marchandises vendues à FC par FUSA, et non pas sur le prix des marchandises vendues à FUSA par les fournisseurs à l’étranger. FUSA a interjeté appel auprès du Tribunal le 21 mars 2006.

6. Mme Elizabeth Dowling, gestionnaire, Conformité en douane, chez FUSA, et M. Frank Torrent, contrôleur général chez FUSA, ont tous deux témoigné en faveur de FUSA. L’ASFC n’a pas convoqué de témoins. Mme Dowling et M. Torrent ont témoigné au sujet des faits invoqués par FUSA pour défendre sa cause, et dont les éléments pertinents font l’objet d’un examen ci-après.

PLAIDOIRIE

7. FUSA a soutenu que FC est une entité incorporée séparément qui exerce les activités quotidiennes d’un magasin de détail de Ferragamo à Vancouver (Colombie-Britannique), mais que la gestion et le contrôle des opérations de FC relèvent de FUSA. À cet égard, FUSA a dit prendre toutes les décisions importantes qui ont une incidence sur les opérations de FC. Bien que FC puisse avoir une légère influence quant aux marchandises devant être achetées, c’est FUSA qui, en bout de ligne, décide. D’après FUSA, si la gestion et le contrôle de FC s’exercent à l’étranger plutôt qu’au Canada, alors FC n’est pas un « résident » au sens du Règlement, et il serait donc incorrect de dire que FUSA a passé un accord visant la vente des marchandises en cause à un « résident ». FUSA a allégué qu’elle avait passé un accord visant la vente des marchandises en cause à une autre personne qu’un « résident ». FUSA a ajouté qu’elle-même, et non pas FC, était l’« acheteur au Canada » au sens du Règlement. En effet, FUSA a déclaré que, puisqu’il y a eu vente des marchandises en cause pour exportation directement au Canada, de SFI à FUSA, FUSA a effectivement été l’« acheteur au Canada ». D’après FUSA, toutes les conditions énoncées à l’article 48 de la Loi étaient réunies, et la valeur en douane aurait donc dû être fondée sur le prix de vente demandé par SFI à FUSA.

8. FUSA a également soutenu que, pour qu’on ait pu se servir de la valeur transactionnelle, c.-à-d. le prix payé ou à payer par FC à FUSA, il aurait fallu qu’il y ait eu vente pour exportation au Canada en provenance d’un vendeur qui exportait les marchandises en cause à un « acheteur au Canada ». À cet égard, FUSA a soutenu qu’il n’y avait pas eu de vente pour exportation au Canada entre FUSA et FC car il n’y avait eu qu’un « accord visant la vente » de ces marchandises avant leur livraison à FC et que FC était une société non résidente. D’après FUSA, la responsabilité juridique et/ou les titres relatifs aux marchandises en cause, ou à leur propriété, sont demeurés ceux de FUSA jusqu’au moment de la livraison des marchandises à FC3 . À l’appui de sa position, FUSA a renvoyé à la décision que le Tribunal a rendue dans Cherry Stix Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada 4 et a soutenu que, lorsqu’il y a vente, il y a immédiatement transfert des titres relatifs aux marchandises, ou de leur propriété, du vendeur à l’acheteur, tandis que dans le cas d’un « accord visant la vente », le transfert des titres relatifs aux marchandises, ou de leur propriété, est soit reporté à un moment précis dans l’avenir ou assujetti à l’exécution d’un certain nombre de conditions. Par conséquent, au moment où FUSA a placé sa commande visant les marchandises en cause auprès de SFI, et pendant le transport de ces marchandises d’Italie directement au Canada, FUSA était la seule propriétaire légale desdites marchandises. En effet, FUSA est demeurée propriétaire des marchandises jusqu’à ce qu’elle les vende à FC, et cette transaction a eu lieu au Canada.

