MAMMOET CANADA EASTERN LTD. ET MAMMOET CANADA WESTERN LTD.

Décisions


MAMMOET CANADA EASTERN LTD. ET MAMMOET CANADA WESTERN LTD.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appels nos AP-2004-024 à AP-2004-046

Décision et motifs rendus
le mardi 14 février 2006


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À des appels entendus les 19 et 20 juillet 2005 aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À des décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada datées du 4 août 2004 concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(1) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

MAMMOET CANADA EASTERN LTD. ET MAMMOET CANADA WESTERN LTD.

Appelantes

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

Les appels sont admis.

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre présidant

Zdenek Kvarda
Zdenek Kvarda
Membre

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Dates de l’audience :

Les 19 et 20 juillet 2005

   

Membres du Tribunal :

Pierre Gosselin, membre présidant

 

Zdenek Kvarda, membre

 

Meriel V. M. Bradford, membre

   

Conseiller pour le Tribunal :

Reagan Walker

   

Greffier du Tribunal :

Karine Turgeon

   

Ont comparu :

Robert G. Kreklewetz et Wendy A. Brousseau, pour les appelantes

 

Kris Klein, pour l’intimé

Veuillez adresser toute communication au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : (613) 993-3595
Télécopieur : (613) 990-2439
Courriel :

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Les présents appels sont interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes 1 à l’égard de 23 décisions rendues par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 4 août 20042 , aux termes du paragraphe 60(1), concernant le classement de divers transporteurs lourds. À la suite d’une entente entre les parties au début de l’audience, le Tribunal n’a pas poursuivi l’audition des appels concernant les six importations de transporteurs autopropulsés Kamag visés dans les appels nos AP-2004-024 à AP-2004-027, AP-2004-041 et AP-2004-042. Cette décision était fondée sur l’entente entre les parties selon laquelle l’ASFC reclasserait ces marchandises dans le numéro tarifaire 8427.20.99, comme l’avait demandé Mammoet Canada Eastern Ltd. et Mammoet Canada Western Ltd. (Mammoet).

2. Le 6 juillet 2005, Mammoet a demandé au Tribunal d’exclure le rapport d’expert de l’ASFC au motif que ce rapport traitait du sens du mot « remorque », la question même dont le Tribunal était saisi. Le 18 juillet 2005, le Tribunal a statué que le rapport d’expert serait accepté comme élément de preuve, après radiation de la dernière partie du paragraphe 13 et de tout le paragraphe 4, qui renvoyaient au sens du mot « remorque ».

3. Le 14 juillet 2005, l’ASFC a avisé le Tribunal qu’il avait l’intention de présenter une opposition, à l’audience, aux onglets 16 à 18 du dossier supplémentaire de textes à l’appui de Mammoet. Ces onglets contenaient, notamment, la version en langue française de passages pertinents de l’annexe du Tarif des douanes 3 . À l’audience, le Tribunal a statué que ces textes à l’appui étaient admissibles, étant donné qu’il avait pour coutume de prendre en considération les versions de toute disposition législative dans les deux langues, qu’elles soient ou non produites en preuve4 .

4. L’audience s’est poursuivie relativement aux 17 autres appels, à savoir à l’égard des 4 importations de transporteurs remorqués Goldhofer visées dans les appels nos AP-2004-043 à AP-2004-046 et des 13 importations de transporteurs remorqués Scheuerle visés dans les appels nos AP-2004-028 à AP-2004-040. La question en litige dans les 17 appels consistait à déterminer si les marchandises importées étaient correctement classées dans le numéro tarifaire 8716.39.30 de l’annexe du Tarif des douanes à titre de remorques et semi-remorques pour tracteurs routiers ou pour véhicules automobiles pour le transport de marchandises, comme l’a déterminé l’ASFC, ou si elles devaient être classées dans le numéro tarifaire 8427.20.99 à titre d’autres chariots autopropulsés, comme l’a soutenu Mammoet.

