WESTERN RV COACH INC.

Décisions


WESTERN RV COACH INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2006-002

Décision et motifs rendus
le lundi 23 avril 2007


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 19 décembre 2006, en vertu du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 11 janvier 2006, concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

WESTERN RV COACH INC.

Appelante

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre présidant

James A. Ogilvy
James A. Ogilvy
Membre

Elaine Feldman
Elaine Feldman
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 19 décembre 2006

   

Membres du Tribunal :

Meriel V. M. Bradford, membre présidant

 

James A. Ogilvy, membre

 

Elaine Feldman, membre

   

Conseiller juridique pour le Tribunal :

Reagan Walker

   

Agent du greffe :

Valérie Cannavino

   

Ont comparu :

Bernard Cook, pour l’appelante

 

Alysia Davies, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

CONTEXTE

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), le 11 janvier 2006, aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. Il y a deux questions en litige dans le présent appel. La première consiste à déterminer si une autocaravane Royale Coach 1995 d’occasion (la marchandise en cause), importée par Western RV Coach Inc. (Western) en provenance des États-Unis le 27 septembre 2002, a droit au traitement tarifaire préférentiel en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain 2 . La deuxième question en litige consiste à déterminer si les mesures législatives de mise en œuvre de l’ALÉNA concernant le tarif de préférence portent atteinte aux droits conférés par les articles 7, 11 ou 12 ou le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et, le cas échéant, si une telle restriction se trouve justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte.

3. Le présent exposé des motifs comprend cinq parties : faits de l’appel; droit concernant la première question; analyse de la première question; droit concernant la deuxième question; analyse de la deuxième question.

PARTIE I — FAITS DE L’APPEL

4. La plupart des faits suivants ont été présentés par l’ASFC soit dans son mémoire3 soit par l’intermédiaire de son témoin, M. Raymond Thibeault, gestionnaire de l’Unité de la vérification de l’origine et de l’établissement de la valeur, Direction générale de l’admissibilité, Agence des services frontaliers du Canada4 . Même si elle a soumis certains faits de contexte dans le cadre du présent appel, Western n’a pas convoqué de témoins ni produit de documents réfutant l’exactitude de l’exposé des faits soumis par l’ASFC.

Processus d’importation

5. Le 24 septembre 2002, à son complexe de vente et service situé en Floride, Marathon Coach Inc. (Marathon) a vendu la marchandise en cause à Western à titre de véhicule d’occasion5 . Au moment de la vente, Marathon a remis à Western un certificat d’origine6 attestant que la marchandise en cause était un produit originaire au sens des mesures législatives de mise en œuvre de l’ALÉNA.

6. Marathon a indiqué sur le certificat d’origine que le numéro de classement tarifaire de la marchandise en cause était 8703.337 . Le classement tarifaire n’est pas objet de litige.

7. Royale Coach by Monaco Inc. (Royale Coach)8 , une division de Monaco Coach Corporation9 (Monaco), a été identifiée au titre de fabricant original et Marathon, au titre d’exportateur10 . Marathon a soutenu que, en signant le certificat d’origine, elle s’était fiée « à la déclaration écrite du producteur que la marchandise était admissible au titre de produit originaire »11 [traduction].

8. Sur le certificat d’origine, Marathon a attesté que « la marchandise était entièrement produite sur le territoire de l’un ou de plusieurs des pays de l’ALÉNA et uniquement à partir de matières originaires »12 [traduction]. Marathon a aussi attesté avoir déterminé la teneur de la valeur régionale de la marchandise en utilisant la méthode du coût net13 .

9. En se fondant sur les affirmations susmentionnées du certificat d’origine, Western a importé la marchandise en cause au Canada au taux du tarif de préférence14 .

Processus de vérification

10. À la suite de plaintes présentées à l’ASFC par d’autres importateurs affirmant qu’il était injuste qu’ils doivent payer des taxes et des droits sur des autocaravanes importées (en raison de l’insuffisance des renseignements disponibles pouvant établir l’origine de leurs véhicules) alors qu’au même moment d’autres les évitaient simplement en présentant des certificats d’origine dont la valeur était douteuse15 , l’ASFC a procédé à une vérification des dossiers et des renseignements appuyant le certificat d’origine de Western16 durant toute l’année 2003.

