GORDON SCHEBEK

Décisions


GORDON SCHEBEK
c.
PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Appel no AP-2005-009

Décision et motifs rendus
le mercredi 17 mai 2006


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 17 février 2006 aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada le 14 mars 2005 concernant une demande de réexamen aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi sur les douanes.

ENTRE

 

GORDON SCHEBEK

Appelant

ET

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Intimé

DÉCISION

L’appel est admis.

Ellen Fry
Ellen Fry
Membre présidant

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 17 février 2006

   

Membre du Tribunal :

Ellen Fry, membre présidant

   

Conseiller pour le Tribunal :

Eric Wildhaber

   

Agent du greffe :

Valérie Cannavino

   

Parties :

Gordon Schebek, pour l’appelant

 

Joanna Hill, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : (613) 993-3595
Télécopieur : (613) 990-2439
Courriel :

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Le présent appel est interjeté aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi sur les douanes 1 à l’égard d’une décision rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 14 mars 2005 aux termes du paragraphe 60(4) de la Loi.

2. Les parties n’ont pas fourni de réponses lorsque le Tribunal leur a demandé, à trois différentes reprises, de présenter des commentaires eu égard à la tenue de l’audience sur pièces. Par conséquent, le Tribunal a décidé de procéder de cette façon aux termes des articles 25, 25.1 et 36.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 2 .

3. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si un couteau importé par M. Gordon Schebek et retenu par l’ASFC au moment de l’importation au Canada est correctement classé à titre d’arme prohibée dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes 3 , dont la partie pertinente se lit ainsi :

9898.00.00 [...] armes prohibées [...]

Pour l’application du présent numéro tarifaire :

[...]

b) [...] « arme prohibée » [...] [s’entend] au sens du paragraphe 84(1) du Code criminel4 .

4. L’alinéa 84(1)b) du Code criminel 5 définit « arme prohibée » ainsi :

“prohibited weapon” means

[...]

(b) any weapon, other than a firearm, that is prescribed to be a prohibited weapon.

[...]

« arme prohibée »

[...]

b) toute arme — qui n’est pas une arme à feu — désignée comme telle par règlement.

[...]

5. Selon l’ASFC, le couteau en cause est une « dague à pousser » prescrite comme étant une arme prohibée aux termes de l’article 9 de la partie 3 de l’annexe du Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés ou à autorisation restreinte 6 (article 9). Selon M. Schebek, il s’agit d’un « katar moghol » provenant de l’Inde7 qui date du 18e siècle et qui n’est pas assujetti à l’article 9.

6. Le 13 janvier 2006, le Tribunal a fait parvenir une lettre aux parties, les avisant qu’il avait examiné les pièces déposées par les parties et qu’il désirait obtenir les renseignements suivants :

des observations additionnelles y compris des éléments de preuve (p. ex. des renseignements tirés de revues spécialisées) afin de montrer ce qui est prévu par « un couteau communément appelé “dague à pousser” ».

[Traduction]

M. Schebek n’a pas déposé de réponse à cette lettre. L’ASFC a déposé une lettre avec argumentation datée du 20 janvier 2006.

7. Le 2 février 2006, le Tribunal a fait parvenir une autre lettre aux parties, précisant ce qui suit :

Le Tribunal constate qu’aucune partie n’a fourni d’éléments de preuve (p. ex. des renseignements tirés de revues spécialisées) afin de montrer ce qui est prévu par « un couteau communément appelé “dague à pousser” », en réponse à sa demande. Le Tribunal demande à nouveau que les parties lui fournissent ces éléments de preuve.

[Traduction]

L’ASFC n’a pas déposé une réponse à cette lettre. M. Schebek a déposé une lettre datée du 9 février 2006 à laquelle étaient annexées des copies de documents donnant la définition de l’expression « katar » et la description d’articles appelés « dagues à pousser » qui peuvent être achetés en ligne.

8. Le Tribunal a examiné le couteau en cause. Il mesure environ 15 1/2 pouces de long, et sa lame mesure environ 8 pouces de long.

9. Le couteau en cause serait une « arme prohibée » s’il s’agissait d’un article prescrit comme étant une arme prohibée aux termes de l’article 9, lequel prévoit ce qui suit :

9. Any knife commonly known as a “push-dagger” that is designed in such a fashion that the handle is placed perpendicular to the main cutting edge of the blade and any other similar device other than the aboriginal “ulu” knife.

9. Tout couteau communément appelé « dague à pousser », conçu de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame, ainsi que tout autre instrument semblable, à l’exception du couteau autochtone « ulu ».

10. Selon le Tribunal, un couteau peut satisfaire aux exigences de l’article 9 des deux façons suivantes : premièrement, un couteau répondrait aux exigences énoncées à l’article 9 s’il était a) un couteau qui est « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] » et b) « [...] conçu de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame [...] ».

11. L’ASFC a prétendu que le couteau en cause ne doit satisfaire qu’au critère b) pour satisfaire aux exigences énoncées à l’article 9, présumément parce que, selon elle, le critère b) définit, à lui seul, ce qui est un couteau « [...] communément appelé “dague à pousser” [...] ».