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

5. Le 18 juillet 2005, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits5 contenant, notamment, les admissions suivantes :

5. Les transporteurs sont munis en permanence d’un système hydraulique autonome de levage et de nivellement, qui se compose de canalisations hydrauliques, de pistons, d’une pompe et d’un réservoir, ainsi que d’un système de commande et d’un système moteur distincts.

7. L’opérateur se sert du système de levage hydraulique comme d’un ensemble mécanique intégré, pour lever, baisser et garder de niveau les charges massives transportées par les transporteurs — ces mouvements étant destinés à maintenir constant le centre de gravité de la charge.

20. Les transporteurs sont conçus pour déplacer et manutentionner des charges extrêmement lourdes, sur des distances relativement courtes. À l’occasion, à tout le moins, les transporteurs peuvent se déplacer sur plusieurs milles quand ils sont en charge.

21. Les types de structures pour lesquels les transporteurs ont été conçus sont de dimensions et de poids massifs et pourraient comprendre des fusées, des transformateurs, des générateurs de vapeur nucléaire, des turbines, des modules de herzig6 , des barges et des chaudières.

25. Si les transporteurs remorqués doivent se déplacer sur des voies publiques, alors qu’ils transportent une charge extrêmement lourde et de grandes dimensions, des permis spéciaux sont exigés (les transporteurs remorqués étant plus larges que les véhicules autorisés sur la plupart des voies publiques). Habituellement, une escorte policière est également nécessaire.

26. Même dans ce cas, étant donné que les routes ne sont pas construites pour résister aux importantes charges qu’ils peuvent déplacer, avant que les transporteurs remorqués puissent se déplacer sur les voies publiques, il faut procéder à une analyse d’ingénierie, et les appelantes doivent préparer un rapport d’ingénierie, examinant la route à suivre et tout obstacle d’ordre physique ou d’ingénierie.

33. Une « configuration à quatre essieux » est une unité modulaire.

38. Ce que cela signifie, au moins dans le contexte de la configuration la plus élémentaire utilisée par les appelantes pour toute tâche (qui serait un seul transporteur remorqué à « configuration à six essieux »), c’est que chaque transporteur transportera un poids d’au moins 204 tonnes métriques (448 800 livres). Bien que les transporteurs puissent porter toute charge moins lourde, la charge minimum prévue demeure 204 tonnes métriques pour ce qui est d’une configuration à six essieux.

43. Le système hydraulique de levage se compose, notamment, de cylindres hydrauliques fixés sur chaque essieu indépendant, à leur extrémité inférieure, et à une plateforme de levage, à leur extrémité supérieure, le tout interrelié par des canalisations hydrauliques, et une pompe hydraulique, ainsi qu’un moteur entraîné et commandé à l’arrière du transporteur.

44. Le système hydraulique de levage est à tout le moins capable de lever la charge du transporteur vers le haut, jusqu’à 24 pouces de sa base — ou, autrement dit, capable de lever ou de baisser la charge de 12 pouces vers le haut ou vers le bas, à partir de son point mort.

46. Par exemple, en faisant un ajustement qui détermine quels essieux lèvent et quels essieux baissent, le système hydraulique de levage peut faire « basculer » la plateforme de chargement du transporteur et modifier son inclinaison (c.-à-d. vers un côté ou l’autre) ou son assiette (c-à-d. vers l’avant ou vers l’arrière).

47. Cette capacité « basculante », appliquée sur la base de plusieurs niveaux sur l’ensemble des séries d’essieu, permet à l’opérateur du système hydraulique de levage de garder la plateforme de chargement du transporteur de niveau sur toutes les surfaces (c.-à-d. qu’elles soient inclinées ou en pente ou que le terrain soit cahoteux ou inégal).

52. En ce qui a trait au transporteur autopropulsé et au transporteur remorqué, le système hydraulique de levage est actionné au moyen d’une commande manuelle par une personne, qui, d’habitude, marche derrière la charge, surveille le terrain et le « niveau », et ajuste au besoin les commandes hydrauliques situées à l’arrière des transporteurs.

58. Un élément qui distingue notamment le transporteur autopropulsé du transporteur remorqué est le moyen de propulsion, le transporteur autopropulsé portant un « groupe moteur » supplémentaire qui permet l’autopropulsion (le « groupe moteur »).