11. Le 19 mars 2003, l’ASFC a demandé à Marathon de lui envoyer une copie des déclarations écrites qu’elle avait dit, sur le certificat d’origine, avoir reçues de Monaco. Marathon a répondu le même jour, joignant à sa réponse une copie d’un « certificat d’origine d’un véhicule » livré par Monaco à l’acheteur original de la marchandise en cause17 .

12. Le 25 juillet 2003, l’ASFC, dans une lettre à Marathon, a indiqué que le certificat susmentionné n’était pas adéquat et a avisé Marathon que l’ASFC allait devoir vérifier l’origine de la marchandise en cause. L’ASFC a joint un « Questionnaire pour la vérification de l’origine »18 aux termes de l’ALÉNA et a demandé à Marathon de le lui retourner dûment rempli au plus tard le 29 août 200319 . Marathon a obtenu deux reports de délai et la date limite finale pour la remise du questionnaire a été fixée au 31 octobre 200320 .

13. Le 16 octobre 2003, Monaco a écrit à Marathon pour l’informer qu’elle ne pouvait appuyer un certificat d’origine21 . Le 30 avril 2004, Monaco a aussi écrit à l’ASFC demandant à cette dernière d’accorder le traitement tarifaire préférentiel même si elle était incapable de remplir le questionnaire, ajoutant qu’elle n’avait aucun renseignement ni sur la composition ni sur le coût d’aucun véhicule « d’occasion » (« used », selon les termes de Monaco)22 .

14. Sur la foi de la lettre du 16 octobre 2003 de Monaco, l’ASFC a rendu une détermination négative, annulant le traitement tarifaire préférentiel pour la marchandise en cause23 .

Processus de réexamen

15. Dans le cadre du processus de réexamen qui a suivi, Western a demandé à l’ASFC de comparer la marchandise en cause avec des marchandises similaires qui avaient bénéficié d’un traitement tarifaire préférentiel.

16. Western a d’abord proposé les modèles Monaco 2003 suivants : le Navigator, le Cheetah, le Patriot et le Dynasty24 . L’ASFC a conclu que l’information était insuffisante pour confirmer que ces modèles étaient des « produits similaires » au sens des mesures législatives de mise en œuvre de l’ALÉNA 25 énumérées au paragraphe 23 ci-après.

17. Western a ensuite demandé à l’ASFC de comparer la marchandise en cause aux résultats d’une vérification des services douaniers des États-Unis portant sur des carrosseries d’autocars fabriquées en 1997 par Prévost Car Inc. (Prévost)26 . Mais ces dernières, considérées comme des véhicules de gamme lourde, exigeaient une méthode différente de calcul des coûts27 de celle utilisée pour des véhicules de gamme légère28 , comme la marchandise en cause. De plus, l’information sur les coûts avait été fournie seulement pour les éléments principaux, comme le moteur, la transmission et le châssis, sans autre ventilation de leurs parties constitutives ni liste de matières retracées29 . Par conséquent, l’ASFC a conclu qu’il n’était pas possible de déterminer si les éléments de la marchandise en cause étaient comparables aux carrosseries d’autocars fabriquées par Prévost30 .

18. Finalement, le 11 janvier 2006, l’ASFC a rendu sa décision confirmant que la marchandise en cause n’était pas admissible au traitement tarifaire préférentiel en vertu de l’ALÉNA 31 .

19. Le 6 avril 2006, Western a interjeté appel de la décision de l’ASFC auprès du Tribunal32 .

Contestation constitutionnelle

20. Dans son mémoire33 , déposé le 12 juin 2006, Western a affirmé, notamment, que les dispositions législatives de mise en œuvre de l’ALÉNA étaient inconstitutionnelles, fondant son argument sur une prétendue limitation à l’accès à la loi s’appliquant aux taux de traitement tarifaire préférentiel34 . Le 7 juillet 2006, le Tribunal a ordonné à Western de signifier son avis de contestation constitutionnelle35 conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales 36 . Western l’a fait le 28 juillet 2006.

