TRANSPORT GILLES PERREAULT INC.

Décisions


TRANSPORT GILLES PERREAULT INC.
c.
MINISTRE DU REVENU NATIONAL
Appel no AP-2004-051

Décision et motifs rendus
le mardi 28 mars 2006


TABLE DES MATIÈRES

EU ÉGARD À un appel entendu le 31 janvier 2006 aux termes de l’article 81.19 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, c. E-15;

ET EU ÉGARD À une décision rendue par le ministre du Revenu national le 25 novembre 2004 concernant une opposition à une décision rendue par le ministre du Revenu national signifiée aux termes de l’article 81.17 de la Loi sur la taxe d’accise.

ENTRE

 

TRANSPORT GILLES PERREAULT INC.

Appelante

ET

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

L’appel est rejeté.

Pierre Gosselin
Pierre Gosselin
Membre présidant

Meriel V. M. Bradford
Meriel V. M. Bradford
Membre

Elaine Feldman
Elaine Feldman
Membre

Hélène Nadeau
Hélène Nadeau
Secrétaire

Lieu de l’audience :

Ottawa (Ontario)

Date de l’audience :

Le 31 janvier 2006

   

Membres du Tribunal :

Pierre Gosselin, membre présidant

 

Meriel V. M. Bradford, membre

 

Elaine Feldman, membre

   

Conseillers pour le Tribunal :

Duane Schippers

 

Eric Wildhaber

   

Greffier :

Valérie Cannavino

   

Ont comparu :

Gilles Perreault, pour l’appelante

 

Yannick Landry, pour l’intimé

Veuillez adresser toutes les communications au :

Secrétaire
Tribunal canadien du commerce extérieur
Standard Life Centre
333, avenue Laurier Ouest
15e étage
Ottawa (Ontario)
K1A 0G7

Téléphone : (613) 993-3595
Télécopieur : (613) 990-2439
Courriel :

MOTIFS DE DÉCISION

1. Le présent appel est interjeté aux termes de l’article 81.19 de la Loi sur la taxe d’accise 1 à l’égard d’une décision rendue par le ministre du Revenu national (le ministre) le 25 novembre 2004 à l’égard d’une opposition à une décision rendue par le ministre aux termes de l’article 81.17 de la Loi.

2. La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si Transport Gilles Perreault Inc. (Perreault) a droit au remboursement de la taxe d’accise payée sur la partie du combustible diesel acheté au Canada et transporté à l’extérieur du Canada dans le réservoir à combustible d’un véhicule, mais consommé aux États-Unis, durant la période du 1er mars 2001 au 28 février 2003.

3. Le présent appel fait partie d’une série d’appels interjetés aux termes de la Loi à la suite de la décision du gouvernement de réagir par une mesure législative à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Penner International Inc. c. Canada 2 .

4. À la suite de la décision rendue dans Penner, le gouvernement a annoncé, dans le budget fédéral du 18 février 2003, son intention de modifier la partie VII de la Loi pour préciser que le combustible diesel transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible d’un véhicule ne constitue pas une exportation et ne donne pas droit à un remboursement de la taxe à payer sur ce combustible. Le gouvernement a également annoncé que la modification s’appliquerait à toute demande de paiement reçue par l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) (maintenant l’Agence du revenu du Canada [ARC]) après le 17 février 2003.

5. Le projet de loi C-28, la Loi d’exécution du budget de 2003, a été sanctionné le 19 juin 2003.

6. L’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003 prévoit ce qui suit :

63. (1) Section 68.1 of the Act is amended by adding the following after subsection (2):

(3) For greater certainty, no amount is payable to a person under subsection (1) in respect of tax paid on gasoline or diesel fuel transported out of Canada in the fuel tank of the vehicle that is used for that transportation.

63. (1) L’article 68.1 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (2), de ce qui suit :

(3) Il est entendu qu’aucun montant n’est à payer à une personne aux termes du paragraphe (1) au titre de la taxe payée sur l’essence ou le combustible diesel qui est transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible du véhicule qui sert à ce transport.

(2) Subsection (1) applies in respect of any application for a payment under section 68.1 of the Act received by the Minister of National Revenue after February 17, 2003.

(2) Le paragraphe (1) s’applique à toute demande de paiement, prévue à l’article 68.1 de la même loi, reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003.

PREUVE

7. Dans son mémoire, Perreault a allégué avoir posté sa demande de remboursement adressée au ministre le 21 février 2003, soit trois jours après le budget fédéral du 18 février 2003. Le ministre a allégué que la demande de remboursement avait été reçue aux bureaux du Centre fiscal de l’ADRC, à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), le 4 mars 2003. Aucune des parties n’a contesté ces allégations. Les parties ont convenu que la demande de remboursement n’avait été postée au ministre ou reçue par ce dernier qu’après le 17 février 2003.