60. En plus de permettre de stabiliser le niveau de charges massives, le système hydraulique de levage accomplit une autre fonction, à savoir qu’il permet aux transporteurs — parfois au moyen de certains équipements et processus spéciaux — de charger et de décharger sans recourir à une grue (le « Processus de chargement et de déchargement »), ce qui constitue un avantage concurrentiel important pour les appelantes.

62. Dans l’opération de « chargement et déchargement par glissage », une charge est transférée du transporteur depuis (disons) un wagon, le transporteur étant placé parallèlement à ce wagon. Le transporteur est ensuite soit levé ou baissé pour qu’il soit de niveau avec le wagon. La charge, reposant sur le wagon, est ensuite levée au moyen de vérins hydrauliques distincts et de poutres de bois. Deux patins (poutres recouvertes de graphite) sont placés entre le transporteur et le wagon, formant un pont ressemblant à une voie ferrée, sur lequel la charge est ensuite abaissée.

Un processus spécial mettant en jeu de nombreux dispositifs de levage sert à glisser la charge depuis le wagon jusqu’au transporteur — dans les faits en la poussant d’un côté vers l’autre. Lorsque le niveau du wagon commence à lever (c.-à-d. lorsqu’il ne porte plus le poids de la charge), le système hydraulique de levage est actionné encore pour compenser l’écart, et maintenir le « niveau » du transporteur égal à celui du wagon.

63. Dans le processus « d’autochargement » ou « d’autodéchargement », qui est appliqué pour les charges plus lourdes, le transporteur se place sous une structure supportée en place, et la soulève de ses supports, pour « l’autocharger », ou, à l’inverse, abaisse une structure chargée sur des supports indépendants, avant de s’éloigner de la structure supportée, pour « l’autodécharger ».

[Traduction]

ÉLÉMENTS DE PREUVE SUPPLÉMENTAIRES

6. M. Timothy Sittler, président et directeur général, et M. Don Mahnke, vice-président principal, tous deux au service de Mammoet Canada Eastern Ltd., ont témoigné au nom de Mammoet. M. Jeff Patten, gestionnaire de test et évaluation d’ingénieur au Centre de technologie des transports de surface du Conseil national de recherches du Canada, a témoigné au nom de l’ASFC. Le Tribunal a reconnu à M. Patten le titre d’expert en génie mécanique, et particulièrement en véhicules automobiles, en véhicules de remorquage et en remorques.

7. Dans son rapport d’expert, M. Patten a exprimé l’avis que chacune des marchandises en cause était une « remorque » au sens appliqué par le ministère des Transports de l’Ontario (MTO), à savoir : « Véhicule tracté sur une voie publique par un véhicule automobile [...] et tracté, mû ou actionné temporairement sur cette voie publique [...]. La remorque est considérée comme un véhicule distinct ne faisant pas partie du véhicule automobile tracteur. »7 Il a ajouté que de nombreuses remorques, présentement offertes sur le marché, sont dotées de capacités de levage ou de glissage semblables à celles des marchandises en cause, notamment les remorques plateaux à manutention horizontale (par roulage), les remorques porte-automobiles à deux étages et les remorques à benne basculante latérale et à benne basculante arrière. De plus, dans le cas des remorques porte-automobiles à deux étages, une personne actionne les béliers hydrauliques pour lever les rampes et les plateaux horizontaux nécessaires pour maximiser le nombre de véhicules qu’elles peuvent transporter8 .

8. Le Tribunal a aussi reçu des éléments de preuve d’importantes différences entre les remorques routières typiques régies par le MTO et les marchandises en cause. La principale caractéristique des marchandises en cause est qu’elles contiennent un système hydraulique évolué et complexe, qui permet à l’opérateur de lever, de garder de niveau et de diriger des charges extrêmement lourdes et de grandes dimensions9 . Par opposition, les remorques routières sont dotées de commandes hydrauliques très élémentaires et ne permettent pas de commander la direction10 . De plus, l’opération du système hydraulique dont les marchandises en cause sont munies exige de grandes habiletés spécialisées. Personne n’est autorisé à manipuler le matériel de levage, de stabilisation du niveau ou de direction des marchandises avant d’avoir complété 6 000 heures de formation obligatoire11 .