21. Dans son avis, Western a soulevé, pour l’essentiel, quatre questions au sujet de la constitutionnalité du processus appliqué par l’ASFC pour déterminer l’origine de la marchandise en cause37 . Western a demandé si le processus enfreignait ou refusait les droits garantis par les articles 7, 11 ou 12 ou le paragraphe 15(1) de la Charte et, dans chaque cas échéant, si cette violation se trouvait justifiée en vertu de l’article 1.

PARTIE II — DROIT CONCERNANT LA PREMIÈRE QUESTION

22. La décision du Tribunal sur la première question, à savoir si la marchandise en cause a droit au traitement tarifaire préférentiel prévu par l’ALÉNA, dépendra de celle de savoir si ladite marchandise répond à toutes les exigences des règles d’origine de l’ALÉNA, incorporées dans les lois canadiennes.

23. Les mesures législatives de mise en œuvre de l’ALÉNA, qui comprennent diverses dispositions de la Loi, du Tarif des douanes et d’autres mesures législatives, y compris le Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées 38 , le Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA) 39 et le Règlement sur la vérification de l’origine des marchandises (ALÉNA et ALÉCC 40 ) 41 , édictent les exigences concernant les règles d’origine aux termes de l’ALÉNA.

24. Plus précisément, le paragraphe 24(1) du Tarif des douanes exige que l’importateur satisfasse aux deux conditions suivantes pour qu’une marchandise importée bénéficie d’un traitement tarifaire préférentiel :

a) son origine doit être établie en conformité avec la Loi ;

b) elle doit bénéficier du traitement tarifaire préférentiel en conformité avec les dispositions des règlements applicables.

25. Dans ce contexte, pour que la marchandise en cause puisse être importée au Canada au taux du tarif de préférence, l’importateur devait prouver les quatre éléments suivants :

1) que la marchandise importée, y compris ses parties constitutives et les matières retracées, répondait aux exigences réglementaires concernant la preuve de l’origine, à savoir qu’un certificat d’origine accompagné des déclarations réglementaires requises a été remis relativement au véhicule42 ;

2) que tous les intrants non originaires qui ont fait l’objet d’une nouvelle fabrication dans la production de la marchandise en cause ont été suffisamment transformés pour justifier le passage d’un classement tarifaire à un autre43 ;

3) que le pourcentage de la teneur en valeur régionale (TVR) de la marchandise importée était au moins le pourcentage réglementaire prescrit44 ;

4) que la TVR a été calculée en utilisant la méthode du coût net45 .

PARTIE III — ANALYSE DE LA PREMIÈRE QUESTION

26. La première question est celle de savoir si Western a satisfait aux quatre conditions susmentionnées. Le Tribunal fait observer que, puisque les critères sont cumulatifs, le défaut de satisfaire à une des conditions entraînera le rejet de l’appel sur la première question.

Certificat d’origine (première condition)

27. Aux termes de l’article 42.1 de la Loi, l’ASFC peut vérifier l’origine d’une marchandise visée par un certificat d’origine en vérifiant les livres et registres de l’exportateur ou, lorsque l’exportateur n’est pas le producteur de la marchandise, ceux du producteur. Le paragraphe 59(1) autorise l’ASFC à réviser la détermination originale dans les quatre années suivant la date de la vérification de l’origine.

28. L’article 13 du Règlement sur la vérification de l’origine des marchandises (ALÉNA et ALÉCC) prévoit que « [...] le traitement tarifaire préférentiel [...] peut être refusé ou retiré aux marchandises qui font l’objet d’une vérification de l’origine dans les cas suivants : [...] l’exportateur ou le producteur des marchandises qui est tenu, par les lois applicables du pays où la vérification de l’origine a lieu, de conserver les registres relatifs à ces marchandises soit ne conserve pas ces registres conformément à ces lois, soit refuse à l’agent qui effectue la vérification de l’origine l’accès à ces registres [...] ».