8. Le Tribunal a décidé de tenir une audience sur pièces, conformément aux articles 25, 25.1 et 36.1 des Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur 3 , puisqu’il n’y avait pas de faits pertinents en litige. Il a donné avis de sa décision aux parties le 29 novembre 2005 et fait publier un avis à cet effet dans la Gazette du Canada 4 du 14 janvier 2006. Il a invité Perreault à déposer un mémoire en réponse au plus tard le 3 janvier 2006. Dans une lettre datée du 30 novembre 2005, Perreault a fait savoir qu’elle ne déposerait pas de mémoire en réponse.

PLAIDOIRIE

9. Perreault a soutenu que, au moment où elle avait décidé de présenter une demande de remboursement, aucun délai de dépôt d’une telle demande ne s’appliquait.

10. Perreault a ajouté qu’il était injuste de lui refuser le remboursement au motif qu’une date limite arbitraire déterminée sans préavis s’appliquait. Elle a donc soutenu que le Tribunal devrait autoriser le dépôt de la demande de remboursement.

11. Le ministre a prétendu que l’article 63 de la Loi d’exécution du budget de 2003 était clair et que l’intention expresse du législateur était de lui donner un effet rétroactif.

12. Le ministre a de plus fait valoir qu’il était également clair que toute demande de remboursement reçue par le ministre après le 17 février 2003 n’était pas admissible; il ne suffisait pas que la demande ait été postée le ou avant le 17 février 2003, elle devait effectivement avoir été reçue au plus tard le 17 février 2003.

13. Enfin, le ministre a prétendu que le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur une affaire en invoquant les principes d’équité.

DÉCISION

14. Bien qu’une loi soit présumée avoir uniquement un effet prospectif, cette présomption est réfutable5 . Dans Sullivan and Dreidger on the Construction of Statutes, on peut lire : « Un texte législatif rétroactif renferme dans bien des cas une disposition énonçant qu’il est réputé entrer en vigueur ou s’appliquer à une date antérieure à la date de promulgation »6 [traduction]. Dans Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. M.R.N. 7 , la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

[...]

[...] Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation. Une disposition modificatrice peut prévoir qu’elle est censée être entrée en vigueur à une date antérieure à son adoption, ou qu’elle porte uniquement sur les transactions conclues avant son adoption. Dans ces deux cas, elle a un effet rétroactif [...]8 .

15. La Cour suprême a confirmé, à plusieurs reprises, que la présomption d’absence d’effet rétroactif ou d’atteinte aux droits acquis est une présomption réfutable si le texte de loi le décrète expressément ou exige implicitement une telle interprétation9 . Si la lecture ordinaire d’un texte de loi ne permet pas d’en saisir clairement l’application voulue, il faut en déterminer l’objet pour décider s’il était prévu que cette loi devait avoir une portée rétroactive ou porter atteinte à des droits acquis10 .

16. Dans l’interprétation d’une loi, le Tribunal doit en lire les termes dans leur contexte et selon leur sens ordinaire et grammatical en tenant compte de l’esprit de la loi, de l’objet de la loi et de l’intention du législateur11 .

17. L’intention du gouvernement est clairement exprimée dans Le plan budgétaire de 2003 12 publié le 18 février 2003. Le gouvernement explique qu’il n’avait pas par le passé eu pour pratique de rembourser la taxe payée sur le carburant transporté en dehors du Canada dans le réservoir à combustible d’un véhicule et, d’une façon similaire, d’assujettir à une taxe le carburant contenu dans le réservoir d’un véhicule entrant au Canada. De plus, le gouvernement déclare expressément qu’il précise sa position à la suite de la décision rendue dans Penner. Enfin, il énonce son intention d’appliquer la modification rétroactivement :

Le budget propose de modifier la partie VII de la Loi sur la taxe d’accise pour préciser que le carburant contenu dans le réservoir d’un véhicule dont l’automobiliste franchit la frontière n’est pas exporté et qu’aucun remboursement de la taxe d’accise n’est payable relativement à ce carburant. Il est proposé que cette modification s’applique aux demandes de remboursement reçues par l’Agence des douanes et du revenu du Canada le 18 février 2003 ou postérieurement13 .

18. La Loi d’exécution du budget de 2003, entrée en vigueur le 19 juin 2003, a expressément modifié l’article 68.1 de la Loi et explicitement énoncé que la modification s’appliquait « [...] à toute demande de paiement, prévue à l’article 68.1 de la même loi, reçue par le ministre du Revenu national après le 17 février 2003 » [soulignement ajouté]. La loi n’est pas ambiguë. L’intention du législateur était que la loi ait un effet rétroactif à la date de l’annonce du budget et modifie les attentes (ou les droits) visant l’obtention d’un remboursement si la demande était reçue par le ministre après le 17 février 2003. Le Tribunal fait remarquer que l’application avec effet rétroactif à la date de leur annonce n’est pas inhabituelle dans le cas des lois fiscales.

