DIGITAL CANOE INC.

Décisions


DIGITAL CANOE INC.
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2004-047

Décision et motifs rendus
le mercredi 12 juillet 2006


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 5 juin 2006 aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 28 septembre 2004 concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

DIGITAL CANOE INC.

Appelante

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICE FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est rejeté.

Zdenek Kvarda
Zdenek Kvarda
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 5 juin 2006

   

Membre du Tribunal :

Zdenek Kvarda, membre présidant

   

Gestionnaire de la recherche :

Paul R. Berlinguette

   

Conseiller pour le Tribunal :

Eric Wildhaber

   

Agent du greffe :

Stéphanie Doré

   

Parties :

Dave Favreau, pour l’appelante

 

Sonia Barrette et Jennifer Francis, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : 613-993-3595
Télécopieur : 613-990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 28 septembre 2004 aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si l’ASFC a correctement classé le couteau en cause dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes 2 à titre d’arme prohibée. Le couteau en cause est un couteau pliant Camillus LEV-R-LOK®, modèle 5849, à lame piranha.

3. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces en vertu des articles 25 et 25.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 . Un avis à cet effet a été publié dans la Gazette du Canada du 20 mai 20064 .

4. Le paragraphe 136(1) du Tarif des douanes prévoit ce qui suit :

The importation of goods of tariff item No. 9897.00.00, 9898.00.00 or 9899.00.00 is prohibited.

L’importation des marchandises des nos tarifaires 9897.00.00, 9898.00.00 ou 9899.00.00 est interdite.

5. Le numéro tarifaire 9898.00.00 prévoit ce qui suit :

Armes à feu, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions prohibées et éléments ou pièces conçus exclusivement pour être utilisés dans la fabrication ou l’assemblage d’armes automatiques, désignés comme « marchandises prohibées » au présent numéro tarifaire, [...]

[...]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

b) « arme à autorisation restreinte », « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme automatique », « arme prohibée », « dispositif prohibé », « munitions prohibées » et « permis » s’entendent au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel [...]

6. Le paragraphe 84(1) du Code criminel 5 définit « arme prohibée » ainsi :

“prohibited weapon” means

(a) a knife that has a blade that opens automatically by gravity or centrifugal force or by hand pressure applied to a button, spring or other device in or attached to the handle of the knife, or

(b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon.

« arme prohibée »

a) Couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche;

b) toute arme — qui n'est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

PREUVE

7. Digital Canoe Inc. (Digital Canoe) a tenté d’importer le couteau en cause par la poste. Sa longueur est de 10 cm en position fermée et il a une lame de 7 cm à tranchant semi-denté. Il est doté du mécanisme breveté d’ouverture de lame LEV-R-LOK®, de modèle piranha, et il est fabriqué par la société Camillus Cutlery Company. Un levier sur un côté du manche permet d’ouvrir la lame. Une pression du pouce sur le levier fait sortir la lame du manche jusqu’à sa position ouverte verrouillée. Il faut appuyer sur un mécanisme de déverrouillage situé au bas du manche pour déverrouiller la lame et la replacer dans le manche.

8. L’ASFC a déposé deux pièces : le couteau en cause et une bande vidéo contenant une démonstration sur la façon de l’utiliser. Le Tribunal a examiné le couteau et a visionné la bande vidéo.

9. L’ASFC a déposé un rapport d’expert préparé par M. Kenneth Doyle du Service de police d’Ottawa. Les titres et qualités de M. Doyle en tant qu’expert en matière d’armes n’ont pas été contestés par Digital Canoe. Le Tribunal a reconnu à M. Doyle le titre d’expert en matière d’armes prohibées. M. Doyle a conclu dans son rapport que, selon son opinion d’expert, le couteau en cause satisfait aux critères d’une arme prohibée.

PLAIDOIRIE

10. Digital Canoe a soutenu que le couteau en cause ne satisfait pas à la définition de l’expression d’une arme prohibée au sens du Code criminel car, à la différence d’un couteau à lame automatique ou d’un couteau papillon, sa lame ne s’ouvre pas automatiquement par gravité ou force centrifuge ou par pression manuelle sur un bouton, un ressort ou autre dispositif incorporé ou attaché au manche. À l’appui de sa position, Digital Canoe a renvoyé aux définitions des termes « manual » (manuel) et « automatic » (automatique) que donne le Concise Oxford Dictionary 6 . Elle a soutenu que, en comparaison avec un couteau à lame automatique qui s’ouvre automatiquement, le couteau en cause est doté d’un levier qui sert à ouvrir manuellement la lame et que la lame s’ouvre en proportion du trajet du levier. Digital Canoe a soutenu que, son fonctionnement faisant appel à une intervention humaine continue, le couteau en cause ne peut être réputé être un couteau à lame automatique.