29. Le 19 mars 2003, moins de six mois après l’importation de la marchandise en cause, dans le cadre du processus de vérification, l’ASFC a demandé à Marathon de fournir la « déclaration écrite » de Monaco sur laquelle Marathon s’était fondée lorsqu’elle avait signé le certificat d’origine. Malgré divers échanges de lettres entre l’ASFC et Marathon, cette dernière n’a pu fournir ladite déclaration écrite.

30. Dans sa lettre du 16 octobre 200346 , Monaco a indiqué « ne pas avoir l’information nécessaire à la vérification concernant la Royale Coach 1995 » [traduction]. De plus, Monaco a expliqué que, étant donné que l’unité avait été fabriquée huit ou neuf années auparavant, les registres nécessaires au calcul de sa teneur aux termes de l’ALÉNA n’existaient plus. Le Tribunal conclut que Marathon a signé le certificat d’origine sans disposer de la documentation nécessaire en provenance de Monaco sur laquelle elle a prétendu se fonder.

31. Western n’a pas contesté le fait que la documentation à l’appui du certificat d’origine n’était pas disponible ni que Monaco ne lui avait pas fourni l’information requise pour la vérification. Elle a dit s’être fondée sur le certificat d’origine de Marathon et que la vérification avait été faite tellement tardivement qu’obtenir les dossiers de Monaco n’était plus possible. Western a aussi allégué que Monaco avait injustement retenu l’information qui aurait permis à Marathon d’appuyer le certificat d’origine47 .

32. La partie VI du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA) traite de l’impossibilité pour un importateur de fournir des renseignements suffisants pour des raisons indépendantes de sa volonté. Le paragraphe 15(1) traite des situations où l’importateur n’est pas en mesure de fournir des renseignements qui lui permettent d’établir que la matière utilisée dans la production d’une marchandise importée est une matière originaire ou que sa valeur déclarée est exacte. Le paragraphe 15(3) traite de la situation où l’importateur n’est pas en mesure d’établir que le produit lui-même est un produit originaire.

33. Dans les deux circonstances susmentionnées, avant de commencer son enquête, l’ASFC doit examiner si elle a déjà vérifié d’autres marchandises similaires (produites par le producteur de la marchandise en cause) et déterminé que les marchandises similaires étaient des marchandises originaires48 .

34. L’ASFC a signalé49 que Western n’avait pas réussi à prouver que son incapacité à fournir les renseignements requis était attribuable à des « raisons indépendantes de sa volonté » au sens du paragraphe 15(2). De telles raisons auraient pu être une faillite, des difficultés financières, une restructuration d’entreprise, un incendie, une inondation ou un autre fléau naturel entraînant la perte des registres.

35. L’ASFC a également fait valoir50 , effectivement, que Western n’avait pas établi que l’un quelconque des produits de remplacement qu’elle avait proposés durant la révision de la détermination constituait un « produit similaire » au sens du paragraphe 2(1), à savoir un produit qui possède des éléments constitutifs et des caractéristiques semblables qui font en sorte qu’il est propre aux mêmes fonctions que le produit importé et est interchangeable avec celui-ci dans le commerce.

36. L’ASFC a soutenu que les produits de remplacement ne sont pas interchangeables avec le produit en cause dans le commerce car « aucun concurrent raisonnable n’accepterait l’idée qu’une autocaravane d’occasion du modèle Royale 1995 est un produit équivalent à une Executive Rambler 2002 neuve »51 [traduction].

Conclusion sur la première question

37. Dans la récente affaire Duhamel & Dewar 52 , le Tribunal a été d’avis que « [...] l’ASFC ne pouvait pas utiliser le contenu [d’une] lettre pour comparer une autocaravane fabriquée en 1999 à celles qui avaient fait l’objet d’une vérification en 2002 mais qui étaient d’un modèle différent de l’autocaravane importée par Duhamel & Dewar. Les renseignements supplémentaires fournis par Monaco en réponse à la lettre de l’ASFC [...] n’étaient pas satisfaisants. Pour déterminer l’origine de marchandises, l’ASFC doit se conformer au Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA), qui donne la méthode précise pour calculer la teneur en valeur régionale d’une autocaravane. Le Tribunal n’est pas convaincu, après son examen de la question, que les éléments de preuve sont suffisants pour conclure que l’autocaravane en cause répondait aux exigences portant sur le traitement tarifaire préférentiel. »