19. Le Tribunal n’a pas antérieurement interprété le sens de l’expression « reçue par le ministre »14 . La date à laquelle la demande a été reçue par le ministre n’est pas objet de litige dans le présent appel.

20. En l’espèce, le Tribunal fait observer que Perreault a admis avoir posté sa demande au ministre après le 17 février 2003. Par conséquent, le Tribunal conclut que la demande de remboursement a été reçue par le ministre après le 17 février 2003 et qu’elle n’ouvre donc pas droit au remboursement en vertu du paragraphe 63(2) de la Loi d’exécution du budget de 2003.

21. Enfin, le Tribunal a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’a pas compétence pour accorder un redressement fondé sur l’équité15 . Il est tenu de respecter les délais réglementaires même, par exemple, dans les cas où la modification fiscale n’a pas fait l’objet d’un avis préalable16 . Le Tribunal ne peut statuer que dans le cadre de la compétence que lui confère expressément son mandat statutaire. Il ne peut donc pas accorder le redressement fondé sur l’équité demandé par l’appelante.

22. Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.


1 . L.R.C. 1985, c. E-15 [Loi].

2 . [2003] 2 C.F. 581 (C.A.F.) [Penner].

3 . D.O.R.S./91-499.

4 . Gaz. C. 2006.I.110.

5 . Voir Ruth Sullivan, Sullivan and Dreidger on the Construction of Statutes, 4e éd., Markham, Butterworths, 2002.

6 . Ibid. à la p. 562.

7 . [1977] 1 R.C.S. 271, le juge Dickson.

8 . Ibid. à la p. 279. Subséquemment, dans la version anglaise, le mot « retrospective » utilisé par le juge Dickson a, d’une manière plus correcte, été remplacé par le mot « retroactive ». Voir Ruth Sullivan, Sullivan and Dreidger on the Construction of Statutes, 4e éd., Markham, Butterworths, 2002 à la p. 562.

9 . Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole), [1989] 1 R.C.S. 880 aux paras. 81 et 97-101; Dikranian c. Québec (Procureur général), [2005] A.C.S. no 75 (QL) aux paras. 30-36; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltd., [2005] A.C.S. no 50 (QL) aux paras. 69-72 et 74-75; voir aussi Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161 à la p. 1192; Grand Rapids (Town) c. Graham, [2004] M.J. no 342 (C.A. Man.) (QL) aux paras. 14 et 23-28.

10 . Québec (Procureur général) c. Healey, [1987] 1 R.C.S. 158 aux pp. 165-167.

11 . Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559 aux pp. 580-581.

12 . Ministère des Finances, Le plan budgétaire de 2003, Ottawa, Canada, 2003 à la p. 385.

13 . Ibid. à la p. 385.

14 . Le Tribunal a précédemment interprété l’expression « demande faite au ministre » comme signifiant que la demande de remboursement est réputée être produite le jour où elle a été postée, la date du cachet en faisant foi. Voir p. ex. Vern Glass Company (1976) Limited c. M.R.N. (13 décembre 1993), AP-92-221 (TCCE); Lakhani Gift Store c. M.R.N. (15 novembre 1993), AP-92-167 (TCCE); Super Générateur Inc. c. M.R.N. (6 mars 1996), AP-94-265 (TCCE); Jorwalt Building Designers Ltd. c. M.R.N. (4 septembre 1997), AP-96-012 (TCCE); The Satellite Station c. M.R.N. (15 juillet 1994), AP-93-279 (TCCE); BDR Sportsnutrition Laboratories Ltd. c. M.R.N. (6 mars 1996), AP-95-050 (TCCE); Hergert Electric Ltd. c. M.R.N. (7 juin 1994), AP-93-089 (TCCE); Wood c. M.R.N. (28 février 1994), AP-93-050 (TCCE); Ryerson Polytechnical Institute c. M.R.N. (24 novembre 1994), AP-93-303 (TCCE).

15 . Voir p. ex. Walbern Agri-Systems Ltd. c. M.R.N. (21 décembre 1989), 3000 (TCCE); Peniston Interiors (1980) Inc. c. M.R.N. (22 juillet 1991), AP-89-225 (TCCE); Sturdy Truck Body (1972) Limited c. M.R.N. (23 juin 1989), 2979 (TCCE); A.G. Green Co. Limited c. M.R.N. (9 août 1990), AP-89-134 (TCCE).

16 . Aerotec Sales and Leasing Ltd. c. M.R.N. (25 janvier 1996), AP-94-114 (TCCE); Power’s Produce Ltd. c. M.R.N. (1er février 1993), AP-90-011 (TCCE).