LA LOI

9. Dans les appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi concernant le classement tarifaire, le Tribunal entend l’affaire et détermine le classement correct des marchandises portées en appel conformément aux Règles générales pour l’interprétation du Système harmonisé 12 et aux Règles canadiennes 13 . L’article 11 du Tarif des douanes prévoit que, pour l’interprétation des positions et des sous-positions de l’annexe, il doit être tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises 14 . Les Règles générales sont structurées en cascade. Si le classement d’un article ne peut être déterminé conformément à la Règle 1, il faut alors tenir compte de la Règle 2, et ainsi de suite. Les Règles canadiennes réitèrent que le classement des marchandises dans le numéro tarifaire d’une sous-position ou d’une position doit être déterminé conformément aux Règles générales. Cette démarche a été expliquée en plus de détails dans d’autres décisions du Tribunal15 .

10. Les dispositions pertinentes de l’annexe du Tarif des douanes sont les suivantes :

[...]

84.27 Chariots-gerbeurs; autres chariots de manutention munis d’un dispositif de levage.

8427.10 -Chariots autopropulsés à moteur électrique

[...]

8427.20 -Autres chariots autopropulsés

[...]

8427.20.99 ----Autres

[...]

8427.90 -Autres chariots

8427.90.10 ---Chariots à main industriels, avec une hauteur de levée n’excédant pas 1 m

8427.90.90 ---Autres

[...]

87.16 Remorques et semi-remorques pour tous véhicules; autres véhicules non automobiles; leurs parties.

[...]

-Autres remorques et semi-remorques pour le transport de marchandises :

8716.31.00 --Citernes

8716.39 --Autres

[...]

8716.39.30 ---Remorques et semi-remorques pour tracteurs routiers ou pour véhicules automobiles pour le transport de marchandises (à l’exclusion de remorques pour motoneige, utilitaires, pour bateaux ou chevaux, non-commerciales, et remorques devant servir d’accessoires permanents pour machines ou appareils)

[...]

11. Le Tribunal s’intéresse particulièrement au numéro tarifaire 8716.39.30 et à la question de savoir si les marchandises en cause sont comprises dans ce numéro tarifaire à titre de « [r]emorques et semi-remorques pour tracteurs routiers ou pour véhicules automobiles pour le transport de marchandises » ou si elles sont exclues par l’effet du texte entre parenthèses, qui exclut les « [...] remorques devant servir d’accessoires permanents pour machines ou appareils ».

12. Les Notes explicatives de la position no 87.16 éclairent la question en donnant des exemples des types de remorques qui sont comprises dans la position. Ces notes prévoient ce qui suit :

[...]

À l’exception des véhicules visés dans les positions précédentes, cette position comprend, un ensemble de véhicules non automobiles à une ou plusieurs roues pour le transport des personnes ou des marchandises. Elle couvre, en outre, des véhicules à usages spéciaux dépourvus de roues, comme par exemple, les traîneaux ou les schlittes.

Les véhicules de cette position sont conçus soit pour être remorqués par d’autres véhicules (tracteurs, voitures automobiles, chariots, motocycles, cycles, etc.), soit pour être tirés ou poussés à la main, soit pour être poussés à l’aide du pied, soit pour être traînés par des animaux.

Sont compris ici :

A) Les remorques et semi-remorques.

Sont considérés comme remorques et semi-remorques, au sens de la présente position, les véhicules autres que les side-cars destinés exclusivement à être attelés au moyen d’un dispositif spécial, automatique ou non, à d’autres véhicules.

[...]