38. Le Tribunal conclut que l’affaire susmentionnée ressemble au présent appel sur ce point. Dans le présent appel, le producteur a refusé d’attester le produit en cause et de soumettre les documents à l’appui d’un traitement tarifaire préférentiel. Sans les renseignements manquants, il est impossible de corroborer l’identité du pays d’origine déclarée sur le certificat d’origine.

39. Western a soutenu que l’ASFC aurait dû s’appuyer sur des comparaisons avec des produits de remplacement et conclure que la marchandise en cause est un produit originaire à partir d’une telle comparaison. Le Tribunal est d’avis qu’on ne peut s’attendre à ce que l’ASFC s’appuie sur des modèles Royale Coach différents d’autres années pour établir le caractère de « produits similaires » aux termes du Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA). Il ne serait pas non plus raisonnable de s’attendre à ce que l’ASFC s’appuie sur des renseignements relativement épars, non regroupés, portant sur les principales matières constitutives des carrosseries d’autocars fabriquées par Prévost, qui sont, comme le Tribunal en convient, des véhicules d’un type et d’un classement différents. L’article 15 précise explicitement les conditions qui doivent être satisfaites avant de prendre en compte des produits similaires. Le Tribunal n’est pas convaincu que les éléments de preuve mis à sa disposition justifient une conclusion que Western a satisfait à ces conditions.

40. Le Tribunal conclut donc que la marchandise en cause ne répondait pas aux exigences réglementaires concernant la preuve d’origine ouvrant droit à un traitement tarifaire préférentiel. Le Tribunal détermine donc que la marchandise en cause n’a pas droit au traitement tarifaire préférentiel.

41. Ayant conclu que la marchandise en cause ne satisfait pas à la première des quatre conditions, le Tribunal estime qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre son analyse de la question de savoir si la marchandise en cause satisfait ou non aux autres conditions réglementaires qui définissent les règles d’origine aux fins du classement de la marchandise.

PARTIE IV — DROIT CONCERNANT LA DEUXIÈME QUESTION

42. Il est maintenant bien établi que les tribunaux administratifs investis du pouvoir de trancher des questions de droit peuvent appliquer la Charte aux questions dont ils sont saisis, y compris celle de la constitutionnalité des lois qu’ils sont chargés d’interpréter et d’appliquer53 .

43. Les cours ont également déclaré que le fardeau de la preuve d’établir que ses droits garantis par la Charte ont été violés incombe à la partie qui soulève une contestation en invoquant la Charte.

44. Western a soutenu que ses droits prévus aux articles 7, 11 et 12 et au paragraphe 15(1) de la Charte ont été violés.

45. L’article 7 prévoit ce qui suit : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

46. L’alinéa 11d) prévoit ce qui suit : « Tout inculpé a le droit [...] d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable ».

47. L’article 12 affirme que « [c]hacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. »

48. Le paragraphe 15(1) reconnaît que « [l]a loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. »

49. Même dans les circonstances où une loi porte à première vue atteinte aux droits conférés à une personne en vertu des dispositions susmentionnées de la Charte, cette loi peut être appliquée si elle satisfait aux conditions prévues à l’article 1 de la Charte, qui prévoit ce qui suit : « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »

PARTIE V — ANALYSE DE LA DEUXIÈME QUESTION

50. L’objet de cette analyse est de déterminer si Western s’est acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir que les mesures législatives se rapportant à l’ALÉNA portent atteinte à un ou à plusieurs des droits susmentionnés que lui garantit la Charte.