12. Le Tribunal n’est pas d’accord. À son avis, le sens ordinaire des mots et de la grammaire à l’article 9 prévoit une exigence cumulée selon laquelle les critères a) et b) doivent être satisfaits. Il constate que la construction grammaticale de l’article 9 est différente de celle de divers articles adjacents du Règlement. Ces articles prévoient ce qui suit :

[...]

Former Prohibited Weapons Order, No. 2

2. Any instrument or device commonly known as “nunchaku”, being hard non-flexible sticks, clubs, pipes, or rods linked by a length or lengths of rope, cord, wire or chain, and any similar instrument or device.

3. Any instrument or device commonly known as “shuriken”, being a hard non-flexible plate having three or more radiating points with one or more sharp edges in the shape of a polygon, trefoil, cross, star, diamond or other geometrical shape, and any similar instrument or device.

4. Any instrument or device commonly known as “manrikigusari” or “kusari”, being hexagonal or other geometrically shaped hard weights or hand grips linked by a length or lengths of rope, cord, wire or chain, and any similar instrument or device.

[...]

[...]

Ancien Décret sur les armes prohibées (no 2)

2. L’appareil ou l’instrument communément appelé « nunchaku », constitué de bâtons, de gourdins, de tuyaux ou de verges durs et non flexibles, réunis par un ou plusieurs cordons, cordes, fils ou chaînes, ainsi que tout instrument ou dispositif semblable.

3. L’appareil ou l’instrument communément appelé « shuriken », constitué d’une plaque dure et non flexible ayant au moins trois pointes qui rayonnent et possèdent au moins une arête vive d’aspect polygonal, tréflé, cruciforme, étoilé, carré ou d’une autre forme géométrique, ainsi que tout instrument ou dispositif semblable.

4. L’appareil ou l’instrument communément appelé « manrikigusari » ou « kusari », constitué de plusieurs poids durs ou poignées de forme hexagonale ou d’une autre forme géométrique, réunis par un ou plusieurs cordons, cordes, fils ou chaînes, ainsi que tout instrument ou dispositif semblable.

[...]

Former Prohibited Weapons Order, No. 4

8. The device known as the “Constant Companion”, being a belt containing a blade capable of being withdrawn from the belt, with the buckle of the belt forming a handle for the blade, and any similar device.

9. Any knife commonly known as a “push-dagger” that is designed in such a fashion that the handle is placed perpendicular to the main cutting edge of the blade and any other similar device other than the aboriginal “ulu” knife.

10. Any device having a length of less than 30 cm and resembling an innocuous object but designed to conceal a knife or blade, including the device commonly known as the “knife-comb”, being a comb with the handle of the comb forming a handle for the knife, and any similar device.

Ancien Décret sur les armes prohibées (no 4)

8. L’appareil connu sous le nom de « Constant Companion », soit une ceinture contenant une lame amovible, et dont la boucle constitue la poignée de la lame, et tout autre appareil semblable.

9. Tout couteau communément appelé « dague à pousser », conçu de telle façon que le manche est perpendiculaire au tranchant principal de la lame, ainsi que tout autre instrument semblable, à l’exception du couteau autochtone « ulu ».

10. Tout appareil d’une longueur inférieure à 30 cm, qui ressemble à un objet inoffensif mais qui est conçu pour dissimuler un couteau ou une lame, notamment l’instrument communément appelé « peigne-couteau », lequel est un peigne dont le manche sert de poignée au couteau, et tout autre appareil semblable.

Former Prohibited Weapons Order, No. 5

11. The device commonly known as a “Spiked Wristband”, being a wristband to which a spike or blade is affixed, and any similar device.

Ancien Décret sur les armes prohibées (no 5)

11. L’instrument communément appelé « Spiked Wristband », soit un bracelet auquel est fixée une pointe ou une lame, et tout autre instrument semblable.

Former Prohibited Weapons Order, No. 6

12. The device commonly known as “Yaqua Blowgun”, being a tube or pipe designed for the purpose of shooting arrows or darts by the breath, and any similar device.

[...]

Ancien Décret sur les armes prohibées (no 6)

12. L’instrument communément appelé « Yaqua Blowgun », soit un tube ou tuyau conçu pour lancer des flèches ou fléchettes par la force du souffle, et tout instrument semblable.

[...]

[Soulignement ajouté]

13. Dans l’examen de ces articles adjacents, le Tribunal a comparé, par exemple, la construction grammaticale de la version anglaise de l’article 9 et celle de l’article 8 de la partie 3 de l’annexe du Règlement (article 8). De l’avis du Tribunal, l’utilisation du mot « being » (« soit ») à l’article 8 montre clairement que « [...] [t]he device known as the “Constant Companion” [...] » est défini comme étant « [...] a belt containing a blade [...] », contrairement à l’article 9 dans lequel les mots « [...] that is designed in such a fashion [...] » décrivent simplement une certaine catégorie de dagues à pousser. Le Tribunal constate aussi que la construction grammaticale des articles 2, 3, 4, 10, 11 et 12 de la partie 3 de l’annexe du Règlement (articles 2, 3, 4, 10, 11 et 12) est la même que celle de l’article 8, c.-à-d. qu’ils définissent des articles divers comme « being » une chose ou une autre, contrairement à la structure de l’article 9.