9. FUSA a soutenu que l’article 48 de la Loi ne s’appliquait pas en l’espèce car il n’y a pas eu vente pour exportation au Canada à un « acheteur au Canada » entre FUSA et FC, mais que ces deux sociétés ont plutôt passé « un accord visant la vente » des marchandises une fois qu’elles seraient rendues au Canada. FUSA a soutenu que la définition juridique du mot « vente » est bien établie et qu’en l’absence de définition expresse de ce mot dans la Loi, reflétant, par exemple, la définition particulière de ce mot que donne la Loi sur les mesures spéciales d’importation 5 , le Tribunal doit s’inspirer de la jurisprudence6 . En outre, FUSA a soutenu que les paragraphes 2 et 3 du mémorandum D13-4-27 , qui définissent le mot « vente » comme incluant tout « accord visant la vente », se trouvent dans la partie de ce mémorandum portant sur les lignes directrices et n’ont aucun caractère juridique. FUSA a soutenu que de tels avis consultatifs n’ont pas force de loi et que la jurisprudence établit clairement qu’il n’est pas permis d’appliquer de tels avis ou pratiques administratives aux fins de l’interprétation des lois lorsque celles-ci sont très claires. Dans de telles circonstances, d’après FUSA, le prix qui devait être payé par FC à FUSA ne peut servir de base d’appréciation, conformément à l’article 48, de la valeur en douane des marchandises importées par FUSA et que la méthode fondée sur la valeur de référence ou la méthode fondée sur la valeur reconstituée sont les méthodes valables pour déterminer la valeur en douane des marchandises en cause.

10. L’ASFC a soutenu que l’existence d’un contrat de vente entre FUSA et FC ne fait aucun doute, puisqu’il existe un accord entre ces deux sociétés qui établit expressément toutes les modalités, y compris les numéros de modèle, le prix et la quantité associés aux marchandises achetées. À l’appui de sa position, l’ASFC a renvoyé à la définition de l’expression « contract of sale » (contrat de vente) donnée dans la Sale of Goods Act de la Colombie-Britannique, qui inclut « agreement to sell » (accord visant la vente) dans la définition du mot « sale » (vente). Dans ce contexte, l’ASFC a soutenu que le fait qu’il existe une vente ou un « accord visant la vente » des marchandises en cause n’est pas pertinent car il y a eu vente selon la Sale of Goods Act de la Colombie-Britannique.

11. L’ASFC a soutenu que l’article 48 de la Loi prévoit que « [...] la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si elles sont vendues pour exportation au Canada à un acheteur au Canada [...] ». D’après l’ASFC, il n’est pas pertinent de considérer s’il y a véritablement transfert de la propriété des marchandises lorsqu’elles arrivent au Canada; tout ce qui importe, c’est l’existence d’un vendeur et d’un acheteur au Canada qui ont convenu des modalités. D’après l’ASFC, dans de telles circonstances, il y a vente. À cet égard, l’ASFC a renvoyé à Cherry Stix où, avant même le transfert de la propriété, le mot « vendu » renvoyait à une entente théorique selon laquelle, tôt ou tard, les marchandises seraient reçues. De plus, l’ASFC a soutenu ne connaître aucun précédent traitant de la question de savoir si le mot « vendu » englobe « une vente ». L’ASFC a soutenu que le mot « vendu » englobe « une vente » et un « accord visant la vente ».

12. L’ASFC a soutenu que FC est un « acheteur au Canada » au sens de l’alinéa 2.1b) du Règlement car, à tout le moins, elle a un « établissement stable » au Canada. Par conséquent, la valeur en douane devrait être fondée sur la valeur de la transaction entre FUSA et FC, et non celle de la transaction entre FUSA et son fournisseur à l’étranger. En outre, puisqu’elle a passé un accord visant la vente des marchandises à FC, FUSA ne devrait pas être reconnue comme ayant la qualité d’« acheteur au Canada » au sens de l’alinéa 2.1c), et l’appel devrait donc être rejeté.

13. De plus, l’ASFC a soutenu que FC répondait au critère de la définition de « résident » parce qu’elle exerçait une activité au Canada et que, contrairement aux allégations de FUSA, FC gérait et contrôlait ses activités. À cet égard, l’ASFC a soutenu ce qui suit :

• FUSA et FC agissent en indépendance l’une de l’autre;

• FC détient son propre compte bancaire;

• FC détient un bail relativement aux installations qu’elle occupe;

• FC prépare ses propres déclarations de revenus;

• FC est représentée par ses propres comptables et avocats;

• FC achète, notamment, les appareils nécessaires à son commerce de détail.