Formulation de la question constitutionnelle

51. L’ASFC a soutenu que « les observations de l’appelante sur la question constitutionnelle n’ont pas abordé de dispositions particulières des lois canadiennes. L’appelante semble se plaindre de ce qu’elle perçoit comme une injustice générale, mais n’a pas fondé ses arguments sur le droit »54 [traduction]. L’ASFC a ajouté que « le Tribunal ne peut examiner une question constitutionnelle si elle n’est pas fondée sur le droit découlant de l’application des lois en application desquelles le Tribunal a le pouvoir de rendre une décision »55 [traduction].

52. Le Tribunal est d’accord sur la description que fait l’ASFC de la portée de son pouvoir d’examiner des questions constitutionnelles. Cependant, le Tribunal est d’avis qu’il ressort clairement du dossier que Western avait l’intention de ne contester que deux dispositions législatives ponctuelles.

53. La première disposition visée est le paragraphe 42.1(2) de la Loi qui prévoit que « [d]ans le cas où l’exportateur ou le producteur ne se conforme pas aux exigences réglementaires de la vérification [...], le traitement tarifaire préférentiel demandé peut être refusé ou retiré aux marchandises en cause. »

54. La deuxième disposition visée est le paragraphe 107(2) de la Loi, qui prévoit que, « [s]auf autorisation prévue au présent article, il est interdit à quiconque d’accomplir sciemment l’un ou l’autre des actes suivants : fournir à quiconque un renseignement douanier ou permettre qu’un tel renseignement soit fourni [...] ». Le paragraphe 107(1) définit « renseignement douanier » comme un « [r]enseignement de toute nature ou sous toute forme qui : soit concerne une ou plusieurs personnes et est obtenu [...] par le ministre ou pour son compte pour l’application de la présente loi ou du Tarif des douanes [...] ».

Arguments sur la question constitutionnelle

55. Au sujet de la première disposition législative en question, Western a précisé qu’elle avait l’intention de contester, non pas le mécanisme du certificat d’origine dans son ensemble, mais plutôt le « caractère volontaire » de l’exigence pour le producteur de fournir des documents à l’appui du certificat.

56. Le Tribunal fait observer que le producteur a la latitude de ne pas accepter le fardeau de fournir la quantité considérable de renseignements nécessaires pour calculer la TVR d’un véhicule motorisé importé, bien que cela ne soit pas sans conséquence pour l’exportateur et l’importateur, conformément à la Loi et au Règlement sur la vérification de l’origine des marchandises (ALÉNA et ALÉCC). L’alinéa 13a) de ce règlement prévoit que, « [p]our l’application du paragraphe 42.1(2) de la Loi, le traitement tarifaire préférentiel de l’ALÉNA [...] peut être refusé ou retiré [...] dans les cas suivants : [...] le producteur des marchandises ne consent pas à la visite de vérification dans les 30 jours suivant la réception de l’avis visé à l’alinéa 4(1)a) [...] ».

57. Western a soutenu que l’ASFC n’avait pas tenu sa vérification en conformité avec les droits « naturels et de la personne » ou en conformité avec les principes d’un marché concurrentiel et équitable. Il a soutenu que, à cause de l’exigence expresse de fournir un certificat d’origine, l’importateur est tenu à la merci de la décision du producteur de lui fournir ou non les renseignements voulus. Elle a fait valoir que parce que la fourniture des renseignements par les producteurs sur la production du produit en cause est volontaire, elle a été empêchée de satisfaire aux exigences réglementaires pour établir l’origine de la marchandise en cause.

58. Western a aussi affirmé, à la lumière des circonstances susmentionnées, que soit il a été porté atteinte à la Charte soit la Charte n’est pas en mesure de protéger les droits de la personne et les droits naturels. Elle a soutenu que la sécurité de sa propriété aux termes de l’article 7 a été compromise par les taux de droit qu’elle a dû payer pour importer la marchandise en cause. Elle a poursuivi à cet égard en ajoutant qu’enlever un bien est une menace à la vie d’une personne, qui comprend ses pensées, son esprit et sa capacité d’agir librement pour accomplir son destin. Si la Charte ne peut protéger les droits de propriété et les droits économiques, alors elle ne pourra protéger les droits de la personne et les droits naturels.