13. Les Notes explicatives sont également utiles pour déterminer quelles remorques ne sont pas comprises dans la position, devant servir d’accessoires permanents pour machines ou appareils. Elles prévoient ce qui suit :

VEHICULES COMBINES AVEC DES MACHINES,
APPAREILS OU ENGINS DE TRAVAIL

Pour ce qui concerne le classement des ensembles constitués par un véhicule de la présente position sur lequel sont montés à demeure des machines, engins ou appareils, celui-ci est déterminé par l’élément qui donne son caractère essentiel à l’ensemble. Relèvent, par conséquent, de la présente position les ensembles de l’espèce qui tirent leur caractère essentiel du véhicule lui-même. En sont, par contre, exclus, les ensembles dont le caractère essentiel est celui de la machine ou de l’appareil de travail qu’ils comportent.

[...]

POSITION DES PARTIES

Mammoet

14. Mammoet a soutenu que les marchandises en cause ne sont pas comprises dans la position no 87.16, puisqu’elles en sont exclues par l’expression « [...] à l’exclusion [...] d’accessoires permanents pour machines ou appareils ». Selon les observations de Mammoet, le fait que les parties s’entendaient pour dire que les remorques étaient « munies de matériel de levage ou de manutention »16 [traduction] et que M. Patten a concédé que ce matériel était monté de façon permanente sur les remorques17 , signifie qu’elles sont des « [...] accessoires permanents pour machines ou appareils » au sens de l’exception. De plus, leur caractère essentiel est celui du matériel hydraulique de direction, de levage et de manutention, et non pas celui des plateformes elles-mêmes. Sans ce matériel, les plateformes ne pourraient servir de remorques, puisque le nombre de bogies serait trop élevé, et les roues sous chaque plateforme ne pourraient négocier le virage même le plus simple18 .

15. Mammoet a aussi soutenu que les facteurs suivants distinguent les marchandises en cause des remorques dénommées dans la position no 87.16 : elles ne conviennent pas au transport routier, puisqu’un permis est exigé et que d’autres conditions spéciales s’appliquent pour rouler sur une voie publique et qu’elles sont habituellement transportées à l’emplacement des travaux par remorque plateau; elles ne sont pas conçues pour les vitesses élevées; elles sont dotées d’un moteur qui entraîne un système hydraulique, qui à son tour entraîne le matériel de levage, de stabilisation du niveau et de direction; elles sont dotées de leurs propres commandes de manière à permettre à l’opérateur de commander les fonctions de levage, de stabilisation ou du niveau, de freinage et de direction; il faut obligatoirement pour les commander, un opérateur distinct qui a suivi une formation avancée (6 000 heures) et qui pourra commander le matériel de levage, de nivelage, de freinage et de direction; elles coûtent beaucoup plus cher que les remorques ordinaires.

16. Mammoet a ajouté que, puisqu’elles sont semblables aux remorques autopropulsées, que l’ASFC a convenu de classer dans le numéro tarifaire 8427.20.99 à titre d’autres chariots autopropulsés, le Tribunal devrait classer également les marchandises en cause dans ce numéro tarifaire.

ASFC

17. L’ASFC a soutenu que les marchandises en cause sont clairement comprises dans la position no 87.16 au sens ordinaire de l’expression « [...] [a]utres remorques et semi-remorques pour le transport de marchandises [...] ». De plus les Notes explicatives de la position no 87.16 confirment leur inclusion dans la position, puisqu’elles sont attelées à un véhicule moteur qui tire et dirige les remorques, et sont conçues pour servir avec lui19 . L’ASFC a ajouté que le Tribunal de commerce international des États-Unis a classé des marchandises identiques à une des marchandises en cause, une remorque Goldhofer, dans cette position, ce qui porte à conclure que c’est la position appropriée20 .

18. L’ASFC a aussi soutenu que le simple fait que les marchandises en cause sont dotées de matériel de levage et de stabilisation du niveau ne les exclut pas de la portée du chapitre 87. Elle a présenté divers exemples de machines qui sont montées en permanence sur des remorques, mais qui demeurent classées à titre de remorques en soi, notamment des dispositifs de levage hydrauliques et des remorques munies de dispositifs à benne basculante latérale ou arrière. De plus, la définition courante de « remorque » inclut les marchandises en cause, puisqu’elles ont besoin d’un appareil moteur pour fonctionner. Non seulement l’appareil moteur fournit-il aux remorques une puissance motrice, mais il les alimente en pression d’air nécessaire à la commande des freins. De plus, les fabricants eux-mêmes, dans leur publicité, appellent les marchandises en cause des « remorques ».