14. Le Tribunal a observé la même distinction dans sa comparaison de la construction grammaticale de la version française des mêmes articles : l’utilisation de « [...] conçu de telle façon [...] » à l’article 9 peut être comparé avec l’utilisation du mot « [...] soit [...] » aux articles 8, 11 et 12, ou le mot « [...] constitué [...] » aux article 2, 3 et 4, et l’expression « [...] lequel est [...] » à l’article 10.

15. Le Tribunal doit d’abord examiner la question de savoir si le couteau en cause est un « [...] couteau communément appelé “dague à pousser” [...] ». Tel qu’il est indiqué ci-dessus, le Tribunal a demandé aux deux parties de présenter des éléments de preuve afin de montrer ce qu’est une « dague à pousser », mais seul M. Schebek l’a fait. L’ASFC a présenté des arguments, mais non des éléments de preuve, en réponse à la demande du Tribunal8 .

16. Le Tribunal constate que, tel qu’il est précisé, la longueur totale des diverses dagues à pousser illustrées dans les renseignements de ventes en ligne présentés en preuve par M. Schebek se situait dans la fourchette de 5 à 7 1/2 pouces. La longueur de la lame, tel qu’il est précisé, se situait dans la fourchette de 2 1/2 à 3 3/4 pouces. Tel qu’il est indiqué ci-dessus, le couteau en cause qui mesure environ 15 1/2 pouces de long est muni d’une lame qui mesure environ 8 pouces de long. Par conséquent, quant au deux caractéristiques, il est au moins deux fois plus long que la dague à pousser la plus longue illustrée dans les éléments de preuve présentés au Tribunal.

17. Ainsi, les éléments de preuve montrent que le couteau en cause est beaucoup plus long que le type de couteau communément appelé dague à pousser et que, de l’avis du Tribunal, il n’est donc pas un « [...] couteau communément appelé “dague à pousser” [...] ».

18. Étant donné que le Tribunal a déjà jugé que le couteau en cause ne satisfait pas au critère a) (« [...] communément appelé “dague à pousser” [...] »), il n’est pas tenu de trancher la question de savoir si le couteau satisfait à l’exigence de conception énoncée au critère b).

19. Le couteau en cause satisferait aussi aux exigences de l’article 9 s’il s’agissait d’un « instrument semblable » par rapport à des couteaux qui satisfont aux critères a) et b) ci-dessus, mais non pas d’un couteau autochtone « ulu ».

20. Compte tenu des éléments de preuve concernant l’importante différence de longueur entre les « dagues à pousser » et le couteau en cause, le Tribunal n’est pas convaincu que le couteau en cause est un « instrument semblable ».

21. Pour les raisons qui précèdent, le Tribunal conclut que le couteau en cause n’est pas une arme prohibée et, par conséquent, n’est pas correctement classé dans le numéro tarifaire 9898.00.00 de l’annexe du Tarif des douanes. L’appel est donc admis. Le Tribunal constate que la présente décision ne s’applique qu’au couteau en cause; il ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si les « katars », en général, sont des armes prohibées.


1 . L.R.C. 1985 (2e supp.), c. 1 [Loi].

2 . D.O.R.S./91-499.

3 . L.C. 1997, c. 36.

4 . Au paragraphe (b) de la version anglaise seulement, dans l’expression « arme prohibée », contrairement à toutes les autres expressions énoncées dans le texte intégral, les guillemets ont été omis à dessein; cette forme de l’expression est celle qui est utilisée dans l’annexe du Tarif des douanes et qui a été adoptée par le Parlement.

5 . L.R.C. 1985, c. C-46.

6 . D.O.R.S./98-462 [Règlement].

7 . L’ASFC n’a pas contesté le fait que le couteau en cause est un « katar ». Voir le relevé détaillé de rajustement du 14 mars 2005 (pièce no AP-2005-009-1).

8 . Lettre de Mme Joanna Hill adressée au Tribunal et datée du 20 janvier 2006 qui énonce ce qui suit : « Le trait distinctif de ces couteaux est le manche perpendiculaire qui fait en sorte que la dague peut être utilisée pour frapper ou pousser vers l’avant, la lame agissant comme extension du bras de la personne. Ces dagues peuvent se distinguer du couteau typique qui est utilisé pour poignarder ou en trancher, la lame étant perpendiculaire au poignet ou au bras de la personne, ou de biais avec ceux-ci. La définition ci-dessus n’exige pas que le manche soit directement perpendiculaire au tranchant principal de la lame et comprend aussi tout “instrument semblable”. Le manche en H du katar est plus orné que les dagues à pousser ordinaires, mais satisfait tout de même à la définition » [traduction] (pièce no AP-2005-019-14).