59. Western a également soutenu qu’en exigeant qu’elle paie le plein taux du tarif de la nation la plus favorisée (NPF), le gouvernement l’avait pénalisée. Selon le raisonnement de Western, le fait qu’elle n’avait pas pu obtenir les renseignements nécessaires à l’appui de la demande d’un taux selon le traitement tarifaire préférentiel a fait que le taux qu’elle a payé a constitué une peine. Western a aussi déclaré qu’elle est punie puisqu’on lui retire un privilège, que cette peine est cruelle et a donné naissance à une « torture psychologique ».

60. L’ASFC a répondu qu’il incombe à l’importateur de fournir les renseignements nécessaires à l’appui du traitement tarifaire préférentiel en conformité avec le Tarif des douanes. Au sujet de la marchandise en cause, l’ASFC a soutenu que le taux préférentiel a été retiré après qu’elle eut procédé à une vérification en vertu des mesures législatives de mise en œuvre de l’ALÉNA. Elle a affirmé que Western avait fait l’objet d’une « application régulière de la loi » et que l’application du tarif NPF ne pouvait être réputée comme une peine cruelle ou inusitée.

Analyse de la question constitutionnelle

61. Western a soutenu qu’il a été porté atteinte aux droits que lui garantit la Charte. Le Tribunal fait observer que les droits sont davantage que des privilèges, davantage que des obligations contractuelles, puisqu’ils ne peuvent généralement être aliénés, et davantage que des exonérations des conséquences normales d’un dispositif réglementaire établi de bonne foi. La protection accordée par la Charte est minime, sinon nulle en ce qui a trait aux avantages purement économiques, par opposition aux droits économiques fondamentaux pour la vie ou la survie de la personne, comme la sécurité sociale, la nourriture et le logement56 . En outre, la Charte s’applique normalement uniquement aux personnes physiques57 , alors que Western est une personne morale.

62. Le libellé explicite du paragraphe 15(1) de la Charte s’applique exclusivement au niveau individuel : « La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous [...] » [soulignement ajouté]. Western, puisqu’elle est une société, ne peut donc bénéficier des avantages prévus à ce paragraphe.

63. Les cours ont déjà déclaré qu’« [u]ne lecture ordinaire, conforme au bon sens, de la phrase “[c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne”, [à l’article 7 de la Charte], fait ressortir l’élément humain visé; seul un être humain peut avoir ces droits. Le terme “chacun” [...] [est] défini de façon à exclure les sociétés et autres entités qui ne peuvent jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, et de façon à ne comprendre que les êtres humains. »58 Par conséquent, l’article 7 ne s’applique pas à Western.

64. L’alinéa 11d) de la Charte confirme que « [t]out inculpé a le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi [...] ». Western affirme qu’il a été porté atteinte aux droits prévus à cet alinéa parce qu’on a « refusé à l’appelante l’admissibilité des résultats de la vérification des services douaniers des États-Unis » [traduction].

65. Le Tribunal fait observer que la protection garantie par l’alinéa 11d) ne s’applique qu’à la personne qui a été inculpée. Selon le Tribunal, il est clair que ni Western ni ses administrateurs n’ont été inculpés, et cet argument est donc rejeté.

66. L’article 12 de la Charte prévoit que « [c]hacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. » Comme il a été souligné dans le cadre de la discussion du paragraphe 15(1) et de l’article 7, le Tribunal est d’avis que le terme « chacun » ne s’applique qu’aux personnes physiques et non à une personne morale. L’argument de Western à ce motif est donc rejeté.

Conclusion sur la deuxième question

67. Puisque les droits garantis aux articles 7 et 12 et au paragraphe 15(1) ne s’appliquent qu’aux personnes physiques et non aux personnes morales, et que Western a omis de déposer des éléments de preuve montrant qu’elle était inculpée et entrait donc dans la portée de l’article 11 de la Charte, il n’est pas nécessaire que le Tribunal examine la question de savoir si les présumées restrictions imposées par les mesures législatives se trouvent justifiées en vertu de l’article 1 de la Charte. Le Tribunal a donc déterminé que les mesures législatives de mise en œuvre de l’ALÉNA ne portent pas atteinte à un droit garanti par la Charte.