De plus, l’ASFC a soutenu que le personnel de gestion de FC assume la responsabilité de toutes les fonctions de son magasin de détail, par exemple dans le choix des marchandises, la détermination des quantités, la réception des marchandises et la disposition des étalages, et assume également la responsabilité de l’embauche, de la formation ou du renvoi des employés ainsi que celle du service à la clientèle. D’après l’ASFC, FUSA ne participe aucunement à ces volets de l’activité. L’ASFC a ajouté que FC a un pouvoir de signature jusqu’à concurrence de 50 000 $US relativement aux dépenses nécessaires, ce qui indique qu’elle gère et contrôle ses propres affaires.

ANALYSE

14. L’appel de FUSA oblige le Tribunal à répondre aux questions suivantes : 1) Quelle transaction constitue une « vente pour exportation » au Canada (le cas échéant)? 2) Qui est « l’acheteur au Canada »? 3) FC est-elle un « résident »?

Quelle transaction constitue une « vente pour exportation » au Canada?

15. Comme il a déjà été souligné, l’article 48 de la Loi prévoit que la valeur en douane des marchandises est leur valeur transactionnelle si, notamment, elles sont vendues pour exportation au Canada à un « acheteur au Canada ». Dans le cadre du présent appel, il ressort des éléments de preuve qu’il y a eu deux transactions distinctes, à savoir une première transaction entre SFI et FUSA suivie d’une deuxième transaction entre FUSA et FC. Le Tribunal doit déterminer laquelle de ces transactions est la vente pour exportation. À l’étude des faits en l’espèce et compte tenu de la jurisprudence pertinente, le Tribunal est d’avis que la transaction entre SFI et FUSA constitue la vente pour exportation. À cet égard, le Tribunal fait observer la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc.8 , qui prévoit ce qui suit :

[...]

Aux fins de détermination de la valeur en douane de marchandises pour l’application de l’art. 48 de la Loi sur les douanes, la vente pour exportation pertinente est celle qui a pour effet de transférer à l’importateur le titre relatif aux marchandises. L’importateur est la partie qui détient ce titre au moment où les marchandises sont introduites au Canada. L’importateur peut être l’intermédiaire ou l’acheteur final, selon l’identité de la partie qui importe les marchandises au pays. Pour déterminer si une vente est faite pour exportation, le lieu de résidence de l’acheteur ou de la partie qui transporte les marchandises est sans importance9 .

[...]

16. Dans Mattel, la Cour suprême du Canada a aussi déclaré ce qui suit :

Pour qu’il y ait vente de marchandises pour exportation, il faut évidemment une personne qui exporte. Et un exportateur suppose un importateur. Autrement dit, une vente de marchandises pour exportation ne peut pas exister sans un achat correspondant, effectué aux fins d’importation10 .

17. Il ressort des éléments de preuve que FUSA a reçu de SFI les titres légaux relatifs aux marchandises en cause au moment où les marchandises étaient en Italie. Les marchandises ont ensuite été exportées directement d’Italie au Canada, arrivant à Vancouver alors qu’elles étaient encore la propriété de FUSA. Durant le transport des marchandises, FUSA en a assumé la couverture d’assurances. Avant leur importation au Canada, les marchandises en cause ne sont pas entrées dans le circuit commercial d’aucun autre pays, et le titre relatif aux marchandises n’a pas été transféré à une autre personne. Une fois les marchandises au Canada, FUSA a payé les droits applicables par l’intermédiaire de son courtier. Après leur dédouanement, FUSA a facturé les marchandises à FC, après leur livraison à l’établissement commercial de FC à Vancouver. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la vente entre SFI et FUSA est la vente pour exportation au Canada et que FUSA est l’importateur, puisqu’elle détenait les titres relatifs aux marchandises lorsqu’elles ont été introduites au Canada.

Qui est « l’acheteur au Canada »?

18. Un autre élément nécessaire pour fonder la valeur en douane des marchandises en cause sur la valeur de la transaction entre SFI et FUSA est que FUSA doit être un « acheteur au Canada ». Comme il a déjà été souligné, l’article 2.1 du Règlement donne diverses définitions du mot « acheteur au Canada ». FUSA a dit ne pas être un « résident » et ne pas avoir d’« établissement stable » au Canada.