19. Relativement à l’exclusion prévue dans le numéro tarifaire 8716.39.90, l’ASFC a soutenu qu’elle ne visait que les situations particulières où des remorques étaient déjà expressément exclues aux termes d’autres dispositions de l’annexe du Tarif des douanes, notamment les bétonnières remorquées21 . Toutes les autres situations non visées ailleurs par une exclusion expresse exigeraient toujours que la fonction de la remorque soit de déplacer une machine, comme un pulvérisateur, une pompe ou un compresseur, et non pas de transporter du fret, ce qui est la fonction des marchandises en cause22 .

20. Quoi qu’il en soit, l’ASFC a soutenu que les marchandises en cause ne peuvent être classées dans le numéro tarifaire 8427.20.99 à titre d’autres chariots autopropulsés, comme l’a soutenu Mammoet, puisqu’il ressort clairement des éléments de preuve qu’elles ont besoin d’un tracteur, ou d’un autre appareil moteur, pour les déplacer23 . Par définition, elles ne sont donc pas autopropulsées.

ANALYSE

21. La principale question en litige dans les présents appels consiste à déterminer si les marchandises en cause sont correctement classées dans le numéro tarifaire 8716.39.30 à titre de remorques et semi-remorques pour tracteurs routiers ou pour véhicules automobiles pour le transport de marchandises ou si elles sont exclues de cette position par le texte entre parenthèses de la position, qui exclut les remorques devant servir d’accessoires permanents pour machines ou appareils. En outre, si les marchandises en cause sont exclues de cette position, le Tribunal doit déterminer dans quelle position elles doivent être classées.

22. Il ne fait aucun doute que les marchandises en cause sont des remorques pour le transport de marchandises. Il ressort clairement des éléments de preuve qu’elles répondent à la définition de « remorque » au sens des Notes explicatives de la position no 87.16, c.-à-d. « [...] les véhicules autres que les side-cars destinés exclusivement à être attelés au moyen d’un dispositif spécial, automatique ou non, à d’autres véhicules ». Les parties s’entendaient pour dire que « les transporteurs remorqués sont physiquement attelés aux tracteurs principalement au moyen d’une barre d’attelage, et parfois d’un câble tracteur »24 [traduction]. En outre, les éléments de preuve établissent clairement que les marchandises sont utilisées, presque exclusivement, pour le transport de marchandises de grandes dimensions et extrêmement lourdes, notamment des fusées, des transformateurs, des générateurs de vapeur nucléaire, des turbines, des modules de générateurs de vapeur à récupération de chaleur, des barges et des chaudières25 .

23. Le Tribunal doit décider si les marchandises en cause sont exclues de la position susmentionnée parce qu’elles sont des remorques devant servir d’accessoires permanents pour machines ou appareils. Il ne fait aucun doute que les marchandises en cause sont munies d’un équipement hydraulique spécialisé permanent utilisé pour lever et maintenir de niveau leur fret spécial. Les éléments de preuve n’ont pas été contestés à cet égard. Le Tribunal doit déterminer si le montage de cet équipement suffit pour faire entrer les marchandises en cause dans la portée de l’exclusion prévue dans la position susmentionnée.

24. Comme il a déjà été indiqué, l’ASFC a prétendu que, pour être visée dans l’exclusion, la remorque doit servir exclusivement à transporter un seul article de machinerie ou d’équipement compris dans une autre position tarifaire. Selon l’ASFC, l’exclusion n’a jamais eu pour objet d’exclure l’équipement monté sur une remorque dans le simple but d’améliorer sa capacité de transport de fret, peu importe sa nature.