DÉCISION

68. À la lumière des motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis mexicains et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, 17 décembre 1992, R.T.C. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) [ALÉNA].

3 . Pièce du Tribunal AP-2006-002-13A.

4 . Pièce du Tribunal AP-2006-002-27A.

5 . Mémoire de l’intimé, onglet 5.

6 . Mémoire de l’intimé, onglet 5.

7 . Numéro tarifaire 8703.33.00 : « Voitures de tourisme et autres véhicules automobiles principalement conçus pour le transport de personnes (autres que ceux du no 87.02), y compris les voitures du type “break” et les voitures de course. [...] --D’une cylindrée excédant 2.500 cm3 ».

8 . Mémoire de l’intimé, onglet 5.

9 . Mémoire de l’intimé, onglet 10.

10 . Mémoire de l’intimé, onglet 5.

11 . Mémoire de l’intimé, onglet 5.

12 . Mémoire de l’intimé, onglet 5.

13 . Mémoire de l’intimé, onglet 5.

14 . En franchise en vertu du tarif des États-Unis.

15 . Transcription de l’audience publique, 19 décembre 2006, à la p. 90.

16 . Transcription de l’audience publique, 19 décembre 2006, à la p. 88.

17 . Mémoire de l’intimé, onglet 10.

18 . Mémoire de l’intimé, onglet 9.

19 . Mémoire de l’intimé, onglet 10.

20 . Mémoire de l’intimé, onglet 10.

21 . Mémoire de l’intimé, onglet 10.

22 . Mémoire de l’intimé, onglet 11.

23 . Transcription de l’audience publique, 19 décembre 2006, à la p. 54.

24 . Mémoire de l’intimé, onglet 12.

25 . Transcription de l’audience publique, 19 décembre 2006, aux pp. 56-62, 96-97.

26 . Mémoire de l’intimé, onglet 13.

27 . La méthode de la valeur transactionnelle.

28 . La méthode du coût net.

29 . Transcription de l’audience publique, 19 décembre 2006, aux pp. 66-67, 103-104, 110.

30 . Mémoire de l’intimé, onglet A, para. 64.

31 . Pièce du Tribunal AP-2006-002-13B (protégée).

32 . Pièce du Tribunal AP-2006-002-1.

33 . Mémoire de l’appelante.

34 . Mémoire de l’appelante, para. 59, 61.

35 . Pièce du Tribunal AP-2006-002-12.1.

36 . L.C. 2002, c. 8.

37 . En fait, huit questions ont été posées, mais les questions 5 à 8 répétaient les questions 1 à 4, respectivement.

38 . D.O.R.S./98-52.

39 . D.O.R.S./94-14.

40 . Accord de libre-échange Canada-Chili.

41 . D.O.R.S./97-333.

42 . Loi sur les douanes, paragraphe 35.1(1); Règlement sur la justification de l’origine des marchandises importées, paragraphe 6(1).

43 . Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA), annexe I, sous-position 8703.

44 . Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA), alinéa 13(1)a).

45 . Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA), sous-alinéa 6(6)d)(i).

46 . Mémoire de l’intimé, onglet 10.

47 . Transcription de l’audience publique, 19 décembre 2006, aux pp. 5-7.

48 . Règlement sur les règles d’origine (ALÉNA), alinéa 15(1)c) et (3)c).

49 . Transcription de l’argumentation publique, 19 décembre 2006, à la p. 26.

50 . Transcription de l’argumentation publique, 19 décembre 2006, aux pp. 29-30.

51 . Transcription de l’argumentation publique, 19 décembre 2006, à la p. 33.

52 . Duhamel & Dewar Inc. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (8 février 2007), AP-2005-046 (TCCE).

53 . Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] R.C.S. 504; Paul c. Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] R.C.S. 585.

54 . Réponse à des questions constitutionnelles, onglet A, para. 6.

55 . Réponse à des questions constitutionnelles, onglet A, para. 7.

56 . Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429.

57 . R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.

58 . Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 à la p. 85.