19. Le Tribunal est d’accord avec FUSA sur le fait qu’elle n’est pas un « résident » au sens de l’article 2 du Règlement et qu’elle n’est donc pas un « acheteur au Canada » au sens de l’alinéa 2.1a). Le Tribunal est également d’avis que FUSA n’a pas d’« établissement stable » au Canada et n’est donc pas un « acheteur au Canada » au sens du paragraphe 2.1b). La question à trancher devient donc celle de savoir si FUSA répond à la définition d’« acheteur au Canada » en vertu de l’alinéa 2.1c), qui définit aussi un « acheteur au Canada » comme « [...] une personne, autre qu’un résident, qui n’a pas d’établissement stable au Canada et qui importe les marchandises faisant l’objet de la détermination de la valeur en douane [...] pour les vendre au Canada pourvu que, avant leur achat, elle n’ait pas passé un accord visant leur vente à un résident ».

20. D’après les éléments de preuve, dans toutes ses importations, FUSA s’était préalablement engagée à vendre les marchandises à FC après leur dédouanement et dès leur livraison à cette dernière. Il faut donc étudier la question de savoir si FC est un résident.

FC est-elle un résident?

21. FUSA prétend que, même si elle a convenu de vendre les marchandises en cause à FC après leur entrée au Canada, cette dernière ne répond pas à la définition de « résident » au sens de l’alinéa 2b) du Règlement, c.-à-d. « une personne morale qui exerce son activité au Canada et dont la gestion et le contrôle s’exercent au Canada » [soulignement ajouté]. Selon FUSA, FC a donc qualité d’« acheteur au Canada ». À ce sujet, FUSA a déclaré que, bien que FC assume les fonctions quotidiennes de gestion du magasin de détail à Vancouver et exerce donc une activité11 au Canada, toutes les décisions importantes sont prises par FUSA, la société mère de FC.

22. Le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve au dossier établissent que la gestion et le contrôle de FC sont exercés par FUSA, par conséquent à l’extérieur du Canada, et que FC n’est donc pas un « résident ». Pour tirer cette conclusion, le Tribunal a examiné trois fonctions essentielles de l’entreprise, c.-à-d. le choix des marchandises et la détermination des quantités à commander, la décision quant à l’emplacement des magasins de détail et le contrôle des finances.

23. En ce qui a trait à la première fonction, le Tribunal fait observer que la description de poste du gérant du magasin12 porte que le titulaire est autorisé à prendre des décisions liées à la gestion du magasin et sert de lien entre le magasin et les bureaux de la société. Les éléments de preuve déposés à l’audience établissent cependant clairement que même si FC a une légère influence sur le choix des marchandises à acheter et sur les quantités à commander aux fins de son exploitation, le pouvoir final et réel de prise de décisions appartient à FUSA, comme c’est le cas pour tous ses magasins de détail situés en Amérique du Nord.

24. Quant à la deuxième fonction, le témoignage de Mme Dowling a révélé que c’est FUSA qui assume la responsabilité de la négociation du contrat de location de l’établissement commercial de FC13 .

25. Pour ce qui est de la troisième fonction, il est ressorti des éléments de preuve que même si FC a un compte bancaire qui lui permet de financer son activité quotidienne, l’autorité d’ouvrir un tel compte appartient à FUSA14 . En outre, FC n’est pas en mesure d’engager d’importants montants dans son exploitation commerciale puisque FUSA détient également le pouvoir de signature dans le cas de montants dépassant 50 000 $US15 . Les dépositions ont révélé que les deux résidents canadiens qui ont un pouvoir de signature relativement au compte bancaire de FC ne font, en pratique, que signer les chèques de paye et les petites factures de dépenses. Les représentants non résidents qui sont autorisés à signer relativement à ce compte bancaire sont en fait des représentants de FUSA agissant selon les directives de cette dernière. Ce sont ces personnes qui autorisent les dépenses de fonctionnement générales du magasin, comme le loyer, les services publics et toutes dépenses importantes16 . Le Tribunal est d’avis que ce qui précède équivaut au contrôle effectif, par FUSA, des dépenses de FC (à l’exception, comme il a déjà été souligné, des dépenses de routine associées à la paye et des dépenses engagées à même les fonds de la petite caisse), même pour celles qui se situent sous le seuil des 50 000 $US.