25. Le Tribunal n’accueille pas cet argument. Les Notes explicatives pertinentes à l’exclusion précisent que « [...] le classement des ensembles constitués par un véhicule [...] sur lequel sont montés à demeure des machines, engins ou appareils, [...] est déterminé par l’élément qui donne son caractère essentiel à l’ensemble [...] ». En l’espèce, l’équipement hydraulique spécial monté sur les marchandises en cause n’est pas corollaire à l’utilisation de ces dernières en tant que plateformes remorques, mais en constitue, plutôt, tout l’objet. Les marchandises ont servi à lever un chargement, au moyen de leur fonction d’autochargement et d’autodéchargement, utilisant, parmi d’autres méthodes, le chargement et le déchargement par glissage. En ce sens, on peut les assimiler à une grue ou à un chariot élévateur à fourche. De plus, c’est leur fonction complexe de bascule et de maintien du niveau qui assure la stabilité parfaite du chargement pendant qu’il est transporté sur un terrain en pente, cahoteux ou inégal. Les marchandises en cause répondent manifestement au critère de l’exclusion. Par conséquent, le Tribunal accueille l’affirmation de Mammoet selon laquelle les marchandises en cause sont exclues du numéro tarifaire 8716.39.30 par l’effet de l’exclusion énoncée entre parenthèses dans le libellé de ce numéro tarifaire.

26. Ayant exclu les marchandises de la position no 87.16, le Tribunal doit maintenant déterminer dans quelle position elles doivent être classées. Mammoet a soutenu qu’elles doivent être classées dans le numéro tarifaire 8427.20.99 à titre d’autres chariots autopropulsés. Le Tribunal n’est pas d’accord. Il ressort clairement des éléments de preuve que les marchandises en cause ne sont pas autopropulsées. Elles ont plutôt besoin d’un tracteur ou d’un autre appareil moteur pour se déplacer. Toutefois, cela ne signifie pas que les marchandises ne peuvent pas être classées ailleurs dans la même position.

27. La position no 84.27 prévoit ce qui suit : « Chariots-gerbeurs; autres chariots de manutention munis d’un dispositif de levage ». Les marchandises en cause ne sont pas des chariots-gerbeurs; le Tribunal doit donc déterminer si elles sont des « chariots de manutention » (« works trucks »). Le sens courant du mot « usine » (« works ») est « un établissement où l’on exécute certains travaux industriels, particulièrement la fabrication, comprenant l’ensemble des bâtiments et de la machinerie utilisés; une fabrique, une manufacture, etc. »26 [traduction], comme une aciérie (iron works) ou une raffinerie (gas works). Un « chariot ou camion » (« truck ») est un « véhicule monté sur roues utilisé pour le transport de lourdes charges; applications variées, un véhicule automobile pour le transport routier de marchandises, de troupes, etc. »27 [traduction].

28. L’ASFC a soutenu que les « chariots de manutention » s’entendent de véhicules destinés à servir dans un « établissement manufacturier ou industriel ou un chantier » [traduction], qui « est de façon générale utilisé dans les limites du chantier et d’une façon générale non pas sur les routes »28 [traduction]. Le Tribunal est d’accord et fait observer que les Notes explicatives de la position no 84.26 sont compatibles avec une telle définition et confirment que la position comprend : « [...] (11) Les chariots-grues qui sont conçus pour déplacer leur charge sur de courtes distances dans les usines, les entrepôts, les ports, les aéroports [...] ».

29. L’ASFC a aussi renvoyé le Tribunal aux Notes explicatives de la position no 87.09, qui prévoient ce qui suit : « [...] La présente position couvre un ensemble de chariots des types utilisés dans les usines, les entrepôts, les ports, les aéroports pour le transport sur de courtes distances de charges diverses (marchandises ou conteneurs) ou pour la traction, dans les gares, de petites remorques [...] ». Plus particulièrement, elle a cité le paragraphe 1) qui prévoit ce qui suit : « Ils ne peuvent, en raison de leur structure et des aménagements spéciaux dont ils sont habituellement pourvus, être utilisés pour le transport des personnes, ni pour le transport des marchandises sur route ou autres voies publiques. » Elle a soutenu qu’il avait été admis que les marchandises en cause servaient à transporter des articles sur route et a renvoyé à une photographie faisant partie des éléments de preuve portant la légende « plus long déplacement sur route » [traduction] pour attester qu’elles ne pouvaient pas être classées à titre de « chariots de manutention ».