11. L’ASFC a dit ne pas être d’accord et a soutenu que le couteau en cause s’ouvre en fait de la manière prévue par le Code criminel. À son avis, le mécanisme dont ce couteau est doté ouvre la lame d’un coup sec automatiquement, une fois la lame mise en mouvement par pression sur le levier, et n’est pas un mécanisme conçu de façon à arrêter le mouvement d’ouverture avant l’ouverture complète de la lame, ou auquel on a voulu donner cette caractéristique. L’ASFC a invoqué diverses définitions que donnent les dictionnaires de l’expression « centrifugal force » (force centrifuge) et des mots « automatic » et « mechanical » (mécanique) à l’appui de son argument selon lequel la lame du couteau en cause s’ouvre automatiquement.

12. L’ASFC a prétendu que le Tribunal devrait interpréter le mot « automatically » (automatiquement) de la façon qui sert le mieux l’objet du Code criminel et l’intention du Parlement, à savoir assurer la sécurité publique. Elle a ajouté que tous les types de couteaux prohibés courants, à savoir les couteaux qui s’ouvrent par gravité ou force centrifuge (couteaux à ouverture par mouvement brusque du poignet ou couteau papillon) et les couteaux à lame automatique, exigent une certaine intervention. De l’avis de l’ASFC, tous ces couteaux demeurent des couteaux dont la lame s’ouvre « automatiquement » au sens du Code criminel. À cet égard, l’ASFC a renvoyé à la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Vaughan 7 comme corroborant la proposition selon laquelle les manipulations supplémentaires et l’obligation d’avoir une certaine habileté n’empêchent pas un couteau d’être une « arme prohibée ».

DÉCISION

13. Le Tribunal est convaincu que le couteau en cause est un couteau dont la lame s’ouvre automatiquement par force centrifuge. En réalité, la démonstration et l’exposé narratif de M. Doyle dans la preuve sur vidéo ont confirmé que, lorsque ce couteau est tenu dans la main, un simple mouvement brusque vers l’extérieur du poignet libère la lame du manche et l’éjecte complètement et l’amène en position verrouillée, le rendant de ce fait prêt à utiliser. M. Doyle a aussi montré que la lame du couteau en cause pouvait aussi s’ouvrir par pression du pouce sur le levier situé sur son manche.

14. Le Tribunal fait également observer que les documents de promotion du fabricant déposés par Digital Canoe décrivent les couteaux du type du couteau en cause comme « les couteaux verrouillables à ouverture la plus rapide jamais conçue, ces couteaux manipulables à une main révolutionnaires permettent d’ouvrir la lame d’un coup sec jusqu’à sa position verrouillée » [traduction].

15. À l’examen du couteau en cause, le Tribunal a également déterminé qu’une légère pression sur le mécanisme situé au bout du manche du couteau en cause permet de libérer la lame par un simple mouvement brusque du poignet. L’action est automatique et s’accomplit par application de ce qui est couramment appelé la force centrifuge, ce qui satisfait à la définition de l’expression « arme prohibée » au sens du Code criminel. De plus, le Tribunal fait observer que la lame s’ouvre automatiquement aussi par pression du pouce sur le levier situé sur le manche, ce qui satisfait à une deuxième définition de l’expression « arme prohibée » au sens du Code criminel.

16. Par conséquent, le Tribunal conclut que le couteau en cause est correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 à titre d’arme prohibée et, à ce titre, son importation au Canada est interdite aux termes du paragraphe 84(1) du Code criminel et du paragraphe 136(1) du Tarif des douanes.

17. Pour les raisons qui précèdent, l’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . L.C. 1997, c. 36.

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . Gaz. C. 2006.I.1231.

5 . L.R.C. 1985, c. C-46.

6 . Digital Canoe n’a pas précisé l’édition du dictionnaire dont elle a tiré les définitions suivantes qu’elle a citées : manual (manuel) — « d’une machine, etc., actionnée à la main, et non pas par du matériel automatique ou, non automatiquement » [traduction]; automatic (automatique) — « d’une machine, d’un dispositif, etc., qui fonctionne de lui-même, sans intervention humaine directe » [traduction].

7 . [1991] 3 R.C.S. 691.