26. Le Tribunal conclut donc que les éléments de preuve mis à sa disposition montrent que FUSA a principalement exercé la gestion et le contrôle de tous les volets de l’activité de FC, sauf certains volets relativement mineurs17 . Le Tribunal conclut donc que FC n’était pas un « résident » au sens du Règlement. L’accord passé entre FUSA et FC était donc un accord passé avant l’achat de marchandises, aux termes duquel FUSA devait vendre certaines marchandises à un non-résident après les avoir importées. Autrement dit, FUSA, au moment de l’importation de marchandises, n’avait pas passé un accord visant la vente des marchandises à un « résident » au sens du sous-alinéa 2.1c)(ii) et de l’article 2 du Règlement. FUSA, une personne morale non résidente n’ayant pas d’« établissement stable » au Canada, a donc importé certaines marchandises au Canada, ces marchandises ayant par la suite été vendues à FC, elle-même une non-résidente. De ce fait, FUSA était l’« acheteur au Canada » au sens du sous-alinéa 2.1c)(ii).

DÉCISION

27. À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut ce qui suit : 1) la transaction entre SFI et FUSA est une transaction où les « marchandises sont vendues pour exportation au Canada à un acheteur au Canada »; 2) FUSA est l’« acheteur au Canada »; 3) la valeur transactionnelle doit être fondée sur la vente entre SFI et FUSA.

28. Par conséquent, l’appel est admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . D.O.R.S./86-792 [Règlement].

3 . FUSA a souligné que, conformément à l’accord passé entre les deux sociétés, la police d’assurance de FUSA couvre la perte ou les dommages relatifs aux marchandises en cause jusqu’à leur livraison réelle aux installations de FC.

4 . (6 octobre 2005), AP-2004-009 (TCCE), au para. 31 [Cherry Stix].

5 . L.R.C. 1985, c. S-15, où sont assimilés à la « vente » la location, l’engagement de vendre ou de louer et les offres réelles.

6 . FUSA a renvoyé à la norme d’interprétation des lois énoncée par la Cour suprême du Canada dans Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27; Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915, aux para. 33, 35; Moda Imports, Inc. c. S.-M.R.N. (3 septembre 1997), AP-95-296 (TCCE); Canada Trustco Mortgage Co. c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601; Sale of Goods Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, c. 410; Loi sur la vente d’objets de l’Ontario, L.R.O. 1990, c. S.1.

7 . Agence des douanes et du revenu du Canada, « Valeur en douane : vendues pour exportation au Canada (Loi sur les douanes, article 48) » (21 août 1989). Le paragraphe 2 du mémorandum D13-4-2 énonce que, pour qu’on puisse déterminer la valeur en douane de marchandises selon la méthode de la valeur transactionnelle, l’importateur doit pouvoir démontrer que les deux exigences suivantes sont satisfaites : a) les marchandises présentées aux douanes ont été « vendues » (c.-à-d. que le vendeur a, moyennant un prix, transféré ou convenu de transférer le titre de propriété des marchandises visées à l’acheteur); b) le fait que les marchandises visées étaient « pour exportation au Canada » figure parmi les conditions de la convention de vente entre le vendeur et l’acheteur. Le paragraphe 3 énonce que le mot « vente » doit être pris dans son sens le plus large lorsqu’on parle d’une vente pour exportation au Canada et désigne toute convention ou tout contrat qui entraîne le transfert de la propriété des marchandises qui y sont visées.

8 . [2001] 2 R.C.S. 100 [Mattel].

9 . Mattel au para. 45.

10 . Mattel au para. 42.

11 . Pour l’interprétation de l’expression « exercer une activité », FUSA a invoqué AAi.FosterGrant of Canada Co. c. Canada (Commissaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada), 2004 CAF 259.

12 . Pièce du Tribunal AP-2005-053-17A, onglet A.

13 . Transcription de l’audience publique, 20 septembre 2006, à la p. 15.

14 . Pièce du Tribunal AP-2005-053-17A, onglet A.

15 . Ibid.

16 . Transcription de l’audience publique, 20 septembre 2006, à la p. 13.

17 . Ibid., déposition de M. Torrent et de Mme Dowling à divers endroits et, plus particulièrement, aux pp. 6-22.