30. En toute déférence, le Tribunal n’est pas d’accord. Il est vrai que les marchandises en cause sont physiquement capables de se déplacer sur une route. Toutefois, en pratique, elles ne se déplacent pas du tout comme le font les tracteurs routiers et les véhicules automobiles. Plutôt, des arrangements complexes, qui comprennent souvent des études d’ingénierie et de nombreux permis, doivent être pris au préalable. Selon le Tribunal, ces arrangements représentent un fardeau tel que seules les personnes qui devraient exécuter une tâche de transport des plus extrêmes et qui ne disposeraient d’aucune autre solution de rechange en viendraient à utiliser les marchandises en cause. En réalité, les chargements de grandes dimensions et très lourds cités à titre d’exemples dans les éléments de preuve confirment que les marchandises en cause ne seraient utilisées sur les routes que dans des circonstances des plus inhabituelles. Le Tribunal accepte donc que les marchandises en cause sont des « chariots de manutention ».

31. La position no 84.27 comprend trois sous-positions : no 8427.10 (chariots autopropulsés à moteur électrique); no 8427.20 (autres chariots autopropulsés); no 8427.90 (autres chariots). Puisque les marchandises en cause ne sont pas autopropulsées, la seule sous-position applicable est le no 8427.90.10. Cette sous-position comprend deux numéros tarifaires : no 8427.90.10 (chariots à main industriels avec une hauteur de levée n’excédant pas 1 m); no 8427.90.90 (autres). Les éléments de preuve ont clairement indiqué que les marchandises en cause étaient tirées (ou poussées) par un tracteur, un treuil ou un câble. Aucun élément de preuve n’établit qu’elles peuvent être tirées à la main, et il ne serait pas raisonnable de conclure qu’une telle possibilité existe, étant donné qu’elles sont conçues pour transporter de lourdes charges. Le Tribunal conclut donc que les marchandises en cause doivent être classées dans le numéro tarifaire 8427.90.90 à titre d’autres chariots de manutention munis d’un dispositif de levage.

DÉCISION

32. Compte tenu de ce qui précède, les appels sont admis.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . Une liste des marchandises visées par les décisions figure dans un tableau du mémoire de l’intimé, onglet 6.

3 . L.C. 1997, c. 36.

4 . Transcription de l’audience publique, 19 juillet 2005, aux pp. 9-18.

5 . Pièce du Tribunal AP-2004-024 à 046-31A.

6 . Générateur de vapeur à récupération de chaleur.

7 . Pièce du Tribunal AP-2004-024 à 046-17A, para. 6.

8 . Ibid., para. 9.

9 . Transcription de l’audience publique, 19 juillet 2005, à la p. 147.

10 . Ibid. aux pp. 206, 218.

11 . Ibid. à la p. 78.

12 . Supra note 3, annexe [Règles générales].

13 . Supra note 3, annexe.

14 . Conseil de coopération douanière, 2e éd., Bruxelles, 1996 [Notes explicatives].

15 . Voir BioNova Medical Inc. c. Commissaire de l’ADRC (24 février 2004), AP-2002-111 (TCCE).

16 . Pièce du Tribunal AP-2004-024 à 046-31A, para. 54.1.

17 . Transcription de l’audience publique, 19 juillet 2005, à la p. 187.

18 . Transcription de l’argumentation publique, 20 juillet 2005, à la p. 37.

19 . Mémoire de l’intimé aux pp. 7-9.

20 . Ibid. aux pp. 9-10, onglet 10.

21 . Qui sont incluses dans la position no 84.74.

22 . Transcription de l’argumentation publique, 20 juillet 2005, aux pp. 69-70.

23 . Transcription de l’audience publique, 19 juillet 2005, aux pp. 115-121.

24 . Pièce du Tribunal AP-2004-024 à 046-31A, para. 65.

25 . Ibid., para. 21.

26 . The Oxford English Dictionary, 2e éd., s.v. « work » (usine), para. 18.

27 . Ibid., s.v. « truck » (chariot ou camion), para. 3.

28 . Transcription de l’argumentation publique, 20 juillet 2005, à la p. 74.